1«Mais alors, tu travailles où maintenant ?... Ah, tu travailles en clinique privée ! » et l’échange s’arrête assez rapidement. Dédain, malaise, préjugés sont souvent associés à l’idée du travail en clinique privée. Tout comme les variations de pratiques et les représentations existent entre secteur public et cabinet de ville. Les préjugés associés aux cliniques privées semblent parfois encore plus vifs et pour de multiples raisons.
2Ainsi, il n’est pas question de dépeindre ici un tableau idyllique et naïf d’une façon de travailler, anéantissant les représentations, mais plutôt d’aborder, à travers l’expérience de notre pratique et de nos prises en charge, une façon de fonctionner qui nous semble la plus juste dans sa description et au plus près de notre réalité.
3C’est sous le prisme de l’unité Adolescent de la clinique du Pays de Seine, située à Bois-le-Roi en Seine-et-Marne que nous exposerons notre pratique.
4Avant d’étayer les principes théoriques et administratifs qui régissent l’organisation de notre unité, l’accueil des patients et de leurs familles, nous aborderons dans un premier temps la rencontre entre ces « fausses idées » des privilèges, des nantissements et/ou d’immunités [1] d’une psychiatrie par rapport à une autre, en les croisant avec une vue plus générale des cliniques privées et la question de leur fonctionnement.
5À travers une vignette clinique, nous tenterons de mettre en évidence l’expérience du travail en réseau. Le palliatif du privé au secteur public dans certains cas. Mais aussi, la culture théorique de notre unité s’inscrivant dans la logique de la psychothérapie institutionnelle.
6 Enfin, nous nous pencherons sur les particularités de fonctionnement : la pluridisciplinarité des cultures et leurs ajustements pour s’associer : notamment, comment l’univers pédopsychiatrique peut-il continuer à fonctionner avec un cadre et une déontologie en s’associant à la culture du monde économique ? De la temporalité nécessaire pour entrer dans une forme de travail psychique à la tarification à l’acte. Les différents modes de pratique seront également abordés quant à la psychiatrie adulte et la pédopsychiatrie.
La clinique privée : une représentation, plusieurs entités
7Bien que le conseil de l’ordre, lorsqu’il nomme les médecins salariés, ne différencie pas ceux du public et ceux du privé [2], les représentations touchant à la fois les médecins « mercenaires » ou le « travail d’équipe » qui peut être fait au sein d’une clinique privée vont bon train dans l’univers pédopsychiatrique mais aussi dans la population en général.
8Le paysage de l’hôpital public et celui de la clinique privée semblent, lorsqu’on entend les descriptions, en de nombreux points diverger. Comment parler de ces clivages idéologiques et de pratiques ?
9La clinique privée, tout comme le médecin de ville choisirait « sa « clientèle » et les malades de cabinets souffrent de pathologies moins graves qu’à l’hôpital » [1]. Tandis qu’à l’hôpital « les psychiatres hospitaliers (…) finiraient leurs journées de travail en milieu d’après midi, profiteraient des multiples congés et d’une bonne retraite »
10 Dans la même veine, à travers son article, Élie Winter [2] souligne cette idée que se feraient les psychiatres hospitaliers d’une « fuite des jeunes psychiatres » dans le privé alors que dans le même temps les psychiatres privés affirmeraient que ces mêmes « jeunes » partiraient vers le salariat ou le public.
11Qu’en est-il finalement des représentations spécifiques de la clinique privée ?
12La clinique privée proposerait des « soins de luxe », pour des « patients aisés ». L’exigence de profitabilité serait omniprésente et empêcherait une pensée. Le rythme serait imposé par la tarification à l’acte et les remboursements Sécurité sociale et mutuelle. Et contrairement au cabinet de ville, où le médecin pourrait être parfois décrit comme « dans une forme d’aliénation » passionnée pour son travail, l’honneur serait sauf, pour le médecin de ville, tant le dévouement pour les patients, la difficile solitude du cabinet malgré le travail en réseau, et la lourde charge de travail annuleraient cette idée du règne du profit gouvernant le mythe de la clinique privée.
13On ne peut pas en effet se départir du terme « Établissement à but lucratif ». Mais il semble important de noter qu’il existe différents types de clinique privée.
14D’abord conventionné secteur 1, 2 ou non conventionné, cette distinction a nécessairement un impact sur le type de patient accueilli. Dans le cas du secteur 1, à la clinique du Pays de Seine, nous accueillons, entre autres, de nombreux jeunes de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), placés, avec une couverture sécurité sociale, la couverture maladie universelle (CMU).
