CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’action concertée de l’école et des familles peut-elle éviter que des élèves absentéistes renoncent définitivement à leurs études ? Deux actrices de la vie scolaire confrontées quotidiennement à ce défi en discutent.

2L’école et les familles prennent-elles suffisamment au sérieux l’absentéisme des élèves ?

3Monique Aquilina : L’école est tenue de signaler systématiquement aux parents les absences de leurs enfants. Nous utilisons beaucoup les SMS, ce qui leur permet d’être informés quasiment en temps réel. Je suis très soucieuse d’instaurer le plus tôt possible un dialogue avec eux sur ce sujet. D’après mon expérience, quatre demi-journées d’absence dès le mois de septembre constituent un signal d’alerte fort de prochain décrochage. Il faut donc agir vite ! Car, une fois que l’élève sera descendu du train, il aura beaucoup de mal à y remonter…

4Brigitte Compain : Un enfant qui ne va pas en cours, c’est toujours un gros souci pour les parents. Rares sont ceux que la situation laisse indifférents ! Mais certains n’ont pas le réflexe de se rapprocher de l’école, pour toutes sortes de raisons : ils ont parfois de mauvais souvenirs de leur propre scolarité et sont réticents à s’y rendre ; d’autres ont peur d’être mal accueillis, qu’on leur reproche de s’immiscer dans les affaires de l’école ; d’autres encore redoutent d’être jugés, accusés de ne pas être assez fermes avec leurs enfants. Certains enseignants, c’est vrai, ne sont pas spécialement bienveillants avec les familles…

5Monique Aquilina : Je suis tout à fait d’accord avec vous ! L’école s’est certes ouverte aux parents au fil du temps, mais jusqu’à un certain point seulement. Je cite toujours l’exemple de la participation des parents aux conseils de classe : ils ont le droit d’être là, mais leur liberté de parole est très restreinte. Les enseignants n’admettent pas qu’ils pointent les dysfonctionnements de l’institution scolaire.

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© Aude Picault

6Comment instaurer une confiance mutuelle pour œuvrer ensemble contre l’absentéisme ?

7Brigitte Compain : Les parents doivent dépasser leurs réticences et faire la démarche de rencontrer les enseignants ou le chef d’établissement. Il est essentiel, aussi, qu’ils laissent de côté les discours accusateurs (l’école ne comprend pas mon enfant, elle ne fait rien pour l’aider…) et optent pour une approche coopérative : que pouvons-nous faire, ensemble, pour qu’il revienne en cours ? Ces préliminaires ont toutes les chances de créer un cercle vertueux et d’éviter que l’enseignant tombe dans des propos moralisateurs parce qu’il s’est senti agressé.

8Monique Aquilina : La qualité des relations entre parents et enseignants est capitale : s’il y a conflit, l’enfant le sent et s’engouffre dans la brèche, comme il le fait quand ses parents ne sont pas d’accord entre eux ! J’essaie toujours, autant que possible, de lever les éventuels malentendus. Au lycée professionnel de Bagnolet, où j’ai été proviseure, nous avions beaucoup d’enfants maliens. Les professeurs avaient l’impression que leurs parents se fichaient éperdument de tout ce qu’on pouvait leur dire, qu’ils ne s’impliquaient pas dans la scolarité de leurs enfants. J’ai eu l’idée d’inviter un ethnologue au lycée : il nous a expliqué que, pour les parents d’Afrique subsaharienne, intervenir dans les affaires de l’école est considéré comme un manque de respect, une remise en question de l’autorité du maître. Forts de ce savoir, les enseignants ont modifié leur jugement et réussi à établir des relations avec les parents.

9Concrètement, comment la coopération entre l’école et les parents peut-elle s’organiser ?

10Monique Aquilina : À Bagnolet, nous avons mis en place de « bonnes » pratiques. Par exemple, lorsqu’un élève était absent le matin, la conseillère principale d’éducation appelait à son domicile et demandait au parent présent de le réveiller et de l’envoyer au lycée. Sans le juger ni l’accuser de quoi que ce soit, simplement en lui assurant que, malgré son retard, son enfant serait accepté en cours. Une manière de responsabiliser le parent sans le culpabiliser, et de le soutenir afin qu’il ne lâche pas. Bien sûr, en parallèle, je demandais aux enseignants de ne pas renvoyer l’élève arrivant au beau milieu du cours, mais de le laisser s’installer. Son retard n’était enregistré qu’après. Nous avons fait un gros travail avec les familles concernées pour les inciter à échanger régulièrement avec l’enseignant référent de leur enfant. Et cette dynamique a porté ses fruits : en trois ans, nous sommes passés de 18 % à 4 % d’absentéisme.

11Brigitte Compain : De telles pratiques sont évidemment très intéressantes. Malheureusement, elles ne sont guère répandues ! Pour favoriser cette coopération parents-profs, nous attendons beaucoup des « espaces parents [1] » qui, peu à peu, sont appelés à se développer. Une loi de juillet 2013 impose en effet à chaque établissement scolaire de créer dans ses murs une salle dédiée aux parents, où ils peuvent venir boire un café, discuter avec d’autres parents des difficultés qu’ils rencontrent, des solutions essayées par les uns et les autres. Si ces espaces sont investis aussi par les enseignants, ils pourront devenir un lieu convivial d’échange et de rapprochement.

12Enseignants et parents sont-ils prêts à se remettre en cause, à admettre que tous, à leur manière, ont une part de responsabilité dans l’absentéisme et le décrochage des élèves ?

