Au début de votre livre, une scène frappe. Un jour, accueillant l’un de vos patients, vous le regardez… et ne savez plus s’il s’agit d’un garçon qui devient une fille ou de l’inverse !Serge Hefez : D’habitude, quand je reçois un jeune, je connais son parcours. Mais ce jour-là, j’avais vu beaucoup de patients, j’étais fatigué. Et devant cette personne, j’étais effectivement incapable de savoir si c’était un garçon en train de devenir une fille ou le contraire. Cette incertitude m’a sidéré. Comme si un pilier de ma pensée s’effondrait. Mais ce choc a été libérateur. Je me suis dit : « Au fond, cette question est-elle si importante ? Je suis en face d’un être humain. Comment puis-je l’accueillir sans connaître son sexe d’origine ? Qu’est-ce que cette incertitude suscite en moi ? »
C’est même une révolution ! Dès que l’on rencontre quelqu’un, on le « range » dans la catégorie homme ou femme, puis on projette sur lui des a priori, un univers mental. Il se produit la même chose – même sans être raciste – lorsqu’un Européen rencontre un Africain, un Asiatique, et vice-versa. Bien entendu, on ne peut pas être « neutres », se comporter comme des robots. Mais aujourd’hui, ces préconçus ont tendance, non pas à s’effacer, mais à se fluidifier. Pendant des siècles, l’essence de l’être était tout entière contenue dans le genre : être une femme ou un homme vous octroyait un destin (c’est encore le cas dans certains pays). Les femmes étaient asservies à leur père puis à leur mari, et les hommes aux impératifs de la production ou de la guerre…