INTRODUCTION
1Le concept de retrait relationnel chez le jeune enfant reste mal défini, avant l’âge de deux ans, malgré son usage fréquent en clinique, et son poids dans l’évaluation et le diagnostic (Guedeney, 1997 a, 1997 b, 1999, 2000). Le retrait relationnel bref est un mécanisme régulateur normal et important de l’interaction parents-enfant, telle qu’on l’observe à un niveau micro-analytique, en vidéoscopie (Brazelton, Koslowsky et Main, 1974 ; Weinberg et Tronick, 1994 ; Beebe, Lachmann et Jaffé, 1997). En psychopathologie, un retrait relationnel durable s’observe dans différentes situations, en dehors des causes organiques classiques (fièvre, déshydratation, crise convulsive récente, intoxication, troubles du système nerveux central) : la plus évidente est l’autisme infantile et les formes cliniques associées, dans lesquelles le retrait est constant et essentiel au diagnostic, quelle que soit la classification utilisée (Quemada et Misès, 1978 ; Sauvage, Lenoir, Perrot et Malvy, 1995 ; APA, DSM-IV, 1994 ; Classification diagnostique 0-3, 1994). Le comportement de retrait relationnel s’observe constamment dans la dépression précoce, qu’il s’agisse de la dépression anaclitique de Spitz, ou dans les formes plus tardives (Spitz, 1946 ; Herzog et Rathbun, 1982 ; Classification diagnostique 0-3, 1994 ; Marcelli, 1999 ; Guedeney, 2000), ou qu’il s’agisse des troubles de l’attachement précoces, par carence affective ou séparations (Bowlby, 1980 ; Appell, 1982 ; Zeanah, Boris, Bakshi et Leiberman, 2000 ; Guedeney, 2000). Le retrait relationnel est intense et constant dans le tableau du Kwashiorkor, maladie liée à une carence relative en protéines (Guedeney, 1987, 1995), et il s’observe aussi fréquemment dans les retards de croissance, qu’ils soient organiques ou non (Rosen, Stein-Loeb et Bates, 1980 ; Powell et Low, 1983 ; Powell et Bates). Il est partie intégrante du tableau de la douleur intense et durable chez le jeune enfant (Gauvain-Piquard, Rodary, Rezvani et Lemerle, 1987 ; Gauvain-Piquard, Rodary, Rezvani et Serbouti, 1999). Le retrait relationnel est aussi un élément du tableau du syndrome de stress post-traumatique chez le très jeune enfant (Drell, Siegel et Gaensbauer, 1993). Il s’observe dans certains aspects de troubles dits de la régulation, surtout dans les aspects sous-réactifs (Classification diagnostique 0-3, 1994 ; Greenspan et Wieder, 1993). Bien entendu, le comportement de retrait est aussi une conséquence des déficits sensoriels non reconnus, comme la surdité ou l’amblyopie sévère du jeune enfant. Enfin, et de façon fréquente, le retrait est un élément majeur de la réponse du bébé à l’altération de la relation qui se produit, par exemple, lors de la dépression maternelle, que ce soit lors du procédé expérimental dit du « visage immobile » (Still-Face), ou en clinique (Cohn et Tronick, 1983 ; Field, 1984 ; Seifer et Dickstein, 1993 ; Tronick et Weinberg, 1997 ; Murray et Cooper, 1997).
2Le comportement de retrait est donc un signal d’alarme important, dès lors qu’il est net et durable (Ironside, 1975), et ce d’autant plus que l’enfant est jeune et ne dispose que d’un registre d’expression encore limité. La première description clinique du retrait durable chez le très jeune enfant sans autisme appartient à Engel et Reischsman, en 1956, avec le cas célèbre de Monica (Engel et Reischsman, 1956, 1979). Engel et Schmale (1972) décrivent ensuite le retrait comme un mécanisme défensif de base de conservation de l’énergie. Menahem (1984) décrit deux cas de retrait intense chez des enfants dont l’alimentation était très perturbée, avec un retard de croissance. Fraiberg (1982) a décrit une réaction de figement (Freezing), parmi un groupe de défenses pathologiques observées dès l’âge de trois mois chez des enfants soumis à des situations relationnelles très pathologiques.
