CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Certaines familles recherchent un enseignement plus conforme à leur philosophie de vie ou plus respectueux de leur enfant… Cadre plus strict, pédagogie alternative ? Focus sur quelques écoles.

Réseau Espérance Banlieues. Un cadre exigeant

Un réseau qui cultive le sentiment d’appartenance des enfants à leur communauté éducative.

1 Comment réconcilier les élèves des quartiers sensibles avec l’école ? Les 16 écoles du réseau Espérance Banlieues*, fondé en 2012, répondent à cette question en créant chez les élèves un fort sentiment d’adhésion à la communauté éducative, pour que réussir en classe ne rime plus avec pactiser avec l’ennemi. Chaque école repose sur trois piliers. D’abord, l’excellence académique : « Nous sommes très exigeants sur le niveau scolaire, la qualité de l’écriture, le calcul mental, la dictée, les récitations. Cela fait penser à l’école à l’ancienne ? C’est exact… Les cahiers sont beaux et les classes bien tenues ! Mais pour atteindre cet objectif de qualité, les effectifs sont limités à 15 élèves par classe », détaille Niels Villemain, directeur du cours La Cordée, à Roubaix (59), au total 85 élèves, de la grande section de maternelle à la quatrième. Second pilier : la coéducation avec les parents, pour restaurer l’autorité parentale, souvent fragilisée. « Parents, professeurs, nous sommes tous des éducateurs. Nous ne nous contredisons jamais devant un enfant. En cas de manquement à la règle, c’est le parent, présent à nos côtés, qui pose la sanction. » Dernier point : l’amour de la France. Cela fait sourire (ou hurler) certains ? La réponse est toute prête : leur avenir, c’est ici que les enfants vont le bâtir. Ils doivent donc créer un lien avec le pays où ils habitent, au lieu de rêver de celui qui les unit à la terre d’origine de leurs parents. Pour cela, il y a le salut au drapeau. Quant à l’uniforme (polo blanc et sweat-shirt), il marque l’appartenance à notre communauté éducative. Enfin, chacun fait partie d’une petite équipe de six-huit enfants, « comme une fratrie », chargée de balayer la cantine, nettoyer la cour, etc. Un quotidien inspiré du scoutisme, pour apprendre à être acteur – donc responsable – de sa vie. L’absentéisme est très faible à La Cordée, et 9 parents sur 10 souhaitent réinscrire leur enfant l’année suivante.

2 * École privée hors contrat, à partir de 75 euros par mois.

3 esperancebanlieues.org

Quand l’enseignement équilibre ses dimensions intellectuelle, manuelle et artistique pour un développement harmonieux de l’enfant.

Écoles Steiner-Waldorf. L’enfant est un tout

4 L’école Les Tournesols*, à Toulouse, ressemble à une grande maison : cinq petits bâtiments, réunis par une cour pleine de recoins. Dehors, les enfants jouent par petites grappes tranquilles : 45 enfants dans l’école, c’est peu… et singulièrement silencieux ! À 14 heures, les cours reprennent. Les fenêtres des classes (qui accueillent 11 CP, une vingtaine de CE1-CE2 et autant de CM1-CM2) sont ouvertes mais, depuis la cour, on entend voler les mouches. Les élèves sont au travail, dans de jolies salles au mobilier en bois clair, entourés de beaux objets : des écheveaux de laine aux couleurs vives ; des plantes qui sèchent, des peintures d’enfants aux couleurs chaudes. Ici, l’apprentissage ne s’adresse pas qu’au cerveau. Selon la pédagogie développée par Rudolf Steiner en 1919, l’enfant est un tout : une tête, mais aussi un corps et un cœur. L’enseignement repose donc sur un équilibre entre les activités manuelles, artistiques, corporelles et intellectuelles. Yvette Nuez, enseignante de la première classe (le CP), explique : « Chaque matin, de 8 h 30 à 10 h 30, nous travaillons les enseignements de base. À cet âge, le français ou les maths. Plus tard, il y a davantage de matières : la construction, les sciences, l’histoire-géographie, etc. Les journées ne sont pas saucissonnées. En ce moment, on travaille les lettres et on y reste longtemps, pour bien ancrer les savoirs. La période des chiffres viendra plus tard. Après la récréation du matin sont prévus, selon les jours : travaux manuels, allemand, anglais, peinture, musique, jeux collectifs, jardinage, piscine, escalade, etc. » Et ce jusqu’à 16 heures. Autre particularité, l’enfant est sans cesse acteur : il met le couvert, jardine, rince la vaisselle, tricote et coud. Chaque temps scolaire est enfin marqué par des rituels. La journée des CP, par exemple, démarre avec une ronde qui associe comptine, musique et mouvements corporels. Enfin, l’année se structure autour de quatre fêtes cardinales (les solstices et les équinoxes). « Ici, on prend le temps. On ne cherche pas à bourrer l’enfant de savoirs. Pourquoi l’assommer de connaissances inutiles ? » résume Yvette Nuez. Comment ces élèves rejoignent-ils le circuit « classique » ensuite ? « Ils s’adaptent vite et bien. Comme on a développé chez eux la volonté et la confiance en soi, ils vont loin ! »

