CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Élever son enfant de manière bienveillante signifie-t-il ne rien lui interdire et ne jamais le punir ? Un pédopsychiatre et une psychologue, formatrice en Discipline positive, confrontent leurs points de vue sur ce sujet.

2L’éducation positive bannit-elle la notion d’interdit ?

3Jean Chambry : L’éducation positive n’est pas laxiste et ne conteste pas les interdits. C’est capital, car l’autorité est indispensable à l’enfant pour se construire. Mais cette approche éducative souhaite sortir du rapport de force : plutôt que d’imposer des limites, elle leur donne du sens et aide l’enfant à trouver les moyens de les respecter. Afin qu’à terme il se les approprie, comprenne qu’elles le protègent et en tire un sentiment de sécurité intérieure. L’éducation positive incite les parents à « faire autorité » auprès de leur enfant de manière intelligente et respectueuse, au lieu d’« être autoritaires ».

4Béatrice Sabaté : La parentalité positive se veut à la fois ferme et bienveillante. Les deux éléments sont essentiels, l’un ne va pas sans l’autre ! Dans notre société, qui fonctionne sur un modèle de plus en plus horizontal, de plus en plus égalitaire, le concept de bienveillance est parfois mal compris par les parents. Ils pensent que cela passe par la gentillesse en toute occasion, l’écoute et la négociation sans limite. Non ! Lorsqu’une règle est énoncée, les parents bienveillants ET fermes ne demandent pas à leur enfant : « Vas-tu la respecter ou non ? » mais : « Qu’est-ce qui peut t’aider à la respecter ? » C’est très différent.

5Mais qui décide de la règle ? Est-ce qu’elle se négocie avec l’enfant ?

6Jean Chambry : Un enfant n’est pas assez mûr pour savoir ce qui est bon ou pas pour lui, résister à des désirs qui pourraient lui être préjudiciables. Il incombe aux parents de fixer les interdits qui vont le protéger et lui permettre de bien grandir. C’est leur responsabilité, et c’est cela, la bienveillance parentale !

7Béatrice Sabaté : En Discipline positive, nous différencions la règle (ou l’interdit) de la ligne de conduite. La règle est posée par le parent et non négociable, bien que l’enfant soit impliqué dans son respect. Par exemple : « Tu n’as pas le droit de frapper, c’est interdit ; mais quand tu es énervé contre quelqu’un, qu’est-ce qui pourrait t’aider à retrouver ton calme ou exprimer autrement ta colère ? » La ligne de conduite, elle, se coconstruit avec l’enfant. Par exemple : « Tu dois faire tes devoirs, c’est une obligation scolaire. De quoi as-tu besoin pour les faire vite et bien ? Dans quel ordre vas-tu t’y prendre ? » Dans ces deux situations, le parent ne lâche rien. Il n’y a pas compromis, donc, plutôt un accord équitable où chacune des parties trouve son compte. Le parent, parce que la règle ou la ligne de conduite est respectée. L’enfant, parce qu’on a entendu ses besoins, pris en compte son monde.

8L’éducation positive ne cherche pas à gommer les frustrations de l’enfant ?

9Béatrice Sabaté : Certainement pas. Comme le disait Maria Montessori, il ne s’agit pas de faciliter le chemin de l’enfant en supprimant tous les obstacles et contraintes qui, de toute façon, surgiront à un moment ou un autre. Mais plutôt de préparer l’enfant à parcourir ce chemin, de l’équiper pour dépasser au mieux ces obstacles et contraintes.

10Jean Chambry : L’éducation positive fait le pari de convaincre l’enfant qu’il peut exister du plaisir et de la créativité au sein d’un espace contraint, pour qu’il réussisse à considérer la frustration comme un défi et à la dépasser. Être un parent ferme et bienveillant, ce n’est pas seulement savoir dire « non », mais aussi savoir dire « oui », pour introduire cette notion de plaisir dans l’éducation.

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© Pascal Gros

11La punition est totalement prohibée par l’éducation positive. Pourquoi ?

