L’éducation n’est pas qu’affaire d’enseignement. Pour certains, les principes transmis par l’institution scolaire ou l’environnement social qu’elle offre aux élèves ont aussi leur importance.
1 Les écoles hors contrat sont des écoles qui n’ont pas signé de contrat d’association ou de contrat simple avec l’État [1] leur permettant de bénéficier de fonds publics pour rémunérer leur personnel et entretenir leurs locaux. Elles sont libres d’embaucher qui elles veulent et organisent leurs programmes comme elles l’entendent, mais sont tenues d’assurer l’enseignement d’un socle commun de connaissances et de veiller à la sécurité et au bien-être de leurs élèves. Elles peuvent recevoir à tout moment la visite des inspecteurs de l’Éducation nationale et se voir interdire de poursuivre leurs activités si elles sont convaincues d’embrigadement idéologique ou de maltraitance. Leur nombre s’est considérablement accru ces dernières années, passant de 327 en 2011 à 1 305 en 2017 [2]. Pour autant, l’ensemble des écoles hors contrat, qu’elles soient laïques ou religieuses, ne scolarisait en 2017 que 74 000 élèves environ dans le primaire et le secondaire, soit à peine 0,5 % de la totalité des effectifs, qui avoisinaient 12 millions d’élèves [3].
2 Parmi elles, les écoles confessionnelles sont minoritaires. À la rentrée 2015, on en dénombrait 280 : 160 catholiques (contre 7 500 sous contrat), 50 juives (contre 300 sous contrat), 40 musulmanes (contre 6 sous contrat) et 30 protestantes (contre 10 sous contrat) [4]. Elles sont surtout très minoritaires par rapport aux établissements religieux sous contrat, qui scolarisent près de 17 % des effectifs.
3 On notera que, dans le cas des écoles musulmanes et protestantes, les établissements hors contrat sont plus nombreux que ceux qui sont sous contrat. Les écoles protestantes sous contrat dépendent pour la plupart des deux Églises « historiques » et sont situées dans leurs principales régions d’implantation : l’Alsace pour l’Église luthérienne et les Cévennes pour l’Église réformée. Les autres, dans leur grande majorité, sont liées aux mouvements évangéliques qui se développent actuellement en France, après l’Afrique et l’Amérique latine. Le caractère sectaire de certaines de ces Églises inquiète les pouvoirs publics. L’inquiétude est encore plus forte en ce qui concerne les écoles musulmanes hors contrat. La crainte d’une « radicalisation » de leurs élèves a entraîné quelques fermetures d’établissement en 2016 et en 2017, provoquant parfois un imbroglio juridique, comme dans le cas de l’école Al-Badr à Toulouse [5].
4 Pour éviter ce genre de problème, le Sénat a déposé une proposition de loi destinée à empêcher l’ouverture d’écoles qui ne respecteraient pas les valeurs républicaines. Elle a suscité de multiples réactions au-delà du cercle musulman : le secrétaire général de l’Enseignement catholique et la responsable de la Fondation pour l’école, mouvement réputé proche de La Manif pour tous, sont montés au créneau. Cette substitution de l’autorisation d’ouverture à sa simple déclaration leur paraissait porter atteinte à la liberté d’enseigner garantie par la Constitution. Malgré ces protestations, la loi dite Gatel a été votée, le 13 avril 2018. Les conditions requises pour fonder une école hors contrat ont été durcies, le délai d’opposition à l’ouverture, considérablement allongé (de huit jours à trois mois) et une inspection systématique est prévue lors de la première année de fonctionnement.
Que veulent les parents ?
5 Les parents qui font le choix d’une école confessionnelle hors contrat partagent un certain nombre de motivations avec ceux qui sont attirés par les pédagogies innovantes, même si celles que pratiquent la plupart des écoles religieuses sont très classiques, voire archaïques [6]. Pour commencer, ils portent un regard très critique sur l’école publique, à laquelle ils reprochent ses dysfonctionnements, ses insuffisances en matière de discipline – comme la majorité de ceux qui choisissent le privé sous contrat –, mais parfois aussi ses méthodes pédagogiques. Par ailleurs, ces parents, même s’ils ont un profil sociologique très varié – des cadres supérieurs aux milieux populaires modestes –, recherchent, consciemment ou non, un certain entre-soi garanti par l’affranchissement des injonctions de l’État en matière de programmes et de pédagogie. Ils veulent que l’école transmette à leurs enfants des valeurs et des normes comportementales correspondant à celles qui sont en vigueur dans leur milieu social et culturel très délimité.
