1 Lors d’une adoption internationale, les premières rencontres entre l’enfant et son (ou ses) parent(s) adoptant(s) ont lieu, la plupart du temps, dans le pays de naissance de l’enfant. Idéalement, ces rencontres sont progressives, sur plusieurs semaines, et médiatisées dans la langue maternelle de l’enfant par les intervenants locaux, référents de ce dernier (Crine et Nabinger, 2007). Elles sont décisives puisqu’elles sont le moment à partir duquel va être racontée la relation filiative, début de la « troisième histoire » (Golse, 2007). Selon B. Golse, le récit de la nouvelle famille, cette « troisième histoire », s’enracine dans les deux précédentes : celle de l’enfant et celle de ses parents, pour les dépasser et ouvrir sur un espace de liberté, de créativité. Mais, dans les situations d’urgence humanitaire, ces premières rencontres au pays ne peuvent avoir lieu du fait de la désorganisation engendrée par la guerre ou les catastrophes naturelles.
2 Le 12 janvier 2010 à 22h53, un séisme de magnitude 7,3 sur l’échelle de Richter détruit Haïti et sa capitale, Port-au-Prince. Le tremblement de terre a été décrit comme le pire qu’ait connu la région au cours des deux cents dernières années, affectant trois millions et demi de personnes (ONU 2011). Entre 250 000 et 300 000 morts sont dénombrés et au moins autant de blessés (Ministère des Affaires étrangères et du Développement international). Le contexte politique du pays est instable ; violence et misère font partie du quotidien de la population haïtienne. Devant l’insécurité et le chaos régnant sur le pays, l’UNICEF (UNICEF, 2010) et l’ONU (ONU, 2010) expriment très vite des inquiétudes concernant le devenir des mineurs : crainte d’abus sexuels, de violences, d’enlèvements, de vente et de trafic d’enfants.
3 En France, au même moment, des parents adoptants attendent et rêvent leur enfant à venir. Au petit matin, sidérés, ils découvrent à la télévision les images d’un pays dévasté. En janvier 2010, Haïti est le premier pays de naissance des enfants adoptés en France à l’international : près de 1100 enfants sont en procédure d’adoption par des familles françaises (Service de l’Adoption Internationale, 2010) et attendent la finalisation de documents administratifs avant d’être cherchés dans leur pays de naissance par leurs parents adoptifs. Ces derniers, qui ont jusque-là des nouvelles régulières de leur enfant, perdent le contact au moment du séisme, et certains restent plusieurs jours sans nouvelles (Romano, 2010). Les parents se regroupent en collectifs et associations, participent à des manifestations ou pétitions, demandant le transfert accéléré des enfants (Libération, 2010). Cette mobilisation, ainsi que les images catastrophiques des conséquences du séisme en Haïti (Boéchat, 2010), vont projeter l’adoption internationale et ses conditions sur le devant de la scène médiatique (EFA, 2010).
4 Le 18 janvier, la France annonce un « transfert accéléré » concernant uniquement les enfants dont le jugement d’adoption a été rendu. Il s’agit d’un « transfert accéléré » ou « convoyage » d’enfants ayant un jugement d’adoption avec une accélération des procédures post-jugement, et non une « adoption accélérée » dont le but serait de diminuer le laps de temps entre les différentes étapes du processus d’adoption. Conformément aux recommandations du Service Social International (Dambach et Baglietto, 2010), le gouvernement français décide d’un gel des procédures d’adoption pour les candidats n’ayant pas bénéficié d’une attribution d’enfant avant la catastrophe, ou qui avaient eu un apparentement (attribution d’un enfant à une famille) mais avec des démarches administratives moins avancées. Entre le 22 janvier et le 11 février 2010, 371 enfants arrivent en France par le biais d’un dispositif aéroportuaire exceptionnel, après le plus souvent une escale (en Martinique ou en Guadeloupe). Leur arrivée dans les aéroports de Roissy et d’Orly est très médiatisée, journalistes et politiques sont présents (Le Parisien, 2010). Les Cellules d’urgences médico-psychologiques (CUMP) de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, coordonnées par le Professeur T. Baubet et Mme H. Romano, sont déployées pour repérer d’éventuels troubles psychiques chez les enfants et accompagner la rencontre avec les parents adoptants. Suite à cet accueil, certains psychiatres et psychologues alertent sur les répercussions de ce transfert organisé dans l’urgence. T. Baubet (Dambach et Baglietto, 2010) et H. Romano (Romano, 2010) décrivent des enfants profondément blessés psychiquement et physiquement (certains par le séisme, d’autres par des infections, malnutritions, carences…) et se demandent comment penser la rencontre entre parents adoptifs et enfant dans ce contexte d’urgence. À travers l’observation de 63 enfants à l’aéroport, H. Hemdane (Hemdane, 2011) décrit la difficulté de faire le lien entre les symptômes observés et un seul événement, tant les vécus des enfants suggèrent des traumas répétés, réactivés par le transfert, avec des conduites d’évitement de la situation d’arrivée à l’aéroport. Elle souligne que la discontinuité et les vécus de rupture peuvent avoir engendré plus de traumatismes chez les enfants que le tremblement de terre en lui-même. P. Levy Soussan et S. Marinopoulos décrivent l’arrivée d’enfants à Orly :
« Alors que nous entendons dans l’espace public que tout est fait en tenant compte de règles éthiques et juridiques sévères, nous assistons médusés à la séparation de jumeaux arrivés dans deux avions différents, adoptés dans deux familles différentes ; deux enfants adoptés dans la même famille devenant frère et sœur sans aucune préparation ; des parents adoptifs déchirant une lettre d’une mère de naissance ne souhaitant rien garder du passé […] ».
6 Selon le rapport du Service Social International (Dambach et Baglietto, 2010), les enfants n’étaient pas suffisamment préparés psychiquement à leur voyage et à leur rencontre avec leurs futurs parents, manquant par exemple de vêtements adaptés à la saison hivernale. Toujours selon ce rapport, peu de gouvernements étaient prêts à accueillir des groupes aussi importants d’enfants dans les aéroports, surtout en ce qui concerne le nombre de professionnels spécialistes de l’urgence et de l’adoption. Les conditions d’accueil ont été inadéquates dans de nombreux pays comme la France, les familles manquant d’intimité pour leur première rencontre avec l’enfant.
« Quitter son pays, soudainement, quand celui‑ci se trouve en plein désastre, ne peut être qu’un traumatisme surajouté pour tous les enfants qui ont vu leur pays s’effondrer – au sens propre comme au sens figuré. Quitter Haïti en catastrophe pour être accueilli par sa future famille d’adoption, à l’autre bout du monde, pose encore davantage de problèmes, car mal quitter son pays d’origine ne prépare en rien à bien arriver dans son pays d’accueil ».
8 Pour J. Hintzy (Hintzy, 2010c), président de l’UNICEF France en 2010, les enfants, sortant de ce séisme « atroce », ont vécu « trois déracinements en quarante-huit heures » : quittant leur institution, ils sont confiés dans l’avion à des travailleurs sociaux, puis retrouvent à Roissy ou Orly les « troisièmes bras » des parents adoptants. Il décrit avoir vu certains parents de naissance « qui avaient perdu des enfants sous les décombres, revenir chercher les enfants qu’ils avaient laissés car ils n’avaient pas les moyens de s’en occuper, de les faire vivre : ils venaient maintenant les récupérer » (Hintzy, 2010b) [3]. Il affirme que l’adoption internationale est un dernier recours, à condition que le processus soit extrêmement encadré et respectant les conventions internationales qui ont été fixées (Hintzy, 2010a).
9 Une mission mandatée par le gouvernement français (Rosset, 2010) se rend en Haïti du 26 février au 7 mars pour visiter une vingtaine de crèches [4]. Le rapport décrit des conditions de vie très disparates, dont une crèche située à côté de ruines où sont encore enfouis des cadavres. Certaines nourrices semblent épuisées, peu disponibles psychiquement. Le rapport préconise la création d’une longue escale en Guadeloupe, appelée « SAS », pour s’assurer que les enfants reçoivent des soins psychiques, somatiques et que tout est respecté sur le plan légal avant leur arrivée en France. Ce projet, permettant que la rencontre avec le parent adoptant puisse être progressive, sur plusieurs jours, est soutenu par de nombreux pédiatres, psychologues ou psychiatres. Cette escale ne concernera finalement qu’une centaine d’enfants [5]. D’autres parents adoptants vont directement chercher leur enfant en Haïti [6].
10 Suite à une épidémie de choléra (Radio-Canada, 2010), un remaniement ministériel (RFI, 2010a) et la mort de six enfants en procédure d’adoption (RFI, 2010b), le gouvernement français organise à nouveau un « transfert » de 318 enfants en décembre 2010.
11 Sur l’ensemble de l’année 2010, environ 1000 enfants ont été accueillis par leurs familles en France (Ministère des affaires étrangères et européennes). Le flou, ainsi que l’impact des débats politico-médiatiques qui suivirent le séisme ont marqué et changé durablement le visage de l’adoption internationale à l’étranger et en France.
12 Cinq familles françaises ont accepté de participer à une recherche qualitative six ans après ces événements. En janvier-février 2010, suite aux premiers transferts en urgence depuis Haïti, ils ont accueilli leur enfant dans les aéroports parisiens sous le regard des médias et des politiques. L’étude proposée analyse le vécu parental et la construction des représentations parentales six ans après l’arrivée de l’enfant. Notre recherche s’inscrit dans la continuité des celles menées par le service de psychiatrie d’Avicenne sur le traumatisme (service dirigé par le Professeur T. Baubet), et par la Maison des Adolescents de Cochin sur l’adoption (service dirigé par le Professeur M.R. Moro). À notre connaissance, aucune recherche similaire n’a été menée à ce jour.
Materiel et méthode
Population
13 Les participants sont des parents vivant en France, ayant adopté un enfant à l’international, en Haïti, au cours de l’année 2010. Par conséquent, les démarches d’adoption étaient engagées avant le séisme du 12 janvier 2010. Le recrutement s’est effectué par deux voies :
- – via les dispositifs aéroportuaires collectifs organisés à Orly et Roissy en janvier et février 2010 ;
- – via les services de pédopsychiatrie d’Avicenne ou de la Maison des Adolescents de Cochin.
15 Sur les 365 familles contactées, seules vingt-sept familles ont donné leur accord, finalement cinq d’entre elles ont pu être inclues dans notre recherche.
Recueil des données
16 Chaque famille a passé un entretien semi-structuré développé par l’équipe de recherche « Adoptimoun » de l’hôpital Avicenne (Bobigny), et de la Maison des Adolescents de l’hôpital Cochin (Paris). Le lieu où se déroule l’entretien est décidé par le parent : à son domicile, dans le service où travaille le chercheur… Les parents choisissent également de convier l’enfant ou non. La longueur des entretiens est variable en fonction des parents et dure en moyenne une heure trente. Chaque entretien est enregistré puis retranscrit. Les principaux points explorés dans le guide d’entretien (voir annexe) sont : le choix du pays Haïti, les conséquences du séisme pour l’enfant et les parents, la rencontre avec l’enfant à l’aéroport…
17 Le consentement écrit des parents a été obtenu avant la passation des entretiens. Les prénoms des enfants ont tous été changés. Cette recherche a été soumise à la Commission nationale Informatique et Liberté (CNIL), sous le numéro 1850203, et au Comité éthique local d’Avicenne (CLEA), qui a donné son accord, estimant qu’elle ne relevait pas de la contrainte d’un comité d’éthique ou bien d’un comité de protection des personnes (CPP).
Analyse des données
18 L’analyse des données a été faite selon un modèle de recherche qualitative phénoménologique. En effet, celle‑ci permet une meilleure compréhension de l’expérience vécue par un sujet (Aubin-Auger et al., 2008). La méthode d’analyse qualitative phénoménologique employée est l’Interpretative Phenomenological Analysis (ou IPA) (Smith et al., 2009). L’analyse de la forme du récit s’est appuyée sur des critères définis dans plusieurs études : une analyse de la forme du récit de l’adoption (Harf et al. 2008), une méta-analyse sur le thème « narrativité et état de stress post-traumatique » (O’Kearney et Perrott 2006), ainsi que les critères en faveur d’un trauma irrésolu décrits dans l’Adult Attachement Interview (George et al., 1985).
