1La sociologie s’intéresse depuis ses origines – et l’on songe à Émile Durkheim, Karl Marx, Georg Simmel ou Max Weber – aux intrications existant entre les phénomènes économiques et sociaux [1]. Cet intérêt, qui paraît s’être essoufflé provisoirement dans la première partie du xxe siècle (Smelser & Swedberg, 2014), malgré les contributions remarquées de Joseph Schumpeter, Talcott Parsons ou Karl Polanyi, a connu une renaissance à partir des années 1980, notamment à la suite de la publication d’un article programmatique de Mark Granovetter (1985) dans l’American Journal of Sociology. Le regain d’intérêt pour ces questions a abouti à l’institutionnalisation d’un champ de la discipline – la sociologie économique – qui a, depuis, produit d’importantes contributions. L’idée qui y domine, et qui tire son origine des réflexions du professeur de Granovetter, Harrison White, est qu’une situation de marché est mal décrite si on ne tient pas compte des structures sociales dans lesquelles elle s’inscrit (White, 1970 ; 1981). La mise en évidence d’un tel encastrement (embeddedness) de l’économique et du social a permis de souligner la dépendance des acteurs d’un marché à la réalité à la fois historique (par ex. : Garcia, 1986) et topologique dans laquelle ils produisent leurs actions, ainsi qu’à diverses contraintes socio-spatiales (Granovetter, 1990) ou cognitives (Di Maggio, 1988 ; Powell & DiMaggio, 1991). Notre étude s’inscrit, pour sa part, dans un autre thème fort de la sociologie économique : celui qui souligne la nécessité d’opérer une distinction entre la notion de valeur économique, et celle de valeur sociale.
2L’une des figures les plus reconnues de la nouvelle sociologie économique, Viviana Zelizer, a particulièrement insisté sur l’indigence de l’approche économique classique pour rendre compte de la réalité de certains échanges – on songe à ses recherches sur le marché de l’assurance-vie, ou encore, sur la notion de valeur sacrée qui s’attache à l’enfance au xxe siècle (Zelizer, 1979 ; 1985 ; voir également Dobbin, 1994 ; Abolafia, 1998). Cette critique générale est d’ailleurs endossée par des économistes (par ex. : Ben-Ner & Putterman, 1998 ; Sen, 1977 ; Vanberg, 1994), et il serait inexact d’affirmer que l’économie orthodoxe n’intègre pas elle-même dans ses modèles certains facteurs de la vie sociale, comme l’a fait remarquer Alain Wolfelsperger (2001). Ce serait en effet ne pas tenir compte de travaux, pas si rares, qui tentent d’associer des aspects relevant de la morale ou du prestige social, par exemple, aux modèles économétriques (par ex. : Gächter & Fehr, 1999). Pourtant, les intrications complexes entre des logiques de marché et des variables sociales, telles que mises en évidence en France par Philippe Steiner (2001 ; 2010) au sujet du marché du don d’organes, ou Pierre-Marie Chauvin (2011) au sujet de celui du vin, ne se laissent pas saisir facilement par une forme d’algèbre linéaire qui préside aux modèles économétriques. Parmi tous les objets qui charrient des enjeux symboliques, émotionnels ou relationnels, il nous a semblé que l’un d’entre eux a été assez peu exploré de façon formelle : celui de la notoriété lorsqu’elle se convertit en bénéfice économique. Sans chercher à nous inscrire pleinement dans le champ de la sociologie économique, il nous semble que la question que nous souhaitons soulever relève d’un de ses objets de prédilection : la transformation d’une caractéristique sociale en capital économique.
3Il ne fait aucun doute que, sous certaines conditions au moins, la notoriété dont jouit un individu est susceptible d’être convertie en ressources économiques (Kurzman et al., 2007). Ce fait est même devenu l’un des supports de l’industrie du divertissement. Ainsi trouve-t-on par exemple des sportifs professionnels particulièrement célèbres dont les revenus sont majoritairement composés de recettes publicitaires [2]. Pour aller au-delà de tels constats très généraux, il est nécessaire de conceptualiser adéquatement la notoriété afin de pouvoir analyser au cas par cas les logiques qui sous-tendent sa potentielle conversion économique, de caractériser les acteurs sociaux qui en bénéficient, de repérer les lieux où elle se produit, voire d’en quantifier l’ampleur en fonction de la situation étudiée.
4Pierre Bourdieu fut l’un des premiers sociologues à considérer explicitement que la notoriété, qui distingue un individu du « fond indifférencié, inaperçu, obscur, dans lequel se perd le sens commun », forme une espèce particulière de capital (Bourdieu, 1976 : 93). Si, dans son article de 1976, Bourdieu centrait son propos sur le monde scientifique, sa remarque peut fort bien être élargie à d’autres domaines. C’est ce que propose Nathalie Heinich, dans un livre consacré à la notion de « visibilité ». Elle insiste, elle aussi, sur l’importance de considérer la visibilité comme un capital (Heinich, 2012 : 45), tout en distinguant cette notion de celle de notoriété, qui ne mettrait pas suffisamment l’accent sur le rôle clé joué par l’image dans les métamorphoses sociales liées à la célébrité [3]. Par ailleurs, Bourdieu prolongera sa réflexion sur la notoriété en proposant le concept de « capital symbolique » (Bourdieu, 1994 : 161), jugé trop peu discriminant analytiquement par Heinich, dans la mesure où il intègre indifféremment les notions d’honneur, de réputation, de considération, de grandeur, de célébrité, ou encore, de visibilité (Heinich, 2012 : 45).
5Parallèlement, tous ceux, ou presque, qui se sont penchés sur la question de la notoriété en ont souligné une caractéristique descriptive centrale : celle d’asymétrie informationnelle [4]. Cette dernière est clairement exprimée sous la plume de Charles Wright Mills par exemple, qui écrivait à propos des célébrités : « Les gens qui les connaissent dépassent en nombre ceux qu’elles connaissent » (Mills, 1956 : 75). Le sociologue américain ajoutait : « On les reconnaît avec un intérêt passionné mêlé de respect ». Pour trivial que puisse paraître ce constat, l’asymétrie informationnelle est sans doute la meilleure prémisse pour rendre compte de la conversion possible du capital de notoriété en capital économique. En effet, cette asymétrie crée un différentiel de ressources fondateur du capital de visibilité qui a alors « toutes les caractéristiques d’un capital au sens classique (économique) du terme : il constitue […] une ressource mesurable, accumulable, transmissible, rapportant des intérêts, et convertible » (Heinich, 2012 : 43-46).
6Cette asymétrie peut être formalisée de la façon suivante : As = N / n, où As représente numériquement cette asymétrie au sujet d’une personne donnée, n le nombre d’individus connus de la personne et N le nombre d’individus connaissant la personne. Lorsque la valeur As est de 1, cela correspond à la situation où l’individu connaît, ni plus ni moins, tous ceux qui le connaissent. As tend vers l’infini lorsque la notoriété de la personne va croissant. La valeur n ne pose pas vraiment problème, elle est variable selon le sexe, la situation professionnelle, les engagements militants et associatifs, etc., mais elle peut être approchée par une constante de centralité que les résultats de la sociologie des réseaux nous permettent de cerner. Évidemment, comme le précisent Alain Degenne et Michel Forsé : « La taille de l’univers social d’une personne est étroitement liée à la question posée et à la facette du réseau qui est exploré » (Degenne & Forsé, 1994 : 28). Ainsi, certains chercheurs (par ex. : Freeman & Thompson, 1989) ont établi que nous connaissons, ou avons connu de façon plus ou moins distante, 5 000 personnes en moyenne. Ce qui peut sembler considérable, mais ce chiffre diminue beaucoup lorsque l’on s’intéresse à un entourage plus immédiat, puisqu’une centaine de personnes seulement seraient alors concernées (Fisher, 1982 [1948]) – un résultat cohérent avec l’estimation de l’anthropologue-biologiste Robin Dunbar (1993), qui a déduit du volume relatif du néocortex humain que le nombre moyen de personnes avec lesquels un individu peut entretenir des relations suivies est de 150 environ. Enfin, François Héran a montré que l’on pouvait, en une semaine, avoir des conversations non strictement professionnelles avec un maximum de 80 personnes, la moyenne se situant à 17 (Héran, 1988).
