CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Pourquoi une psychothérapie brève alors que la question initiale de la durée ne doit pas se poser dans les traitements d’orientation psychanalytique ? La question est alors, bien sûr : jusqu’où s’adapter sans perdre son identité psychanalytique. La psychothérapie psychanalytique brève, terme aujourd’hui souvent substitué par « psychothérapie psycho-dynamique brève », répond à quatre demandes : des situations cliniques dans lesquelles un événement traumatique récent joue un rôle pivot (deuil, divorce, échec universitaire scolaire, annonce d’une maladie grave, etc.) ; un contexte hospitalier ou institutionnel réclamant une temporalité particulière (hospitalisation de durée limitée, accueil institutionnel limité dans le temps, etc.) ; une réponse nécessaire aux contraintes d’économies dictées par la politique sociale des soins ; une situation sociale particulière celles des étudiants [1] et des salariés amenés à se déplacer de plus en plus ou celle de migrants dont la stabilité résidentielle est pour une part temporaire.

2Le dénominateur commun fondamental avec tout traitement d’orientation psychanalytique s’exprime dans la croyance que chaque être humain possède un monde intérieur qui pour une bonne partie est inconscient et refoulé, fait de conflits intra-psychiques dont les symptômes sont l’expression.

3Le service de psychiatrie du CHU Pitié-Salpêtrière sous la direction de Daniel Widlöcher, s’est intéressé depuis plus de 20 ans à ce sujet et a établi des contacts avec des équipes internationales en particulier suisses et américaines. Il y a trois ans, une nouvelle équipe de recherche sur cette question, constituée de psychanalystes, psychologues et psychiatres, a entrepris une réflexion sur cette méthode de traitement pour des patients hospitalisés ou non, pour « dépression majeure » faisant suite à une séparation ou à la disparition d’une personne chère. Une psychanalyste, Mme Evelyne Séchaud, ne prenant pas elle-même des patients en charge, supervisait ce groupe de recherche.

Le concept clé

4L’idée de base repose sur l’importance accordée à l’idée que le changement et les résistances qu’il suscite viennent avant tout de la prise de conscience des enjeux inconscients à l’origine de la souffrance psychique. A ce concept clé, s’associe une méthode d’investigation que Freud le premier utilise : une démarche de pensée réflexive et critique reposant sur la règle de la « libre association » permettant d’une part l’écoute associative de la part du thérapeute mais bien évidemment pour que le patient puisse aussi la faire sienne développant ainsi sa propre capacité d’insight. Ce type d’investigation vise dès lors à permettre au patient de découvrir ici ce qui a pu être aussi bouleversant pour lui dans l’évènement qu’il a rencontré.

Au cours de l’histoire

5L’idée d’adapter la technique de la « cure-type » psychanalytique à des patients ne pouvant pas en bénéficier, pour différentes raisons existe déjà chez Freud : « (…) quelque soit la forme de cette psychothérapie populaire et de ses éléments, les parties les plus importantes, les plus actives demeureront celles qui auront été empruntées à la stricte psychanalyse dénuée de tout parti pris. » [2]

6Aujourd’hui, une des premières constations faite par toute personne souhaitant s’informer sur les thérapies brèves psychanalytiques est la quasi absence d’écrits d’auteurs français. Si nos collègues anglo-saxons, belges, suisses ou luxembourgeois ont publié sur le sujet, les Français eux semblent jusqu’ici peu intéressés par la question. Il est utile de nous souvenir des directions prises par la psychanalyse en Europe (et toujours aujourd’hui en France) et aux Etats-Unis, au lendemain de la seconde guerre mondiale pour saisir les raisons de cette différence. En Europe et surtout en France, la psychanalyse a été fortement soutenue par les courants littéraires et humanistes. Aux Etats-Unis, l’idéalisation pragmatique de la théorie psychanalytique fait place dans les années 80 à une désidéalisation massive.

7La thérapie brève psychanalytique va quant à elle se trouver à la fois du côté du pragmatisme : permettre au patient de retrouver un fonctionnement qu’il jugera satisfaisant, sans pour autant avoir pour ambition un remaniement de celui-ci dans sa globalité ; mais elle va se trouver aussi du côté d’une visée humaniste en offrant au patient la possibilité de découvrir sa singularité et un nouveau mode de relation avec son monde interne, qui pourra ou non lui donner le désir de poursuivre cette exploration.

