CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1« La chance pour les jeunes de conditions défavorisées en Chine, c’est qu’au moins ils ont le désir d’aller vers le haut. » C’est par ces termes que Fu Tong témoigne du sentiment de justice sociale que lui inspire le concours du Gaokao (高考). Gaokao est l’abréviation en chinois de « Concours national unifié de recrutement de l’enseignement supérieur général » [1]. Il a lieu les 7 et 8 juin de chaque année [2], simultanément dans toute la Chine. Selon les notes qu’ils obtiennent, les élèves sont reçus dans des établissements d’enseignement supérieur plus ou moins prestigieux et sont appelés à occuper des positions sociales plus ou moins élevées. En ce sens, on dit du Gaokao qu’il « décide de la vie de chacun ». Étudiante dans une des universités chinoises les plus prestigieuses et fille de deux officiers militaires, Fu Tong a passé le Gaokao en 2016 après l’avoir préparé au sein d’un des deux lycées sur lesquels porte notre enquête, que nous avons nommé le lycée Élite. Le désir d’« aller vers le haut », c’est-à-dire au sommet de la hiérarchie scolaire, qui n’existerait pas sans le concours, n’est pas propre à Fu Tong. Pendant l’année de la préparation au concours, et plus généralement pendant les douze ans d’éducation formelle avant le Gaokao, les élèves reçoivent plusieurs résultats d’examen par semaine. Ces résultats, dont le mot même en chinois, chengji, peut être traduit littéralement par « trace de la réussite », indique aux élèves la voie à emprunter en vue d’évoluer dans la hiérarchie scolaire. Mais, selon les élèves, cette voie « vers le haut » peut emprunter des voies différentes, autoroutes pour les uns, simples allées pour les autres, avec pour tous, un péage : « les efforts » (nuli). « L’institution a approuvé la valeur de l’effort [3]. C’est institué », souligne Fu Tong à la fin de notre conversation.

2Créé en 1952, au début de la République populaire de Chine (RPC), le Gaokao a survécu aux transformations profondes de la société chinoise depuis cette date, et notamment à deux étapes essentielles, d’une part, la révolution culturelle (1966-1976) qui a suspendu l’éducation pendant dix ans, de l’autre l’ouverture de la Chine, depuis 1978, à l’économie de marché et son intégration à la mondialisation des systèmes éducatifs qui en a résulté. Le Gaokao a connu de multiples réformes qui lui ont permis de s’adapter au renouvellement des conditions sociales ainsi qu’aux contestations dont il a été l’objet. Il reste aujourd’hui, 70 ans après sa création, la « baguette de chef d’orchestre [4] » du système éducatif chinois et incarne la forme « la moins injuste » de sélection dans la société chinoise.

3Cet article soutient la thèse selon laquelle le Gaokao reste le pilier du système scolaire chinois parce qu’il assure la distribution des futurs désirables parmi les jeunes Chinois, à l’échelle nationale et internationale. Le concours légitime les inégalités de traitement inhérentes au système scolaire et transforme celles-ci en hiérarchie des devenirs souhaitables pour les individus. La préparation du concours du Gaokao a non seulement la fonction sociale de « mise au travail » d’une jeunesse privilégiée (Darmon, 2013), mais aussi celle de réguler la représentation de la réussite individuelle et le degré d’engagement dans la compétition pour les jeunes de milieux moins favorisés.

4Comment le Gaokao est-il devenu un concours distributif  [5] ? À quelles inégalités les élèves sont-ils confrontés face à ce concours qui « décide la vie de chacun » [6] ? Quels mécanismes du Gaokao font que le niveau d’ambition de chacun se trouve toujours proportionné à sa place dans la hiérarchie scolaire ? Telles sont les questions auxquelles nous nous proposons de répondre. La première partie de l’article reviendra sur la transformation de la fonction du concours en Chine, de la sélection d’une élite à la distribution vers des avenirs plus ou moins prometteurs de toute une jeunesse. La deuxième interrogera le rôle des établissements dans la hiérarchisation de l’avenir des individus, en soulignant l’inégale répartition des dotations entre établissements et ses conséquences en matière de préparation au concours. La dernière partie montrera comment la notion d’« effort scolaire » transmise au sein des écoles justifie les inégalités de réussite future tout faisant converger les attentes des élèves et leur place probable. En proposant une analyse du cas chinois de la sélection par concours à l’entrée de l’enseignement supérieur, cet article prolonge la réflexion sur la « rencontre paradoxale du privilège et du labeur » lors de la préparation du concours (Darmon, 2013 : 22). Il explore une stratégie de légitimation de la méritocratie et l’inculcation de la croyance dans son effectivité (Pasquali, 2014 ; Thireau & Hua, 2005). Il contribue à esquisser le cadre de comparaison des concours dans les différents pays à partir du lien entre les paramètres des concours (sélectif ou distributif) et les formes de la méritocratie qui en découlent (Charles, 2015 ; Tenret, 2011).

