1Pourquoi traduire en français et publier dans La Psychiatrie de l’enfant le travail de John Bowlby écrit en 1943 : “ Quarante-quatre jeunes voleurs : leur personnalité et leur vie familiale ” ? J’ai souhaité le publier, grâce à l’Association de promotion de la recherche sur l’attachement (APRA), du fait de son caractère actuel et novateur concernant la méthode et la notion d’attachement. Je crois en effet que le travail de Bowlby ouvre, au milieu de la Seconde Guerre mondiale, la psychiatrie moderne de l’enfant. En effet, il traite une question clinique, celle du vol chez l’enfant, et ce de plusieurs points de vue : celui des troubles mentaux, tels que la classification diagnostique de l’époque les reconnaissait, mais aussi celui de la psychopathologie sous-jacente à ces symptômes ou à ces troubles.
2Bowlby rassemble 44 jeunes voleurs et décrit combien cet élément clinique fait partie de tableaux divers : enfant normal et symptôme transitoire, pris dans le développement ; signe d’un trouble (anxiété, dépression, difficulté cognitive, psychose). Il reçoit en psychanalyste chacun de ces enfants, puis demande à une assistante sociale de retracer l’histoire familiale. Des épreuves de niveau intellectuel sont pratiquées, avec un test validé. Bowlby tente une analyse génétique sous un angle bien éloigné de celui de Heuyer en France à l’époque, en essayant d’explorer cette dimension du point de vue clinique. Il isole un sous-groupe d’enfants qu’il appelle les Affectionsless Thieves, les voleurs dépourvus d’affect, chez lesquels les séparations précoces ont été multiples et durables, avec souvent l’exposition à la violence intrafamiliale. Et c’est le premier (et peut-être pas le dernier) article publié dans le célèbre International Journal of Psychoanalysis qui fasse apparaître un test de Khi-2, lequel montre que la différence entre le groupe des Affectionless et les autres est statistiquement significative.
3Toute la méthode de Bowlby est là : un fait clinique, examiné sous divers angles, pour en préciser la psychopathologie, mais assis sur une méthode de recherche clinique rigoureuse. En effet, Bowlby décrit sa méthode et nous permet de comprendre comment il arrive à ce résultat. Et il étaye sa description de vignettes cliniques, concises, et parfois pathétiques. C’est en cela qu’il marque une nouvelle façon de faire, et un retour à la clinique étayée par les faits, qui était celle, entre autres, de Marçé, de Baillarger en France au milieu du XIXe siècle, dans la haute époque de la clinique psychiatrique française. C’est la pédopsychiatrie Evidence based avant la lettre.
4C’est un article capital du point de vue de l’attachement car il découvre les applications cliniques de la théorie alors encore dans les limbes. Les travaux récents confirment l’intuition de Bowlby : l’attachement insécure, et en particulier l’attachement désorganisé sont des éléments importants de la psychopathologie des troubles des conduites. En cela, il est essentiel que le lecteur francophone puisse avoir accès à ce texte fondateur.