8En d’autres termes, la visée de cette thérapie brève est double : une amélioration symptomatique et la découverte par le patient d’un nouveau mode d’être avec lui-même. La notion de « transition » que nous avons appliquée à ces thérapies prend ici tout son sens : « transition » entre un moment de mal être et un soulagement qui n’a rien de magique ; « transition » vers un éventuel travail plus global sur soi-même grâce à cette première expérience.

La question de l’indication

9En raison de ce qui précède, nous voyons que les Thérapies Transitionnelles Brèves Psychanalytiques ne peuvent avoir pour objectif de prendre en charge des modes de fonctionnement installés au long cours, ni des pathologies psychiatriques anciennes et résistantes aux traitements. Nous ne pouvons attendre d’elles qu’elles influencent le déroulement d’une névrose grave, ni qu’elles résolvent des dépressions récurrentes.

10Cette thérapie s’adresse à des sujets qui consultent en raison d’une rupture brutale dans leur mode de vie habituel. Rupture vécue douloureusement et dont le sujet pense ne pas arriver à se remettre seul. Les cas les plus fréquents, et les plus anciennement pris en charge par cette méthode, sont ceux consécutifs à un deuil, et à des dépressions ponctuelles, d’intensité légère à moyenne. On constate également que la thérapie est d’autant plus efficace que le moment de rupture est plus récent, c’est-à-dire qu’il n’a pas encore suscité de remaniement trop important dans le fonctionnement psychique en général, remaniements que la thérapie en raison justement de sa brièveté, ne sauraient infléchir. Le but de la thérapie sera d’éviter un enkystement, le développement et la chronicisation d’un processus pathologique.

11Par ailleurs, méthode psychanalytique et brièveté nous conduisent à attendre des patients qu’ils investissent rapidement et positivement la relation thérapeutique. Autrement dit que le thérapeute puisse, dès les toutes premières séances, repérer la mise en place d’un transfert de base positif. Dans le cas contraire le thérapeute risque de se trouver face à des attaques des liens, attaques du cadre pouvant ouvrir à des réactions thérapeutiques négatives mettant en échec le cadre dans sa brièveté.

12De la même manière, un intérêt minimal du patient pour ce qui se passe en lui, ses capacités associatives ainsi que ses capacités d’élaboration seront un facteur déterminant dans l’indication de cette méthode. Ces éléments devront, comme nous allons le voir par la suite, être évalués lors des entretiens préliminaires à toute prise en charge.

Le cadre

13Nous avons opté pour des suivis se déroulant sur un total de 12 séances, sans compter le ou les entretiens préliminaires, à raison d’une séance par semaine, soit des suivis se déroulant sur une période d’environ deux mois et demi à trois mois. Cette durée de 12 séances a été choisie car elle nous paraissait convenir pour l’instauration d’un transfert de base, tout en limitant son déploiement, et pour son élaboration. De même elle semblait permettre un développement associatif suffisant à un travail d’interprétation.

14Le (ou les) entretien(s) préliminaire(s), constitué d’une ou de deux séances, semblables à ceux menés en vue de toute mise en place d’un suivi psychanalytique. Cependant nous avons dû introduire des modifications dans la technique, entre autres une écoute plus dirigée et des interventions plus fréquentes.

15En face à face, les séances conservent leur durée de 45 minutes. De même, les règles, d’abstinence, du non remplacement des séances manquées, non déplacement des séances et arrêt pendant les périodes de vacances indiquées par le thérapeute, sont appliquées. Ces dernières règles semblent ici d’autant plus nécessaires qu’il s’agit de ne pas laisser ouverte l’opportunité d’un allongement de la prise en charge.