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Encadré méthodologique
Cet article fait partie d’une thèse en cours, pour laquelle deux enquêtes de terrain ont été réalisées au sein de deux lycées à Pékin en 2015 et 2016, auprès des élèves préparant le concours du Gaokao. Les deux lycées ont été choisis en regard de leur statut historique (école « pilote » et « non pilote ») et du rang des élèves de ces établissements dans le Gaokao. Le premier lycée, que je nomme lycée Ordinaire, est situé à la 18e place dans le classement des établissements secondaires qui regroupe les 33 lycées localisés dans le même district. Le second lycée, surnommé lycée Élite, est l’un des « super lycées » de la ville. Au sein de chaque établissement, j’ai mené une enquête ethnographique de six mois pendant le dernier semestre avant le Gaokao. L’accent est mis sur une des classes dans les deux lycées. Le dispositif d’enquête repose essentiellement sur l’observation participante et la conduite d’entretiens répétés avec des élèves. Des entretiens ont été menés auprès de l’ensemble des enseignants des classes suivies et auprès de parents d’élèves.
Une partie des données est mobilisée dans le présent article, principalement celles issues de l’observation des cours de différentes matières et des entretens avec les élèves.

D’un concours sélectif à un concours distributif

6Dans les reportages qui lui sont consacrés en France, le Gaokao est couramment présenté comme l’équivalent chinois du baccalauréat français [7] puisque, comme lui, il marque la fin de l’enseignement secondaire et articule le lycée et l’enseignement supérieur. En réalité, le Gaokao n’est pas un examen comme le baccalauréat. Il est un concours par lequel les élèves sont classés et sélectionnés pour leur entrée à l’Université. Par ailleurs, il se distingue des concours d’entrée aux grandes écoles en France par son degré de centralisation. Le Centre d’examen de l’Éducation nationale est l’instance attachée au ministère de l’Éducation qui se charge de l’organisation du concours du Gaokao à l’échelle nationale. Cette instance est indépendante de l’enseignement secondaire comme de l’enseignement supérieur. Autrement dit, l’organisation du Gaokao et la distribution des élèves dans les établissements d’enseignement supérieur selon leurs résultats échappent aux établissements eux-mêmes. Ce ne sont pas eux qui choisissent les étudiants qu’ils vont accueillir. Cette particularité distingue le Gaokao des concours d’entrée aux grandes écoles en France, par exemple [8].

7Créé pour sélectionner une mince élite en vue de répondre aux urgences de la nouvelle république, le Gaokao s’est peu à peu transformé, sous l’effet de la massification scolaire et de l’intégration du pays à l’économie mondiale, en un concours distributif qui assigne à chacun une place dans la hiérarchie scolaire et par là, sociale. Il assure le monopole d’État sur la gestion du capital humain national.

Sélectionner de « nouvelles élites »

8Le Gaokao doit, encore aujourd’hui, certains de ses traits aux conditions de sa création, au début de la République populaire de Chine : aujourd’hui comme à l’origine, il a pour objectif de faire concourir une population très hétérogène, et le contenu de savoir qui est examiné, son programme, est limité de façon à garantir l’égalité des chances au concours et la centralisation de l’autorité d’évaluation.