6 Mais la comparaison avec les écoles alternatives innovantes s’arrête là ! Très conservateurs sur le plan familial, les parents qui choisissent l’enseignement confessionnel hors contrat veulent que leurs enfants soient élevés dans la foi et la morale dont ils sont eux-mêmes porteurs. Certains catholiques, par exemple, rejettent les écoles sous contrat, pourtant beaucoup plus nombreuses et moins chères, car ils se méfient des institutions, y compris de l’Église [7]. Les écoles hors contrat les plus anciennes ont été créées par des catholiques d’obédience traditionaliste, en désaccord avec l’évolution de l’Église depuis le concile de Vatican II, et pour la plupart liées à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X. Elles tiennent par exemple à la présence d’un aumônier pour assurer les offices en latin et à l’enseignement du latin et du grec. Les plus récentes sont apparues dans la foulée de La Manif pour tous, mouvement qui se dit aconfessionnel malgré la forte présence de catholiques parmi ses dirigeants. Ce mouvement, qui semble s’être implanté durablement dans la société française, au-delà de son opposition au mariage homosexuel, n’encourage pas directement la création d’écoles mais incite les parents à combattre la supposée diffusion de la « théorie du genre » dans les écoles. Au-delà des outrances verbales et de la stigmatisation de l’Éducation nationale, considérée comme une ennemie de la famille, il leur demande de redevenir les premiers éducateurs de leurs enfants [8]. Or, quoi de plus efficace pour y parvenir que de créer des écoles où les parents d’élèves exerceraient une vigilance de tous les instants sur le contenu de l’enseignement ? Il est trop tôt pour savoir ce qui se passe réellement dans ces établissements, mais il semble que les motivations des parents soient plus liées à la défense de la famille « classique » qu’à la transmission d’une identité catholique traditionaliste.
7 Les parents musulmans qui inscrivent leurs enfants dans des écoles confessionnelles hors contrat ont le même souci de préservation de la famille traditionnelle et le même attachement aux rites. La possibilité pour les filles d’y porter le voile islamique – interdit dans l’enseignement public et sous contrat – joue aussi un rôle dans leur choix, comme en témoignent les commentaires déposés sur certains sites [9]. Dans les quartiers populaires, marqués par des taux élevés d’échec scolaire et de délinquance juvénile, ces écoles répondent aussi à l’espoir d’une réussite éducative que les établissements publics ne parviennent plus à assurer. Et, au-delà, à celui d’une promotion sociale collective, comme le dit un commentateur sur un site musulman à propos des projets d’ouverture d’écoles musulmanes dans toute la France : « J’espère que cela nous aidera à avancer socialement, à ne plus être la minorité ostracisée et laissée pour compte [10]. » Jusque-là, beaucoup de parents musulmans envoyaient leurs enfants dans les écoles catholiques sous contrat, tenues d’accepter les élèves de toutes confessions et abordables financièrement. Si certains souhaitaient que leurs enfants « entendent parler de Dieu » et se voient enseigner des valeurs communes au christianisme et à l’islam, beaucoup y voyaient avant tout un moyen de fuir les « écoles ghettos ». Selon le secrétariat général à l’enseignement catholique, près de 30 % des élèves des écoles catholiques de Seine-Saint-Denis sont de famille musulmane. Dans les quartiers nord de Marseille, le collège catholique Saint-Joseph accueille même 98 % d’élèves musulmans [11] !
8 Malgré les difficultés rencontrées par leurs promoteurs, les écoles musulmanes hors contrat se développent dans les quartiers populaires. À la rentrée 2017, on en comptait 12 en Seine-Saint-Denis, 9 dans le Nord et 6 dans le Rhône [12]. Plusieurs proposent un enseignement bilingue arabe-français.
9 L’emergence d’un nouveau type d’ecole confessionnelle hors contrat temoigne d’une accentuation des fragmentations de la societe, du haut en bas de l’echelle sociale, et de la volonte de certaines familles d’inscrire leurs enfants dans un devenir communautaire, au detriment d’une participation a la citoyennete generale. Avec le risque de les enfermer tres tot dans des univers cloisonnes, peu propices a la rencontre d’autrui.
Notes
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[1]
Le contrat d’association concerne les établissements du premier et second degré et le contrat simple uniquement ceux du premier degré.
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[2]
Chiffres de la Fondation pour l’école, organisme reconnu d’utilité publique créé en 2008, dont les finalités sont d’apporter une aide juridique, pratique voire financière aux écoles indépendantes.
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[3]
« Repères et références statistiques » 2017, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, ministère de l’Éducation nationale.
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[4]
Anne-Bénédicte Hoffner, « Les écoles catholiques hors contrat en pleine croissance », La Croix du 06 août 2016.
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[5]
L’école Al-Badr, qui avait été fermée à la suite du jugement du tribunal correctionnel local, a bénéficié de la part du tribunal administratif d’un jugement permettant sa réouverture, ce qui lui a permis de fonctionner tout l’été 2017 avant d’être contrainte de fermer définitivement. 20 Minutes Toulouse du 31 août 2017.
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[6]
Certaines pratiquent néanmoins des pédagogies comme Montessori, Steiner ou Freinet, ou proposent un enseignement bilingue. Le lycée musulman Yunus-Emre, à Strasbourg, par exemple, s’affiche comme une école Montessori.
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[7]
Seule une vingtaine d’écoles catholiques hors contrat ont demandé à l’évêque de leur diocèse à recevoir le statut d’« école catholique ».
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[8]
Discours de clôture de l’université d’été de La manif pour tous, par Ludivine de La Rochère, présidente, 15 septembre 2014.
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[9]
medyaturk.info ou lallab.org
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[10]
« 100 écoles et projets d’écoles privées musulmanes en France », desdomesetdes minarets.fr, juin 2017.
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[11]
lefigaro.fr, 18 juin 2014.
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[12]
« 100 écoles et projets d’écoles privées musulmanes en France », op. cit.