3Bien que le retrait relationnel ait en soi des conséquences sur le développement, indépendamment de sa cause, et bien qu’il soit un élément important du registre comportemental du jeune enfant, il n’existe, à notre connaissance, aucun instrument de dépistage et d’évaluation spécifique utilisable et validé avant l’âge de deux ans. Le comportement de retrait n’est pourtant pas facile à identifier, surtout à son début (Guedeney, 2000). Même si les changements dus au développement sont particulièrement intenses dans les deux première années de la vie, le comportement de retrait est sans doute l’un des plus stables (Rubin et Lollis, 1988), et l’hypothèse de ce travail est qu’il peut être évalué sans faire appel à des indices trop soumis au développement, comme le suggèrent la clinique et les modèles animaux de comportement de retrait chez le chiot et chez le chaton (Dehasse, 1995 ; Pageat, 1995). Cette évaluation, utile pour le pédiatre, est possible en utilisant les stimulations que procure l’examen pédiatrique de dépistage.
4Ce travail décrit la construction et la validation d’une échelle de mesure du retrait relationnel précoce, l’échelle d’Alarme détresse bébé, ou ADBB, destinée au dépistage et à l’évaluation du comportement de retrait relationnel durable chez le jeune enfant entre 2 et 24 mois, évalué lors de l’examen pédiatrique. Il s’agissait de réaliser un instrument suffisamment simple pour être effectivement utilisable en pratique clinique de ville, de crèche ou de PMI. L’examen médical est utilisé comme source de stimulations variées, survenant dans un ordre relativement standardisé, et sur une période assez brève (déshabillage, éloignement de la mère, examen physique, éventuelles injections, etc.). Comme dans la « situation donnée » (Set Situation) de Winnicott (1941), on dispose ainsi avec l’examen pédiatrique d’une période d’observation privilégiée du comportement, pour évaluer le niveau du retrait par rapport à la réaction attendue en fonction de la stimulation.
MÉTHODE
Construction de l’échelle
5L’échelle fut construite en 3 étapes. Une première version de l’échelle fut construite avec 10 items, après analyse de la littérature, en tentant de saisir les aspects majeurs du comportement de retrait, et en suivant l’ordre que suit un professionnel pour rentrer en contact avec un jeune enfant. Elle comprenait l’expression faciale, le contact oculaire, le niveau d’activité générale, les gestes d’autostimulation, ou gestes autocentrés, les vocalisations, la rapidité de réponse à la stimulation, la qualité de la relation à l’observateur, la capacité à attirer l’attention, la réaction à la prise dans les bras et la réaction à la séparation. Après l’avis de 5 experts (A. Gauvain-Piquard, S. Lebovici, J.-F. Magny, M. Soulé, D. Widlöcher), les items furent maintenus, sauf la réaction à la prise dans les bras, pas toujours possible ni souhaitable, et la réaction à la séparation, trop liée au développement. Cette version à 8 items fut testée avec 29 enfants consultants à la PMI de l’Institut de Puériculture (Pr M. Voyer). À la suite de cette étude pilote, et après avis de 5 experts (R. Brunod, R. N. Emde, H. Fitzgerald, R. Kumar, Ch. Zeanah), l’échelle fut modifiée pour obtenir une meilleure clarté de la description des items. Une seconde étude pilote eut lieu avec 40 enfants, cotés simultanément par le pédiatre, la puéricultrice de la PMI et le premier auteur (A. G.). La prise en compte des résultats de cette étude (non publiée) a conduit à la version actuelle et finale de l’échelle (voir échelle en annexe).