19 Afin d’augmenter la validité de notre recherche, l’analyse des données a été effectuée par plusieurs chercheurs qui discutent et comparent les résultats (Mays et Pope, 1995). Une attention particulière est portée sur les « cas négatifs », éléments semblant contradictoires avec l’explication émergente, afin de les intégrer aux résultats. L’analyse a été discutée au cours de réunions avec les autres membres de l’équipe de recherche, qui ont également lu les entretiens, ainsi qu’au sein de réunions « So Quali » (groupe de recherche de la Maison des Adolescents de Cochin) et en supervision au sein du Master 2 de recherche de l’université Paris 13. La recherche qualitative intègre au sein de sa méthodologie la subjectivité du chercheur, l’analyse de son contre-transfert culturel permettant la réflexivité.
Résultats
Tableau I Présentation des familles qui ont participé à la recherche
Entretien | I | II | III | IV | V |
Situation des parents | Couple marié | Mère célibataire | Mère célibataire | Mère célibataire | Couple marié |
Nom de l’enfant | Alain | Téo | Zoé | Mathis | Christophe |
Présence de l’enfant | Oui | 16 sur 70 minutes | Non | Oui | Non, rencontré ensuite |
Âge pendant la recherche | 8 ans | 10,5 ans | 13 ans | 7,5 ans | 7,5 ans |
Date d’arrivée de l’enfant | 27/01/10 | 27/01/10 | 02/02/10 | 26/01/10 | 02/02/10 |
Âge à l’arrivée | 1 an 9 mois | 4 ans 6 mois | 6 ans 11 mois | 1 an 6 mois | 1 an 7 mois |
Tableau I Présentation des familles qui ont participé à la recherche
20 L’analyse a permis de mettre en évidence des thèmes et sous thèmes récapitulés dans le tableau II et que nous développerons.
Tableau II Thèmes et sous-thèmes issus des résultats
Thèmes | Sous-thèmes |
La survenue de la crise dans le parcours d’adoption | Pourquoi Haïti ? |
Impact du séisme sur la procédure, la rencontre, le regard d’autrui | |
L’annonce du séisme | |
Le transfert | |
La rencontre | |
Le retour à la maison et les répercussions de la crise | |
Les théories étiologiques des parents face aux troubles de leurs enfants | |
La construction du lien filiatif | Impact du séisme en Haïti sur le récit des origines |
Le devenir des parents de naissance | |
La représentation d’Haïti après l’adoption | |
Penser (ou panser) la crise : les recommandations des parents | |
Structure du récit : analyse des marques traumatiques | Récits très détaillés sans évocation du vécu interne |
Désorganisation du discours | |
De la banalisation au déni |
Tableau II Thèmes et sous-thèmes issus des résultats
Survenue de la crise dans le parcours d’adoption
21 Bien avant le séisme, les parents ont entrepris les démarches juridiques et administratives en vue d’une adoption (agrément, apparentement…).
Pourquoi Haïti ?
22 Certains parents avaient, pour diverses raisons, choisi délibérément Haïti comme pays d’adoption :
« Haïti, c’était un vrai choix ! […] Je voulais un enfant des rues » (mère de Zoé).
« À la façon dont c’est en Haïti, ça peut être aussi que la maman qui s’occupe des enfants et c’est quand même assez fréquent, ce n’est pas quelque chose qui les choque […] qu’ils soient élevés par une femme seule » (mère de Mathis).
24 Bien que toutes les familles n’aient pas nécessairement opté en première intention pour ce pays, tous les parents adoptants mentionnent le fait qu’Haïti était à l’époque un des pays les plus accessibles pour adopter à l’international :
« On s’est renseigné et on a vu qu’Haïti il y avait beaucoup… C’était le premier pays à l’époque ».
26 Alors que les parents se préparaient à accueillir leur enfant, une crise sans précédent impacte leur projet. Plusieurs étapes émergent du récit des parents : annonce du séisme, de la survie de l’enfant, du transfert, et enfin première rencontre avec l’enfant, tant attendu.
Impact du séisme sur la procédure, la rencontre, le regard d’autrui
27 À l’exception d’une famille, le séisme et le transfert des enfants ont accéléré la procédure de quelques semaines à quelques mois :
« Ce sont les événements qui ont tout précipité, il aurait dû arriver un an après, non 6 mois, l’été d’après ».
29 Pour certaines familles (II-IV), le séisme et ses conséquences ont désorganisé, voire « gâché » la rencontre :
« Peut-être que si ça avait été une rencontre organisée, en effet, ça aurait été beaucoup plus dans l’émotion, quelque chose de positif ».
31 Une famille n’est pas de cet avis :
« C’était moins intime. Mais en soi, euh, ça ne changeait pas grand-chose ».
33 Trois familles (I-II-III) regrettent le fait de ne pas avoir pu partager un moment de vie, des souvenirs, dans le pays de naissance de l’enfant. Une culpabilité et des reproches de la part de l’enfant ont été décrits par une famille :
« Euh, ma fille me l’a beaucoup reproché. […] Je pense que ça a modifié la donne. Vraiment. J’ai… Le fait que je sois venue, que j’aie vu l’orphelinat, que j’aie vu sa chambre, je pense que c’était hyper important pour elle ».
35 Trois familles (I-II-V) dénoncent l’amalgame dont ils ont pu être affublés, celui d’avoir adopté leur enfant suite au séisme :
« Alors, ça par contre, c’est ce qui a été véhiculé pas mal par l’opinion publique, et euh, qu’on a reçu, nous, en tant que parents. Moi ça m’est arrivé, sur le marché, qu’on me dise que je l’avais volé suite au séisme ».
37 Cette crise a permis une exposition médiatique pour une famille, permettant la notoriété dans le village :
« Donc il y avait eu un article sur le séisme en Haïti, avec Téo, euh, peut-être pas en première page, et encore, je me demande, mais avec la photo d’Téo tout ça. […] Donc le village connaissait Téo avant qu’il arrive déjà ! ».
L’annonce du séisme
39 Trois familles (I-III-IV) ont appris la nouvelle par le biais des médias, l’une d’elle évoque une « prémonition » :
« Alors ça c’est quand même un truc assez bizarre qui m’est arrivé, parce que moi, quand il y a eu le séisme, je me suis réveillée au moment du séisme, chez moi, à la maison. Et j’ai pas allumé la télé. J’ai allumé la radio. Pourquoi ? Je ne sais pas… ».
41 La famille de Mathis l’apprend par un autre couple adoptant. Une autre mère reçoit un coup de téléphone de sa propre mère qui ne l’avait pas soutenue dans sa démarche d’adoption :
« Et donc le mercredi matin, à 7 heures, un coup de fil à la maison, et donc c’était ma mère ! Elle m’appelle jamais à 7 heures, quoi ! Elle m’a dit : « Téo c’est fini ! Y’a plus de Port-au-Prince, y’a un acc… un tremblement de terre, surtout n’écoute pas la radio, euh, mais c’est fini ».
43 Si le père de Christophe décrit une « grosse inquiétude », la mère de Zoé parle de « dévastation ». La mère de Téo se souvient avoir hurlé, elle décrit un sentiment d’« horreur » avec une hypermnésie : « Alors là je me souviens de toutes les secondes (rire) ».
44 Deux mères décrivent clairement avoir pensé leur enfant mort, mais une autre avait l’intuition qu’il avait survécu :
« Moi tout de suite, je me suis dit : il est pas concerné quoi […] enfin… J’ai eu l’impression qu’il était pas concerné ».
46 Seuls les parents d’Alain n’expriment pas clairement leur ressenti interne, et décrivent la situation d’un point de vue extérieur :
« Tout a commencé à sonner, tout le monde était en alerte. »
48 Si la plupart des familles ont essayé d’avoir un maximum d’informations via les médias, la mère de Zoé se démarque en ne regardant pas la TV, pour se protéger des images, et en essayant de récolter des informations par des collègues de travail :
« J’ai pas voulu regarder la télé parce qu’alors là… ».
50 La mère de Téo consulte son médecin traitant pour lui demander de l’aide, tant son angoisse est massive :
« Donc je me suis précipitée chez elle, et je lui ai dit : “Donnez-moi quelque chose tout de suite, pour m’endormir ou pour me faire…”. Vraiment, j’étais dans un état ! Mais l’horreur quoi ! Parce que moi je pensais vraiment que Téo était mort quoi en fait ! ».
52 Si toutes les familles ont été rassurées le soir même via internet, néanmoins la famille de Christophe a continué de douter plusieurs jours. Deux familles (II-III) décrivent l’impression d’un coup de chance, d’un miracle, à l’annonce de la survie de l’enfant :
« Les orphelinats ont été fissurés, mais pas un seul s’est effondré. Pas un seul ! Tous les enfants ont survécu ! Voilà ! ».
Le transfert
54 Avant le transfert des enfants, tous les parents ont continué à être inquiets et décrivent cette période comme une longue attente pénible. Deux familles (I-II) rapportent des troubles du sommeil, associés à des troubles de l’alimentation :
« Ça faisait deux semaines que je ne dormais plus et tout, donc c’était vraiment très très dur, quoi. Niveau … moral, physique et tout. […] Donc à l’aéroport, moi j’étais dans un état de … de fatigue incroyable, et d’émotion incroyable […] J’avais pas mangé pendant deux semaines. ».
56 Trois familles (I-II-III) déplorent un manque crucial d’information. Plusieurs familles décrivent de l’hyperactivité (I-II-III-V), pour avoir des informations (V), pour se préparer à accueillir l’enfant :
« Alors, pour tout vous dire, j’ai refait tous les travaux de l’appartement » ;
58 ou pour mobiliser le gouvernement :
« J’étais tout le temps, en fait, après dans l’action parce que après on s’est dit “faut qu’on les sorte de là !” ».
60 Toutes les familles se souviennent très précisément du jour et de ce qu’ils faisaient lorsqu’on leur a annoncé le transfert de leur enfant :
« Quand mon mari m’a dit au téléphone qu’Alain arrivait avec l’avion, j’étais dans la rue, je marchais avec des collègues et moi en fait “pof”, j’ai lâché mon sac, comme on dit les bras m’en tombent. »
62 Seule une famille a été prévenue plusieurs jours à l’avance, pour les autres la veille ou le jour même. Plusieurs familles décrivent un moment de panique, par peur que l’enfant n’arrive pas (II) :
« Le deuxième avion je me suis rendue compte qu’il n’était pas sur la liste. Et j’ai commencé à paniquer. Je me suis dit : mais il ne va jamais y être ».
64 Ou bien à l’arrivée de l’enfant (III-V) :
« Est-ce que je vais lui plaire, est‑ce qu’elle va m’aimer ? Est-ce que la maison va lui plaire ? Est-ce qu’elle va s’intégrer ? Comment elle va par rapport au séisme ? Qu’est-ce que je vais lui dire ? » (mère de Zoé).
66 Seul un père se souvient d’un moment heureux :
« Mais le moral était bon ! (rires) Je ne vous le cache pas ! ».
La rencontre
68 Toutes les familles ont rencontré pour la première fois leur enfant à l’aéroport. Les parents décrivent tous une longue attente à l’aéroport, pénible, mais utile pour une maman, qui a pu se décontracter :
« À 11 heures j’étais très émue, et à 15 heures j’étais détendue quoi ! Donc je pense que ce n’est pas inutile ».
70 Deux familles évoquent le moment de la rencontre comme d’un mauvais souvenir uniquement :
« Ce n’était pas un moment formidable en fait » (mère de Mathis) ; « Pas bien du tout ! ».
72 Le père de Christophe en parle comme d’un « bon souvenir », « magique ». Deux familles (I-II) font un récit plus ambivalent, mêlant bons et mauvais souvenirs.