9Le Gaokao a été créé trois ans après l’établissement de la RPC dans le but de dégager un corps d’intellectuels pour diriger la reconstruction et la modernisation du pays au lendemain des guerres [9], tout en satisfaisant les principes de l’idéologie communiste, à savoir la démocratisation de l’éducation auprès des classes ouvrières et paysannes. Le nouveau pouvoir communiste se défiait des intellectuels de l’ancien régime, qu’il stigmatisait comme membres de la classe des « propriétaires fonciers et des descendants de la bourgeoisie [10] ». Le concours avait ainsi pour fonction de sélectionner « un nouveau type d’intellectuels », « d’origine ouvrière et paysanne », qui « deviendrait le nouveau pilier de la construction de notre pays » [11]. Pour autant, le concours n’était pas fermé aux descendants des classes intellectuelles et/ou socialement et économiquement favorisées. Il avait également pour fonction de favoriser l’intégration conditionnelle de ce public d’« ennemis potentiels » du nouveau régime. Le recours au concours pour renforcer l’intégration sociale et politique en acceptant les « ennemis potentiels » est une méthode de gouvernance traditionnelle en Chine, qui remonte à la sélection des officiers impériaux : un enjeu primordial pour toute nouvelle dynastie consistait à s’efforcer d’intégrer les élites de la dynastie antérieure [12].

10Une des manières d’opérer l’intégration de différents milieux consiste à limiter très précisément le programme du concours. C’est ainsi que le concours impérial traditionnel (Keju), pour limiter le déséquilibre dans le recrutement entre les provinces économiquement développées et les autres, proposait un contenu de savoir très limité [13]. « Les inégalités sont inévitables. La Chine est trop grande [14] » entend-on dire fréquemment. Par la limitation du programme, le concours est censé opérer une sélection technique (Liu, 2004), émancipée des hiérarchies symboliques établies, et surpasser les inégalités inévitables liées à la diversité des territoires unifiés. Dans le Keju impérial comme dans le Gaokao de la RPC, c’est une culture purement scolaire, reposant sur quelques livres (les manuels et le Guide d’examen dans le cas du Gaokao), et non sur une « culture savante » (Bourdieu & Passeron, 1970), qui est mesurée par le concours. La distance maintenue entre les deux cultures constitue le fondement de la justice du concours face aux inégalités importantes, qu’elles soient sociales, géographiques (Ouest vs. zone côtière, villes vs. campagnes) ou ethniques (ethnie majoritaire Han vs. autres ethnies).

11Avec le Gaokao, l’organisation au niveau national du recrutement des universités permet de centraliser le contrôle de l’élite intellectuelle, que ce soit en termes d’origine sociale de ses membres ou en termes de taille de cette élite. Le pouvoir politique a toujours eu besoin des intellectuels mais il s’en est toujours méfié. Au début du nouveau régime, il veille à recruter ses intellectuels parmi les classes ouvrières et paysannes. À la fin des années 1950, lors du Mouvement anti-droitiers [15], il rétrécit drastiquement le corps jusqu’à le faire disparaître complètement pendant la révolution culturelle, période pendant laquelle les intellectuels sont envoyés à la campagne pour « rééducation » [16].

12En tout état de cause, pendant cette première époque du Gaokao, la population qui a accès à l’Université restait extrêmement restreinte. Nous pouvons parler pour cette époque de concours sélectif. La particularité du concours sélectif est qu’il s’agit d’une sélection ayant pour fonction de garantir l’homogénéité d’un groupe, soit par cooptation, où ce sont les membres d’un groupe qui décident de ceux qui constitueront ses futurs membres (comme dans le cas de l’agrégation en France [17]), soit par l’autorité qui contrôle directement le recrutement du groupe donné. Le Gaokao, au début de son établissement, a cette fonction, au sens où il est un instrument de recrutement et de contrôle d’une mince élite intellectuelle.

13Tout change au moment de la réintroduction du Gaokao après la révolution culturelle et surtout depuis la massification de l’enseignement supérieur à la fin des années 1990. Il ne s’agit plus de sélectionner une élite mais de distribuer les jeunes sur des parcours distincts. Mais le pouvoir de contrôle que permet le concours va encore se renforcer quand le recrutement de cette population va s’élargir.

Le Gaokao face aux nouveaux défis de la massification et de la mondialisation

14La réhabilitation d’abord et la massification ensuite de l’enseignement supérieur ont renforcé la gestion centralisée du capital humain du pays et l’inscription de l’éducation de la jeunesse au Plan national de développement [18]. L’enjeu du Gaokao répond désormais à la volonté de faire participer la Chine à la concurrence sur le marché mondialisé de l’enseignement supérieur, et plus largement à la concurrence économique. La distribution des ressources éducatives et l’orientation des choix de formation et de profession de la jeune génération se substituent au contrôle des élites intellectuelles comme fonction principale du Gaokao.