Étude de validation
6L’étude a été réalisée dans le service de Protection maternelle et infantile (PMI) de l’Institut de Puériculture de Paris (IPP), de façon à obtenir un échantillon proche des conditions prévues d’utilisation. Une étude de Choquet, Facy, Laurent et Davidson en 1982 avait établi les indices de risque psychologiques et sociaux précoces pour les jeunes enfants dans le même arrondissement parisien. Choquet et Ledoux avaient revus les enfants de leur étude à l’âge de 7 ans et confirmé la valeur pronostique de ces indicateurs de risque précoces (Choquet et Ledoux, 1985). Ces critères de risque étaient ainsi très familiers à l’équipe de la PMI.
7— Sujets éligibles : tous les enfants âgés de 2 à 24 mois, vus pour une visite initiale à la PMI de l’IPP entre juillet 1997 et juillet 1998 furent inclus dans l’étude. La limite supérieure fut choisie pour montrer que le retrait peut être évalué avant le langage, dans une période de développement très rapide. La limite inférieure fut choisie pour exclure toute influence prénatale (Cioni et coll., 1997).
8— Sujets non éligibles : tous les enfants atteints de troubles pouvant être a priori responsables de retrait ou de prostration : fièvre au dessus de 37,5 oC, déshydratation, crise convulsive récente, toute affection causant une douleur aiguë ou chronique, troubles neurologiques aigus ou chroniques, troubles visuels ou auditifs connus, enfants prématurés ou avec retard de croissance intra-utérin (définis par un terme inférieur à trente-sept semaines et un poids de naissance inférieur de 3 déviations standard).
9— Procédure : toute première consultation d’enfant éligible, pour lequel les parents avaient signé le consentement à la recherche et l’autorisation d’enregistrement, était filmée en vidéo VHS, en plan fixe frontal centré sur l’enfant. Les enfants jugés en retrait étaient suivis par l’équipe de la PMI et adressés, si besoin, au centre de Guidance infantile. Il était particulièrement important de veiller à ce qu’aucun enfant éligible ne soit endormi, affamé ou n’ait besoin d’être changé au moment de l’évaluation, et ceci était vérifié avant l’entrée de l’enfant par la personne recueillant le consentement des parents et préparant la consultation (M. Benjellal-Zamoun).
10— Validité contre critère : en l’absence de critère ou d’instrument spécifique auquel comparer l’échelle, la validité contre critère a été appréciée de deux manières :
11a / l’ADBB a été d’abord utilisée comme mesure de l’intensité de la réaction de retrait relationnel. La mesure du retrait, faite globalement par un expert (ici le premier auteur) en utilisant une échelle globale visuelle analogue (EVA) a été comparée à la mesure du retrait faite simultanément et indépendamment par le pédiatre (Dr F. Rogé) et la puéricultrice (M. Vermillard), utilisant l’ADBB, après l’examen de chaque enfant ;
12b / l’ADBB a été aussi utilisée comme outil de dépistage, par l’évaluation de sa sensibilité et de sa spécificité à détecter le risque développemental pour l’enfant en ce qui concerne l’année suivant l’évaluation (validité prédictive). Ce risque développemental fut coté « haut ou bas », par consensus indépendant de l’équipe de la PMI (pédiatre, puéricultrice, directrice), en se basant sur la liste des 17 indices de risque précisés dans cette population par Choquet, Facy, Laurent et Davidson, en 1982. Le haut risque est défini par l’existence de 6 ou plus des 17 indices de risque. La sensibilité est ainsi définie par la proportion d’enfants classés en retrait à l’ADBB (score supérieur ou égal au score seuil) par rapport au nombre total d’enfants classés à haut risque développemental. La spécificité est définie comme la proportion d’enfants classés comme dépourvus de retrait à l’ADBB (score inférieur ou égal à la note seuil), par rapport au nombre total d’enfants classés à bas risque développemental. Les scores totaux du pédiatre lors de l’examen direct ont été utilisés pour évaluer la sensibilité et la spécificité. La validité discriminante a été évaluée par les coefficients de corrélation entre les scores totaux du pédiatre utilisant l’ADBB et différentes variables pour lesquelles aucune corrélation avec le retrait n’était attendue : âge des parents, parité, âge de l’enfant, rang de naissance. Une analyse factorielle exploratoire fut faite pour évaluer la structure interne de l’échelle.
