CAIRN.INFO : Matières à réflexion

La loi rend les parents garants de la santé de leur enfant et les laisse très seuls dans cette mission. Certes, ils peuvent trouver certaines informations sur Internet ou auprès de leur médecin. Mais ne devraient-ils pas aussi pouvoir s’appuyer plus concrètement sur les pouvoirs publics ?

1 En juin dernier, des parents résidant dans la Drôme ont été placés sous contrôle judiciaire après le décès de leur fillette de 16 mois, exclusivement nourrie au lait de châtaigne et gravement dénutrie. L’autorité judiciaire a estimé que leurs croyances – ils étaient convaincus que le lait animal était dangereux pour un bébé – avaient coûté la vie à leur petite fille. La loi stipule en effet que les parents sont garants de la santé de leurs enfants et peuvent avoir à en répondre devant la justice. L’article 371-1 du Code civil [1] le précise : « L’autorité parentale […] appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. »

2 De tels faits divers sont heureusement rares. Dans leur immense majorité, les parents s’occupent bien de la santé de leurs enfants, les emmènent régulièrement chez le médecin et, si besoin, aux urgences. Cela dit, leur mission s’avère souvent complexe et ils n’en mesurent pas toujours bien les contours. « Ils sont encore nombreux à penser que la bonne santé se définit de manière très restrictive comme l’absence de maladie. À leur décharge, cette conception a longtemps prévalu dans notre pays. Et continue de prévaloir chez certains professionnels de santé, qui privilégient le soin au détriment de la prévention, de l’éducation et de la promotion de la santé », souligne Béatrice Lamboy, fondatrice et présidente de l’Association francophone d’éducation et de promotion de la santé (Afeps [2]) et chercheure en psychologie de la prévention au laboratoire interuniversitaire de psychologie de Chambéry-Grenoble.

3 Or, être en bonne santé signifie bien plus que ne pas être malade. Comme le précise l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social ». « Voilà bien le paradoxe ! Les parents sont les garants légaux de la santé de leur enfant alors même qu’ils ignorent fréquemment la définition pleine et entière de ce concept », insiste cette spécialiste. C’est parfois lié au milieu social, mais pas uniquement.

Des pouvoirs publics à la peine

4 Pourquoi les parents ne sont-ils pas mieux informés du contenu précis de cette mission ? Pourquoi ne sont-ils pas davantage accompagnés ? « En France, nous souffrons d’un déficit d’expertise en matière d’éducation à la santé des parents : nous ne savons pas nous y prendre ! Les pouvoirs publics et les professionnels de santé oscillent entre des comportements contradictoires. Soit le “laisser faire”, directement inspiré de la psychanalyse : surtout pas d’intrusion dans la parentalité, il appartient aux parents d’élaborer eux-mêmes leurs solutions et de faire émerger leurs compétences. Soit le modèle rationnel, avec l’idée que transmettre des savoirs suffira à leur faire adopter des comportements vertueux. Ce n’est hélas pas si automatique », remarque Béatrice Lamboy.

5 Les médecins de terrain constatent d’ailleurs au quotidien que cette stratégie quelque peu simpliste, le plus souvent fondée sur des injonctions et des interdits – il faut faire manger cinq fruits et légumes par jour à son enfant ; il ne faut pas coucher un bébé sur le ventre ; il ne faut pas fumer devant son enfant si on ne veut pas qu’il devienne plus tard lui aussi fumeur, etc. –, fonctionne mal. « La plupart des parents connaissent parfaitement ces messages, mais ils les adoptent rarement, loin de là. Pas parce qu’ils veulent nuire à leur enfant, évidemment, mais plutôt parce qu’ils ont une perception très diffuse du risque et pensent que les médecins le surestiment. Aussi, osons le dire, parce que dans notre société où la recherche du plaisir immédiat prime fréquemment sur l’effort, certains parents n’ont pas envie de subir trop de contraintes, même dans l’intérêt de leur enfant », observe Jean-François Pujol, pédiatre hospitalier et libéral en Gironde, secrétaire général adjoint du SNPF (Syndicat national des pédiatres français).