15La période qui fait suite à la révolution culturelle est marquée par la transformation profonde de la société chinoise et par celle du Gaokao. Lors de sa réintroduction en 1977, après dix ans de suspension des études, un très grand nombre de candidats (5,7 millions) se présentent au concours, et 278 000 d’entre eux seront finalement recrutés à l’Université (Gao & Yao, 2009 : 204). Depuis cette date, le nombre d’élèves participant au Gaokao n’a cessé d’augmenter pour atteindre 10,3 millions de candidats en 2019. L’enjeu du concours change alors du tout au tout : il ne s’agit plus, par une sélection stricte, de contrôler un corps d’intellectuels ; il s’agit désormais de gérer des flux (Allouch, 2007 : 95) et de distribuer des ressources à une grande population.

16À partir des années 1980, dans le contexte du lancement de la politique d’ouverture et de réforme qui intègre la Chine à l’économie mondiale, la logique d’expansion se renforce dans le domaine de l’éducation. Avec sa population d’un milliard et demi d’habitants, la Chine, mobilisée par l’ambition de rattraper le niveau des pays développés, a connu, plus encore que les autres pays, la massification de l’accès à l’enseignement supérieur. En 1949, année de fondation de la RPC, le taux brut de scolarisation [19] dans l’enseignement supérieur en Chine était de 0,26 % [20] ; à la veille de l’« élargissement du recrutement des écoles supérieures (Gaoxiao kuozhao, 高校扩招) » (fin des années 1990), il était passé à 9,8 % [21] ; en 2018, il atteint 50,6 % d’après les chiffres de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) [22]. Aucun autre pays n’a connu une telle vitesse d’expansion de l’éducation supérieure (Li, 2010) [23].

17Dans le contexte de la massification de l’enseignement supérieur, le Gaokao, concours sélectif à l’origine, est devenu un concours distributif. Le Gaokao d’aujourd’hui ressemble davantage aux concours de sortie en France, tel que le concours PACES (première année commune aux études de Santé) à la fin de la première année de Licence en santé ou les classements de sortie de l’École nationale d’administration (ENA). Fondé sur une distribution de places dans l’enseignement supérieur en fonction des numerus clausus affichés par chaque établissement, le Gaokao n’exige pas l’obtention d’une moyenne comme c’est le cas pour le baccalauréat français. Il donne à chacun une note et un rang qui décide de son orientation future.

18Censé ne rien devoir à l’héritage et tout aux talents et aux efforts individuels, le Gaokao reste le symbole de la justice sociale en Chine. Pourtant de nombreux sociologues, notamment en France (Bourdieu, 1989) ont montré que, derrière l’apparente égalité, les concours scolaires, loin d’effacer les différences de condition, les entérinaient tout en les rendant invisibles. C’est ce que nous nous proposons d’étudier maintenant en montrant comment la hiérarchie des établissements scolaires en Chine constitue bien de telles différences de condition que le Gaokao fait disparaître tout en les consacrant.

La hiérarchisation des chances de réussite objectives au concours

19La sélection par concours n’est pas le seul dispositif mis en place par le pouvoir politique pour dégager un corps d’élite susceptible de mener à bien l’industrialisation et la modernisation du pays. En 1953, la création d’écoles d’élite, les « écoles pilotes » (zhongdian xuexiao, 重点学校), a initié la distribution inégale des ressources éducatives entre celles-ci et les autres. Les ressources éducatives en ces débuts de la RPC étaient très limitées et l’idée a été de les concentrer, à tous les niveaux de l’enseignement (écoles primaires, collèges, lycées), sur quelques écoles où étaient réunis les meilleurs élèves.

