CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le sociologue Serge Guérin a lancé en mars 2013 « L’appel national à plus d’équité pour les aidants bénévoles », avec Thierry Calvat, Céline Dupré, Paulette Guinchard et Pierre-Henri Tavoillot. Près de trois ans plus tard, il dresse un état des lieux de ce qui a été accompli, et reste à accomplir. Entretien.

2Quand les pouvoirs publics ont-ils commencé à se préoccuper des aidants ?

3Leur engagement officiel date de 2010, avec l’instauration de la Journée nationale des aidants. Avant, leur prise de conscience était très relative. On parlait alors souvent d’aidants « naturels » : pourquoi les pouvoirs publics auraient-ils eu à se soucier d’un phénomène naturel, relevant de l’intimité des familles ? En réalité, les instances politiques ont fini par bouger sous la pression de la société civile qui, elle, s’était mobilisée bien avant. Des mutuelles, des laboratoires pharmaceutiques, des collectifs d’intellectuels et, surtout, des associations de malades (Alzheimer, cancers, parents d’enfants handicapés, etc.) alertaient depuis plusieurs années déjà sur la situation catastrophique de nombreux aidants, livrés à eux-mêmes et épuisés.

4L’instauration de cette journée a-t-elle été une avancée ?

5Symboliquement oui, parce qu’elle a permis de nommer le phénomène, et de le faire exister dans la conscience collective. Plus de 8 millions d’aidants, cela veut dire aussi plus de 8 millions d’aidés, donc plus de 16 millions de personnes concernées, soit plus d’un quart de la population ! Cela n’a plus rien d’anecdotique, c’est un fait social majeur, que les pouvoirs publics ne peuvent plus ignorer. On sait par ailleurs que les aidants font économiser à la collectivité 164 milliards d’euros. Si, à bout de forces, ils jetaient l’éponge, l’État devrait doubler le montant des impôts pour faire face. Inimaginable ! D’où l’intérêt croissant de l’État pour les aidants.

6Ces derniers dénoncent une insuffisance criante des aides de l’état. Qu’en pensez-vous ?

7On peut tout de même se réjouir de certaines initiatives, certes insuffisantes, mais allant dans le bon sens. Par exemple, les plateformes de répit et d’accompagnement des aidants mises en place par le Plan Alzheimer 2008-2012. Ou bien les droits spécifiques reconnus pour les aidants dans la loi sur la retraite de 2013 : leurs droits continuent de courir, dans la limite de huit trimestres, même lorsqu’ils s’arrêtent de travailler pour s’occuper de leur proche malade. Ou encore la loi Mathys de mai 2014, qui permet aux salariés du privé de faire don de jours de RTT à un collègue devant s’absenter pour soigner un enfant atteint d’une longue maladie. Elle va être étendue à la fonction publique. Et, pour finir, la loi d’adaptation de la société au vieillissement qui entre en vigueur en janvier 2016 : elle accorde une aide annuelle de 500 € aux aidants, au titre de leur droit à un répit. Si le budget de 78 millions d’euros prévu pour cette mesure ne profitera, au final, qu’à 156 000 personnes – une goutte d’eau, je vous l’accorde – cela revient à offrir une semaine de congés payés aux aidants, ça n’est pas rien !

8Pas rien… mais insatisfaisant à en croire les principaux intéressés !

9De nombreux progrès restent à faire, notamment en matière de clarification. Les plateformes de répit et d’accompagnement ne portent pas toutes le nom de Maisons des aidants, il peut donc être difficile de les identifier. Beaucoup de gens ignorent aussi qu’elles ne s’adressent pas exclusivement aux aidants de proches atteints d’Alzheimer [1]. Il y aurait un gros travail à mener auprès des publics concernés pour les repérer, et les informer. Le département, du fait de sa proximité avec les administrés, me semble l’échelon idéal [2]. Leur suppression serait une folie !

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© Juliette Baily

10Une prise de conscience semble aussi naître dans les entreprises. Ont-elles un rôle à jouer ?

