1Peut-on traiter de l'avenir de la protection sociale en trois articles ? Evidemment non. Pour nourrir cependant le plus largement possible la discussion, nous avons fait le choix de trois angles d'approche. Partir de notre propre système : quels sont les avenirs possibles de la protection sociale en France ? Elargir à l'Europe : quelles sont les dynamiques à l'oeuvre dans les pays de l'Union européenne ? Enfin poser la question de la redistribution : quels effets les différents systèmes ont-ils sur la réduction des inégalités ?
2Pour Michel Borgetto et Robert Lafore, les transformations importantes de notre système de protection sociale peuvent renforcer la cohésion de la société. Cette évolution n'est cependant pas à l'abri de dérives potentiellement dangereuses. Les auteurs posent alors de façon forte et originale deux questions centrales : le basculement de la protection sociale dans le secteur marchand constitue-t-il l'avenir inéluctable de la protection sociale ? Sur quel pacte social et sur quelles normes de justice établir les dispositifs protecteurs ?
3Abordant le sujet au niveau européen, Arnaud Lechevalier met en évidence les tendances à l'oeuvre (avec des modalités différentes) dans tous les pays de l'Union. Il explique la convergence relative des systèmes par l'impact de la construction économique européenne. Impact direct de la coordination entre systèmes de protection sociale, mais aussi de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, dont les décisions jouent un rôle actif et méconnu sur les systèmes de protection sociale des pays européens. Impact indirect de l'union économique et monétaire lié aux choix de politiques économiques, qui conduisent à " placer les politiques sociales dans un rapport non seulement conflictuel, mais de claire subordination par rapport aux politiques macroéconomiques ". Enfin, parce qu'il s'agit d'interroger les fondements théoriques de ces transformations, Arnaud Lechevalier étudie également les effets indirects de l'analyse économique dominante. Cette mise en perspective s'achève par une affirmation quelque peu perturbante : " On a pu longtemps considérer que la meilleure façon de défendre les principes de la protection sociale était de la tenir en dehors de la construction européenne. Cela n'est sans doute plus possible aujourd'hui. "
4Le dernier article reprend d'assez larges extraits de la contribution de Joakim Palme au très riche ouvrage collectif La protection sociale en Europe : le temps des réformes [1]. Palme montre, à partir de la comparaison entre le système scandinave et ceux de plusieurs autres pays, que " plus les prestations sont ciblées sur les plus pauvres et plus la réduction des inégalités résultant du système de protection sociale est faible ".
5Les points de vue des auteurs ne sont pas toujours concordants. Alors que Michel Borgetto et Robert Lafore ne voient la dualisation de notre système de protection que comme un risque possible, Arnaud Lechevalier pense que la " substitution progressive de l'assistance à l'assurance " est déjà en marche. Mais pour aucun d'entre eux, les jeux ne sont faits. Si des forces puissantes poussent à des transformations de nos systèmes de protection sociale vers moins de solidarité et plus de protection individuelle, rien n'est encore écrit.
Comprendre la protection sociale
Qu'entend-on par protection sociale ? La protection sociale regroupe l'ensemble des dispositifs destinés à prémunir une population donnée (ou une partie déterminée de cette population) contre certains risques sociaux pouvant engendrer, soit un surcroît de dépenses ou de difficultés, soit un arrêt ou une diminution des revenus d'activité : maladie, dépendance, naissance d'enfants, chômage, vieillesse.
Parce que la capacité à épargner pour se constituer un capital permettant de se prémunir contre les risques sociaux est très inégalement répartie, la protection sociale est habituellement obligatoire. Ce n'est cependant pas toujours le cas : ainsi, en France, dans le domaine de l'assurance maladie, la protection sociale complémentaire (prenant en charge les dépenses non remboursées par la Sécurité sociale) relève largement de décisions privées. C'est d'ailleurs un des grands enjeux de société que de déterminer à partir de quel seuil la protection sociale relève d'une décision privée, qu'elle soit individuelle ou d'entreprise.
La protection sociale, parce qu'elle est autre chose qu'une forme collective d'assurance, s'accompagne d'un niveau de redistribution, plus ou moins important d'un pays à l'autre, entre ceux qui payent et ceux qui reçoivent. C'est la différence essentielle entre la protection sociale et un système d'assurance collective. Dans un système d'assurance collective, il suffit de définir des classes de risque plus ou moins fines et de lier les cotisations versées à l'appartenance à telle ou telle classe de risque (à la façon de l'assurance automobile) pour réduire, voire supprimer la redistribution. Faire de la protection sociale un indice de la présence étatique dans la société est cependant un abus, car la protection sociale n'est pas toujours le fait de l'Etat (en France, les Assedic, par exemple, sont nées d'un accord paritaire, non d'une décision publique).
Institutionnellement, en France, la protection sociale comporte trois volets :
- la Sécurité sociale, composée d'organismes prélevant des cotisations obligatoires, qui assurent des prestations déterminées objectivement (en fonction des cotisations ou en fonction des situations personnelles) et versées automatiquement ;
- l'aide sociale, qui désigne des prestations versées de façon conditionnelle à des personnes connaissant des difficultés spécifiques, lesquelles sont appréciées par une commission (RMI, pensions d'invalidité, allocation adultes handicapés, etc.) ;
- l'action sociale, qui désigne des prestations facultatives versées par des organismes multiples (comités d'entreprise, mutuelles, etc.), parmi lesquels peuvent figurer des organismes de Sécurité sociale.
- le mode de financement : un système de protection sociale peut être financé par l'impôt ou par des cotisations sociales ;
- le mode de calcul des prestations : les prestations peuvent être forfaitaires (même niveau de prestation pour tous) ou plus ou moins liées au revenu qu'elles remplacent ;
- la population destinataire : les prestations peuvent être destinées à toute la population (prestations universelles) ou réservées à une partie seulement (populations sous conditions de ressources) ;
- la forme des prestations : certaines prestations, en particulier celles qui visent à remplacer un revenu antérieur (chômage, retraite), prennent la forme de versements monétaires. On parle alors de prestations en espèces. D'autre prestations, dans le domaine de la santé ou de l'enfance, prennent la forme de mise à disposition gratuite ou semi-gratuite de services sanitaires (soins) ou sociaux (crèches, maisons de retraite). On parle alors de prestations en nature.
Si l'on veut décrire les systèmes scandinaves, il faut tenir compte de plusieurs spécificités. Un financement par l'impôt, mais des prestations de haut niveau et, du fait du développement des services sociaux, une place plus importante qu'ailleurs faite aux prestations en nature.
Notes
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[1]
Sous la direction de B. Pallier et C. Daniel, Drees-MiRe, éd. La Documentation française, 2001.