7Ces estimations, établies avant la diffusion massive d’Internet, auraient sans doute à être révisées après l’apparition des réseaux sociaux numériques. Les célèbres « six degrés de séparation » entre deux individus pris au hasard, tels que mesurés par l’expérimentation de Jeffrey Travers et Stanley Milgram (1969 ; pour une réplication, voir Dodds, Muhamad & Watts, 2003), par exemple, ont été ramenés à 3,5 par l’entremise de Facebook (Bhagat et al., 2016). Cette mesure montre qu’Internet, en densifiant les ressources des réseaux sociaux, permet de mettre plus facilement en contact des personnes que l’espace géographique sépare. Cependant, les variations de la valeur de n sont négligeables au regard de notre sujet, puisqu’elles se situent probablement dans une fourchette relativement étroite si l’on considère des personnes vivant dans une même société à une même époque. La véritable inconnue de l’équation de la notoriété est donc N. À défaut de pouvoir la déterminer directement, nous proposons dans la suite de cet article une méthode permettant d’établir la valeur d’asymétrie informationnelle relative de chaque individu au sein d’un ensemble de personnes plus ou moins célèbres.
8De nombreux travaux de sociologie ont visé à établir des typologies liées à la notoriété. C’est notamment le cas de l’approche de Leo Löwenthal [5], qui proposa dès le milieu des années 1940 une typologie historique des célébrités, qu’il nommait « idoles » ou, plus récemment, de celle d’Alain Chenu (2008), qui distingue différents types de parcours d’accès à la célébrité [6]. Par contre, si des sociologues (Morin, 2015 [1957] ; voir aussi Rojek, 2001 ; Erner, 2016) ou des psycho-sociologues (par ex. : Brim, 2009) ont évidemment constaté depuis longtemps l’existence d’une conversion possible de la notoriété en capital économique, ils ne sont à notre connaissance pas parvenus à en fournir une approche formalisée. Il faut reconnaître que cette conversion n’est pas simple à cerner d’un point de vue analytique. Pour le faire, il faut en effet être en mesure de quantifier avec suffisamment de précision la notoriété dont jouissent certains individus à une époque et dans une société données. Or, il s’agit là d’une entreprise dont la complexité apparente a pu freiner les ardeurs des chercheurs. Ainsi, selon Alain Le Diberder (2006 : 227), la notoriété, contrairement à la rémunération économique, ne pourrait qu’être approximativement mesurée, « d’où son expulsion du champ de la connaissance objective, sinon comme un à-côté, comme un phénomène parasitaire venant perturber les solides lois du marché ».
9L’entreprise est plus complexe encore lorsque la notoriété relève d’une constitution de niche. Il se trouve en effet des individus, et les réseaux sociaux en attestent, qui captent et retiennent l’attention d’un nombre important de personnes, sans pour autant correspondre à l’idée spontanée que l’on se fait de la notoriété. Ainsi, pour n’en prendre qu’un exemple, certains youtubeurs sont suivis par des milliers d’abonnés, et leurs vidéos visionnées des millions de fois, mais leur nom ou leur visage ne serait probablement pas reconnu par la majorité de leurs concitoyens. De ce fait, ils passeraient sous le radar d’un outil classique de détection de la notoriété comme le sondage. De nombreux articles parus dans la presse scientifique ont identifié ce phénomène sous le terme de « micro-célébrité ». Ce terme a initialement été utilisé par Theresa Senft (2008) pour désigner les jeunes filles qui mettaient en scène leur vie quotidienne devant des webcams et diffusaient ces images sur Internet. Certaines d’entre elles obtinrent de cette façon une notoriété de niche indéniable. Ainsi, le site Internet de Jennifer Ringley, une étudiante américaine qui à 20 ans fut l’une des pionnières des « camgirls », suscitait déjà près de 500 000 visites par jour en 1998 : il offrait d’observer la chambre de la jeune fille en continu.
10Depuis son invention, le terme de micro-célébrité a été beaucoup utilisé pour désigner le « personnal branding », c’est-à-dire la pratique consistant à faire de son nom ou de son image une marque (Gamson, 2011 ; Marwick, 2013a ; 2013b ; Marwick & Boyd, 2011). En ce sens, il renvoie à deux phénomènes. D’une part, le fait de se considérer comme une star et d’agir selon les codes sociaux qui paraissent idoines (Marwick, 2013a : 115) et, d’autre part, le fait de jouir d’une certaine visibilité de niche mesurable en volume de visites sur son site Internet, ou en nombre de followers sur les réseaux sociaux. C’est pour distinguer notre réflexion du premier aspect de la micro-célébrité que nous préférerons utiliser le terme proche de micro-notoriété. Cette notion implique, selon l’acception que nous avons exposée plus haut de la notoriété, une forme d’asymétrie informationnelle (où N > n et, donc, As > 1). Celle-ci se situe sur un continuum allant de la personnalité localement célèbre, à l’auteur qui connaît du succès en librairie sans néanmoins être reconnu dans la rue, en passant par le youtubeur faisant référence dans le monde des jeux de console, et dont les vidéos recueillent des milliers de vues, mais qui n’a pas pour autant accès aux médias conventionnels [7].
11Le capital de (micro)notoriété sera exploré dans cet article sous l’angle de la capacité qu’ont les individus qui en possèdent à convertir de l’attention en ressources économiques (Citton, 2014a ; 2014b). Nous l’avons évoqué, cette capacité a été plusieurs fois soulignée (par ex., Fairchild, 2007 ; Gamson 2011) mais reste dans la littérature scientifique à un état très descriptif et peu formalisé. Une telle conversion peut se faire par le placement de produits dans une logique publicitaire, aussi bien que par des appels au don auprès de ses « fans », souvent pour soutenir un projet artistique ou humanitaire (Jerslev, 2016 ; Hearn, 2008 ; Lair, Sullivan & Cheney, 2005). Elle peut encore se faire par la proposition d’un service, par exemple une conférence, dont le bénéfice économique pour celui qui le propose sera en partie adossé à son capital de notoriété. C’est du moins l’hypothèse que se propose de tester cet article, qui a pour ambition de décrire formellement la conversion économique du capital de (micro)notoriété telle qu’elle s’opère au sein d’un marché restreint, celui de la conférence rémunérée.
12Pour ce faire, nous proposons une solution méthodologique novatrice et généralisable permettant l’évaluation quantifiée de la notoriété. Il apparaîtra que même si la majorité des conférenciers présents dans notre corpus de données jouissent d’une visibilité sociale relativement ténue, le facteur (micro)notoriété explique à lui seul plus d’un tiers de la variabilité constatée du prix de vente de leurs interventions. Le marché de la conférence rémunérée opère ainsi comme un « sas de conversion » (Le Diberder, 2006 : § 6) du capital de visibilité sociale en capital économique, y compris donc pour des individus modestement connus.