73 Un sentiment d’étrangeté se dégage dans tous les entretiens :
« bizarre » (I-II), « moment incroyable » (II), « surnaturel » (II), « hallucinant » (II).
« Il y avait des enfants qui pleuraient mais on avait l’impression que tout était capitonné. Tout était comme au ralenti » (mère d’Alain).
« En plus, il neigeait, on a eu de la neige sur la route ! Donc tout était épique ce jour-là (rires) » (mère de Christophe).
75 Ce sentiment d’étrangeté est également décrit par quatre familles (I-II-III-IV), lors de la première vision de leur enfant. Le mauvais état de santé de l’enfant ou son retard staturo-pondéral est mis en avant par tous les parents.
76 Les parents d’Alain décrivent :
– Mère : « Quand Alain est arrivé, il avait un pyjama de petite fille de 6 mois, il avait 21 mois. Il est tout petit, tout rachta, tout voilà et il mettait du 6 mois voilà. »
– Père : « Il était ballonné, le ventre gonflé. Il était dénutri, une dénutrition protidique. Le ventre gonflé, par contre les bras et les jambes tout maigres. Il faisait 8 kilos quand il est arrivé ! […] »
78 La mère de Téo montre un écart avec ses mains :
« C’était un tout petit ! Comme ça ! Il m’arrivait ici quoi ! C’était vraiment… Je pense qu’il leur avait… Il était complètement rasé. Et puis, il était habillé… Ils leur avaient trouvé des fringues d’hiver, donc voilà. C’était… Ça n’allait pas du tout avec, les fringues étaient complètement bizarres ».
80 Trois familles (I-IV-V) font par la suite la description de troubles dermatologiques et infectieux importants, qu’ils n’évoquent pas spontanément lors du récit de la rencontre :
« Quand il est arrivé, il était couvert d’eczéma. On aurait dit comme un serpent, sa peau s’est refaite ».
82 Pour autant, aucune famille n’exprime de dégoût ou de rejet de l’enfant au moment de la rencontre.
83 Ce moment, charnière dans l’histoire de l’enfant, est comparé à une naissance dans quatre entretiens (I-II-III-IV). Trois mamans, dont l’enfant est arrivé hypotrophe, en parlent comme d’un nouveau-né. Mathis arrive dans les bras d’une dame, probablement de la Croix-Rouge :
« Il était tout riquiqui et elle l’avait dans ses bras […]. On avait l’impression qu’elle avait un petit bébé dans ses bras ».
85 Les parents décrivent la multiplicité des intervenants à l’aéroport : agents administratifs, professionnels de soins, politiques, journalistes… La mère de Téo (II) s’est sentie pressée par les professionnels :
« Et en plus après ça, on avait pas trop le temps, parce que après ça il fallait qu’une autre famille vienne dans la salle [pour accueillir leur enfant]. Donc fallait qu’on parte ! ».
87 Plusieurs familles (II-IV-V) parlent de la présence de multiples professionnels comme les exposant au regard d’autrui, rendant la rencontre « moins intime » (mère de Christophe).
88 La mère de Mathis (IV) se souvient du premier moment de change qu’elle a vraiment mal vécu. L’exposition et le manque de soin avant l’arrivée de son enfant semblent avoir entravé la rencontre :
« Il avait des diarrhées avec des fortes odeurs, je ne te dis pas ! […] Le change s’est fait en plein milieu de tout le monde. C’était très bizarre comme situation et là j’ai vraiment été professionnelle, je n’étais pas maman, ça m’a bien aidé d’être infirmière à ce moment, vraiment sincèrement. Je me suis protégée car je sentais que je paniquais totalement ».
Le retour à la maison et les répercussions de la crise
90 À l’arrivée à la maison, les parents décrivent des troubles physiques et psychiques chez leur enfant, qui sont d’ampleur inégale et, pour certains, mis en lien avec le vécu traumatique du séisme et de ses conséquences. Mathis et Alain ne marchaient plus :
« On s’est rendu compte qu’il n’avait plus de force et ça c’était dur : il n’arrivait pas à se soulever, il retombait comme ça ».
92 Nous avons déjà mentionné que trois enfants (I-IV-V) présentent des troubles dermatologiques et infectieux paraissant importants. Trois enfants semblent asthéniques, pour l’un d’entre eux une probable hypersomnie (I) :
« Il dormait beaucoup beaucoup beaucoup. Dès qu’on s’allongeait, dès qu’on se mettait dans le canapé ».
94 Trois familles décrivent des enfants ayant des conduites hyperphagiques (I-II-V) :
« Il avait faim tout le temps… Impossible de le rassasier ».
96 Plusieurs enfants (I-II-V) présentent des hurlements incompréhensibles, des changements brutaux d’humeur ou des terreurs nocturnes :
« Il rigolait très vite, beaucoup, c’était impressionnant quoi. […] Mais en même temps, je sentais qu’il avait été rempli d’angoisse, quoi, de peurs et de pleurs, parce qu’il pleurait quand même beaucoup beaucoup beaucoup ».
98 Elle décrit la première visite à la maison de sa famille :
« Et là c’était l’horreur, mais il s’est mis à hurler, hurler, hurler. […] Parce que c’était beaucoup trop pour lui. Je ne sais pas ce qu’il avait imaginé. Qu’on allait le reprendre ou je sais pas quoi ».
100 Tous les parents ont dû faire face à des accès de colères importants, voire des accès de rage (III) :
« Il a fait des crises, beaucoup de crises… de colère ou de panique ou de désespoir, je crois qu’on appelait ça comme ça ».
102 Tous les enfants paraissent fortement angoissés, avec des conduites d’évitement pour deux d’entre eux (II-III) :
« Zoé ne voulait pas rentrer dans une maison. Elle voulait dormir dehors. Donc c’était l’hiver, quand elle arrivée, il y avait de la neige ».
104 Christophe semble présenter des signes d’hypervigilance anxieuse :
« Le bruit de la porte du garage le faisait tout le temps tressaillir ».
106 Trois familles (I-II-IV) décrivent des moments de régression :
« Il a pu faire caca dans des endroits inappropriés, des choses alors qu’il était déjà grand, des choses de la régression ».
Les théories étiologiques des parents face aux troubles de leurs enfants
108 Certains troubles peuvent être banalisés (I-II-III-IV-V) :
« Des cauchemars classiques chez les enfants. Il y a eu des nuits où tout d’un coup il se mettait à hurler ».
110 Toutes les familles sont allées consulter psychologues ou psychiatres, une famille fait exception (IV), Mathis a consulté uniquement un psychologue scolaire pour un bilan :
Chercheur : « Avez-vous déjà eu besoin de consulter un psychologue ou un psychiatre ? » Mère de Mathis : « Pour moi ? (rires) Franchement non car je trouvais que les problèmes n’étaient pas… […] Tant qu’il disait les choses, ce qu’il pensait, je ne voyais pas ce qu’il aurait dit de plus. »
112 Les parents d’Alain (I) évoquent la mise en place d’un suivi psychologique :
« Plus par désir, souci d’accompagnement. Pas par nécessité. » Actuellement, il y va tous les deux ans : « C’est plus un suivi classique ».
114 Les parents de Christophe (V) s’interrogent :
Père : « Il peut nous arriver de chercher des explications à des comportements… dans son histoire » ; Mère : « On a tendance à se dire : mais il a ce comportement, car c’est un enfant du séisme, qu’il est adopté, mais je suis en train de me dire… » ; Père : « Excusez-moi, mais c’est pas sûr du tout ! ».
116 Deux mères parlent ouvertement de traumatisme (I-II) :
« Vraiment la marque du traumatisme elle était évidente pendant vraiment plusieurs semaines ».
118 D’autres le formulent moins directement (III-IV-V) :
« Un enfant marqué par la vie, par sa vie… ».
120 L’état de l’enfant est‑il dû à l’abandon ? À la vie en institution ? Au séisme ? Au transfert en urgence ? La mère de Téo (II) parle de double deuil :
« Il a deux deuils à faire quoi, l’abandon par rapport à ses parents, et puis le séisme » et d’un enfant « complètement déraciné ». Elle poursuit son propos : « Je pense que dans son comportement actuel ça doit vraiment… le séisme… malheureusement… quoi c’est… pffff… ça doit être… ça… c’est… c’est… quelque chose en plus dans son histoire qui est assez lourd. »
122 La mère d’Alain (I) ne pense pas que le séisme soit seul responsable :
« Pour le coup on parle du syndrome post-traumatique au séisme mais […] Je pense qu’il y a tout un tas de réactions plus liées au vécu sur une longue durée, aux carences alimentaires… à la crèche. »
124 La mère de Mathis se représente son fils :
« J’ai quand même cette vision de courage, d’instinct de survie ». Elle décrit une « sensibilité assez surprenante pour son âge », en lien avec le séisme. Il est « très mature, il voit les choses, il a un côté psychologue (rires) ». Il est « très imaginatif », « Je pense que c’est un peu un refuge aussi ». « Comme il s’intéresse à vraiment beaucoup de choses […] ça m’impressionne. Est-ce que ça m’impressionne plus par ce qu’il a vécu ? Non je ne pense pas, pas forcément. Non je ne pense pas (silence) ». Néanmoins, la maman de Mathis le valorise d’avoir survécu : « Des fois je lui dis quand il n’arrive pas à quelque chose je lui dis tu te rends compte tu as déjà survécu à un tremblement de terre, tu es courageux… »
126 Au moment où son fils hurle sans raison, la mère de Téo est rassurée par sa psychologue à l’idée que les autres enfants ont le même comportement que lui :
« Ils sont tous comme ça, apparemment, ils pleurent beaucoup, c’est normal quoi. »
128 Mais les symptômes d’autrui sont perçus comme inquiétants ou plus sévères par deux familles adoptantes (I-IV). Une mère protège son fils d’une contagion traumatique, justifiant son positionnement par les propos de sa pédiatre :
« D’ailleurs, après, on nous a dit que si on pouvait éviter qu’il côtoie, qu’il ait une proximité avec des enfants haïtiens qui ont vécu le séisme ce n’est pas plus mal. Éviter de remettre de l’huile sur le feu ! ».
130 Trois mères (II-III-IV) insistent sur la vertu thérapeutique de la parole ou des crises de larmes. Même si Téo ne souhaite pas parler de sa vie d’avant, sa mère insiste.
Elle le convie au début de l’entretien : « Quand y’a une brèche j’essaye de m’engouffrer ». Elle l’emmène voir une pédopsychiatre, dans le but qu’il se livre et parle de son passé : « Et même là, le psy a du mal à lui faire parler d’Haïti, en fait. »
132 Pour les deux autres mères, il s’agit « d’expulser » son passé traumatique (III-IV).
« Il fallait que ça sorte d’une manière ou d’une autre et c’est sorti, c’est peut-être mieux comme ça. Avec Mathis ça sort en tout cas, il ne garde pas rentré en lui ».
134 Si tous les parents s’interrogent sur l’étiologie de certains symptômes de leur enfant, la mère de Christophe se questionne sur ses propres angoisses :
Mère : « J’ai toujours eu peur qu’il se passe quelque chose. Que maintenant qu’il est là, qu’il se passe quelque chose. Je me dis : “Je vais pas le garder, il va mourir, il va se passer quelque chose, ou je vais mourir” » ; Père (coupant la mère) : « Mais ça c’est pas dû au… » ; Mère : « Mais ça c’est pas dû au séisme en fait ! »
La construction du lien filiatif
136 Deux familles décrivent la création du lien comme un processus « facile » (I-V). Pour les parents de Christophe (V), le lien était déjà fort dès le premier jour :
Père : « Oui un sentiment, quand même, je pense de plénitude, parce que dès ce… Dès le premier jour, en fait, on a eu l’impression de… ben… » ; Mère : « …que ça marchait ! »
138 Pour d’autres familles, ce lien semble fragilisé au départ (II-III-IV) :
« Même si vraiment je sentais que c’était mon enfant, mais c’est tellement difficile, euh, niveau relationnel ! ».
