CAIRN.INFO : Matières à réflexion

L’élection de Raymond Aron au Collège de France, le 12 avril 1970, marque un moment important de l’institutionnalisation de la sociologie, de sa reconnaissance comme discipline. Professeur de sociologie à la Sorbonne, spécialiste de la société industrielle, de la stratification sociale, du pouvoir et des élites, mais aussi de la théorie sociologique dans ses divers aspects, Aron est en même temps une personnalité reconnue de la vie intellectuelle et politique, ses prises de position sont abondamment commentées, certains de ses ouvrages, comme L’Opium des intellectuels (1955), dénoncent le règne des idéologies, des visions du monde fermées, incompatibles avec le pluralisme des valeurs des acteurs. Hostile à toutes les conceptions holistiques de la société, Aron est un wébérien fidèle à une sociologie de l’action qui repose sur l’intentionnalité des acteurs, sa démarche de sociologue s’inspire donc de Weber ou encore de Simmel, de Tocqueville ou de Pareto, non de Marx ou de Durkheim. Elle s’éloigne grandement des démarches structuralistes qui influencent à l’époque nombre de recherches dans les sciences sociales et dominent alors la scène intellectuelle française. Sa candidature au Collège de France et son élection triomphale revêtent ainsi une forte importance symbolique. Par-là même, elles s’inscrivent aussi dans l’histoire propre à cette institution. Dès lors, dans une perspective de sociologie historique, de stratégies des acteurs qui s’affrontent au sein de cette institution en fonction de leurs conceptions intellectuelles, mais aussi de leurs intérêts spécifiques, on se propose ici de retracer les péripéties multiples de l’élection de Raymond Aron…

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Raymond Aron a souvent insisté sur ses réserves théoriques à l’égard de la sociologie durkheimienne qu’il considérait comme holiste, et sur sa préférence pour la sociologie de l’action de Max Weber qu’il estimait davantage tournée vers l’histoire et la politique. Dès lors, nous souhaitons d’abord revenir sur la réception, plus que critique, des écrits d’Aron par les héritiers de Durkheim. On se propose ensuite d’analyser le contexte historique et intellectuel de son élection au Collège de France, en avril 1970, où il succède à plusieurs durkheimiens comme Marcel Mauss dont il refuse la conception de la nation considérée comme un tout. On examine les votes successifs des membres du Collège, leurs prises de position, le rôle important dévolu à Claude Lévi-Strauss, et le ralliement final d’Aron à une sociologie durkheimienne à l’égard de laquelle il confesse s’être montré plein d’« injustice ».

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Pierre Birnbaum
Université Paris 1
Pierre Birnbaum est professeur émérite de l’université Paris 1. Il a publié plusieurs ouvrages sur l’analyse comparative des types d’États ainsi que sur la circulation des élites, en particulier en France. Il s’est aussi intéressé à l’histoire comparée des Juifs depuis la période de leur émancipation en étudiant leurs rapports à l’État ainsi que le type d’antisémitisme qui a pu en résulter. Parmi ses ouvrages, on peut citer Géographie de l’espoir. L’exil, les Lumières, la désassimilation (Gallimard, 2004), Où va l’État ? Essai sur les nouvelles élites du pouvoir (Le Seuil, 2018) et La Leçon de Vichy, une histoire personnelle (Le Seuil, 2019).est professeur de sociologie à Sorbonne Université. Directeur de L’Année sociologique fondée par Émile Durkheim, ses domaines de recherche sont la théorie de l’action en sciences sociales et sa relation aux structures sociales. Il s’intéresse en particulier à l’articulation des intérêts individuels, des intérêts collectifs et des normes sociales, et aux problèmes d’explication et de justification de celles-ci, dans leur variation historique. Il étudie spécialement la question des externalités négatives et leur gestion sociale à partir de l’idée de justice.a été directeur de recherche au CNRS et est, depuis 2013, professeur au Collège de France où il occupe la chaire de Sociologie du travail créateur. Il est par ailleurs directeur d’études à l’EHESS. Ses recherches et ses enseignements portent sur le travail, les recompositions du salariat, les carrières dans l’enseignement supérieur et la recherche scientifique, la méritocratie et les arts et industries créatives. Membre des rédactions de la Revue française de sociologie et de la Revue française de gestion, et du comité scientifique de la Revue économique, il a récemment dirigé Le Talent en débat (Puf, 2018) et Big data et traçabilité numérique (avec S. Paye, Éd. du Collège de France, 2017).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 02/08/2022
https://doi.org/10.3917/anso.222.0311
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