CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Quels dispositifs mettre en place en faveur d’élèves qui s’éloignent chaque jour un peu plus de l’école ? Certains établissements font preuve de créativité. Le point sur 7 expériences encourageantes.

2Le point commun à ces initiatives ? Elles restaurent la confiance en soi de l’élève. Car tous les professionnels interrogés le répètent : un décrocheur, c’est un enfant cassé, encombré par des problèmes personnels et une image dégradée de lui-même. Et un enfant cassé n’apprend pas, dit Marie-Laure Fazi, directrice de l’Ensemble scolaire Vitagliano, à Marseille (13) : « Il est gelé, bloqué, il ne peut pas restituer ses connaissances parce qu’il ne croit pas en lui. » Il faut donc trouver un fil (il en existe toujours un, même ténu) qui relie ce jeune à l’enseignant et, à partir de là, tisser quelque chose qui le mette en mouvement. Mais ce travail prend du temps, demande d’individualiser les savoirs, oblige chaque enseignant à innover sans cesse. Catherine Baudouin, directrice passionnée d’une MFR [1], indique : « Je me souviens d’un garçon à qui on avait dit tout jeune qu’il n’aurait jamais aucun diplôme ; arrivé ici, il avait tellement la rage qu’il n’a pas cessé d’en passer… Aujourd’hui, il va entrer en licence professionnelle ! » Inimaginable ? Certainement, dans un système classique. Miraculeux ? Assurément pas, lorsqu’on voit le nombre de jeunes qui réendossent leur costume de collégien. Et qui parlent enfin d’eux au futur.

Bousculer la pédagogie et miser sur la musique

3À l’Ensemble scolaire Vitagliano, une école primaire gérée par Apprentis d’Auteuil, un soin particulier est porté à la transition CM2-sixième, dont on sait qu’elle n’est pas sans risque. Ici, il y a des temps pour travailler non par classes mais par groupes de besoins, explique Marie-Laure Fazi, la directrice : « Avec ma collègue de français de sixième, nous décloisonnons : deux heures par semaine, je prends ses élèves les plus fragiles avec mes CM2. Et elle prend mes élèves les plus solides. » Les enfants font aussi des dictées coopératives, par groupes de deux ou trois, puis s’autocorrigent : « Ils argumentent entre eux. C’est très positif : ils ne sont pas jugés par un adulte, et se sentent valorisés puisqu’ils apportent un savoir à leurs copains. »

4Depuis l’an dernier, avec la Philharmonie de Paris et des musiciens de l’opéra de Marseille, les élèves participent aussi à un orchestre. « L’activité étant nouvelle pour tous, elle ne réveille aucune expérience d’échec. Les enfants ont découvert les instruments (violon, cuivre, etc.) en janvier 2016 et donné un concert devant leurs parents en juin. Un grand moment d’émotion. Ils ont senti leurs parents fiers d’eux. »

5vitagliano.apprentis-auteuil.org

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Les élèves de l’Ensemble scolaire Vitagliano, à Marseille, avec la Philharmonie de Paris et des musiciens de l’opéra de Marseille.
© Besnard/Apprentis d’Auteuil

Faire pour apprendre

6« Celui qui arrive ici en quatrième n’aime pas l’école… et l’école ne l’aime pas beaucoup non plus ! » annonce Catherine Baudouin, directrice de la MFR de Chaingy (45). Chaque année, les Maisons familiales rurales forment 60 000 jeunes à partir de 14 ans. Le principe ? La pédagogie de l’alternance : une semaine en apprentissage, une semaine à l’école. Le jeune emmagasine du savoir grâce à des activités concrètes. « La transmission verticale ne marche pas avec nos élèves. Ils ont besoin de mettre du sens sur ce qu’ils apprennent. » Mais pas question d’opposer pratique et théorie : les jeunes construisent leur savoir en débattant de ce qu’ils ont appris sur le terrain. Le résultat ? « Quand on leur montre qu’ils ne sont pas “nuls” (ce qu’ils disent tous à leur arrivée) et qu’on leur fait confiance, ils sont transformés. Eux qui étaient abonnés aux “Peut mieux faire” s’épanouissent enfin. » À Chaingy, ils préparent un CAP de jardinier-paysagiste ou un bac pro Gestion des milieux naturels et de la faune. Parmi les 430 MFR de France, il existe aussi des formations aux métiers du bois, de l’environnement, du commerce, des soins aux animaux, etc. Vingt élèves par classe, un internat, une coéducation avec la famille, tout est conçu pour que « chaque élève trouve sa place dans la société ».

7www.mfr.asso.fr

La créativité, pour remobiliser

8Au collège Guy-Flavien, à Paris, l’équipe mise sur la création pour remobiliser ses 30 % d’élèves décrocheurs. Il y a deux ans, les élèves de quatrième et de troisième ont participé à Khaos, un atelier artistique soutenu par la Fondation de France. Pour Joseph Rossetto, l’ancien principal, « on ne peut pas imaginer qu’un enfant grandisse bien sans participer au monde ; il a besoin d’un espace pour s’exprimer, apporter son imaginaire ». Danse, écriture, théâtre et voyage en Grèce pour filmer la pièce : ce projet ambitieux prenait appui sur Les Troyennes, d’Euripide. « La question que pose ce texte (comment les hommes peuvent-ils commettre des actes horribles qui dépassent leur conscience ?) entre en résonance avec le monde où ils vivent et amène ces élèves en difficulté à réfléchir sur les conflits d’aujourd’hui. » Cette expérience et les projets artistiques menés depuis ont transformé les élèves et considérablement amélioré le taux de réussite au brevet.