La méthode de travail

16La méthode est d’inspiration analytique dans la mesure où elle se donne comme principaux outils de travail : l’installation d’une relation transférentielle ; l’écoute des fantasmes et des conflits psychiques inconscients ; l’interprétation dans le transfert de ce matériel. Par contre elle donnera très peu lieu à des interprétations du transfert, ni à aucune intervention ou construction qui aurait pour conséquence l’amplification de la relation transférentielle, de façon à pouvoir respecter son impératif de brièveté.

17Des interprétations « mesurées », proposées dès le début de la thérapie, peuvent favoriser l’alliance thérapeutique et renforcer le transfert positif, dont nous avons indiqué qu’ils étaient nécessaires au plus tôt dans ce type de prise en charge. D’un autre côté, les interventions focalisées sur les liens entre le trouble et l’évènement déclenchant permettent de limiter les mouvements transférentiels.

18Tout l’enjeu est, du côté du thérapeute, de pouvoir maintenir à la fois une écoute transférentielle, une écoute suffisamment flottante pour que le patient puisse associer librement, tout en restant focalisé sur le motif du recours à cette thérapie et sur sa transition.

19Ainsi ce n’est pas le récit du patient qui doit se focaliser sur le trouble, mais l’écoute du thérapeute qui, dans l’ensemble des associations libres du patient, ne relancera, n’interviendra que sur celles, actuelles et infantiles, en relation avec ce trouble. Ce faisant, le thérapeute devrait pouvoir limiter à un champ restreint les investissements transférentiels du patient et se centrer sur la résolution des conflits en lien avec le motif de la prise en charge. Dès lors, nous voyons que cette pratique implique une part beaucoup plus active du thérapeute que dans un travail analytique plus classique, qu’elle exige du thérapeute qu’il puisse maintenir une attention flottante tout en restant en alerte sur le but visé par ce travail spécifique. Cette thérapie nécessite un maniement du transfert et du contre-transfert très spécifique sur lequel nous reviendrons par la suite.

Illustration clinique

20Afin d’illustrer notre réflexion sur la pratique des thérapies brèves d’inspiration analytique, nous présentons une thérapie conduite par une thérapeute impliquée dans ce groupe de travail.

21Mme G. : déplacement et condensation de la problématique du deuil

22Mme G. m’est adressée par le collègue responsable du pôle psychothérapie, qui pense à une indication de thérapie brève pour cette patiente, dans le contexte d’un deuil. Elle a perdu son mari un an auparavant.

23Après un entretien préliminaire, dès la première séance de la thérapie, elle me parle d’emblée du deuil de son père, il y a cinq ans, qui a entraîné un état dépressif traité par un antidépresseur. Son mari et son père portaient le même prénom, au point que j’aurai certains moments de confusion concernant l’homme en jeu dans son discours. Il y a la même différence d’âge entre sa mère et son père, elle et son mari, douze ans, et sa mère a dix ans de plus que son mari à elle. « Elle est (sa mère) entre son mari et mon mari ». Ses deux filles, mariées chacune, vivent ensemble en province. Elles ne se quittent jamais même si elles se disputent beaucoup. Elles ont deux ans de différence. Mme G. a été séparée de l’aînée de ses enfants à la naissance de son deuxième bébé, né prématuré. Mme G. a une sœur de deux ans sa cadette. La mort de son mari a été un moment traumatique ; ils étaient séparés, elle à Paris, lui dans leur maison de méditerranée. Elle lui a téléphoné longtemps, sans réponse, elle s’est rendue à ce bord de mer, et l’a trouvé sur le canapé, mort d’une crise cardiaque ; elle « n’a pas pu le toucher ». Elle était en état de choc. Elle l’avait soigné longtemps, avec beaucoup d’attention, lors de plusieurs rechutes, « comme une infirmière ». Elle l’a sauvé à plusieurs reprises en pratiquant les soins d’urgence adéquats. Elle est passée, me dit-elle « d’un Pierre (le père) à un autre (le mari), dans sa dévotion ». Sa mère est décrite avec beaucoup plus d’ambivalence « rigide, pingre… c’est la princesse, elle fait le paon quand il y a du monde ». Mme G. lui prête une attirance inconsciente pour son mari, son Pierre à elle. « Je vais repartir avec mon mari en fond d’écran », me dit-elle à la fin de notre première séance, où elle a beaucoup pleuré. Cette image du fond d’écran m’évoque spontanément les relations précoces mères-enfants selon Geneviève Haag qui préformeraient le psychisme infantile et donnent la tonalité de notre relation transférentielle.

