CAIRN.INFO : Matières à réflexion

AVANT-PROPOS CLINIQUE

Adolescence et sollicitation du développement précoce

Le double ancrage corporel et relationnel des processus précoces de symbolisation

1Pour accéder à une identité propre, le bébé a besoin de se séparer de sa mère avec laquelle il est originellement fusionné. Pour gérer cette première séparation (dans le cadre d’une différenciation progressive entre sujet et objet) et pour se défendre du débordement d’excitations dont il est alors l’objet, le bébé a recours aux processus de représentation et de symbolisation. La fonction défensive de ces processus est manifeste, même si elle est diversement décrite par les auteurs dont B. Golse (1999 a) fait la revue :

2« Ainsi, schématiquement, pour S. Freud, la constitution des images internes a pour fonction essentielle de lutter contre l’absence et de maîtriser les angoisses de perte ; pour E. Jones, l’activité de pensée a pour objectif central de doter le monde extérieur de quelque chose qui vient du self afin de rendre ce monde externe plus familier et plus compréhensible ; pour M. Klein, enfin, l’accès à la position dépressive et le travail de deuil et les processus de symbolisation qui en découlent font face au fantasme de rétorsion de la part de l’objet primaire, partiel, parfois considéré comme l’union bouche-sein que l’enfant ressentait comme fusionné » (Milner, 1990).

3Cette activité de représentance serait partie prenante du système de pare-excitation et permettrait une confrontation progressive avec l’objet, l’appareil psychique du bébé ne pouvant travailler, selon S. Freud, que sur de petites quantités d’énergie.

4La dimension interactive de ces processus de séparation-individuation s’intègre bien, ici, d’après B. Golse, « dans un mouvement qui nécessite conjointement un travail d’invention symbolique de la part du sujet (dont rend bien compte le concept winnicottien d’objet transitionnel) et des caractéristiques particulières de l’objet lui-même quant à sa propre séparabilité (caractéristiques bien illustrées par le concept d’objet malléable de M. Milner) ». Cette dimension interactive est aussi illustrée par les travaux de D. Stern (1989) sur l’accordage affectif, où la mère et l’enfant se font part de leurs affects en écho l’un à l’autre dans un style interactif propre à la dyade.

5Ce premier détour par l’autre, ici par le psychisme de la mère, est nécessaire, dans un premier temps, pour que le bébé pense, puis qu’il se pense pensant. Selon B. Golse (1999 a), la coopération entre la création symbolique du sujet et la séparabilité de l’objet permet l’instauration progressive d’un gradient de différenciation entre l’objet et le sujet grâce à la mise en place de l’objet interne. L’activité de symbolisation aurait au fond pour mission de réparer la discontinuité par rapport aux objets externes par la continuité du lien avec les objets internes. La double tâche qui incombe au nouveau-né est ainsi de créer des liens avec un objet dont il a, par conséquent, conscience de la séparation, et de maintenir ces liens dans une continuité acceptable. Les liens seront maintenus avec les objets extérieurs par les activités de symbolisation, notamment par le langage, tandis que les liens avec les objets internes seront constitués par les activités de représentation.

6Dès ces stades les plus précoces centrés sur les processus de séparation-individuation, la question de la sexualité se pose déjà à l’enfant au travers, notamment, des signifiants énigmatiques décrits par J. Laplanche (1987), dans la suite des propositions de S. Ferenczi (1932). Pour J. Laplanche, toute situation qui confronte le sujet à des signifiants énigmatiques (c’est-à-dire face auxquels il est démuni et passif car incapable de les traduire ou de les métaboliser) se situe dans le champ d’une séduction généralisée (Laplanche, 1986) selon laquelle la séduction précoce n’est pas tant paternelle que maternelle puisqu’elle est nécessairement véhiculée par les soins corporels prodigués à l’enfant. Originaires et traumatiques, ces signifiants, énigmatiques, verbaux ou non verbaux, sont imprégnés de significations sexuelles inconscientes et font choc, car ils manifestent la présence de l’inconscient parental. Dans les messages qu’elle émet, et particulièrement au travers des soins corporels, la mère fait passer, à son insu, des messages sexuels qui débordent l’enfant. Comment méconnaître, souligne J. Laplanche, par exemple, que le sein qui allaite est également un organe hautement érotisé : qu’elle le veuille ou non, qu’elle en soit consciente ou non, cette dimension sexuelle va infiltrer la relation qu’elle imagine purement alimentaire entre elle et le bébé qu’elle allaite : « Peut-on supposer que cet investissement “pervers” n’est pas aperçu, soupçonné, par le nourrisson, comme source de cet obscur questionnement : Que me veut-il ? Que me veut ce sein qui me nourrit mais aussi qui m’excite ? Qui m’excite à s’exciter ? Que veut-il me dire, qu’il ne sait pas lui-même ? » (Laplanche, 1984, 1986).

7Pour diverses raisons, il semble qu’au cours des processus autistiques le psychisme du bébé soit tellement débordé, submergé, qu’il existe une lutte active de la part du sujet pour ne pas reconnaître la séparabilité de l’objet et ce gradient que nous évoquions plus haut entre sujet et objet (Houzel, 1991). Pour l’enfant autiste, il s’agit en somme de continuer à ne faire qu’un avec sa mère en déniant tout ce qui viendrait marquer sa séparabilité. Tout ce qui vient s’interposer entre le bébé et sa mère est ainsi activement rejeté. C’est particulièrement le cas des activités de représentation qui, en rendant psychiquement présent ce qui est concrètement absent, constatent cette séparabilité rejetée et établissent donc une distanciation insupportable avec l’objet. La principale défense psychique de l’enfant autiste va donc être de lutter contre sa propre pensée en dégradant le sens en bruit (Hochmann, 1997).

8À l’adolescence, la réactivation de la sexualité, génitale cette fois, peut représenter un deuxième temps traumatique, parfois responsable de décompensations psychopathologiques graves : dans la relation à l’autre-sexualisé par le nouvel éprouvé de la complémentarité des sexes (Gutton, 1991), se réactivent les questions touchant à la séparation et à la séparabilité de l’objet. Peut-être pouvons-nous faire ici l’hypothèse que le premier temps de ce traumatisme, c’est précisément le trop (vécu comme tel par cet enfant précis) de signifiants énigmatiques de cette première sexualité au sein de la relation avec la mère qui submerge le psychisme du bébé. La surcharge sexuelle excitante pour l’enfant est normalement refoulée par lui sous forme de restes intraduisibles, de fueros, « objets-sources » de la pulsion, venant meubler, selon J. Laplanche (1986), l’inconscient primordial du sujet. Selon l’auteur (1984), ce premier temps traumatique est celui de l’effroi qui confronte un sujet non préparé à une action sexuelle hautement significative, mais dont il ne peut assimiler la signification.

9Au cours des processus autistiques, ou plus généralement psychotiques, l’intensité de l’effroi fait que ces signifiants énigmatiques ne sont pas refoulés, mais simplement ignorés, contournés. Avec la sexualisation des liens, l’adolescence va venir expliciter et réactiver cette sexualité première, dont le souvenir, empreint du travail de séparation psychique exigé du nourrisson, devient traumatisant dans l’après-coup. Cela réactive d’autant la nécessité de lutter contre tout ce qui viendrait évoquer une possible différenciation entre sujet et objet, obligeant ces sujets à de nouvelles constructions défensives pour renforcer ce déni.

10En grandissant, certains des bébés menacés d’évolution autistique vont néanmoins parvenir à accéder à une certaine capacité de représentation et de symbolisation, ce qui va se traduire notamment par l’acquisition d’un langage. Cette capacité de représentation et de symbolisation peut donner l’illusion de l’acquisition d’un certain degré de séparation, mais elle apparaît souvent davantage témoin d’un QI élevé que d’un engagement relationnel authentique, comme en témoigne le fait qu’elle requiert de la part de l’enfant « autiste cicatrisé » un surinvestissement intellectuel des domaines de la vie autres qu’affectifs et relationnels, surtout pas relationnels, en tout cas jamais sexualisés. Il nous semble que ces domaines sont clivés de toute source libidinale, réifiés, désaffectivés, dégradés sous une forme purement opératoire. Ces hypothèses posent d’ailleurs la question des performances paradoxales rencontrées chez certains enfants présentant un autisme, un syndrome d’Asperger ou une dysharmonie psychotique (ou MDD, selon Tordjman et al., 1997). Elles posent aussi la question des « surdons » intellectuels ou artistiques de certains enfants dont on peut faire l’hypothèse, avec A. Green (1988) et D. W. Winnicott (1952), qu’ils viennent tenter de cicatriser une blessure grave de leur intégrité psychique et de leurs capacités de représentation et de symbolisation. Ici, l’hyperinvestissement d’une certaine forme froide et rationnelle de pensée viendrait en fait lutter contre la pensée chaude et affectivée où l’auto-érotisme est présent (et avec lui l’investissement de l’objet), où la libido, source de vie, circule entre les partenaires, et aussi entre les différentes représentations mentales du sujet, sans excès de clivage intrapsychique.

11On conçoit alors facilement que cette cicatrice superficielle puisse venir à « lâcher » en cas de trop forte mise à l’épreuve à l’adolescence.

Les enfants surdoués, le devenir à l’adolescence de certains talents précoces

12La question des dons exceptionnels ou des talents artistiques de l’enfance est un vaste sujet d’études. Dans un travail de synthèse, H. Wiener (1997) aborde le sujet de certains enfants surdoués dont la psychopathologie sous-jacente (souvent d’ordre autistique) serait masquée par le don ou le talent de l’enfant. Ce refuge dans le surinvestissement, scolaire ou artistique, pourrait être alors une tentative de réponse à une menace de décompensation d’ordre psychotique. Cette thèse a été développée par D. W. Winnicott (1965) au sujet de bébés dont la mère a été très tôt défaillante et dont « la pensée devient un substitut des soins maternels et de l’adaptation de la mère ».

13On constate souvent un désinvestissement de ce talent au moment de l’adolescence. H. Wiener ne mentionne pas le devenir de ces enfants initialement doués qui délaissent leurs aptitudes exceptionnelles. Une des raisons peut être qu’ils sont souvent perdus de vue du fait de la perte de leur « attrait » sensationnel.

14Que peut-il se passer alors ? Dans les cas pathologiques, à cette période qui suit l’âge bête de la préadolescence (vers 10-12 ans), le « cache-sexe » (selon la formule de P. Denis, 2001) des dons ou des talents de l’enfant, opérant jusqu’alors, devient « trop petit », « dépassé » pourrait-on dire. Tombé en désuétude, désinvesti, il ne suffit plus à mettre à distance le pulsionnel qui était jusqu’ici contenu avec peine. L’adolescent devant abandonner son statut de grand bébé « dévoile » alors l’étendue de sa souffrance sous la forme d’une décompensation psychique grave. Il apparaît ainsi que cette tentative de cicatrisation qui avait donné le change et empêché ou cicatrisé la décompensation psychotique précoce, soit incapable de prémunir l’adolescent d’une décompensation schizophrénique. Si l’enfant avait réussi à surmonter une partie de ses difficultés de représentation, il est incapable, aujourd’hui adolescent, de surmonter ses difficultés de symbolisation, d’intégrer les processus adolescents, de faire du lien avec un autre dont l’identité sexuée vient lui rappeler l’irréductible différence.

Adolescence et remaniement de la sexualité infantile

15Au cours de la première enfance et jusqu’à la période des conflits œdipiens, l’impact psychique lié aux enjeux des pulsions sexuelles est travaillé par l’enfant en lien avec son environnement maternel et paternel. La sexualité infantile s’organise en trois stades, identiques, selon S. Freud, pour le garçon comme pour la fille (1905). Cette position est reprise par D. Meltzer (1972) : « Pendant l’enfance, l’organe génital est alors seulement l’organe mâle, ou, plus exactement, le pénis, l’organe féminin n’a pas encore été découvert. » Le stade phallique consistera en le désir du pénis du père et en la jalousie de sa relation sexuelle. Selon plusieurs auteurs récents (Ouvry, 2000 ; Shaeffer, 2000), il est implicitement assigné à la puberté la charge d’instituer un élément différenciateur des sexualités masculine et féminine, ces auteurs avançant l’hypothèse que le mouvement pubertaire se caractériserait par l’introduction de ce qui manque à la sexualité infantile, à savoir « le Féminin » qui sort la différence sexuelle de sa référence binaire exclusive au phallus.

16Une hypothèse séduisante serait qu’en tant que porteur de cette différenciation et donc de séparation potentielle, le désir du pénis n’est pas représentable pour les enfants psychotiques ou ceux dont les aménagements compensatoires sont trop fragiles. Dans nos deux premières observations, nous verrons l’illustration de cette non-représentation au niveau de l’écriture de certaines lettres dont nous faisons l’hypothèse qu’elles apparaissent, ou plutôt qu’elles s’imposent comme « sexuées » (les R pour Aurore, les Y et les H pour Marc) pour ces enfants qui ne peuvent pas « s’en décoller », les utiliser en tant que symboles. On remarque que ces difficultés n’ont rien à voir avec la classique différence de jambage entre le m et le n.

17La mise en veilleuse des pulsions sexuelles à la période de latence au profit des pulsions épistémophiliques (également sexuelles, mais dont le but et l’expression sont différents) est ensuite propice aux apprentissages, à un certain accès au savoir. À la fin de la latence, il apparaît que la dynamique en jeu chez le préadolescent ressemble à celle qui était en œuvre au début de la vie ; ainsi S. Freud (1913) avançait-il (dans la séquence auto-érotisme, narcissisme, homosexualité, choix d’objet) que « trouver l’objet sexuel n’est, en somme, que le retrouver ».

18Nous verrons que « retrouver » cet objet ne va pas de soi : ou la menace est trop grande (observations d’Antoine et de Sylvain), ou la recherche de l’objet est prise au pied de la lettre (observations d’Aurore et de Marc), sans déplacement.

La créativité à l’adolescence : la complémentarité des sexes comme nouveau détour par l’autre

19Au-delà des considérations psychosociologiques la concernant, l’adolescence est un moment de réorganisation psychique liée à l’irruption de la génitalité et des déséquilibres narcissico-objectaux qui en résultent. Elle constitue le deuxième temps du développement de la sexualité humaine, tant du point de vue psychique que physique. Rappelons tout d’abord l’intensité et la rapidité des transformations corporelles subies par l’adolescent et leurs répercussions psychiques classiquement discutées. L’adolescence est un coup aux effets irréversibles avec à son origine l’éprouvé de la différence des sexes et donc de l’incomplétude foncière du génital. Cette reconnaissance de la complémentarité des sexes amène le sujet à se repositionner dans sa relation à lui-même et aux autres. Elle fait du détour par l’autre un passage obligé dans le processus de subjectivation en relation avec un autre (Kestemberg, 1962) cette fois reconnu comme individu sexué et complémentaire. C’est ce que Ph. Gutton nomme Le pubertaire (1991), version psychique de la puberté physiologique, dans une perspective ouverte par P. Mâle (1980) et par M. et E. Laufer (1984). L’autre s’impose donc tandis que l’impuissance de l’enfant cède la place aux nouvelles capacités de l’adolescent dont se réactualise la problématique œdipienne mise en latence depuis la fin de la petite enfance. Cette réactivation n’est pas une simple répétition : le sujet a maintenant les moyens physiques de transgresser les interdits œdipiens et de permettre la réalisation effective des pulsions, dont ne le protège plus ni la contenance parentale ni le principe de réalité (Ph. Gutton, 1990).

20La valeur potentiellement traumatique de l’adolescence vient aussi du fait de la mobilisation psychique réclamée par l’exigence du réaménagement des différents liens que l’adolescent entretenait avec son environnement avec, en particulier, la nécessité de renoncer aux objets infantiles soudainement sexualisés et donc menaçants, obligeant à la séparation avec pour conséquence la nécessité de trouver un nouvel équilibre entre l’investissement objectal et la sauvegarde du narcissisme (Jeammet, 1990).

21L’adolescent traverse cette période en s’appuyant sur les moyens que lui donnent ses capacités adolescentes particulières d’avoir recours à un « espace psychique élargi » (Jeammet, 1980) en traitant par la réalité externe une conflictualité qui ne peut se traiter totalement dans son monde interne. Cet « espace » est constitué de tous ceux à qui l’adolescent abandonne inconsciemment telle ou telle partie de ses instances à tel ou tel moment de son adolescence. L’objet est alors chargé d’un rôle supplétif et assure une « circulation psychique extracorporelle », selon la formule de Ph. Jeammet, lequel fait remarquer que l’on mesure l’ampleur du rôle de cet objet devant les catastrophes que provoque une rupture brutale de la relation avec lui.

22Toutefois, dans un certain nombre de cas, cette métamorphose s’accompagne de manifestations dans le domaine de la pathologie lorsque ces moyens, ordinaires à l’adolescence, sont dépassés. Ainsi, un déséquilibre narcissico-objectal trop important menace-t-il directement le sentiment de continuité d’être du sujet lorsque l’investissement de l’objet constitue une hémorragie pour l’investissement de soi.

23Selon A. Braconnier (1987), l’adolescent a schématiquement devant lui plusieurs manières de réagir dans le registre du pathologique : 1 / la fuite (dépression vraie) ; 2 / la haine et la lutte contre la mentalisation de la séparation par la mise en actes (registres psychopathiques où l’adolescent attaque l’objet qui l’humilie justement parce qu’il l’aime : attaque directe par l’agression ou indirecte à travers des conduites à risques au rang desquelles les dépendances aux toxiques) (Botbol, 1999) ; 3 / le refus de ces transformations comme dans les arrêts du développement décrits par E. et M. Laufer (1984), parmi lesquels : les « épisodes psychotiques » où domine la destructivité du corps en général ; le « fonctionnement psychotique » où la destructivité concerne plus spécifiquement le corps sexué, le corps prégénital étant préservé ; la « psychose » où la rupture avec la réalité est complète, de même que le désinvestissement du corps et des objets internes, psychiquement détruits, tandis que la néo-réalité délirante vient remplir le vide ainsi créé en figurant les tendances œdipiennes et incestueuses qui n’ont pas pu s’élaborer psychiquement.

24Dans ces conditions, le corps va être, à partir de la puberté, le mode d’expression privilégié de la psychopathologie. Sa mise en jeu compulsive va avoir, selon Laufer, pour « fonction essentielle de détruire l’adolescent comme sujet homme ou femme avec sa sexualité adulte. Le but inconscient est de perpétuer une relation à soi-même et à son corps qui ne soit ni sexuelle ni incestueuse », voire, selon M. Botbol et al. (2001) : « qui ne soit pas sexuelle pour ne pas être incestueuse ».

25La séparation s’impose donc comme une conséquence normale du pubertaire et de la réactivation pulsionnelle qui l’accompagne. Pour répondre à cette exigence de séparation, l’adolescent fait appel à toutes les ressources acquises antérieurement. Parmi ces ressources, il faut notamment faire une place aux « modèles internes opérants » d’attachement dont il a usé depuis sa petite enfance (Botbol, 2000, 2001). Ces modèles internes sont à la base de patterns d’attachement qui sont plus que l’ensemble de conduites comportementales classiquement décrites puisqu’ils sont aussi des représentations mentales du bébé sur les « manières d’être avec l’autre » (Golse, 1999 ; Wildlöcher, 2000).

Adolescence et psychoses

Adolescence et schizophrénie

26Facteurs biologiques

27Même si les aspects d’ordre biologiques ou organiques sont en dehors de notre propos, il importe de signaler ici le remaniement de l’architecture neuronale au cours de la puberté, et notamment du phénomène d’élagage (pruning) de certaines connections synaptiques. Cette réorganisation peut révéler une vulnérabilité cérébrale préexistante conduisant, au cours de l’adolescence, à une décompensation clinique sous une forme schizophrénique.