6 Maladroits dans les messages qu’ils envoient aux parents, les pouvoirs publics manquent aussi parfois de détermination pour les soutenir, notamment contre la puissance de feu de certains lobbies. « Lors du vote de la loi Alimentation en mai dernier, les députés ont rejeté l’interdiction de la publicité pour les produits gras et sucrés dans les programmes télévisés à destination des enfants. Ils ont ainsi clairement choisi de laisser les parents seuls face aux rouleaux compresseurs de l’agro-alimentaire, et de les renvoyer à leur responsabilité individuelle », avance Christine Ferron, déléguée générale de la Fédération nationale d’éducation et de promotion de la santé (Fneps [3]).

Le recours à Internet

7 Finalement assez démunis et isolés dans la prise en charge de la santé de leurs enfants, certains parents peuvent avoir tendance à se tourner vers Internet. « Ils fréquentent particulièrement les forums des sites de santé pour bénéficier de partages d’expériences avec d’autres parents. Là, ils peuvent poser toutes les questions qu’ils n’osent pas poser à leur médecin, craignant de passer pour trop naïfs et inexpérimentés. Ils apprécient cette réassurance entre pairs », décrit Joëlle Kivits, maître de conférences en sociologie de la santé à l’École de santé publique-Université de Lorraine [4]. « Les jeunes parents sont souvent éloignés géographiquement de leur famille. Ils n’ont pas bénéficié de la précieuse transmission des générations précédentes autour des questions de santé, qui leur aurait permis de se construire un sentiment de compétence. Beaucoup manquent énormément de confiance en eux », confirme Jean-François Pujol.

8 La Toile constitue aussi pour eux un lieu privilégié pour se renseigner sur les maladies, les médicaments, les vaccins, etc. Et, en matière de santé comme sur tous les autres sujets, l’information rigoureuse y côtoie le pire des fake news ! « Adoptant un réflexe fréquent chez les internautes, les parents cliquent systématiquement sur les premiers liens apparaissant dans la liste proposée par le moteur de recherche. Si l’on prend l’exemple des vaccins, les premiers liens à sortir sont ceux des mouvements anti-vaccins, car ils sont très bien organisés, changent souvent de nom, connaissent les astuces pour être très visibles. Les liens des sites officiels, eux, n’apparaissent que beaucoup plus loin », explique Joëlle Kivits. De toute façon, les parents fréquentent peu ces sites officiels. « Dans le climat de grande méfiance envers les autorités publiques qui règne actuellement, tout message de santé en provenance d’un ministère ou d’une agence sanitaire est considéré comme suspect. Volonté de manipulation, collusion avec les laboratoires pharmaceutiques : toutes les accusations y passent, rendant le message de prévention totalement inaudible », poursuit la sociologue.

Le médecin de proximité, un allié

9 Gardons-nous cependant des conclusions hâtives : tous les parents consommateurs d’Internet-santé n’adoptent pas les yeux fermés des théories fantaisistes susceptibles de mettre leur enfant en danger. « Ce qu’ils lisent sur la Toile peut susciter en eux des questionnements, des doutes. Et c’est souvent auprès de leur médecin de proximité qu’ils les porteront. Car, avec lui, le lien de confiance n’est pas rompu », rassure Joëlle Kivits. « Même si parfois les parents arrivent dans nos cabinets avec des informations surprenantes trouvées sur le Net, ils ne remettent pas fondamentalement en cause nos compétences mais veulent des explications. Alors nous prenons le temps d’expliquer pourquoi nous vaccinons leur enfant, pourquoi nous lui prescrivons (ou pas) des antibiotiques, etc. », poursuit Jean-François Pujol.

10 L’essentiel de l’impact du recours à Internet réside dans cette transformation des relations entre le médecin et les parents. « Ces derniers sont devenus non pas plus exigeants mais plus questionneurs : ils ne veulent plus subir d’attitudes paternalistes de la part des médecins. Ils souhaitent qu’on les éclaire afin de pouvoir faire des choix appropriés. Cela oblige évidemment les professionnels de santé à ajuster leur comportement, à trouver un nouvel équilibre. Au départ, ils ont été déstabilisés, car surpris. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus nombreux à s’y retrouver, à prendre du plaisir à côtoyer des parents impliqués et demandeurs d’échanges », affirme Joëlle Kivits.