140 Le contexte n’a pas permis d’installer directement un lien de filiation :
« Je crois que j’ai été sa bouée de sauvetage, une maman je ne sais pas ce que ça représentait pour lui, en tout cas une bouée de sauvetage à laquelle se raccrocher après avoir été trimbalé comme ça ».
Impact du séisme en Haïti sur le récit des origines
142 Deux familles ont amené l’enfant à l’entretien (I-IV), une a fait le choix de le convier partiellement (II), les deux autres de ne pas le convier (III-V). Faut‑il protéger l’enfant de son histoire précoce dans un contexte de catastrophe humanitaire ? Faut‑il la lui raconter ou la lui conter ?
143 Le séisme envahit des représentations du pays de naissance : il est difficile pour les enfants de se représenter leur pays de naissance en dehors du séisme ou autrement que détruit par le séisme (II-III) :
« Les seules fois où Téo me parle d’Haïti, c’est par rapport au séisme ».
145 Le pays d’accueil est vu décrit comme un lieu sûr (II-III) par les parents. Il s’agit de rassurer l’enfant sur l’absence de danger :
« Je lui dis que en France, euh, déjà où on habite ça bouge pas ça c’est sûr ! Qu’il n’y a pas à avoir peur. Et que où je l’amène en vacances, qu’il n’a pas de craintes à avoir, que ça bouge… que la terre bouge pas. Et que voilà… Je le rassure au maximum ».
147 Même au prix de quelques mensonges, pour protéger :
« Je ne lui ai pas parlé de la Manche, parce qu’il semblerait qu’on soit un peu sur la ligne avec la Manche, j’en ai pas parlé à Zoé ! Euh. Elle l’apprendra bien. Je ne pouvais pas lui dire quoi ».
149 Le séisme est inscrit, pour une mère, comme un marquage indélébile :
« Mais le séisme, pour moi, c’est marqué, marqué à jamais dans ma mémoire ! C’est vraiment très très… C’était une période, donc c’est vraiment, c’était très très douloureux ! ».
151 D’autres séismes dans le monde peuvent ouvrir la discussion (II-IV-V) :
« Elle m’a dit : “C’est arrivé en Haïti, c’est arrivé au Népal !” Elle a su qu’il y en avait eu un au Japon. Parce que de ça, je ne lui en avais pas parlé à l’époque ! Euh… Mais bon, les enfants, ils savent, hein ! ».
153 Dans les deux entretiens où l’enfant était présent au récit de la crise, les parents (I-IV) souhaiteraient que l’enfant soit témoin de sa propre histoire. Le souvenir partagé semble important pour eux. Ils sollicitent l’enfant, afin qu’il se souvienne :
« Tu te souviens ? ».
155 Les deux enfants adoptés tardivement (6 ans et 11 mois pour Zoé et 4,5 ans pour Téo) ont parlé du séisme au début, mais n’en parlent plus depuis.
« Elle se rappelle… Enfin je crois qu’elle a oublié… Elle se rappelle… Elle a oublié peut-être pas, mais enfin c’est dans un coin de sa tête » (mère de Zoé).
« Son vécu, ben une fois, deux fois, il m’a dit qu’il avait eu p… Mais est‑ce que c’est moi qui avais orienté trop la question ? Il m’a dit oui oui j’ai eu très peur. Euuuh ça a bougé, ça a beaucoup bougé. Euh. Je sais pas si c’est un souvenir vraiment ! ».
157 La mère de Téo (II) a plusieurs hypothèses sur le fait que son fils reste aujourd’hui silencieux à ce sujet. Est‑il capable d’en parler ?
« Il n’arrive pas à parler [du séisme] ». « Il est un peu dans le déni en fait par rapport à ça ». « Il est pas du tout curieux par rapport à Haïti ». « Il n’a pas envie de savoir ! ».
159 Seul un enfant pose souvent des questions à ces parents sur le séisme (V) ; Christophe veut avoir des informations sur ce qu’il faisait pendant le séisme (il avait alors 1 an et 7 mois) :
« C’est que des questions. Il n’a aucun souvenir. » Madame décrit son questionnement : « Qu’est-ce que j’ai fait ? Est-ce que j’ai pleuré ? Est-ce que ça a bougé ? Où j’étais ? etc. » Elle a essayé de se renseigner : « Donc j’ai demandé à l’organisme et la réponse a été : on ne sait pas à ce moment-là il y avait d’autres priorités que de s’occuper de ceux qui allaient bien. Donc on n’a pas de réponse. » Elle décrit Christophe comme « passionné » par « la géologie, les îles, les plaques tectoniques, les volcans, les séismes », « Il a vu des reportages ! Donc là, il est demandeur d’informations, mais pas en tant que l’ayant vécu, c’est parce que ça l’intéresse ».
161 Mathis pose souvent des questions sur son pays de naissance, mais la maman ne précise pas s’il s’agit de questions concernant le séisme. Alain préfère le récit de son adoption :
« Il veut qu’on lui raconte quand on est allés à l’aéroport, quand on l’a attendu, etc. mais c’est tout ».
163 Les enfants construisent des souvenirs et imaginent (I-IV). Mathis se vante auprès de ses amis :
« Il racontait qu’il avait conduit l’avion ! Et une fois il a raconté à ses copains qu’il avait ramené un caillou du tremblement de terre. Il voulait jouer un peu les héros, c’est vrai ça rend les choses un peu plus belles que ça ne l’est en réalité ».
165 Deux familles (IV-V) assument l’idée d’une reconstruction du souvenir :
« Parfois il raconte des trucs par rapport à ce que je lui ai raconté » (mère de Mathis).
Les parents de Christophe brodent autour d’une histoire supposée : « Éventuellement, on lui a raconté des choses, mais qui ne sont pas forcément vraies. Par exemple, au début, il faisait la course à quatre pattes avec mon mari. Donc on imaginait : “Ah, ben t’as dû le faire là-bas, avec tous les petits enfants”. Donc c’est des souvenirs qu’on lui a créés ! »
Le devenir des parents de naissance
167 Deux familles ne savent pas ce qu’il est arrivé aux parents de naissance suite au séisme (IV-V). Si la mère de Mathis attend que la demande vienne de son fils, les parents de Christophe se sont renseignés à sa demande, sans succès :
« Depuis le séisme, on ne sait pas si sa mère a survécu. Ça on n’arrive pas à savoir et ça c’est une demande aussi de sa part. Voilà… Mais sur son histoire, nous, ça nous suffit. Et lui, pour l’instant, il veut pas trop en entendre parler ».
169 Deux familles (II-III) ont eu la confirmation que les parents de naissance étaient vivants après le séisme, mais continuent de douter. La mère de Zoé a été informée par la directrice du passage de la mère de naissance de Zoé à l’orphelinat :
« qui était fermé à clefs, qui n’existe plus. Elle a été à l’orphelinat pour avoir des photos des filles. […] Donc en 2012, ce que j’ai dit à Zoé : “Ta maman était vivante, en 2012 !” Maintenant, je ne sais pas ! » Une psychologue lui aurait conseillé de dire que sa mère de naissance était morte, pour « faire le deuil et avancer ! » La mère de Zoé réagit alors vivement : « Je ne peux pas dire que sa maman est décédée si sa maman est vivante ! On ne sait pas ! » et décide de changer de psychologue : « On ne peut plus continuer comme ça. Je ne suis pas du tout d’accord avec la méthode. »
171 Une famille n’aborde pas cette question (I).
La représentation d’Haïti après l’adoption
172 Aucun des parents n’a pu se rendre à la « crèche » où était accueilli leur enfant. En effet, seule la mère de Mathis s’était rendue en Haïti avant le séisme, pour signer des papiers, mais elle avait fait le choix de ne pas rencontrer Mathis :
« Je n’avais pas envie qu’il me voie et qu’après tout de suite je parte. Je trouvais que c’était cruel. »
174 Les parents se sont donc représentés le lieu de vie de l’enfant sans y être allés, en fonction de ce qu’a pu dire l’enfant, d’autres parents adoptants, certains professionnels ou de contacts téléphoniques, ou par internet. Deux familles (I-IV) ont une vision positive du lieu d’accueil de leur enfant et l’appellent exclusivement « crèche ». Les autres parents (II-III-V) se représentent un lieu de vie difficile. La localisation d’une « crèche » hors Port-au-Prince a pu protéger un peu l’enfant (I) :
Mère : « Il a été plus protégé. Il a sans doute eu un traumatisme lié à l’inquiétude, au stress, au choc, mais contrairement aux enfants de Port-au-Prince qui ont été blessés ou qui ont vécu la terre trembler […] » ; Père : « Aux Cailles ça a dû bouger aussi, c’est à 130 kilomètres seulement. »
176 Deux enfants (I-III) semblent être dans le déni concernant l’état du pays. La mère de Zoé (III) montre des photos d’Haïti à sa fille et rapporte ses propos :
« C’est pas possible, c’est pas possible, ils ont tout reconstruit ! »
« Y’a des… certains trucs, elle est dans le déni, quoi. C’est des mauvaises images quoi ! »
178 Elle décrit que sa fille l’empêche de regarder des reportages sur Haïti, en raison de sa trop forte émotion. Elle rapporte les paroles de sa fille :
« Oh ben non ! Tu pleures, c’est pas la peine ! (long silence) Je veux pas que tu regardes. » Parce qu’elle me disait : « Toi tu pleures, ça te fait mal ! »
Penser (ou panser) la crise : les recommandations des parents
180 Des entretiens des parents se dégagent quelques recommandations pour le futur, si malheureusement une autre catastrophe devait survenir. Les conseils des parents sont exprimés indirectement, ou de manières plus explicite. Les parents de Christophe participent à la recherche, comme témoignage, pour contribuer au changement du mode d’arrivée des enfants, si une autre catastrophe naturelle survenait :
« Si la finalité, c’est que ça peut permettre effectivement d’améliorer l’accueil d’enfants, c’est… c’est une bonne chose, vraiment ! ».
182 Une meilleure préparation des enfants doit commencer dès l’orphelinat. La mère de Téo s’interroge sur ce que son fils a pu ressentir le jour où il a quitté Haïti :
« (Avant le séisme) On disait juste : “Maman va venir” et voilà, c’est tout quoi […] Sans leur expliquer vraiment […] Donc là avec le séisme, je sais pas du tout ce que la directrice leur a, lui a expliqué à Téo. […] Ce jour-là, il est même pas parti avec les petits copains de la crèche quoi. Elle a dû l’emmener quelque part, au consulat, à l’ambassade, je sais pas où. […] (elle prend une forte inspiration) Mon dieu ! Je n’ose même pas imaginer ce qu’il a dû penser. »
184 La mère de Christophe regrette le nombre d’intermédiaires :
« Elle l’a confié à l’orphelinat. C’est un premier déchirement. Il s’installe à l’orphelinat, boom le séisme ! Et ensuite, boom on prend tous les gamins pour les mettre en catastrophe dans un avion, boom on les met dans les bras d’une dame, boom on les met dans les bras d’une autre dame, boom on les met dans les bras… Il en a eu quatre quand même à l’arrivée ! À chaque fois, il a hurlé ! Donc, parce qu’on l’arrachait à quelqu’un ! »
186 Une prise en charge somatique préalable est nécessaire. En effet, Mathis n’a pas eu de soins somatiques avant son arrivée en France :
« Il avait dû souffrir pendant le voyage en fait et beaucoup pleuré parce que ça devait être un peu paniquant quand même. […] C’était long tout ça et il ne voulait plus boire en fait. Ils n’arrivaient plus à le faire boire ».
188 Deux parents étaient favorables (II-V) à l’idée d’une escale longue, comme celle qui a été créée en Guadeloupe, même s’ils n’en ont pas bénéficié :
« Après toutes les critiques qui ont été faites sur le fait qu’il soit arraché, directement mis dans un avion et tout […] oui, oui, je pense qu’effectivement ça n’a pas dû aider ! […] Le fait de ne pas avoir le parent qui va chercher sur place l’enfant ça doit quand même être un traumatisme supplémentaire ».
