1En 1981, la veille épidémiologique des Centers for Disease Control d’Atlanta a rapporté une augmentation surprenante de la prévalence des pneumonies à Pneumocystis carinii chez des homosexuels de San Francisco. Il a fallu attendre quelques années pour réaliser l’importance d’une véritable pandémie virale touchant 29 millions de personnes en 1997 et près de 40 millions aujourd’hui (130 000 en France). C’est dire à quel point était éloignée la prise en compte médicale du projet parental des couples touchés par le virus VIH. Cette prise en compte a radicalement évolué au cours des dernières années grâce à l’apparition en 1996 des trithérapies antivirales. Cette étude se limite aux cas où seul l’homme est séropositif, mais le décret paru au Journal officiel le 10 mai 2001 autorise la prise en charge des couples sérodiscordants où la femme est seule séropositive. Les objectifs médicaux de cette étude étaient d’étudier la qualité du sperme des hommes contaminés par le VIH, d’évaluer la place respective des différentes techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP), c’est-à-dire définir les critères décisionnels dans le choix de la technique d’AMP, de tester des procédures de suivi clinique et biologique visant à vérifier l’absence de contamination. Il a paru intéressant d’évaluer les éventuelles difficultés rencontrées par ces couples tant du fait des conséquences psychiques de la séropositivité de l’homme sur la vie quotidienne du couple et son projet d’enfant, que des conséquences psychiques des méthodes d’AMP chez des hommes et des femmes a priori fertiles, même si le virus du sida entrave la spermatogénèse. L’étude concerne aussi le développement initial des enfants nés des couples à l’issue de leur démarche d’assistance médicalisée.
2Jusqu’à 1996, les demandes d’aide médicale à la procréation des couples touchés par le sida n’étaient pas prises en compte au nom de la protection de l’enfant à venir. Pour les couples dont l’homme était séropositif, seule l’adoption ou l’insémination artificielle avec sperme de donneur (IAD) étaient proposées, voire la réalisation de rapports sexuels non protégés « ciblés ». Les recommandations formulées par les Sociétés médicales américaines au début des années 1990, jusqu’en 1997 (Centers for Disease Control, 1990 ; Ethics Committee of the American Society for Reproductive Medicine, 1994) étaient justifiées par des raisons médicales tenant à la fois au risque alors élevé de transmission du virus à l’enfant pendant la grossesse lorsque la femme était séropositive (25 % alors, en dessous de 1 % aujourd’hui) ; au pronostic alors très sombre de la maladie dont l’issue était presque toujours fatale ; aux risques encourus par les personnels des laboratoires d’AMP manipulant les préparations et par les autres couples traités dans ces laboratoires en raisons des risques de contamination croisées des échantillons de sperme et des embryons congelés. Ces recommandations stipulaient que « le praticien n’a pas d’obligation morale à offrir ses services en la présence d’un risque pour le patient ou pour l’enfant ». Ainsi, seules les personnes séronégatives devaient être autorisées à bénéficier de prises en charge en AMP. Seul le comité d’éthique du collège des gynécologues et obstétriciens américains émit en 1993 une opinion plus modérée sur le sujet, estimant que si une femme contaminée souhaitait de l’aide pour être enceinte, elle devait, « dans le cadre d’une consultation avec son médecin, considérer à la fois son intérêt dans l’éducation d’un enfant et les souffrances potentielles d’un enfant contaminé avant de prendre toute décision de traitement ».
31996 a été une année charnière : l’avènement des nouvelles possibilités thérapeutiques (associations d’antirétroviraux et d’antiprotéases, dites « trithérapies ») a révolutionné la prise en charge du Sida et a permis une évolution radicale de l’acceptation socioculturelle du désir d’enfant chez les parents infectés. Actuellement, l’espérance de vie des patients est de vingt ans après le diagnostic. Malgré l’ancienneté de leur contamination, la majorité des patients traités présentent une infection chronique peu évolutive leur permettant une excellente insertion familiale et socioprofessionnelle (Al-Khan et al., 2003 ; Nosarka et al., 2007). Aujourd’hui, plus de la moitié des nouveaux cas aux États-Unis et dans les pays industrialisés sont des jeunes adultes hétérosexuels en âge de procréer (Bendikson et al., 2002). Les patients vivant en couple sont de plus en plus nombreux à souhaiter un enfant, et à se tourner vers l’AMP pour cela (Nosarka et al., 2007).
4Cette prise en charge qui n’est en fait ni un traitement médical stricto sensu, ni une mesure de prévention, mais plutôt un accompagnement médical pour prévenir une maladie au cours d’un projet non médical, a suscité un débat éthique passionné (Henrion et al., 1993 ; Delor, 1997 ; Gilling-Smith et al., 2001 ; Lyerly et Anderson, 2001 ; Bendikson et al., 2002 ; Coleman, 2003 ; Sauer, 2003 ; Savulescu, 2003 ; Spike, 2003 ; Strong, 2003 ; Zutlevics, 2006). Aujourd’hui, cette question du désir d’enfant chez ces couples recueille maintenant une écoute bienveillante des services d’assistance médicale à la procréation, d’autant que le risque de contamination de la femme lors des rapports sexuels non protégés est élevé et estimé à environ 1 pour 1 000 (entre 0,03 et 0,09 %) (European Study Group on Heterosexual Transmission of VIH, 1992).