Analyse du marché de la conférence rémunérée
13Le marché de la conférence rémunérée résulte de la rencontre d’une demande de conférences venant du monde entrepreneurial et d’une offre de conférences de journalistes, de scientifiques, de sportifs, de politiques et autres « experts charismatiques » plus ou moins connus. Ces conférences sont généralement commandées par des entreprises à destination de leurs employés, dans l’espoir de faire émerger des idées nouvelles ou de renforcer l’esprit de corps au sein de l’entreprise, ou encore, de permettre aux salariés de prendre du recul sur des questions liées à leur activité professionnelle ou à leur vie privée (Bayle, 2019). En 2018 en France, entre 12 000 et 15 000 conférences de ce type auraient été organisées, le plus souvent directement par les entreprises elles-mêmes (80 % des cas environ), mais également par l’entremise d’agences spécialisées (20 % des cas ; Bayle, 2019). Le montant total investi dans de telles conférences par les entreprises en France aurait atteint en 2018 entre 85 et 100 millions d’euros (ibid.). Selon une récente enquête journalistique publiée dans Le Monde (ibid.), et conformément à ce que nous avons nous-mêmes constaté par des recherches systématiques sur Internet, cinq agences principales semblent se partager le marché français de la conférence – agences parmi lesquelles on retrouve celle qui a accepté de nous transmettre les données analysées dans la présente étude.
14En plus de l’enquête de Nadine Bayle (2019), l’analyse des sites Internet des principales agences françaises de conférenciers et d’une série de documents produits par l’une d’entre elle à destination de ses clients [8], ainsi que les informations qui nous ont été directement communiquées par le directeur d’une autre importante agence française du domaine [9] nous ont permis d’appréhender le fonctionnement global de l’intermédiation assurée par les agences entre la demande et l’offre de conférences. Il en ressort que chaque agence dispose d’un catalogue de conférenciers avec lesquels elle a convenu d’une fourchette de rémunération. La notoriété des conférenciers est un facteur qui est parfois invoqué pour justifier leur tarification auprès des clients des agences [10]. Si quelques conférenciers célèbres peuvent être mis en avant sur les sites Internet des agences, le catalogue complet des conférenciers que chacune d’elles est en mesure de proposer, ainsi que les prix de vente de leurs interventions ne sont pas divulgués publiquement [11]. L’entreprise qui recherche un conférencier pour animer un événement ou pour intervenir dans le cadre d’un séminaire interne, par exemple, doit donc s’adresser à l’agence de son choix en lui indiquant le type d’intervention qu’elle désire, ainsi que le montant qu’elle est prête à investir. L’agence lui propose alors des conférenciers répondant à ses critères et, après s’être assurée de sa disponibilité, organise la venue de celui d’entre eux qui aura été retenu. La somme due pour l’intervention est versée à l’agence, qui rémunère à son tour le conférencier après avoir retenu une commission sur le prix de vente. À noter que certaines agences ont partiellement automatisé l’ensemble de cette procédure en mettant à disposition de leurs clients une plateforme Internet payante sur laquelle ces derniers effectuent eux-mêmes leurs recherches dans le catalogue de conférenciers, et par le biais de laquelle ils peuvent les contacter.
15Il importe de relever qu’un même conférencier peut figurer simultanément dans le catalogue de plusieurs agences. L’exclusivité n’est donc pas la règle. Il en découle une situation de concurrence : une agence qui fixerait des tarifs nettement plus élevés que d’autres agences pour de mêmes conférenciers risquerait de perdre des clients. À l’inverse, une agence dont les tarifs seraient particulièrement bas s’exposerait au risque de ne pas être en mesure d’attirer les conférenciers qu’elle voudrait proposer à ses clients.
Description des données et méthodologie suivie
16En janvier 2018, le directeur d’une importante agence française de conférenciers a accepté de nous transmettre, dans un but de recherche, les listes annuelles de toutes les interventions (hors formations) organisées par son entreprise en 2014, 2015 et 2016. Il s’agit là de données particulièrement sensibles et délicates à obtenir, dans la mesure où les noms des conférenciers qu’une agence est parvenue à réunir dans son catalogue, ainsi que la tarification négociée avec chacun d’entre eux constituent l’essentiel de sa valeur sur le marché. Une agence cherche donc à ce que ces informations demeurent confidentielles. Le fait que les données exceptionnellement mises à notre disposition proviennent d’une agence d’ampleur sur le marché français où elle opère depuis une trentaine d’années, qu’elles portent sur une période de trois ans et qu’elles incluent un nombre important de conférenciers aux profils extrêmement variables (de l’universitaire inconnu du public à l’ancien ministre, en passant par le cuisinier à la mode, voir infra) leur confère une bonne représentativité du marché de la conférence rémunérée en France.
17Au cours d’un entretien mené par l’un des auteurs du présent article, le directeur de cette agence nous a indiqué que les interventions recensées dans les listes mises à notre disposition ont principalement été commandées par de grandes entreprises privées, plus rarement par des entreprises de taille moyenne ou par des institutions professionnelles (fédérations professionnelles, chambres de Commerce, etc.). Le directeur de l’agence soutient que ce qui explique la prédominance des grandes structures parmi ses clients est le fait que « pour les petites structures, les budgets sont assez prohibitifs ». Concernant la durée des interventions, il indique que « le format de base c’est quarante-cinq minutes suivies d’une séance de questions-réponses de vingt minutes ; la tendance est vers des formats plus courts ». Il précise par ailleurs que « le tarif est forfaitaire et ne varie pas en fonction de la durée de la conférence » [12].
18Les trois listes annuelles d’interventions qui nous ont été communiquées par l’agence de conférenciers sont organisées de la façon suivante. Chaque entrée d’une liste comprend :
- 1. le nom du conférencier,
- 2. le nombre d’interventions qu’il a assurées au cours de l’année concernée,
- 3. le prix de vente de son intervention ou, le cas échéant, le prix de vente moyen de l’ensemble de ses interventions de l’année,
- 4. le pourcentage de commission retenu par l’agence sur le prix de vente de son intervention ou, le cas échéant, le pourcentage moyen de commission retenu sur le prix de vente de l’ensemble de ses interventions de l’année.
20La liste de 2014 comporte 189 entrées, celle de 2015 comporte 167 entrées, et celle de 2016 comporte 133 entrées, soit 489 entrées au total. En considérant les trois années ensemble, nous avons établi que le prix de vente moyen d’une intervention s’élève à 6 642,93 euro (min. = 500 euro, max. = 75 000 euro, médiane = 5 500 euro, SD = 6 146,09 euro). La commission retenue par l’agence sur le prix de vente est en moyenne de 27,14 % (médiane = 26,28 %, SD = 11 %).
21Les 489 entrées que comportent nos données concernent 325 conférenciers différents. Nous avons écarté 18 conférenciers de nos analyses ultérieures, car il s’agit d’individus pour lesquels il ne nous a pas été possible d’établir un indice de notoriété fiable (voir infra). Sur les 307 conférenciers restants, 72 sont des femmes et 235 sont des hommes. Quarante-deux d’entre eux sont intervenus au cours des trois années, 69 au cours de deux années et 196 au cours d’une seule année. Par ailleurs, un même conférencier a assuré en moyenne 2,45 interventions par année (min. = 1, max. = 36, médiane = 1).
22Afin de compléter les données dont nous disposions, nous avons recherché sur Internet la profession exercée par chacun des conférenciers retenus dans notre corpus. Nous les avons ensuite regroupés dans des catégories professionnelles correspondant au type d’interventions qu’ils ont été susceptibles d’assurer (par exemple, les présentations d’événements sont généralement assurées par des journalistes ou des animateurs radio/télé, les conférences de vulgarisation par des scientifiques, les conférences de conseil en management par des spécialistes de l’entreprise, les conférences de « team building » par des sportifs ou des entraîneurs, etc.) [13]. Nous avons ainsi catégorisé les 307 conférenciers de la façon suivante : 95 sont des journalistes ou des animateurs radio/télé, 58 sont des scientifiques (économistes, historiens, mathématiciens, physiciens, politologues, sociologues…), 45 appartiennent au monde de l’entreprise (directeurs d’entreprise, entrepreneurs, spécialistes du management), 20 sont des sportifs, d’anciens sportifs ou des entraîneurs de sport, 12 sont des praticiens de la santé (médecins, psychiatres, psychologues), 11 travaillent dans le développement personnel, 10 sont des écrivains, 10 sont des philosophes, 8 sont d’anciens ministres, 6 sont des analystes en consommation, en numérique ou en marketing. Les 32 conférenciers restants exercent vingt-quatre professions différentes (acteur, cuisinier, photographe, négociateur, ingénieur, fonctionnaire d’État, pilote de chasse… ; au maximum 3 conférenciers par profession).