13— Fiabilité intercotateurs : la fiabilité entre pédiatre et puéricultrice fut calculée à partir de l’évaluation clinique directe, après chaque examen, et sans discussion entre eux. Deux étudiantes en psychologie (H. Courtier et C. Dumond) furent entraînées à l’usage de l’échelle, lors d’examens en PMI et avec les vidéos des deux études pilotes. Dans un second temps, elles ont chacune évalué indépendamment l’une de l’autre et sans connaître les enfants, les 61 vidéos de l’étude, dans un ordre tiré au sort, par séances de 5. Six mois plus tard, la même évaluation a été refaite, toujours dans un ordre tiré au sort, pour évaluer leur stabilité « test-retest ».
14— Méthodes statistiques : Les relations entre deux variables quantitatives ont été évaluées par le coefficient de corrélation de Spearman, puisque la binormalité de la population ne peut être affirmée. Les corrélations entre cotateurs ont été évaluées par le coefficient de corrélation intraclasse (Shrout et Fleish, 1977). L’analyse factorielle a été faite par analyse en composante principale, sur les notes globales de la puéricultrice et du pédiatre. Les facteurs indépendants furent obtenus par l’utilisation de la méthode de rotation Varimax. Tous les tests ont été faits de façon bilatérale et au niveau de risque alpha = 0.05. Le logiciel Statview® II a été utilisé.
RÉSULTATS
Description
15Une seule famille a refusé l’étude. Soixante enfants ont été finalement éligibles. Quarante-cinq enfants ont été déclarés non éligibles, du fait d’une pathologie aiguë ou chronique lors de l’examen, pouvant à elle seule rendre compte d’un état de retrait, ou du fait d’un retard de croissance ou d’une naissance prématurée. Aucun enfant n’était endormi, affamé, ou n’avait besoin d’être changé au moment de l’évaluation. L’âge moyen des enfants était de 30,5 semaines (DS = 21,51, écart : 8-96). L’âge moyen des mères était de 30,1 (DS = 5,68, écart : 20-44), celui des pères de 35,2 (DS = 9,96, écart : 23-67). Les caractéristiques sociodémographiques et obstétricales sont résumées dans le tableau I. Le niveau socioéconomique a été évalué en utilisant les critères parisiens de l’INSERM (INSERM, 1975). La moyenne des scores totaux du pédiatre était de 3,4 (DS = 3,37, étendue 0-16) ; celle de la puéricultrice de 3,4 (DS = 3,78, étendue : 0-18). La proportion de familles évaluées comme étant à haut risque pour le développement actuel de l’enfant était de 11 sur 60 (18,3 %). La distribution des scores totaux du pédiatre avec l’ADBB est montrée figure a, et celle des scores totaux de la puéricultrice figure b.
16Tableau I. — Caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon
(n = 60)
Figure a. — Distribution des scores du pédiatre avec l’ADBB
Propriétés de l’échelle
17— Validité contre critère : le score total du pédiatre avec l’ADBB est bien corrélé avec celui de l’expert utilisant l’EVA (rs = 0,63, p < 0.001), le coefficient de corrélation entre la puéricultrice et l’expert étant de 0,67 (p < 0.001). La sensibilité et la spécificité de l’échelle pour différentes notes-seuil sont présentées sur le tableau II. La note seuil de 5, avec une sensibilité de 0,82 et une spécificité de 0,78, apparaît la meilleure pour le dépistage.
18Tableau II. — Spécificité et sensibilité de l’ADBB
pour différentes notes-seuil

19— Validité discriminante : comme espéré, aucune corrélation significative ne fut trouvée entre les score totaux du pédiatre et l’âge des mères, la parité, l’âge des pères, celui de l’enfant, l’origine géographique des parents, le sexe de l’enfant, le rang de naissance, le mode de garde, ou la durée de la consultation. Des corrélations du même ordre et de même sens ont été trouvées pour les notes totales de la puéricultrice avec l’ADBB. On note une faible corrélation entre les scores totaux à l’ADBB du pédiatre ou de la puéricultrice avec le niveau socioéconomique (0,258), et une corrélation faible avec l’existence d’une hospitalisation néonatale (0,328).