5Cependant, l’amélioration spectaculaire de l’état de santé des patients ne garantit pas que leur sperme soit exempt de risque contaminant. Le tractus génital est un compartiment viral indépendant avec des virus dont le génome diffère des virus sanguins (Lyerly et al., 2001 ; Van Leeuven et al., 2007). Des dosages répétés dans le liquide séminal sont donc requis avant toute prise en charge, quel que soit l’état de santé du patient. C’est pourquoi des techniques de lavage du sperme sont indispensables. Semprini, en Italie, a été le premier à être autorisé par le Comité d’éthique italien à développer cette méthode (Semprini et al., 1992, 1997). D’autres centres en Europe ont suivi cette démarche avec succès.
6Ces progrès majeurs ont conduit les Sociétés savantes américaines à reconsidérer leurs positions. En 2001 et en 2002 respectivement, l’American College of Obstetrician and Gynecologists et The Ethics Committee of the American Society for Reproductive Medicine ont reconnu que les progrès thérapeutiques permettaient de respecter à la fois le principe d’autonomie de l’adulte, sa liberté de choix en tant qu’individu et l’intérêt de l’enfant. Ainsi, l’assistance médicale à la procréation ne devait plus être refusée aux couples infectés par le virus VIH au motif de leur seul statut sérologique.
7Alors qu’aux États-Unis moins de 7 % des centres offraient leurs services aux couples sérodifférents (Stern et al., 2001), en France, dès les années 1980, des couples dont l’homme était séropositif ont sollicité l’aide des CECOS pour procréer par don de sperme. Dans un avis commun rendu le 10 février 1998, le Comité consultatif national d’éthique et le Conseil national du sida ont estimé que les progrès thérapeutiques permettaient d’apporter une aide médicale au projet parental de ces couples, sans discrimination, et avec des moyens adaptés.
8En 1999, deux études pilotes (à Cochin-Necker et à Toulouse) ont été initiées pour évaluer les possibilités de l’AMP par fécondation in vitro avec micro-injection (FIV-ICSI) et insémination artificielle en utilisant les spermatozoïdes de l’homme infecté par le VIH (Jouannet et al., 1990, 1998, 2001). En mai 2001, un arrêté ministériel a défini les conditions de réalisation de l’AMP des patients à risque viral. Ce texte définit un certain nombre de principes de bonne pratique clinique et biologique : prise en charge spécifique des patients ; nécessité d’une équipe multidisciplinaire structurée comportant, au minimum, un clinicien et un biologiste de la reproduction, un clinicien spécialiste du sida, un virologue et un psychiatre ou un psychologue ; laboratoire organisé de manière adapté au risque viral.
9Parallèlement, des travaux ont démontré que la présence du virus VIH dans le liquide séminal était liée au stade d’évolution de l’infection virale. La présence de virus dans les spermatozoïdes est en revanche écartée. Aujourd’hui le risque de contamination des préparations de spermatozoïdes est extrêmement faible, voire nulle. Cette détection virale associée à la technique ICSI permet de proposer aux couples sérodifférents dont l’homme est séropositif un mode de procréation protégeant au maximum la femme et le futur enfant d’une contamination, car elle permet de séparer les spermatozoïdes des cellules non mobiles du sperme, porteuses du virus. Aujourd’hui cependant, d’autres techniques que l’ICSI sont à nouveau couramment utilisées, en particulier en raison des risques de malformations fœtales associées avec l’ICSI (Hansen et al., 2002) liées en partie au choix visuel artificiel d’un spermatozoïde par le praticien, alors qu’une « sélection naturelle » du spermatozoïde existe au cours des fécondations in vivo.
10La question de la médicalisation du projet d’enfant des couples touchés par le sida revêt une importance sociale considérable et l’on estime aujourd’hui à plus de 2000 le nombre d’enfants nés de cette prise en charge.
LA VIE DES COUPLES SÉRODIFFÉRENTS
11L’annonce de la séropositivité est depuis toujours vécue avec honte et culpabilité, ressentie comme une punition, une sentence de mort et d’exclusion. L’infection par le VIH génère toujours des productions imaginaires très fortes, l’atteinte d’une population « autre », « différente » telle que les homosexuels, les habitants des pays en voie de développement, vis.à-vis de laquelle les fantasmes agressifs et d’exclusion prolifèrent. Les pertes sont nombreuses : perte définitive de l’intégrité physique, perte de l’insouciance, perte d’idéaux. Comme dans toute pathologie chronique, la personnalité et les antécédents jouent un rôle important dans les réactions émotionnelles et dans l’adaptation du sujet à sa maladie. La souffrance psychiatrique due à l’infection est liée à l’intrication de difficultés psychologiques, voire psychiatriques et de troubles neurologiques du fait des atteintes lésionnelles cérébrales virales, réalisant alors le syndrome « cognitif et moteur associé au VIH ». Les personnes touchées par le VIH sont particulièrement à risque de perturbations psychologiques ou psychiatriques : action du virus sur le cerveau (encéphalopathies), lésions provoquées par les infections opportunistes, troubles de la personnalité, impulsivité, recours aux passages à l’acte et aux conduites à risque (toxicomanie notamment). Ces troubles sont généralement de type schizophrénique avec des épisodes paranoïdes qui généralement ne durent pas (épisodes psychotiques brefs, bouffées délirantes) (Renaud et al., 2006). Par ailleurs, les nouveaux antirétroviraux sont aussi responsables de troubles neurologiques et psychiatriques, comme des troubles du sommeil, de la concentration, vertiges, troubles de l’équilibre, anxiété, dépression et idées suicidaires avec ou sans passage à l’acte, agressivité, hallucinations, épisode maniaque ou psychotique aigu (Linart et Jacquemin, 2006). D’autres effets secondaires comme les lipodystrophies avec amaigrissement (notamment du visage) sont responsables d’une nouvelle stigmatisation des patients séropositifs. Ces effets secondaires sont parfois responsables d’interruptions de traitements.
