Le livre d’Andrew Abbott est issu d’une série de quatre conférences tenues au Collège de France en 2019, dont certaines reprennent des communications antérieures présentées dans d’autres circonstances. Il s’y attaque au problème vénérable de l’opposition entre faits et valeurs. Ce problème, initialement théorisé par Hume, est devenu un objet central de la sociologie, notamment dans les œuvres de Durkheim et de Weber qui, comme on le sait, proposent des solutions très différentes face à cette antinomie. Abbott entreprend de contribuer à dépasser cette opposition en s’appuyant sur l’idée d’une sociologie « processuelle » qu’il a déjà esquissée dans un autre ouvrage. Ces quatre conférences commentent les apports de grands auteurs de la tradition philosophique, sociologique et économique qui ont contribué à la définition et à l’éventuelle résolution de la question. Abbott entend alors dépasser ces contributions pour apporter une nouvelle approche pointant sur le « temps épais » mis en évidence par cette perspective processuelle qui insiste sur un changement permanent des normes sociales.
La première conférence traite de la théorisation, présentée comme fondatrice, de l’opposition entre faits et valeurs engagée par Emmanuel Kant. Elle montre la genèse, chez le philosophe, de l’idée d’une liberté associée à la rationalité d’un choix définissant des valeurs universalisables. Abbott associe ainsi à sa suite la définition des valeurs à un engagement « libre » en faveur de celles-ci, dans une perspective universaliste, et reconstitue le raisonnement de Kant qui conduit à cette théorisation…