28Facteurs psychopathologiques

29Comme nous l’avons dit plus haut, l’adolescence est la source d’un déséquilibre narcissico-objectal qui crée les conditions d’un antagonisme entre investissement narcissique et investissement d’objet. S’il est trop important, cet antagonisme menace directement le sentiment de continuité d’être du sujet, l’investissement de l’objet constituant, selon Ph. Jeammet (1980), « une hémorragie pour l’investissement de soi ». Cela met l’adolescent face à une intensification de ses besoins pour l’objet de la réalité externe et donc à une vulnérabilité accrue à la relation à l’autre dont la sexualisation accroît le risque potentiel d’abandon et de dépendance mais aussi, ici, d’intrusion. Le désinvestissement psychotique du lien peut alors devenir, selon Ph. Jeammet (1998), « l’ultime défense narcissique d’un moi submergé et menacé d’un vécu de rédition totale à l’objet dont le syndrome d’influence et l’automatisme mental sont l’expression la plus complète ». Ainsi, selon Ph. Jeammet (1984), l’adolescence et la postadolescence représentent le moment d’élection des décompensations psychotiques et des organisations psychotiques de la personnalité, avec l’idée d’une « conjoncture psychotigène ». « L’adolescence est traumatique car elle implique pour le moi une exigence de travail afin de contenir, de donner sens et d’organiser les transformations qui affectent l’adolescent. L’adolescence fonctionne comme un formidable processus de déliaison et de risque de rupture dans le sentiment de continuité de soi. » Ce risque de schizophrénie est d’autant plus grand quand le processus adolescent vient mettre à l’épreuve les mécanismes compensatoires amputants mis en place dans la première enfance pour lutter contre une insécurité relationnelle, une angoisse inélaborable autrement et des représentations précocement menaçantes. L’adolescence constitue là un révélateur potentiel de ce qui demeure de vulnérabilité antérieure (Jeammet, 1990).

Adolescence, sexualité et psychoses

30Pour beaucoup de patients schizophrènes, la sexualité constitue une véritable persécution. Ainsi, pour J. Laplanche (1999), les zones érogènes sont liées dans la psychose à des représentations psychiques dures, d’intrusion, de violence ou de dépeçage (fusion ou morcellement, cannibalisme, vampirisation, destruction, rencontre léthale) ou, en négatif, de trou ou de gouffre aspirant. Leur sollicitation génère de l’angoisse, angoisse d’effraction d’un corps non suffisamment clos sur soi, en rapport avec un moi mal délimité. Pour M. Klein (1968 b), la sexualité s’impose très vite dans la psychose comme une zone de conflit extrême, porteuse de terreur, de mort, dont le sujet aura tendance à se protéger.

31A. Green (1997) défend l’idée que, dans la schizophrénie, l’orgasme prend « la place d’un cataclysme plus qu’une extase » en relation avec des manifestations se déroulant lors des premières étapes du développement. Dans la série du déplaisir, l’auteur évoque la douleur psychique, la menace d’annihilation de M. Klein ; la terreur et la catastrophe de W. Bion ; les souffrances martyrisantes, les supplices et la crainte d’effondrement de D. Winnicott.

32Pour P. Aulagnier (1975), à l’aube de la vie sexuelle, l’adolescent schizophrène

33« ne se trouve pas devant un interdit portant sur tel ou tel objet (névrose), mais un interdit d’occuper une position de désirant. [...] La fonction parentale lui est impossible [...] il n’a d’autre place que celle d’un non-changement. [...] Tout changement n’est alors pas perçu comme le signe d’une évolution naturelle et souhaitable, mais comme une transgression massive vis-à-vis d’un archétype immuable ».

34Louis Lambert, dans l’œuvre de Balzac qui porte son nom, est un adolescent dont la psychose s’est décompensée lors de la rencontre avec la réalité de la sexualité dans le couple. Balzac, selon R. Abellio dans la préface de l’ouvrage, y « dénonce la conscience comme destructrice de la vie et qui fait de la connaissance, poussée “trop loin”, l’antichambre du cabanon ». Enfant, Louis Lambert était surdoué et isolé, doté d’une mémoire prodigieuse. Adolescent « comme une femme », il semblait hanté par la pénétration des mystères du langage, croyant à l’amour comme à une union des âmes. « Après avoir passé des choses à leur expression pure, des mots à leur substance idéale, de cette substance à des principes ; après avoir tout abstrait, il aspirait pour vivre, à d’autres créations intellectuelles ». « En province, où les idées se raréfient, un homme plein de pensées neuves et dominé par un système, comme l’était Louis, pouvait passer au moins pour un original. Son langage devait surprendre d’autant plus qu’il parlait plus rarement. » La veille de son mariage, il fut saisi d’un accès de catatonie puis tomba dans un accès de terreur et fut surpris « au moment où il allait pratiquer sur lui-même l’opération à laquelle Origène crut devoir son talent ».

35Cette identité menacée, cette confusion entre le sentiment d’exister et la menace de mort est la conséquence du déni de la réalité de l’autre. Pour F. Pasche (1969), le phénomène basal chez le schizophrène serait « l’impression de se vider de sa force vitale, d’être vampirisé : on lui vole sa pensée, sa virilité, on lui prend sa personnalité, on le contraint à des actes épuisants (masturbation, surmenage...). Tout cela traduit une dépense libidinale qui n’est pas tolérée par le Je parce qu’elle l’appauvrit en libido narcissique et libère l’instinct de mort ». Dans l’impossibilité de recevoir en échange l’amour de l’objet, l’affect d’angoisse désintégrante psychotique apparaît.

36Le viol assimilé à l’acte sexuel n’est pas l’exclusive des femmes schizophrènes. L’observation de Sylvain nous montrera le viol subi par l’homme et exercé par la femme qui exige l’acte. Nous verrons dans cette observation le danger qui réside dans cet acte : danger de mort, à la fois de soi, mais aussi des parents, danger aussi de donner la vie, créer un autre soi-même, reproduction d’un élément de la généalogie dont il faut se méfier tant ses intentions sont mauvaises et meurtrières.

37La pulsion sexuelle non reconnaissable est plutôt perçue, selon N. Navarro (2000), comme un danger de mort, et l’angoisse peut faire exploser la psyché en un délire mégalomaniaque, interprétatif avec hallucinations, confusion mentale, etc. Pour éviter cette souffrance, il arrive aussi que le sujet se vide de tout ressenti, de toute représentation excitante, de tout désir et, notamment, de tout désir sexuel. L’anhédonie, l’impuissance, le désinvestissement corporel sont alors une protection, un rempart contre la décompensation, voire le suicide. Pour D. Bouchet (1988), l’excitation sexuelle non maîtrisée par le moi peut aller jusqu’à envahir la pensée au point de lui faire perdre ses capacités à fonctionner en processus secondaires. Il existe une désymbolisation du langage et des représentations. Pour S. Leclaire (1999), en revanche, il n’existe plus, dans ces conditions, que du symbole mais relié à rien, faisant énigme, insensé, et devenant ainsi traumatique, porteur de destruction.

38Peut-être est-ce ici le même mécanisme en œuvre que celui que L. Wolfson (1970) décrit quand les mots de la langue sont attaqués en permanence comme des objets menaçants, travestis, changés, mutés, dans une tentative désespérée de les rendre inoffensifs.

L’adolescence des psychoses infantiles

39L’adolescence des enfants psychotiques est bien différente, en fonction des capacités d’élaboration symbolique de l’enfant. Nous avons vu que les adolescents schizophrènes ont les plus grandes difficultés à symboliser une relation dorénavant sexuée à l’autre. Au cours des psychoses infantiles, les patients ont des difficultés de représentation tellement importantes qu’elles empêchent toute symbolisation. La littérature montre bien à quel point les processus pubertaires semblent disjoints de toute organisation adolescente chez les patients les plus gravement atteints, c’est-à-dire chez ceux qui n’ont pas développé de langage communicatif. L’adolescence des enfants les plus gravement atteints de psychose infantile s’accompagne tout de même de remaniements du fonctionnement psychique, en raison de la poussée pubertaire, des modifications de leur cadre de vie et de la confrontation avec les problématiques adolescentes d’autonomie et de génitalité (C. Epelbaum et al., 1993). Il existe, dans près de la moitié des cas, une aggravation temporaire ou permanente des symptômes présentés par ces adolescents : retrait, stéréotypies, épilepsie, hyperactivité, agressivité, etc. Mais une puberté « sans retard ni incident » ne provoque aucune modification notable de la pathologie autistique. Il n’y a, selon A. Crochette et al. (1987), aucune intégration psychique des changements corporels avec une relative déconnexion, une apparente indépendance, entre le bouleversement hormono-somatique de la puberté et le déroulement des processus mentaux. Chez ces adolescents, il est noté une grande indifférence vis-à-vis d’une orientation vers un objet sexuel perçu comme distinct. Il n’y a pas de passage de l’auto-érotisme à une sexualité adulte. En revanche, une certaine intégration des phénomènes pubertaires est notée chez les enfants atteints d’autres formes de psychoses infantiles, en particulier chez ceux ayant un certain langage. Dans ce groupe, la question de l’identité sexuelle propre, comme celle de l’entourage, semble se poser.

40Selon V. Granboulan et al. (1993), l’impact de la puberté est d’autant plus manifeste et bruyant (accès aigus) que la psychose a débuté tardivement en permettant le langage. Dans cette étude, huit psychoses de l’enfance, soit 16 % des 48 dossiers, n’ont été diagnostiquées qu’à l’adolescence. L’hospitalisation a souvent été motivée par un accès aigu, délirant ou dissociatif, très évocateur de schizophrénie. Des préoccupations sexuelles (comportementales ou délirantes parfois érotomaniaques) très gênantes par le rapprochement physique érotisé qu’elles suscitent vis-à-vis de l’entourage ont parfois motivé le recours aux soins. Ailleurs, il s’agit d’une recrudescence d’une symptomatologie préexistante. L’irruption pulsionnelle est ici insoutenable, la puberté est vécue comme une catastrophe supplémentaire dans le chaos psychotique, l’adolescence et la reconnaissance de la différence des sexes supposant un accès à la symbolisation, une capacité d’individuation et de secondarisation des pulsions. La puberté de l’enfant retentit aussi sur la famille qui recherche souvent, à nouveau, une explication organique et/ou une institution meilleure et idéalisée.

L’évolution schizophrénique à l’adolescence des psychoses infantiles

41D’un point de vue descriptif

42La question du devenir schizophrénique de certains enfants psychotiques au cours de leur adolescence est le sujet de débats passionnés depuis de nombreuses années, notamment depuis la publication, par L. Petty (1984), de trois observations d’enfants autistes devenus schizophrènes à l’âge adulte. Si cette rupture dans l’évolution habituelle des enfants autistes ne semble pas plus fréquente que dans la population générale (F. Volkmar, 1996), elle peut néanmoins être sous-évaluée (voir Goëb, 2000, 2001, pour revue). Elle survient de préférence chez des enfants dont le QI est normal ou élevé, et qui possèdent un langage qui leur permet d’exprimer les symptômes requis par les classifications internationales pour établir le diagnostic de schizophrénie (idées délirantes et hallucinations). Rare dans l’autisme pur de Kanner, cette évolution semble plus fréquente dans les psychoses « à la frontière de l’autisme », syndrome d’Asperger, et dysharmonies psychotiques.

43D’un point de vue psychopathologique

44Ph. Jeammet (1984) propose de revenir à ce que S. Freud expose en 1913 dans son travail sur le président Schreber. L’idée est que le temps de la rupture psychotique est celui du désinvestissement des représentations de choses inconscientes, temps premier, processus actif de lutte contre l’objet et contre ce qui peut faire lien avec lui. Les signes psychotiques de la nosographie descriptive ne correspondent pas à ce moment premier, mais au processus réparateur qui lui est secondaire et vise à remplir par le réinvestissement des représentations de choses.

45Chez l’adolescent qui a antérieurement présenté une psychose infantile mais qui a tout de même pu accéder à certaines représentations et élaborer une certaine capacité de symbolisation, ce mécanisme de désinvestissement est une reprise d’un processus qui avait été maintenu à l’écart, diverti par un hyperinvestissement intellectuel se voulant réparateur. Peut-être pourrait-on avancer l’hypothèse que la lutte active contre la représentation se disperse en tâche d’huile dans le psychisme à la faveur de sa réactivation par la puberté qui renouvelle la question sexuelle. Elle est ainsi conduite à contaminer d’autres secteurs comme le scolaire et les apprentissages qui avaient pu être jusque-là préservés chez certains de ces patients. Cette contamination des divers domaines psychiques pourrait ainsi participer à la construction d’une néo-réalité pour combler le vide de représentation, et ceci dans une tentative d’autoguérison. Ces mécanismes peuvent rendre compte de l’évolution schizophrénique, à l’adolescence, de certains patients ayant présenté un autisme ou une psychose infantile insuffisamment cicatrisés par des aménagements compensatoires devenus insuffisants car débordés. Nous reprendrons ces points dans la discussion générale.

Conclusion de l’avant-propos

46À l’image de la transparence psychique de la femme enceinte (Bydlowski, 1990), la période adolescente, où le sujet n’est plus maître des changements de son corps, est ici considérée comme une « première lucarne » ouvrant rétrospectivement sur la prime enfance (Goëb et al., 2000). On a ainsi une vue de choix sur la psychopathologie précoce, qu’il s’agisse ici de vulnérabilité schizophrénique ou de psychose infantile avérée (autisme plus ou moins cicatrisé, troubles envahissants du développement, dysharmonies psychotiques, etc.).

47À la lumière de tous ces deuxièmes temps que condense l’adolescence, mais qui découlent du traumatisme que représente l’irruption de la génitalité dans la vie psychique de l’individu, l’adolescence (et le travail de séparation qu’elle impose) est un moment clé pour le suivi des patients, surtout quand la question du diagnostic actuel reste en suspend.

48Nous allons discuter la réalité clinique de ces hypothèses à partir d’illustrations cliniques d’adolescents hospitalisés dans le cadre de services Soins-études de la clinique Dupré (Fondation Santé des étudiants de France). Les deux premières observations concernent des adolescents schizophrènes chez lesquels une psychose infantile est évoquée a posteriori, tandis que les deux suivantes illustrent l’émergence d’une schizophrénie de novo » chez des adolescents dont l’enfance ne présente pas de signes évocateurs d’une psychose précoce.

ILLUSTRATIONS CLINIQUES

49Ces quatre adolescents d’une vingtaine d’années ont été hospitalisés pendant plus d’un an à la clinique Dupré. Ils y ont été suivis par le premier auteur pendant une année de stage d’interne en psychiatrie. Ils présentent tous quatre une rupture dans leur trajectoire de vie.

Quelques mots de présentation de la clinique Dupré

50La clinique Dupré est un établissement privé participant au service public hospitalier et géré par la Fondation Santé des étudiants de France. Articulée avec l’annexe du lycée Lakanal qui se situe en son sein, elle propose des soins psychiatriques institutionnels associés à des études à des lycéens et des étudiants âgés de 16 à 25 ans. La clinique Dupré comprend quatre services soins-études, avec une capacité d’accueil de 99 patients à temps plein, 30 places d’hôpital de jour et des consultations. Elle comprend également une unité de soins intensifs psychiatriques de 14 lits, accueillant des patients présentant des pathologies aiguës et postaiguës.

Deux observations d’adolescents schizophrènes dont le passé apparaît psychotique : Aurore et Marc

Observation no 1 – Aurore

51Aurore a été admise à la clinique Dupré à l’âge de 18 ans. Elle était alors hospitalisée à Paris dans un service pour adolescents pour des troubles anxieux et dépressifs responsables d’une désinsertion scolaire grave évoluant depuis trois ans, c’est-à-dire depuis l’entrée en seconde.

52Ce n’est qu’au prix du doublement de celle-ci et d’un travail acharné (sous une forte pression parentale) qu’Aurore a été admise en Première scientifique. Cette année d’étude s’est interrompue quand Aurore avait 16 ans, peu de temps après que les parents se séparent sans divorcer. Le père a quitté le foyer conjugal à la demande de son épouse, laquelle invoquait une violence grandissante portant désormais sur les enfants. À cette époque, la religion est devenue particulièrement importante pour la mère, qui imposait de nombreux rituels à la maison.

53Première hospitalisation en fin d’adolescence

54C’est alors qu’Aurore a été hospitalisée une première fois avant de venir à la clinique Dupré. Elle présentait une dépression majeure renvoyant à une fragilité narcissique grave. De manière préoccupante, il était remarqué un certain fonctionnement sensitif et interprétatif proche d’un délire d’influence. Elle évoquait une impression de rejet de la part de ses anciennes amies et pensait que son père avait manipulé les psychiatres du service. Elle refusa de le voir en ayant peur de « tomber sous son emprise, sous sa pulsion, sous son envoûtement ». Il était noté quelques éléments atypiques préoccupants tels que des stations prolongées devant le miroir, des sensations de murs et de plafonds qui se rapprochaient, se resserraient autour d’elle au point qu’elle disait « n’avoir plus d’espace ». À d’autres moments, Aurore décrivait avec émotion un vécu « sans limite propre », se disant « perméable aux autres ». Un test de Rorschach a été réalisé, montrant essentiellement, sans permettre de conclusion diagnostique, une incapacité à élaborer une position dépressive, une adhésivité, un collage aux planches. Des thèmes angoissants de mort, de diable et d’enfer étaient exprimés. La question de la permanence de l’objet ne semblait pas assimilée. Les prescriptions, d’abord d’antidépresseurs puis de différents neuroleptiques, ont été assez peu efficaces. Il a alors été évoqué avec un réel embarras un « trouble ancien et profond de la personnalité, avec dépressivité, une dimension anaclitique et une fragilité narcissique, se présentant actuellement comme un état limite ». Aurore semblant sensible à l’étayage du cadre est parvenue à mettre de la distance entre elle et ses parents, avec une apparente capacité d’autonomisation. Avant sa sortie, un premier projet d’hospitalisation en soins-études à la clinique Georges-Heuyer (FSEF) a été organisé. Il sera refusé au dernier moment par Aurore, avec des arguments persécutifs concernant « l’environnement hostile de cette clinique ». Aurore a préféré la clinique Dupré et y a été accueillie directement, sans séjour intermédiaire chez ses parents.

55À l’admission à la clinique Dupré, Aurore ne suscite pas d’impression de bizarrerie, mais elle saisit par son infantilisme. Aurore parle surtout de son père qui l’aurait « détruite », qui aurait « ébranlé sa confiance » en elle-même. Elle se dit « persécutée, empêchée de faire des études ».

56Le diagnostic de schizophrénie

57Au cours du suivi, malgré l’absence d’hallucinations auditives classiques, la discussion diagnostique a conclu au diagnostic de schizophrénie de type simple où domine la désorganisation psychique. Toutefois, de nombreux éléments du fonctionnement d’Aurore évoquent une psychopathologie plus ancienne. Ainsi, malgré une lutte contre une désorganisation psychotique complète, il y a une menace de rupture avec le réel, avec une mauvaise organisation du sentiment de soi et des rapports avec la réalité. La pensée est régulièrement débordée par des affects et des représentations parfois très crues. L’angoisse éprouvée est essentiellement une angoisse de séparation, de perte de l’objet, mais aussi parfois de néantisation. Aurore est perpétuellement anxieuse, dans une incessante demande de soulagement médicamenteux. À certains moments, elle a décrit au coucher l’invasion de sa pensée par des représentations de « monstres effrayants » qu’elle ne peut chasser. À d’autres moments, plus émouvante, elle décrit en fait la sensation angoissante de ne pas se sentir exister pour elle-même. Aurore s’est toujours montrée très influençable, adhérant fortement au discours de l’autre, pris à la lettre, sans prise de champ. Elle évoque plusieurs fois la peine que sa mère lui faisait en lui disant que « sa vie actuelle n’était pas celle qu’elle avait rêvée ». Aurore concluait douloureusement à un rejet : « Tu me gênes, tu n’as qu’à pas être malade. » Quand nous lui proposons de rester certains week-ends à la clinique, elle demeure interprétative en disant : « Vous voulez protéger ma mère, qu’elle ne s’inquiète plus pour moi. » Elle explique, désespérée, que la présence de sa mère lui « fait un bien fou », qu’elle la rassure « énormément » en l’autorisant à dormir dans son lit. Même si elle reconnaît que « ça ne fait pas grande fille », elle est arrivée certains dimanches soirs à la clinique, sortant de la voiture de sa mère en pyjama et en chaussons.