190 Certains parents (II-III) n’ont pas eu connaissance du trajet de l’enfant, depuis Haïti, ce qui ajoute encore une part de mystère, d’ombre :
« Donc, j’ai compris qu’elle était allée en Guadeloupe. Euh alors j’ai jamais réussi à savoir si elle était restée plusieurs jours, une heure, si elle n’avait fait qu’une escale. Je pense qu’elle y avait… qu’elle y était restée quelque temps parce qu’elle m’a dit, m’avait fait comprendre qu’elle s’y était fait coiffer ».
192 La mère de Christophe (V) aurait souhaité échanger davantage avec la dame qui l’avait accompagné dans l’avion, seul lien avec la vie de là-bas :
« On a très peu pu échanger avec elle ! Y’en a qui étaient assez indifférents, qui racontaient comment c’était passé le voyage ! Là, elle était très émue, elle ne pouvait rien nous raconter. »
194 Une mère décrit un manque d’information sur l’histoire de l’enfant, terrible de conséquences. En effet, Zoé a été séparée de ses sœurs, sans aucune préparation :
L’une est « restée coincée en Guadeloupe, parce que les papiers n’étaient pas terminés. » La seconde sœur de Zoé était dans le même avion : «Sauf que comme on ne savait pas avec l’autre maman qu’elles étaient sœurs […], elles ne se sont pas dit au-revoir, elles ne se sont pas parlé, enfin, elles… elles se sont séparées comme ça ! »
Structure du récit : analyse des marques traumatiques
196 L’analyse de la forme du récit des parents met en évidence la présence de marqueurs traumatiques dans chacun des cinq entretiens, en grande majorité dans le récit de l’annonce du séisme, de l’arrivée de l’enfant et lors du retour à la maison en compagnie de l’enfant. Nous appelons « marques traumatiques » les éléments de la structure du récit orientant vers l’hypothèse d’un trauma sous-jacent, en nous appuyant sur des critères définis dans plusieurs études (Harf et al., 2008), (O’Kearney et Perrott, 2006) (George et al., 1985). Une précision s’impose : cette analyse ne permet en aucun cas de poser de diagnostic clinique. Néanmoins, la présence de ces marques, au sein de l’analyse de la forme de tous les entretiens, interroge sur le vécu des parents d’expériences potentiellement traumatiques, en lien avec le séisme et ses conséquences.
Récits très détaillés sans évocation du vécu interne
197 Tous les entretiens sont longs, avec de longues réponses aux questions et une attention portée, à certains passages, sur les détails. Il existe, dans deux entretiens (I-III), la présence de passages très factuels lors du récit de la rencontre avec l’enfant, avec plus de références à des éléments extérieurs (ou à autrui) qu’à un vécu interne :
Chercheur : « Et la rencontre à l’aéroport, vous pourriez me raconter ? » Mère : « C’était très long. On avait rendez-vous à 22 heures. » Père : « À partir de 20h30 on y était et Alain, on l’a vu il était 1 heure du matin ou plus tard » Mère : « Peut-être même un peu plus, car on est partis de l’aéroport il était 4 heures et on est arrivés à 6 heures. On a pris du temps, les enfants sont arrivés à 23 heures, ils ont été toilettés, vu un médecin, auscultés, certains ont mangé, dormi ».
199 Dans l’entretien de cette famille, la description des troubles dermatologiques d’Alain est très descriptive et détaillée.
Désorganisation du discours
200 La dissociation entre mémoire sémantique (connaissances générales sur soi et le monde) et épisodique (évènements autobiographiques vécus émotionnellement) peut être la marque d’un trauma non résolu. On observe, dans les cinq entretiens, un contraste entre leur façon de qualifier les souvenirs, en général, et l’expérience décrite précisément. Au niveau de la mémoire sémantique, générale, les parents expliquent avoir eu des facilités, de la chance :
« Donc c’était une période très, très… très heureuse, évidemment ! ».
202 Au niveau de la mémoire épisodique, émotionnelle, les parents sélectionnent des événements difficiles, violents, choquants. Quelques phrases plus loin, le père poursuit :
« Ça s’est déclenché chez (prénom de sa femme), et elle était vraiment malade… Euh. Elle marchait à quatre pattes… »
204 Cette absence de cohérence entre les représentations généralisées et les souvenirs spécifiques peut être considérée comme une marque de trauma irrésolu. Certains passages présentent une apparente absorption de la personne dans la scène racontée. Des temps de longs silences et des passages inachevés sont présents dans tous les entretiens. Cette fragmentation témoigne également d’une absorption, interrompant la production verbale. Dans une famille, cette fragmentation est présente à de nombreuses reprises, tout au long du récit (dans 22 passages) :
« Ça s’est passé le mardi, donc… Et à 7 heures, euh… donc… moi j’ai perdu mon père en 2006, je… donc j’ai annoncé la nouvelle de l’adoption euh… à… en 2006… Oui, c’est ça en fait ! » (mère de Téo qui commence le récit de l’annonce du séisme).
206 La mère se disperse en cours de récit et demande de répéter plusieurs questions : sur l’histoire de l’enfant, et sur la manière dont elle avait imaginé l’enfant, la rencontre, et son arrivée à la maison avant le séisme. On constate une désorientation spatiale (I-II) ou temporelle (I-II-III-V). Plusieurs familles (I-II-III) se trompent sur la date du séisme du 12 janvier 2010 :
« Le séisme a eu lieu le 10 janvier ».
De la banalisation au déni
208 Le discours de tous les parents présente, de manière plus ou moins marquée, des passages de minimisation, voire de banalisation, pouvant aboutir à un déni de leurs propres difficultés ou de celles de l’enfant :
209 Chercheur : « Nous arrivons à la fin de l’entretien, donc qu’est-ce que vous en avez pensé ? » Mère de Téo : « Ben c’était rapide, hein ! (rire) C’est tellement facile quand on parle d’un sujet comme ça. »
Discussion
210 Ce travail s’articule autour d’un axe central : les représentations parentales et leur devenir suite au tremblement de terre de 2010. Dans une perspective complémentariste (Devereux, 1972), alliant psychanalyse, transculturel, et narrativité, les représentations parentales peuvent être pensées selon plusieurs facettes, que nous allons développer.
211 Nous intégrerons quatre livres écrits par des parents en cours d’adoption pendant le séisme de 2010. Un livre est qualifié de « roman » mais fait écho à un vécu personnel : L’enfant du séisme de Sophie Noël (Noël, 2015). Trois livres sont explicitement autobiographiques : Angeline, ma Princesse Haïtienne, petite fille miraculée de Corinne Martini (Martini, 2015) ; D’une île à l’autre… De Haïti à Belle-île-en-Mer de Tanguy Hebert (Hebert, 2013), L’enfant du séisme, récit d’une adoption de Diane Lavoie (Lavoie, 2014), qui décrit tout son parcours au Québec. Si ces quatre parcours sont singuliers, leurs histoires sont étroitement reliées à celles des cinq familles de nos entretiens. En effet, même si les récits issus de ces livres ne suivent pas la trame du questionnaire de notre recherche, et n’ont pas été recueillis au cours d’un entretien, les thèmes retrouvés par le biais de notre analyse concordent avec les écrits de ces parents. Nous allons les mettre en parallèle, afin de mettre en relief nos résultats et permettre une triangulation des sources.
212 Au fil de notre discussion, des ponts seront faits entre représentations parentales en situation adoptive et non adoptive. À l’évidence, les deux cas ne sont pas en tout point comparables. Néanmoins, la résonnance entre les deux est fondamentale, permettant au clinicien une élaboration qui ne serait pas entravée par le prisme de l’adoption.
213 Lors du parcours de l’adoption, la période qui va de l’agrément à la rencontre a été décrite comme une grossesse psychique (Golse, 2004), remaniements représentationnels se déroulant dans la tête de tous les futurs parents. La transparence psychique, période où des fragments de l’inconscient reviennent à la conscience en raison d’une certaine levée du refoulement, a été décrite lors des grossesses biologiques (Bydlowski, 1991), mais aussi lors des grossesses psychiques du parent adoptant, dans les cas les plus heureux (Golse, 2012). La transparence psychique débouche sur la préoccupation maternelle primaire (Winnicott, 1956), permettant à l’adulte de s’adapter aux besoins du nouveau-né ou de l’enfant adopté. Cette bascule de l’un à l’autre passe par le processus d’objectalisation (Bydlowski et Golse, 2001). Dans les cas de grossesse physique, il s’agit du passage de l’objet interne, enfant imaginaire encore à l’intérieur, à l’objet externe, un bébé de chair et d’os qui est sujet à part entière. « Avant sa conception, l’enfant existe “en puissance” pour ses futurs parents » (Missonnier, 2004). S’inscrivant dans ce processus d’objectalisation, la « relation d’objet virtuel » (Ibid.) est un processus dynamique et adaptatif, correspondant à l’ensemble des comportements, des affects et des représentations parentales (conscientes, préconscientes et inconscientes) à l’égard de l’embryon puis du fœtus. Selon B. Golse, dans le cas de l’adoption, « ce processus d’objectalisation ne se joue pas, ici, entre un enfant-dans-le-ventre et un enfant-dans-la-tête, […] mais entre un enfant-dans-la-tête et un enfant-réel-encore-ailleurs ce qui, mutatis mutandis, peut tout de même comporter quelques analogies » (Golse, 2007). Avant la rencontre réelle, l’enfant existe déjà « en puissance » pour les parents adoptants, à travers la relation d’objet virtuel.
214 Dans le contexte spécifique du séisme d’Haïti de 2010, la grossesse psychique a été perturbée par l’annonce du séisme et la crise a désorganisé la rencontre. Parents et enfants, insuffisamment préparés, ont dû s’adapter l’un à l’autre. Peut‑on considérer le séisme et ses conséquences comme une expérience potentiellement traumatique pour les parents ? Quel a pu être l’effet d’un possible traumatisme de l’enfant sur son ou ses parent(s) ? Quelles ont pu être les conséquences sur l’interaction parent‑enfant ? Comment les parents ont‑ils tissé la troisième histoire, et co-construit la filiation narrative (Golse et Moro 2016) ?
Le séisme et ses conséquences, un trauma potentiel surajouté ?
Peut‑on parler de traumatisme ?
215 Les concepts de trauma, traumatisme, état de stress post-traumatique ont des définitions variables en fonction du cadre théorique utilisé.
216 Pour Freud, la rencontre entre des expériences potentiellement traumatiques et une vulnérabilité peut faire effraction et donc trauma. Un événement n’est donc pas traumatique en soi, son impact psychique dépend de chaque individu. Pour qu’une expérience soit effractante, son contenu doit être violent, potentiellement traumatogène, mais également non préparé. L’effet de surprise peut faire effraction et rompre la barrière de défense protectrice du psychisme, le pare-excitant : « Pour l’issue d’un grand nombre de traumatismes, le facteur décisif serait la différence entre systèmes non préparés et systèmes préparés par surinvestissement » (Freud, 1920). La susceptibilité, état psychique du sujet au moment de l’événement, est déterminante. L’événement traumatique s’accompagne d’une sensation d’effroi, de néant, d’arrêt des pensées et des affects. Le concept de « névrose traumatique », maladie consécutive à un traumatisme psychique, regroupe une symptomatologie large : syndrome de répétition, angoisse, dépression, troubles du caractères, plaintes somatiques et maladies psychosomatiques (Lebigot, 2009). Les psychiatres américains vont redécouvrir ce concept à la suite de la guerre du Viêt-Nam et vont faire du traumatisme « une variété de stress, en regroupant les troubles sous l’appellation posttraumatic stress disorder (PTSD), état de stress post-traumatique (ESPT) en français » (Lebigot, 2009). Avec la publication du Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders-III (DSM-III, 1980), l’ESPT entre officiellement dans la nosographie internationale. Les critères actuels du DSM-V (DSM-V, 2013) sont précis : suite à l’exposition à un événement traumatogène, le sujet développe pendant plus d’un mois des symptômes d’intrusion, d’évitement, une altération négative des cognitions et de l’humeur associée à l’événement et une altération de la vigilance et de la réactivité. Un témoin indirect peut vivre l’exposition au trauma d’un proche dans son entourage amical ou familial comme un événement traumatogène (DSM-V 2013).