5 * École privée sous contrat pour la maternelle et hors contrat pour le primaire, de 260 à 400 euros par mois. steiner-waldorf.org

Une école ouverte à toutes les pédagogies, pour n’exclure aucun élève.

École du Colibri. Coopérer et être en paix

6 Parce qu’elle a plus de trente ans d’expérience, Isabelle Peloux [1] a fait un patchwork des pédagogies qui l’inspiraient – Freinet, gestion mentale [2], etc. – pour inventer le quotidien de son école*, fondée en 2006 dans la Drôme : « En tant qu’enseignant, il faut connaître beaucoup de pédagogies différentes ; ce sont des outils au service de notre travail. Si je n’en avais retenu qu’une, cela aurait été excluant pour certains enfants. Donc j’ai panaché… » Le résultat ? Ses 38 élèves de 6 à 11 ans apprennent la coopération plutôt que la compétition ; ils échangent entre eux à propos de la manière dont ils s’y sont pris pour faire tel exercice de maths ou de français. La coopération provoque des débats… mais c’est en expliquant leur démarche que les enfants ancrent en eux ce qu’ils apprennent ! La semaine est ponctuée par trois temps forts : l’atelier philo, pour apprendre la diversité des points de vue et l’écoute de l’autre ; le « temps de vivre ensemble », pour décider en commun d’une solution à un problème (la place des “grands” dans la cour de récréation, par exemple) ; enfin, une séance d’éducation à la paix. Car, pour coopérer, il faut être en paix avec soi-même (d’où le travail sur les émotions), avec les autres (les enfants réfléchissent par exemple aux « mots du conflit », pour faire la différence entre taquiner un copain « pour rire » et l’humilier) et avec la nature. Les élèves ont de la chance, leur école est en pleine nature ! Le jardin pédagogique leur montre combien elle est généreuse et belle… Agnès, dont la fille Léna, 13 ans, a passé cinq ans dans l’école, note : « Les élèves du Colibri sont autonomes, curieux et savent prendre leur place dans un groupe : ils osent dire quand quelque chose ne va pas. Et ils ont un rapport sain et respectueux à l’adulte. » Sa fille complète : « Je garde de cette école la capacité de parler de mes émotions, de respecter les autres – même si ce n’est pas toujours facile ! – et un souvenir ému de notre petit jardin ; mon petit frère va se régaler, là-bas ! » Enfin, l’école accueille 5 enfants en grande difficulté d’apprentissage. Au fil du temps, la pile des candidatures s’agrandit ; cette année, il y avait 80 demandes, pour 6-7 places libérées par les CM2. Il va falloir être patient…

7 * École privée laïque sous contrat, 116,50 euros par mois, cantine comprise. lesamanins.com/ecole