58L’invasion de sa pensée par des affects la submergeant est bien illustrée par ce moment de profonde angoisse manifestée au cours d’un entretien où Aurore abordait sa phobie des transports. Elle évoquait un moment où elle s’était perdue dans les couloirs d’une correspondance de métro. Pendant l’entretien, le cadre de la consultation semble progressivement disparaître, Aurore paraissant vivre réellement la situation qu’elle décrivait. Son ton et la vitesse de son élocution montaient, Aurore s’agitait sur sa chaise. Elle parlait directement aux personnes qu’elle avait alors rencontrées dans les couloirs, au point que nous avons dû intervenir à deux reprises pour lui rappeler notre présence et leur absence. Elle fit alors appel à sa mère comme si elle était dans la pièce et très curieusement dit plusieurs phrases avec une inversion pronominale (inversion du tu pour le je et du je pour le il) très choquante dont elle ne se rendit pas compte.

59Outre cette phobie des transports en commun, Aurore signala un temps des rituels de rangements de ses sous-vêtements, qu’elle présentait comme une manière de se prouver son existence et contre lesquels elle ne luttait pas. Son environnement ne lui était ainsi pas inconnu puisqu’elle l’avait organisé. Aurore évoquait parfois des idées submergeantes de mort, disant se sentir « au bord du gouffre, sans plus rien qui ne [la] retienne ». Elle aimerait « encore être un bébé pour recevoir l’amour » qu’elle n’a pas reçu de ses parents, elle n’a « pas envie de grandir ».

60Les transmissions infirmières parlent d’une jeune fille « boudeuse », ambivalente par rapport aux adultes, avec une limitation majeure des capacités d’empathie. Aurore suscite souvent le rejet : « Vous êtes une gamine capricieuse, un vrai bébé » lui est-il parfois dit. En atelier d’ergothérapie, elle exige constamment l’outil qui est utilisé par le voisin. Très sensible à la frustration et rarement satisfaite, elle a toujours besoin d’attirer l’attention sur elle-même. Pour la faire se lever le matin, certaines infirmières usent, « comme on ferait avec un enfant », du stratagème de la distraire en parlant des activités de la veille, sans la crisper sur le lever.

61Ces transmissions soulignent un rapport au corps très particulier, source d’une grande angoisse. Aurore ne se sent pas exister par elle-même et éprouve une sensation de vide interne. Elle n’a pas conscience d’elle. Toute sensation corporelle est la source d’une angoisse submergeante, bizarre, voire délirante. Régulièrement, Aurore semble connaître des moments de dépersonnalisation. La sensation des battements de son cœur lui est insupportable et décrite comme « des palpitations de la poitrine, des côtés, du dos... » Elle exige le maintien de barbituriques prescrits par un cardiologue pour ne « plus sentir son cœur qui palpite, qui bat trop fort et l’empêche de penser ! » Par ailleurs, ses dents de devant « avancent de plus en plus et lui abîment la lèvre inférieure » motivant plusieurs consultations d’orthodontie injustifiées. Aurore s’est plainte un jour, véritablement effondrée, d’une coloration noire du cou (en fait de la teinture) qui « signait un cancer évident ».

62L’interrogation des professeurs de la clinique montre que la scolarité est surtout investie comme un moyen d’exister aux yeux des autres, notamment à travers les notes. Il lui est impossible de travailler seule, pour elle-même. De grandes difficultés de concentration perturbent une efficience intellectuelle pressentie, avec parfois un bon discernement, surtout en Français. Pourtant, elle répète inlassablement « je ne comprends pas, je n’y arrive pas, expliquez-moi... » dans un leitmotiv de dévalorisation. Elle expliquera un jour qu’elle se répète chaque phrase qu’elle lit ou entend pour la comprendre.

63Les relations d’Aurore avec son environnement familial sont très délicates et conflictuelles. Il existe parfois un rapproché affectif avec sa mère mais avec une proximité de façade, sans étayage, ni pare-excitation. Au contraire, à mesure que la mère se montre ambivalente et imprévisible, Aurore se montre d’autant plus agrippée à elle. Les échanges avec sa mère au cours des week-ends sont parfois très durs, à type de reproches : « Tu n’arrives pas à couper le cordon, tu me colles, j’étouffe. » Aurore en a « le cœur serré, il n’y a plus de lueur au fond de son cœur ». Si quelques progrès thérapeutiques avaient été perçus à certains moments, ils étaient annihilés lors des retours de vacances. Ce n’est que tardivement au cours de l’hospitalisation qu’Aurore a pu commencer à prendre du recul vis-à-vis de cette situation : « Elle me culpabilise, c’est injuste, j’essaie de me défendre mais elle n’entend rien. »

64Les relations conjugales des parents étaient conflictuelles dès le départ, avec peu de rapprochés physiques, d’après le mari. Aurore a été conçue avec une assistance médicale. La mère d’Aurore était souvent absente pour des raisons professionnelles et c’est par hasard qu’est survenue la deuxième grossesse. Plus tard, des violences conjugales sont apparues, puis le père serait devenu très violent et très dévalorisant envers Aurore.

65L’enfance psychotique

66L’hospitalisation à Dupré a permis de réinterroger des éléments de l’enfance et d’évoquer le diagnostic de dysharmonie psychotique (semblable, d’après S. Tordjman et al. au Multiple & Complex Developmental Disorder). Ainsi les troubles ont-ils débuté vers l’âge d’un an par une angoisse de séparation particulièrement vive. Cette angoisse était partagée par la mère et la fille, si bien qu’aucune distance n’était possible entre les deux. Ces difficultés se sont encore accentuées lors de la deuxième grossesse. En raison d’une incompatibilité rhésus, la mère a dû être hospitalisée pendant plusieurs mois. « Je me souviens d’une visite à l’hôpital, maman était pleine de tuyaux, je n’ai pas voulu la voir. » Effectivement, la mère dira que sa fille ouvrait la porte et s’enfuyait en courant. Les mois suivants sont évoqués sur un mode très abandonnique : « Je ne voyais jamais maman, même quand elle revenait de ses voyages, on devait la laisser se reposer dans sa chambre et elle repartait trois jours plus tard. »

67Vers 3-4 ans, Aurore exprimait de grandes difficultés à lier des relations satisfaisantes avec les autres, se sentait mise à l’écart et se repliait sur elle-même. Dans ce contexte difficile, Aurore n’est pas entrée au CP mais a été intégrée dans une classe d’adaptation et suivie dans un CMPP pendant trois ans. Aucun diagnostic précis n’avait été porté à l’époque, mais, à titre d’exemple significatif de la psychopathologie, il nous a été signalé qu’Aurore ne voyait pas les R dans son prénom. Cette classe d’adaptation ayant donné des résultats spectaculaires, Aurore a pu réintégrer une scolarité normale en CE1, où elle s’est montrée plutôt bonne élève grâce à un investissement scolaire personnel intense, en dépit d’un isolement encore important. Le suivi psychiatrique s’est interrompu lors d’un déménagement.

68Aurore n’a plus ensuite suscité d’inquiétudes particulières, mises à part des difficultés alimentaires : elle n’aimait pas les morceaux solides et exigeait que sa nourriture soit hachée, ne mangeant que des purées jusqu’à 4 ans. Ces difficultés ont perduré a minima jusqu’à 9 ans. On remarquera ensuite une énurésie primaire jusqu’à l’âge de 10 ans. Ces difficultés, quoique très amendées, entraîneront de graves difficultés relationnelles entre elle et sa mère et au niveau du couple parental. Que peuvent avoir en commun ces difficultés au niveau des orifices ? L’exigence d’une alimentation lisse évoque ici l’intolérance autistique vis-à-vis des aliments durs qui viennent rappeler la séparation. L’absence d’investissement de la maîtrise sphinctérienne vient cerner un endroit de conflit, les orifices, lieux de passages entre soi et l’extérieur. Cette absence d’investissement évoque un vraisemblable vécu durable de collage par la surface entre Aurore et le monde extérieur. La peau d’Aurore ne semble pas avoir été investie comme contenante et limitante.

69Recrudescence des difficultés
lors du début de l’adolescence

70Ce n’est qu’au début de la puberté, vers l’âge de 12 ans, qu’Aurore a souffert à nouveau d’une importante angoisse de séparation vis-à-vis de sa mère. « Aurore était un obstacle à notre relation de couple, dira le père. À 10-12 ans, elle venait encore dormir dans notre lit. Nous avons poursuivi notre mariage car nous étions chrétiens. » Des violences du père à l’égard de sa fille ont été rapportées, mais jamais signalées à la justice.

71En contraste à cette souffrance psychique réapparaissant en début de puberté, la scolarité d’Aurore n’a pas posé de difficultés apparentes pendant longtemps. Les années se sont succédé assez calmement et Aurore se situait toujours en milieu de classe, dans un collège de bon niveau. La rupture scolaire n’a fait que suivre la réapparition de graves manifestations symptomatiques, en rupture avec le fonctionnement antérieur.

72Discussion

73L’adolescence d’Aurore a ainsi consisté en la reprise, sous un mode schizophrénique « simple », d’une psychopathologie complexe, dysharmonique de l’enfance qui a présenté un amendement certain au cours de la période de latence. Alors que ce diagnostic n’avait pas été clairement formulé lors de la prise en charge initiale dans l’enfance, la période de l’adolescence et de la puberté est venue mettre au jour et compliquer les plaies mal cicatrisées.

74L’observation d’Aurore nous semble très évocatrice de la crainte de l’effondrement (breakdown) décrite par Winnicott (1975) dans la mesure où Aurore semble avoir toujours lutté contre l’effondrement de sa propre organisation. Certaines « agonies primitives » comme la faillite de la résidence dans le corps et la perte de la collusion psychosomatique sont assez bien illustrées ici, de même que l’établissement de relations uniquement avec des phénomènes issus de soi. En accord avec l’opinion de Winnicott, la crainte d’Aurore vis-à-vis de son effondrement est « la crainte d’un effondrement qui a déjà été éprouvé ». Pour s’en défendre, Aurore trouve refuge dans le délire, elle ne présente pas d’hallucinations auditives mais les thèmes délirants qu’elle exprime sont fréquemment relevés dans la littérature à l’adolescence d’enfants psychotiques (voir les thèmes délirants corporels de S. Cantor, 1982). Aurore se plaint que son corps change de multiple façon, il change effectivement, en se sexualisant, mais sans qu’elle puisse se représenter ces transformations.

Observation no 2 – Marc

75Marc a été admis en hospitalisation temps plein à 18 ans, après six mois de prise en charge extra-hospitalière au sein de la clinique Dupré, dans les suites d’une bouffée délirante aiguë.

76Éléments biographiques

77Marc est l’aîné de quatre enfants : il a deux frères de 15 et 9 ans et une sœur de 5 ans qui présente des troubles respiratoires ayant nécessité de nombreuses cures mobilisant beaucoup la mère. Les deux parents sont catholiques très pratiquants et insistent beaucoup sur la nécessité de transmission d’une éducation religieuse à leurs enfants. Le père, né au Sénégal, est professeur d’informatique. Il a été suivi en psychiatrie alors qu’il était jeune adulte (sans plus de précision quant aux motivations de sa prise en charge). Il a toujours été dans la fuite des conflits avec ses parents, contrairement à son frère qui semble présenter une pathologie psychotique, actuellement hors de toute insertion sociale et entretenant des relations de dépendance avec le père de Marc. Lors de l’entretien de pré-admission, le père s’était décrit comme « ayant eu longtemps tendance à se renfermer, se protéger du monde » notamment par le biais du travail qu’il surinvestissait. La mère a travaillé lorsque Marc était petit, mais par la suite elle est restée au foyer. Elle est issue d’une famille aisée où l’exigence d’études supérieures dans de grandes écoles est prégnante. À 10 ans, elle a perdu une petite sœur à la naissance. Le système familial semble très fermé, les parents ont très peu d’amis. Marc se plaindra que ses parents ne puissent accepter sa copine à la maison en raison de la petite taille de la table du salon qui ne peut accueillir une personne de plus...

78Éléments de petite enfance

79Sa mère travaillant, Marc a grandi dans une crèche où les puéricultrices auraient été remarquées pour leur négligence. Marc a eu un objet transitionnel dès l’âge de 6 mois, une « petite tortue bleue avec un large sourire », actuellement dans sa chambre à la clinique. Dès la maternelle, on note sa timidité, une certaine tendance au repli et à la rêverie le confinant dans son isolement, se disant non intéressé par son environnement, alors même que ses parents se souviennent de lui comme d’un enfant très curieux de tout. Marc a malgré tout réussi son cours préparatoire en donnant l’illusion qu’il savait lire grâce à la mémorisation de phrases et de paragraphes entiers (plus de quinze lignes). Ses difficultés d’apprentissage de la lecture n’ont été repérées par la mère qu’au cours du CE1. Par ailleurs, il se plaignait de difficultés à lire et à écrire, notamment les Y et les H. Il avait peu d’amis, sa peur d’être démasqué par une relation trop proche aurait aggravé son isolement.

80C’est à cette époque que Marc a développé un certain goût pour le dessin, montrant même des aptitudes particulières avec l’obtention d’un prix lors d’un concours national. Il s’appuyait notamment sur une très bonne mémoire visuelle et un très bon sens de l’observation. Marc dit aujourd’hui n’avoir jamais dessiné qu’en deux dimensions, « à plat », sans jamais « remplir » ses formes, en ne faisant que des traits, sans gris ni dégradé. Cela vient-il traduire des difficultés cognitives précoces venant témoigner d’un trouble psychopathologique ? Peut-on y voir des difficultés de séparation-individuation avec prépondérance de l’identification adhésive dans le cadre d’une psychose symbiotique ? Nous en reparlerons lors de son apprentissage de la perspective.

81À la puberté

82Sa scolarité se serait déroulée ensuite sans grande difficulté jusqu’en Troisième, sauf sur le plan relationnel où les investissements sont toujours restés pauvres. En Seconde, au moment des transformations pubertaires, sont apparues les premières difficultés d’adaptation aux nouvelles exigences scolaires : difficultés de compréhension, lenteur, faible capacité de travail, diminution du désir de s’investir et sentiment de découragement. Cette année difficile lui a néanmoins permis de passer en Première scientifique dans une école privée. Le fléchissement scolaire a duré mais Marc a obtenu son passage en Terminale dans cette même école. Ses parents avaient pourtant souhaité qu’il redouble sa Première S dans un lycée plus élitiste où il fût refusé malgré un réseau de soutien scolaire. Sur le plan relationnel, ces deux années de lycée ont vu l’accentuation des difficultés de Marc à aller vers les autres, avec l’exacerbation d’une certaine sensitivité et le sentiment douloureux d’être un sujet de moquerie. Il a lié une relation exclusive avec un camarade de classe.

83À la fin de sa première Première S, à 17 ans, après un séjour en Allemagne chez une correspondante, Marc a présenté des insomnies avec réveils nocturnes fréquents. Il verbalisait une anxiété diffuse, rationalisée par la perspective de son redoublement scolaire et son changement d’établissement. S’y associaient des idées floues de persécution (craintes de rôdeur autour du domicile parental). Le jour même de la rentrée scolaire, alors que les troubles du sommeil s’aggravaient depuis une semaine, Marc a décompensé sur le mode délirant persécutif. Ce jour de la rentrée, il a cherché à rejoindre sa mère dans l’école de son petit frère. Hagard, il s’est trompé de lieu et la directrice de l’école où il errait a fait intervenir la police. Au commissariat, il aurait exprimé des idées délirantes de persécution de la part d’un copain de son ancien collège, mais aussi de son père qu’il aurait accusé de violence sexuelle. Il faut noter que dans la nuit qui précédait, n’arrivant pas à dormir, Marc a alerté son père qui aurait alors passé la nuit dans le lit de son fils. Le lendemain, ses parents l’ont accompagné dans un service spécialisé pour adolescents, où il est resté hospitalisé cinq mois.

84La bouffée délirante

85À son entrée dans ce service, Marc présentait un tableau de bouffée délirante avec thématique persécutive, de mécanisme polymorphe (intuitif, interprétatif et hallucinatoire acoustico-verbal et visuel) associé à une note confusionnelle avec perte de repères temporo-spatiaux et une exaltation thymique. Marc exprimant alors dans son délire des idées délirantes de filiation. Il était convaincu d’être le fis du roi d’Angleterre (au moment du décès de Lady Diana). Ces idées auraient été la réactivation de préoccupations anciennes par rapport à ses parents dont il a souvent douté être le fils biologique. Il reviendra plus tard sur cet épisode fécond. Il était alors inquiet au sujet d’un problème d’état civil dont les parents se préoccupaient encore, à l’occasion d’un renouvellement de papiers d’identité. En fait, son père, né au Sénégal, avait été noté dans les registres avec le prénom de « Dédier » au lieu de Didier. De plus, les parents se sont rendu compte que les déclarations de naissance avaient été enregistrées sur deux filiations différentes : celle de Dédier B. et celle de Didier B., chacune faisant état de deux enfants...

86Alors que la symptomatologie délirante s’atténuait, est apparu un épisode dépressif majeur, de tonalité mélancolique, répondant bien à un traitement par tricycliques. Après trois mois d’hospitalisation, la symptomatologie s’est stabilisée, avec critique franche du délire et euthymie, avec toutefois la persistance d’un apragmatisme gênant. C’est à ce moment qu’un projet de prise en charge à la clinique Dupré a été discuté. Alors qu’une prise en charge en temps plein semblait le projet le plus opportun pour Marc, ses parents s’y sont opposés, montrant toute leur ambivalence quant à la nécessité de soins psychiatriques au long cours pour leur fils. Leur banalisation des troubles frisait parfois le déni. Il a finalement été convenu d’un suivi extra-hospitalier de jour en lien avec un service temps plein, et du maintien de consultations avec un psychiatre référent indépendant de la clinique. Cette prise en charge, par le biais d’activités bien investies, a permis une certaine prise de distances entre Marc et ses parents, mais il était encore très apragmatique, en passant de nombreuses heures à ne rien faire. Cette situation d’échec a été très mal vécue par ses parents qui ont rapidement adopté une position de rejet à travers une demande de suivi à temps plein sur l’intra, qui a été acceptée dès l’instant où Marc a pu se l’approprier.

87À l’entrée dans le service temps plein, Marc a une présentation assez juvénile, paraissant d’emblée na ïf et immature, parfois « boudeur ». Il sourit souvent de façon imperturbable mais semble très sensible. La remémoration détaillée de l’histoire de ses difficultés lui est très difficile. Son discours, cohérent, reste hésitant et pauvre. Il persiste chez lui une inhibition dont on ne peut d’emblée déterminer si elle est du registre d’un mode de défense plutôt que la manifestation d’un vide psychotique. Ses parents ne retrouvent plus la flamme, la curiosité de Marc enfant, et ils expriment leur peine pour leur fils qu’ils disent « déstructuré ». Marc reste immobile et figé, sans beaucoup participer à l’entretien. Il dit réfléchir à sa journée, il n’a envie de rien, il s’ennuie. Ses projets d’études scientifiques sont maintenus, mais il lui est possible d’évoquer de renoncer au baccalauréat pour faire une formation professionnelle. Ses parents se défendent de maintenir un désir d’études supérieures mais semblent peu enclins à faire le deuil du baccalauréat, et encore moins disposés à une réorientation vers des études professionnelles.

