Pour s’informer sur la sexualité, tous les jeunes se servent d’Internet – où ils trouvent souvent des images pornographiques. Comment les acteurs de l’éducation prennent-ils en compte ce nouveau média ?
1 Depuis 2001, des cours d’éducation à la vie affective et sexuelle sont en théorie dispensés à l’école, au collège et au lycée à raison d’au moins trois séances par an. Dans les faits, 25 % des établissements primaires n’en font pas et, plus tard, ce sont surtout les quatrième, troisième et seconde qui en bénéficient [129]. Ces cours sont assurés par les infirmières scolaires, les enseignants et divers intervenants extérieurs (Planning familial, associations, etc.). Or, depuis quelques années, ces professionnels voient émerger un sérieux « concurrent » en matière d’éducation sexuelle : Internet.
Toujours le même saut dans l’inconnu…
2 Le « savoir sexuel » des jeunes a-t-il pour autant évolué ? Ce n’est pas la révolution culturelle redoutée par certains ! Pour Bertrand Pataud, éducateur spécialisé, ex-intervenant en classe et porteur d’un projet d’EPE en Haute-Vienne, « l’immense majorité se pose les mêmes questions que ses parents : comment ça marche ? Comment savoir, la première fois, si c’est le “bon” moment ? Est-on obligé d’être amoureux ? Mon sexe a-t-il la bonne taille ? Est-ce que ça fait mal ? ». La découverte du sentiment amoureux, de son corps et de celui de l’autre, reste un saut dans l’inconnu auquel rien (même les images les plus explicites) ne prépare. Par ailleurs, malgré toutes les infos glanées sur le Web, les connaissances des jeunes restent très lacunaires. Caroline Rebhi, coprésidente du Planning familial, note : « On entend encore souvent que la masturbation, c’est pour les garçons ; et les filles connaissent toujours aussi mal leur anatomie ! » À 13 ans, 84 % d’entre elles ne savent pas représenter leur sexe ; et une fille de 15 ans sur quatre ne sait pas qu’elle a un clitoris [230].
… mais des interrogations nouvelles
3 Pour Philippe Rougier, président de l’association Sésame3, qui intervient dans 150 établissements scolaires, « de nouvelles questions sont apparues récemment : sur la fellation, le cunnilingus, la sodomie. Des filles demandent : “Suis-je obligée de faire ci ou ça ?”, disent : “Je ne pourrai pas faire l’amour si je n’ai pas le sexe épilé, c’est dégoûtant.” Comme si le porno et les images diffusées par les médias étaient devenus la norme ». « Une pression de plus sur le corps des femmes », note Caroline Besse, gynécologue du Centre de planification de Limoges, intervenante en classe depuis vingt-cinq ans. Caroline Rebhi voit aussi émerger une angoisse de la performance chez les garçons, complexés face aux « athlètes » du porno : ils voient des choses qu’ils ne font pas, des sexes énormes et se jugent incompétents. Pour Joëlle Guandalino, infirmière scolaire à Toulouse, « difficile de savoir ce que les jeunes ont en tête si on n’a jamais vu de porno. J’ai regardé… C’est du lourd ! » Autre grande question, poursuit-elle, « celle de l’intime : que dit-on de soi sur les réseaux sociaux, jusqu’où se montrer ? » Elle est couplée à celle du consentement, au cœur des interrogations : certain(e)s se demandent ce qu’ils/elles « doivent » faire. Comme Elsa, 17 ans : « Pour ne pas passer pour une fille prude, j’ai accepté de faire des choses qui m’ont gênée. Pas facile de dire non quand on débute ! » Pour Sylvine Suman, psychologue, animatrice de prévention au sein du réseau VIH du Cher et présidente de l’EPE du Cher, « certains comprennent que le porno, c’est de la fiction, d’autres non. Cette sexualité adulte, qui fait effraction dans leur sexualité naissante, questionne : un adolescent, spontanément, n’a pas envie de débuter sa vie sexuelle par une sodomie ! »
Déconstruire les stéréotypes sexués en classe
4 Attention cependant : ce n’est pas parce que deux jeunes garçons parlent de cunnilingus ou qu’un autre fanfaronne qu’il faut en tirer des conclusions sur la sexualité des collégiens… Pour Bertrand Pataud, « ceux qui tiennent les propos les plus crus et stéréotypés sont les cinquième, qui ne sont pas encore passés à l’acte. La sexualité les inquiète, les excite. Lorsqu’elle se concrétise, ou que l’on affine le discours avec eux, ils changent de registre ». Et puis les adolescents aiment provoquer les adultes, ne confondons pas ce qu’ils disent avec ce qu’ils font… d’autant que ce qui est dit en classe est biaisé : « Qui entend-on ? Les leaders, qui veulent faire rire, agiter, ou diminuer leur propre angoisse. »
5 Comment réagir face à ces comportements ? Pour commencer, en déconstruisant les stéréotypes. Car, si le numérique et le porno sont normatifs, ils ne sont que l’écho d’une société pénétrée de stéréotypes sexués ! Lucile Bluzat, chargée du marketing social du programme Santé sexuelle [331], note : « Le corps glabre des femmes et la force virile s’expriment aussi dans la publicité, le cinéma, etc. Dans certaines émissions de téléréalité, la violence dans les rapports hommes-femmes et la domination masculine sont aussi inquiétantes. » En classe, les éducateurs à la vie affective et sexuelle doivent donc combattre les idées fausses, mais aussi homophobes ou sexistes. Bertrand Pataud rappelle aux élèves qu’on ne devient pas champion de patin à glace en regardant les JO et qu’il faut accepter d’être débutant. Il leur explique aussi que les gros plans du porno sont tournés avec des sexes en silicone. « Cela “refroidit” les garçons, quand ils comprennent qu’ils s’excitent devant un bout de plastique ! » Jean-Michel Taliercio, de l’association Dans le genre égales [432], propose aux élèves de débattre sur des affirmations telles que : « C’est en regardant du porno qu’on apprend à faire l’amour », « Mon copain/ma copine a le droit de mettre des photos intimes de moi sur les réseaux sociaux ».
