Le conflit entre Émile Durkheim et Gabriel Tarde, bien connu dans ses grandes lignes (Lukes, 1985 [1973] : 302-314 ; Besnard, 2003 : 65-87 ; Fournier, 2007 : 209-213, 233-236, 420-425, 537-541), débute au printemps 1893 par la publication de la thèse de Durkheim, De la division du travail social, sévère à l’égard des Lois de l’imitation, l’ouvrage majeur d’un adversaire voulu. Il se termine, sans perdant ni vainqueur, en mai 1904 avec la mort prématurée de Tarde, élu entre-temps, le 15 janvier 1900, à la chaire de Philosophie moderne du Collège de France. Cette nomination aggrave les relations réciproques, déjà très tendues, des deux rivaux, du fait que Durkheim, « exilé » à Bordeaux, où il est professeur de science sociale depuis juin 1896, et désireux de venir à Paris, renonce à se porter candidat à la même chaire, faute de chances contre un concurrent prédestiné. L’état du conflit entre Durkheim et Tarde pendant les quatre années et demie de Tarde au Collège de France – dernier acte d’une pièce assurément mouvementée – fait l’objet de cette contribution. Je recenserai d’abord les textes et les documents utiles dont on dispose pour l’étudier. Je présenterai ensuite les thèmes, trois notamment, sur lesquels Durkheim et Tarde se sont querellés.
Il ne fait pas doute qu’au tournant du siècle l’attitude de Tarde à l’égard de Durkheim change. Aux débuts de leur dispute, Tarde avait riposté coup pour coup aux critiques de son antagoniste, bientôt ennemi, et avait même fait des incursions sur le terrain de ce dernier…