CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1COMMENT SAVOIR SI UN ENFANT DÉSIRE VRAIMENT ÊTRE ENTENDU PAR LE JUGE, OU S’IL RÉPOND À LA DEMANDE IMPLICITE D’UN PARENT ? UN AVOCAT D’ENFANT PEUT ÊTRE DÉSIGNÉ POUR Y VOIR PLUS CLAIR. SON RÔLE, DIFFÉRENT DE CELUI DE L’AVOCAT DES PARENTS, EST PLUS DISCRET MAIS TRÈS COMPLEXE.

2Pourquoi avoir choisi cette spécialité ?

3Laure Dilly-Pillet : au collège, je voulais être juge pour enfants, jusqu’au jour où j’ai lu un roman dont le héros s’occupait tellement des enfants des autres qu’il en délaissait les siens ! Alors j’ai choisi d’être avocate d’enfant. Au fil du temps, je me suis beaucoup questionnée sur ma pratique : comment optimiser la relation avec les enfants que j’accompagne, éviter de me projeter dans leur histoire, d’interpréter leurs paroles, de penser à leur place ? Je suis faite de chair et de sang, je suis « fille de », « femme de », « mère de » : certaines choses résonnent avec mon histoire… Par exemple, quand des enfants résident chez leur père, j’ai le réflexe de me dire : « Que s’est-il passé avec la mère ? » Il faut lutter contre ces tics de pensée qui brouillent l’échange. Ce qui importe, c’est d’entrer en communication avec la personne en face de soi.

4« Tout mineur capable de discernement peut être entendu », dit la loi[1]. Comment définir cette capacité ?

5L. D.-P. : à Montpellier, tout enfant à partir de 8 ans peut être entendu ; mais c’est un seuil théorique, car l’expression « capable de discernement » est sujette à interprétation. Le discernement n’est pas la capacité de l’enfant à expliquer en quelle classe il est, s’il a des copains, etc., mais à exprimer son souhait d’être (ou non) entendu par le juge aux affaires familiales (JAF) [2]. Sait-il que ses parents ont rendez-vous avec celui-ci ? qui je suis, et pourquoi il est avec moi ? S’il ne sait rien ou dit qu’il ne sait rien, l’entretien s’arrête là et l’enfant ne rencontrera pas le JAF. Sa réponse peut signifier : « Je n’ai pas envie de te parler ; c’est mon père/ma mère qui m’envoie. » L’avocat d’enfant est un bon filtre pour s’assurer du désir de l’enfant d’être entendu. Pour commencer, je vérifie toujours si l’enfant fait la différence entre « avoir le droit » et « être obligé ». Pour cela, je prends un exemple concret : « Est-ce la même chose pour toi si je dis “j’ai le droit” et “je suis obligé” de manger un yaourt à la fraise ? » Ensuite, nous parlons de son envie de rencontrer le juge, même pour voir qu’il porte une perruque et une robe noire ! J’insiste sur le fait qu’il s’agit d’un juge des parents, et non des enfants, qu’il est là pour aider à trouver des solutions pour la vie de famille (vacances, week-ends, etc.). Que l’enfant peut donner son avis, mais que le juge ne prendra pas sa décision grâce à lui, ni à cause de lui. Il doit se sentir libre de ses propos.

6L’enfant se confie-t-il facilement sur ce qu’il ressent ?

7L. D.-P. : Ce que je lui demande relève de l’exploit. Il arrive dans le bureau d’une inconnue, qui l’interroge : « Il paraît que ton papa dit ceci, ta maman cela ; et toi, qu’en penses-tu ? » C’est très intrusif ! J’avance donc sur la pointe des pieds. Je rappelle d’abord que notre entretien est confidentiel. C’est pour cela que la porte est fermée, et que ses parents restent dans le couloir. S’il s’agit d’une fratrie, je reçois les enfants séparément, ils ont le droit d’avoir un autre avis que leur frère ou leur sœur. Je dis à l’enfant que je suis tenue au secret professionnel, et ne répèterai rien aux avocats de ses parents, ni au juge. Je note ses réponses à mes questions, les éventuels décalages ou contresens, son attitude : il se gratte, pleure, baisse les yeux, arrive avec sa poupée d’un côté, son doudou de l’autre, etc. Parfois, je m’en sers : « Je vois que tu serres très fort ta poupée. Qu’est-ce qui se passe ? » Je ne le brusque jamais, et laisse le silence s’installer si besoin. Je peux attendre dix, vingt, trente secondes. S’il pleure, je le laisse évacuer ses émotions. La parole qui suit a toujours du sens. S’il refuse de répondre à une question, je n’insiste pas : « Je suis avocate des enfants, c’est toi qui m’intéresses. Tu peux me parler, mais tu n’es pas obligé. On peut s’arrêter si tu préfères. » Certains répondent : « Oui, je préfère. Mais je voudrais que mes parents arrêtent de se bagarrer, c’est trop dur, ça me fait trop mal. »

