CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1CERTAINS PARENTS SÉPARÉS FONT PESER SUR LES ÉPAULES DE LEUR ENFANT LA RESPONSABILITÉ DE DÉCISIONS QUI LEUR INCOMBENT. CULPABILITÉ, DÉSIR D’ÊTRE AIMÉS, MANIPULATION : LEURS MOTIVATIONS SONT MULTIPLES.

2« Chez qui préfères-tu aller vivre, chez papa ou chez maman ? », « Tu accepterais que ma copine vienne habiter chez nous ? », « Ça te ferait plaisir, d’avoir un petit frère ou une petite sœur ? »

3« Nul besoin d’être psychologue ou pédopsychiatre pour pressentir que ce type de questions mettra un enfant en grande difficulté ! », lance Michaël Larrar, pédopsychiatre. Pourtant, certains parents n’hésitent pas à les poser, au mépris de l’intérêt et de la sérénité de leur enfant. De multiples raisons peuvent les pousser à ce comportement inapproprié et, en premier lieu, notre époque. « La plupart des parents d’aujourd’hui vivent dans la hantise de ne plus être aimés par leur enfant, constate Myriam Szejer, pédopsychiatre et psychanalyste. Ce qui les conduit parfois à démissionner de leurs responsabilités éducatives, à renoncer à lui imposer la moindre frustration. Cette peur d’être rejeté s’exacerbe en cas de divorce. Le père ou la mère peuvent alors nourrir l’illusion d’être plus aimables, s’ils laissent leur enfant décider à leur place, sans rien lui imposer. » Une culpabilité tenace peut également expliquer une telle attitude. « Certains parents se sentent coupables de faire souffrir leur enfant en se séparant, et lui demandent son avis sur tout, espérant soulager sa blessure. C’est aussi une manière de lui présenter des excuses », décrypte Michaël Larrar.

4Parfois, leurs motivations sont moins « nobles », elles sont davantage inspirées par leur propre souffrance, ou par la haine envers leur ex-conjoint. « Le parent laisse croire à l’enfant qu’il lui donne le choix. En réalité, il lui dicte la réponse attendue, qui consiste à rejeter l’autre. Soit parce qu’il va très mal lui-même, et ne peut supporter que son enfant se décolle de lui. Soit parce qu’il souhaite se venger et faire souffrir son ex. Dans les deux cas, il prend son enfant en otage et instrumentalise sa parole », poursuit le pédopsychiatre.

Un coût psychique élevé

5Les conséquences ne peuvent qu’être nocives même si le parent, animé de bonnes intentions, pense respecter son enfant en le laissant maître des choix qui le concernent. Car derrière la question « Préfères-tu vivre chez papa ou chez maman ? », un enfant entend toujours « Préfères-tu papa ou maman ? ». « L’adulte, inévitablement, provoque en lui de la culpabilité – j’abandonne l’un de mes parents – et de l’angoisse – que va-t-il devenir ? », décrit Michaël Larrar. Il introduit aussi dans son psychisme une forme de clivage. « À partir du jour où il a dû choisir, l’enfant est sans cesse écartelé entre deux rives, maternelle et paternelle. Chaque fois qu’il a un mouvement d’affection vers l’un de ses parents, il redoute de trahir l’autre, et vice versa. Il peut finir par refouler ses émotions, s’en couper, pour ne plus subir ce déchirement perpétuel », souligne Catherine Sellenet, psychologue et professeure en sciences de l’éducation. Et comment pourrait-il échapper à un sentiment de toute-puissance, si ses parents lui laissent les rênes de sa vie, dans un moment aussi tourmenté ?

