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Vous avez été journaliste plus de trente ans avant de devenir romancier. Qu’a représenté pour vous le passage d’une écriture factuelle sur les autres et le monde à une écriture personnelle et fictionnelle ?Sorj Chalandon : On ne passe pas de l’une à l’autre, on se sert de l’autre pour supporter l’une. Dans un reportage de guerre, le rôle du journaliste est de mettre ses mots au service des victimes, des morts, des destructions : il n’y a aucune place pour sa propre souffrance et son propre effroi. Le roman est un moyen de commencer à dire « je ». Quant à la fiction, elle offre la possibilité de revisiter des lieux, des blessures, des accidents de vie tout en maintenant un léger décalage avec la réalité, qui aide à s’en distancier. Quand, dans Profession du père, Émile est frappé à coups de ceinture, ce n’est pas moi qui suis battu par mon père, ce n’est pas sur moi que l’on s’apitoie. Mais surtout, écrire me permet de partager, de trouver des frères et sœurs de douleur qui, après m’avoir lu, viennent me raconter les coups qu’eux-mêmes ont subis ou la terreur dans laquelle ils ont grandi. Je n’écris en tout cas pas dans un but thérapeutique. Je n’attends ni d’être plaint, ni d’être admiré, ni d’être consolé. Au contraire, je veux que mes plaies restent entrouvertes, pour ne jamais oublier.Émile est aussi constamment dénigré et brimé. Quelle forme de violence est-elle la plus destructrice ?S. C. : Quand j’étais petit, je pensais que les coups ou l’enfermement dans l’armoire, baptisée « maison de correction », étaient le pire qu’un enfant puisse subir…
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 06/05/2022
- https://doi.org/10.3917/epar.643.0008

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