12Les niveaux de stress, de dépression et des sentiments d’impuissance sont fréquemment élevés chez les couples dont un partenaire est contaminé. Les difficultés de la vie quotidienne sont regroupées en quatre catégories : les difficultés relationnelles et sexuelles dans le couple (la pratique safe sex impose des barrières dans l’intimité du couple dont la sexualité devient à chaque occasion un rappel de l’infection et de sa menace mortelle) ; les difficultés liées à la décision d’avoir un enfant ; la prévoyance pour l’enfant et le partenaire survivant en cas du décès d’un des conjoints ; la révélation de la séropositivité à la famille, aux amis, comme aux enfants du couple.
13La responsabilité morale qui pèse sur le conjoint non infecté est majeure, surtout lorsqu’il est le seul informé de la séropositivité et qu’il devient le principal soutien moral de la personne infectée. Cette situation est aggravée par la réticence du conjoint non malade à exprimer ses sentiments et ses difficultés personnelles. De plus, le conjoint qui apprend la séropositivité de son partenaire doit aussi faire face à la révélation du mode de sa contamination (usage de drogue ancien ou actuel, relations sexuelles extraconjugales, anciennes conduites sexuelles à risque), ce qui pose avec force la question de la confiance au sein du couple, celle de son devenir et de l’engagement de chacun dans ce projet commun.
14Chacun vit avec l’incertitude d’une menace vitale constante, la stigmatisation du diagnostic et les contraintes directes de la maladie. De nombreux sujets de conversation sont évités et chaque partenaire tend à s’isoler et à perdre contact avec les liens extérieurs, que la maladie leur soit cachée ou non. De nombreux couples se séparent du fait de la révélation de la séropositivité. En revanche, certains partenaires souhaitent devenir aussi séropositifs pour « ne pas abandonner le navire » et se rapprocher du conjoint. (Van Devanter et al., 1999 ; Cusick et Rhodes, 2000). De nombreux auteurs soulignent l’intérêt d’une prise en charge psychologique individuelle ou en groupe de ces couples, avec un abord explicite de leurs difficultés et de leurs projets d’enfants.
15Lorsque l’homme est séropositif et sa conjointe séronégative, le problème essentiel est de pouvoir obtenir une grossesse en minimisant ou même en supprimant tout risque de contamination de la femme et de l’enfant à naître. Ces couples sérodifférents vivent alors le paradoxe de devoir recourir à une assistance médicale à la procréation tout en n’étant a priori pas dans une situation d’hypofertilité ou de stérilité (malgré l’impact non négligeable du virus VIH sur la spermatogenèse). Il n’existe à notre connaissance pas de travaux concernant spécifiquement ce type de situation, bien que d’autres indications d’AMP se placent dans un tel paradoxe, comme par exemple les couples concernés par la possible transmission d’une maladie génétique.
16Trois aspects principaux les distinguent des couples infertiles. Leur inscription dans une procédure d’AMP n’est pas liée en première approximation à une infertilité, mais au risque de transmission d’une maladie grave à la fois pour la mère et pour l’enfant. Ce qui est spécifique à cette situation, contrairement aux cas de risque de transmission d’une maladie génétique grave justifiant d’un diagnostic pré-implantatoire, c’est que le risque de maladie concerne aussi la mère. Dans le cas du sida, la maladie que peut contracter la femme devenant enceinte ne guérit pas avec l’accouchement, comme dans les cas possiblement mortels pour la femme et le fœtus de l’hypertension artérielle gravidique (éclampsie) ou du diabète gestationnel. Le fait, enfin, que ce projet d’enfant par AMP, alors que le couple pourrait tenter de procréer seul au risque d’une contamination de la femme, leur interdise tout rapport non protégé, alors que les autres couples infertiles peuvent essayer de concevoir naturellement en parallèle de l’assistance médicale à la procréation. Cette interdiction de concevoir naturellement est soit imposée par le couple lui-même, soit par l’équipe d’AMP comme critère d’inclusion dans le protocole.
17Ces aspects particuliers ont comme conséquence d’accentuer le clivage bien connu en AMP entre sexualité et procréation. En outre, le contexte spécifique du Sida peut à des degrés divers venir infiltrer/surdéterminer l’ambiance de thèmes morbides, la menace de mort autour du mari concernant maintenant le fœtus et la mère. Il est également possible d’avancer que le recours à l’insémination avec le sperme du conjoint avec lavage protecteur du sperme sous-entend la reconnaissance explicite et préalable du risque de transmettre de « mauvaises choses » à son enfant, d’où une interrogation sur le destin de l’ambivalence quand l’agressivité inconsciente physiologique se voit par la force des choses, d’emblée conscientisée. Dans cette perspective, il est intéressant de voir que l’adoption semble peu investie par ces couples.
MÉTHODOLOGIE
Prise en charge en AMP des couples ont l’homme est infecté par le VIH
18Cette prise en charge est pluridisciplinaire et associe gynécologues, biologistes de la reproduction, psychologues, infectiologues, virologues, ainsi qu’hépatologues car près de la moitié des hommes sont également porteurs du virus de l’hépatite C. La phase préliminaire de la prise en charge a plusieurs objectifs : expliquer aux couples les modalités de la prise en charge, les précautions observées, la sécurité des procédures, répondre aux interrogations des couples et rappeler la nécessité d’une protection constante des rapports sexuels ; s’assurer du contrôle de l’infection de l’homme, en liaison avec le ou les médecins traitants ; évaluer le vécu de la situation par le couple, avec parfois l’aide des psychologues ; effectuer un bilan de fertilité de l’homme et de la femme.