24A la séance suivante, elle évoque ses deux enfants qui vivent ensemble, « très fusionnels », comme son mari et elle l’étaient. Il lui « manque dans sa chair », me dit-elle, ils se touchaient beaucoup, étaient très « tactiles », se téléphonaient « dix fois par jour quand ils étaient séparés ». Il se trouve que j’aurai plusieurs liens téléphoniques avec cette patiente lors d’absences de sa part, de rendez-vous à déplacer, où elle vérifie ma présence à elle, où l’absence n’est pas la disparition, ce que je lui ferai remarquer.

253e séance : Mme G. évoque à nouveau ses enfants et la naissance traumatique du deuxième, grand prématuré ; la séparation d’avec l’aînée de deux ans, placée en home d’enfant, pendant qu’elle était hospitalisée avec son bébé ; du geste agressif d’une mère sur son enfant dans l’unité psychiatrique de cet hôpital. Je n’interviendrai pas sur les fantasmes mortifères déployés dans cette séquence, trop éloignés du préconscient de la patiente dans cette période. Elle associe sur sa mère à qui elle reproche son manque de tendresse, d’empathie, de générosité. Elle n’appelle pas au secours, sa mère n’est pas là. Elle se souvient de scènes infantiles où sa jeune sœur, sur les genoux de la mère, lui faisait des câlins ; elle se tenait alors à distance. Elle associe sur le fait que la sexualité de ses parents était pauvre, comparée à la sienne, si riche, si « fusionnelle ».

26A la séance suivante, la patiente me racontera un rêve qui a lieu dans la maison du bord de mer : son mari part raccompagner un ami artiste peintre à la gare sans la prévenir, elle pleure beaucoup, lui téléphone sur son portable.

27J’interviens : « cela vous mettait en colère qu’il parte sans vous prévenir ? ». Elle ajoute sur sa mort : « je n’ai rien pu faire ».

28- Moi : « vous avez été impuissante à le sauver cette fois ».

29Depuis le décès de son mari, elle reste souvent chez elle, au lit, elle n’a pas envie d’être gaie..

30- Moi : « comme si vous l’abandonniez ».

31J’aborde sa colère qu’il l’ait abandonnée sans la prévenir.

32Elle raconte alors un épisode étrange qui a les qualités de condensation hallucinatoire d’un rêve : « le soir de la mort de son mari, elle a un appel téléphonique, c’est « une vieille dame qui lui dit qu’elle est malade, dans une merde noire ». Mme G. s’énerve contre elle, raccroche brutalement, mais elle se demande si ça pouvait être lui, la voix changée par l’approche de la mort.

33Je n’interviendrai pas sur les fantasmes attaquants contenus dans ce matériel très condensé, le mari / la vieille mère, qu’elle laisse mourir. La patiente évoque les deuils, les séparations. « J’en ai marre des séparations ». Je lui dis qu’ici aussi on va se séparer. Elle préfère ne pas y penser, me répond-t-elle. L’activité psychique autour de la séparation est bien mise en œuvre transférentiellement.

34A la séance suivante, la patiente poursuit, de façon très associative sur son mari qui lui manque, « son contact, c’était fusionnel, la nuit je mets le bras, je ne le sens pas ». Puis elle évoque à nouveau ce souvenir d’enfance, sa jeune sœur sur les genoux de sa mère, son père ne l’acceptant pas, elle, sur ses genoux.

35- J’interviens sur son sentiment d’exclusion, de solitude, d’abandon, et de colère.

36Elle a une autre réminiscence : préadolescente elle jouait dans sa chambre avec son frère et un copain qu’elle aimait bien ; sa mère est entrée dans la chambre alors qu’elle donnait la main au garçon ; la mère lui a alors lancé « va plutôt faire la vaisselle pour t’occuper les mains ». Je lui parle aussi d’un registre d’échanges plus précoces, de contacts tendres, corporels, qui peut-être lui ont manqué, avec sa mère, son père, et qui se mêlent à la tristesse du deuil, au manque de son mari dans leurs échanges si « fusionnels ». Elle pleure. Je lui interprète la perte de son mari à ce niveau de séparation plus précoce.