20— Analyse factorielle : deux facteurs furent extraits, qu’il s’agisse de l’analyse des scores totaux du pédiatre ou de ceux de la puéricultrice. Pour le pédiatre, elle est en faveur de l’existence d’un facteur (FI) prédominant, contribuant pour 58 % de la variance, et rassemblant les items 1, 2, 3, 4, 7 et 8. Un deuxième facteur est constitué des items 5 et 6. Pour la puéricultrice, le premier facteur (FI) rassemble cinq items : 2, 3, 4, 7 et 8, pour 63,3 % de la variance. Le second facteur (FII) rassemble trois items : 1, 5 et 6.
21— Fiabilité intercotateurs : le coefficient de corrélation intra-classe entre le pédiatre et la puéricultrice durant leur examen en commun des 61 enfants est de 0,84 (p < 0.001). Le coefficient de corrélation intra-classe entre les deux psychologues pour leur premier examen des bandes vidéo est de 0,88, et de 0,87 pour leur second examen, six mois plus tard. Les coefficients de corrélation intra-classe évaluant la validité du test/retest sur documents vidéo est de 0,89 pour la première psychologue (C. D.) et de 0,84 pour la seconde (H. C.).
22— Consistance interne : le coefficient alpha de Cronbach est de 0,83 pour l’échelle considérée comme globale, et de 0,80 et 0,79 pour l’échelle considérée comme constituée de deux sous-échelles.
DISCUSSION
23— Validité d’usage : durant cette étude, les utilisateurs de l’échelle, pédiatres, puéricultrices et psychologues, l’ont trouvée claire et rapide à remplir (cinq minutes). Des utilisations ultérieures à cette étude par des puéricultrices extérieures à l’équipe de la PMI et par des chercheurs l’ont confirmé. Les professionnels de la petite enfance estiment que l’échelle permet mieux d’apprécier un comportement de retrait qu’une évaluation globale. Les experts ayant évalué indépendamment la validité de contenu étaient des cliniciens expérimentés dans divers aspects de la psychopathologie : dépression, douleur, troubles de l’attachement, prématurité, syndromes post-traumatiques, autisme, etc.
24— La validité contre critère est bonne, mais il est souhaitable de la vérifier avec un autre expert, différent de celui qui a construit l’échelle. On note que les corrélations sont proches entre l’expert et le pédiatre, d’une part, et entre l’expert et la puéricultrice, ce qui semble indiquer que l’échelle permet une meilleure concordance qu’en utilisant une évaluation globale du retrait. En l’absence de critère existant et validé du retrait, la validité contre critère était difficile à apprécier. Le test de Brunet-Lézine II, révisé par Josse (1997) a été proposé à certains enfants ; il comporte un item de retrait, mais il n’a pas de valeur pronostique. D’autre part, certains enfants peuvent être en retrait sans avoir de chute de leur quotient de développement, alors que des troubles du développement peuvent ne pas être accompagnés de retrait. Cependant, sa corrélation avec le retrait mesuré à l’échelle ADBB serait intéressante à mesurer, et ce dans diverses pathologies. Seule une étude longitudinale permettrait de mesurer la valeur pronostique d’un retrait durable et de vérifier la validité prédictive de l’échelle, et la corrélation entre les notes à l’ADBB et aux échelles spécifiques dans différents types de pathologie, en particulier dans l’autisme précoce, le retard de croissance et les effets de la dépression maternelle. L’échelle semble cependant avoir une bonne validité clinique en dépistage : lors de la seconde étude pilote, un enfant de 7 mois a reçu à deux reprises et à quinze jours d’intervalle une note de 11 à l’ADBB, sans cause retrouvée. Un examen plus poussé à permis de mettre en évidence une amblyopie sévère. Le retrait a disparu après stimulation et port de lunettes, et le suivi n’a mis en évidence aucune autre cause possible de retrait relationnel.