88C’est dans ce contexte de sollicitation scolaire qu’il a réalisé une rechute délirante avec idées interprétatives de références, sentiment de persécution, de moquerie. Les symptômes se sont amendés sous neuroleptiques et le traitement a été progressivement baissé. Marc a passé un temps chez ses parents, où il s’est senti en sécurité. À son retour, il a souhaité sortir de la clinique afin de vivre à nouveau chez ses parents avec ses frères et sœurs, mettant en avant les difficultés de concentration pour travailler attribuées au fait d’être hospitalisé. Sans s’être réellement positionné vis-à-vis de ses objectifs scolaires, la reprise des cours s’est révélée effectivement ardue et angoissante. Il lui a donc été proposé une hospitalisation séquentielle dont le projet a été mis à mal par l’ambivalence de Marc, dépendant de ses parents mais en conflit avec eux. Aidé par l’amélioration clinique (disparition des éléments persécutifs et de référence), Marc a pu s’investir dans les soins et s’intégrer au groupe des patients.

89Après quelques mois, Marc a montré une symptomatologie marquée surtout par l’apragmatisme, la perte des repères temporels, l’asthénie sans réels affects dépressifs et, enfin, une grande lenteur lui rendant très difficile toute inscription dans un projet scolaire ou professionnel. D’autre part, il vivait mal la distance géographique avec sa mère, en ne pouvant organiser son temps qu’au jour le jour.

90Marc s’est engagé dans une relation amoureuse avec une autre patiente. Toutefois, cette relation d’étayage réciproque fut une source d’angoisses importantes pour Marc qui s’est fréquemment senti « englouti, avalé et absorbé » par cette patiente, du reste boulimique. Il n’apparaît pas évident, même si cette relation ne semble pas platonique, que, du moins pour Marc, elle s’inscrive dans une dimension sexualisée où l’autre est reconnu comme tel, différent, posant une nouvelle fois la question de la séparation-individuation. À l’inverse, selon le père de Marc, « c’était une relation sans compromis, sans discussion », sans dialectique, sommes-nous tentés d’ajouter.

91Dessin et figuration sans représentation sexuelle

92C’est à cette période que Marc a voulu reprendre le dessin et qu’un projet en ce sens a été proposé. Malheureusement, Marc n’a pas pu supporter les règles de dessin qui lui étaient imposées. Parmi celles-ci, Marc décrira l’utilisation « forcée » de la « mise en perspective », du remplissage et du dégradé, signifiant que tout n’est pas ni tout blanc ni tout noir mais qu’un « entre deux » existe. Récemment, Marc a vu son frère dessiner un cheval « très stylisé, qui ne [lui] plaisait pas », dont la description par Marc évoque un étalon. « J’ai alors dessiné un cheval qui me plaisait : un animal équin » aux contours très fins, sans remplissage ni mise en relief. La petite taille de la tête par rapport au reste du corps choquait, de même que l’absence totale de genre, même pour Marc qui ne pouvait dire – désemparé par la question – s’il s’agissait d’un cheval ou d’une jument. Marc a refusé que nous en fassions une copie.

93Cette situation très particulière nous pose plusieurs questions. La mise en perspective du dessin renvoie-t-elle Marc à la mise en perspective de sa vie, à la séparation (exigée par un autre que lui) d’avec ses parents, à l’autonomie ? Le remplissage des formes le renvoie-t-il à l’existence d’un « dedans » qui lui est propre, d’un contenu psychique individuel qui l’effraie ? L’estompage le renvoie-t-il au dépassement du clivage entre le bon et le mauvais sein ? On peut alors se demander si Marc a eu accès à la position dépressive étant nourrisson. Notre hypothèse est que cette question était à nouveau d’actualité pour Marc, du fait de la problématique adolescente.

94Tests projectifs

95Des tests projectifs ont été proposés. Marc s’y est investi de façon restrictive, avec peu de réponses, énoncées rapidement. La dynamique défensive est de type obsessionnel, avec des réponses détaillées et des vérifications formelles, notamment au Rorschach. Au TAT, la protection est davantage factuelle, avec des accrochages descriptifs, une minoration des mouvements pulsionnels, notamment agressifs. L’ensemble est d’une bonne tenue perceptive : pas de craqués flagrants, une perception souvent juste des contenus latents des planches, de bonnes formes fréquentes. Mais il semble que cette bonne tenue se fasse justement au prix d’une démarche psychodynamique restrictive vis-à-vis des émergences de son monde interne. Mis à part la limitation quantitative, Marc s’accroche avant tout aux déterminants formels (F), sans laisser explicitement de place à une réelle émergence pulsionnelle (quasiment pas de réponses couleurs ou kinesthésiques au Rorschach, restriction des expressions d’affect au TAT). Un équivalent de choc à la planche 8 du Rorschach (première planche couleur) peut même être relevé, Marc ne pouvant alors donner que des réponses formelles imprécises, signant ce qu’une telle confrontation au monde des affects peut avoir de déroutant et, en deçà, de dangereux pour lui.

96Sur le plan des représentations et du conflit psychique à l’œuvre, on peut pointer un double questionnement chez Marc, qui n’en constitue structurellement qu’un seul. Tout d’abord une question identitaire, exprimée notamment au Rorschach par : une curieuse perplexité, à la planche 5 (planche de l’intégration corporelle, perceptivement qualifiée « d’évidente » : papillon ou chauve souris) ; la nécessité de justifier l’identité de genre, de forme, par les attributs (papillon... les ailes – pl. 1 ; l’éléphanteau... leur trompe – pl. 2 ; deux femmes... leur poitrine, leurs genoux qui ressortent – pl. 3), qui le laissent perplexe lorsque l’attribut est de trop (« troisième patte » de la pl. 4), attribut phallique par excellence, dont il paraît ne savoir que faire. De fait, après cette « troisième patte », Marc se confronte avec une grande difficulté à la planche 5, renvoyant à l’unité corporelle subjectivement déconstruite (là où, encore une fois, tout se prête à unification...). En corollaire, Marc est particulièrement sollicité par les blancs (Dbl), les « trous » des planches, et notamment à la planche 9 (dite de l’imago maternelle pré-œdipienne), où il se demande explicitement ce que cela peut être. Il semble se confronter, de fait, sans rien pouvoir en faire, à la vacuité maternelle, faisant pendant au trop phallique de la planche 4. Selon toute évidence, l’approche de la dynamique sexuée (castration, différence des sexes) est éminemment problématique. Elle ne semble pas constituer un point de repère stable dans lequel il pourrait s’inscrire ; les éléments fantasmatiques œdipiens paraissent inexistants, en tout cas de peu de poids face à une angoisse qui concerne surtout sa propre intégrité, corporelle et psychique.

97L’autre questionnement de Marc (on devrait plutôt parler de constat du fait de l’absence de conflictualisation) est un avatar de cette problématique psychotique. Il concerne le type de relation objectale dans laquelle Marc évolue, relation assez clairement duelle. Le Rorschach met toujours en scène des animaux ou des humains (selon un registre souvent infantile : éléphanteaux, indiens...) face à face, qui se touchent ou se regardent de manière statique, paradigme de la relation en miroir.

98Au cours du TAT, Marc cherche aussi à éviter toute relation conflictuelle. Il tente, par divers moyens, de mettre de côté toute dimension agressive et sexuelle vis-à-vis des imagos, masculines et paternelles en particulier (« une balle perdue » tue le père, à la pl. 8). La seule émergence relationnelle franche exprimée est l’agressivité vis-à-vis de la mère (pl. 6BM), avec laquelle la relation est plus que privilégiée (à la pl. 2, œdipienne par excellence, l’homme devient le fils de la mère). La dynamique triangulée s’avère impossible, malgré quelques tentatives de références névrotiques (« le vieil oncle initiant aux secrets de la féminité », pl. 7BM).

99Fin de la prise en charge

100Clore la prise en charge est douloureux pour Marc, pour qui la scolarité est un échec depuis trois ans. Son apragmatisme l’empêche de s’inscrire dans tout projet, ne faisant que suivre passivement ce qui lui est proposé, à la recherche d’un semblant d’intégration sociale. Pour l’équipe soignante, la tâche est délicate. Marc est comme « transparent », « mobilisé par les flots » et nécessite un suivi très régulier de l’avancement de ses projets, qu’ils concernent la recherche d’un lieu de vie (foyer thérapeutique ou de jeune travailleur), la recherche d’un emploi ou d’une formation, ou la poursuite de la prise en charge psychiatrique.

101Discussion

102Ces observations d’Aurore et de Marc nous semblent très illustratives des concepts de bi-dimensionnalité de D. Meltzer et al. (1980) et d’identification adhésive de E. Bick (1968). Dans l’univers psychique à deux dimensions, le self se vit comme une surface sensible sans espace intérieur où pourrait se loger une pensée. Aucune vie séparée de l’objet n’est concevable, sauf par une menace de déchirure à laquelle le self échappe par le démantèlement psychique. En revanche, le processus tri-dimensionnel confère un espace intérieur quand le self a lui-même expérimenté un objet capable d’exercer cette fonction de contenant, quand il a éprouvé la sensation d’être contenu. Ce n’est qu’ensuite que se développe la quadri-dimensionnalité grâce à l’irréversibilité de la différenciation entre self et objet, la fin de l’interchangeabilité, le vécu de la relation linéaire du temps avec en particulier la certitude – un peu plus grande chaque jour – de la mort à venir.

103Sur le plan de l’attachement (Bowlby, 1984), Aurore et Marc ont un point commun en leurs « conduites d’attachement anxieux » (fonctionnement symbiotique d’Aurore avec sa mère, de Marc avec son amie), dont on ne peut ignorer la valeur compensatoire qui tente de masquer un manque précoce d’échange affectif, de défendre le sujet de l’échec de l’accès à l’intersubjectivité. Nous discuterons plus bas de la fonction très particulière de lutte contre l’intersubjectivité que le délire peut prendre chez ces patients ; place très différente de celle prise par le délire des schizophrènes de novo à l’adolescence. Le vécu contre-transférentiel du thérapeute apparaît essentiel ici. De même, les signes négatifs de la schizophrénie de Marc nous semblent avoir cette valeur de lutte contre toute élaboration intersubjective : ils empêchent toute mise en perspective.

104La question se pose enfin du diagnostic psychiatrique des troubles précoces dans chacune de ces deux observations. Le diagnostic d’autisme de Kanner ne paraît pouvoir être retenu dans aucune des deux observations, mais celui de dysharmonie psychotique (dont la forme descriptive correspond, comme nous l’avons dit, aux MCDD) mérite d’être discuté devant les traits et mécanismes psychotiques dont il est possible de faire l’hypothèse : a) dans le cas d’Aurore, devant ses difficultés à investir les orifices, et en particulier devant ses difficultés alimentaires ; b) dans le cas de Marc, devant son hypermnésie compensatoire qui peut être interprétée comme résultant de mécanismes d’identification adhésive.

105Mais on peut également discuter le diagnostic de pathologie limite de l’enfant (Misès, 1991). Il faut cependant préciser que si dans l’un et l’autre de nos cas ce diagnostic est compatible avec la période de stabilisation dans la seconde enfance, il est certainement insuffisant pour rendre compte des difficultés très précoces, où les mécanismes psychotiques, voire autistiques, ont été certainement à l’œuvre, sinon en termes de diagnostic, au moins en termes de mécanismes.

106Se pose alors la question du statut à donner à ces mécanismes autistiques et aux angoisses primitives qui les sous-tendent. La question centrale restant celle de savoir ce qui s’inscrit dans la continuité de ces mécanismes et ce qui relève des modifications liées à l’évolution psychopathologique.

Deux observations d’adolescents schizophrènes dont le passé ne semble pas psychotique : André et Sylvain

Observation no 3 – André

107André était âgé de 18 ans quand il a été hospitalisé dans un service de soins-études de la clinique Dupré. Cette prise en charge venait alors en relais d’une première hospitalisation sur son secteur pour dépression atypique avec éléments évocateurs de troubles psychotiques.

108Éléments de biographie

109André est issu d’un père colombien et d’une mère française qui ont divorcé lorsqu’il avait 15 mois. Ses parents étaient en conflit avant même sa naissance, des divergences concernant l’éducation auraient précipité la rupture. André a grandi chez sa mère, passant certains week-ends et une partie de ses vacances chez son père. À l’âge de 7 ans, devant des difficultés d’apprentissage de la lecture et de l’écriture, André a consulté une analyste une fois par mois jusqu’à l’âge de 15 ans, où le rythme a été porté à une séance par semaine (avec la même analyste) devant l’apparition de difficultés scolaires, avec conduites de repli, inhibition, affects dépressifs, préoccupations anxieuses autour de son identité sexuelle.

110À la puberté

111Les premiers signes d’une décompensation sont apparus à 17 ans à l’occasion d’un voyage en Colombie avec son père. Le séjour s’était bien déroulé mais le retour à Paris a été difficile, André se montrant triste et vaguement inquiet. Quelques semaines plus tard, au début d’une Terminale économique et sociale, André s’isole de plus en plus, se montre nerveux, indécis, préoccupé et déprimé, angoissé par un possible « passage à l’acte pédophilique ». Il exprime des doutes au sujet de son identité et de son orientation sexuelle. La mère d’André et son second mari consultent un psychologue qui propose un suivi ambulatoire, en envisageant davantage une pathologie obsessionnelle que des troubles du registre de la perversion ou de la psychose.

112À 18 ans, l’état de santé d’André s’aggrave. « On me pousse à me jeter sous le métro » dit-il, errant entre le logement de son père et celui de sa mère, semblant dans la fuite d’objets imaginaires. Dans ce contexte, André est hospitalisé sur son secteur. À son arrivée, il se plaint de pensées délirantes de culpabilité contre lesquelles il ne peut lutter : il craint de devenir homosexuel, nazi ou pédophile. Le contact est difficile, André est réticent et ambivalent, ne répondant que par « oui » et « non » dans la même phrase. Le diagnostic de schizophrénie parano ïde est porté. Sous bithérapie antidépressive et neuroleptique, le contact s’améliore rapidement. Il paraît moins triste et ne se plaint plus d’idées obsédantes.

113À l’admission à la clinique Dupré, André est figé, ses mouvements sont gauches, lents et pauvres, presque désarticulés. Il marche avec les bras collés le long du corps, la tête enfoncée dans les épaules. Son visage est impassible, mais son regard fuyant exprime la crainte. André ne s’exprime qu’avec réticence, son discours reste laconique et évasif. Le débit est hésitant et saccadé : chaque chose énoncée est aussitôt nuancée ou contredite d’un « non, je ne sais pas ». Ses préoccupations délirantes, moins prégnantes, restent présentes. Il en parle en des termes très flous. André est néanmoins capable d’avancer plusieurs motivations pour être pris en charge à la clinique, il en attend de pouvoir se refaire des amis, de reprendre des études dans un cadre soutenant et de prendre des distances par rapport à un père « intrusif et difficilement supportable » et à une mère avec laquelle il est en conflit. Le diagnostic à l’entrée est celui d’une schizophrénie parano ïde.

114L’évolution dans le service sera assez difficile. André se montrant très lié à sa mère qui ne semble pas suffisamment aidée pour aménager une relation plus adéquate avec lui. À plusieurs reprises elle nous appellera au téléphone, très angoissée au sujet de son fils qui se rend précipitamment chez elle dans la semaine, mangeant tous les yaourts du frigo, ceux « qu’il n’a pas mangé pendant la semaine où il était absent », cherchant des « câlins » très proches ; mais qui, à l’inverse, retourne parfois à la clinique prématurément, disant, dans des accès de tristesse mêlés de rancune, que de toute façon « personne ne peut rien pour lui ». Au sujet des études, André dira à plusieurs reprises que son père le décourage, qu’il place la barre trop haut. De plus, en entretenant le doute au sujet d’une possible maladie, le père d’André est préservé de toute critique, André se trouvant même extrêmement culpabilisé d’avoir insulté son père à l’occasion d’un week-end.

115Au cours de l’hospitalisation, André se montrera souvent très déprimé, parfois suicidaire, justifiant des mesures de maintien strict à l’étage. Des traitements antidépresseurs amélioreront son humeur, mais de manière limitée, sans action sur des phobies d’impulsions et des craintes récurrentes d’être homosexuel, pédophile, fasciste ou raciste.

116Entre les deux parents, le conflit est encore ouvert et la perception des difficultés de leur enfant très différente. Le père d’André, d’origine colombienne, est venu en France vers l’âge de 20 ans. Il semble être un éternel étudiant qui n’utilise pas ses diplômes : depuis 20 ans, en effet, il poursuit des études dans différents domaines, mais vit en parallèle d’un travail peu qualifié. Au cours de l’entretien d’admission d’André, il est logorrhéique, avec un discours diffluent et désorganisé, à la limite de la confusion. Il paraît à la fois très proche de son fils, mais ce qu’il peut en dire est dénué de tout affect. On retiendra surtout ses « inquiétudes » quant aux accidents dont son fils pourrait être la victime, en particulier quand celui-ci est chez sa mère, et ses « préoccupations » quant aux études d’André et au sujet des « mauvaises pratiques éducatives » de son ex-femme, responsable selon lui des difficultés psychologiques d’André. Il se montrera très mal à son aise et défensif par rapport aux accusations de son fils selon lequel, jusqu’à l’âge de 13-14 ans, lorsque André allait dans son studio, il dormait dans le même lit que lui et se faisait laver par lui. André rapportera que son père l’obligeait à travailler ses cours pendant de nombreuses heures durant le week-end, avec l’interdiction de « bouger les mains ».

117La mère d’André s’est remariée quand André avait 5 ans et a un second fils de 11 ans. Son propre père, au sujet duquel des soupçons de pédophilie existent aussi, a quitté sa femme après en avoir eu deux enfants pour s’unir avec un homme proche de la famille. C’est elle qui aurait demandé le divorce du fait des différents qui l’opposaient à son mari sur la manière d’éduquer André. Depuis longtemps, elle est « suivie en analyse » et se montre extrêmement déprimée. Au cours d’un entretien téléphonique, dans un mouvement témoignant d’une sorte de culpabilité toute-puissante, elle revendiquera l’origine des malheurs d’André. Elle nous révélera avoir été enceinte d’André par hasard et avoir longtemps hésité à interrompre sa grossesse tant ses rapports avec son mari étaient déjà difficiles, mais celui-ci l’aurait convaincu de poursuivre sa grossesse. André ne dispose pas de ces informations que sa mère se garde bien d’aborder au cours des entretiens familiaux. Ses relations avec André sont conflictuelles et André est l’enjeu d’importants conflits non résolus avec son ancien mari, tant sa dépendance affective avec lui opère encore. Pour elle, il est vital qu’André ait son bac, car cela prouverait à son père qu’il avait tort, d’une part quand il affirmait qu’il ne l’aurait jamais, d’autre part quand il affirmait que ses difficultés étaient dues à sa mère.