8Vous accompagnez l’enfant, mais n’êtes pas son porte-parole…

9L. D.-P. : à Montpellier, nous avons une lecture restrictive de l’article 388.1 du Code civil : pour éviter d’interpréter les propos de l’enfant, nous n’intervenons pas pendant son audition. Car l’enfant s’exprime avec des mots, mais aussi avec son corps, et l’on peut avoir tendance à projeter, selon les éléments auxquels on est attentif. Dire au juge « il me semble que » reviendrait à exposer ma version, pas celle de l’enfant. Donc, j’accompagne le mineur à l’audition (s’il le désire), mais je ne dis rien.

10Je suis un témoin silencieux et vigilant. Je prends des notes, pour comparer avec ce qu’il m’a dit. S’il m’avait parlé d’un fait et qu’il le passe sous silence aujourd’hui, je m’interroge. Son parent lui avait-il suggéré de m’en parler ? À la fin de l’entretien, le juge me demande si j’ai quelque chose à rajouter. Si le témoignage de l’enfant diffère, je l’interroge : « L’autre jour, tu m’avais parlé du week-end de Pâques. Voudrais-tu préciser ce qui s’est passé ? » Cela prend… ou non ! Le juge, qui comprend mon message, peut à son tour relancer l’enfant.

11Avez-vous parfois besoin de l’avis d’un autre professionnel ?

12L. D.-P. : il arrive que l’enfant ne veuille pas être entendu, mais qu’il ait beaucoup à dire. J’indique alors aux parents qu’il serait peut-être opportun de lui faire rencontrer un psychologue. Le JAF peut aussi, avant de prendre sa décision, ordonner un examen médico-psychologique, une expertise pédopsychiatrique, ou une expertise psychologique des parents, pour mieux comprendre la problématique de la famille [3].

Instantanés d’entretiens

« Je veux que mon sang respire 
(Alissa, 8 ans)
« Mon papa, il veut me faire parler au tribunal. C’est difficile, car moi je suis bien avec mon papa et avec ma maman » ; « J’ai envie que mes parents reviennent ensemble, j’essaie de supporter l’idée que ça ne se fera pas. »
(Éva, 8 ans)
« C’est pénible pour moi de parler de tout ça [sa mère, partie en vacances en Allemagne, ne revient pas]. Ma colère, c’est 5 sur 10, et ma tristesse, 5 sur 10 aussi. »
(Axel, 14 ans)
« Je suis là parce que j’avais rendez-vous. »
(Maxime, 14 ans)
« Et pourquoi moi je n’ai pas le droit de divorcer de mon père, puisque ma mère le fait ? »
(Lucy, 9 ans)

13Qu’est-ce qui est le plus dur, pour vous ?

14L. D.-P. : les entretiens avec les plus jeunes, qui ont entre 8 et 10 ans ; cela me touche de voir combien ils sont bouleversés, pris en étau entre leurs parents qui se déchirent. Je me sens impuissante face à leurs larmes et à leur incompréhension. Les enfants plus âgés ont appris à faire avec.