19La décision d’entreprendre les tentatives d’AMP est prise après discussion du dossier en réunion multidisciplinaire. Le plus souvent, l’équipe a recours à une technique simple, l’insémination intra-utérine, dont les taux de succès permettent à environ deux couples sur trois d’obtenir une grossesse en six mois au plus. Dans environ un tiers des cas, il est nécessaire de recourir à la fécondation in vitro, soit en raison d’un problème de fécondité féminine (pathologie tubaire par exemple), soit en l’absence d’une quantité suffisante de spermatozoïdes pour des inséminations, soit enfin après échec des inséminations. Des tests sérologiques sont pratiqués chez la femme pendant la grossesse.
Évaluations psychologiques des couples et des bébés
20Trois évaluations psychologiques ont eu lieu pendant l’étude. Un premier entretien clinique individuel libre de l’homme et de la femme a eu lieu juste après l’inclusion dans le protocole d’assistance médicale à la procréation. Cet entretien libre était suivi d’un entretien standardisé (SCID) et d’autoquestionnaires : le Questionnaire tridimensionnel de la personnalité, TPQ (Cloninger, 1987 ; Lépine et al., 1994 ; Le Bon et al., 1998), l’Échelle d’ajustement du couple, DAS (Spanier et al., 1976). La deuxième évaluation avait lieu au cours du deuxième trimestre de la grossesse, comportant pour l’homme et pour la femme un entretien clinique libre et structuré (SCID) et pour la femme uniquement, une échelle EPDS (Cox et al., 1987 ; Guedeney et al., 1995). Le troisième entretien était un examen de l’enfant et de sa mère au sixième mois du post-partum, c’est-à-dire avant le deuxième pic de dépressions maternelles du post-partum, et au moment où les enfants nés prématurément ont normalement « rattrapé » l’éventuel retard de leur développement psychomoteur. C’est aussi la date d’évaluation souvent choisie dans la littérature (Hjelmstedt et al., 2004 ; Almeida et al., 2002). L’homme et la femme bénéficiaient d’un entretien clinique libre, d’une EPDS et de la SCID, le bébé d’un questionnaire révisé de Denver rempli par les parents (Frankenburg et al., 1992 ; Frankeburg et Dodds, 1967), d’une ADBB (Guedeney et al., 2000) et d’un Brunet-Lezine (Raoul-Duval et al., 1993).
21L’analyse statistique des données a été double, considérant la naissance de l’enfant vivant selon le temps réel de la démarche d’AMP et le temps d’exposition (nombre de tentatives plus ou moins espacées dans le temps).
22L’analyse descriptive du suivi psychologique des couples a compris une description des complications psychopathologiques, dépressives ou anxieuses chez l’homme et la femme au cours de la période d’inclusion, de la grossesse et du post-partum. Concernant les bébés, elle a évalué le développement psychomoteur global de l’enfant avec les éventuelles difficultés de parentalité du père ou de la mère.
RÉSULTATS
Les couples
— Description générale de la population
23173 couples ont été inclus entre le 1er janvier 2002 et le 31 décembre 2005. Les bébés ont été évalués jusqu’au 31 décembre 2006. 165 couples ont bénéficié d’une AMP (8 couples n’ont pas participé à l’AMP du fait soit de l’absence de production d’ovule après stimulation ovarienne, de perdus de vue, de refus). L’âge médian des femmes est de 34 ans [30 ; 37], celui des hommes de 39 ans [34 ; 42]. Le protocole a concerné des couples venant de la France entière : un tiers (31 %) habitaient en province, 4 % dans les DOM-TOM. 102 (62 %) étaient mariés. Les couples avaient entre cinq et quinze ans de vie commune (durée médiane : sept ans [4 ; 11]) et la place de chacun au cours du premier entretien semblait équilibrée. Assez fréquemment, les couples se sont fondés quand les partenaires étaient jeunes, souvent vers 20 ans. L’engagement de chaque couple dans la prévention des risques de contamination était très fort, notamment avec des rapports sexuels toujours protégés. Leur acceptation du suivi médical et des contraintes exigées par le protocole était excellente pour la grande majorité des couples. Ces efforts étaient indispensables, car les analyses de sperme ont montré une contagiosité très variable dans la journée et selon les jours, justifiant d’une abstinence totale des rapports non protégés. Parmi les couples, 33 (20 %) avaient déjà un enfant commun avant le protocole. Avant l’union du couple, 22 hommes et 7 femmes (14 % des couples) avaient déjà eu un enfant avec un autre partenaire. La séropositivité des hommes était connue depuis onze ans en moyenne (médiane, [7 ; 15]) ; depuis plus de quinze ans pour un quart des couples. Les modes de contamination les plus fréquents des hommes étaient la toxicomanie (n = 44, 27 %), et la voie sexuelle (n = 94, soit 57 %). 13 patients (8 %) ont été contaminés par transfusion sanguine et accidents d’exposition au sang. Le mode de contamination est indéterminé pour 14 patients (8 %).
24On constate que 50 % des couples ont obtenu une grossesse dans un délai de quinze mois. Certains couples ont eu recours à l’AMP sans succès pendant trois ans. 24 femmes ont eu une grossesse biologique n’aboutissant pas à la naissance d’un enfant (fausse couche spontanée précoce avant douze semaines d’aménorrhée SA). Trois d’entre elles ont obtenu un enfant. Le délai moyen entre deux tentatives d’AMP a été de deux mois (un an pour six tentatives). Le plus souvent, trois essais ont été réalisés de façon rapprochée avant un délai pour la quatrième tentative. 29 couples (33 %) ont obtenu une grossesse avec la naissance d’un enfant dès la première tentative d’AMP. 13 couples ont tenté sans succès au moins neuf fois d’obtenir une grossesse (onze fois pour deux couples, sur trois ans). Certains couples sont sortis de l’étude : 15 après la première tentative d’AMP. Certains couples sont sortis de l’étude du seul fait de la fin de celle-ci le 31 décembre 2006, mais certains poursuivent leur projet soit dans le même centre, soit ailleurs.
