Cet article porte sur les trois tentatives d’entrée au Collège de France d’Émile Durkheim (1897, 1900 et 1904), qui toutes échouèrent. En contrepoint, on analysera son élection à la Sorbonne en 1902 dans la mesure où elle éclaire ses échecs. Ce sera l’occasion de comparer les deux institutions, les modalités d’élection des candidats. On s’attardera sur la composition des commissions qui ont élu ou rejeté la sociologie et Durkheim. On essaiera de fournir différentes clés explicatives à ces échecs et ce succès, en distinguant celles qui ont trait aux rapports entre les disciplines, celles qui relèvent plutôt de la logique des réseaux d’interconnaissances et celles qui renvoient aux affinités politico-idéologiques. Comme le signalait George Weisz en 1979, la tâche n’est pas simple, car ces élections sont multifactorielles :
En ce qui concerne les nominations, c’est la variété des conditions, des comportements et des stratégies qui est la règle et elle ne se réduit pas à un simple jeu de clusters. Dans chaque cas, différents facteurs s’entrecroisent de façon originale : l’influence de camarades de classe (pour les normaliens par exemple), les jugements des anciens professeurs, des inspecteurs et doyens, l’intérêt scientifique des travaux, la réaction du grand public intellectuel, l’ancienneté et la qualité du patronage dont bénéficie le candidat.
Les trois tentatives d’accès de Durkheim au Collège manifestaient une envie, explicitement exprimée dans sa correspondance avec Lucien Lévy-Bruhl (1857-1939…