Apprendre à dire non
6 L’éducation au consentement est centrale dans les interventions. La difficulté, c’est que cette capacité à prendre de la distance par rapport au désir de l’autre ne s’acquiert pas en deux heures et en groupe ! Pour Jean-Michel Taliercio, « cette notion doit rythmer toute leur vie, même si elle est allée chez lui, même s’ils sont nus au lit et, plus tard, même si elle est mariée » ! Le centre Hubertine-Auclert [533] a lancé une campagne sur ce thème en novembre 2017 : Tu m’aimes, tu me respectes. Il importe, aussi, de rappeler la loi. Forcer quelqu’un, c’est un viol ; l’obliger à voir du porno, c’est une agression sexuelle.

Informer grâce au numérique
7 Les professionnels doivent aussi valoriser le numérique comme outil d’information, puisque c’est la pratique culturelle numéro un des jeunes. Pour Lucile Bluzat, « il permet de délivrer d’autres messages, avec des paroles d’experts, des approches ludiques [634]. Sur les forums et les réseaux sociaux, les jeunes peuvent aussi discuter entre pairs de sujets pratiques (la capote, la pilule) ou émotionnels ». Caroline Rebhi ajoute : « Quand on est amoureux, on ne peut pas attendre le cours d’éducation à la sexualité ! D’où la nécessité de les orienter vers des sites avec de l’information fiable » (lire ci-contre). Louison, 17 ans, confirme : « J’ai eu un accident de capote avec mon copain. J’ai cherché sur Internet comment réagir. » Pour leur apprendre à repérer les sites fiables, Sylvine Suman demande à ses élèves des recherches ciblées, sur le dépistage, la contraception, etc. « Et je leur présente aussi des applications comme TUP (Trouver un préservatif) ou celles qui aident à gérer la prise de pilule ! » Faire entrer autant de notions en deux petites heures annuelles, c’est mission impossible ! Mais ces intervenants auront, sans doute, créé une étincelle chez les élèves. Qui, ensuite, pourront contacter l’infirmière (ou l’adulte référent de leur établissement) pour approfondir l’échange…
A. L.
1. Sur le site Madmoizelle : youtube.com/watch?v=-b8asq5XSN4
2. youtube.com/watch?v=kLdiiCAZG5E&list=PLzxdnCYQY4V1H9QUoWtAPDmlaSYvIlqZJ&index=4
Notes
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[1]
Rapport relatif à l’éducation à la sexualité, Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 2016.
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[2]
« État des lieux des connaissances, représentations et pratiques sexuelles des jeunes adolescents. Enquête auprès des élèves de quatrième et troisième d’un collège du nord de Montpellier », d’Annie Sauvet, mémoire de DU de sexologie, faculté de médecine Montpellier-Nîmes, 2009.
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[3]
sesame-educ.org. Direction de la prévention et de la promotion de la santé, Santé publique France.
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[4]
Anciennement Pour qu’Elle revienne, danslegenreegales.fr
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[5]
Centre francilien pour l’égalité femmes-hommes. centre-hubertineauclert.fr
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[6]
Voir les vidéos du site onsexprime, de Santé publique France : Les 12 pires excuses pour ne pas mettre de capote ; C’est quoi une éjaculation précoce ?/ la masturbation ?/ le cunnilingus ? ; Les Puceaux, etc.