CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Ma puce, mon chaton, mon lapinou, ma biche, ma poulette, mon agneau, ma belette, mon raton, mon p’tit loup… En matière de surnom, l’animal a la cote chez les parents. « Comme tout surnom, il permet de créer une complicité et une intimité avec l’enfant, à la différence du prénom qui s’inscrit dans le registre de la sphère publique », note Nicole Prieur, philosophe et thérapeute familiale [1]. Très fréquemment, il est précédé de l’adjectif possessif « ma » ou « mon ». « Je ne l’interprète pas comme un désir de possession, au sens d’emprise ou de fusion, plutôt comme celui d’insister sur la filiation. Et, surtout, de dire sa tendresse et son amour avec une grande pudeur, en ayant recours à un vocabulaire non amoureux, mais particulièrement évocateur », explique-t-elle. Dans l’inconscient collectif, le bébé animal suscite en effet toute une cohorte de sentiments tendres et doux, en lien avec l’amour maternel ou paternel, tels que le désir de protéger, de caresser, de câliner, de prendre soin. Le succès remporté par les vidéos de chatons ou de chiots sur les réseaux sociaux en est la preuve.

Des choix culturels…

2 Le choix de certains animaux n’est jamais anodin. Même si tout est possible dans ce domaine, il est rare qu’un parent appelle son bébé « mon p’tit serpent », « ma p’tite blatte » ou « mon araignée chérie » ! « En général, le père ou la mère choisit plutôt un animal aux formes rondes et attendrissantes, qui jouit d’une bonne cote de popularité ou qui est porteur de qualités admirables, comme la beauté, l’agilité, la vivacité d’esprit, la joie, la force », décrit Nicole Prieur. Il arrive ainsi de croiser des oiseaux des îles, des ouistitis, des lionceaux…

3 Gardons-nous cependant de tout ethnocentrisme ! Si cette habitude parentale existe dans de nombreuses cultures, elle prend différentes formes selon les latitudes. « Le choix d’un surnom animalier dépend du contexte, des animaux que le parent observe dans son environnement et de la valeur symbolique qui leur est attribuée dans sa culture », explique Marie Rose Moro, psychiatre pour enfants et adolescents, spécialiste de psychiatrie transculturelle [2]. « En Afrique, j’ai rencontré des mamans qui appelaient leur enfant “mon gecko”, du nom d’un petit lézard. Un surnom très pertinent pour décrire leur bébé s’agrippant solidement à leur dos ! » Sur ce continent, il serait impensable qu’un parent appelle son tout-petit « mon chaton ». « En Afrique, le chien et le chat ne sont pas valorisés et ne vivent pas dans une grande proximité avec l’homme. Les parents n’ont donc pas l’idée de les associer à un surnom gratifiant et affectueux », souligne-t-elle.

… ou inconscients

4 Les parents adeptes des surnoms animaliers sont également la cible de certains processus inconscients. « Quand un adulte devient parent, il redevient l’enfant qu’il a été et opère une régression infantile, se rapprochant ainsi au plus près, inconsciemment, des besoins de son bébé. Or, comme tous les enfants, il se sentait très proche des animaux : il ne dressait aucune frontière entre le monde des humains et celui des bêtes, avait le sentiment de les comprendre et qu’elles le comprenaient, parfois mieux que les adultes. Attribuer à son tout-petit un nom d’animal permet de renouer avec cet esprit d’enfance et de revivre ces amours enfantines très fortes », analyse Nicole Prieur.

5 Cette habitude revient aussi à adopter une vision très rousseauiste de l’éducation, le philosophe notant une « perpétuelle ressemblance » entre les humains et les animaux ; ou encore une optique darwiniste, le scientifique affirmant qu’il n’existe aucune « différence de nature, mais simplement de degré entre l’homme et l’animal ». « Le parent qui donne ce type de surnom reconnaît et accepte implicitement l’animalité présente chez son enfant. Pour lui, l’instinct ne se limite pas à des pulsions irrépressibles, sur lesquelles la raison n’a aucune prise. Il possède aussi un côté extrêmement noble, recèle une intelligence du corps, des capacités à s’adapter à l’environnement, à organiser sa survie. Le parent se réjouit que son enfant puisse être doté de ces qualités et souhaite les encourager », décrypte la psychologue.