23Nous nous sommes conformés à la méthodologie suivante pour déterminer si, et dans quelle proportion, la visibilité sociale des conférenciers exerce une influence sur la valeur économique de leurs interventions. Premièrement, nous avons calculé un indice de notoriété relative (INR) pour chacun des conférenciers de notre corpus selon la méthode décrite dans la section suivante. Deuxièmement, nous avons procédé à une analyse de régression pour établir la proportion de la variance du prix de vente des interventions qui s’explique par l’INR des conférenciers. Le prix des interventions pouvant par ailleurs potentiellement varier selon que le conférencier est un homme ou une femme, selon son domaine d’activité professionnelle, ou encore, selon la fréquence de ses interventions, nous avons tenu compte dans cette analyse du sexe des conférenciers, de leur profession, du nombre d’années au cours desquelles ils sont intervenus sur les trois ans que couvre notre corpus, ainsi que du nombre d’interventions qu’ils ont assurées par année. Finalement, en ne considérant cette fois que les conférenciers scientifiques présents dans notre corpus, nous avons cherché à déterminer si, parallèlement à leur notoriété, la fixation du prix de vente de leurs interventions est également fonction de la réputation scientifique dont ils jouissent auprès de leurs pairs (réputation que nous avons opérationnalisée par leur indice d’impact scientifique individuel, ou H-index).
Influence de la (micro)notoriété sur le prix des conférences
24La question de la mesure du capital de visibilité n’est pas vierge. Elle a en effet donné lieu à toutes sortes d’approches en sociologie ou ailleurs. On peut ainsi tenter d’évaluer la notoriété de personnalités par sondage, par comptage du nombre de mentions dans la presse, par estimation de la taille de leur fan-club, par mesure du volume de visites enregistrées sur leur site Internet, etc. (voir par ex. : Fowles, 1992). Il est également possible de calculer un Q-score ou Q-Rating correspondant à l’attrait d’un échantillon de sujets pour une personnalité donnée (Rein et al., 2006). De son côté, Alain Chenu a établi des « scores de célébrité » à partir du nombre de couvertures du magazine Paris Match dont des personnalités ont fait l’objet sur la période 1949-2005 (Chenu, 2008). Si toutes ces tentatives de mesure de la notoriété sont intéressantes, elles sont souvent peu extrapolables à d’autres types de recherches que celles pour lesquelles elles ont été développées. Elles sont particulièrement peu opérationnelles au sujet d’individus qui, sans être des inconnus, ne font pas les premières pages des magazines people et ne seraient sans doute pas même identifiés au travers d’un sondage – ce qui correspond à la majorité des personnes présentes dans notre échantillon de conférenciers [14].
25Pour approcher ces formes plus modestes et évanescentes de visibilité sociale, notre stratégie a été de mesurer les traces désormais détectables de l’activité sociale laissées par les individus sur Internet. En effet, les recherches Google [15] constituent autant de témoignages de la curiosité et de l’intérêt du public à l’égard d’un sujet ou d’une personnalité donnés. Dans cette étude, nous avons donc postulé que les personnes qui jouissent d’une certaine notoriété sont davantage recherchées sur Internet que les personnes peu ou pas connues. Pour évaluer le niveau de notoriété des conférenciers présents dans notre corpus de données, nous avons dès lors mesuré le volume relatif des recherches Google dont chacun d’entre eux a fait l’objet en France l’année ou les années au cours desquelles il a assuré une ou plusieurs interventions. La méthode que nous avons développée pour y parvenir repose sur le recours à Google Trends.
26Google Trends est un logiciel en ligne mis à disposition par Google qui permet d’évaluer « la proportion de recherches portant sur un mot-clé donné dans une région et pour une période spécifiques, par rapport à la région ou la période où le taux d’utilisation de ce mot-clé est le plus élevé » [16]. Cette proportion de recherches est reportée sur une échelle de 0 à 100 ; 100 indiquant la région ou la période où l’utilisation du mot-clé en question a été la plus intense. Google Trends permet de plus de comparer le volume respectif des recherches portant sur deux termes différents pour une région et une période définies. Le résultat d’une telle comparaison se présente sous la forme de deux valeurs numériques correspondant chacune au volume moyen des recherches d’un des termes pour cette période et cette région, ces deux valeurs étant relatives l’une à l’autre. Autrement dit, cet outil indique lequel des deux termes a été plus recherché que l’autre, et dans quelle proportion. À noter que Google Trends ne permet cependant pas de déterminer le nombre absolu de recherches dont un terme a fait l’objet sur une quelconque période ou région [17].
27Afin de mesurer le volume de recherches dont chacun des conférenciers de notre corpus a fait l’objet, nous avons utilisé la possibilité offerte par Google Trends de comparer les recherches portant sur deux termes différents. Pour pouvoir exploiter cette possibilité dans le cas qui nous concerne, il nous a fallu choisir un référentiel commun auquel comparer les recherches annuelles faites en France sur chaque conférencier. Pour que cette comparaison soit fiable et qu’elle puisse s’appliquer de la même manière aux trois années successives sur lesquelles portent nos données, nous avons déterminé que le référentiel commun de comparaison doit être un terme répondant aux trois critères suivants : il doit faire l’objet d’un volume de recherches relativement constant au cours d’une même année (i.e., pas de pics importants de recherches durant l’année), ce volume doit être relativement stable sur les trois années (i.e., pas de hausse ou de baisse sensible sur les trois ans) et, finalement, ce volume ne doit pas être trop important par rapport aux volumes de recherches dont ont fait l’objet les conférenciers, afin de ne pas les écraser complètement (en effet, si l’on compare sur Google Trends un terme peu recherché à un terme très recherché, le volume de recherches moyen du premier est indiqué comme nul relativement au second).
28À la suite de quelques essais, nous avons établi que le terme de recherche « Raymond Boudon » (en précisant la catégorie « sociologue » proposée à son sujet par Google Trends) répondait à ces trois critères pour les années 2014, 2015 et 2016 en France. En effet, durant cette période, le nom du sociologue décédé en avril 2013 a été utilisé sur Google de façon relativement stable et constante, et son niveau de notoriété, suffisant pour susciter un volume de recherches Internet clairement détectable, n’est pas non plus élevé au point d’écraser celui des conférenciers présents dans notre corpus de données. Le fait d’avoir choisi comme référentiel une personne décédée avant la période considérée n’est pas indifférent. Cela diminue en effet le risque que les recherches Google portant sur son nom ne soient affectées par des événements d’actualité la concernant, comme son actualité éditoriale, par exemple, ou l’annonce de sa mort (le décès d’une personnalité correspond presque toujours au maximum d’activité de recherches à son sujet sur Internet ; Bronner, David & Del Buono, à paraître).
