1C’est un nouveau chemin pour les deux prochaines années que le président de la République a promis à ses compatriotes frappés par la crise Covid qui a fait 30 000 morts. Ce nouveau chemin sera celui de la « relance », de « la reprise ». Une relance économique qui serait assez « sociale et solidaire » pour concerner la santé grâce à des investissements et des revalorisations. Bien que dépourvue de véritables annonces, la période de fin de crise épidémique est à la satisfaction : le discours présidentiel du 14 juin garantit une « première victoire », assombrie tout de même par le risque de retour de l’épidémie et déjà par des mouvements sociaux qui lui font appeler à l’unité nationale. Et comme un discours à la Nation ne peut se défaire d’un semblant de solennel, c’est avec les vertus de l’humanisme qu’il justifie les lois d’exception et de confinement, guidées par « le choix de placer la santé au-dessus de l’économie ».
2Le coronavirus aurait donc réussi à inverser les priorités ? Ces dernières années, c’est pourtant bien l’économie qui a primé sur la santé : une vision marchande prétextée par l’obligation de réduire la dette publique a supprimé des lits, implanté la course à l’activité par la T2A, empêché les recrutements au nom de plans de retours à l’équilibre, parié sur la « motivation de service public » des personnels pour négliger les salaires à l’hôpital et enfoncé la psychiatrie dans ses sous-investissements devenus chroniques. Et le Premier ministre a beau se féliciter de la justesse du diagnostic de « Ma santé 2022 » pour lancer le « Ségur de la santé » supposé répondre à l’impatience et à la colère des soignants, les circulaires relatives à la campagne tarifaire et budgétaire des établissements de santé des trois dernières années de son gouvernement ont aussi fait le choix d’imposer, chaque année, des économies aux hôpitaux en décalage avec les besoins.
Au service du management
3Pour faire passer pour de vrais changements les petits arrangements d’après crise, un élément de langage commode prend sa place dans les discours : « le Ségur » donnera « un système de santé encore plus résilient, », et doit préparer les « établissements à toutes formes de risque […] dans une optique de résilience ». Étrangement, c’est à une opération militaire que la résilience a d’abord été associée, nom donné à la participation de l’armée à la gestion de la crise et lancée avec l’installation d’un hôpital militaire de campagne à Mulhouse. Même si la ministre des Armées semblait alors faire un peu de psychologie en expliquant à propos de cette opération Résilience, que « La résilience, c’est la capacité à surmonter les chocs et à les dépasser », il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit d’un concept de gestion des risques.
4En pleine expansion, le concept de résilience a valeur de science avec ses spécialistes, ses indices et ses facteurs. C’est ainsi que la France est 14e au classement mondial de 2020 établi par l’assureur FM Global, selon un indice de résilience chargé d’orienter les investissements dans les pays, établi sur la production économique, la politique de gestion des risques et la fiabilité des chaînes d’approvisionnement. Depuis un bon moment, la résilience ne se cantonne pas à la psychologie : elle a investi tous les domaines et considérée à l’échelle des « systèmes », elle peut être écologique, organisationnelle, sociale, économique.
5Dans le monde contemporain de gestion des risques, la résilience l’emporte sur la résistance, avec une connotation plus positive : moins figée, elle intègre les notions d’adaptation, d’innovations, et parmi ses bons facteurs, la diversité, l’auto-organisation et l’apprentissage, s’opposent à la centralisation excessive des prises de décisions. L’hôpital paraît avoir appliqué cette doctrine puisque pour faire face à la crise épidémique avec un nombre de lits de réanimation compté, confronté à la pénurie de matériel de protection individuelle, à l’inconstance (voire l’inconsistance) des directives données par les tutelles, il a fallu compter sur la solidarité entre soignants et les décisions rapides et de terrain.
6Mais le problème avec la notion de résilience considérée à l’échelle des systèmes, c’est qu’elle autorise à ne pas s’attarder sur les pertes. Les colonies d’insectes comme les fourmis, les termites, les abeilles sont citées par des spécialistes de gestion des risques, en modèles de systèmes auto-organisés et modèles de résilience : peu importe pour le système qu’il y ait des pertes puisque les fonctions perdues sont facilement reprises par les autres parties. Aussi, en constatant que la psychiatrie n’aura pas été au cœur des préoccupations des tutelles obnubilées par le risque de débordement du système de santé par l’épidémie, la discipline ferait bien de se méfier de l’usage de la résilience dans la communication dirigeante : dans des locaux inadaptés à la distanciation, porteurs de comorbidités somatiques, dépourvus comme les soignants de masques, les patients hospitalisés en psychiatrie ont eu la chance de montrer plus de résistance au SARS-Cov-2 que les résidents des Ehpad.