12Béatrice Sabaté : D’abord parce que les neurosciences nous apprennent que, lorsque l’environnement d’un enfant est répressif et punitif, certaines zones de son cortex préfrontal finissent par s’atrophier, ce qui est préjudiciable à ses apprentissages. Ensuite parce que l’efficacité d’une punition est douteuse à long terme. D’après Jane Nelsen, elle risque de provoquer certains ressentis, que l’on regroupe sous l’intitulé de 4 « R » : retrait, ressentiment, rébellion et revanche. Autrement dit, rien de très constructif ! Voilà pourquoi, en Discipline positive, nous préférons la notion d’« action éducative », action qui permet à l’enfant d’apprendre de sa transgression ou de son comportement inapproprié. Cette alternative à la punition passe par la réparation (l’enfant est invité à réparer les nuisances ou dégâts occasionnés) et par la recherche commune de solutions, après avoir identifié la compétence manquante (comment faire pour ne pas recommencer ?). Par exemple, priver un enfant de jeu vidéo parce qu’il oublie toujours la moitié de ses affaires de classe n’est ni logique, ni utile. Mieux vaut lui apprendre à s’organiser.

13Jean Chambry : La plupart des parents ne questionnent pas le modèle autoritaire qu’eux-mêmes ont connu : ils ont été punis quand ils n’obéissaient pas et ont le sentiment que cela a plutôt bien fonctionné pour eux. Pourquoi agir autrement ? Moi, je poserais une autre question : pourquoi faudrait-il blesser un enfant pour lui donner envie de changer de comportement ? Cette idée est tout de même très étrange ! Le parent ne souhaite-t-il pas ainsi, inconsciemment, se venger de la souffrance infligée par l’enfant, qui ne respecte pas ce qu’il veut lui transmettre ? En le punissant, il n’adopte pas une position éducative, qui permettrait à l’enfant d’apprendre de son erreur, mais la loi du talion !

14Béatrice Sabaté : Dans le mot « punition », on retrouve la racine « peine », qui ramène en effet à la notion de douleur. Souvent, la punition vise à « faire payer » l’enfant ! Un parent qui punit est habituellement hors de lui, emporté par ses émotions, qu’il ne parvient pas à gérer. En Discipline positive, quand un enfant a fait une « bêtise », nous suggérons au parent de faire une pause, le temps de se reconnecter à lui-même et d’accéder à sa rationalité. Cela évite d’annoncer une punition plus ou moins absurde ! Une fois le calme revenu, on peut chercher ensemble des solutions. Le temps de pause ne doit pas conduire à fuir le problème mais à y revenir plus tard, en pleine possession de ses moyens.

15Jean Chambry : Si les parents donnent une punition dans un moment d’énervement, elle sera le plus souvent dis-proportionnée. Résultat, ils ne réussiront pas à la faire respecter, perdront toute crédibilité et leur autorité sera davantage mise à mal. Comment l’enfant peut-il construire une confiance dans la parole de l’adulte si cette dernière n’est pas fiable ? En revanche, si ses parents l’associent à une réflexion – « Qu’est-ce qui pourrait t’aider à lâcher ton jeu vidéo et à venir manger quand je t’appelle ? » – il est probable qu’il se saisira de cette proposition.

16L’enfant qui a envie de s’opposer va-t-il jouer le jeu et s’impliquer ?

17Jean Chambry : L’éducation positive fonctionne pour la majorité des enfants. Quand on leur donne la parole et qu’on les écoute, ils ne la refusent pas ! Mais, pour une minorité d’entre eux, elle reste inefficiente. En particulier pour ceux qui ont construit une représentation d’eux-mêmes si négative qu’ils n’imaginent pas pouvoir se conduire autrement que comme des « méchants ». Leurs parents eux-mêmes ne sont plus capables de voir les « bonnes choses » chez leur enfant, ni chez eux, d’ailleurs, tant ils se jugent « mauvais » parents. Une approche psychothérapique est, dans ce contexte, plus adaptée pour restaurer l’image de soi de chacun. Notons au passage qu’une éducation autoritaire n’aurait pas mieux fonctionné : plus on menace ces enfants, plus on tente de les soumettre par la force, plus ils s’enferment dans une position de rébellion du type « même pas mal ! ». Et pour cause : ils sont dans une telle désespérance qu’ils pensent n’avoir plus rien à perdre.