Une alternative à l’école ? L’instruction en famille


Pour Janelle et Lisa, les filles, non scolarisées, de Cécile, il n’y a pas de séparation entre les apprentissages et la vie quotidienne.
En France, ce n’est pas l’école qui est obligatoire, mais l’instruction. Libre à chaque parent d’apporter celle-ci comme il le désire. En 2014, 0,3 %1 des 6-16 ans étaient instruits en famille, soit 25 000 enfants (deux fois plus qu’en 2007). Dans le Doubs, Cécile Maître, 40 ans, conseillère en bilan de compétences actuellement à la recherche d’un emploi, a choisi d’instruire ses filles, lorsque son aînée, Janelle, 16 ans aujourd’hui, était en CE1. « Comme j’étais en congé parental pour Lisa, ma seconde fille, je me suis lancée. »
À quoi ressemble un jour de « non-école » ? « À une journée de grandes vacances ! s’amuse-t-elle. Je pars du principe qu’on ne peut pas ne pas apprendre ; il n’y a donc pas de séparation entre l’école et le reste. » L’heure du lever et le programme sont libres : les filles bricolent, dessinent, marchent dans la nature, font des jeux de société, regardent un documentaire sur leur passion (l’Égypte pour l’une, le design pour l’autre), vont à la bibliothèque, apprennent l’allemand (grâce à un logiciel). Tout est matière à apprendre. « Je reste à l’écoute de leurs envies. Elles avancent à leur rythme et apprennent ce qui leur est utile : quand Lisa écrit un mail à une amie, elle me questionne sur l’orthographe. » Le bilan ? « Porter la double casquette de mère et d’enseignante n’est pas toujours facile : l’enfant peut avoir peur de décevoir son parent ; mais c’est aussi le cas en classe, avec ses enseignants », note Cécile. Pour éviter l’isolement, ses filles sont inscrites à des clubs de danse et de théâtre, et voient d’autres enfants « non sco » (non scolarisés), avec qui elles font des sorties, musées, expositions.
Une fois par an, les inspecteurs de l’Éducation nationale viennent discuter avec Janelle et Lisa pour vérifier qu’elles progressent grâce à cet apprentissage informel et autogéré. D’autres familles, elles, préfèrent s’appuyer sur des manuels scolaire. À l’heure d’Internet, les parents d’enfants non sco échangent aussi beaucoup entre eux, sur les apprentissages et/ou sur les loisirs.
Cette année, Janelle a décidé de faire un CAP de vente en alternance. Elle s’y épanouit : « Je suis un peu à l’école, où j’ai mon groupe de copains, et beaucoup au travail : j’adore ! Mes copains ont vécu plus de choses entre eux que moi mais je me débrouille mieux qu’eux au quotidien. »
A.L.
1. Source : ministère de l’Éducation nationale.

École dynamique. 100 % de débats, 0 % de contrainte

8 Une maison dans une petite rue tranquille du 14e arrondissement de Paris. Créée en 2015, l’École dynamique* s’inspire du modèle de la Sudbury Valley School, fondée aux États-Unis dans les années 1970 : les enfants font ce qui leur plaît et ont les mêmes droits que les adultes pour toute décision concernant l’école. D’école ce lieu n’a que le nom, puisque ici il n’y a ni programme ni cartable ! La salle commune comporte un coin cuisine, où des fillettes préparent un gâteau qu’elles vendront à leurs copains, un coin canapé, où trois préados, ordinateur sur les genoux, ont l’air absorbé, et un coin avec tables et chaises. À côté, une pièce calme (livres, écrans). À l’étage inférieur, quatre pièces : les deux premières, consacrées à la gym et aux arts, sont désertes ; les deux autres, destinées aux jeux vidéo et au cinéma, plus fréquentées. Ici, les enfants de 5 à 18 ans s’engagent à poursuivre deux objectifs de base : s’exprimer à l’oral – c’est important pour le conseil d’école et la CEA [3] – et être responsable de leurs actes. « Cette responsabilité marche avec la liberté ; ce sont les deux faces d’une même médaille ! » précise Marjorie Bautista, l’une des cofondatrices. Que fait cette grande tribu d’une vingtaine d’enfants – une majorité de 13-18 ans – toute la journée ? Ils jouent, lisent, se baladent sur Internet ou dehors, discutent. Ramïn Farhangi, cofondateur [4], explique : « Nous n’avons aucune attente ni intentions concernant les enfants. Nous avons confiance en leur capacité à s’initier à quelque chose qui les intéresse. » Les adultes présents – dont, ce jour-là, deux ex-professeurs des écoles – mènent leur vie (administration, intendance, etc.) aux côtés des jeunes avec lesquels ils échangent. Et si un élève a, malgré tout, envie de faire des maths ? « C’est arrivé une fois, sous la pression de la famille. La fillette s’y est mise cinq minutes, puis est retournée jouer… Ici, il n’y a jamais eu de cours au sens traditionnel du terme ; chaque CEA, chaque conversation, chaque jeu est un “cours” et revêt un intérêt éducatif bien supérieur aux cours classiques. »