37- Moi : « quand je vous entends, c’est comme si vous souffriez aussi comme un petit enfant séparé de sa mère, charnellement »

38- Mme G : « et de son père » - Moi : « Et de notre séparation prochaine ? - Mme G : « et il n’y a même pas l’hôpital … » (qui réunit sans doute les mères et les enfants malades)

39- Moi : « si, ici »

40Elle me dit qu’il n’y a qu’ici qu’elle pleure. Les séances de fin :

41Elle est beaucoup plus alerte et animée. Elle rentre de la mer où elle a été s’occuper de la tombe « pas pratique d’entretien » de son mari. Je lui demande si elle en veut à son mari de lui avoir laissé toutes ces charges sans lui donner les moyens de les assumer.

42Elle m’écoute, puis évoque la perte de son père, celle de son mari, qui se décondensent :

43« C’est différent un père, c’est une histoire, plus intellectuel… Un mari, mon mari, c’était corporel, le manque, c’est dans le ventre. Depuis sa mort, je ne vis pas, je m’agite. »

44- Moi : « comme s’il avait emmené une partie de vous en vous quittant ».

45C’est la fin du cycle. Je lui propose deux derniers rendez-vous après les vacances de printemps. Je me souviens qu’elle a quitté sa première thérapeute un printemps sans venir la revoir.

46- Elle : « si je suis toujours vivante ! »

47- Moi : « se séparer, c’est mourir ? ».

48La dernière séance :

49Mme G. me dit qu’elle a pensé à moi quand elle voulait parler. Elle entre très vite directement dans la séance qu’elle envahit de son discours, comme si elle voulait effacer, éviter, notre séparation.

50Le matériel va dans le même sens :

51Elle revient de Corse où elle était en vacances chez des amis très proches. Elle me parle de la mer là bas « On flotte sur la mer, je m’endormais sur l’eau » que je comprends comme un mouvement de régression positif et calmant. Elle parle ensuite de sa mère, puis de son mari, de son odeur, du plaisir qu’elle avait à prendre soin de son corps.

52Je lui montre le déplacement et la condensation des images et des investissements dont il a fait l’objet. Elle approuve : « oui c’est vrai, j’ai tout misé sur lui ». Puis, « c’est difficile de se quitter, pour vous aussi sans doute ». M’englobant encore dans un mouvement d’identification projective et une forme d’emprise.

53J’orienterai alors cette patiente, à sa demande, vers un centre de traitements lié à une Société Psychanalytique, pour y poursuivre une psychothérapie, ou une cure analytique.

En quoi et jusqu’où une thérapie brève est-elle analytique ? Que sollicite-t-elle du côté du thérapeute ?

54Nous pouvons considérer qu’elle est psychanalytique dans la mesure où, comme nous l’avons vu, elle se développe sur l’installation d’une relation transférentielle, et à l’écoute des enjeux psychiques inconscients. Elle se fonde sur l’interprétation dans le transfert de ce matériel.

55Par contre, elle s’éloigne de la cure analytique classique en ce sens qu’elle donne très peu lieu à des interprétations du transfert. Il s’agit, par cette option technique, de limiter le déploiement de la relation transférentielle et donc le risque de voir s’installer trop profondément une névrose de transfert. Ce n’est qu’à cette condition que pourra être respecté l’impératif de brièveté, sans trop risquer de mettre à mal le narcissisme du patient.

56Que l’on se souvienne des débats, toujours d’actualité, autour de la notion de « consultation psychanalytique » [3] ou des « traitements d’essai » tels qu’ils étaient un temps pratiqués par Freud. On retiendra alors que concernant le début de la prise en charge, Freud considérait qu’avant même la première rencontre « le transfert est déjà établi et le médecin se voit alors contraint de le démasquer lentement au lieu d’être en mesure de le voir naître et croître sous ses yeux, à partir du début du traitement. » [4]

57Ce sur quoi Freud porte l’attention des thérapeutes est la part profonde que ceux-ci doivent prendre pour que se développe la névrose de transfert. Or, c’est justement cette part là que le thérapeute engagé dans une thérapie brève évitera de mettre en œuvre pour, à l’inverse limiter, par l’absence de certaines interventions, le déploiement de cette névrose de transfert qui n’a pas la possibilité temporelle de se perlaborer.