15D’autres éléments entrent notamment en ligne de compte et sont fondamentaux lorsque l’on se penche sur le fonctionnement des cliniques privées. Les groupes qui les financent, les montages financiers (c’est-à-dire cotée en bourse ou pas, par exemple) sous-jacents à ces groupes ou encore la spécialisation exclusive dans le domaine de la psychiatrie ou non, ont inéluctablement un impact sur les modalités de soins proposés.
16 Enfin, on peut noter que les cliniques privées sont composées de deux types de médecins : les salariés et les libéraux. Pour les premiers, cette différence peut traduire une nuance dans le lien que ces médecins ont avec la direction, dans les négociations de cadre thérapeutique et théorique : en réalité, il s’agit des discussions autour d’un champ de liberté décisionnelle. Pour les seconds, il s’agit du lien avec l’ARS, c’est-à-dire, de façon plus indirecte, la question notamment des cotations à l’acte. Les médecins des unités adultes et jeunes adultes travaillant à la clinique du Pays de Seine sont libéraux. Ceux de l’unité Adolescent sont salariés.
L’unité Adolescent de la clinique du Pays de Seine
17L’unité a ouvert ses portes en 2008 [3]. Elle accueille de jeunes patients depuis le seuil de la puberté (autour de 11 ans avec l’apparition des modifications corporelles ou avant en cas de puberté précoce) et jusqu’à 17 ans et demi environ. Ces patients connaissent un moment de rupture dans leur adolescence. Ces moments de rupture viennent créer un blocage des processus psychiques qui entraîne les pathologies de l’agir mais aussi des mouvements dépressifs et des décompensations psychotiques. Les indications des médecins adresseurs ou des CMP pour une hospitalisation dans notre unité sont fréquemment les suivantes : dépressions et conduites suicidaires, décompensations psychotiques, troubles du comportement alimentaire, prises de risque pathologiques.
18Comme dans de nombreux services d’hospitalisation adolescents de l’hôpital public, les moyens de contenance limités de l’unité imposent qu’il y ait une demande d’hospitalisation formulée par le patient. Les portes de l’unité sont fermées mais il y a régulièrement, dans le cadre du projet de soins, des sorties institutionnelles (cinéma, visite de monument..) organisées. L’unité n’accueille donc pas d’adolescents contre leur gré. Par ailleurs, il s’agit d’un service intersectoriel, nous pouvons donc accueillir des adolescents en dehors du département de la Seine-et-Marne à condition que le travail avec les familles et avec l’extérieur (retour dans le lieu d’hébergement régulier, retour à l’école) soit possible. Comme évoqué précédemment, l’unité pour adolescents accueille régulièrement des patients placés par les services de l’aide sociale à l’enfance. Les dernières données épidémiologiques recueillies retraçaient la répartition géographique des adolescents reçus de la façon suivante : 76 % de Seine-et-Marne, 13 % de l’Essonne, 3 % du Loiret ainsi que de région parisienne, et 0,70 % d’Eure-et-Loir ainsi que des Yvelines.
19Quatorze adolescents peuvent être accueillis dans cette unité composée d’un grand espace commun (où les jeunes alternent jeux de sociétés et constructions, bricolages ou juste un temps « pour être ensemble »), d’une salle télé/bibliothèque, d’une salle nommée « zen » dans laquelle une monitrice éducatrice de l’unité propose aux adolescents des soins esthétiques. Lorsque cette salle n’est pas occupée par un atelier, un ordinateur avec un accès limité et des règles d’utilisation pensées en réunion institutionnelle est à disposition à certains moments pour les adolescents. Au bout du couloir des chambres, un petit recoin, avec quelques canapés, reçoit des ados assis, avachis, allongés, seul ou parfois serrés les uns contre les autres en fonction de l’ambiance du groupe, de ce qu’ils partagent entre eux, ou encore de ce qu’ils veulent plus ou moins consciemment renvoyer aux soignants, parfois dans une forme de provocation.
20Les dernières données épidémiologiques retrouvaient un accueil de 68 % de filles/32% de garçons. Les durées moyennes de séjour étant extrêmement variables d’un adolescent à l’autre, les statistiques ne peuvent être significatives. La durée minimum de séjour souvent renvoyée aux familles lors des rendez-vous de pré-admission est de 3 semaines.