Créer un fort sentiment d’appartenance

9Depuis 2012, la Fondation Espérance banlieues cherche à réconcilier les élèves des quartiers sensibles et l’école. Le réseau compte 8 écoles, en banlieue parisienne, à Roubaix (59), à Saint-Étienne (42), à Pierre-Bénite (69) et à Marseille (13). Pour Éric Mestrallet, son président : « Dans ces territoires où bien marcher à l’école revient à pactiser avec l’ennemi, nous créons un sentiment d’appartenance à la communauté éducative. Les enfants ont besoin de ce sentiment pour pouvoir se projeter dans un avenir » et adhérer aux apprentissages. Dans ces classes de 15 à 18 élèves, effectif qui permet un suivi individualisé, tous les élèves portent l’uniforme (polo blanc et sweatshirt). La discipline est stricte mais bienveillante, les équipes interâge et autres groupes de besoins sont favorisés. Et, pour garder les coudée franches, les écoles sont des structures privées hors contrat. « Nous donnons aux élèves les codes pour réussir dans notre pays. Et, aujourd’hui, leur discours sur l’école a changé. Ils y sont heureux ! » affirme-t-il.

10esperancebanlieues.org

Les classes relais pour reprendre pied

11La classe relais est la solution de la dernière chance, une fois que les autres moyens de réconcilier l’élève avec l’école ont été épuisés. Pendant quatre à six semaines, elle accueille dans un autre collège que le leur des décrocheurs passifs (présents-absents) ou « actifs », arrivés après un ou plusieurs conseils de discipline. Une dizaine de jeunes, un emploi du temps sur mesure, un parcours individualisé avec des stages, tout est fait pour les remobiliser. Ce dispositif peut prendre une autre forme. À Toulouse, la classe relais Sainte-Lucie se trouve à la PJJ (Protection judiciaire jeunesse), signe que dans l’alliance entre le scolaire et l’éducatif (principe de base de ces classes), priorité est donnée à l’éducatif. Ici, le jeune est suivi depuis son arrivée jusqu’à la fin de l’année scolaire. Première étape : évaluer sa personnalité, son niveau scolaire, son comportement. Pour l’accompagner ensuite dans un projet professionnel. Une démarche forcément globale : « Le décrochage scolaire est souvent le symptôme d’un décrochage général. On ne peut méconnaître le contexte personnel : si le jeune a 10 % d’espace psychique disponible, l’enseignant ne peut pas le faire progresser ! note Jean-François Rabault, le responsable. L’échec, la non-reconnaissance sont inscrits en lui profondément. Nous essayons de valoriser une de ses compétences, un de ses comportements pour faire de cette étape une transition vers autre chose : l’apprentissage ou le lycée professionnel. » 75 % des élèves retourneront à l’école à la rentrée suivante… Preuve que ce « détour » leur aura permis de retrouver un peu de continuité dans un parcours marqué par les ruptures.

Être accompagné par un étudiant

12Les 7 500 étudiants bénévoles de l’Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev) interviennent chacun deux heures par semaine auprès d’un enfant ou d’un jeune (de 5 à 18 ans) d’un quartier populaire, un peu partout en France. Yasmina Lamraoui, déléguée de l’Afev de Perpignan (66), détaille leur rôle : « Dans les quartiers populaires, les familles investissent beaucoup l’école mais ont du mal à encadrer les devoirs. L’étudiant accompagne l’enfant de manière régulière, lui apporte un soutien méthodologique, tâche d’arrondir les angles avec les parents, idéalement pendant deux ans. Il peut aussi faire un gâteau ou jouer au football avec lui, l’emmener au cinéma… » Le résultat ? Il ne se mesure pas seulement sur le bulletin scolaire. « Un enfant qu’on accompagne est mieux dans sa peau, donc il a de meilleures notes. Le regard bienveillant de l’étudiant le “regonfle”. Il découvre aussi que l’étudiant ne sait pas tout… et que ce n’est pas grave ! » L’Afev fait le point toutes les trois semaines avec l’étudiant, et toutes les six semaines avec les familles. Les parents sont touchés qu’un étudiant donne ainsi de son temps, au point d’assister parfois au conseil de classe. Il tisse un « trait d’union symbolique » entre eux et l’école et ouvre l’horizon de leur enfant.

13www.afev.org

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Un étudiant de l’Afev de Perpignan accompagne un collégien dans son travail.
© Afev

L’école dans l’entreprise

14Dans les écoles de production, comme leur nom l’indique, les élèves apprennent (les matières théoriques, pour un tiers du temps) et, le reste du temps, produisent, pour répondre à de vraies commandes de clients ! Encadré par son maître professionnel, le jeune apprend son métier à l’atelier : métallerie, travail du bois, automobile, etc. Ce plongeon dans le monde du travail est stimulant, explique Antoine Martin, directeur de l’Afep [2], l’un des 20 établissements de ce genre en France : « La plupart des jeunes, dont le collège n’a pas réussi à trouver les compétences, ne demandent qu’à se mettre en mouvement ! Même physiquement, je les vois changer. Ce qui fait déclic, c’est d’être aux manettes sur les machines. Ils reprennent confiance en eux en voyant qu’ils sont capables de faire des choses et qu’ils reçoivent la reconnaissance d’un adulte. Nos métiers ne séduisent peut-être pas les parents (qui ont une image vieillotte de l’atelier !), mais beaucoup de jeunes y trouvent leur place. » Au point qu’ici, 40 % continuent en bac pro.

15www.ecoles-de-production.com

Notes

  • [1]
    Maison familiale rurale. Les MFR dépendent du ministère de l’Agriculture.
  • [2]
    Association forézienne d’écoles de production Saint-Étienne.
Anne Lamy
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Mis en ligne sur Cairn.info le 19/11/2016
https://doi.org/10.3917/epar.621.0048
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