217 Même si elles ne recouvrent pas exactement le même champ, nous avons fait le choix d’avoir recours à ces deux conceptions du traumatisme, l’une moderne, l’autre plus large, psychanalytique.
218 Il convient de rappeler qu’on ne peut, bien évidemment, pas porter de diagnostic d’ESPT chez les enfants ou les parents à partir de nos entretiens, le diagnostic étant avant tout clinique. Néanmoins, à travers la description fine des troubles des enfants, les parents posent la question d’un potentiel trauma infantile. De plus, les résultats interrogent sur le vécu d’expériences potentiellement traumatiques des parents.
Trauma du parent et impact de la crise
219 Les parents adoptants ont affronté la crise avec leur vécu, leur passé, leurs fantômes, leurs possibles traumatismes. Au moment du séisme, les parents n’avaient pas encore rencontré l’enfant qu’ils allaient adopter, mais avaient investi son histoire, sa photographie, sa voix au téléphone. À travers la relation d’objet virtuel, l’enfant existe déjà « en puissance » pour les parents adoptants, pour reprendre l’expression de S. Missonnier (Missonnier, 2004). Trois annonces (séisme, survie de l’enfant, transfert) impactent cette dernière phase de la grossesse psychique. La dynamique semble osciller entre sidération et accélération : les parents décrivent bien l’attente, la précipitation, l’hyperactivité. L’analyse a mis en évidence la présence de marques traumatiques, majoritairement présentes dans le récit de cette dernière étape et lors du retour à la maison en compagnie de l’enfant.
– Le péril de l’enfant imaginaire
220 L’impact d’une mauvaise nouvelle en fin de grossesse sur les représentations parentales a été étudié dans le cadre de la pédopsychiatrie de la périnatalité. Pendant la grossesse, en période de transparence psychique, les angoisses de mort et de malformations sont fréquentes chez tout parent. S. Missonnier utilise le terme « d’identifications projectives » (Missonnier, 2009) en référence à M. Klein (Hinshelwood, 2000), puis W. Bion (Bion, 1959), en se concentrant sur le devenir parent. Lorsqu’ils sont confrontés au diagnostic prénatal : « L’intensité et la métabolisation du choc de la révélation aux parents d’une anomalie réelle, de la plus légère à la plus lourde, dépendront, en partie, de la nature et du devenir de leurs identifications projectives anténatales, dont les craintes de malformation sont un des témoins privilégiés » (Missonnier, 2009). La suspicion ou annonce d’une anomalie fœtale à l’échographie peut attaquer la capacité de symbolisation des parents et des soignants (Soulé et al., 2011). La contradiction entre l’enfant virtuel parental et l’actuel infantile est d’une violence traumatique variable pour la famille (Missonnier, 2004). Nous pouvons faire le parallèle entre les identifications projectives anténatales et celles qui précèdent l’adoption, présentes lors de la transparence psychique. Des fantasmes ou craintes d’enfant malade ou affaibli ou angoisses de mort peuvent être présents chez tout parent adoptant, lors de la grossesse psychique. L’intensité et la métabolisation du choc de l’annonce du séisme dépend, en partie, de la nature et du devenir des identifications projectives pré-adoptions.
221 Lorsque T. Hebert (Hebert, 2013) apprend le séisme, il décrit son effroi : « Mon sang s’est figé. » Ce premier temps de sidération psychique, de gel de la pensée ou des affects, est retrouvé dans les entretiens des parents. Il s’approche alors de la télévision : « J’ai vu l’inimaginable, ces effroyables images resteront à jamais dans mes pensées. » Ce marquage indélébile témoigne de la violence de cette nouvelle, de la douleur ressentie par tous les parents, et de la sidération.
222 Face au séisme, les parents ont donc pu être exposés au trauma, celui du péril de « l’enfant imaginaire » (Alvarez et Golse, 2014). L’effroi suscité a pu modifier ou arrêter la dynamique de la grossesse psychique et a certainement modifié les identifications projectives pré-adoptions.
223 Deux mères ont cru leur enfant mort, soit en regardant les images du cataclysme à la télévision, soit parce qu’une personne leur a annoncé le séisme comme un deuil. Ont‑elles commencé le deuil de leur parentalité, renonçant à l’objet virtuel (Dollander, 2014) ? D. Lavoie (Lavoie, 2014) exprime clairement ses angoisses : « Etait‑elle morte ? Etait-ce le pire ? Etait‑elle sérieusement blessée ? Handicapée ? Démembrée, dévisagée ? » Elle fait des liens avec la situation non adoptive : « Est-ce qu’une mère dit “non merci” quand elle voit, à l’accouchement, que l’enfant ne va pas aussi bien que prévu ? »
– L’impact du « transfert accéléré » des enfants : parents impréparés, parents prématurés ?
224 Pour quatre familles sur cinq, les enfants ont été transférés rapidement, « prématurément » en France, bouleversant la démarche d’adoption, l’imaginaire parental et l’ordre symbolique (Romano, 2010), car c’est l’enfant qui est venu aux parents et non le parent qui est venu chercher l’enfant dans son pays de naissance, comme dans la majorité des adoptions. Trois familles ont appris l’arrivée de l’enfant la veille ou le jour même. Quatre familles décrivent un moment de panique. Lorsque D. Lavoie apprend l’arrivée imminente de sa fille, elle se retrouve dans une situation similaire aux parents de Christophe : « Zéro meuble d’enfants, zéro vêtement, zéro préparatif. » Insuffisamment préparée, elle cherche à avoir des « cours condensés sur l’adoption catastrophe par une mère catastrophée » (Lavoie, 2014).
225 Il nous semble pertinent de faire le lien entre ces parents adoptifs et les parents « biologiques » qui ont vécu l’impact, l’interruption brutale de la dernière phase de la grossesse psychique, comme dans la prématurité (Rufo, 2010). Bien entendu, il ne s’agit pas de nier la spécificité de la situation de prématurité : par exemple, certains traits liés à la prématurité du bébé (réactivité particulière, hyperexcitabilité ou au contraire apathie) (Mazet et Stoleru, 2003) vont interférer dans la relation parent-bébé, et ne permettent pas une généralisation à la situation d’adoption. Néanmoins, un rapprochement peut être fait sur certains aspects du vécu parental. De plus, dans les cas où le terme de la grossesse est normal, il peut exister des accouchements psychiquement prématurés quand les parents n’ont pas pu mener suffisamment à bien leur travail d’élaboration (Bruschweiler-Stern et Stern, 2009). Ces adoptions prématurées ont créé des « parents prématurés » (Buchs-Renner et Iacobelli, 2009), comme dans le cas de la néonatalogie. En effet, l’arrêt brutal et précoce de la grossesse physique ne laisse pas le temps aux parents de finir de se préparer à accueillir l’enfant. L’accouchement est prématuré tant pour les parents que pour le bébé (Mazet et Stoleru, 2003). Les parents avec un bébé prématuré sont plus à risque que les parents de nouveau-nés à terme de présenter un état de stress post-traumatique, et ce même au‑delà de la première année de vie (Kersting et al., 2004) (Gamba Szijarto et al., 2009) (Nix et al., 2010). Toute l’histoire psychique parentale peut alors s’engouffrer dans la souffrance ouverte par la naissance prématurée (Ansermet, 2012). Certaines études ont montré à quel point les représentations parentales sont modifiées par la notion même de prématurité (Stern et Hildebrandt, 1986) (Stern et al., 2000) (Stern et al., 2006). La grossesse psychique est amputée, interrompue brutalement, ou bien se poursuit dans la couveuse (Cognet et Du Peuty, 2013), le séjour en néonatalogie faisant fonction d’espace transitionnel (Winnicott 1975). De plus, l’enfant souffrant de complications de sa prématurité va être médicalisé, intubé, scopé. Les premiers moments de partage peuvent être différés au profit de soins urgents, comme dans le cas de Mathis. La rencontre de l’enfant réel et des parents prématurés a lieu sous le regard d’autrui (Moulin, 2010), soignant inconnu, dans un service où la technicité prime. Les rencontres à l’aéroport d’Orly et de Roissy ont aussi été placées sous le sceau de l’exposition de l’intime, les enfants tentant d’emmener avec eux leur espace transitionnel (Durieux, 2011) entre Haïti et la France, les parents achevant brutalement leur grossesse psychique en public.
– « La rencontre du troisième type »
226 À un moment de vulnérabilité psychique majeure qui fait suite à une période d’hyperactivité intense, les parents adoptants sont confrontés à la rencontre avec l’enfant réel, tant attendu. « Une collusion entre deux états psychiques incompatibles, l’accueil d’un enfant et le combat avec la réalité externe, semble être un facteur de risque traumatique » (Harf et al., 2008). Un sentiment d’étrangeté émane de tous les entretiens, que ce soit sur le chemin, à l’arrivée de l’aéroport, ou lors de la rencontre, appelée « rencontre du troisième type » par D. Lavoie (Lavoie, 2014). Cet épisode, difficile à qualifier, est comparé à une naissance dans de nombreux entretiens. Si l’arrivée de tout enfant comporte sa part d’étrangeté, d’une double étrangeté (Golse, 2012) en cas d’adoption internationale (en raison de son origine géographique, culturelle et ethnique), les enfants transférés d’Haïti sont porteurs d’une triple étrangeté. En effet, si chaque adopté a son histoire singulière faite de potentiels traumas, le séisme a exposé directement ces enfants à la mort. Les caractéristiques ontologiques de l’enfant ont fait qu’il a survécu. À l’instant même où les parents ont appris le séisme, certains ont cru immédiatement à la survie de leur enfant : « Elle n’avait pas pu mourir ni même être blessée, ça aurait été trop absurde » (Lavoie, 2014). Cette croyance, pensée magique, est à l’évidence une tentative désespérée de protection face à des affects trop intenses. La confirmation de cette prémonition transforme l’enfant, « miraculé » (Martini, 2015), en survivant. L’exposition a, comme dans tout trauma, définitivement changé son statut. « Revenant » (Semprun, 1994) (Baubet et Moro, 2000), marqué à jamais par le tremblement de terre, il est devenu « l’enfant du séisme » (Lavoie, 2014) (Noël, 2015) (expression également utilisée par la mère de Christophe). Dans certaines représentations parentales, le séisme a donc changé l’essence même de l’enfant (Sarthou-Lajus et Rechtman, 2011). Le livre de Tanguy Hebert s’ouvre sur un proverbe haïtien : « Le poisson qui cuit dans la marmite n’a plus peur du piment. (Quand on connaît le pire, on n’a plus rien à craindre) » (Hebert, 2013). Mais l’enfant, devenu quasi-invincible, courageux, peut également faire peur. Les descriptions de l’enfant à l’aéroport sont saisissantes : enfant malade, castré, difforme, méconnaissable, voire possiblement handicapé. Cette triple altérité a pu creuser l’écart entre enfant imaginaire et enfant réel et entraver l’inscription de l’enfant dans la filiation imaginaire.