Les villes, des alliées précieuses

Les familles ne le savent pas toujours, mais elles peuvent souvent compter sur les villes où elles résident ! Ces dernières sont en effet nombreuses à prendre des initiatives destinées à favoriser la santé de leurs administrés, adultes et enfants : aménagements de pistes cyclables et d’espaces verts pour inciter à l’activité physique ; programmes d’équilibre nutritionnel dans les crèches et cantines scolaires ; mise à disposition de jardins partagés à cultiver ; programmes de prévention en santé buccodentaire ; activités sportives gratuites ; lutte contre l’habitat indigne…Certaines d’entre elles, quatre-vingt-onze exactement, appartiennent au Réseau français des Villes-Santé de l’OMS (villes-sante.com). D’autres ont signé un contrat local de santé avec leur Agence régionale de santé pour mettre en œuvre des actions au plus près des besoins des populations. Quel que soit le mode d’action choisi, l’objectif est le même : réduire les inégalités régionales et sociales de santé.
I.G.

La santé psychique négligée ?

11 Il est un domaine dans lequel la confiance des parents dans leur médecin de proximité touche ses limites. « S’ils sont de plus en plus nombreux à avoir intégré la dimension psychique de la santé de leur enfant, certains continuent de ruer dans les brancards dès que j’évoque cette question ! Leur réaction est toujours la même, fondée sur des a priori ayant décidément la vie très dure : pourquoi est-ce que je l’emmènerais chez un psy ? Il n’est pas fou ! » témoigne le pédiatre. « Beaucoup vivent l’évocation d’éventuels problèmes psychologiques chez leur enfant comme une accusation dirigée contre eux : ils pensent que nous leur reprochons d’être de mauvais parents, que nous voulons les culpabiliser. Dès lors, ils préfèrent se réfugier dans le refus et le déni », constate Nicole Catheline, pédopsychiatre au Centre référent des troubles du langage et des apprentissages, à Poitiers. « Avec un adolescent, ils hésitent nettement moins à consulter un spécialiste car ils se sentent dédouanés : ils n’y sont pour rien dans le mal-être de leur jeune, la grande coupable est la crise d’adolescence, concept socialement reconnu ! » poursuit-elle.

12 D’un point de vue pratique, l’accès aux soins est sans doute aussi plus facile pour les adolescents grâce au réseau des Maisons des adolescents [5]. « Pour les enfants plus jeunes, nous ne savons souvent pas à qui les adresser. Les pédopsychiatres sont très peu nombreux, les CMPP (Centres médico-psycho-pédagogiques) et les CMP (Centres médico-psychologiques) ont des listes d’attente de plusieurs mois, les psychologues libéraux sont peu habitués à travailler en réseau avec les médecins généralistes et les pédiatres », constate Jean-François Pujol [6]. « Il serait judicieux de créer des Maisons de la petite enfance sur le modèle des Maisons des adolescents », propose Nicole Catheline. « Elles pourraient remplir le rôle qui, originellement, était dévolu aux CMPP et aux CMP mais qu’ils ne peuvent plus assurer, étant sous-dimensionnés par rapport à l’afflux des demandes : être des lieux d’accueil, d’information et de consultation pour des soucis psychologiques courants. Ces Maisons de la petite enfance pourraient être animées par des équipes pluridisciplinaires (pédopsychiatres, psychologues, éducateurs de jeunes enfants, puériculteurs, etc.). Une fois passé par ce “guichet d’entrée”, et en cas de besoin seulement, l’enfant pourrait être orienté vers les structures de soin que sont les CMP et les CMPP », suggère-t-elle.