25On note que 32 hommes (19 %) présentaient un facteur d’infertilité, principalement une oligo-asthéno-tératospermie, qui les aurait probablement contraint à solliciter une AMP même séronégatifs. 27 femmes (16 %) présentaient des antécédents d’interruption volontaire de grossesse (IVG) dont elles gardaient parfois un souvenir très traumatisant.
— Description psychologique de la population
26— Le premier entretien
27150 couples ont été reçus au premier entretien psychologique. Parmi les 15 couples qui n’ont pas été vus au premier entretien psychologique, 9 ont donné naissance à un bébé. 33 femmes (20 %) et 23 hommes (14 %) ont des antécédents de troubles psychiatriques, en dehors des toxicomanies des hommes et des troubles de la personnalité. Dans la plupart des cas, il s’agit d’antécédents de syndromes dépressifs caractérisés, dont la plupart apparaissent réactionnels à un événement de vie stressant qui présente de près ou de loin un lien avec la mort et la sexualité (deuils, viols pendant l’adolescence, divorce, chômage, interruptions volontaires de grossesse, fausses couches, annonce de la séropositivité, d’une relation extra-conjugale, d’une maladie grave). 88 personnes ont spontanément signalé des événements de vie stressants : enfance ou adolescence difficile, divorce particulièrement mal vécu, etc.). Une seule personne (un homme) fait part d’une tentative de suicide. En dehors des syndromes dépressifs, on note trois syndromes d’anxiété chronique, un trouble obsessionnel-compulsif, un syndrome de stress post-traumatique, trois anorexies mentales anciennes et un trouble bipolaire de l’humeur (ayant justifié trois hospitalisations en psychiatrie, actuellement stabilisé) chez les femmes, et une schizophrénie stabilisée chez les hommes. Cinq personnes (1,5 % de tous les partenaires) présentent un syndrome dépressif actuel au moment de l’entretien. En dehors des troubles psychiatriques caractérisés par les critères internationaux, 10 personnes apparaissent cliniquement en grande souffrance psychique.
28L’analyse statistique a montré que, si aucun autoquestionnaire n’est lié avec le succès de l’AMP, la révélation par la femme d’un événement de vie stressant est statistiquement significativement liée avec le succès de l’AMP. De même, les antécédents de troubles psychiatriques chez les femmes tels que repérés par l’entretien structuré SCID sont statistiquement significativement liés avec le succès de l’AMP. L’analyse multivariée a montré un effet significatif de la variable « Événement de vie stressant » quand elle est ajustée à l’âge et la technique d’AMP initialement proposée. Hazard ratio de 1,821 (P = 0,0082 ; IC 95 : 1,168-2,840).
2996 hommes (58 %) connaissaient leur séropositivité VIH avant de s’engager dans la relation de couple. Dans ces cas, l’annonce au partenaire en a toujours été faite dès le début de la relation. Pour les autres, la découverte a eu lieu alors que le couple était déjà constitué (56 découvertes de séropositivité au moins un an après la formation du couple, 13 découvertes la même année). Cette information n’a pas détruit la solide relation du couple : après une période d’effondrement au moment de la découverte de l’infection, les couples sont ensuite passés par une phase où l’objectif principal était la survie de l’homme. Il fallait retrouver une vie comme tout le monde, « apprivoiser la maladie », ce qui était difficile tant les traitements sont fatigants et contraignants. En général, la relation de couple a été renforcée par la présence du virus VIH : « Cela nous a rapproché, à deux on est plus fort. » Pour la femme, la maladie est aussi un défi à relever : « Je suis différente aussi ! » De nombreuses femmes expriment l’idée de sauver, ou au moins d’accompagner leur conjoint dans ces difficultés. Pour l’homme, l’annonce de la séropositivité a revêtu la dimension d’un examen de passage : « Si ma compagne reste avec moi après l’annonce, elle peut être la femme de ma vie. » Les hommes disent souvent qu’ils arrivent à rester en bonne santé parce qu’ils sont deux à lutter contre le rejet perceptible de la société, deux à partager ce lourd secret et les difficultés du quotidien ; la plupart des couples n’en parlent qu’avec quelques amis ou famille très proche : parents ou beaux-parents, rarement les deux.
30Il s’agit d’une période où les couples se sont refermés sur eux-mêmes du fait de la peur de la réaction « des gens ». Durant cette phase, le désir d’enfant ne se manifeste pas ou reste tabou au sein du couple qui n’en parle pas. Par la suite, quand l’état de santé de l’homme s’est stabilisé, la confiance en la vie a repris et le désir d’enfant s’est verbalisé. Les choses vont alors souvent vite, tant le désir est impérieux, à la mesure du temps qui semble compté au couple. La détermination est profonde et forte. Outre la valeur de réparation, l’enfant représente toute la lutte que le couple a menée contre la maladie. C’est leur victoire sur le VIH ; c’est la force de la vie plus forte que la mort, mais tout de même, un projet de vie dans une ambiance de mort. Vouloir un enfant donne le sentiment d’être à nouveau comme tout le monde, d’être réintégré dans la communauté humaine, de sortir de l’ « isoloir de la maladie ». La perspective d’avoir un enfant grâce à l’inclusion dans le protocole met certains couples en face de leurs prochaines responsabilités parentales et les aide à arrêter leur consommation d’alcool, de tabac ou de cannabis. De même, l’inclusion aide les hommes à observer plus régulièrement leur traitement.