58Nous pourrions dire que c’est essentiellement dans cette modalité du maniement du transfert que va se situer la spécificité de la pratique de ce que nous appelons les Thérapies Transitionnelles Brèves Psychanalytiques. Ce qui implique, comme nous l’avons vu, une attention elle aussi spécifique à la question des patients pouvant être suivis dans ce cadre, comme des dispositions particulières, tant pratiques que théoriques, du côté du thérapeute. Ainsi tout en ayant pour visée directe la résolution du trouble spécifique, le thérapeute aura aussi pour objectif de moduler l’investissement transférentiel du patient, tout autant que son investissement du patient.

59En effet, cette pratique suppose du côté du thérapeute, l’acceptation d’un enjeu d’accrochage et de décrochage, transférentiel et contre-transférentiel, et ceci dans un temps limité. Une intervention sera privilégiée quand le matériel fantasmatique le permet : celle d’interpréter les enjeux affectifs et relationnels que toute représentation d’une séparation engendre chez le patient. Ainsi, alors même que le travail entrepris aura pu lui permettre d’envisager d’autres directions non incluses dans le contrat de départ, il saura ne pas s’engager dans ses voies et laisser en friche toute problématique que le patient aura pu dévoiler, mais non spécifiquement liée au trouble sur lequel se focalise la thérapie, sans pour autant penser lui être en cela préjudiciable.

60Il émerge de cette recherche l’idée que de telles thérapies pour être convenablement conduites ne peuvent qu’être le fait d’analystes rompus à la pratique de l’analyse classique qui pourront de ce fait se trouver confrontés aux exigences potentiellement frustrantes pour un analyste, des thérapies brèves.

Conclusion

61Ayant affaire à des patients dont la problématique était centrée sur la souffrance psychique de l’endeuillé, ce que les travaux sur ce type de psychothérapie avaient posé comme nécessité préalable, celle de l’analyse d’un « focus » ou d’un « conflit central », a mené notre groupe de recherche sur la mise en scène de la « réactivation dans le transfert et le contre-transfert » de la séparation et du deuil que la durée limitée de la rencontre soulevait. Cela a amené chacun à se sentir plus à l’aise avec une position plus active tout en n’utilisant pas l’interprétation « du » transfert mais privilégiant interprétation « dans » le transfert.

62Nous savons que le travail psychanalytique vise à la perlaboration. C’est souvent la résistance qu’il s’agit d’élaborer et de perlaborer. Comment peut-on dans un temps limité ne pas trop écarter cette question ? Nous savons aussi que nous disposons d’une autre « intervention royale », l’interprétation. Ici la technique des psychothérapies transitionnelles brèves psychanalytiques peut placer l’interprétation au centre du travail de changement en mettant en avant le contexte dans lequel cette interprétation est faite. Nous pourrions dire que le contrat de limiter dans le temps notre rencontre représente une interprétation « mutative » : « En me rencontrant dans un temps limité, n’allez-vous pas vous interroger sur ce que signifie pour vous une rencontre, origine incontournable d’une séparation ? ». Cette interprétation ne permet-elle pas d’emblée un insight à la différence des interprétations dites sauvages ? Cela nécessite évidemment que tout ceci soit fait dans une attitude de disponibilité, d’empathie et de tact. De plus ce contexte et l’interprétation qu’il peut susciter limitent un autre risque, celui de la seule suggestion, source plus profonde qu’on ne le pense de certains traitements psychanalytiques parfois trop longs.

63Pour aider ces patients en souffrance, notre proposition d’un dispositif psychothérapique économique adapté à leur problématique n’a sûrement pas permis d’aborder toutes les résistances inconscientes au changement, mais a permis de construire un dispositif cohérent et transitionnel dans tous les sens du terme. Pour rester vivante, l’approche analytique ne doit-elle pas faire preuve d’ouverture, d’adaptation au contexte socio-économique environnant, mais sans concession, non pas sur le setting technique, mais sur la méthode d’investigation et la conviction du rôle de l’inconscient dans la singularité de chacun.

