Question de départ et objectifs
1Les psychologues rencontrent de plus en plus des patients d’origines culturelles variées et ils n’ont pas à leur disposition de tests psychologiques adaptés aux enfants de migrants et à tous les enfants vivant en situation transculturelle. Comment évaluer sur le plan psychologique les enfants de migrants alors qu’aucun test n’est validé dans cette population ? Or sur le plan international, il existe un test qui explore les questions identitaires et qui n’est pas encore validé en France : il s’agit du TEMAS. Le Tell-Me-A-Story est le premier test projectif et narratif multiculturel conçu pour enfants et adolescents appartenant ou pas à des minorités, âgés de 5 à 18 ans (Costantino, Malgady, Rogler, 1988, 2007). Il a été construit et validé en anglais aux États-Unis puis validé en italien (Fantini & al, 2010). Il est conçu afin de stimuler la manifestation de conflits liés au développement et à la situation multiculturelle. Dans ce travail on propose une étude de trois cas (groupe minoritaire, version courte du TEMAS) : à partir de l’analyse des scores et grâce à l’analyse transversale des cas, les deux principaux objectifs de cet article sont : de réfléchir sur la filiation et sur les affiliations et de mieux comprendre comment ces enfants peuvent s’apaiser dans leur construction identitaire.

Méthodologie
2Pour pouvoir évaluer sur le plan psychologique des enfants de migrants, nous avons utilisé le premier test narratif multiculturel. La population de notre recherche est constituée de 300 enfants âgés de 5 à 10 ans. La valeur clinique du TEMAS réside dans l’utilisation de stimuli susceptibles de faire émerger les fonctions affectives, cognitives et de personnalité. La plupart des images du TEMAS représentent une scène qui montre de façon antinomique un conflit intra ou interpersonnel. La résolution de situations antinomiques représentées dans les images du TEMAS reflète le fonctionnement de la personnalité. La théorie sous-jacente au TEMAS intègre l’idée selon laquelle la personnalité se développe à l’intérieur d’un système socioculturel (Fantini & al. 2007). Il existe deux jeux distincts de planches TEMAS : la version « groupes minoritaires » et la version « groupes non minoritaires ». En ce qui concerne la structure du test, le TEMAS mesure 9 dimensions de personnalité, 7 dimensions affectives, 18 dimensions cognitives.
Étude de cas. Des narrations génératrices
3On analysera les productions narratives de deux filles et un garçon de différentes origines culturelles afin de mieux comprendre leurs processus de construction identitaire. CAS 1. Irina : C’est une fille de 10 ans. La mère et le père sont originaires de Madagascar. Á la maison on parle le Français et le Malgache. Cas 2. Myrhiam : C’est une fille de 9 ans et 7 mois. La mère et le père sont originaires du Maghreb. Á la maison on parle le Français et l’Arabe. CAS 3 Aden : C’est un garçon de 13 ans. La mère et le père sont nés au Pakistan. À la maison on parle l’Urdu. Dans l’analyse transversale des trois cas, il est intéressant de remarquer comment les trois protocoles nous permettent d’envisager la question liée au développement identitaire et à l’idée que la personnalité se développe à l’intérieur d’un système socioculturel. Au sein de ce système, les individus internalisent les valeurs et les croyances culturelles de la famille et de la société. En particulier, l’analyse de ces trois cas nous permet d’aborder la thématique du développement identitaire et de parler non seulement d’altérité dans les termes de l’autre extérieur à nous, mais aussi de l’altérité à l’intérieur de nous. Le mot même « id-entité » renferme sa nature double : identification et détermination. Dans la rencontre des cultures et des hommes, l’identité est souvent en souffrance. La caractéristique centrale du processus de développement identitaire réside dans sa fluidité, dans ce que le sujet reçoit et intériorise du monde familier qui l’entoure, et qui doit être réélaboré en fonction d’une nouvelle continuité existentielle, fruit du passé, mais conjuguée avec l’expérience présente.