6Une hyper-responsabilisation peut aussi engendrer un chaos intérieur. « Le laisser décider seul d’aller vivre chez son père ou sa mère revient à le livrer sans barrière à ses pulsions œdipiennes, et à se débarrasser du parent du même sexe : une expérience très déstructurante, car les pulsions infantiles, pour ne pas devenir envahissantes et angoissantes, doivent absolument être contenues. Elles ne sont pas faites pour être mises en actes », alerte Myriam Szejer. Cela revient aussi à le charger du poids de responsabilités qui ne sont pas de son âge, à l’« adultifier » avant l’heure, avec des conséquences sur son développement psychologique. « Ces enfants sont souvent très sérieux, très raisonnables, explique Michaël Larrar. Ils se préoccupent assez peu de leur propre plaisir, n’osent pas faire de bêtises, sont accaparés par leur rôle de “médicament” vis-à-vis d’un parent en souffrance, ou de “diplomate” entre deux parents en conflit. » Selon le pédopsychiatre, ils ont ensuite du mal à développer leur propre personnalité. « Ils construisent ce que les psychologues et les pédopyschiatres appellent une personnalité en “faux self” : ils se retrouvent dans un “costume” qui n’est pas taillé pour eux, au risque de passer à côté d’eux-mêmes », conclut-il.

Entendre sa parole, sans s’y soumettre

7Solliciter l’avis d’un enfant sur les choix de vie imposés par un divorce revient à le piéger, à le bâillonner. S’il dit non à la demande d’un père ou d’une mère, qui souhaite refaire sa vie, avoir un nouveau bébé, il culpabilise de le rendre triste et de le décevoir. S’il dit oui, il se prive de toute possibilité d’exprimer ultérieurement sa jalousie ou sa colère, qui pourra légitimement survenir, à un moment ou à un autre, contre le nouveau venu. « Tu étais pourtant d’accord, pourquoi te plains-tu ? », s’entendra-t-il reprocher. De quoi littéralement imploser.

8Ces dérives possibles ne signifient pas que les adultes doivent rester sourds à la parole de leur enfant, au moment de la séparation. « Il est indispensable qu’il soit consulté à propos d’un événement qui aura un impact aussi lourd et direct surs a vie ! », affirme Michaël Larrar. « Il s’agit aussi de respecter la loi, renchérit Catherine Sellenet. L’article 371.1 du Code civil relatif à l’autorité parentale, réécrit en 2002, prévoit en effet que les parents associent l’enfant à toutes les décisions le concernant, dès lors qu’il a l’âge de raison. »

9Comment l’y associer, alors, sans lui en laisser porter la responsabilité ? « Tout simplement, en lui précisant que les adultes vont écouter ce qu’il a à dire, mais qu’à la fin, ils trancheront et prendront la décision », suggère la psychologue. Rien d’hypocrite, ni de démagogique dans cette position. « Si l’enfant exprime ses désirs, ses besoins et ses inquiétudes sur la nouvelle organisation, les parents sauront à quoi il tient, ce qu’il ne veut pas perdre. Ils pourront alors le prendre en compte, sans se soumettre totalement à sa volonté », ajoute-t-elle. S’il refuse la garde alternée pour rester près de ses copains, ses parents peuvent malgré tout choisir ce mode de garde, en invitant davantage ces derniers à la maison.

10Mettre un enfant devant le fait accompli n’a rien de dictatorial, lorsque la décision incombe aux adultes. C’est au contraire le soulager, et œuvrer pour son bien ! À condition, bien sûr, qu’il puisse par ailleurs assumer ses choix à lui, à hauteur d’enfant : la couleur de son papier peint, son look vestimentaire et ses activités sportives…

À lire…

  • Le divorce, les clés pour bien en parler, de Michaël Larrar (éd. Prisma, 2011). Un guide pour les parents et un conte illustré pour les enfants.
  • L’enfant de l’autre. Petit traité sur la famille recomposée, de Catherine Sellenet et Claudine Paque (éd. Max Milo, 2015).
  • Mes parents se séparent. Je me sens perdu, de Maurice Berger et Isabelle Gravillon (éd. Le Livre de poche, 2014).
  • Si les bébés pouvaient parler, de Myriam Szejer (éd. Bayard, 2011).
  • Enfances & Psy, dossier « Conflits de loyauté », n° 56 (éd. Érès, 2013).
Isabelle Gravillon
Mis en ligne sur Cairn.info le 21/12/2015
https://doi.org/10.3917/epar.615.0046
Pour citer cet article
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