11C’est un vrai sujet pour elles. Près de la moitié des aidants ont en effet une activité professionnelle, et chacun comptabilise en moyenne 16 jours d’absence par an du fait de la mission qu’il remplit auprès de son proche. Un absentéisme qui représente un coût de 350 millions d’euros par an pour les entreprises. Elles ont donc intérêt à soutenir leurs salariés aidants [3]. Deux grandes entreprises, Bayard et Danone, ont créé un service d’accompagnement téléphonique, Responsage, où les salariés des entreprises clientes peuvent s’informer sur les aides à domicile, les aides financières, les questions juridiques de tutelle, etc. Même s’ils restent minoritaires, de plus en plus de managers et de directeurs des ressources humaines commencent à s’interroger sur les services pour leurs salariés aidants.

12Les mutuelles et les assurances sont-elles innovantes sur ce sujet ?

13Oui, même si l’on pourrait attendre davantage de ce secteur qui a tout intérêt à soutenir les aidants, dans la mesure où ceux-ci leur évitent des dépenses importantes, telles des prises en charge dans des institutions. Certaines compagnies d’assurances soutiennent financièrement des associations porteuses de projets en faveur des aidants [4]. Beaucoup de mutuelles et de compagnies d’assurances ont aussi mis en place des sites internet de conseils et de soutien [5]. Ces espaces numériques rencontrent un grand succès, les aidants se les sont appropriés, et en font des lieux d’écoute réciproque. Une écoute qu’ils ne trouvent pas forcément ailleurs, rarement auprès du corps médical en tout cas.

14Les médecins ne devraient-ils pas être en première ligne pour les soutenir ? Après tout, ils les côtoient régulièrement lors des consultations pour leur proche malade.

15Oui, mais la réalité est tout autre. Beaucoup d’aidants se plaignent d’être transparents aux yeux des médecins, qui prennent rarement le temps de leur demander, tout simplement, comment ils vont, eux. Le corps médical a tendance à les considérer comme des auxiliaires de santé, qui les aident à mettre en place un traitement, effectuent éventuellement des gestes médicaux, mais pas comme des malades potentiels. Une révolution médicale s’impose de ce point de vue pour inventer la médecine du XXIe siècle ! Il nous faut des médecins capables de prendre en charge les malades au-delà de leur pathologie, dans leur globalité, et en considérant leur entourage.

16Que pensez-vous d’un statut juridique pour l’aidant ?

17Je ne le considère pas comme une priorité. Si les députés s’attellent à ce genre de tâche, il faudra des mois, voire des années de débat pour réussir à se mettre d’accord sur une définition précise de l’aidant ! Et, pendant ce temps-là, ils auront un excellent prétexte pour ne voter aucune mesure concrète. Parfois, le meilleur est l’ennemi du bien. Ce qui compte avant tout, ce sont les avancées que la société civile finit par obtenir au fil des années à l’Assemblée, en faisant entériner des pratiques, ou des expériences ayant fait leurs preuves sur le terrain. Je suis un adepte de la politique des petits pas, plus que des soi-disant grandes idées…

Notes

  • [1]
    Lire p. 26 l’article sur la Maison des aidants de Nantes.
  • [2]
    L’APA (Allocation personnalisée d’autonomie) étant gérée par le département, l’information en direction des aidants peut avoir lieu au moment où ils en font la demande, sans attendre qu’ils se tournent vers le CLIC (Centre local d’information et de coordination gérontologique).
  • [3]
    Lire p. 28 l’article sur les aidants salariés.
  • [4]
    Par exemple le Crédit Agricole Assurances, à hauteur de 300 000 €.
  • [5]
    Malakoff Médéric, Humanis, etc.
Serge Guérin
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Sociologue spécialiste des questions liées au vieillissement, professeur à l’Inseec Paris, chercheur associé au centre Edgar-Morin (CNRS-EHESS).
Auteur, entre autres, de La solidarité ça existe... et en plus ça rapporte !, (éd. Michalon, 2013) et de Silver Génération. 10 idées reçues à combattre à propos des seniors (éd. Michalon, 2015).
Lire son article « Plaidoyer pour les aidants » dans le numéro spécial de L’École des parents, « Familles. Se construire, s’entraider », juillet-août 2014, no609.
Propos recueillis par 
Isabelle Gravillon
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 18/01/2016
https://doi.org/10.3917/epar.617.0024
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