21Le service est composé de deux psychologues, une éducatrice spécialisée, une équipe soignante (responsable infirmier, infirmiers, aides-soignants, moniteur éducateur), deux arts- thérapeutes, deux éducateurs médico-sportifs, une sophrologue, une secrétaire et deux médecins pédopsychiatres. Les autres membres du personnel pouvant intervenir dans l’unité et ayant également un rôle important auprès des jeunes sont les agents de service hospitaliers, les stagiaires infirmiers ou psychologue, le médecin généraliste, la pharmacienne et la diététicienne. Le ratio nombre de personnels accompagnant en permanence pour nombre d’adolescents est le suivant : sont toujours présents 2 infirmiers et 2 aides-soignants ou 2 infirmiers et un aide-soignant accompagnant un moniteur éducateur. C’est-à-dire quatre membres du personnel soignant pour quatorze adolescents.
22La pensée théorique du service s’articule autour d’une volonté de mise en place de soins institutionnels, dans la lignée de ceux décrits par Roger Mises, c’est-à-dire faisant une place « aux apports provenant de la psychanalyse » [4]. Bien évidemment, nous nous efforçons d’intégrer des données issues de la neurobiologie, des sciences cognitives ou encore de la pharmacologie. Selon Jean Kestemberg, la première démarche thérapeutique dans une institution psychiatrique est d’obtenir l’intégration des malades dans un groupe d’ensemble comprenant le personnel soignant [5]. En effet, l’expérience groupale peut être un moment de restauration narcissique, avec un effet structurant à long terme, particulièrement pour l’adolescent. Le travail en groupe crée un contenant de la pensée et de l’excitation, les angoisses sont plus supportables parce que partagées. Après-coup, le souvenir de cette expérience pourra constituer un étayage pour la construction d’un espace psychique [5, 6]. Pour les adolescents, se retrouver entre pairs permet de se distancier de la famille, de trouver la « bonne distance » avec les adultes. D’autant plus que la présence des soignants offre des possibilités d’identifications multiples et variées, ce qui permet un travail sur les imagos parentaux [5, 7].
23Ainsi, outre les réunions de synthèse qui ont lieu de façon bihebdomadaire, et la réunion institutionnelle, hebdomadaire, nous tenons particulièrement au temps précieux de la réunion soignants-soignés dans laquelle cette expérience groupale est forte et structurante, faisant office de cadre et de continuité dans l’organisation des soins et du service.
24D’autres temps de médiations permettent de recréer cette expérience groupale : les temps d’art-thérapie dont la musicothérapie, le temps d’équitation, les sports collectifs ou enfin le groupe de parole hebdomadaire.
25Enfin, la mise en commun de cultures différentes, administrative, économique et psychopathologique se retrouve inévitablement au cœur de notre réflexion institutionnelle. Pour en donner une illustration concrète, on peut noter que la situation géographique même de la direction est à prendre en considération. Présente dans les mêmes locaux, en lien direct avec le personnel soignant, cela a un impact indiscutable sur nos modes de prises en charge. Là où, dans le service public, la direction pourrait être représentée comme une forme de nébuleuse floue sur laquelle toutes les projections ou revendications de bonnes pratiques, de nombre nécessaire de personnels soignants, de conditions dignes d’exercice de son travail seraient formulées. Dans la clinique privée, le lien est direct. La direction est connue. Le projet professionnel de soin du directeur influence indubitablement nos prises en charge, et sur le plan groupal, a évidemment un impact dans le fonctionnement institutionnel.
Quelques vignettes cliniques : la nécessaire et indispensable collaboration dans le cadre du travail en réseau
26Les cliniques reçoivent-elles le même public qu’à l’hôpital ? Dans le cadre de notre pratique à la clinique du Pays de Seine, l’expérience de collaboration, de travail en réseau et le manque criant de place d’hospitalisation en pédopsychiatrie sur le secteur dévolu aux adolescents nous amènent à penser que nous accueillons sensiblement le même type de patients.
27À la clinique du Pays de Seine, les frais d’hospitalisation sont pris en charge par la Sécurité sociale et le forfait journalier est remboursé par la mutuelle. Les patients bénéficiant de la CMU ou CMUC (Couverture maladie universelle complémentaire) sont accueillis dans l’établissement au même titre que les autres.
28 Depuis l’ouverture de l’unité Adolescent, nous travaillons en collaboration avec l’ASE. Ainsi nous recevons régulièrement des mineurs accueillis en foyer et en famille d’accueil. Ces prises en charges, accueillant des patients à la symptomatologie polymorphe, sont souvent rendues complexes par la nécessaire intrication de soins psychiques et d’une réalité sociale chaotique.