118André suit péniblement sa scolarité en Terminale économique et sociale. Il ne se rend qu’épisodiquement en cours et y fait preuve de réelles difficultés scolaires, même si, à l’occasion, il brille par des connaissances qu’il est incapable de retrouver et d’exploiter le cours suivant (notamment en mathématiques). Il envisage des études d’anthropologie et de vivre en Colombie, mais il ne semble pas sûr de ses motivations et hésite continuellement, tant il est l’objet d’enjeux qui le dépassent. Au cours des rencontres avec les professeurs d’André (au sein de la clinique dans une annexe du lycée Lakanal), il sera fait mention d’une impossibilité d’André à rendre un quelconque devoir écrit. André n’appuie pas sur son stylo car bouger les mains est une transgression de l’interdit paternel. Il n’arrive pas à marquer le papier, son écriture devient quasi illisible, car s’autoriser à marquer le support suppose de le percevoir comme suffisamment solide, malléable (M. Milner) et répondant. Les conflits ainsi réactivés s’expriment en cours, où André fait parfois preuve d’une très grande agressivité, qui, le plus souvent contenue, émerge parfois brutalement.

119Poursuite de l’errance

120La sortie du service a été violente et douloureuse : à l’occasion d’une interrogation de la mère au sujet de ses études, André a menacé de la tuer avec son mari. Énervé et agressif, il a jeté des objets à travers la pièce en disant « Vous m’en voulez, il n’y a personne de gentil dans cette famille, sauf le chat ! » De retour à la clinique, André est réticent, méfiant et très anxieux. Il regarde les infirmières sur le côté, il exprime la certitude d’être hypnotisé, que l’on lit dans ses pensées. « Cela dure depuis le lycée, depuis le début de la Terminale, c’était d’abord la nuit, déjà les gens savaient ce que je pensais, j’avais peur. Ensuite, ma mère a demandé aux hypnotiseurs que je sois aussi hypnotisé le jour, j’en ai marre, cela devient gênant, je suis surveillé, je suis en colère. C’est mon psychiatre, la clinique Dupré, ma mère et mon beau-père. Mon frère aussi. » Il présente un syndrome d’automatisme mental avec probablement certaines pensées imposées. Il est interprétatif, projectif et persécuté. André sera de nouveau hospitalisé sur son secteur. Il y sera traité par une association de trois neuroleptiques tellement son adhésion à son délire est grande, et importante son agitation envers les autres patients et les soignants.

121Discussion

122Dès sa prime enfance, André a été l’objet de fantasmes de mort qui ont failli être réalisés par le biais de l’interruption de la grossesse. L’importance subjective pour la mère de ces fantasmes est montrée par leur retentissement toujours actuel : la menace de mort qui a plané sur la grossesse d’André nous est révélée de force, malgré notre refus et en l’absence d’André qui doit en être tenu à l’écart. La dépression clinique actuelle de la mère d’André est en lien presque direct avec celle qu’elle a présentée pendant et après sa grossesse. Les conséquences pour l’enfant d’une dépression maternelle précoce sont l’objet d’une abondante littérature (pour revues, voir N. Guedeney, 1989 ; Ferrari, Botbol et al., 1991 ; Cooper et Murray, 1991 et Goëb et al., 2000). Cette dernière étude a montré que la dépression maternelle du post-partum pouvait représenter un marqueur et un facteur de risque de psychose non autistique pour l’enfant. Ici, l’enfant a échappé à la psychose infantile mais pas aux conséquences laissées par la défaillance maternelle précoce, et l’enfance d’André présente certains aspects dont on peut discuter qu’ils représentent une vulnérabilité à la schizophrénie. La réorganisation psychique de l’adolescence d’André semble avoir révélé cette vulnérabilité psychique ancienne, mal cicatrisée, qui semble illustrer pleinement ce que A. Green (1988) a nommé le complexe de La mère morte, morte psychiquement aux yeux du jeune enfant du fait d’une dépression sans cause intelligible pour le nourrisson qui « interprète cette déception comme la conséquence de ses pulsions envers l’objet » avec les conséquences dramatiques que l’auteur expose, au sein desquelles : « la quête d’un sens perdu », « le sentiment d’une captivité qui dépossède le Moi de lui-même et l’aliène à une figure irreprésentable », « négation de la réalité psychique » et « impression d’une menace psychotique », acharnement « à retenir l’objet primaire et à revivre répétitivement sa perte ». N’est-il pas possible de considérer la décompensation psychotique d’André (ses délires teintés de mélancolie, son sentiment d’avoir été « sous influence » pendant des années, et ses risques de passage à l’acte matricide) comme une tentative désespérée « d’en finir » avec une « mère qui n’en finit pas de mourir » (Green, 1988) ? Cette illusion de libération et de guérison passe par une relation de haine, mais une telle relation provient, selon S. Freud (1915), essentiellement de la lutte du moi pour sa conservation et son affirmation. Ph. Jeammet (1984) se demande si « la violence, même destructrice, n’est pas à cet âge autant une tentative de sauvegarde d’un narcissisme menacé (et d’une identité encore largement méconnue) qu’un moyen de naître à soi-même (par auto-engendrement et fût-ce quelquefois au prix de sa mort) en rompant par effraction les liens d’englobement avec les Imagos primitives. »

123Le délire exprime la réalité psychique du sujet, que celui-ci ne peut assumer : le délire prend alors sur lui la responsabilité de cette révélation. Il permet de plus, d’une manière très claire ici, une prise de distance psychique, impossible autrement.

Observation no 4 – Sylvain

124Sylvain a été adressé à la clinique Dupré à l’âge de 20 ans par son psychiatre qui le suivait depuis l’âge de 17 ans.

125Biographie

126Sylvain est l’aîné de trois enfants, il a deux frères jumeaux âgés de 17 ans qui ne semblent pas avoir de difficultés particulières. Lors de son admission à la clinique, il vivait encore avec sa famille. D’origine juive, les racines de la famille sont mal connues, en particulier de Sylvain. Le père, Ashkénaze, et la mère, Sépharade, se sont rencontrés alors que leurs familles respectives ont connu d’importants déplacements dans leur histoire, en particulier du fait de la Seconde Guerre mondiale. Ces familles ont été meurtries par la guerre.

127À la puberté

128Les troubles de Sylvain ont commencé quand il avait presque 17 ans, au cours des premiers jours de janvier (nouvel an chrétien), par un épisode délirant aigu, avec hallucinations, idées de persécution et de référence, pour lequel il a été hospitalisé pendant un mois à l’hôpital de son secteur. Sylvain s’était en outre montré extrêmement violent et dangereux envers son père, qu’il avait menacé d’un couteau. La symptomatologie productive avait rapidement disparu, laissant place à un fond déficitaire sur lequel des émergences délirantes réapparaissaient régulièrement avec des idées de référence et une tendance à l’automatisme mental malgré une association de neuroleptiques. Malgré de bonnes notes aux épreuves anticipées de français, Sylvain a redoublé sa classe de Première, ses parents s’étant opposés à ce qu’il redouble la Seconde.

129À 19 ans, au début de sa Terminale, une reprise de la discordance associée à une thématique délirante mystique a été observée : Sylvain (juif) se croyait être le Messie revenu sur terre. Cet épisode a été rapidement critiqué par Sylvain qui s’est présenté au baccalauréat en juin, mais sans l’obtenir. Une première demande d’admission à la clinique Dupré a été formulée à la rentrée suivante, mais le bilan pédagogique a été interrompu par les parents qui le jugeaient trop long. Une admission immédiate lui a été proposée l’année suivante, après une nouvelle hospitalisation (libre) sur le secteur en juillet, en raison d’un épisode délirant mystique et mégalomaniaque avec dissociation et hallucinations auditives, survenant avec une humeur exaltée mais sans caractère maniaque.

130Dans le service

131Dans le service, le premier contact fut difficile tant Sylvain était méfiant, hostile et parfois agressif. Les échanges avec les autres patients sont restés longtemps assez superficiels, en dépit d’une liaison « affichée » avec une patiente de la clinique, suivie pour schizophrénie.

132Il s’est présenté aux épreuves de rattrapage du baccalauréat, mais il y a échoué. Le lendemain, il s’est présenté aux cours de Terminale dispensés dans la clinique. Le jour même, en entretien, il nous faisait part de son ambivalence concernant ses études : refaire ou non une Terminale, se présenter ou non au baccalauréat ? Il voudrait faire des études, mais il hésite à intégrer la vie active pour gagner sa vie. Son discours est centré sur l’argent. Même si l’échec de la veille semblait motiver ses réflexions, il n’en parlait pas. Il était très tendu et le fait de lui demander d’arrêter les cours pendant un temps, pour qu’il redéfinisse son projet, l’a beaucoup rassuré.

133Cliniquement, il présentait des troubles de la concentration et des moments d’absence qui justifiaient un traitement neuroleptique lourd, tant la menace délirante était présente. Par ailleurs, l’exaltation de l’humeur des épisodes passés avait justifié la prescription de thymo-régulateurs.

134Psychose, sexualité et meurtre

135Dans un premier temps, il n’était plus hostile mais il restait réticent quand on abordait ses épisodes délirants ou sa vie en famille. Il évoqua une grande rivalité avec l’un de ses frères qui « joue au piano pour l’embêter », Sylvain ne supportant pas les gammes répétées à longueur de temps. Le seul sujet que l’on pouvait aborder était le baccalauréat, qui représentait pour le patient un enjeu important, vue la rivalité importante avec son frère. Pendant cette période, les parents étaient méfiants. Ils collaboraient très difficilement avec l’équipe et rendaient difficile toute tentative d’élaboration d’un autre projet scolaire. On note, au cours de ce début d’hospitalisation, que Sylvain a été agressé physiquement par un autre patient (délirant) de la clinique, sans qu’il se défende. La dispute avait commencé autour de la sexualité (plus exactement autour de la crainte de cet autre patient que Sylvain fût homosexuel et qu’il puisse dès lors représenter un danger). Ces sujets de la sexualité, de l’homosexualité, de la virilité étaient très sensibles pour Sylvain, en particulier à cause d’une peur certaine du sexe féminin, dont nous reparlerons.

136Dans un deuxième temps, les parents se sont montrés plus sensibles à l’état psychique de leur fils et plus disponibles pour interroger le fonctionnement familial. Sylvain a suivi ce mouvement et a pu parler des conflits familiaux, de sa religion, de ses difficultés sexuelles. Il a été reçu à son baccalauréat, malgré l’opposition initiale des soignants qui pensaient que ce projet le mettait trop en difficulté. Cette réussite personnelle a été un moment très heureux où Sylvain a été très valorisé. Cependant, son état clinique restait fragile, avec la persistance à fleur de peau de thèmes délirants variants autour de la sexualité et de la mort. Il présentait ainsi parfois des angoisses de mort submergeantes, avec évocations d’images de camps de concentrations à la moindre allusion possible : le feu, les cheminées des habitations extérieures, les radiateurs de la clinique (qu’il ne pouvait parfois pas s’empêcher de toucher), etc. À ces moments, Sylvain se montrait extrêmement angoissé et même culpabilisé : « Jamais mes parents ne se seraient rencontrés sans les exils de la guerre ! Ma naissance est liée à la disparition de 6 millions de morts ! » À ces moments, la naissance de Sylvain ne trouvait plus son origine dans une scène primitive habituelle, fût-elle sadique et violente, mais bien, plutôt, sa conception devenait le fruit d’une scène monstrueuse de par son coût humain et son immoralité. Vie et mort étaient mêlées, de même que toute sexualité était synonyme d’assassinats monstrueux des ancêtres et donc frappée du sceau du tabou le plus absolu.

137Ces moments furent très pénibles pour Sylvain et pour les équipes. L’alternance de résurgence délirante (d’une part mystique à thèmes messianiques et, d’autre part, corporelle avec dysmorphophobie et stations prolongées devant le miroir), d’exaltation d’allure maniaque et parfois de retraits dépressifs avec des propos suicidaires, a motivé plusieurs hospitalisations au cours de la prise en charge de Sylvain. Signalons qu’un épisode fécond a eu lieu dans le service le matin d’un 14 juillet. Cette date a renvoyé Sylvain, terrorisé, à la période de la guerre que le défilé militaire (très regardé par les patients) évoque et actualise.

138Au cours de moments plus sereins, les thèmes de mort, masqués et affaiblis, revenaient tout de même. Les craintes émergeaient régulièrement à la suite de rapports sexuels avec des jeunes filles non connues de Sylvain. La recherche de l’exogamie le poussait même à n’avoir de relations qu’avec des femmes de couleur. La crainte du Sida était alors le prétexte pour évoquer le sujet. On apprit plus tard que cette phobie du Sida était d’origine maternelle, et que Sylvain la reprenait à son compte sans s’en apercevoir, dans un mouvement de rapprochement sinon de fusion avec sa mère. En fait, la crainte des maladies était pour la mère un prétexte commode lui permettant d’associer aux yeux de ses fils toute « allo-sexualité » à des dangers mortels. Le retournement sur soi des pulsions se manifestait alors à travers une masturbation très violente de la part de Sylvain.

139Les relations sexuelles adultes, avec un autre distinct et reconnu dans son identité sexuée, étaient ainsi fortement culpabilisées. Sylvain se plaignait parfois d’être impuissant avec sa « copine », de peau blanche, avec laquelle il avait une relation suivie. Il en était très gêné, mais il y avait pire : il ne parvenait pas, avec elle, à éjaculer, alors que ce souci n’existait pas avec les inconnues ou quand il était seul. Tous ces propos très crus, avec un vocabulaire à très forte consonance sexuelle, envahi de représentations sexuelles, étaient bien sûr confiés « entre hommes », à l’écart de toute infirmière. Au cours des entretiens, se révélait d’une part une phobie de l’inceste qui interdisait l’accomplissement de la sexualité adulte qui requiert l’autre, où toute femme blanche représentait la mère (laquelle nous dit à l’occasion avoir montré, pour l’informer, son sexe à son fils quand il avait 8 ans), et d’autre part une phobie de la mort. Le fait de ne pas éjaculer (petite mort) pouvait s’entendre comme une manière de ne pas se reproduire, de ne pas donner la vie, mais aussi comme ne pas tuer ses parents, le père en particulier, avec lequel Sylvain s’était montré violent, et ne pas transgresser l’interdit de l’inceste, toute symbolisation étant ici impossible.

140En ce qui concerne son enfance, les seuls éléments qu’il nous a été permis de recueillir sont certaines expériences (qui ne semblent pas sans lien avec ses angoisses actuelles) que Sylvain faisait étant jeune (moins de 10 ans) avec des amis : faire brûler du papier avec de l’alcool à brûler dans les caves de l’immeuble, jouer dans les WC du collège à approcher une flamme de bouteilles de parfum, mettre des piles dans les prises de courant pour les recharger, etc. Sylvain évoquera avoir eu quelques années plus tard des velléités auto-agressives à l’aide d’un couteau, dont nous avons vu qu’il l’a retourné contre son père.

141La poursuite de la prise en charge a permis d’aborder la question des sentiments humains et des relations d’amour, de liaisons indépendantes des aspects factuels et crûment charnels, et enfin d’aborder, d’évoquer simplement tellement nous nous sommes heurtés à de fortes résistances, le sujet du désir d’enfant. De même, son inquiétude concernant « son diagnostic » a pu être abordée. Il disait beaucoup lire sur la schizophrénie et s’y retrouvait, « même si c’est dur à assumer ». Il lisait notamment un ouvrage de vulgarisation que son père avait acheté et qu’il laissait traîner dans la maison. Il regrettait tristement que son père puisse le considérer ainsi.

142La solidité du cadre et les prescriptions lourdes de neuroleptiques et de normothymiques ont permis le maintien de l’insertion sociale de Sylvain, qui a pu s’investir avec succès dans sa scolarité (faculté de communication) et obtenir son permis de conduire (auquel son frère, brillant, avait échoué).

143Après plus de dix-huit mois d’hospitalisation, il fut temps pour nous, mais sur l’initiative de Sylvain, de préparer la fin de la prise en charge à la clinique. Le désir de Sylvain était d’enfin obtenir son autonomie, d’avoir pour cela une chambre en ville, près de sa fac. Les choses ont été très difficiles. La réticence des parents à accéder aux souhaits de Sylvain ne faisait que renforcer son ambivalence à nous quitter, la même que celle qui avait rendu son admission si difficile. Les parents arguant de difficultés financières, mais refusant toute aide sociale requérant la communication des feuilles d’imposition, les recherches ont porté sur des foyers pour étudiants. L’évolution de Sylvain est satisfaisante : aux dernières nouvelles, il poursuivait ses études dans un foyer pour étudiants, ses parents refusant encore qu’il ait un logement indépendant.

144Discussion

145Un point semble essentiel à signaler ici : il concerne la scène primitive, c’est-à-dire le fantasme de l’enfant au sujet des relations sexuelles des parents, avec, comme le rappelle J. Bégoin dans la préface à la traduction française de l’ouvrage de D. Meltzer (1977), « d’un côté ses incertitudes et ses angoisses sur leur caractère “bon” ou “mauvais” (Klein) et de l’autre le désir de l’enfant d’y participer (Freud) ». L’observation de Sylvain illustre bien la division fantasmatique de la sexualité en bonne sexualité [en rapport avec la création des bébés (Klein)] et en mauvaise sexualité [sado-masochisme (Freud) et meurtre des bébés (Klein)]. L’observation illustre aussi comment le surmoi freudien ( « héritier du complexe d’Œdipe » ) peut se révéler, selon les termes de D. Meltzer (1977), « excessivement dur, et même sauvagement meurtrier ». L’adolescence de Sylvain peut avoir été traumatisante (après l’écroulement du clivage obsessionnel rigide et excessif caractéristique de la latence) par la réapparition d’un « manque de sécurité en ce qui concerne les différenciations, interne-externe, adulte-infantile, bon-mauvais et masculin-féminin » (Meltzer, 1977), avec, en outre, des tendances perverses dues à la confusion des zones érogènes et entre l’amour sexuel et le sadisme.

DISCUSSION GÉNÉRALE

146Nous avons traité ici de l’évolution schizophrénique à l’adolescence chez des enfants psychotiques « cicatrisés » (situation que nous proposons de dénommer : « schizophrénie cicatricielle ») en la comparant au développement d’une schizophrénie à l’adolescence chez des enfants réputés antérieurement sains (situation que nous proposons de désigner du terme de « schizophrénie de novo »). Il importe ici de pointer que les enfants psychotiques dont nous avons parlé sont bien particuliers, dans la mesure où ils avaient, très jeunes, des capacités de représentation et de symbolisation qui leur ont permis d’avoir accès à un langage de bonne qualité leur permettant un certain échange avec autrui. Dans nos deux observations « cicatricielles », l’évolution schizophrénique est marquée par l’apparition de délires et d’idées délirantes, voire d’hallucinations classiques, en rupture franche avec le niveau de « fonctionnement antérieur » du sujet. Pour certains auteurs, ces phénomènes délirants pourraient être d’une grande banalité au cours de l’adolescence des enfants autistes, mais sans que personne ne s’en aperçoive, la plupart des autistes étant mutiques. Il nous semble qu’il serait cependant tout à fait réducteur de penser que c’est uniquement la présence du langage qui nous permet d’avoir accès à ces délires et hallucinations ; le problème de reconnaissance des phénomènes délirants pourrait être davantage lié aux critères de délimitation des catégories nosographiques, et en particulier au fait que, par hypothèse, l’autisme a été défini par opposition à la schizophrénie de l’enfant, entité restant sans doute à préciser (Goëb, 2001).

147Nous défendons l’idée que ces enfants ont présenté au cours de leur adolescence une attaque des processus de symbolisation qu’ils avaient pu mettre en place, pendant leur enfance, par des mécanismes d’aménagements compensatoires, par l’hyperinvestissement intellectuel en particulier. Pendant leur enfance psychotique, le principal mécanisme d’agression de leur pensée était la lutte contre la représentation. Nous proposons que c’est le même type d’agression qui est à l’œuvre chez eux pour faire face aux réaménagements psychiques adolescents exigés par le processus pubertaire.