6 D’ailleurs, certains parents se reconnaissent peut-être eux-mêmes dans ces animaux ou, au moins, aimeraient leur ressembler. « Quelle mère n’a pas rêvé d’être une lionne ou une louve léchant ses petits, sortant les crocs pour les protéger, partant à la chasse pour les nourrir ? Ces mères animales semblent pourvues d’une force, d’un savoir-faire et d’un amour illimités, qui peuvent rendre les mères humaines envieuses », sourit Nicole Prieur. Qualifier son bébé de « p’tit lion » ou de « p’tit loup » permet de s’approprier, un peu, de cette puissance maternelle.

Et l’enfant dans tout ça ?

7 Pour un enfant, le surnom animal n’est ni dépréciatif ni ridicule. Lui qui aime tant les bêtes le ressent même comme un compliment. « Il se love avec délectation dans cette dénomination pleine de tendresse et de promesses. Si son surnom a été choisi en référence à un personnage de dessin animé ou de la littérature jeunesse, son plaisir n’en est que plus vif et son désir d’identification plus fort », note la psychologue. Ainsi, ce jeune adulte raconte avec émotion que sa mère l’a longtemps appelé « ma p’tite loutre », en clin d’œil aux heures qu’il passait à lire la saga des Rougemuraille[3], une série romanesque de fantasy animalière mettant en scène des campagnols, des blaireaux, des renards… tous anthropomorphisés. Les loutres, guerriers robustes, stratèges et fantasques étaient ses personnages préférés. « Ce surnom, particulièrement distinctif, a sans nul doute joué un rôle dans la construction de sa personnalité et a été porteur d’un certain modèle, analyse Nicole Prieur. La lecture seule aurait déjà induit en elle-même ce processus d’identification, mais le fait que sa mère puise son surnom dans cette série adorée l’a encore renforcé. »

8 À l’adolescence, en revanche, les « mon poussin » ou les « mon biquet » sont nettement moins appréciés ! Surtout s’ils sont proférés par mégarde devant des copains… Ce n’est pas la connotation animale qui gêne alors le jeune, mais plutôt le concept même du surnom. Celui-ci est ressenti comme une entrave à la prise de distance et à la différenciation nécessaires à cet âge. Pourtant, il est peu probable que l’« affaire » tourne au conflit : l’adolescent prendra un air offusqué, demandera instamment à sa mère ou à son père de cesser de l’appeler par ce ridicule sobriquet… mais, en son for intérieur, se délectera de la douceur de ce petit nom de bête qui n’appartient qu’à lui !

Notes

  • [1]
    Auteure, entre autres, de Grandir avec ses enfants. Comment vivre l’aventure parentale, Paris, Marabout, 2007.
  • [2]
    Auteure, entre autres, de Aimer ses enfants ici et ailleurs. Histoires transculturelles, Paris, Odile Jacob, 2007.
  • [3]
    De Brian Jacques (Mango, 1999).
Isabelle Gravillon
Isabelle Gravillon est journaliste indépendante, spécialisée en psychologie et santé. Elle collabore à L’école des parents, Notre Temps, Femme Majuscule et Femme Actuelle. Elle est coauteure, avec Nicole Prieur, de Nos enfants, ces petits philosophes (Albin Michel, 2013) et, avec Patrick Ben Soussan, de L’enfant face à la mort d’un proche (Albin Michel, 2006).
Mis en ligne sur Cairn.info le 22/08/2017
https://doi.org/10.3917/epar.s623.0179
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Érès © Érès. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...