29Nous avons ainsi comparé sur Google Trends le volume de recherches de chacun des conférenciers à celui de Raymond Boudon, en spécifiant la période et la région d’intérêt (i.e., 2014, 2015 ou 2016 ; France) et en précisant toutes les fois que cela était possible la profession du conférencier telle que suggérée par Google Trends (par ex., « François Dupont, animateur télé »). Pour un conférencier donné, l’année de comparaison est celle durant laquelle il a assuré une ou plusieurs interventions. Pour les conférenciers qui sont intervenus au cours de deux ou trois années, une comparaison distincte a été effectuée pour chaque année (la notoriété d’un individu pouvant évoluer d’une année à l’autre). Une fois la comparaison effectuée entre l’un des conférenciers et Raymond Boudon, la valeur correspondant au volume de recherches annuel moyen du conférencier a été divisée par celle donnée relativement pour Raymond Boudon. Le produit de cette division constitue l’INR de ce conférencier pour l’année en question [18].
30Précisons que nous n’avons pas établi d’INR pour les conférenciers étrangers qui n’exerçaient pas tout ou partie de leur activité professionnelle en France. En effet, ces conférenciers sont susceptibles de jouir d’une notoriété plus ou moins forte dans leur pays, mais il ne nous était pas possible d’en tenir compte dans la mesure où le volume de recherches Internet du référentiel de comparaison commun (« Raymond Boudon, sociologue ») aurait connu des fluctuations par pays, ce qui aurait de fait rendu caduque toute comparaison avec le reste des conférenciers. Ces conférenciers ont donc été écartés de nos analyses, tout comme ceux pour lesquels l’existence d’homonymes plus ou moins recherchés sur Internet ne permet pas d’assurer que l’INR établi reflète bien leur propre notoriété plutôt que celle d’un tiers.
31Au final, nous avons donc calculé 462 INR : un pour chacun des 307 conférenciers retenus (sur 325 initialement) et pour chaque année au cours de laquelle il est intervenu. Pour chaque conférencier qui est intervenu deux ou trois années, nous avons moyenné ses INR annuels, les prix de vente (moyens) de ses interventions annuelles, ainsi que le nombre d’interventions qu’il a assurées durant chaque année. Dès lors, chacun des conférenciers retenus dans notre corpus (N = 307) est associé à un seul INR, à un seul prix de vente et à un seul nombre d’interventions annuelles, indépendamment donc du nombre d’années au cours desquels il est intervenu.
32Les valeurs d’INR et de prix de vente pour l’ensemble des conférenciers sont exposées dans le Tableau 1. Ces deux variables ont été normalisées par transformation racine cubique, puis nous avons conduit une régression linéaire multiple afin de caractériser la relation qu’entretient le prix de vente des interventions des conférenciers avec leur INR, ainsi qu’avec leur sexe, leur profession, le nombre d’années au cours desquels ils sont intervenus et le nombre d’interventions annuelles qu’ils ont assurées. Il en ressort que notre modèle permet d’expliquer 33 % de la variance du prix de vente des interventions (R2 ajusté = 0,33, F(14, 292) = 11,60, p < 0,001 ; voir Tableau 2). Dans le détail, on observe que le seul facteur qui influence significativement le prix de vente des interventions est l’INR des conférenciers. Le Graphique 1 représente visuellement la relation entre l’INR des conférenciers et le prix de vente de leurs interventions.
Tableau 1. – Prix de vente des interventions et indices de notoriété relative des conférenciers
Prix de vente des interventions (en euro) | Indices de notoriété relative des conférenciers | |||||||
Moyen | Min. | Max. | Médian | Moyen | Min. | Max. | Médian | |
Ensemble des conférenciers (N = 307) | 6 188,05 | 500,00 | 55 000,00 | 5 292,12 | 0,45 | 0 | 8,33 | 0,07 |
Hommes (N = 235) | 6 409,25 | 500,00 | 55 000,00 | 5 300,00 | 0,49 | 0 | 8,33 | 0,07 |
Femmes (N = 72) | 5 466,10 | 592,00 | 25 000,00 | 5 146,06 | 0,34 | 0 | 6,50 | 0,05 |
Tableau 1. – Prix de vente des interventions et indices de notoriété relative des conférenciers
Tableau 2. – Régression linéaire multiple portant sur l’ensemble des conférenciers (N = 307) ; variable dépendante : prix de vente des interventions (normalisé)
Variables indépendantes | Paramètres (b) | Erreurs types | Valeurs t | Valeurs p |
(Intercept) | 14,24 | 0,72 | 19,68 | < 0,001 *** |
Indice de notoriété relative (normalisé) | 4,82 | 0,43 | 11,11 | < 0,001 *** |
Sexe (0 = F ; 1 = H) | 0,68 | 0,44 | 1,56 | 0,12 |
Nombre d’années d’interventions | 0,30 | 0,27 | 1,11 | 0,27 |
Nombre d’interventions par année | -0,03 | 0,07 | -0,44 | 0,66 |
Professions : | ||||
Journalistes/ animateurs | 0,51 | 0,63 | 0,82 | 0,41 |
Scientifiques | -0,46 | 0,67 | -0,68 | 0,50 |
Monde de l’entreprise | 0,67 | 0,70 | 0,96 | 0,34 |
Sportifs/ entraîneurs | 0,85 | 0,86 | 0,98 | 0,33 |
Praticiens de la santé | -0,64 | 1,02 | -0,63 | 0,53 |
Développement personnel | 0,77 | 1,06 | 0,73 | 0,47 |
Écrivains | -0,52 | 1,11 | -0,47 | 0,64 |
Philosophes | -1,87 | 1,13 | -1,66 | 0,10 |
Anciens ministres | 0,84 | 1,23 | 0,69 | 0,49 |
Analystes consommation, numérique, marketing | 1,03 | 1,35 | 0,77 | 0,44 |
Autres | – | – | – | – |
Tableau 2. – Régression linéaire multiple portant sur l’ensemble des conférenciers (N = 307) ; variable dépendante : prix de vente des interventions (normalisé)
Graphique 1. – Corrélation de Pearson entre l’indice de notoriété relative des conférenciers et le prix de vente de leurs interventions

Graphique 1. – Corrélation de Pearson entre l’indice de notoriété relative des conférenciers et le prix de vente de leurs interventions
Influence de la réputation scientifique sur le prix des conférences
33Si la notoriété des conférenciers permet d’expliquer approximativement un tiers de la variance du prix de vente de leurs interventions, de nombreux autres facteurs peuvent entrer en compte dans la détermination de cette valeur. Certains de ces facteurs dépendent probablement de la nature des interventions proposées. Dans le cas des conférences de vulgarisation scientifique notamment, on peut s’attendre à ce que la réputation scientifique des chercheurs rémunérés pour s’exprimer constitue une variable au moins aussi importante que leur notoriété dans la détermination du prix de vente de leurs interventions. Nous avons testé cette hypothèse en nous concentrant sur les conférenciers scientifiques (N = 58) présents dans notre corpus de données.
34Dans le champ de la recherche, il est courant d’évaluer un scientifique sur la base de sa production d’articles et de l’écho que ces derniers rencontrent auprès des autres spécialistes du domaine. Divers indices bibliométriques plus ou moins convaincants permettent de procéder à une telle évaluation (voir par ex. Delahaye & Gauvrit, 2013 ; Gingras, 2014). Le plus utilisé d’entre eux est probablement le H-index. Cet indice individuel est calculé à partir du nombre d’articles publiés par un chercheur dans des revues scientifiques et du nombre de fois où les articles en question sont eux-mêmes cités dans d’autres articles. Il ne s’agit ainsi pas d’une simple mesure de la « productivité » d’un chercheur, mais également de l’influence qu’il exerce sur son domaine et, donc, de la réputation scientifique dont il jouit auprès de ses pairs (Delahaye & Gauvrit, 2013).