31Au moment où les couples ont été vus, la question de la transmission de son histoire n’est pas encore à l’ordre du jour et la grande majorité des couples (80 %) envisage de garder longtemps le secret autour du virus et du mode de conception vis-à-vis de leur proches et de n’en parler à l’enfant que « quand il pourra comprendre » : soit très tôt, « dès qu’il pourra comprendre », soit tard, « à 18 ans ». La proportion de personnes mises dans la confidence semble liée à la sérénité du couple vis-à-vis de la maladie. Le soutien familial apporté aux couples s’avère ainsi globalement assez faible. En revanche, certains couples se confient sans restriction à leur famille ou à leurs amis. Certains ont même évoqué la question à leurs premiers enfants nés hors protocole.
32Pour les couples, les démarches pour l’inclusion dans le protocole ont été vécues comme très longues, dans certains cas ces démarches ont duré deux ou trois ans, ce qui a été très difficile à vivre du fait que le temps qui passe est synonyme pour la femme d’une baisse de la fécondité et pour l’homme d’une avancée dans la maladie. Beaucoup ont exprimé la nécessité d’être soutenus pendant cette période difficile. Cependant, tous les couples ont eu le sentiment d’être favorisés du fait de pouvoir participer à ce protocole et n’auraient pas envisagé d’autres solutions pour réaliser leur projet d’enfant. Les démarches d’AMP sont éprouvantes et mal vécues, surtout quand le nombre de tentatives augmente. Les couples sont manifestement aidés par une ambiance chaleureuse à l’hôpital et la bonne organisation des services. Les femmes se sentent souvent seules dans le quotidien des démarches : nombreux déplacements, nombreuses attentes, mais la place de l’homme s’avère aussi difficile à tenir pendant le temps des tentatives. La place de l’homme semble réinvestie au moment de la grossesse.
33— Les deuxième et troisième entretiens
34Très peu de couples sont venus à l’invitation du deuxième entretien. Ce refus est aisément compréhensible du fait de l’éloignement géographique de nombreux couples, et du déplacement rendu d’autant plus difficile que la femme était alors enceinte. Les contacts téléphoniques systématiquement réalisés n’ont pas permis de noter de difficultés psychologiques particulières chez les couples. On note qu’un homme est mort de l’hépatite C contractée avant le protocole.
3543 entretiens avec parents et bébés ont été réalisés entre le début des inclusions en 2002 et le 31 décembre 2006, date de la fin du protocole. Les femmes venaient le plus souvent seules avec leur(s) bébé(s). Les personnes qui faisaient l’effort de venir exprimaient spontanément une forte gratitude envers la prise en charge qui leur a permis de concevoir leur bébé.
36Alors que les rôles et les places dans les couples semblaient assez équilibrés entre les hommes et les femmes avant la grossesse, la naissance de l’enfant semble fragiliser la position de l’homme qui se retire assez souvent dans la position d’un simple spectateur du couple mère/enfant, souvent aux prises avec d’importantes angoisses de mort : « Jusqu’à quand vais-je pouvoir le voir grandir ? » La femme dans ces couples semble prendre une place prépondérante. Dans leur grande majorité, elles ont un travail, plus fréquemment que les hommes, très gênés par l’asthénie liée aux traitements.
37La vie sexuelle des couples est généralement peu épanouie après la grossesse, comme si les partenaires des couples devenaient « de bons amis avec un enfant ». De nombreuses femmes se disent frustrées de soirées amoureuses du fait de l’asthénie de l’homme (les couchers dès 20 h sont très fréquents, en particulier du fait des traitements). Trois couples reconnaissent ne plus avoir de rapports sexuels. Certains couples évoquent une trop grande déconnexion entre la sexualité et la procréation. Aucun couple n’a explicitement exprimé de reviviscence de l’angoisse de mort inhérente au parcours de la maladie lors de la naissance de l’enfant. De même, les couples, affichant unanimement le plus grand optimisme, n’ont exprimé aucune inquiétude vis-à-vis de leur nouveau-né, ce qui témoigne peut-être d’une certaine crispation vis-à-vis d’un possible vécu intrusif de la recherche venant questionner leurs capacités parentales, ayant souligné leur incapacité à concevoir naturellement. Cependant, ces difficultés n’empêchent pas une dizaine de couples (dont les tentatives d’AMP ont été peu nombreuses, c’est-à-dire rapidement efficaces) de souhaiter un deuxième enfant dans le cadre de la prise en charge du protocole.
38Le score moyen aux 45 échelles EPDS réalisées par les mères est de 3,8, les scores variant entre 0 et 14. Cinq scores sont nuls, 39 sont entre 1 et 12 inclus et un seul supérieur à 12 (cette mère au score de 14, vue au septième mois du post-partum, était déprimée). Les mères avec un score de 12 n’étaient pas déprimées au cours de l’entretien. Le score moyen des 14 échelles EPDS remplies par les pères est de 4,6, les scores variant entre 0 et 11. Les scores entre les pères et les mères n’évoluent pas ensemble.
Les bébés
3986 accouchements ont permis la naissance de 102 bébés, dont 16 paires de jumeaux (59 garçons et 43 filles). 17 sont nés prématurément, 9 avant trente-sept semaines d’aménorrhée. On note que 5 grossesses ont été médicalement compliquées (trois diabètes gestationnels, une menace d’accouchement prématuré, un cas de saignements au cours des cinq premiers mois). Deux interruptions médicales de grossesse ont été pratiquées pour un syndrome polymalformatif et une artère ombilicale unique.
