1 Nous avons reçu le texte suivant d’une monitrice d’enseignement de l’hôpital du Vinatier qui exprime les réactions d’une infirmière à la lecture de l’article paru dans l’Information psychiatrique d’octobre 1966 « ce que veulent les jeunes psychiatres ».
2 L’infirmier des hôpitaux psychiatriques – médiation principale de la thérapeutique et dont la formation est pourtant au cœur des réflexions du psychiatre – ressent un malaise dont nous n’avons pas toujours conscience. Il réclame son « statut » et n’admet plus qu’on se serve à son égard de mots vagues : niveau culturel, niveau affectif.
3 En deçà de cette question que les psychiatres se posent naïvement, « que faut-il apprendre aux infirmiers » se pose le problème du « que faut-il être pour apprendre ce métier ».
4 C’est tout le problème du recrutement vu par le recruté. Or ceci dans notre domaine est paradoxalement nouveau.
5 Nous n’avons pas l’intention d’ouvrir un débat sur la formation des infirmiers psychiatriques, mais à une époque où les idées sont on marche autour de notre profession, nous pensons qu’il n’est peut-être pas inutile d’investir nos propres réflexions dans l’édification des conditions futures de cette profession.
6 Tout ce qui s’écrit à ce sujet provoque des réactions diverses ; les internes des hôpitaux psychiatriques de la Seine ont exposé dans l’Information psychiatrique (octobre 1966) un article qui a retenu toute notre attention et nous aimerions revoir avec eux, quelques aspects particulièrement intéressants de ce problème qui nous concerne tous.
7 On nous parle des exigences de notre métier. Que sont en réalité ces exigences ? Si l’on en juge par les propositions qui suivent, nous sommes obligés de reconnaître que ce métier n’est pas tellement exigeant… Qu’entendez-vous par connaissances formelles ? S’agit-il de l’enseignement théorique et pratique de base sur lequel viennent se greffer toutes les spécialisations d’une branche ?
8 Si critiquable qu’il soit, cet enseignement que vous-même recevez en faculté et dans les services hospitaliers pendant plusieurs années et que sans doute vous estimez nécessaire à la valeur et à l’exercice de votre profession, pourquoi le refusez-vous à vos proches « collaborateurs » ?
9 Une telle considération remet en cause une fois de plus notre valeur intellectuelle, actuellement très controversée. Alors que la majorité des médecins souhaitent rencontrer, dans ce domaine, une amélioration auprès des futurs candidats, les jeunes psychiatres de la Seine ne semblent pas partager leur avis.
10L’infirmière que je suis, se trouve dès lors très embarrassée pour essayer de situer sa position.
11Il est bien entendu que par niveau culturel, il s’agit plus d’aptitudes, de possibilités d’acquisition et d’accession à une certaine culture que d’un capital acquis. Pour que nos rapports avec les malades soient pour eux une thérapeutique il faut, d’une part ressentir leur demande et d’autre part essayer d’y répondre, ce qui implique une certaine compréhension des manifestations de la maladie mentale. Celle-ci fait appel en premier lieu, nous voulons bien en convenir à des dispositions individuelles et relationnelles, mais si l’on n’associe pas à ces qualités de base un certain niveau intellectuel et quelques connaissances formelles, notre apprentissage sera très voisin de celui du « pseudo-rebouteux ». La relation thérapeutique ne serait-elle pour nous qu’une simple relation affective ? Cependant il n’est pas rare de rencontrer dans nos hôpitaux de province des infirmiers qui se trouvent très gênés dans leur relation avec des malades d’un niveau intellectuel supérieur au leur. Il ne faudrait pas oublier non plus dans le régime des études, que c’est huit heures durant que nous devons soutenir la relation soignant-soigné, parmi des groupes de malades dont l’hétérogénéité n’est plus à démontrer, en accomplissant des tâches de toute nature, avec des conditions matérielles souvent très défectueuses et qu’indépendamment de notre condition d’infirmier psychiatrique, nous sommes perpétuellement confrontés avec des problèmes d’organisation matérielle et d’ordre psychologique inhérents à toutes les collectivités. Comment pouvons-nous envisager notre avenir si nous ne possédons pour tout bagage que nos mécanismes affectifs sans cesse remis en question ? C’est plutôt angoissant.
12Une solution nous est proposée dans la clôture de l’article qui définit le corps des infirmiers psychiatriques comme l’instrument nécessaire au psychiatre. Voilà qui va simplifier considérablement notre tâche. L’instrument, cet objet inerte et insensible ne trouve son efficacité qu’entre les mains du sujet qui le manie, désormais nous n’avons plus qu’à nous mécaniser et à nous laisser conduire, en sachant bien entendu que nous n’avons plus rien à désirer, plus rien à exprimer. On peut aussi essayer d’imaginer ce que peuvent être les relations médecin-infirmier dans un semblable contexte. Une telle situation ne risque-t-elle pas de décourager les candidats beaucoup plus encore que l’insuffisance des salaires et la crise du logement.
13 Enfin, si l’on admet que la valeur d’une discipline est étroitement liée à la valeur de ses membres (que ceux-ci soient représentatifs, cadres ou simples exécutants) une question surgit pour nous : que vaut la psychiatrie ?
14 J’ignore si vous abordez le problème à un niveau national ou simplement dans le cadre esthète de la région parisienne, mais je peux vous dire que dans certains hôpitaux de province (départementaux et autres), toute une catégorie de psychiatres considèrent leurs infirmiers comme des sujets à part entière, et ne craignent pas de les inviter à rechercher avec eux, des méthodes d’enseignement et des essais d’élaboration d’un programme susceptible de répondre aux exigences de notre exercice, en tenant compte de nos désirs et de nos besoins.
15 Avec juste raison, vous déplorez, non sans une certaine amertume, bien partagée croyez-le, la sous-estimation de votre qualification de spécialiste, les structures asilaires de nos hôpitaux, la carence des réformes administratives, l’indifférence de la Nation ; n’oubliez pas qu’à notre niveau nous nous trouvons dans la même situation que vous. Vous pouvez nous aider, mais nous aussi, nous pouvons vous aider.