Au vu de ces professions de foi pour le moins changeantes et quelque peu vindicatives, peut-on dire qu’une tradition durkheimienne n’a pas seulement fait son entrée au Collège de France en 1931 en la personne du neveu d’Émile Durkheim, Marcel Mauss, mais aussi en 1959, avec l’élection d’un Claude Lévi-Strauss ayant fini par revendiquer hautement son durkheimisme ? Notre réponse sera positive, mais elle le sera au prix de l’introduction dans le jeu d’une autre figure éminente de la mouvance durkheimienne, à savoir Marcel Granet. Ce dernier, en effet, fut le principal inspirateur (le mot est faible) des Structures élémentaires de la parenté, publiées en 1949 par Lévi-Strauss. Nous reprendrons ici, avec des arguments supplémentaires, une thèse défendue dès les années 1990 dans des documents de travail et une suite d’articles (Héran, 1998a : 1-60 ; 1998b : 169-201 ; 1998c : 309-330), puis développée dans deux chapitres de nos Figures de la parenté (Héran, 2009 : chap. 9 et 10).
Mais, avant de reprendre cette démonstration, il est utile de rappeler le « double héritage de Durkheim » mis en évidence par les travaux de Johan Heilbron (1985). Heilbron distingue deux pôles au sein de la mouvance durkheimienne : le pôle des « universitaires », représenté par Célestin Bouglé (1870-1940), Dominique Parodi (1870-1955), Paul Fauconnet (1874-1938), Albert Bayet (1880-1961) ou Georges Davy (1883-1876) et le pôle des « chercheurs », illustré notamment par Marcel Mauss (1872-1950), Henri Hubert (1872-1927), François Simiand (1873-1935), Maurice Halbwachs (1877-1945), Louis Gernet (1882-1962) et Marcel Granet (1884-1940)…