25— Validité divergente : les corrélations avec les divers éléments du recueil de données sont en accord avec l’hypothèse : le comportement de retrait n’est pas lié aux caractéristiques familiales, ethniques, socio-économiques, ni aux antécédents néo-nataux (la prématurité étant exclue de l’étude). Le retrait observé chez certains enfants n’était pas dû à une douleur intense de cause méconnue : les vidéos des enfants ayant une note supérieure à 5 ont été vues indépendamment par le Dr A. Gauvain-Piquard, et évaluées avec l’échelle de douleur de l’IGR (EDGR, 1987, 1999).
26— Analyse factorielle : les résultats sont proches entre le pédiatre et la puéricultrice, avec deux facteurs et une répartition proche des items. L’hypothèse d’une structure à deux facteurs apparaît, mais devrait être confirmée par une étude sur un échantillon plus large. Cette structure apparaît cohérente avec l’hypothèse initiale de deux facteurs, l’un interpersonnel, l’autre non interpersonnel et qui serait plus lié au tempérament de l’enfant. Cependant, la place de l’item 4 (autostimulation) dans la dimension interpersonnelle se comprend mal dans cette hypothèse. Une analyse en composante principale de confirmation est donc nécessaire. La cohérence interne des items de l’échelle entre eux, évaluée par le coefficient de Cronbach, est élevée en note globale comme pour les deux sous-échelles, et les items n’apparaissent donc pas redondants.
27— La spécificité et la sensibilité sont bonnes, pour une note seuil relativement basse de 5. La gradation des sensibilités et des spécificités en fonction des notes seuils est cohérente. Cependant, cette mesure du risque développemental devrait être vérifiée en utilisant les critères de risque de façon plus généralement admis, et surtout en utilisant un test de dépistage des troubles du développement validé en France, de façon à vérifier si le retrait durable est effectivement corrélé avec un risque développemental (validité prédictive).
28— Fiabilité intercotateurs : le coefficient élevé de corrélation entre le pédiatre et la puéricultrice (0,84) indique que l’échelle leur permet une bonne appréciation conjointe du comportement de retrait. Une bonne fiabilité intercotateur peut être réalisée tant avec des examens en direct qu’avec des documents vidéo. Le test-retest sur documents vidéo montre une bonne stabilité au cours du temps, mais un réel test-restest aurait nécessité une nouvelle évaluation en direct après une ou deux semaines.
CONCLUSION
29Cette première étude de validité, menée dans des conditions proches de la clinique et avec ses limitations, indique que l’échelle ADBB a une bonne validité de contenu et une bonne validité de construction. Les évaluations de la fiabilité et de la consistance internes sont bonnes. L’ADBB peut être utilisée pour mesurer le comportement de retrait, par exemple en réponse à une dépression maternelle postnatale (DPN), ou son évolution sous traitement dans une situation donnant lieu à un retrait important. L’échelle peut aussi être utilisée comme outil de dépistage. À la différence des comportement de protestation actifs, le retrait est difficile à percevoir au début, et il est souvent banalisé, ce qui retarde la recherche et l’identification de sa cause. Or le retrait témoigne que l’enfant a épuisé ses modes usuels de défense. Le retrait est évidemment une gêne considérable pour le développement intersubjectif, dont le rôle apparaît croissant dans tous les secteurs du développement, en particulier cognitif (Stern, 1985 ; Trevarthen, 2001). La cause d’un comportement de retrait peut être organique, relationnelle ou mixte. La constatation d’un comportement durable de retrait doit donc permettre de déclencher une enquête, de façon à savoir si ce retrait dure depuis longtemps, s’il est généralisé à toutes les relations de l’enfant, et quelle peut en être la cause. L’échelle peut être utilisée après un temps assez bref d’entraînement, par des pédiatres, des puéricultrices ou des psychologues, en PMI ou en crèche, et elle semble bien aider à l’échange clinique entre les professionnels de la petite enfance. Son utilisation devrait permettre le dépistage précoce et la recherche des causes d’un comportement de retrait chez le jeune enfant.