29Lorsque la situation le permet, des entretiens familiaux sont organisés : soignants, médecins, patient et parents sont conviés pour élaborer ensemble au sujet de la problématique rencontrée. Les structures éducatives et famille d’accueil sont elles aussi partie prenante du soin.
30En juin dernier, le colloque organisé par APPEARS, Association de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du réseau Sud, intitulé L’enfant, l’ASE et le soin, tous déplacés ? reprenait dans une réflexion fructueuse et constructive les « maux institutionnels de chacun », soins psychiques, milieu éducatif et protection de l’enfance, mettant en avant « la nécessité de nous interroger sans relâche pour résister ensemble à l’impossible de nos métiers ». En ce sens, nous voulions signifier que le « projet thérapeutique » d’une hospitalisation, sa durée peuvent parfois être totalement impactés, malgré un échange constant avec les partenaires sociaux de l’ASE, par la réalité sociale et le défaut de lieu d’hébergement.
31Pour illustrer notre propos, nous souhaitions vous parler de Max, âgé de 15 ans accueilli dans l’unité Adolescent pour troubles de l’humeur et trouble du comportement sur un mode hétéro agressif selon son adresseur.
32Max est placé à l’ASE depuis qu’il a 3 ans. Ses parents ont été déchus de l’autorité parentale par décision judiciaire. Son comportement a mis à mal plusieurs familles d’accueil et à l’époque où nous le rencontrons, Max est accueilli depuis quelques mois dans un foyer de la région.
33Dès son entrée à la clinique, nous comprenons que le travail en collaboration avec le foyer va être complexe. Le foyer, très investi initialement, nous décrit un épuisement et rapidement il semble difficilement envisageable pour eux de penser à son retour définitif. Dans les faits, cela se traduit par l’absence de visite de leur part, et au quotidien, l’intendance du linge propre et sale qui ne peut être géré ainsi que son nécessaire de toilette. Rapidement, nous sommes amenés à pallier ce dysfonctionnement. Ce qui n’est pas sans nous interroger sur le risque de vaciller, comme cela avait pu être évoqué à de nombreuses reprises lors de la journée d’APPEARS, dans des positions d’institution « toute puissante », répondant aux besoins, et se situant à toutes les places.
34 Nous comprenons ce désinvestissement du foyer lorsque l’état clinique de Max semble stabilisé. En effet, à ce moment-là, nous le sollicitons pour des permissions à l’extérieur. Après diverses sollicitations au cours desquelles le foyer ne peut se rendre disponible, nous rencontrons le chef de service du foyer et l’éducateur référent de l’ASE. La situation nous est clairement annoncée désormais : « Max n’est pas adapté au foyer qui l’accueille actuellement. Ses passages à l’acte hétéro-agressif ne permettent pas qu’il réintègre le foyer. Le référent ASE s’engage à entamer des recherches actives pour trouver à Max un lieu adéquat, adapté à son comportement ». Il s’agit pour lui de trouver un lieu contenant, accueillant un petit effectif de jeunes, dans la ville où Max est scolarisé. Max qui est en rupture sociale a pour seul but de reprendre le chemin du lycée où il a, malgré tout, créé quelques liens sociaux bénéfiques.
35C’est ainsi que Max est resté quelques mois à la clinique avec très peu de visites, de rares permissions. L’exterieur proposé était celui des week-end par le personnel soignant. Comme l’aurait fait un établissement de soins public, nous nous sommes adaptés à la réalité sociale de Max.
36Il est courant de penser que les hospitalisations longues peuvent générer des effets délétères. Pour Max, il y eut parfois des moments de régression, de violence hétéro-agressive mais surtout un vécu abandonnique marqué. Après quelques mois, Max a rejoint une famille d’accueil faute de lieu de vie disponible pour l’accueillir.
37Cette vignette clinique, ne détaillant pas les éléments biographiques ou psychopathologiques de Max, a simplement pour but de traduire les paradoxes du soin et des multiples intrications éducatives et sociales auxquels les cliniques privées ne se soustraient pas.