Trauma de l’enfant
227 Si tous les enfants adoptés d’Haïti en 2010 ont été exposés à des événements traumatogènes, ils ne sont pas tous traumatisés. « L’enfant peut traverser une expérience on ne peut plus néfaste sans pour autant être traumatisé, c’est‑à-dire qu’il peut y faire face grâce à l’un ou l’autre des mécanismes de son moi. Dans ces cas, on ne devrait pas parler de traumatisme » (A. Freud, 1965). Les parents inclus dans notre recherche ont tous décrit des troubles pédopsychiatriques majeurs chez leur enfant, évoquant un ou plusieurs traumatismes. Cette observation est compatible avec celle faite par la CUMP à l’arrivée des premiers avions venus d’Haïti (Hemdane, 2011) : soixante-huit pour cent des enfants présentaient au moins un des critères de la triade des symptômes de psychotraumatisme (reviviscence, évitement ou hypervigilance). L’apparition des symptômes peut être immédiate, post-immédiate ou différée (Baubet et al., 2006) : « Vivre une catastrophe sans témoin qui puisse en prendre acte, sans témoin à qui pouvoir le dire et qui puisse le redire, redouble le traumatisme » (Golse, 2007). L’arrivée de l’enfant, comparée à une « tempête » (Lavoie, 2014), engendre chez tous les parents une importante fatigue physique. De nombreuses inquiétudes et d’intenses questionnements les assaillent dès l’arrivée de l’enfant, mais aussi par la suite, lorsqu’ils doivent mettre du sens à certains comportements de l’enfant. De quel(s) trauma(s) souffre l’enfant ? Est-ce que le traumatisme peut rejaillir à l’adolescence ? Pour pouvoir construire la troisième histoire, et tisser le lien de filiation imaginaire, les parents sont tenus de ne pas être trop paralysés par le début de l’histoire de l’enfant, histoire à trous béants, source d’incertitudes. Leur pensée ne doit pas se figer par traumatisme secondaire. Si la transmission du trauma d’une mère à son bébé est de plus en plus étudiée (Laroche Joubert, 2014) (Ouss-Ryngaert, 2006), qu’en est‑il de la transmission du trauma d’un bébé ou d’un petit enfant à ses parents ?
Conséquences sur les interactions parent‑enfant
228 À chaque image d’Haïti, une mère adoptive s’effondre. Sa fille tente de l’empêcher de regarder. Cette dynamique ne peut être comprise que sous un angle interactif. Les conséquences du trauma de l’enfant ou de celui du parent sur l’interaction parent‑enfant ont été décrites : état de stress post-traumatique à deux (Drell et al., 1993) ou état de stress post-traumatique relationnel (Scheeringa et Zeanah, 2001), spirale interactive entre le parent et l’enfant, à vocation auto aggravante majeure. Ces états sont décrits même lorsque les parents ont été absents au moment de l’événement traumatogène. Oscillant entre dédramatisation et l’expression « thérapeutique », les parents ont dû s’adapter à la souffrance de leur enfant. Les réflexions de certains parents aboutissent à un double questionnement, sur l’étiologie des angoisses de l’enfant, mais aussi de leurs propres angoisses. On constate donc que la question du traumatisme infantile, parental, mais également partagé, est ouvertement posée par les entretiens des parents. Malgré l’exposition, l’effraction, la sidération, parents et enfants ont dû trouver ensemble le moyen de construire la troisième histoire.
Le tissage de la troisième histoire
229 Toute rencontre entre un adulte, devenu parent, et un nouveau-né est singulière et s’inscrit dans un authentique « espace de récit » (Golse, 2014), véritable co-construction entre les enfants et les adultes. La mise en récit des origines de tout enfant (adopté ou non) est le quatrième axe de la filiation, la filiation narrative. « Il n’y pas de filiation sans mise en récit, sans récit, sans narrativité de la filiation » (Golse et Moro, 2016).
230 Le récit de l’adoption est fondateur, mythique (Harf et al., 2008), car il concerne la naissance de la relation entre parent et enfant, repère fondamental pour l’histoire et l’appartenance de l’enfant. Ce récit des origines ne serait pas complet sans l’histoire d’avant l’adoption, même si les parents n’en ont pas une connaissance complète. Ils doivent trouver le moyen de mettre des mots sur l’histoire de l’enfant dans le pays de naissance puis à son arrivée en France, pour l’inscrire dans la filiation narrative et permettre à l’enfant de construire son identité narrative (Ricœur, 1990). L’existence de ce récit, et non son contenu, joue donc un rôle fondamental dans le développement de l’enfant. La narration d’une vie permet de faire médiation, tisser des liens, entre des discordances (éclats, ruptures, revers, rebondissements) et les concordances (agencement d’ensemble) d’une vie (Ricœur, 1991) (Coopman et Janssen, 2010). Cette narration est primordiale pour l’enfant, mais également pour le parent (pour sa propre identité narrative et pour sa parentalité). Maternité et paternité naissent « d’un processus de narration » (Marinopoulos, 2011). La filiation narrative, co-construction universelle, prend une dimension particulière pour les parents de notre recherche : le séisme et ses conséquences s’invitent en protagonistes.
Crise et narrativité
231 Selon Bruner (Bruner, 2002), la dynamique du récit ne se déclenche que lorsqu’apparaît une rupture dans la banalité. L’unique moyen de maîtrise dont nous disposons sur notre condition humaine, pour appréhender l’imprévu, est de construire une histoire. « Ainsi, les histoires apprivoisent le temps, domestiquent l’inattendu et permettent de transformer ce dernier en événement et non en traumatisme, l’événement faisant progresser le récit tandis que le traumatisme le rompt » (Zigante et al., 2009). Il est possible de transformer un traumatisme en événement, en changeant son rapport avec sa propre histoire grâce à une mise en récit. « Tous les chagrins sont supportables, si on en fait un récit » (Semprun, 1994). Ainsi, le récit des parents adoptants est ponctué par trois annonces (le séisme, la survie de l’enfant, le transfert), puis par l’arrivée effective de l’enfant. Ces événements structurent l’attente : avant le séisme, avant l’arrivée de l’enfant, à l’aéroport, au retour à la maison. La mise en récit permet sa concordance, au‑delà de la discordance constituée par « l’effet de rupture des évènements imprévisibles qui la ponctuent » (Ricœur 1990).
– Structure du récit
232 La capacité d’une personne de raconter son histoire de manière cohérente reflète le degré d’assimilation de celle‑ci dans son système de représentation (Pierrehumbert et al., 2005) : la dissociation entre la mémoire sémantique et épisodique peut témoigner d’une attitude défensive par rapport à l’acceptation d’expériences menaçantes. Le travail réflexif permet l’intégration des événements passés dans les représentations. Or, tous les entretiens présentent des passages allant de la banalisation au déni, concernant les difficultés des enfants ou des parents. La désorganisation du discours est présente dans tous nos entretiens : phrases fragmentées, passages inachevés, absorption dans la scène, désorientation spatiale et temporelle. Ces marqueurs traumatiques, au‑delà de questionner sur la non-résolution d’un possible trauma, posent également la question de leur transmission. Le petit enfant ou le bébé, très sensible à la forme du langage, perçoit toutes ces petites marques et les intègre dans son psychisme. En effet, le récit, d’abord préverbal puis verbal de l’adoption, fournit à l’enfant un axe narratif essentiel (Golse et Moro, 2017).
– Mémoire et récit
233 Les souvenirs de la plupart des enfants de notre recherche sont refoulés par amnésie infantile. Pourtant, les parents sollicitent l’enfant lors du récit de l’adoption, pour en partager le souvenir. Ils souhaiteraient que l’enfant soit témoin de sa propre histoire. La volonté de construire un récit commun des souvenirs est donc partagée par les enfants, mais aussi par grand nombre de parents. Or le séisme a empêché tous les parents d’aller chercher l’enfant dans le pays de naissance. Seule une mère s’y était rendue avant le séisme, mais n’était pas allée dans l’orphelinat. La grande majorité des parents n’ont donc pas pu visiter les lieux de la première vie et expérimenter des sensations haïtiennes (aliments, odeurs). Ils n’ont pas rencontré les possibles figures d’attachement à la crèche et n’ont pas partagé avec elles d’antérieures expériences de vie de l’enfant. Ils ont été presque totalement privés de ce support de récit, présent dans la grande majorité des filiations adoptives. Toutes les informations qu’ils ont pu glaner par internet, grâce au dossier de l’enfant, ou par téléphone, ont été mises à mal par le séisme, puis par le choléra et l’extrême instabilité du pays depuis 2010. Que reste-t‑il de la crèche et des « nounous » qui y travaillaient ? Que sont devenus les parents et la fratrie de naissance ? Deux familles ont appris que les parents de naissance avaient survécu au séisme mais continuent de douter. Ce socle de connaissances est instable, extrêmement poreux, friable. Les parents ont dû s’en contenter et composer selon leur histoire personnelle et leur personnalité.
234 Les filiations adoptives se construisent sur une histoire à trous, sur des scotomes (Asensi et Lachal, 2006), des secrets authentiquement partagés par tous (parents et enfant). Tout récit autobiographique est empreint de variation imaginative : les événements historiques et le récit de fiction s’emmêlent (Herlant-Hémar, 2013). Plusieurs stratégies de contournement du scotome sont utilisées par les parents ou les enfants : reconstruction du souvenir en brodant autour de l’histoire de l’enfant, imagination, transparence totale. Mais, à la différence des autres filiations adoptives, la catastrophe terrible du séisme a rendu ce trou béant. En plus de l’abandon initial, le scotome vient amputer le récit du vécu du tremblement de terre, seconde source de fantasmes. Le récit mythique devient alors « épique » (expression de la mère de Christophe). Héros d’une épopée, l’enfant va se construire avec ces représentations et « devoir se débarrasser, pour lui et dans le regard des autres, de l’image de survivant, d’enfant sauvé, et de la dette qui en découle » (Baubin 2010).
Des questions universelles, marquées du sceau du séisme
235 Le questionnement de tout parent adoptant fait écho aux questions universelles de la filiation, dont celle de la dette. Dans notre recherche, les réflexions « classiques » des parents adoptants à l’internationale sont inextricables des questions spécifiques liées au séisme, et entrent en collusion. Si l’adoption est « le lieu idéal de projection des fantasmes communs de l’humanité » (Soulé et Noël, 1985), le séisme agit comme double « amplificateur fantasmatique » (Marcelli et Braconnier, 2013).
236 L’exemple le plus emblématique est celui de la dette, du conflit de loyauté, à élaborer dans toute adoption, mais aussi dans toute filiation. Au sein de la filiation imaginaire, la question de la dette de l’enfant ou dette du parent adoptant est centrale car elle est un facteur classique d’entrave à la parentalité (Soulé et Lévy-Soussan, 2002). En effet, dans toutes les adoptions, l’enfant a une double dette (Rosenfeld et al., 2006) : une dette de vie (Bydlowski, 1997) à l’égard de ses parents de naissance, mais aussi une dette envers ses parents adoptifs. Du côté des parents adoptifs, la stérilité les laisse porteurs d’une dette de vie inconsciente envers leurs propres parents, dont l’acquittement peut être à l’origine du désir d’adoption (Veuillet, 2001). L’accès à la parentalité, par l’adoption, crée une dette vis‑à-vis de l’enfant et de ses parents de naissance (Harf et al., 2006). En outre, la logique marchande, introduite dans le lien de filiation par la question du coût de l’adoption, peut alimenter des fantasmes de rapt ou d’achat d’enfant (Harf, 2014).
237 Dans ce système de don/contre-don, le séisme agrandit l’endettement. À l’évidence, le séisme maximise la dette de l’enfant à l’égard de ses parents adoptifs. Désiré de longue date par ses parents adoptants, il a été « sauvé » d’un pays en ruine, de l’extrême pauvreté, du choléra. Mais le séisme vient redoubler également la dette envers les parents de naissance car s’ils ne sont pas morts, ils vivent sûrement dans des conditions désastreuses. Comment s’acquitter de toutes ces dettes, sans risquer d’entraver la filiation ?
Contre transfert du chercheur
238 Dans son ouvrage princeps De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Devereux place l’analyse du contre-transfert du chercheur comme « la donnée la plus cruciale de toute science du comportement » (Devereux, 1967). Les chercheurs ont, comme tous, suivi les événements de 2010 largement médiatisés et politisés. Nos « propres scotomes, angoisses, inhibitions » (Devereux, 1967) en lien avec le contre-transfert culturel suscité par la rencontre avec ces familles ont été consignés par écrit, pour affiner le regard porté sur le sujet.