4045 bébés ont été examinés, en moyenne à l’âge de 11 mois (entre 5 et 24 mois). Les résultats des 45 Brunet-Lézine montrent un excellent développement général (Quotient de développement moyen de 99 : 82-122 ; SD = 9,5). 13 couples supplémentaires ont été contactés par téléphone. Ils disaient bien se porter et rapportaient un excellent développement de leurs bébés, à l’exception d’une paire de jumeaux (deux garçons) qui avaient à l’âge de 24 mois un Quotient de développement de 82 et 83 avec un retard de langage notable et des difficultés de régulation toniques et émotionnelles. La gémellité et les difficultés lors de l’accouchement semblent en cause. Une prise en charge pédopsychiatrique adaptée a bien sûr été organisée.
41Les résultats des 45 ADBB sont bons (0-4 ; 0,7 en moyenne). 22 bébés avaient un score de 0, tandis que 22 avaient un score entre 1 et 3 et un seul avait un score de 4.
42Les résultats des 29 tests de Denver sont homogènes entre les appréciations des pères et des mères (scores respectifs de 26,4 et de 26,7 pour un maximum de 30). Les scores varient entre 16 et 30 (moyenne globale : 26, SD = 3). Une plus grande différence entre l’évaluation de la mère et celle du père semble exister au test de Denver quand le score à l’ADBB n’est pas nul. Pour le bébé qui avait un score de 4, la différence est la pire au test de Denver : 24 pour la mère, 16 pour le père.
DISCUSSION
43La portée de cette étude est principalement limitée par l’absence de groupe contrôle et d’exhaustivité des données psychologiques aux premier et deuxième entretiens. Ainsi, sur 165 couples ayant bénéficié d’une AMP, seulement 135 ont fournis des données psychologiques exploitables aux deux questionnaires TPQ et DAS du premier entretien. Outre l’éloignement géographique de nombreux couples, on retient que le premier rendez-vous psychologique n’intervenait pas dans la décision d’inclusion dans le protocole. Cela avait été décidé pour que les couples soient les plus authentiques et naturels possibles, dégagés au maximum de la crainte que leurs difficultés psychologiques éventuelles les empêchent de bénéficier de la prise en charge. Cette crainte n’a pas été totalement levée : une femme par exemple n’a révélé ses trois hospitalisations en psychiatrie pour troubles bipolaires de l’humeur qu’au cours du deuxième entretien. En ce qui concerne les 86 fratries nées, seulement 45 (51 %) ont été examinées. L’éloignement géographique est la raison la plus fréquemment invoquée par les couples pour expliquer l’absence de déplacement avec leur bébé de 6 mois. 13 couples ont été contactés par téléphone. Quelques couples avaient déménagés sans laisser d’adresse. Un couple a refusé le contact.
44Aucune séroconversion n’a été notée au cours de la réalisation de cette étude, ce qui montre le succès des critères d’inclusion et des techniques de préparation du sperme au cours de l’assistance médicale à la procréation dans cette population. Cette prise en charge a permis de satisfaire le projet d’enfant de 52 % des couples de notre échantillon. Les évaluations des bébés montrent des nourrissons en bonne santé et très chaleureusement investis par leurs parents. Ces résultats montrent le succès de cette étude, malgré les réserves qui pouvaient être formulées. Cet échantillon partiel et dont le suivi est très limité dans le temps va dans le sens du devenir psychoaffectif rassurant des enfants issus de l’AMP (Almeida et al., 2002 ; Guibert et Olivennes, 2004 ; Lazaratou et Golse, 2006). Une paire de jumeaux présentait un retard psychomoteur et de langage. Les troubles ne sont pas imputables au protocole et une prise en charge adaptée a été mise en place.
45D’un point de vue psychologique, les entretiens cliniques des couples, les données de l’entretien semi-structuré SCID et les données issues des questionnaires TPQ et DAS montrent que les couples pris en charge dans cette étude ne présentaient pas, au cours de leur inclusion, de troubles psychopathologiques particuliers comparativement à la population générale et aux personnes sollicitant une AMP (Goeb et al., 2006) : en effet, seulement trois (1,5 %) personnes évaluées présentaient un diagnostic psychiatrique actuel (en l’occurrence un trouble dépressif). Les scores à la DAS sont élevés, ce qui témoigne d’une bonne entente dans le couple, ce qui est cohérent avec l’exigence d’une vie commune de deux ans avant l’inclusion.
46La valeur de la dimension « Évitement du danger » (HA) de la population totale de BINECO, des femmes et, dans une moindre mesure, des hommes, est faible en comparaison des études de Cloninger et al., Le Bon et al. et de Lépine et al. Cette différence est surtout marquée par rapport à l’étude de Lépine et al. dont la population était essentiellement une population de patients anxio-déprimés. La littérature (Lépine et al., 1994 ; Pélissolo et Corruble, 2002) montre que la dimension « Évitement du danger » est significativement corrélée au score total de l’échelle Hamilton Anxiety Depression (HAD), de même qu’aux deux sous-scores « Anxiété » et « Dépression ». Cela semble confirmer l’existence d’une interdépendance entre certaines dimensions de la personnalité mesurées par le TPQ et la symptomatologie anxieuse et dépressive. On peut expliquer ce score bas, reflétant un plus faible évitement du danger, par certaines caractéristiques de notre population : nombreuses conduites à risque prises par les hommes (sexualité non protégée, toxicomanies) et souhait ferme des femmes d’accompagner leur conjoint et d’affronter le risque (très mesuré) d’une contamination pris pour leur projet d’enfant. Il est remarquable que seule cette dimension diffère au sein de la population que nous avons étudiée.