38Lors de l’ouverture de l’unité adolescent, existait « comme protocole pour lutter contre ce type de dysfonctionnement », le contrat d’engagement. Il s’agissait pour les structures de l’ASE de s’engager, en signant un document, à la réintégration du jeune patient dans leurs structures lorsque la fin de l’hospitalisation pouvait s’envisager. Ce « protocole » contractuel fut rapidement abandonné. Favoriser la réflexion avec les différentes équipes au cours de réunion de synthèse, exprimer les vécus d’incapacité ou d’impuissance, ou au contraire envisager des aménagements possibles, et surtout respecter une temporalité pour élaborer cela, semblaient bien préférable au rapport de force qui se dessinait derrière ce « contrat » initial. Malgré tout, ces situations nous soumettent à des enjeux transféro-contre-transférentiels complexes, tant vis-à-vis des patients que dans la globalité de notre prise en charge avec les partenaires.
39La pathologie et la complexité des patients nous amènent souvent à travailler ensemble et à développer des passerelles entre institutions. La pédopsychiatrie est confrontée à un problème particulier, celui du soin dispensé à un patient mineur avec la protection spécifique que cela implique. Tous les hôpitaux psychiatriques publics ne disposent pas d’unité dédiée à la prise en charge d’adolescents. En Seine-et-Marne, dans le service public, il peut arriver que les patients adolescents soient adressés au service de psychiatrie adulte. L’absence de lits adolescents disponibles ou encore l’impossibilité pour les services de pédiatrie de recevoir certaines indications conduisent ces patients adolescents à être hospitalisés en unité adulte. Il arrive alors dans certains cas que les adolescents soient confinés en chambre fermée pour éviter qu’ils ne côtoient les patients adultes jugés plus dangereux ou plus malades. Dans ce cas particulier, des demandes de transfert dans notre unité nous sont aussi adressées. Le travail de collaboration est également étroit avec les services de pédiatrie notamment lorsqu’il s’agit d’hospitalisation d’urgence.
40 L’urgence psychiatrique n’est pas l’urgence médicale. Même si parfois, par contiguïté, prise de toxiques, passage à l’acte suicidaire, elle le devient. Faut-il répondre à cette urgence sur un même mode, par précipitation ?
Il est urgent d’attendre et de connaître l’histoire
41Les directives du ministère de la Santé semblent claires. Il faut désormais encourager les groupes d’éducation thérapeutique (stress, schizophrénie, troubles bipolaires…) pour que les patients puissent mieux gérer leurs symptômes. La psychanalyse n’a plus la part belle. Et respecter une forme de temporalité pour rencontrer le patient et être à son écoute, et non uniquement à l’écoute des symptômes, semble dans certains cas devenir une position qui pourrait s’oublier. Apporter un projet de mieux-être et une aide positive au patient sans être dans l’abrasion du symptôme, symbolisant avant tout la subjectivité du patient devient parfois complexe à argumenter. Il serait en effet presque « totalitaire » de vouloir le bonheur des individus malgré eux [8, 9].
42C’est cette lutte contre l’urgence et les protocoles qui nous ont amenés à faire appel à l’œuvre de Marcel Gauchet, À la recherche d’une autre histoire de la folie [10, 11]. On comprend dans son discours reprenant Foucault que nous n’étions pas très loin de « vouloir le bonheur des individus malgré eux », lorsqu’il y a quelques décennies, le traitement moral était mis en place. En effet, Marcel Gauchet dénonce ce que Foucault nomme « l’humanisation du traitement ou la déshumanisation cachée avant toute chose ». Il y a quelques décennies, la folie entre dans le courant de l’altérité. Avant, la culture de l’altérité donnait une appréciation de l’identité humaine sur l’articulation à son contraire, Gauchet dit « avant nos ancêtres cultivaient l’altérité de l’autre pour se penser ». Nous nous cherchons dans la mêmeté de l’autre « le miroir d’abyme de la mêmeté de l’autre ». C’est l’idée même de l’identité qui change. Dans cette continuité, l’asile devenait un projet d’action sur l’homme. Il devient aussi un « laboratoire politique ». Le théâtre d’une « expérimentation d’une illusion de puissance ». Ce projet sous-tend l’idée d’un traitement thérapeutique de la personne : pour une reconstruction nue de son individualité. L’asile aura permis de reconstruire l’image du fou. Non plus reclus sur lui-même, mais qui fait valoir son appartenance à l’être ensemble. Pour lui, cette dynamique de l’égalité est finalement inséparable de l’imaginaire de puissance. « Rendant aux hommes le gouvernement de leurs mondes. Ce qui assigne à la société de se saisir d’elle-même et d’agir sur elle-même dans toutes ses parties ». Il s’agit de l’œil du pouvoir, dit Gaucher. L’aire des institutions autoritaires n’attend que de renaître c’est pourquoi il faut en avoir une bonne connaissance historique.