13Monique Aquilina : Si les enseignants n’en ont pas conscience, le chef d’établissement doit le leur rappeler ! Leur dire que s’ils estiment n’être pour rien dans la réussite ou l’échec de leurs élèves, c’est qu’ils ne servent à rien, et qu’ils seront un jour remplacés par des écrans ! Voilà le discours que je leur tiens pour les faire réagir, les pousser à se questionner sur le fait que des élèves désertent leurs cours. Ils doivent notamment s’interroger sur leurs pratiques d’évaluation. Quand, en début d’année, je vois une classe où 75 % des élèves ont moins de 7 de moyenne, je dis à ces professeurs : c’est vous qui êtes en échec, pas vos élèves ! Vous êtes les « pros » de l’éducation, vous devez trouver les moyens de ne pas les perdre ! Je n’ai jamais vu un élève en réussite faire preuve d’absentéisme.

14Brigitte Compain : Les parents se remettent en cause, bien sûr, et se demandent ce qu’ils ont « mal fait » pour que leur enfant décroche ! Mais ils sont surtout complètement perdus, démunis. Certains ont des ressources, financières et sociales, et auront l’idée de faire intervenir un tiers (un psychologue, un conseiller d’orientation). Ce dernier pourra aider l’enfant et sa famille à prendre un peu de distance, à explorer des voies permettant à l’élève de rebondir, de se réorienter, par exemple. Les parents d’un jeune décrocheur doivent être dotés d’une bonne dose d’énergie et connaître les codes de notre société pour l’aider à construire un projet alternatif qui le motive, l’accompagner dans ses recherches. Or, ce n’est pas le cas pour tous, loin de là ! Le plus souvent, les parents, comme leur enfant, subissent cette désaffection pour l’école sans savoir comment l’enrayer. Ils subissent surtout des orientations non choisies, qui créent ensuite de graves problèmes de démotivation.

15Monique Aquilina : Je confirme ! Dans la section menuiserie du lycée professionnel de Bagnolet, les jeunes arrivaient complètement démotivés, quasiment happés par la rue, déjà. Avec l’équipe pédagogique, nous avons décidé d’avoir de l’ambition pour eux ! Nous les avons inscrits au concours des meilleurs ouvriers de France et avons fait en sorte qu’ils y participent tous : ils ont gagné un prix et, en même temps, ont pris conscience qu’ils n’étaient pas dans une filière dépotoir. Nous avons mis en place des partenariats avec des entreprises qui les ont accueillis en stage : ils n’étaient pas livrés à eux-mêmes, un référent les suivait de près, les mettait en situation de réussite professionnelle. Peu à peu, ils ont repris confiance et très peu ont décroché. Surtout, la plupart des parents ont suivi le mouvement. Si certains au départ étaient un peu déçus par l’orientation de leur enfant dans cette filière, parce qu’ils avaient rêvé d’ascension sociale, ils ont changé de regard en cours d’année. Les seuls élèves que nous n’avons pas récupérés sont ceux dont les parents n’ont pas adhéré au projet, qui ne se sont pas mobilisés pour leur enfant.

16Pourquoi certains se désintéressent-ils du sort scolaire de leur enfant ?

17Monique Aquilina : Le plus souvent parce qu’ils vivent des situations sociales et personnelles épouvantables, et sont dans le désarroi le plus total. Je pense, notamment, à ces mères seules qui sont submergées par leur quotidien et n’ont plus d’énergie pour suivre leurs enfants. C’est cela, la réalité des établissements ghettos où 80 % des élèves sont issus de l’immigration, où 26 nationalités se côtoient, comme c’était le cas à Bagnolet.

18Brigitte Compain : Sans le concours actif des parents, l’école ne peut rien pour sauver les décrocheurs. Dans cette optique, la FCPE tente de mobiliser les parents les plus en difficulté, trop peu présents au sein de notre fédération : dans les écoles de quartier, nous allons vers les mères seules, les mères voilées qui semblent un peu retrait, celles qui sont au chômage. Nous les incitons à s’impliquer dans la scolarité de leur enfant, à lui dire combien elles sont fières qu’il fréquente l’école ! Si certaines ne savent pas lire, nous leur expliquons comment prendre leur enfant sur les genoux pour lui raconter une histoire à partir des images. Ces jalons posés dès le plus jeune âge sont autant de protections anti-décrochage pour le futur !

Notes

  • [1]
    L’EPE de Côte d’Or et l’EPE du Loiret animent des espaces parents dans des écoles primaires.
Monique Aquilina
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Enseignante de formation et proviseure. Elle dirige la Cité scolaire Pasteur, à Neuilly-sur-Seine (92), un établissement coté de centre-ville. Auparavant, elle a travaillé de nombreuses années en zone d’éducation prioritaire en Seine-Saint-Denis. Elle a notamment été proviseure d’un lycée professionnel pilote dans le domaine de la lutte contre l’absentéisme à Bagnolet.
Brigitte Compain
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Engagée depuis de nombreuses années au sein de la FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves), elle en est la présidente au niveau départemental pour l’Ille-et-Vilaine (35) et la secrétaire générale adjointe au niveau national. Sur le terrain, la FCPE aide et conseille les parents désemparés face à l’absentéisme de leurs enfants.
Propos recueillis par
Isabelle Gravillon
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 19/11/2016
https://doi.org/10.3917/epar.621.0044
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