Annick Bismuth nous a quittés très récemment à la suite d’une longue et douloureuse maladie. Elle souhaitait que cet article soit publié. Nous pouvons témoigné qu’il a été écrit grâce à son intelligence, ses qualités humaines et son ouverture d’esprit. Ses qualités représentent bien la source de l’estime et de la profonde amitié que tous ceux qui la connaissaient lui portaient. Nous ne l’oublierons pas.
Alain Braconnier

Notes

  • [1]
    L. Michel, Psychothérapie brève de l’étudiant, approche psychodynamique, Paris, éditions In Press, 2014.
  • [2]
    Freud S. (1918), « Les voies nouvelles de la thérapeutique psychanalytique », in La technique psychanalytique, Paris, PUF, 1989, p 131-141.
  • [3]
    Se reporter ici à « La consultation psychanalytique », (2013), sous la direction de Jacques Boushira et Martine Janin-Oudinot, Revue Monographies et Débats de Psychanalyse, PUF.
  • [4]
    S. Freud (1913 c), « Le début du traitement », La Technique Psychanalytique, Paris, Puf, 1953, p.83, cité par J.-L. Baldacci, « Fonctions de la consultation psychanalytique », La consultation psychanalytique, op. cit.
Français

Tenant compte des réalités environnantes, la théorie et la pratique de la psychothérapie brève psychanalytique répondent à des exigences spécifiques. A partir de l’étude de cas suivis en milieu hospitalier, cet article a pour objet de présenter ces exigences. Quelles indications peuvent être posées ? Quel cadre doit être mis en place pour que cette thérapie, malgré sa brièveté, conserve les caractéristiques requises pour être psychanalytique ? En quoi peut-elle être considérée comme un moment de transition. Tels sont les points soumis à réflexion dans cet exposé, illustré par la présentation d’un cas clinique.

Mots-clés

  • psychothérapie brève
  • transitionnel
  • psychanalytique
  • maniement du transfert
  • transfert positif
  • association libre
  • écoute focalisée

Bibliographie

    • Brief dynamic psychotherapy, concise guide, American Psychiatric Press, 1997.
    • Brief dynamic interpersonal therapy, a clinician’s guide, Oxford University Press, 2011.
    • Despland, J.N., Michel, L., De Roten, Y. Intervention psychodynamique brève. Un modèle de consultation thérapeutique chez l’adulte. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson, 2010.
    • Doutrelugne Y., Cottencin, Thérapies brèves : principes et outils pratiques, Paris, Masson, 2005.
    • Gilliéron, E., Manuel de psychothérapies brèves, Paris, Dunod, 1997.
    • Green, A., « L’analyste, la symbolisation et l’absence dans le cadre analytique », in La folie privée, psychanalyse des cas limites. Paris, Gallimard, 1990.
    • Freud, S., (1913), « Le début du traitement », in La Technique Psychanalytique, Paris, PUF, 1953.
  • Revues

    • Revue Française de Psychanalyse, « La fin de la cure », janvier 2008, Tome LXXII.
    • Monographies et Débats de Psychanalyse, (2013), « La consultation psychanalytique », sous la direction de Jacques Boushira et Martine Janin-Oudinot, Paris, PUF.
Annick Bismuth
Psychologue, psychanalyste SPP
Leslie Conquy
Psychologue, psychanalyste SPP
Evelyne Séchaud
Psychanalyste APF
Daniel Widlöcher
Psychiatre, psychanalyste, ancien Président de l’IPA, Professeur Emérite à l’Université Paris VI, P. et M. Curie, membre de l’APF
Alain Braconnier
Service de psychiatrie adulte, Hôpital Pitié-
Salpetrière, Département de psychothérapie,
47 bd de l’hôpital, 75013, Paris, France
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Mis en ligne sur Cairn.info le 14/12/2015
https://doi.org/10.3917/lcp.194.0022
Pour citer cet article
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