Des pistes à creuser

13 D’autres initiatives permettraient, elles aussi, de mieux soutenir les parents. Il serait par exemple intéressant de revoir le contenu des campagnes de prévention santé et de leur adjoindre des dispositifs concrets permettant aux parents de passer à l’action. « Grâce à des recherches, nous savons que les messages centrés uniquement sur le risque (le coucher sur le dos, le tabac) sont perçus comme trop normatifs et contraignants, donc peu suivis. En revanche, nous savons que les campagnes positives, insistant sur les compétences parentales, se révèlent beaucoup plus efficaces (apprendre à son enfant à gérer son sommeil, par exemple). Les autorités sanitaires devraient opérer un changement radical de stratégie et opter pour une approche psychoéducative et non plus injonctive, y compris pour leurs dispositifs de terrain », avance Béatrice Lamboy. Par exemple en proposant aux parents des ateliers faciles d’accès (nombreux sur le territoire et peu coûteux) où ils pourraient acquérir de nouvelles compétences. « S’approprier notamment des techniques pour aider leur enfant à canaliser son stress – dont on connaît les effets physiques et psychiques très négatifs – permettrait aux parents de jouer un rôle réellement protecteur sur sa santé », explique-t-elle.

14 Autre piste à creuser : le renforcement des moyens des Ireps, sur tout le territoire. « Il faudrait sécuriser leur financement, qui dépend du bon vouloir des Agences régionales de santé (ARS) et peut se révéler fluctuant. Mais aussi davantage professionnaliser le champ de la prévention et créer un véritable métier de préventologue qui, pour l’instant, n’existe pas », suggère Béatrice Lamboy. Un tel réseau consacré à l’éducation à la santé pourrait constituer un formidable outil et mériterait d’être pleinement exploité. « Même si nous ne sommes pas directement en lien avec les parents, nous les touchons par l’intermédiaire des nombreux professionnels de santé que nous formons. Infirmières et médecins scolaires, sages-femmes, éducateurs de jeunes enfants : autant d’acteurs que nous pouvons sensibiliser davantage à l’importance d’accompagner les parents dans la prise en charge de la santé de leur enfant », avance Christine Ferron, déléguée générale de la Fneps.

15 La formation initiale des professionnels de santé gagnerait aussi à évoluer. « On ne parle jamais de santé dans le cursus des futurs médecins, seulement de maladies ! » constate Béatrice Lamboy. Une lacune qui sera peut-être en partie comblée grâce à la mise en place en septembre 2018, par le ministère des Solidarités et de la Santé, d’un service sanitaire pour tous les étudiants dans le domaine de la santé. Ces derniers devront mener à bien des actions de prévention sur le terrain, par exemple en se rendant dans les établissements scolaires pour informer les élèves – pourquoi pas en y associant les parents d’élèves ? – sur des thèmes en lien avec l’alimentation, l’activité physique, les addictions et la sexualité. Seule une volonté politique affirmée pourra actionner ces différents leviers d’amélioration.

À lire :

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L’Éducation pour la santé. Théories, pratiques et méthodes d’évaluation, de Marie-Christine Piperini (De Boeck, 2016).

Notes

  • [1]
    Lire aussi notre article p. 58.
  • [2]
    Le site de l’Afeps propose (en accès libre) aux parents des outils pour renforcer leurs compétences parentales. afeps.org/outils-cps-mindful-developper-les-competences-psychosociales-de-l-enfant/
  • [3]
    La Fneps fédère les Ireps (Instances régionales d’éducation et de promotion de la santé).
  • [4]
    Auteure de « Les usages de l’Internet santé : vers une parentalité connectée ? », La prévention toujours en re-création, sous la direction de Pierre Suesser, Marie-Christine Colombo et Colette Bauby (érès, 2016).
  • [5]
    Il en existe partout en France (adresses sur le site de l’Association nationale des Maisons des adolescents, anmda.fr). Lire, à ce sujet, notre article p. 56.
  • [6]
    Les CMP dépendent des services de psychiatrie des hôpitaux publics. Les CMPP sont des centres privés, généralement portés par des structures associatives et conventionnés par la Sécurité sociale.
Isabelle Gravillon
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/07/2018
https://doi.org/10.3917/epar.628.0034
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