Discussion et premiers résultats
4Le but de cette discussion est de montrer que le TEMAS est un instrument original, nouveau et capable de fournir des données psychologiques multiculturelles utiles pour évaluer les enfants d’une manière adaptée quel que soit leurs parcours langagiers et culturels. On a choisi de focaliser l’attention sur un aspect qui a émergé de l’analyse transversale des productions narratives des enfants à la planche N 22. La planche N 22 du TEMAS est la planche qui a pour but d’analyser l’anxiété/dépression, l’épreuve de réalité et l’identité sexuelle. Les récits produits par les enfants ont étés analysés et ont montré leurs difficultés concernant la problématique étudiée. Ce que l’on veut faire dans cette discussion est de proposer une “lecture Autre”. Pour faire cela on a choisi d’utiliser le cas d’Aden, comme prétexte pour signaler le fait que le TEMAS a permis à l’enfant de faire une production narrative imprégnée de sa culture. Ceci est dû au caractère transculturel du test. En faisant une lecture qualitative, on voit que le récit fait par Aden à la planche N 22, montre que l’enfant arrive à bien identifier l’histoire de la planche : « Il part dans la salle de bains, il croit qu’il a peur parce que dans le miroir il a vu moitié fille, moitié garçon ». On note que l’enfant est tellement effrayé qu’il n’arrive pas à trouver des frontières claires entre le rêve et la réalité. Il ne parvient pas à distinguer le fantasme de la réalité et par conséquent il attribue l’hallucination du miroir au pouvoir des djinn. « Après il a pris de l’eau, il a jeté sur le miroir [...] Il a peur, il a appelé ses parents et ses parents ils ont vu. Après il est tombé dans le coma. Ils ont appelé un marabout pour qu’il enlève ce moitié fille, moitié garçon, après il l’a enlevé ». Quels sont les aspects cliniques intéressants à analyser et à discuter ? Et comment doit-on lire cette production narrative ? Ce qu’on voudrait montrer est la nécessité de rechercher une lecture complémentariste des récits afin que les logiques culturelles soient explorées en tant que telles, et puissent être un support aux associations et au matériel clinique (Moro 2002, 2007). Le récit fait par Aden est intéressant car il nous pousse, en tant que psychologues, à nous interroger sur les interactions réciproques entre le “dehors” (la culture) et le “dedans” (le fonctionnement psychique de l’individu). Ces deux structurations se présupposent mutuellement, d’où l’importance d’une lecture complémentariste : psychologique et culturelle. L’enfant de migrants qui grandit en situation transculturelle, acquiert par conséquent une structuration culturelle construite sur un clivage : « c’est-à-dire une séparation entre deux mondes de nature différente et qui entretiennent parfois des relations conflictuelles » (Moro 2006 : 332). Dans son récit, Aden raconte qu’il faut « appeler un marabout pour qu’il enlève le moitié fille, moitié garçon ». Cela nous montre la nécessité d’une lecture complémentariste, car il est évident que la culture définit les catégories qui permettent de lire le monde et de donner un sens aux événements. Les représentations culturelles sont les interfaces entre le dedans et le dehors, elles sont le résultat de l’appropriation par les individus de systèmes de pensée d’origine culturelle (Baubet & al. 2009). C’est-à-dire que le sujet incorpore ses représentations culturelles et les retravaille à partir de ses propres mouvements, ses conflits internes et ses traits de personnalité. La culture permet un codage de l’expérience vécue par le sujet, elle cherche à mettre à la disposition du sujet « une grille de lecture du monde » (Moro 2002 : 157). En conclusion, le but de cette discussion est d’exprimer l’exigence de co-construire avec les enfants des sens culturels sur lesquels viendront s’arrimer des sens individuels.
Conclusion et perspectives
5À nos jours, les grands mouvements de populations amènent des individus de différentes cultures à entrer de plus en plus en contact. Il ne s’agit pas d’une rencontre temporaire et superficielle, mais plutôt d’un vaste partage d’espaces de vie. Il est évident que les enfants de migrants sont appelés à mener une existence de plus en plus située entre deux cultures souvent assez différentes. Leur rôle les oblige à se balancer entre la dimension verticale et la dimension horizontale de l’expérience (Moro 2007). L’objectif de ce travail est de souligner l’importance d’évaluer, sur le plan psychologique, les productions narratives des enfants de migrants. Le TEMAS est un instrument nouveau qui est capable de fournir des données psychologiques multiculturelles utiles pour évaluer les enfants de manière adaptée quels que soit leurs parcours langagier et culturel.