Sexualité, psychose et adolescence

Déni ou absence de représentation dans les schizophrénies « cicatricielles »

148Nous faisons l’hypothèse que la lutte active contre toute représentation, mécanisme en action au cours de l’autisme et des psychoses infantiles, reste le principal mécanisme à l’œuvre chez les adolescents schizophrènes ayant présenté une psychose infantile. La puberté impose même la réactivation de ces mécanismes, en réponse à la sexualisation des liens qui relance notamment la question de la séparabilité de l’objet. Cela a des conséquences directes sur d’autres domaines du fonctionnement psychique, particulièrement dans le domaine intellectuel et cognitif, ce qui peut expliquer chez ces patients certains désinvestissements massifs de la scolarité et des apprentissages lors de la puberté. Au sujet de Marc, nous pouvons d’ailleurs évoquer une « sexualité purifiée de tout conflit, sans lutte, sans obstacles et sans difficultés », selon les termes de G. Abraham (1978).

149De même, en reprenant les propositions de D. Bouchet (1988), nous faisons l’hypothèse que dans les cas de psychose infantile à l’adolescence, l’excitation sexuelle est non maîtrisée par le moi et peut même envahir la pensée au point de lui faire perdre ses capacités à fonctionner en processus secondaires. On retrouve alors une situation que les aménagements compensatoires précoces avaient permis de cicatriser. Confronté à nouveau à l’abîme et au sentiment d’anéantissement qu’il avait connu dans sa première enfance, l’adolescent adopte des symptômes et des mécanismes schizophréniques pour dénier la séparabilité de l’objet qui est à l’origine de ces menaces catastrophiques. Par cette voie finale commune, il peut accéder à une néo-réalité qui, au prix d’amputations significatives, est susceptible de le protéger.

Le « submergement » par le sexuel dans la schizophrénie « de novo »

150En revanche, chez le patient présentant une schizophrénie de novo », l’envahissement de la scène psychique par la sexualité conduit à un désinvestissement des représentations d’objet devant la crainte d’intrusion et de séduction de l’objet, comme nous l’avons illustré à l’aide des observations d’André et de Sylvain. La néo-réalité schizophrénique s’impose là aussi pour remplir le vide laissé par ce désinvestissement.

151Chez les patients de ce type, la sexualité adulte, celle qui reconnaît l’autre de l’autre sexe comme un complémentaire indispensable, cette sexualité est empreinte de mort. Dans le but de se protéger d’une sexualité toujours en risque de réalisation incestueuse, ces patients semblent fuir en avant ; nous entendons par là : ils cherchent un partenaire sexuel qui ne puisse en aucune façon ressembler à leur mère. Tout représentant banal de l’autre sexe est un pas-pareil dangereux car il évoque la mère et la relation avec elle. Ainsi, il semble que pour ces patients cette fuite en avant se traduise par une recherche d’un autre encore plus-pas-pareil. Cette recherche est paradoxale dans la mesure où l’objet recherché semble au-delà de l’objet sexuel complémentaire. De là nous semblent issues : a) d’une part, les craintes pédophiles et homosexuelles d’André (et la lutte contre ces angoisses : son interrogation « Suis-je raciste ? » signifiant en fait, selon nous, « Est-ce que je n’aime vraiment pas ce qui est différent de moi ? », ou encore : « Y a-t-il un danger véritable à aimer un autre-qui-serait-une-femme-comme-ma mère ? ») et b) d’autre part, la souffrance de Sylvain à l’endroit de la relation sexuelle avec son amie blanche et donc la nécessité pour lui de rechercher une partenaire encore-plus-différente que sa mère : c’est-à-dire une femme à la peau de couleur, prostituée, inconnue, non investie, non menaçante de fusion ou plutôt de dévoration, etc. Nous avons déjà évoqué à ce sujet que l’idée de la mort des parents, du fait du sujet transgressant l’interdit de la relation sexuelle, pouvait agir, inconsciemment, ici.

Le temps

152L’adolescence pose toujours la question du temps et de son urgence (Botbol, 2001). La conviction d’immortalité est nécessaire à l’adolescence (Gutton, 2000), et elle est d’ailleurs vérifiée par les nombreuses conduites à risque qui constituent autant de tests ordaliques, avant que la temporalité soit perçue à l’âge adulte comme immaîtrisable, irrémédiablement vectorisée, sans permutation possible entre les générations. L’adulte se définit comme mortel et fécond, il a acquis « l’éphémarité » des choses et l’immortalité par filiation.

L’arrêt de l’horloge

153Chez les adolescents schizophrènes qui étaient psychotiques enfants, le temps semble arrêté, voire inexistant, non représenté psychiquement. Peu importent les dates, les délais, les projets. Peu importent le passé et le futur, la vie se passe uniquement au présent, figée, avec le moins de marge de manœuvre possible. Tout semble en fait se passer comme s’ils contournaient la question du temps, faisaient en sorte, activement, qu’elle ne se pose pas. Ces remarques concernant ces adolescents rejoignent l’opinion de D. Meltzer selon lequel « les enfants autistes ont la capacité de suspendre leur perception de l’écoulement du temps ». Elles rejoignent également ses considérations concernant la difficulté d’accès de ces patients à la tri- puis quadri-dimensionnalité (Meltzer, 1980).

La collusion passé-futur chez le schizophrène

154En revanche, chez les patients schizophrènes, le temps est bien là et même trop là. Il apparaît vécu comme une précipitation, une collusion connivente et persécutrice entre le passé et le futur : Sylvain vit au présent la menace des camps de concentration, et Antoine la menace de mort de la part de ses parents. Le patient et son présent rencontrent violemment le passé et le futur dans une collision, un écrasement qui ne leur permet pas de trouver leur place, leur refuge. Là encore, ils semblent fuir en avant, pour éviter un temps qui se répète, cyclique ou circulaire. Pour éviter cette répétition dramatique, menaçante, Sylvain devient Dieu, éternel ; tandis que, malheureusement, André devient un psychotique chronique, selon l’expression qui traduit bien son errance qui n’est pas seulement institutionnelle.

Angoisses de différenciation et angoisses de séparation

155Il n’est pas possible ici de développer les théories au sujet des différents types d’angoisses. Rappelons seulement la distinction entre angoisses de différenciation et angoisses de séparation (dont Golse, 1995, fait la revue). Les premières, de différenciation, s’approchent de manière imagée, elles sont dites primitives ou archa ïques : angoisses de vidange, de liquéfaction, d’explosion ou d’implosion, d’arrachage ou d’amputation du museau, de précipitation, d’engloutissement, d’intrusion, d’envahissement, de pétrification, de chute sans fond ou de chute sans fin. Elles témoignent d’une fragilisation de l’établissement du sens de Soi. Les secondes, de séparation, sont représentées par l’angoisse de castration et sa fonction de référence au tiers. Dans cette ligne s’inscrit déjà, à huit mois, l’angoisse de l’étranger, pôle inconnu qui s’immisce au cœur de la relation dyadique en annonçant le futur espace paternel à vocation séparatrice.

156Pour schématiser, les angoisses autistiques s’exprimeraient « en termes de non-intégration, en contraste avec la désintégration plus explosive et destructrice de la schizophrénie » (Haag, 1985). Pour cet auteur, qui s’attache dans cet article à souligner les points communs entre autisme et schizophrénie, la schizophrénie est surchargée

157« d’angoisses persécutoires intenses dues à la pénétration destructrice de l’objet, l’autiste restant beaucoup plus au bord de l’abîme dans “l’être collé à” de la relation de surface, dans l’autosensation (Tustin), ou dans l’être collé à l’autre à l’intérieur même de son propre corps [...]. L’interpénétration est évitée chez les autistes, à l’inverse de l’hyperpénétration des symbiotiques ». L’auteur insiste sur « l’impact de la puberté qui majore les angoisses primitives et apporte certainement un flot d’excitation qui ne permet peut-être plus de “rester collé à” ».

Noyade et puits sans fond

158Le ressenti du thérapeute est souvent à l’image de ce que vit le patient. Avec un adolescent devenu schizophrène après une période de psychose infantile, le sentiment éprouvé est celui d’une noyade. De plus, l’impression est que cette noyade est recherchée par le patient jusqu’au plus profond du puits, comme si ces abysses étaient le lieu où l’on pourrait échapper à la tempête qui fait rage en surface. Le patient ne se débat pas, il n’y a pas de mots, pas de débat, pas de combat. La menace ressentie (par le thérapeute) est d’être aspiré, d’être entraîné avec le patient dans le tourbillon.

La crainte de l’intrusion

159Le ressenti est inverse avec les patients schizophrènes. Ils suscitent du retrait, tant leur hostilité est grande, à la mesure, sans doute, de leur angoisse d’intrusion. La menace est d’entrer dans le ring où tous les coups sont permis. Le patient semble pris dans la tempête, incapable de regagner le rivage. Il n’a plus de liens à accrocher à des amarres qui, de toute façon, disparaissent.

La place du délire

160Depuis S. Freud (1924), la fonction autothérapeutique du délire a été reconnue. Le délire témoigne à la fois du désinvestissement des objets internes qu’il vient compenser et de l’investissement préservé d’un fonctionnement psychique et d’une certaine subjectivité. Certains auteurs, comme D. Marcelli (1997), voient même dans la place respective que prennent chacun de ces deux mouvements, plus complémentaires qu’opposés, les possibles critères d’une différenciation diagnostique à l’adolescence entre rupture développementale (où dominerait la valeur de préservation du fonctionnement) et le processus de retrait schizophrénique (où c’est la destructivité qui serait au premier plan).

161C’est une question de même type que nous allons discuter maintenant en nous interrogeant sur l’existence de différences dans le rôle du délire en fonction du type de schizophrénie considéré : schizophrénie de novo » ou schizophrénie « cicatricielle ».

Point de vue sémiologique et point de vue psychopathologique

162Même si, sémiologiquement, les délires et les hallucinations retranscrits dans les deux premières observations diffèrent d’avec ceux des deux dernières, il faut bien reconnaître que les distinguer systématiquement semble assez difficile si l’on en reste d’un point de vue descriptif. En revanche, si l’on se préoccupe de psychopathologie, délire et hallucinations, qui sont les deux piliers majeurs du diagnostic de schizophrénie, peuvent être considérés comme la voie finale commune de tableaux dont les fondations psychopathologiques paraissent radicalement différentes. Ainsi, au sein des deux types de tableaux que nous comparons, « le » délire semble bien occuper une place différente avec, en corollaire, un effet radicalement différent.

Chez l’enfant psychotique cicatrisé : le délire comme comblement de l’espace intersubjectif

163Chez l’enfant qui a présenté un trouble envahissant du développement qui a cicatrisé, la douleur vient du déchirement que représente la séparation d’avec la mère, plat que ressert l’adolescence avec insistance. F. Tustin (1977) avait décrit le concept d’objets autistiques pour lutter contre la douleur de la perte ou nier la séparation. Elle utilisait aussi le concept d’hallucination négative pour évoquer l’effort fait par l’enfant pour colmater le « trou noir » (Tustin), la déchirure née du vécu traumatisant d’une séparation corporelle insupportable. Nous proposons l’idée que le délire vient ici, à l’adolescence, renouveler autrement le comblement de cette béance psychique, avec l’effet à la fois d’en atténuer la douleur, mais aussi d’en masquer la cause, c’est-à-dire nier une nouvelle fois la séparabilité de l’objet et colmater la séparation déchirante et amputante avec lui.

164Aurore délire, l’observation le montre, mais sous une forme assez inhabituelle, assez éloignée, en tout cas, des formes indiscutables, catégorielles (c’est justement de cela qu’il s’agit) permettant au médecin de se forger un avis nosographique. Aurore délire, donc, mais sous une forme sensorielle, cénesthésique et non auditive ou visuelle. Comme le remarque G. Haag (1985) : « Les schizophrénies à forte composante autistique seraient-elles celles où l’on retrouve plus volontiers des troubles de l’image du corps à type de clivage vertical (coupure en deux), et peut-être davantage de ces moments hallucinatoires sensoriels “en agrippement” dont parle P. Aulagnier ? »

165Pour l’enfant autiste, le corps n’a pas d’existence en tant que tel, sinon en tant que sensations que le sujet crée par des autosensations répétitives (comme les balancements). Cette sensation somatique autocréée devient la seule preuve de vie, preuve qui va à l’encontre de tout stimulus extérieur, ressenti comme une intrusion insupportable. Le devenir schizophrénique d’Aurore, ses hallucinations cénesthésiques lui permettent – du moins en faisons-nous l’hypothèse de travail – de faire l’économie des classiques comportements stéréotypiques présentés par certains patients psychotiques. Toutefois, cette souffrance somatique dont Aurore se plaint à longueur de journée paraît une indispensable « mémoire du corps, confrontant le sujet à un déjà éprouvé dont il n’a pas le souvenir » (Mijolla-Mellor, 1998).

166Pourquoi cette place particulière du corps comme support hallucinatoire, notamment chez Aurore ? Un élément de réponse peut être l’investissement particulier du corps chez certains patients évoqués par P. Aulagnier (1979). Pour cet auteur, le sujet adulte considère son corps comme l’enfant qu’il a été et qu’il pourra « aussi bien désirer réparer, surprotéger ou à l’inverse ha ïr, punir [...], ou encore tout simplement ignorer, reprenant ainsi à son compte la surdité maternelle ». Le processus à l’œuvre n’est-il pas ici encore de rendre à la vie un corps précocement délaissé (par l’environnement) puis désinvestit (par le sujet) ? De plus, ainsi que le souligne S. de Mijolla-Mellor (1998) :

167« Le corps rejeté par l’autre peut aussi être un corps mis en place de persécuteur extérieur [...]. La relation inconsciente entre l’enfant et sa mère, sa dimension persécutrice et la haine qui s’y échange, vont se déplacer sur la relation entre le Je et son propre corps. Le sujet introjecte la persécution et la haine, devenant alors le champ de bataille d’une relation persécuté-persécuteur entre son propre Je et son propre corps. »

168P. Aulagnier (1984) montre comment l’incapacité du Je à métaboliser les informations extérieures conduit à un étrange « retour au corps » sous forme de sensations de souffrances hallucinées.

169Les choses apparaissent un peu moins tranchées en ce qui concerne le délire de Marc, qui peut, bien entendu, avoir des fonctions multiples. Cependant, le délire de filiation grandiose ne nie-t-il pas la place du tiers paternel, et ce précisément quand la réalité la met en question ? L’effacement du père facilite, entre autres, un retour à la relation fusionnelle originelle.

Chez le schizophrène « de novo » : le délire comme moyen de mise à distance de l’autre

170Chez le schizophrène, il semble licite de penser que, dans certains cas au moins, la prise en considération de la réalisation maintenant possible des fantasmes n’aille pas de soi dans l’esprit du patient. Cette représentation, mortifère, de la part du thérapeute ne ferait que réduire ces patients à une position purement passive de soumission contre laquelle, justement, ces patients luttent. Alors, tout semble se passer comme s’il fallait lutter contre l’horreur de l’inceste et du parricide. Tout rapproché est vécu par le patient comme une menace, à la fois d’intrusion de l’extérieur vis-à-vis de lui (menace intolérable d’engloutissement, de retour à la fusion originelle – ce que recherche précisément l’autiste), mais aussi menace pour l’extérieur en raison de son agressivité meurtrière, dont le patient a conscience et dont il veut protéger l’extérieur. Le délire permet ici une mise à distance entre le patient et le monde extérieur, notamment son entourage ha ï parce qu’aimé : distance réelle par le recours au (du) tiers (l’hospitalisation, la prescription, etc.), distance symbolique aussi par la création d’une néo-réalité. Ici, le délire éloigne, prévient, empêche la réalisation du fantasme, là où, précisément, il a vocation, chez l’autiste devenu schizophrène, à rapprocher, à abolir les distances dans un mouvement d’engloutissement.

171Au sujet des thèmes mégalomaniaques des délires de Sylvain ( « Je suis le Messie » ), et même certainement de Marc ( « Je suis le fils du roi d’Angleterre » ), on trouve chez P. Aulagnier (1975 et 1979) un axe très fécond de réflexion. Ainsi, normalement, à l’adolescence, la mère n’a plus le pouvoir de répondre à certaines questions comme « Qui suis-je ? » ou « Que dois-je devenir ? ». Alors :

172« Le Je répondra en son nom propre par l’autoconstruction continue d’une image idéale qu’il revendique comme son bien inaliénable et qui lui garantit que le futur ne se révélera ni effet du pur hasard, ni forgé par le désir exclusif d’un autre Je. »

173Pour P. Aulagnier (1979), dans la psychose, le sentiment d’identité butte toujours sur un refus de reconnaissance de la part de l’entourage : « Le sujet est exclu du pensable de l’autre au profit de ce que cet autre serait seul à pouvoir penser. » L’idéalisation mégalomaniaque du psychotique vient traduire cette impossibilité du sujet à investir des projets identificatoires ; les patients clamant à hauts cris leur autonomie psychique, leur activité propre.

174Comme nous l’évoquions au sujet de la recherche d’un partenaire sexuel qui soit un au-delà vis-à-vis de la mère du patient, il y a bien ici encore la recherche d’un au-delà, le patient devenant Dieu quand il ne peut pas simplement devenir lui-même.

175Nous en avons discuté plus haut, ce vécu de risquer de marcher sur les pas d’Œdipe conduit le patient à adopter une sexualité agressive (Sylvain) et une agressivité génitalisée (André). Est-il exagéré de penser qu’alors le patient préfère tuer sa mère plutôt que de coucher avec elle, et se soumettre à son père plutôt que de le tuer ? On pourrait d’ailleurs voir ici une autre illustration de cet Antœdipe dont nous parle P. C. Racamier (1992).

176Ces remarques rappellent la recherche de distance d’avec la mère quand celle-ci est représentée par la langue maternelle. Ses mots, sa nourriture sont des violeurs selon la description de L. Wolfson (1970). P. Aulagnier souligne le fantasme d’être réabsorbé dans l’espace maternel par le biais de son espace sonore à elle, inceste vécu en permanence comme réalisable, et donc nécessitant une attention permanente, éventuellement délirante, pour pouvoir en éviter la réalisation.

Des entraves au fonctionnement intellectuel : le rapport au savoir dans les deux types de schizophrénie

177Nos observations (surtout ici celles de Marc et d’André) soulignent la place qu’occupent les entraves au fonctionnement intellectuel dans les troubles psychopathologiques. La question des études et des formations constitue un point particulièrement crucial à l’adolescence et elle joue généralement un rôle très proche de celui de la sexualité dans les processus inconscients. D. Meltzer (1972), par exemple, décrit les risques fantasmatiques attachés à l’apprentissage et à la connaissance. Selon lui, ils sont synonymes de vie et donc de mort :

178« Ces secrets de la nature appartiennent, dans le fantasme inconscient, à la catégorie de l’intérieur du corps de la mère. La possession et le contrôle de celle-ci, et par conséquent de la mortalité, sont le but ultime de la connaissance car la mort est ressentie comme impliquant un retour fatidique dans les entrailles de la mère, de même que la vie en était l’exil. »

179De son côté, E. Lherme-Piganiol (1997) pointe l’hyperinvestissement scolaire comme possible témoin d’une souffrance psychique authentique, comme peut l’être le retard scolaire. Cette soumission, voire cette capitulation de l’adolescent montre aussi la valeur économique de cet investissement scolaire, véritable boulimie intellectuelle qui occupe toute la pensée et permet de « faire l’impasse », en particulier sur les autres questions qui se posent au sujet, notamment celles qui touchent à la séparation et au sexuel. La réussite scolaire est alors parfois, comme nous l’avons illustré, la source de décompensations psychiques graves, puisqu’elle vient marquer l’accès à un savoir qu’on ne peut plus ignorer et la fin d’un alibi défensif surinvesti.