43Quand les murs des services publics sont porteurs d’une histoire, d’une pensée théorique par des maîtres qui les ont incarnés, chaque décision ou façon de fonctionner nouvelle s’inscrit dans le continuum d’un long processus et les actions sont menées de façon humaniste et cohérente. L’histoire des cliniques privées en pédopsychiatrie est bien plus récente. Il faut pouvoir garder en tête que la rencontre entre son patient et son thérapeute, le groupe soignant ou les autres patients sont aussi fondamentales que singulières et que c’est d’abord au travers de ces rencontres que les processus psychothérapeutiques vont se jouer. C’est-à-dire, que l’application de protocole ou l’abrasion du symptôme qui seraient indispensables pour laisser place au mieux-être ne sont pas sans risque, comme l’a rappelé C. Ducarre [12]. Puisque les cliniques privées ne sont pas porteuses de ce temps long, que cette histoire puisse s’incarner dans la pensée théorique de l’unité est indispensable pour éviter de voir renaître « l’aire des institutions autoritaires », et garder un esprit critique face aux défis scientistes de notre temps.
44Ainsi, dans cette continuité, cela pourrait se présenter comme une évidence, mais rappeler que cette approche de la rencontre est aussi très concernée par le repérage, l’analyse et la gestion de nos contre-transferts négatifs est un élément majeur ; les travailler avec l’équipe lors de réunions institutionnelles ou en espace individuel de supervision est essentiel.
45« Au moment où est perdue toute ressemblance, où est perdue au travers de toute ressemblance toute possibilité d’un semblable. (…) On ne peut prendre soin des malades mentaux que si on les considère comme des sujets à part entière. Son corollaire est qu’on ne peut correctement soigner les individus qu’en soignant aussi l’institution, par le questionnement permanent du cadre et de la finalité des soins et en portant attention aux transferts et contre-transferts entre malades et institution psychiatrique. » (Pierre Fedida [13], p. 28).
Conclusion
46Les différents modes de conventionnement (1, 2 ou non conventionné), les groupes sous-jacents qui les financent, les responsables et la direction porteurs de projet sont tout autant de paramètres et de variables témoignant de myriades de fonctionnement qui sous-tendent les arcanes des cliniques privés.
47À la clinique du Pays de Seine, dans l’unité Adolescent, nous tentons de mettre en place des soins s’inspirant des soins institutionnels dans la lignée de Roger Misès.
48Existe-t-il alors de véritables différences de fonctionnement entre le public et le privé ? « Si on centre la pratique clinique sur la conception de la maladie par un praticien, non » mais « Oui, s’il ne peut exercer clairement son métier selon ses convictions, à cause d’un cadre trop contraignant administratif ou gestionnaire » pour reprendre les propos d’Élie Winter.
49Être conscient de « l’urgence du symptôme », « du négatif du symptôme », et de la nécessaire gestion de nos contre-transferts, sont pour nous des évidences nécessaires mais non suffisantes pour un bon fonctionnement clinique soumis ni aux lois des protocoles, ni à une dictature économique.
50Notre active collaboration public/privé mais aussi avec les autres partenaires du soin (ASE, PJJ), nous apparaît comme indispensable.
51Pour reprendre René Kaes dans Réalité psychique et souffrance dans les institutions[14] : « L’institution est l’ensemble des formes et des structures sociales instituées par la loi et par la coutume : l’institution règle nos rapports, elle nous préexiste et s’impose à nous, elle s’inscrit dans la permanence. » (p. 8).
52Mais l’institution est « l’ensemble des formes et des structures sociales ». Est-ce possible d’exercer au sein d’une clinique privée, dans un fonctionnement plus plus distant de l’État, sans prendre une part active dans l’absence de combat qui pourrait être mené au côté du secteur public ? Peut-on exercer en collaboration et en réseau, à l’écoute du patient et dans une logique humaniste sans un engagement dans une réflexion plus politique ? Quelles sont les frontières à franchir et pour respecter les intérêts de qui avant tout ? De la société ? D’une institution ? Du patient ?
53Le champ des débats et réflexions reste vaste autour du thème des cliniques privées, c’est la raison pour laquelle nous avons tenté à travers cet article de mettre la focale sur notre expérience de l’unité adolescent de la clinique du Pays de Seine, en laissant toujours planer l’idée de « façons de faire » aussi nombreuses qu’il existe probablement d’unités.
Liens d’intérêt
54les auteures déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.