30Remerciements : Le Dr François Rogé, pédiatre à la PMI de l’IPP, et Martine Vermillard, puéricultrice à la PMI de l’IPP, ont réalisé les cotations avec l’ADBB, ainsi que Caroline Dumond (DEA, Paris V) et Hélo ïse Courtier (DESS, Paris V), étudiantes en psychologie. La recherche a été possible grâce à l’encouragement et l’aide constante de Édith Thoueille, puéricultrice, directrice de la PMI, celle de Malika Benjellal-Zamoun, éducatrice de jeunes enfants, de toute l’équipe de la PMI et du Pr M. Voyer, responsable du service de PMI de l’IPP. Le Dr J.-F. Magny, pédiatre à l’IPP a donné des avis utiles à divers stades de l’étude. Les professionnels de la petite enfance du 14e arrondissement de Paris ont accepté de s’entraîner avec l’échelle et d’aider à son amélioration. Mme Armelle Broussard, secrétaire du service de Guidance infantile, a tapé les multiples versions de l’échelle et du protocole.
31ANNEXE
32ALARME DÉTRESSE BÉBÉ (ADBB)
33Chaque item est coté de 0 à 4.
- 0 : Pas de comportement anormal.
- 1 : Doute sur le caractère anormal du comportement.
- 2 : Comportement discrètement anormal.
- 3 : Comportement modérément anormal.
- 4 : Comportement nettement ou massivement anormal.
34L’échelle est au mieux remplie par l’observateur lui-même, sur la base de ses propres observations, juste après la consultation. On évalue d’abord le comportement spontané, puis la réaction aux stimulations (sourire, voix, geste, toucher, etc.), et l’évolution des réactions tout au long de l’examen. La valeur correspond à la réaction la plus significative pendant toute la durée de l’observation. Les indications ci-dessus sont données à titre indicatif en cas d’hésitation entre deux valeurs de l’échelle.
351 / EXPRESSION DU VISAGE. Évaluation de la réduction de l’expressivité du visage :
- 0 : Le visage est spontanément mobile, expressif, animé par de fréquents changements d’expression.
- 1 : Visage mobile, expressif, mais sans changements fréquents d’expression.
- 2 : Peu de mobilité faciale spontanée.
- 3 : Visage immobile, triste.
- 4 : Visage figé, froid, absent, ayant l’air prématurément âgé.
362 / CONTACT VISUEL. Évaluation de la réduction du contact visuel :
- 0 : Contact visuel spontané facile et prolongé.
- 1 : Contact visuel spontané, mais bref.
- 2 : Contact visuel possible, mais seulement lorsqu’il est recherché.
- 3 : Contact visuel fugace, vague, fuyant.
- 4 : Refus total de contact visuel.
373 / ACTIVITé CORPORELLE. Évaluation de la réduction d’activité de la tête, du torse et des membres, sans prendre en compte l’activité des mains et des doigts :
- 0 : Mouvements fréquents et spontanés du torse, de la tête et des membres.
- 1 : Activité générale spontanée légèrement réduite, peu d’activité de la tête ou des membres.
- 2 : Peu ou pas d’activité spontanée, mais activité présente en réponse à la stimulation.
- 3 : Très faible activité en réponse à la stimulation.
- 4 : Immobile et figé, quelle que soit la stimulation.
384 / GESTES D’AUTOSTIMULATION. Évaluation de la fréquence avec laquelle l’enfant joue avec son corps (doigts, mains, cheveux, succion du pouce, frottement répétitifs...), de façon automatique et sans plaisir, et en comparaison avec l’activité générale. Note : un seul signe significatif d’autostimulation est suffisant pour coter 1 ou plus.