Un établissement qui fonctionne selon le principe des écoles démocratiques : laisser les enfants à l’initiative de leurs apprentissages.

9 Pourquoi venir ici ? Pour les plus jeunes, le choix est « suggéré » par les parents. Maé, 9 ans : « Avant, j’avais tellement de devoirs que je n’avais pas le temps de faire du trampoline ou du dessin ! Ici, je suis libre. » Les plus grands, souvent, ont eu des problèmes. Vivien, 18 ans, a été harcelé au collège puis, diagnostiqué précoce, a décroché. Il fait ici sa seconde rentrée : « J’ai traversé une grosse période d’ennui l’an dernier. J’en avais besoin pour me trouver. » Auguste, 15 ans, précoce et décrocheur lui aussi : « Ici, j’ai repris confiance en moi. L’ambiance, super, m’a aidé à trouver qui je suis et ce que je veux faire : programmateur de jeux vidéo. » Je m’étonne de la place prise par les écrans (les trois préados n’ont pas levé le nez de leur ordinateur depuis deux heures). « Mais on vit dans un monde numérique ! On est forcément influencé par notre environnement », commente Ramïn Farhangi. Chaque année, 20 élèves (sur 40) quittent l’école. « Pas facile, d’être pionnier... Mais au moins, quand ils retournent dans le système classique, ils ne s’y sentent plus victimes. » Il est 13 h 40. Les enfants déjeunent. Du moins, ceux qui le veulent, puisque rien n’est imposé. Je m’en vais... perplexe après cette tranche de « vacances » – vacance ? – au sein de cette petite tribu. Un tel lieu « répare » peut-être ceux qui ont été abîmés par le système classique. Mais cette quête d’absolue liberté pose question : de quoi cette liberté est-elle faite ? Qu’en est-il du sens de l’effort ? Et qu’en est-il du désir d’apprendre ? Est-il forcément inné ? Est-il nourri par cette liberté ?

10 * École privée laïque hors contrat du réseau Eudec des écoles démocratiques, 5 100 euros par an, repas non fournis.

Notes

  • [1]
    Auteure, avec Anne Lamy, de L’École du Colibri (Actes Sud, 2014).
  • [2]
    Élaborée à partir des travaux d’Antoine de la Garanderie (1920-2010), la gestion mentale décrit et enseigne les divers mécanismes mentaux qui entrent en jeu dans tout apprentissage.
  • [3]
    Commission d’enquête et d’arbitrage. Elle décide des sanctions en cas de manquement au règlement intérieur (insulte, pièce laissée en désordre, mauvaise utilisation du matériel, etc.). Elle peut se tenir chaque jour, et se compose de 4-5 membres, enfants et parfois adultes.
  • [4]
    Ex-consultant, il a écrit Pourquoi j’ai créé une école où les enfants font ce qu’ils veulent, (Actes Sud, 2018).
Anne Lamy
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 06/12/2018
https://doi.org/10.3917/epar.629.0044
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