Endurances
7De quoi réhabiliter la résistance dont fait preuve la psychiatrie publique, engagée dans une course d’endurance depuis des années et habituée malheureusement à gérer la pénurie bien avant la crise. Résistance des secteurs, pourtant sujets habituels des critiques dans les réformes de santé, qui auront activé un « virage ambulatoire » serré en début du confinement pour choisir de faire sortir les patients devant le risque de contamination collective intrahospitalière, en s’appuyant sur leur connaissance de l’implantation territoriale et les liens tissés au fil des années avec les patients. Résistance adaptative des dispositifs ambulatoires qui ont maintenu des consultations plus ou moins programmées dans les CMP, des visites à domicile indispensables, et des contacts téléphoniques à défaut de téléconsultations, pour réduire les risques de décompensation. Résistance des services de soins qui privés des possibilités thérapeutiques de groupes qui ont aggravé les privations et les risques de troubles psychiques, ont dû inventer des dispositifs de gestion des risques épidémiques et des flux « cas suspects, cas confirmés » en pleine cacophonie des directives. Résistance regrettable aussi des principes sécuritaires et des restrictions des droits qui, en situation de panique épidémique, se retrouvent appliqués à la psychiatrie avec une particulière rigueur : arrêt des audiences présentielles par les JLD, directives des administrations pour interdire les sorties des patients, usage irraisonné des mesures d’isolement, etc.
8Le faible nombre apparent de patients contaminés en services de psychiatrie, malgré des conditions de séjour plutôt propres à faire du Covid-19 une infection nosocomiale de masse, serait la seule bonne surprise de la crise : si certains se sont empressés de communiquer sur l’effet prétendument protecteur d’un neuroleptique historique, la situation ne peut être appréciée à hauteur de santé publique sans examiner les facteurs d’une possible sous-estimation des cas en psychiatrie. Ainsi en est-il des directives nationales qui n’ont au départ pas pensé à rendre accessible aux hôpitaux psychiatriques le système d’information SI-VIC pour le recensement des cas. Et sur le terrain, le retard d’accès aux kits de tests diagnostiques, assorti des mêmes injonctions à économiser que pour tout le matériel de protection, a joué comme frein au dépistage en psychiatrie.
9Tandis que le gouvernement met en avant le succès de la fin de crise, la psychiatrie doit supporter les effets d’après sidération : les patients nouveaux ou déjà connus par les secteurs affluent dans les hôpitaux en état persistant de pénurie qui attendent les effets du nouvel « humanisme » du gouvernement. Quand début juin le ministre a fini par recevoir les syndicats de psychiatrie publique pour connaître leur « retour d’expériences », il a réfuté la critique sur les défauts de distribution des masques et équipements en psychiatrie, assurant qu’il n’y a pas eu de différence avec les services de MCO. Et après un compte rendu des stratégies d’adaptation de cette vieille organisation sectorielle qui a limité les dégâts, qui a confirmé par les faits l’absence d’intérêt de tout miser sur les « innovations », et après avoir renouvelé les revendications pour une véritable prise en considération des besoins, ses invités sont renvoyés à de vagues futurs travaux avec le délégué ministériel, bien transparent pendant la crise, et à la vacuité de la feuille de route santé mentale établie sous le ministère d’Agnès Buzyn. La psychiatrie sera-t-elle encore priée d’être plus résiliente pour supporter un monde post-Covid où sa situation de « métier difficile » sera présentée comme un risque naturel plutôt que le résultat de choix politiques plus ou moins assumés?
10Au contraire, la psychiatrie a de quoi revendiquer, même en se prêtant à l’exercice de classer ses attentes selon les « quatre piliers » exposés par le Premier ministre pour guider le futur plan « Ségur » promis pour la santé :
- La revalorisation des métiers et des salaires est une évidente nécessité, tant le « plateau technique » en psychiatrie générale et en pédopsychiatrie est d’abord humain.
- Les investissements en psychiatrie sont obligatoires, autant pour les personnes et les dispositifs de soins que les lieux, la crise ayant encore plus mis en évidence le décalage des configurations et des locaux avec les critères du xxie siècle, et l’insuffisance de structures alternatives à l’hospitalisation.
- La simplification doit toucher la gouvernance à l’hôpital pour tirer les enseignements des modes rapides de décisions prises pendant la crise ; mais sans servir de prétexte pour faciliter ce que certaines administrations ont choisi : la toute-puissance pour supprimer des lits et des services à la faveur des réorganisations de la crise épidémique, sans s’embarrasser de discussions avec la communauté. La simplification continue aussi d’être attendue sur la loi sur les soins sans consentement, spécificité de la discipline qui favorise le décrochage des vocations pour la psychiatrie publique, considérant la lourdeur administrative et le poids des responsabilités sous injonctions contraires.
- Les acteurs de la psychiatrie seront d’autant plus fédérés et articulés avec les autres professionnels sur les territoires de santé que les communautés psychiatriques de territoire de l’article L. 3221-2 du CSP seront investies par les projets territoriaux de santé mentale.
11La résistance est aussi un combat et il est bien évident que nombre d’autres risques non épidémiques perdurent pour le service public : au nom du « pragmatisme », la question d’allonger le temps de travail à l’hôpital et de destituer le statut de praticien hospitalier n’a pas attendu pour refaire surface dans les propos du Premier ministre. À l’affût, ce qui a installé la loi HPST et « un seul patron à l’hôpital » selon la formule du président de 2008 : assez de tribunes dans la presse généraliste ont, avant même la fin de l’épidémie, tapé sur le service public pourtant en pleine action, appelant à « sortir du clivage public-privé », à achever les statuts du public qui « confortent les médiocres », à réclamer la liberté du marché contre les prétendues « déficiences dans la peine » du service public.
12La psychiatrie publique devrait être plus résiliente, vraiment ?
Liens d’intérêt
13l’auteure déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.