- 0 : Absence d’autostimulation, l’activité d’autoexploration est en rapport harmonieux avec le niveau d’activité général.
- 1 : Autostimulation fugitive.
- 2 : Autostimulation peu fréquente mais nette.
- 3 : Autostimulation fréquente.
- 4 : Autostimulation constante.
395 / VOCALISATIONS. Évaluation de la réduction des vocalisations traduisant le plaisir (gazouillis, rire, babil, lallations, cris aigus de plaisir), mais aussi le déplaisir, l’anxiété ou la douleur (cris, geignements et pleurs) :
- 0 : Vocalisations positives spontanées fréquentes, gaies et modulées ; cris ou pleurs brefs en réponse à une sensation désagréable.
- 1 : Vocalisations spontanées brèves, et ou cris et pleurs fréquents (même s’ils surviennent seulement en réponse à une stimulation).
- 2 : Pleurs quasi constants.
- 3 : Geignement, seulement en réponse à une stimulation.
- 4 : Aucune vocalisation.
406 / VIVACITé DE LA RéACTION à LA STIMULATION. Évaluation de la réduction de la vivacité de la réaction à la stimulation, agréable ou désagréable, au cours de l’examen (sourire, voix, toucher). Note : ce n’est pas l’importance de la réponse qui est évaluée ici, mais le délai de réponse :
- 0 : Réaction adaptée, vive et rapide.
- 1 : Réaction légèrement retardée.
- 2 : Réaction nettement retardée.
- 3 : Réaction nettement retardée, même en réponse à une stimulation désagréable.
- 4 : Réaction très retardée, ou absence totale de réaction.
417 / RELATION. Évaluation de la réduction de l’aptitude de l’enfant à entrer en relation, avec l’observateur, l’exminateur ou toute personne présente dans la pièce, exceptée celle qui s’occupe habituellement de l’enfant. La relation est évaluée par le comportement, le contact visuel, la réaction aux stimulations et la réaction à la fin de la séance :
- 0 : La relation rapidement et nettement établie (après une éventuelle phase initiale d’anxiété).
- 1 : Relation identifiable, positive, ou négative, mais moins marquée qu’en 0.
- 2 : Relation à peine marquée, positive ou négative.
- 3 : Doute sur l’existence d’une relation.
- 4 : Absence de relation identifiable à l’autre.
428 / ATTRACTIVITé. Évaluation de l’effort nécessaire pour rester en contact avec l’enfant, ainsi que le sentiment de plaisir que procure le contact avec l’enfant :
- 0 : L’enfant attire l’attention par ses initiatives, et inspire un sentiment d’intérêt et de plaisir.
- 1 : On s’intéresse à l’enfant, mais avec moins de plaisir qu’en 0.
- 2 : Sentiment neutre vis-à-vis de l’enfant, avec parfois du mal à garder son attention centrée sur lui.
- 3 : Sentiment de malaise, et d’être maintenu à distance.
- 4 : Contact éprouvant, sentiment d’un enfant inatteignable.
43Total :
44NOM :
45PRÉNOM : No dossier :
46DATE : ÂGE mois jours
47Examinateur :
Notes
-
[1]
Pédopsychiatre. Chef du service de pédopsychiatrie, Hôpital Bichat-Claude-Bernard, Policlinique Ney (Paris 18e). Professeur de psychiatrie de l’enfant à l’Université Paris 7. Denis Diderot.
-
[2]
Pédiatre, médecin-chef du service de Protection maternelle et infantile (PMI) du 14e arrondissement de Paris.
-
[3]
Pédiatre, médecin-chef de la PMI de Paris.
-
[4]
Professeur, service de bio-statistiques, Hôpital Necker-Enfants-malades, Paris.
-
[*]
Ce travail a été rendu possible par une aide de la société Nestlé ®.
Une version antérieure de ce travail, centrée sur l’évaluation par la puéricultrice, est à paraître dans la revue Infant Mental Health Journal ( « A new scale for assessing and screening sustained withdrawal in infancy » ).