180Il était donc prévisible que les entraves au fonctionnement intellectuel et à l’acquisition des savoirs soient sensibles aux troubles psychopathologiques à l’adolescence. On connaît par ailleurs la place qu’occupent les troubles cognitifs chez les patients schizophrènes.

181Les particularités de la clinique Dupré permettent au clinicien d’avoir au quotidien, par l’intermédiaire des enseignants du lycée interne à l’établissement, des informations exceptionnellement détaillées sur les processus d’apprentissage des patients suivis et les entraves qu’ils rencontrent dans leur fonctionnement intellectuel. Il ne s’agit bien sûr pas ici de données issues d’une évaluation relevant spécifiquement de la psychologie cognitive mais d’évaluations pédagogiques classiques réalisées par des enseignants habitués à se confronter aux particularités induites par la psychopathologie et aux élaborations cliniques auxquelles elles peuvent donner lieu (Botbol et Barrère, à paraître). C’est en tout cas de cette confrontation aux données cliniques issues de la pédagogie qu’est née l’idée de ce travail.

182Des données différentielles apparaissent en effet à l’écoute des professeurs de patients diagnostiqués schizophrènes qui tentent de dépasser les entraves à leur fonctionnement cognitif. On observe ainsi que certains de ces patients, les moins nombreux, manifestent, comme certains enfants autistes, une grande difficulté à aborder l’abstraction qui est souvent vécue comme un changement catastrophique. Ce trait avait été également noté chez un enfant autiste par l’un d’entre nous dans une classe intégrée qu’il avait créée dans un autre contexte (Botbol et Gobeau, 1997). Les autres patients, en revanche, les plus nombreux, adoptent des processus d’apprentissage plus habituellement décrits chez les schizophrènes : processus associant des stratégies d’évitement de certaines associations symboliques, ainsi que des difficultés dans le traitement du contexte et de la métaphore, ce qui correspond à ce qui a été décrit sous le nom de pensée équationnelle (Segal, 1970).

183On peut ainsi distinguer entre : a) d’une part, les patients qui investissent le savoir de façon strictement instrumentale, machiniste, en se servant de cet investissement comme d’un rempart ou d’un bouclier contre l’objectalité que ces savoirs mobilisent, et b) ceux pour qui, d’autre part, tout savoir constitue une insupportable intrusion de l’objet dans une psyché trop perméable à la sexualisation des liens suscitée par l’objet. Aux premiers correspondraient les schizophrénies construites secondairement à des troubles du développement précoce cicatrisé ; aux seconds correspondraient les schizophrénies classiques à l’adolescence (de novo).

184Malgré leur nette différence, ces deux mouvements ont cependant des conséquences similaires, du point de vue de l’enseignement tout au moins. De l’un et l’autre de ces processus défensifs résultent une abrasion de l’espace transitionnel et, avec lui, la disparition des phénomènes d’illusion, si souvent indispensables à l’acquisition des savoirs. C’est en effet au travers des phénomènes transitionnels et de leurs paradoxes positifs (Roussillon, 1997) que le sujet peut apprendre, sans se poser constamment la question de l’origine des savoirs qu’il acquiert par le truchement d’un autre. Dans le cas contraire, la précession du savoir de cet autre peut apparaître comme narcissiquement insupportable, notamment à l’adolescence, et plus encore lorsque celle-ci s’accompagne de troubles psychiques.

185Sans la protection psychique que représente l’espace transitionnel pour le narcissisme, sans les phénomènes préconscients rendus possibles dans cet espace, ces patients sont conduits à adopter la voie finale commune que constitue l’attaque du lien, dans une tentative désespérée et amputante de désaffectiver les savoirs.

186Ils réalisent ces attaques selon deux grands types de modalités : a) soit en transformant les savoirs en données computationnelles investies comme autant de savoirs équivalents ; b) soit en désinvestissant toute représentation de chose, interdisant, par-là même, toute possibilité de symbolisation et d’apprentissage.

187On peut faire l’hypothèse que la première modalité serait plus particulièrement retrouvée chez les patients dont la schizophrénie est secondaire à la décompensation de la cicatrice d’un trouble précoce du développement, tandis que la seconde serait plus fréquente dans les schizophrénies de novo, dont le début se situe à l’adolescence.

188L’hyperinvestissement de la pensée au cours des premières années de l’enfant psychotique est donc pour lui un moyen d’éviter de se confronter à la séparabilité de l’objet. Pour cet enfant, penser, se représenter l’objet revient à reconnaître la possibilité de sa séparabilité par le maintien d’une présence in absentia. La réactivation de ces questions à l’adolescence remet en cause cet aménagement qu’elle interroge de nouveau en le soumettant aux bombardements d’une sexualisation intense. Les observations d’Aurore et de Marc montrent à quel point la lutte pour ne pas penser redevient ici vitale.

189Chez le patient schizophrène de novo, il semble que cet acte de penser puisse devenir synonyme de meurtre, de trahison. Le patient est en proie à un conflit de loyauté terrible, mais devant l’effroi, l’horreur, il arrive que la pensée, l’investissement intellectuel soient sacrifiés, ce que montre l’échec d’André à passer son baccalauréat. En revanche, dans les cas où la pensée est investie comme un moyen de mettre de la distance pour éviter le retour à la fusion, cette activité de pensée peut être sauvegardée et même d’une manière très féconde, comme le montre l’observation de Sylvain qui connaît le succès universitaire, mais à qui il est refusé la liberté de vivre dans un logement autonome. On le voit, le rôle des défenses intellectuelles peut être très différent d’un patient à l’autre ; il importe de garder une vision dynamique dans l’observation des patients.

CONCLUSIONS

190Il ne s’agit pas ici, bien sûr, d’expliquer pourquoi ou comment tel patient en particulier devient schizophrène. Notre propos est de tenter de repérer à l’intérieur du groupe des patients qui répondent au diagnostic de schizophrénie, certaines variations des processus psychopathologiques selon que les patients ont présenté une schizophrénie de novo, en comparaison de ceux qui le deviennent après avoir présenté, dans la première enfance, une psychose infantile ou un trouble global du développement précoce (schizophrénie cicatricielle).

191Il semble que pour les schizophrènes cicatriciels (au passé de trouble grave du développement précoce), la question de la séparabilité de l’objet primaire se pose à nouveau à l’adolescence avec une acuité déchirante, comme elle se posait au cours de leur toute petite enfance. Ici, la puberté est en cause dans la mesure où elle contraint à la séparation d’avec les objets infantiles et souligne en tout cas leur séparabilité. Il semble qu’ici, la seule activité de pensée, de (se) représenter, vient, comme le langage (Kristeva, 1987), marquer de façon douloureuse la distance entre soi et les autres. Cette distance psychique, intersubjective, est insupportable pour l’enfant autiste ou plus généralement psychotique. Devenu adolescent, la douleur reste la même pour le sujet. Face à elle, tout est fait, activement et à grands frais psychiques, pour dénier cette séparation vécue comme un véritable arrachage (Tustin, 1977), comme le montrent les deux premières observations d’Aurore et de Marc.

192Chez ces patients, un aménagement compensatoire avait permis une cicatrisation initiale et temporairement efficace pendant la deuxième enfance, en utilisant notamment un investissement opératoire de la pensée, sans fonction auto-érotique. La signification est réduite à un pur placage, la rêverie inefficace. Aucun investissement (ou peu) ne circule entre les représentations qui existent. Il y a une sorte de collusion paralysante entre la pensée et l’acte pensé ; la pensée se résumant à ce dernier.

193L’hyperinvestissement d’une certaine forme froide et rationnelle de pensée était jusqu’alors parvenu à colmater l’espace entre la représentation que le sujet se fait de lui-même et celle qu’il se fait de l’autre.

194Le devenir schizophrénique de la psychose infantile, c’est.à-dire l’émergence d’une néo-réalité idiosyncrasique, délirante voire hallucinatoire, ne peut-il pas ici aussi être compris, comme nous en avons discuté, comme une tentative de mettre en place une seconde ligne de défense permettant une nouvelle adaptation du sujet à son environnement ? Quand un enfant confronté précocement à la psychose devient schizophrène à l’adolescence, c’est la même logique défensive que celle qu’il a mise en place dans la première phase de sa pathologie qui est mise en œuvre, aboutissant à la symptomatologie schizophrénique. Autrement dit, les mêmes causes n’aboutissent pas aux mêmes effets, mais à une expression différente utilisant, en quelque sorte, des « moyens et des mots d’adulte » nouvellement acquis.

195Cela confirme que la psychiatrie ne peut se fier aux seules différences descriptives pour écarter toute idée de continuité psychopathologique entre l’autisme de l’enfant et certaines schizophrénies de l’adolescence.

196En ce qui concerne la schizophrénie de novo, c’est le risque de séduction ou d’intrusion qui fait le danger. Nous avons évoqué le rôle de l’investissement de la sexualité, de la pensée, du temps ou du délire pour mettre de la distance avec les objets et lutter contre une rapproché vécu comme dangereux à la fois pour le sujet (engloutissement) mais aussi pour l’entourage (risque de mise en acte des fantasmes incestueux et parricide). Autrement dit, on est confronté ici à une symptomatologie commune pour des processus psychopathologiques différents.

197Mais si l’on prend en compte les dynamiques psychopathologiques à l’œuvre, ne faudrait-il pas reconsidérer les délimitations nosographiques actuellement retenues pour la schizophrénie en distinguant schizophrénie de novo et schizophrénie secondaire ? Faudrait-il, au contraire, conclure que certains troubles psychotiques précoces peuvent être des facteurs de risque pour la schizophrénie dès lors qu’ils ont abouti à une cicatrisation par des aménagements compensatoires suffisants dans la deuxième enfance ? Il s’agirait alors d’une vulnérabilité psychopathologique, la question d’une éventuelle vulnérabilité neurobiologique s’inscrivant dans une autre logique qu’il resterait à reconsidérer à la lumière de ces nouvelles données.

198Il s’agit en somme d’interroger autrement la notion de la vulnérabilité, en la sortant de son réductionnisme limité aux points de vue neurologiques ou génétiques, et de remette aux formes actuelles des questions à l’origine de travaux particulièrement riches de la part d’auteurs psychanalystes réputés comme P. Aulagnier (1975) et son concept de potentialité psychotique ou Racamier (1992), par exemple.

199Automne 2001

Français

Adolescence et évolution schizophrénique de psychoses infantiles : particularités cliniques en comparaison de schizophrénies “ de novo ”

Le devenir schizophrénique de certains enfants psychotiques est un sujet de débats passionnés. Si cette évolution ne semble pas plus fréquente chez ces enfants psychotiques que dans la population générale, elle survient de préférence chez ceux d’entre eux dont le QI est normal ou élevé et qui possèdent un langage qui leur permet d’exprimer les symptômes requis par les classifications internationales pour établir le diagnostic de schizophrénie. Rare dans l’autisme pur de Kanner, cette évolution semble plus fréquente dans les psychoses infantiles “ à la frontière de l’autisme ”. Dans une démarche rétrospective, nous nous intéressons ici à quatre adolescents schizophrènes, pris en charge à la clinique Dupré (Fondation Santé des étudiants de France, Sceaux), afin de distinguer ceux dont le processus schizophrénique serait apparu brutalement ( “ de novo ” ), de ceux dont l’adolescence vient décompenser, sur un mode schizophrénique, un aménagement compensatoire antérieur fragile, cicatrice imparfaite d’un trouble grave du développement précoce. Certaines différences apparaissent, relatives à l’écart entre les processus psychopathologiques présentés par ces deux types de patients, tout particulièrement l’investissement de la sexualité, des processus de séparation et d’acquisition des savoirs ou les modalités de représentation. Dans ces deux situations, nous discuterons le rôle de l’adolescence conçue comme un deuxième temps traumatique du développement de la sexualité humaine, dans la mesure où, en accord avec la théorie freudienne de l’après-coup, elle constitue un afflux pulsionnel inélaborable selon les voies ordinaires et renvoie le sujet à l’effroi d’un événement sexuel précoce hautement significatif. Avec la sexualisation des liens et le nouveau travail de séparation et d’ouverture au monde qu’elle exige, l’adolescence vient en effet expliciter et réactiver la sexualité première, celle vécue par le bébé auprès de sa mère.
Dans ce travail, nous tentons de montrer comment des symptomatologies communes au regard des critères descriptifs adoptés par les classifications internationales pour le diagnostic de schizophrénie recouvrent en fait des différences psychopathologiques fondamentales qui déterminent des organisations dynamiques radicalement distinctes. Ainsi, par exemple, les manifestations délirantes semblent bien occuper une place différente et avoir des fonctions distinctes dans les deux types de tableaux que nous présentons. Chez l’enfant psychotique devenu schizophrène, le délire vient participer aux processus défensifs qu’il a mis en place précocement en colmatant l’espace intersubjectif : il tente ainsi de combler la béance psychique intersubjective, en tentant activement d’en masquer la cause, c’est-à-dire la séparabilité de l’objet ; la réactivation de cette question par le processus adolescent oblige certains patients de ce type à de nouvelles constructions défensives qui renforcent ce déni. Chez le schizophrène “ de novo ”, le délire apparaît au contraire comme un moyen efficace de mise à distance de l’autre : distance réelle et symbolique aussi par la création d’une néo-réalité. Ici, le délire éloigne l’autre et prévient la réalisation du fantasme incestueux, là où il avait, chez l’enfant psychotique devenu schizophrène, précisément vocation à rapprocher, à abolir les distances dans un mouvement de déni de la séparabilité de l’objet.
Ces distinctions ne sont pas sans conséquences sur certains fonctionnements psychiques complexes qui paraissent différencier les schizophrènes “ de novo ” et les enfants psychotiques devenus schizophrènes : c’est notamment le cas des procédures d’acquisition des savoirs qui pourraient constituer un marqueur clinique de différenciation entre ces deux groupes. Pour autant, la métamorphose du mode d’expression symptomatique entre la prime enfance et l’adolescence nous semble insuffisante pour écarter toute idée de continuité psychopathologique entre psychoses de l’enfant et certaines manifestations d’allure schizophrénique à l’adolescence, posant la question du diagnostic de ces manifestations ou de l’existence de sous-groupes hautement significatifs au sein de l’entité nosographique constituée par la schizophrénie des classifications internationales. D’autre part, les ressemblances symptomatiques à l’adolescence ( “ la voie finale commune ” ) ne doivent pas faire ignorer les différences d’organisation psychopathologique sous-jacentes dont on trouve la trace lorsqu’on ne se contente pas d’un diagnostic basé sur des critères étroitement descriptifs et que l’on s’attache aux détails de la dynamique des patients. Ces considérations sont susceptibles de modifier notre point de vue sur la notion de vulnérabilité, celle-ci pouvant avoir, elle aussi, une valeur différente dans chacun des deux types psychopathologiques que nous avons dégagés

Mots cles

  • Adolescence
  • Autisme
  • Psychose infantile
  • Schizophrénie
  • Séparation
  • Cognition
  • Vulnérabilité
English

Adolescence and the schizophrenic evolution of child psychoses : clinical particularities in comparison to “ de novo ” schizophrenias

The schizophrenic evolution of some psychotic children is a subject of passionate debate. If this evolution does not appear to be more frequent in psychotic children than in the general population, it appears preferentially in those whose IQ is normal or above normal and who possess language capacities which allow them to express the symptoms required by international classifications in order to establish the diagnosis of schizophrenia. While this evolution is rare in pure Kannerian autism, it seems to be more frequent in child psychoses “ at the frontier of autism ”. In a retrospective study, we will look at the cases of four schizophrenic adolescents taken into care at the Dupré Clinic (Fondation Santé des étudiants de France, Sceaux), so as to distinguish those in whom the schizophrenic process appeared abruptly ( “ de novo ” ), from those in whom the adolescent period triggered a decompensation in the schizophrenic mode of earlier, fragile, compensatory adjustments, an imperfect scar over a severe problem during early development. Some differences appear which are relative to the disparity between the psychopathological processes presented by these two types of patients, particularly in their cathexis of sexuality, the processes of separation and the acquisition of knowlege or the modalities of representation. In the two situations, we will discuss the role of adolescence conceived as a second traumatic period of development of human sexuality to the degree that, in accordance with Freudian theory of the “ après-coup ”, it constitutes an influx of drive impulses which are impossible to elaborate according to usual methods and the subject is forced to confront the terror of a highly significant sexual event. With the sexualization of relations and the new work of separation and opening out to the world which it demands, adolescence clarifies and reactivates primary sexuality, that is, the sexuality which was experienced by the baby at his mother’s breast.
In this work, we will try to show how the symptomatologies which are considered the same from the perspective of the descriptive criteria adopted by international classifications for the diagnosis of schizophrenia, cover, in fact, fundamental psychopathological differences which determine radically distinct dynamic organizations. As an example, delirious manifestations clearly seem to occupy a different place and to have distinct functions in the two types of tableaux which we present. In the psychotic child who has become schizophrenic, delirium is part of the defensive processes which he has set into place at an early period by filling up intersubjective space : in this way, he tries to fill the intersubjective psychic gap by actively trying to mask the cause, that is, the separability of the object. The reactivation of this question during the adolescent process forces certain patients of this type to elaborate new defensive constructions which reinforce denial. In the “ de novo ” schizophrenic, delirium appears, on the contrary, to be an efficient means of distancing the other : real and also symbolic distance through the creation of a neo-reality. Here, the delirium distances the other and obstructs the realization of the incestuous fantasy, at the place where, in the psychotic child who has become a schizophrenic, its vocation is precisely to bring together, to abolish distances in a movement of denial of the separability of the object.
These distinctions are not without consequences upon certain types of complex psychic functioning which appear to differenciate the “ de novo ” schizophrenics from psychotic children who have become schizophrenic. It is particularly the case in procedures of knowledge acquisition which could constitute a clinical marker of differentiation between these two groups. This notwithstanding, the metamorphosis of the mode of symptomatic expression between early infancy and adolescence seems to us to be insufficient to eliminate any idea of psychopathological continuity between child psychoses and certain schizophrenic-like manifestations during adolescence, thus posing the question of the diagnosis of these manifestations or the existence of highly significant sub-groups at the heart of the nosographic entity defined for schizophrenia in international classifications. Furthermore, the symptomatic resemblance at adolescence (the final common path) should not let us ignore the underlying differences of psychopathological organization whose traces are found when we look beyond a diagnosis based on narrowly descriptive criteria and consider the details in the dynamics of these patients. These considerations are likely to modify our point of view concerning the notion of vulnerability, since this concept can have a different value in each one of the two psychopathological types that we have presented.