239 Le deuxième point que nous avons analysé dans notre contre-transfert de chercheur est sa dimension traumatique. Toutes ces rencontres et des multiples lectures nous ont confrontés à des sentiments parfois très forts, parfois déjà éprouvés par le passé. « Le trauma est fait pour être transmis, telle semble être une de ses caractéristiques majeures » (Moro, 2006). Quatre pièges ont ainsi été définis et sont à prendre en considération (Ouss-Ryngaert et Dixméras, 2003) lorsqu’un travailleur humanitaire est exposé au traumatisme : sidération, fascination, savoir, distance excessive. Ces quatre écueils ont été rencontrés tour à tour par les chercheurs lors de toutes les étapes de la recherche (rencontre avec les familles, retranscription du verbatim, codages, rédaction) et analysés par oral et par écrit.
Limites
240 Notre étude comporte certaines limites. Tout d’abord, ce travail ne permet pas de mettre en évidence l’évolution des représentations parentales, qui sont appelées à être remaniées tout au long de la vie, en fonction de l’âge de l’enfant et des événements vécus. Il pourrait être intéressant de rencontrer à nouveau ces familles dans quelques années, pour analyser le changement. Le corolaire de cette première affirmation est que, bien entendu, les représentations parentales ont déjà été remaniées depuis le séisme et la crise. Il ne s’agit pas du récit direct de l’expérience mais bien d’une reconstitution rétrospective, dans le discours parental.
241 Une deuxième limite est liée au fait que peu de participants ont pu être inclus dans notre recherche. Il s’agit d’un véritable résultat en soi. Les nombreux refus peuvent en partie être expliqués par la volonté de certains parents de ne plus être exposés, comme ils ont pu l’être au moment de l’arrivée des enfants à l’aéroport. S’agit‑il d’une conduite d’évitement pour certains parents voulant se protéger d’une réexposition traumatique ? Néanmoins, les entretiens, très longs et fouillés, ont permis de dégager de nombreux thèmes. En raison de la richesse des entretiens, d’autres thèmes ont émergé mais n’ont pas été encore développés. Nous n’avons pas encore utilisé la validation par les participants, or cela permet de déterminer le degré de résonance entre les thèmes trouvés et le vécu des parents (Plummer, 2001). Pour des raisons éthiques, nous n’enverrons les résultats aux familles que si celles‑ci les demandent.
242 Choisir les représentations parentales comme objet de recherche semble évincer les protagonistes les plus essentiels : les enfants (Harf, 2014). Il n’en est rien. Le travail de la parentalité est fondamental pour tout pédopsychiatre : « La culture de la parentalité est au sens des psychanalystes, psychologues, psychiatres mais aussi des philosophes, enseignants, des éducateurs, des politiques, le défi du vingt-et-unième siècle » (Moro, 2014). Grands oubliés de la majorité des travaux concernant l’adoption (Harf 2014) (Golse et Moro, 2017), les parents occupent pourtant en clinique une place centrale : ils sont porteurs de la demande, les premiers porteurs du récit et permettent à l’enfant adopté de forger son identité narrative (Ricœur, 1990).
Perspectives
243 Notre choix méthodologique princeps de nous centrer sur le discours parental ne nous a pas permis de faire une observation clinique des enfants et de leur discours. Au vue de nos résultats, il apparaît indispensable qu’une prochaine recherche s’intéresse au récit des enfants ou à leurs productions (dessins, jeux). Toutefois, le futur chercheur risque également d’être exposé à des difficultés de recrutement. Notre méthode ne nous permet pas de comparer ces entretiens avec ceux effectués auprès d’autres parents adoptants à l’international, analyser ce point pourrait être intéressant.
244 Des entretiens des parents émergent des propositions pour le futur, en cas d’une nouvelle catastrophe naturelle. Nous y ajouterons que la législation internationale doit être respectée dans l’intérêt de l’enfant, de ses parents adoptants et de naissance. Face à l’urgence, l’adoption doit être suspendue, comme le recommandent les instances internationales. L’accélération des procédures n’est pas la réponse première : « Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’urgence peut impliquer de prendre le temps » (Cosculluela et Peyré, 2010). Séparer des fratries, sans un mot, dans un aéroport, ajoute une nouvelle catastrophe à une situation extrêmement fragile, les conséquences ne peuvent qu’être désastreuses pour chacun.
245 Sur proposition du Conseil Supérieur de l’Adoption, une enquête (CREAI, 2013) a été commandée par plusieurs ministères. Son but est de prévenir les risques et d’améliorer le processus d’adoption des enfants adoptés en France et à l’international. À la demande du commanditaire, parmi les 1241 questionnaires envoyés à des familles adoptives, les familles ayant adopté en 2010 en Haïti sont surreprésentées. Cette enquête aboutit à des préconisations découlant de l’analyse des questionnaires. Les auteurs insistent sur l’information du grand public à propos des spécificités de l’adoption et sur la formation des professionnels de soins et dans l’Éducation nationale. Ils proposent un accompagnement des familles pendant l’agrément et en post-adoption juste après l’arrivée de l’enfant, puis d’établir ensuite un contact annuel. Ils demandent également la mise en place d’une instance nationale qui soit un lieu ressource d’action et de réflexion sur l’adoption nationale et internationale. Il est effectivement primordial que les professionnels de santé soient formés aux questions spécifiques de l’adoption. Un travail de prévention avec les familles (Harf, 2014), en amont de la rencontre, est incontournable pour les protéger au maximum d’un possible trauma. En cas de circonstances exceptionnelles, cette préparation doit être renforcée du côté du parent et de l’enfant. L’accompagnement doit être également soutenu, et à long terme, pour aider la co-construction de la troisième histoire. Cette histoire ne doit pas occulter les parents de naissance. Janice Peyré l’affirme : « Les enfants ne sont pas nés du séisme, ils avaient un avant, et au-dessus de la rupture produite par la catastrophe, il [est] nécessaire de jeter un pont, fragile, mais indispensable » (Peyré, 2010).
Conclusion
246 Cette étude qualitative a permis, six ans après, d’avoir accès aux représentations des parents ayant adopté en 2010 un enfant né en Haïti. Ces adoptions ont été marquées par la survenue d’une « crise » humanitaire sans précédent touchant Port-au-Prince. Le lendemain du séisme, les parents sidérés regardent en boucle à la télévision les images d’un pays fracassé par la terre. Le « miracle » de la survie de leur enfant laisse difficilement le temps de se préparer à l’accueillir. Après quinze jours d’hyperactivité, la grossesse psychique des parents adoptants s’achève alors brutalement à l’aéroport, en compagnie des médias et des politiques. Exposé au trauma, aux ruptures et à la médiatisation, l’enfant a traversé seul les mers, bouleversant ainsi l’ordre symbolique. Orly et Roissy sont les théâtres de rencontres heureuses, mais aussi de rencontres déstabilisantes avec des enfants porteurs d’une « triple étrangeté ». De retour à la maison, les parents doivent commencer le précieux tissage de la troisième histoire, et tentent de donner du sens aux comportements de l’enfant, en co-construisant avec lui leur filiation narrative.
247 Conformément à la législation internationale, l’adoption ne peut pas être une réponse à l’urgence. La préparation de l’enfant et du (ou des) parent(s) adoptant(s) est primordiale pour éviter un traumatisme surajouté. Ces adoptions marquées par le séisme forcent tout professionnel à penser de manière plus fine les difficultés auxquelles sont confrontés les parents adoptants, et aident à penser l’ensemble des questions filiatives.
Remerciements
248 Madame la Professeure Marie Rose Moro, Monsieur le Professeur Bernard Golse (qui a trouvé le titre de l’article), Marie José Durieux, Jonathan Lachal, Claire Tridon, Janice Peyré (de la fédération Enfance et Familles d’Adoption).
249 Printemps 2018
250 – Pourriez-vous vous présenter ?
251 – De quoi est composée la famille ? Avez-vous d’autres enfants ? Si besoin : Quel âge ont‑ils ? Comment s’appellent‑ils ? Ont‑il été adoptés ? Si oui : Dans quel pays ?
252 – D’où vient (ou viennent) le (ou les) prénom(s) de votre enfant et comment l’avez-vous choisi ?
253 – Si besoin : Est-ce que ce (ou ces) prénom(s) ont une signification particulière pour vous ?
254 – Si le prénom de l’enfant a été gardé : Comment s’est fait le choix de garder son prénom de naissance ?
255 – Si le prénom de naissance n’a pas été gardé : Connaissez-vous son prénom de naissance ? (Si non connu du chercheur avant l’entretien : Quel âge avait‑il/elle lorsque vous l’avez adopté ?)
256 – Aviez-vous une préférence de sexe ou d’âge ?
257 – Pourriez-vous nous dire pour quelles raisons vous avez choisi l’adoption ?
258 – Qu’est-ce qui vous a amené à choisir d’adopter un enfant dans ce pays, Haïti ?
259 – Êtes-vous déjà allés en Haïti ? Si oui : Pour quelles occasions ?
260 – Si rencontre de l’enfant adopté : Comment s’est passée cette rencontre en Haïti ? Avez-vous rencontré les parents de naissance ou d’autres membres de la famille de votre enfant ? Dans quel contexte ?
261 – Que connaissez-vous de l’histoire de votre enfant avant l’adoption ?
262 – Est-ce que votre enfant vous parle de son pays de naissance et de sa vie là-bas ?
263 – Est-ce que vous lui parlez de son pays de naissance et de sa vie là-bas ?
264 – Depuis combien de temps avant son adoption attendiez-vous cet enfant ?
265 – Comment aviez-vous imaginé cet enfant, votre rencontre avec lui, son arrivée dans votre foyer ? (si besoin, préciser : avant l’annonce du séisme)
266 – Vous souvenez-vous du moment où vous avez appris la nouvelle du séisme ? Pouvez-vous nous raconter ce que vous avez pensé et ressenti à ce moment-là ?
267 – Comment s’est passée pour vous l’attente de l’enfant avant son arrivée en France ?
268 – Votre enfant vous parle-t‑il de son vécu du séisme ? Si oui : Que vous raconte-t‑il et que lui répondez-vous ?
269 – Comment s’est passée votre rencontre à l’aéroport ? Si besoin : Comment était l’enfant quand vous l’avez accueilli ? Pouvez-vous nous dire ce que vous avez ressenti à ce moment-là ?
270 – Comment s’est passée son arrivée à la maison ?
271 – Qu’avez-vous éprouvé dans les premiers mois de son accueil ?
272 – Comment s’est‑il habitué aux nouveaux repères (alimentaires, sommeil, organisation du quotidien, vie de famille, modes de garde, école, etc.) ?
273 – A-t‑il eu ou a‑t‑il des réactions qui vous étonnent ou qui vous inquiètent ?
274 – Votre enfant a‑t‑il eu des problèmes de santé ?
275 – Est-ce que votre enfant a déjà consulté un psychologue ou un psychiatre ou un orthophoniste ? Si oui : Pour quelles raisons ?
276 – Qu’est-ce que votre famille élargie (grands-parents, tantes, oncles) et amis vous disent par rapport à votre enfant ?
277 – Pensez-vous aller un jour en Haïti avec votre enfant ? Si oui : Pour quelles raisons ?
278 – Pensez-vous que le séisme ait eu ou ait des conséquences à ce jour pour votre enfant ou pour vous ?
279 – Pensez-vous que le fait d’avoir adopté votre enfant dans les suites immédiates d’une grande catastrophe humanitaire ait modifié vos rapports avec votre enfant ?
280 – Nous arrivons à la fin, que pensez-vous de cet entretien ?
281 – Y a‑t‑il des choses qui vous semblent importantes dont nous n’avons pas parlé ?
282 – Questions « facultatives » : Racontez-nous un souvenir joyeux avec votre enfant. Qu’est-ce que vous aimeriez transmettre aux mères et aux pères en situation d’adoption ?
Notes
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[1]
Aurélie Harf et Thierry Baubet ont contribué de manière égale à ce travail.
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[2]
Aurélie Harf et Thierry Baubet ont contribué de manière égale à ce travail.
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[3]
Pour plus de précisions sur la culture du fosterage en Haïti, se référer à la thèse de médecine de l’auteure (Klein, 2016).
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[4]
Nom donné aux orphelinats haïtiens.
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[5]
Selon l’association Enfance et Famille d’Adoption (Claire Tridon, contactée le 17/05/16).
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[6]
Idem.