35Pour estimer le rôle joué par cette variable dans la détermination du prix de vente des interventions assurées par les conférenciers scientifiques de notre corpus, nous avons calculé sur Google Scholar le H-index qui était le leur l’année ou les années au cours desquelles ils sont intervenus. Nous l’avons fait au moyen de Scholar H-Index Calculator (Ianni et al., 2009), une extension en libre accès du navigateur Google Chrome. Pour les conférenciers qui sont intervenus au cours de deux ou trois années, nous avons calculé leur H-index pour chaque année, puis nous les avons moyennés entre eux. À noter que nous n’avons pas été en mesure de calculer le H-index de 8 conférenciers, car ces chercheurs ont des homonymes scientifiques dont les publications se mêlent aux leurs sur Google Scholar. Nous avons donc écarté ces individus de notre analyse, qui porte au final sur 50 conférenciers scientifiques (3 femmes, 47 hommes ; prix de vente des interventions en euros : moyen = 5 626,93, médian = 5 050,00, min. = 910,59, max. = 17 500,00 ; INR : moyen = 0,36, médian = 0,07, min. = 0, max. = 6,55).
36Les valeurs d’H-index pour ces 50 conférenciers sont les suivantes : moyenne = 15,08, médiane = 11, min. = 0, max. = 48. Cette variable a été normalisée par transformation racine cubique, puis nous avons conduit une régression linéaire multiple afin de caractériser la relation qu’entretient le prix de vente des interventions des conférenciers scientifiques avec leur H-index, ainsi qu’avec leur INR. Il en ressort que notre modèle permet d’expliquer 11 % de la variance du prix de vente de leurs interventions (R2 ajusté = 0,11, F(2, 47) = 4,06, p < 0,05 ; voir Tableau 3). Dans le détail, on observe que si l’INR des conférenciers scientifiques influence significativement le prix de vente de leurs interventions, ce n’est pas le cas de leur H-index. Relevons encore que l’INR des conférenciers scientifiques est positivement corrélé avec leur H-index (corrélation de Pearson : R = 0,46, N = 50, p < 0,001) [19].
Tableau 3. – Régression linéaire multiple portant sur les conférenciers scientifiques (N = 50) ; variable dépendante : prix de vente des interventions (normalisé)
Variables indépendantes | Paramètres (b) | Erreurs types | Valeurs t | Valeurs p |
(Intercept) | 17,18 | 1,17 | 14,65 | < 0,001 *** |
Indice de notoriété relative (normalisé) | 3,53 | 1,24 | 2,85 | < 0,01 ** |
H-index (normalisé) | -0,70 | 0,56 | -1,25 | 0,22 |
Tableau 3. – Régression linéaire multiple portant sur les conférenciers scientifiques (N = 50) ; variable dépendante : prix de vente des interventions (normalisé)
Le marché de la conférence : un sas de conversion économique de la (micro)notoriété
38L’objectif de cette recherche était d’apporter une contribution à un sujet complexe : la manière dont la (micro)notoriété peut, dans certaines conditions, se convertir en capital économique. Pour y parvenir, nous avons proposé une méthode innovante permettant de surmonter la difficulté à laquelle se heurtent tous ceux qui cherchent à étudier formellement les effets de la notoriété, à savoir, celle de la mesure de cette « quantité sociale », comme Tarde aurait pu la désigner. L’indice de notoriété relative que nous avons développé offre la possibilité de quantifier aisément la notoriété de célébrités, mais aussi celle d’individus à la visibilité plus modeste, et ce, sur des périodes et des régions librement définies. Cependant, le terrain sur lequel nous nous sommes penchés pour étudier la conversion économique de la notoriété, le marché de la conférence rémunérée, incite à beaucoup de prudence. En effet, le matériau empirique auquel nous avons eu accès, pour rare et précieux qu’il soit, ne permet pas une description exhaustive de la réalité de ce marché. De plus, le marché de la conférence rémunérée ne saurait être considéré comme un modèle général du fonctionnement de la conversion économique de la notoriété.
39Il n’en demeure pas moins que les données en notre possession nous ont permis d’établir que la détermination des prix sur ce marché est en bonne partie fonction du niveau de notoriété des conférenciers. En effet, nos analyses démontrent qu’en moyenne un tiers de la variance du prix de vente des conférences s’explique par ce facteur. Nous avons également mis au jour le fait qu’il existe visiblement sur ce marché des disparités fortes : le prix de vente des conférences y varie du simple au centuple. Cet ordre de grandeur est cohérent avec celui indiqué par d’autres agences de conférenciers [20]. Une autre disparité observée concerne le rapport hommes/femmes. Ces dernières sont en effet sous-représentées parmi les conférenciers de notre corpus, dont elles ne composent que 31 % des effectifs.
40Contrairement à ce que l’on aurait pu anticiper, il ressort en outre de nos analyses que la profession exercée par les conférenciers ne semble pas jouer de rôle significatif dans la détermination du prix de vente de leurs interventions. De même, nous avons constaté que le prix des interventions assurées par les conférenciers scientifiques de notre corpus ne dépend nullement de leur réputation scientifique, telle que mesurée au moyen de leur H-index, alors qu’il est bien partiellement fonction de leur notoriété. Si la réputation scientifique d’un conférencier ne constitue donc visiblement pas un facteur directement capitalisable sur le marché de la conférence, il n’en demeure pas moins que l’on observe une corrélation positive entre le H-index et l’indice de notoriété des scientifiques étudiés. Cela s’explique probablement par le fait que ces derniers correspondent davantage à la figure de « l’intellectuel expert » (Delporte, 2009) – chercheur actif dans son domaine, par ailleurs connu du public pour ses travaux de vulgarisation – qu’à celle de « l’intellectuel médiatique », chez qui « […] s’efface l’essentiel du socle sur lequel s’établissait autrefois la légitimité de l’intellectuel : sa production savante, la profondeur de sa pensée, la reconnaissance de ses pairs. Ne reste plus que sa notoriété et la force d’une image personnelle construite par et grâce à la télévision » (ibid., p. 146). Il apparaît en tout cas que l’importance de la notoriété sur le marché de la conférence rémunérée éclipse des facteurs dont on aurait pourtant pu s’attendre à ce qu’ils entrent en compte dans la détermination de la valeur économique des interventions vendues, comme la profession ou le rayonnement scientifique des conférenciers.
41Dans leur ensemble, les résultats de notre étude corroborent donc empiriquement l’hypothèse selon laquelle la notoriété – ou, c’est selon, la visibilité – constitue un authentique capital susceptible d’être converti en capital économique (Bourdieu, 1976 ; 1994 ; Heinich, 2012). Mais surtout, ils établissent que cela est également vrai pour ce qui est de la micro-notoriété. En effet, les conférenciers présents dans notre corpus de données sont en majorité loin d’être des célébrités à proprement parler. Pour modeste qu’elle soit, la visibilité dont la plupart d’entre eux bénéficient est pourtant suffisante pour les distinguer socialement. Il leur est alors possible de transformer en capital économique l’asymétrie informationnelle [21] à laquelle correspond leur (micro)notoriété. Notre étude met ainsi en lumière le fait que le marché de la conférence rémunérée constitue l’un des sas où peut concrètement s’opérer une telle transformation.
42Notre recherche invite également à conjecturer rationnellement sur un sujet où demeurent encore de nombreuses zones d’ombre, car la réalité du marché de la conférence est plus complexe que celle appréhendée dans cet article. Pour comprendre plus avant les logiques qui président à la fixation des prix sur ce marché, il s’agirait notamment de se pencher sur la composition des réseaux d’interconnaissances des conférenciers, sur la rationalité procédurale (Simon, 1959) des acteurs qui y sont impliqués, ou encore, sur les « effets de mode » touchant les thématiques plébiscitées par les clients des agences de conférenciers [22].