Español

Adolescencia y evolución esquizofrénica de las psicosis infantiles : particularidades clínicas en comparación con las esquizofrenias “ de novo ”

El porvenir esquizofrénico de algunos ninos psicóticas es un tema de debate candente. Aunque este evolución no parece ser má s frecuente en los niños psicóticos que en la población general, aparece preferentemente en los que tienen un QI normal o elevado y que poseen un lenguaje que les permite expresar los síntomas necesarios de las clasificaciones internacionales para establecer el diagnóstico de esquizofrenia. Esta evolución, muy rara en el autismo puro de Kramer, parece ser má s frecuente en las psicosis infantiles “ fonterizas con el autismo ”. En un estudio retrospectivo nos hemos centrado en cuadtro adolescentes esquizofrénicos hospitalizados en la Clinica Dupré (Fundación de Salud de los estudiantes de Francia, Sceaux) para distinguir aquellos en los que el proceso esquizofrénico se ha desencadenado brutalmente ( “ de novo ” ) y los que se descompensan en la adolescencia, en un modo esquizofrénico, después de un compromiso compensatorio anterior frá gil, cicatriz imperfecta de un trastorno grave del desarrollo precoz. Se observan diferencias entre los procesos psicopatológicos que presentan estos dos tipos de pacientes, especialemente en relación con la investidura de la sexualidad, los procesos de separación o la adquisición de conocimientos o modos de representación ; estudiamos en ambas situaciones el papel de la adolescencia concebida como un segundo tiempo traumá tico del desarrollo de la sexualidad humana pues según la teoría freudiana del “ après-coup ”, sufre un aflujo pulsional difícil de elaborar con los medios habituales y enfrenta ai sujeto con el terror de un acontecimiento sexual precoz altamente significativo. La sexualización de los vínculos, el nuevo trabajo de separación y la apertura hacia el mundo explicita y reactiva la primera sexualidad, la que vivió el bebé con su madre.
En este trabajo intentamos mostrar como sintomatologías comunes según los criterios descriptivos adoptados por las clasificaciones internacionales para el diagnóstico de la esquizofrenia, tapan de hecho diferencias psicopatológicas fundamentales que determinan organizaciones diná micas radicalmente distintas. Por ejemplo, las manifestaciones delirantes ocupan un lugar diferente y tiene funciones distintas en los dos tipos de cuadros presentados. En el nino psicótico convertido en esquizofrénico, el delirio participa en los procesos defensivos precoces, rellenando el espacio intersubjetivo : trata así de colmar el vacío psíquico intersubjetivo, intentando disimular activamente la causa, es decir la capacidad de separarse del objeto ; la reactivación de este tema en el proceso de la adolescencia obliga a que algunos pacientes de este tipo erijan nuevas construcciones defensivas para reforzar esa renegación. En el esquizofrénico “ de novo ”, ai contrario, el delirio surge como un medio eficaz de puesta a distancia del otro : distancia real y también simbólica mediante la creación de una neo-realidad. En este caso el delirio aleja al otro impidiendo la realización de la fantasia incestuosa, cuando sin embargo en el nino psicótico convertido en esquizofrénico prevalece la tendencia al acercamiento, a abolir las distancias en un movimiento de renegación de la separabilidad del objeto.
Estas distinciones no dejan de tener consecuencias en algunos funcionamientos psíquicos complejos que parecen diferenciar a los esquizofrénicos y a los niños psicóticos convertidos en esquizofrénicos : por ejemplo en los procesos de adquisición de conocimientos que podrían ser un indicio clínico de diferenciación entre los dos grupos. La metamorfosis del modo de expresión sintomá tico entre la primera infancia y la adolescencia no nos parece suficiente para descartar la idea de continuidad psicopatológica entre psicosis del nino y ciertas manifestaciones de aspecto esquizofrénico de la adolescencia que plantean la cuestión del diagnóstico de estas manifestaciones o de la existencia de sub-grupos altamente significativos en la entidad nosográ fica de la esquizofrenia en las clasificaciones intemacionales. Por otra parte, las similitudes sintomá ticas de la adolescencia ( “ la via final común ” ) no deben hacemos pasar por alto las diferencias de organización psicopatológica subyancente de la que se encuentran rastros cuando no se contenta uno con un diagnóstico basado en criterios esencialemente descriptivos y que se interesa uno por los detalles de la diná mica de los pacientes. Estas consideraciones pueden modificar nuestro punto de vista sobre la noción de vulnerabilidad, ya que esta puede tener un valor distinto según los dos tipos psicopatológicos estudiados.

  1. AVANT-PROPOS CLINIQUE
    1. Adolescence et sollicitation du développement précoce
      1. Le double ancrage corporel et relationnel des processus précoces de symbolisation
      2. Les enfants surdoués, le devenir à l’adolescence de certains talents précoces
      3. Adolescence et remaniement de la sexualité infantile
      4. La créativité à l’adolescence : la complémentarité des sexes comme nouveau détour par l’autre
    2. Adolescence et psychoses
      1. Adolescence et schizophrénie
      2. Adolescence, sexualité et psychoses
      3. L’adolescence des psychoses infantiles
      4. L’évolution schizophrénique à l’adolescence des psychoses infantiles
    3. Conclusion de l’avant-propos
  2. ILLUSTRATIONS CLINIQUES
    1. Quelques mots de présentation de la clinique Dupré
    2. Deux observations d’adolescents schizophrènes dont le passé apparaît psychotique : Aurore et Marc
      1. Observation no 1 – Aurore
      2. Observation no 2 – Marc
    3. Deux observations d’adolescents schizophrènes dont le passé ne semble pas psychotique : André et Sylvain
      1. Observation no 3 – André
      2. Observation no 4 – Sylvain
  3. DISCUSSION GÉNÉRALE
    1. Sexualité, psychose et adolescence
      1. Déni ou absence de représentation dans les schizophrénies « cicatricielles »
      2. Le « submergement » par le sexuel dans la schizophrénie « de novo »
    2. Le temps
      1. L’arrêt de l’horloge
      2. La collusion passé-futur chez le schizophrène
    3. Angoisses de différenciation et angoisses de séparation
      1. Noyade et puits sans fond
      2. La crainte de l’intrusion
    4. La place du délire
      1. Point de vue sémiologique et point de vue psychopathologique
      2. Chez l’enfant psychotique cicatrisé : le délire comme comblement de l’espace intersubjectif
      3. Chez le schizophrène « de novo » : le délire comme moyen de mise à distance de l’autre
    5. Des entraves au fonctionnement intellectuel : le rapport au savoir dans les deux types de schizophrénie
  4. CONCLUSIONS

RÉFÉRENCES

  • Abraham G., Porto R., Psychanalyse et thérapie sexologiques, Paris, Payot, 1978.
  • En ligneAulagnier P., La violence de l’interprétation. Du pictogramme à l’énoncé, Paris, PUF, coll. « Le Fil rouge », 1975.
  • Aulagnier P., Les destins du plaisir. Aliénation, amour, passion, Paris, PUF, coll. « Le Fil rouge », 1979.
  • Aulagnier P., L’apprenti historien et le Maître sorcier. Du discours identifiant au discours délirant, Paris, PUF, coll. « Le Fil rouge », 1984.
  • Balzac H., Louis Lambert, in La comédie humaine, t. XI, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980.
  • Bick E., The experience of the skin in early objects-relations, Int. J. Psycho-Anal., 1968, 49, p. 484.
  • Bion W. R. (1963), Éléments de la psychanalyse, tr. fr., Paris, PUF, 1979.
  • Bydlowski M., La dette de vie. Itinéraire psychanalytique de la maternité, Paris, PUF, 1990.
  • Botbol M., Speranza M., Barrère Y., Psychoses à l’adolescence, Encycl. Méd. Chir. (Paris, France), Psychiatrie, 2001.
  • Botbol M., Échouer pour en sortir, Nervure, 2001.
  • Botbol M., Cupa D., Ménétrier C., Branco M., Tabatabai H., Milliet C., Les destins de la dépendance à l’adolescence, in D. Cupa (éd.), Actualité de l’attachement, Paris, ESK, 2001.
  • En ligneBotbol M., Adolescence et attachement, Adolescence, monographie, 2000, 63-80.
  • Botbol M., Les conduites à risque à l’adolescence, Communication à la journée du rectorat de Versailles, 1999.
  • Botbol M., Barrère Y., Du cognitif sans le savoir : place des projets soins-études dans le traitement des patients schizophrènes, Cahier de l’observatoire des schizophrénies, à paraître, 2002.
  • Botbol M., Gobeau M., Expérience d’une classe maternelle intégrée pour enfants autistes et psychotiques : intérêt et limites d’un point de vue cognitif, Neuropsychiatr. Enf. Adolesc., 1997, 11-12, 758-761.
  • Bouchet D., Destins de la sexualité dans la psychose, Psychanalyse à l’Université, 1988, 13.
  • Bowlby J., Attachement et perte, Paris, PUF, 1984 (3 vol.).
  • Braconnier A., La menace dépressive. Une transformation à l’adolescence de l’angoisse de séparation, Confr. Psychiatr., 1987, 29, 141-59.
  • En ligneCantor S., Evans J., Pearce J., Pezzot-Perarce T.,  Childhood schizophrenia : Present but not accounted for, Am. J. Psychiatry, 1982, 139, 758-762.
  • En ligneCarpenter W. T. jr, Heinrichs D. W., Wagman A. M. I., Deficit and nondeficit forms of schizophrenia : The concept, Am. J. Psychiatry, 1988, 145, 578-583.
  • En ligneCooper P. J., Murray L., Post natal depression, a clinical review, Br. J. Psychiatry, 1998, 316, 1884-1886.
  • Crochette A., Ferrari P., Bouvet M., Royaux J., Réflexions sur l’adolescence des enfants atteints de psychoses précoces, Neuropsypsychiatr. Enf. Adolesc., 1987, 35, 423-427.
  • Denis P., Éloge de la bêtise, Paris, PUF, coll. « Épîtres », 2001.
  • Epelbaum C., Dinet D., Ferrari P., Psychoses schizophréniques lors de la préadolescence : origines et prise en charge, Neuropsychiatr. Enf. Adolesc., 1993, 41, 385-391.
  • Ferenczi S. (1932), Confusion de langue entre les adultes et l’enfant, in Psychanalyse, t. 4 (Œuvres complètes), Paris, Payot, 1961.
  • Ferrari P., Botbol M., Sibertin-Blanc D., Payant C., Lachal C., Presme N., Fermanian J., Bursztejn C., Étude épidémiologique sur la dépression maternelle comme facteur de risque dans la survenue d’une psychose infantile précoce, Psychiatr. Enf., 1991, XXXIV, 35-97.
  • En ligneFonagy P., Target M., Attachment and reflective function : Their role in self-organization, Dev. Psychopathol., 1997, 9, 679-700.
  • Freud S. (1905), Les trois essais sur la théorie de la sexualité, tr. fr., Paris, NRF, Gallimard, 1987.
  • Freud S. (1913), Le président Schreber, in Cinq psychanalyses, Paris, PUF, « Bibliothèque de psychanalyse », 1995.
  • Freud S. (1915), Pulsions et destins des pulsions, in Métapsychologie, Paris, Gallimard, « Idées », 1976.
  • Freud S. (1924), Névrose et psychose, in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973.
  • Goëb J. L., Évolution schizophrénique de psychoses infantiles, une revue sélective de la littérature, Nervure, 2001, 14, 31-39.
  • Goëb J. L., Adolescence et évolution schizophrénique de psychoses infantiles, Mémoire pour le DES de psychiatrie, dirigé par le Dr M. Botbol et le Pr B. Golse, Paris, 2001.
  • Goëb J. L., Charousset A. C., Balkan T., Ouvry O., Botbol M., Un bébé dans le « sac ado », ou l’adolescence comme première lucarne de transparence psychique, Communication aux Journées montpelliéraines de psychiatrie de l’enfant et des professions associées, Nourrisson aujourd’hui, adolescent demain ”, Montpellier, les 28 et 29 septembre 2000.
  • Goëb J. L., Jacquemain F., Coste J., Golse B., Éléments psychopathologiques maternels et psychose de l’enfant. Éléments statistiques à partir d’une unité d’observation, Psychiatr. Enf., 2000, XLIII, 1, 207-53.
  • Golse B., Psychopathologie de l’angoisse au cours du développement, Neuropsychiatr. Enf. Adolesc., 1995, 43, 142-152.
  • Golse B., La naissance des représentations, in S. Lebovici, R. Diatkine, M. Soulé, Nouveau Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, t. I, Paris, PUF, 1999, p. 174-188.
  • Golse B., Attachement, modèles opérants internes et métapsychologie ou comment ne pas jeter l’eau du bain avec le bébé ?, in Du corps à la pensée, Paris, PUF, coll. « Le Fil rouge », 1999.
  • Golse B., La pulsion d’attachement : info ou intox ?, Communication au colloque « Regards croisés sur l’attachement - Psychanalyse, Psychologie du développement, éthologie », Université de Paris X, Nanterre, décembre 1999.
  • Granboulan V., Lida H., Basquin M., Hospitalisation à l’adolescence des psychoses infantiles, Neuropsychiatr. Enf. Adolesc., 1993, 41, 460-464.
  • Green A., Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Minuit, « Critique », 1988.
  • Green A., Les chaînes d’Éros. Actualités du sexuel, Paris, Odile Jacob, 1997.
  • Guedeney N., Les enfants de parents déprimés, Psychiatr. Enf., XXXII, 1989, 269.309.
  • Gutton P., Le pubertaire, Paris, PUF, 1991.
  • Gutton P., Une métamorphose s’achève, Adolescence, 2000, 18, 2, 433-448.
  • Gutton P., Pour un modèle unique de la psychose à la puberté, in F. Ladame, P. Gutton, M. Kalogerakis, Psychoses et adolescence, Paris, Masson, 1990.
  • Haag G., De l’autisme à la schizophrénie chez l’enfant, Topique, 1985, 35-36, 47-65.
  • Hochmann J., Pour soigner l’enfant autiste. Des contes à rêver debout, Paris, Odile Jacob, 1997.
  • Houzel D., Pensée et stabilité structurelle. À propos des théories postkleiniennes de l’autisme infantile, Revue internationale de psychopathologie, 1991, 3, 97-112.
  • Jeammet Ph., Réalité externe, réalité interne. Importance et spécificité de leur articulation à l’adolescence, Rev. franç. psychanal., 1980, 44, 481-522.
  • Jeammet Ph., Expériences psychotiques et adolescence, Adolescence, 1984, 2, 31-35.
  • Jeammet Ph., Les destins de la dépendance à l’adolescence, Neuropsychiatr. Enf. Adolesc., 1990, 38, 190-199.
  • Jeammet Ph., Le diagnostic de schizophrénie à l’adolescence, Lettre de la schizophrénie, 1998, 13, 2-8.
  • Kestemberg E., L’identité et l’identification à l’adolescence, Psychiatr. Enf., 1962, V, 2, 441-522.
  • Klein M., Essais de psychanalyse, Paris, Payot, coll. « Sciences de l’homme », 1968.
  • Klein M., Envie et gratitude, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1968.
  • Kristeva J., Soleil noir. Dépression et mélancolie, Paris, Gallimard, 1987.
  • Laplanche J., La pulsion et son objet-source ; son destin dans le transfert, in La pulsion, pour quoi faire, Paris, APF, 1984.
  • Laplanche J., De la théorie de la séduction restreinte à la théorie de la séduction généralisée, Études freudiennes, 1986, 27, 7-25.
  • Laplanche J., Nouveaux fondements pour la psychanalyse, Paris, PUF, « Bibliothèque de psychanalyse », 1987.
  • Laplanche J., La sexualité humaine, Institut Synthélabo, coll. « Les empêcheurs de penser en rond », 1999.
  • Laufer M. et Laufer E., Adolescence et rupture du développement, une perspective psychanalytique, Paris, PUF, 1984.
  • Leclaire S., Principes d’une psychothérapie des psychoses, Paris, Fayard, 1999.
  • Lherme-Piganiol E., L’hyperinvestissement scolaire à l’adolescence, Nervure, 1997, X, 32-37.
  • Main M., Attachment : Overview with implications for clinical works, in S. Goldberg, R. Muir, J. Kerr (eds), Attachment Theory : Social, Developmental and Clinical Perspectives, NJ, Hillsdale, Analytique Press, p. 407-474.
  • Mâle P., Psychothérapie de l’adolescent, Paris, Payot, 1980.
  • Marcelli D., Bouffées délirantes aiguës à l’adolescence, Nervure, 1997, 8, 64-68.
  • Meltzer D. (1972), Les structures sexuelles de la vie psychique, Paris, Payot, « Sciences de l’homme », 1977.
  • Meltzer D., Bremner J., Hoxter S., Weddell D., Wittenberg I., Explorations dans le monde de l’autisme, Paris, Payot, 1980.
  • De Mijola-Mellor, Penser la psychose. Une lecture de l’œuvre de Piera Aulagnier, Paris, Dunot, coll. « Psychisme », 1998.
  • Milner M., Le rôle de l’illusion dans la formation du symbole, J. Psychanal. Enfant, 1990, 8, 244-278.
  • Misès R., Les pathologies limites de l’enfance, Paris, PUF, 1994.
  • Navarro N., La sexualité et les schizophrènes, Lettre de la schizophrénie, 2000, 19, 3-8.
  • Ouvry O., Le Féminin comme nouveauté pubertaire, in S. Lesourd, Le féminin, un concept adolescent ?, Paris, Érès, 2001.
  • Pasche F., À partir de Freud, Paris, Payot, coll. « Sciences de l’homme », 1969.
  • En lignePetty L. K., Ornitz E. M., Michelman J. D., Zimmerman E. G., Autistic children who become schizophrenic, Arch. Gen. Psychiatry, 1984, 41, 129-135.
  • Racamier P. C., Le génie des origines, Paris, Payot, 1992.
  • Roussillon R., Les paradoxes de la pensée, in E. Schmid-Kitsikis et A. Sanzana (éd.), Concepts limites en psychanalyse, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1997, p. 251.264.
  • Segal H., Notes sur la formation du symbole, Revue française de psychanalyse, 1970, 34, 4, 685-696.
  • Schaeffer J., Le refus du féminin, Paris, PUF, 2000.
  • Stern D. N., Le monde interpersonnel du nourrisson, tr. fr., Paris, PUF, « Le Fil rouge », 1989.
  • Tordjman S., Ferrari P., Golse B., Bursztejn C., Botbol M., Lebovici S., Cohen D. J., « Dysharmonies psychotiques » et « Multiplex developmental disorder » : histoire d’une convergence, Psychiatr. Enf., 1997, XL, 2, 473-504.
  • Tustin F., Autisme et psychoses de l’enfant, Paris, Le Seuil, 1977.
  • Volkmar F. R., Childhood and adolescent psychosis : A review of the past 10 years, J. Am. Acad. Child Adol. Psychiatry, 1996, 35, 843-51.
  • Widlöcher D., Sexualité et attachement, Paris, PUF, 2000.
  • Wiener E., Surdoués, Mythes et réalités, Paris, Aubier, 1997, 455 p.
  • Winnicott D. W., La crainte de l’effondrement, Nouvelle Revue de psychanalyse, 1975, 11, 35-44.
  • Winnicott D. W. (1952), Psychose et soins maternels, in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969.
  • Winnicott D. W. (1965), La pensée chez l’enfant, un autre éclairage, in La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, Paris, Gallimard, 2000.
  • Winnicott D. W., De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, p. 285-291.
  • Wolfson L., Le schizo et les langues, Paris, Gallimard, coll. « Connaissance de l’inconscient », 1970.
Jean-Louis Goëb [1]
31, boulevard Gaston-Dumesnil
49100 Angers
  • [1]
    AIHP, CCA, Unité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (Prs J.-B. Garré et Ph. Duverger), CHU, 4, rue Larrey, 49033 Angers Cedex 01.
Michel Botbol [2]
  • [2]
    Psychiatre des hôpitaux, directeur médical de la clinique Dupré (Fondation Santé des étudiants de France), BP 101, 92333 Sceaux Cedex.
Bernard Golse [3]
  • [3]
    Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (Paris V), chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, CHU Necker - Enfants malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris.
    Ce travail a bénéficié d’une bourse de la Société d’étude et de soins pour les enfants paralysés et polymalformés (SESEP), attribuée au projet « Étude sur les antécédents d’autisme et de ses variants dans certaines formes de schizophrénie de l’adolescent et des jeunes adultes » (Dr M. Botbol). Il a été présenté à la Third International Conference on Child and Adolescent Mental Health, 11-15 juin 2002, Brisbane, Australie, organisée par Elsevier Sciences avec l’Australian Infant, Child, Adolescent and Family Mental Health Association.
    Nous tenons à remercier Mme C. Milliet pour son aide précieuse au cours de l’écriture de ce travail.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/10/2006
https://doi.org/10.3917/psye.461.0257
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...