18Béatrice Sabaté : La Discipline positive rencontre bien sûr des limites et certains contextes relèvent d’une prise en charge thérapeutique. Mais elle peut être efficace dans des situations qui, de l’extérieur, semblent gangrenées par l’agressivité et la violence. Prenons l’exemple d’un adolescent ayant traité sa mère de « sale conne » et que cette dernière a giflé en retour. Une fois la tempête passée, une réparation constructive pourrait consister à lui dire : « Tout à l’heure, j’ai perdu mon calme car la manière dont tu t’es adressé à moi m’a énervée. Je m’aperçois que ça ne fait pas avancer les choses et regrette de t’avoir giflé. Maintenant, nous devons retrouver un langage respectueux et, pour cela, j’ai besoin de ton aide. Que pourrait-on essayer ? »

19Jean Chambry : En agissant ainsi, le parent devient un modèle pour son adolescent. Il donne à voir et à reproduire des compétences sociales, émotionnelles et civiques essentielles pour construire un monde où il fait bon vivre ensemble.

20Une loi de juillet 2016 interdit la fessée, une autre, votée le 22 décembre, précise que l’autorité parentale exclut « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences légères ». Est-ce une victoire pour la parentalité positive ?

21Béatrice Sabaté : Absolument ! Voilà dix ans que les Nations unies demandaient cette mesure à la France. En Suède ou en Norvège, la fessée est interdite depuis les années 1980 ! Chez nous, la résistance est forte : beaucoup de parents sont très déstabilisés qu’on les prive de ce qu’ils considèrent comme un outil éducatif.

22Jean Chambry : Pourtant, la fessée n’a aucune valeur éducative, bien au contraire ! Elle intervient quand le parent est submergé par ses propres émotions, qu’il est en colère, excédé ou qu’il a eu peur pour l’enfant. Qu’en déduit ce dernier ? Qu’un adulte débordé est violent, qu’il ne sait pas se contenir et ne peut que frapper. Cela n’est absolument pas sécurisant ! Par ailleurs, à force de recevoir des fessées, certains enfants s’habituent à cette sensation physique : ils ne se calment qu’en étant violentés, ce qui pervertit leur relation à leur propre excitation.

23La Discipline positive est-elle accessible à tous les parents ? N’est-elle pas trop exigeante ?

24Béatrice Sabaté : Ce n’est certes pas la voie de la facilité ou du laxisme, comme certains le prétendent ! C’est une troisième voie, accessible à tous, qui demande disponibilité et humilité mais ouvre sur des liens de meilleure qualité et permet à l’enfant de développer le sentiment d’« être capable ».

25Jean Chambry : Un parent ne peut choisir la Discipline positive que s’il a suffisamment confiance en lui, car il doit accepter que ses décisions soient questionnées, discutées par son enfant. Le parent autoritaire qui impose ses volontés par la force est, en général, dans une situation d’extrême fragilité.

À lire :

  • La Discipline positive, de Jane Nelsen (éd. Poche Marabout, 2014), et La Discipline positive pour les adolescents, de Jane Nelsen et Lynn Lott (éd. Poche Marabout, 2015), adaptés par Béatrice Sabaté.
    Site : www.disciplinepositive.fr
Jean Chambry
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Pédopsychiatre et membre du conseil scientifique de la Fnepe. Responsable du Centre interhospitalier d’accueil permanent pour adolescents Paris-Rive droite (Ciapa-EPS Maison Blanche).
Béatrice Sabaté
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Psychologue clinicienne. Elle s’est formée en France et aux États-Unis, où elle a exercé pendant quinze ans. Là-bas, elle a découvert la démarche de Discipline positive de Jane Nelsen, fondée sur le travail d’Alfred Adler et de Rudolf Dreikurs. De retour en France, elle a participé à la création de l’association Discipline positive France.
Propos recueillis par 
Isabelle Gravillon
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Mis en ligne sur Cairn.info le 07/02/2017
https://doi.org/10.3917/epar.622.0044
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