43Les analyses proposées dans cet article pourraient en outre être prolongées ailleurs par l’étude détaillée du rôle d’intermédiation assuré par les agences de conférenciers entre la demande et l’offre de conférences. Il faudrait par exemple conduire des investigations pour mettre au jour les stratégies auxquelles recourent ces agences en vue de susciter une demande de conférences de la part des entreprises, ainsi que sur la manière dont elles les incitent à passer par leur entremise pour les organiser, plutôt que de s’en charger directement elles-mêmes (ce qui semble être la situation la plus courante ; Bayle, 2019). On pourrait aussi enquêter sur les critères retenus par les agences pour recruter les conférenciers qui composent leur catalogue. On sait que certaines d’entre elles au moins attachent une grande importance à la notoriété des conférenciers qu’elles proposent à leurs clients [23]. Mais est-ce là le principal critère de sélection des intervenants ? Il s’agirait également d’explorer les facteurs qui entrent dans la détermination de la part du prix de vente des interventions prélevée par les agences. En effet, dans le cas que nous avons étudié, cette commission varie dans une proportion relativement importante, ce qui interroge sur la nature des paramètres dont elle dépend. Finalement, il faudrait évaluer si la notoriété des conférenciers influence le prix de vente de leurs interventions dans la même proportion que celle mesurée ici quand ils sont directement recrutés par des entreprises, sans donc passer par une agence de conférenciers.
44Plus globalement, il demeurerait de nombreux autres points à explorer pour approcher un modèle formel un tant soit peu généralisable des sas de conversion de la notoriété en capital économique. En réalité, il serait probablement naïf d’espérer aboutir à un modèle linéaire d’une telle conversion, ne serait-ce qu’en raison du fait qu’une visibilité sociale purement « négative » – celle des criminels célèbres, par exemple – ne peut pas toujours être capitalisée (mais même dans ce cas, il faut rester prudent puisque qu’il existe bel et bien des individus qui parviennent à convertir une notoriété funeste en capital économique [24]). En outre, la nature de l’intermédiation assurée par un sas de conversion donné a évidemment un impact sur la forme que peut prendre cette conversion. Un exemple simple est celui de la régulation que YouTube opère sur ses contenus. La monétarisation des contenus sur ce site de vidéos en ligne dépend de plusieurs facteurs, mais elle est toujours proportionnellement fonction du nombre de vues des vidéos et du temps de visionnage qui leur est accordé – en d’autres termes, de l’attention qu’elles parviennent à capter. Cependant, YouTube ne convertit pas mécaniquement cette attention en capital économique. Par exemple, certains contenus, parce qu’ils sont jugés contraires au « règlement de la communauté », seront considérés comme non éligibles à cette conversion [25]. Ainsi, un individu jouissant d’une certaine notoriété qui mettrait en ligne des vidéos soupçonnées par YouTube « de susciter un intérêt malsain » [26] par exemple, ne pourrait pas bénéficier de ce canal pour convertir sa visibilité en capital économique.
45Indiquons finalement que le « taux de conversion » de la notoriété est également en partie fonction du capital économique des consommateurs de visibilité sociale. En effet, la rentabilité économique d’un volume donné de notoriété variera proportionnellement au pouvoir d’achat de ces derniers. Par exemple, s’il est évident que le prix des œuvres d’art contemporain est affecté par la visibilité sociale des artistes qui les ont produites [27] et, donc, que le niveau de rémunération relatif des artistes a quelque chose à voir avec leur indice de notoriété, leur niveau de rémunération absolu est, lui, immédiatement dépendant du capital économique des amateurs d’art. De même, dans la mesure où la demande de conférences étudiée dans le présent article provient essentiellement de grandes entreprises, le niveau de rémunération absolu des conférenciers est dépendant des caractéristiques économiques de ce milieu, tandis que leur niveau de rémunération relatif est impacté notablement par leur indice de notoriété.
46On le voit, la conversion économique de la notoriété est assurément une affaire complexe. Il serait pourtant excessif d’en conclure a priori qu’elle ne peut pas faire l’objet d’une description formelle. Ce qui l’empêcherait serait que la notoriété échappe au principe de finitude des ressources, comme l’a soutenu l’économiste Tyler Cowen (2000) en avançant que la notoriété allouée à une personne n’en retirerait pas à une autre. Or, si l’on peut s’accorder sur l’idée – présente déjà chez Albert Hirschman (1986) – que la sollicitation d’une ressource ne la raréfie pas nécessairement, et qu’elle peut même parfois l’augmenter (l’exemple donné par Hirschman est celui de la compétence), le temps d’attention que les individus sont susceptibles d’accorder aux célébrités est, lui, une ressource finie. On peut alors conjecturer que le capital de notoriété acquiert de la valeur en raison de la finitude de cette dernière ressource, et qu’il existe donc bien un aspect concurrentiel à l’offre de visibilité. Il n’y a dès lors pas de raison de principe qui interdirait de formaliser la conversion économique de la notoriété de la même manière que l’est celle de nombreuses autres ressources.
47Si l’on parvenait à décrire formellement cette conversion, il resterait encore à compléter une telle description par un modèle explicatif apte à rendre compte du fait que l’asymétrie informationnelle (As = N / n) en laquelle consiste la notoriété confère une valeur plus élevée aux personnes qui en jouissent. En effet, montrer comme nous l’avons fait ici que la notoriété constitue une valeur sociale susceptible de se convertir en valeur économique n’explique pas pourquoi être connu (N > n) est socialement valorisant. Ce que l’on sait, c’est que les individus dominants ou prestigieux [28] attirent davantage l’attention et qu’ils sont cognitivement et émotionnellement plus engageants que les autres [29]. Se pourrait-il dès lors que l’attention sociale portée à certaines personnes soit, en retour, plus ou moins spontanément interprétée comme un indice de pouvoir ou de prestige ? Autrement dit, si les individus puissants ou prestigieux attirent notre regard plus que les autres, se pourrait-il que nous attribuions spontanément, fût-ce à tort, du pouvoir ou du prestige à toute personne qui capte une part d’attention sociale, quand bien même elle ne ferait rien de plus que cela ? Une telle hypothèse explicative, pour ambitieuse qu’elle soit, mériterait peut-être d’être explorée.
Notes
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[1]
Nous tenons à remercier le directeur de l’agence de conférenciers qui a mis à notre disposition les données étudiées dans cette recherche, ainsi que les relecteurs anonymes de L’Année sociologique pour leurs pertinentes remarques sur la version initiale du présent article. Cette étude a été soutenue par une bourse de recherche postdoctorale du Fonds national suisse de la Recherche scientifique attribuée à Laurent Cordonier (SNFS Early Postdoc.Mobility no P2LAP1_174723).
-
[2]
Pour n’en donner qu’une illustration, les revenus de la star du basket Michael Jordan étaient constitués pour 75 % de ce type de rémunération (Heinich, 2012 : 315).
-
[3]
Dans cet article, nous utiliserons les termes de notoriété et de visibilité comme des synonymes.
-
[4]
Nous ne distinguerons pas l’origine de cette asymétrie, qu’elle relève de la reconnaissance du nom (notoriété) ou de l’image (visibilité).
-
[5]
Cité par Nathalie Heinich (2012 : 132).
-
[6]
En s’inspirant des canaux de mobilité sociale verticale (Sorokin, 1964 [1927]).
-
[7]
« … remaining unknown to most and ignored by mainstream media » (Marwick, 2015 : 140).
-
[8]
Les documents suivants nous ont été transmis par l’agence Brand and Celebrities, ou ont été consultés sur son site Internet [https://brandandcelebrities.com/ consulté le 20 mai 2020] : Comment choisir le bon conférencier pour son événement ? Livre blanc des conférenciers [mis en ligne le 10 avril 2017] ; Quels tarifs pour les conférenciers ? [mis en ligne le 16 juin 2017] ; Les 10 secrets des meilleurs conférenciers [mis en ligne le 14 avril 2017] ; Six critères pour identifier le conférencier idéal [mis en ligne le 14 avril 2017] ; Cinq raisons de faire appel à un conférencier célèbre [mis en ligne le 11 avril 2017].