47La revue de Pélissolo et Corruble (2002) montre que les patients ayant souffert de troubles dépressifs, même non déprimés, présentent des scores très élevés à la dimension « Évitement du danger ». Nous nous appuyons sur cette donnée pour penser que le score bas de cette dimension dans notre échantillon est cohérent avec le faible nombre de patients déprimés repérés cliniquement lors du premier entretien. Ce faible nombre ne semble donc pas être dû à un mauvais repérage clinique (faux négatifs). On remarque que les 25 patients hospitalisés pour brûlures importantes de Franulic et al. (1996) présentaient des scores élevés à cette dimension d’ « Évitement du danger ». En revanche, les 24 patients souffrant d’un syndrome de Cushing (Sonino et al., 2006) ne présentaient pas de scores différents du groupe de 24 témoins de cette étude.
48Les données issues de la DAS montrent que les couples inclus sont globalement très soudés, ce qui était une exigence du protocole (critère légal d’AMP : mariage ou vie commune depuis au moins deux ans). Tous les scores et sous-scores sont même un peu plus élevés que ceux de l’étude de Spanier et al.
49Les données cliniques issues des entretiens libres à un an environ de l’accouchement montrent une dynamique conjugale parfois difficile pour l’homme qui peine alors à trouver pleinement sa place dans sa nouvelle famille. Ces données cliniques plaident pour la proposition d’un suivi psychologique régulier et prolongé pour ces couples confrontés, plus particulièrement que les autres, à une sexualité évoquant, dans le fantasme et la réalité, la vie et la mort.
50L’analyse univariée montre, selon les deux méthodes utilisées (temps réel et temps d’exposition), un lien très net entre les antécédents psychiatriques et les antécédents de vie stressants et la réalisation du projet d’enfant (dans le sens d’une facilitation de ce projet en cas d’antécédents psychiatriques et d’événements de vie stressants). On remarque que ces données proviennent exclusivement des entretiens cliniques et non des autoquestionnaires, soulignant l’importance et l’intérêt de la proximité entre les couples et le psychologue offerte par le contexte de l’entretien clinique.
51Ces résultats suggèrent que le projet d’enfant de ces couples semble bel et bien représenter pour eux une revanche sur la vie difficile qu’ils ont vécue, avant la rencontre et l’union, puis du fait de cette vie de couple si particulière. Ainsi, les hommes et les femmes de cette population, si peu déprimés et si enthousiastes, semblent pouvoir être qualifiés d’aventuriers battant et audacieux. Cette hypothèse de compréhension de la dynamique de ces femmes peut aussi rendre compte des difficultés que les hommes éprouvent à prendre leur place dans la famille.
CONCLUSION
52Cette étude montre que l’AMP chez les couples sérodifférents VIH permet à environ la moitié de ces couples de réaliser leur projet d’enfant en dehors de tout risque viral. Cette prise en charge est à notre époque un progrès majeur à encourager pour aider ces couples dans leurs projets de vie à long terme, dans leur projet parental en particulier.
53Il serait du plus grand intérêt de comparer la dynamique psychologique décrite dans notre étude avec celle d’autres populations, notamment d’une part les couples sérodifférents où l’homme est seul séropositif, mais qui choisissent de prendre le risque (qui reste très dangereux) d’avoir des rapports sexuels « ciblés » dans le but d’éviter les contraintes médicales et psychologiques de l’AMP. Il est possible que leur dimension d’ « Évitement du danger » soit encore plus grande. Les couples dont la femme est seule séropositive qui entreprennent une démarche d’AMP (FIV et ICSI uniquement dans ce contexte) sont également une population dont le projet d’enfant est à décrire.
Notes
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[1]
Cette étude a fait l’objet d’une thèse d’université (Paris VII) réalisée dans le cadre du PHRC multicentrique BINECO « Évaluation d’une stratégie de prise en charge par assistance médicale à la procréation (AMP) du projet parental de couples dont l’homme est séropositif pour le VIH », Pr Pierre Jouannet, avec la promotion de la Direction régionale de la recherche clinique de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris.
Remerciements: Pr Danièle Brun (Université Paris VII), Pr Pierre Delion (Université Lille 2), Pr Jean-Marc Baleyte (Université de Basse-Normandie). -
[2]
Praticien hospitalier, Service de pédopsychiatrie (Pr Pierre Delion), Centre hospitalier universitaire, rue André-Verhaeghe, 59037 Lille.
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[3]
Psychologue, Service de pédopsychiatrie (Pr Bernard Golse), Hôpital Necker - Enfants malades, AP-HP, Paris.
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[4]
Psychologue, CMP de l’École des parents, 164, bd Voltaire, 75011 Paris.
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[5]
Praticien hospitalier, Maternité de Port-Royal, AP-HP, Paris.
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[6]
Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, praticien hospitalier, chef du service de pédopsychiatrie, hôpital Bichat, AP-HP, Paris.
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[7]
Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef du service de biostatistiques, hôpital Cochin Port-Royal, Paris.
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[8]
Maitre de conférences des Universités, praticien hospitalier, CECOS, Laboratoire de biologie de la reproduction humaine, hôpital Cochin Port-Royal, AP-HP, Paris.
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[9]
Professeur des Universités, praticien hospitalier, CECOS, Laboratoire de biologie de la reproduction humaine, hôpital Cochin Port-Royal, AP-HP, Paris.
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[10]
Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, praticien hospitalier, chef du service de pédopsychiatrie, hôpital Necker - Enfants malades, AP-HP, Paris.