15Autre cas douloureux : lorsque la relation s’est dégradée entre l’enfant et l’un de ses parents, et qu’ils ne se fréquentent plus. L’enfant souffre parce que son père ou sa mère ne veut pas le prendre avec lui, ou alors, il refuse de voir l’un de ses parents. « Le juge décide de notre vie, ce n’est pas juste, me confie Estelle, 11 ans. Je ne veux pas aller chez mon père, il me fait peur. C’est comme si on me demandait de manger des tomates à la cantine ». Un père qu’elle nomme par son patronyme, « M. Dubois », comme si elle avait du mal à prononcer les mots « mon père ». Je ne fais jamais de leçon de morale, ce n’est pas mon rôle. Par contre, je rappelle la loi : « Le droit prévoit que tu vois tes deux parents ; le juge va te demander pourquoi tu refuses de voir ton père/ta mère ; il va te poser des questions désagréables, dire des choses avec lesquelles tu n’es pas d’accord. Il faut t’y préparer. »

Une association dédiée aux mineurs

L’association L’Avocat et l’Enfant, dont Laure Dilly-Pillet est présidente, est née en 1993, trois ans après la ratification par la France de la Convention Internationale des droits de l’enfant.
Composée de 80 avocats du barreau de Montpellier, elle défend les droits des mineurs, au civil, et au pénal, en cas d’actes de délinquance. Elle intervient également dans les collèges et les lycées sur des thèmes comme « la violence à l’école » ou « les incivilités », et propose des consultations, gratuites et anonymes, pour les jeunes de 12 à 25 ans.
A. L.
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Association L’Avocat et l’Enfant
Maison des Avocats
14, rue Marcel de Serres
34000 Montpellier
Tél. : 04 67 56 35 78

16Comment réagissez-vous quand vous sentez que l’enfant est « téléguidé » par un parent ?

17L. D.-P. : Ce téléguidage est parfois inconscient. Le parent ne réalise pas qu’il transmet, sans les verbaliser, des injonctions auxquelles l’enfant répond. J’ai rencontré une fratrie dont l’aînée, 14 ans, voulait suivre sa mère en Bretagne. Le second, 10 ans, refusait d’« abandonner » son père, qui était désespéré à l’idée de perdre un lien régulier avec ses enfants. « Je veux rester avec lui à Toulouse, déclarait l’enfant, je ne m’entends ni avec ma mère, ni avec ma sœur. » Il remettait un peu de justice, dans un contexte qu’il trouvait trop difficile pour son père. Ou alors, les parents habitent à 50 km l’un de l’autre, et l’enfant demande la résidence alternée, pour les voir « autant chacun ». Je lui précise : « Le juge va peut-être trouver cela compliqué à organiser. Comment allez-vous faire pour l’école ? »

18Je perçois vite si l’enfant n’est pas sincère. Souvent, il n’a pas le choix, il est enfermé dans la parole de l’adulte. J’essaie alors d’entrouvrir la porte, sans insister. Face à un enfant qui « récite sa leçon », je conseille au juge de s’interroger sur son discernement. Généralement, il perçoit la même chose que moi et, à l’issue de l’audition, émet des réserves sur les propos de l’enfant.

19L’enfant est-il conscient de l’importance que revêt sa parole ?

20L. D.-P. : Oui, c’est la raison pour laquelle elle est si complexe à recueillir. Chaque parent attend que l’enfant donne une version de l’histoire qui appuie sa propre demande. Dans un contexte conflictuel, je déculpabilise l’enfant : « C’est bien de rencontrer le juge, pour exprimer ton opinion, mais personne ne se fâchera si tu changes d’avis. » Il faut être solide, pour demander une audition ! L’enfant doit être sûr que quoiqu’il dise, il conservera l’affection de ses parents, car il est terrorisé à l’idée de perdre cet amour inconditionnel – et je suis bien placée pour observer que, parfois, certains parents s’éloignent… C’est pour cela que je suis présente à ses côtés, et que je ne juge jamais ses parents. S’il ne souhaite pas rencontrer le JAF, je lui rappelle que c’est son droit. Il ressort alors de mon bureau avec le sourire, rassuré. C’est l’essentiel.

Notes

  • [1]
    L’article 388.1 du Code civil prévoit que tout mineur capable de discernement est en droit d’être entendu (par un juge) dans une procédure le concernant. Le bâtonnier peut désigner un avocat d’enfant pour l’accompagner. L’avocat n’est pas payé par l’un ou l’autre parent, mais indemnisé par l’État, comme un avocat commis d’office.
  • [2]
    Voir p. 38.
  • [3]
    Voir p. 40.
Laure Dilly-Pillet
Avocate d’enfant au barreau de Montpellier. Elle préside l’association L’Avocat et l’Enfant.
Propos recueillis par 
Anne Lamy
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Mis en ligne sur Cairn.info le 21/12/2015
https://doi.org/10.3917/epar.615.0035
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