-
[9]
L’agence de conférenciers en question est celle dont le directeur nous a transmis les données analysées dans le présent article. Dans la mesure où il s’agit de données commercialement sensibles (elles contiennent notamment les noms des conférenciers, le prix de vente de leurs interventions et les marges retenues par l’agence), nous avons décidé de ne pas communiquer ici le nom de cette agence.
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[10]
L’agence Brand and Celebrities affirme mettre particulièrement l’accent sur ce facteur. Voici ce que l’on peut par exemple lire sur une page de son site Internet : « Brand and Celebrities propose des prix fixes et transparents, qui ne changent pas en fonction de l’événement ou du client et qui sont calculés selon l’expertise et la notoriété de chaque célébrité » [en ligne : https://brandandcelebrities.com/blog/quels-tarifs-pour-les-conferenciers-0617/, consulté le 20 mai 2020]. L’agence assure recourir à un « Indice de mesure en temps réel de la notoriété des personnalités connues » pour établir leur tarification. Sans surprise, rien n’est dit sur cet indice (si ce n’est qu’il fonctionnerait en « aspirant les données du web »), ni sur la manière dont l’« expertise » de leurs conférenciers serait estimée, ou encore, sur la pondération expertise/notoriété.
-
[11]
Le faire reviendrait pour une agence à courir le risque d’être « court-circuitée » par des clients qui pourraient alors directement entrer en contact avec les conférenciers sans avoir à s’acquitter de la commission qu’elle retient sur le prix de vente de l’intervention.
-
[12]
Toutes ces informations sont absolument convergentes avec celles obtenues auprès de l’agence concurrente Brand and Celebrities.
-
[13]
Pour établir nos catégories, nous nous sommes inspirés des typologies d’interventions et de conférenciers associés proposées sur les sites Internet des agences françaises de conférenciers qui apparaissent sur les trois premières pages de recherches sur Google en réponse à la requête suivante : « agence conférenciers France ». À noter toutefois que ces typologies varient passablement et sont plus ou moins détaillées du site d’une agence à l’autre.
-
[14]
À titre d’illustration, les conférenciers qui se situent au niveau médian de l’INR calculé pour chaque individu de notre corpus (voir infra) présentent des volumes de recherches Google tellement faibles par rapport à des célébrités françaises de premier plan comme Patrick Bruel, Matthieu Chedid ou Johnny Hallyday, qu’ils ne sont pas même détectables en comparaison. Le conférencier de notre corpus qui jouit de l’INR le plus élevé fait quant à lui l’objet d’un volume de recherches Google de 6,5 à 9,3 fois plus faible que celui de ces mêmes célébrités (recherches Google comparées entre elles au moyen de Google Trends sur le territoire français uniquement, et pour les années durant lesquelles les conférenciers concernés apparaissent dans notre corpus).
-
[15]
Google occupe une position quasi monopolistique sur le marché des moteurs de recherche. En effet, plus de 90 % des recherches Internet effectuées aujourd’hui en France le sont via Google [voir, en ligne : http://gs.statcounter.com/search-engine-market-share, consulté le 20 mai 2020].
-
[16]
Voir les statistiques de Google [en ligne : https://trends.google.fr, consulté le 20 mai 2020].
-
[17]
Pour des considérations méthodologiques sur Google Trends ainsi que sur la prudence dont il convient de faire preuve dans l’usage de cet outil, se reporter à Gérald Bronner, Pascal David et Luigi Del Buono (2018).
-
[18]
Les résultats obtenus pour une même requête sur Google Trends peuvent légèrement varier d’une recherche à l’autre (Bronner, David & Del Buono, 2018). En effet, une recherche donnée n’est pas effectuée par Google Trends sur l’ensemble de l’activité Internet de la période et de la région considérées, mais sur un sous-ensemble aléatoire de cette activité. Pour minimiser l’impact de cette propriété de Google Trends sur les résultats de la présente étude, nous avons calculé tous les INR sur un même ordinateur (même adresse IP) et à la suite (i.e., sans jamais relancer Google Trends et en ne modifiant pour chaque requête que le nom du conférencier). Par ailleurs, nous avons répété l’opération quelques jours plus tard afin de comparer les INR calculés à ce moment-là à ceux que nous avions initialement obtenus. Ce contrôle fait bien apparaître quelques variations intra-individuelles de l’INR. Cependant, les INR calculés initialement sont très étroitement corrélés avec ceux que nous avons obtenus dans un second temps (corrélation de Pearson : R = 0,98, N = 462, p < 0,001). Au final, les résultats exposés dans cet article demeurent inchangés si l’on utilise les INR calculés pour les besoins de ce contrôle à la place de ceux que nous avions calculés initialement.
-
[19]
Ce résultat va dans le sens de ce que constate le généticien Neil Hall (2014) dans une étude pilote portant sur une quarantaine de scientifiques, à savoir qu’il existe une faible corrélation positive entre le nombre de fois que les travaux de ces scientifiques ont été cités par des pairs et le nombre de leurs followers sur Twitter (l’indice de notoriété utilisé par Hall).
-
[20]
Voir par exemple : Quels tarifs pour les conférenciers ?, op. cit.
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[21]
Telle que conceptualisée en introduction du présent article.
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[22]
Concernant ces « effets de mode », le directeur d’agence avec lequel nous nous sommes entretenus constate la situation suivante : « Il y a des phases, des tranches… Exemple, en 2009, tout le monde voulait des économistes pour essayer de comprendre la crise. Et alors on a eu [X], [Y], les grands noms de l’économie en France en gros. Après, on a eu des clients qui recherchaient des conférences sur la valeur courage : “on va s’en sortir” en gros… Ensuite ça été le Big Data, les gens voulaient savoir au début ce que c’était puis, après, comment on utilise ça. Autre phase après, l’intelligence artificielle, les objets connectés. Et donc on a fait intervenir des spécialistes de la question. En 2018, il semblerait que ce soit les valeurs qui reviennent ».
-
[23]
C’est notamment le cas de l’agence Brand and Celebrities.
-
[24]
C’est par exemple le cas du Japonais Issei Sagawa qui a assassiné une femme à Paris en 1981 et l’a partiellement dévorée. Interné en hôpital psychiatrique puis libéré au Japon, il entama une carrière d’artiste et écrivit plus de dix livres inspirés de son crime. Il a aussi joué pour des publicités pour la restauration de viande (Kilani, 2018).
-
[25]
Voir sur le site Internet de YouTube [en ligne : https://www.youtube.com/intl/fr/yt/about/policies/#community-guidelines, consulté le 20 mai 2020].
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[26]
Ibid.
-
[27]
Cette visibilité étant elle-même le produit de l’activité complexe d’acteurs du monde artistique (Quemin, 2013).
-
[28]
Nous utilisons ici le concept de prestige dans le sens que lui donnent Joseph Henrich et Francesco J. Gil-White (2001) et Joe C. Magee et Adam Galinsky (2008), à savoir, celui de valeur accordée à un individu par d’autres individus ou par des institutions en raison de compétences et d’aptitudes spécifiques qu’ils lui reconnaissent.
-
[29]
Voir, par exemple : Cordonier et al. (2017) ; Fiske (1993) ; Foulsham et al. (2010) ; Maner, DeWall & Gailliot (2008) ; Vrana & Rollock (1996). À noter que cela n’est pas uniquement vrai chez les humains, mais aussi chez d’autres espèces de primates sociaux (voir par ex. : Aureli, Preston & DeWaal, 1999 ; Deaner, Khera & Platt, 2005).