20Dans le contexte de massification de l’enseignement supérieur et de mondialisation, le défi pour le système d’éducation chinois est d’aligner son objectif d’éducation sur celui des pays développés afin de les « rattraper » et de les dépasser. Réussite aux concours chinois ou production d’un capital humain diversifié et adapté au développement de l’économie mondialisée de marché, ce conflit entre deux objectifs d’éducation est à l’origine d’une double compétition dans laquelle sont engagés les lycées. D’un côté, ils sont impliqués dans une concurrence positionnelle intense (Menger et al., 2015), c’est-à-dire une concurrence pour le rang dans les classements d’écoles, fondés sur les résultats au concours de leurs élèves ; et de l’autre, dans une concurrence pour les ressources sociales qui leur permettent de proposer des activités extra- et parascolaires afin de développer les « qualités » des élèves, qui leur seront utiles sur les marchés du travail et pour leur poursuite d’une carrière scolaire internationale. Il s’agit par-là de réagir aux critiques selon lesquelles les écoles chinoises formeraient des élèves qui n’ont que des compétences scolaires et qui manquent de créativité et de capacités de recherche, qualités importantes pour améliorer les classements des universités chinoises sur le plan international (Sun & Lin, 2018).

L’effet paradoxal de l’égalisation des ressources éducatives

21Avec la massification de l’éducation, une série de réformes du système éducatif ont été mises en place dans le but d’égaliser entre les établissements les « ressources éducatives », c’est-à-dire l’infrastructure, les équipements et l’équipe pédagogique. Dans les faits, ces mesures ont pourtant eu pour effet d’intensifier la concurrence entre les établissements et de rendre plus subtile leur hiérarchisation.

22Dans ce contexte, une polémique est apparue à propos de l’inégalité immanente au label d’« école pilote ». Cette polémique est devenue particulièrement vive depuis la « loi sur l’éducation obligatoire de neuf ans » de 1986, qui intègre le niveau du collège dans l’éducation obligatoire. La sélection par concours à l’entrée du collège qui avait cours jusque-là et qui permettait aux meilleurs élèves d’intégrer les collèges « pilotes », a été jugée contraire à la loi et supprimée progressivement. Les élèves doivent désormais aller dans un collège proche de leur domicile. Pendant les années 1990, le label d’« écoles pilotes » a été supprimé pour les niveaux d’éducation obligatoire (école primaire et collège). Mais il a survécu pour les niveaux supérieurs (lycée et Université). Pour les lycées, un nouveau label, « École exemplaire », a été mis en place à partir de 2001 qui annonce la suppression progressive de celui d’« École pilote ». Or, dans la représentation collective, il s’agit d’un simple changement d’appellation des « lycées pilotes », puisque les enquêtés que nous avons rencontrés et surtout les parents d’élèves continuent d’employer l’expression d’« écoles pilotes ». Le nouveau label insiste sur le rôle exemplaire des écoles dans l’égalisation des ressources éducatives, à travers les soutiens financiers ou les programmes d’échange des enseignants avec les écoles moins dotées. Ce label d’« École exemplaire » concerne beaucoup plus d’établissements : alors que 3,1 % des écoles étaient reconnues comme pilotes, 22 % des lycées se sont vu attribuer le label d’« École exemplaire ». Étant partie intégrante de la politique de la répartition égalitaire des ressources, le nouveau label promeut le développement équilibré entre les établissements par les critères d’appréciation et l’augmentation du nombre d’écoles récompensées [24]. Néanmoins, la hiérarchie entre écoles pilotes et écoles ordinaires continue d’exister de fait grâce au nouveau label [25]. La hiérarchisation entre les établissements est d’ailleurs raffinée, suite à l’élargissement du label par la deuxième et la troisième vagues d’évaluation et à la création à toutes les échelles administratives des « Écoles exemplaires » (du niveau provincial ou municipal). De surcroît, les critères d’évaluation, de plus en plus embrouillés au fur et à mesure de l’élargissement, ont renforcé l’importance de la place de l’école dans les classements établis sur les résultats des élèves au concours du Gaokao. Les écoles entrent ainsi dans une phase de concurrence positionnelle intensive et également autour du développement de l’« éducation pour les qualités ».

23Les injonctions paradoxales créées par le double contexte de la massification et de la mondialisation de l’éducation supérieure ont donné lieu à une querelle sans cesse renouvelée entre deux modèles d’éducation, l’une dite « éducation pour les qualités », inspirée des exigences des systèmes d’éducation occidentaux, l’autre dite « éducation pour l’examen », plus fidèle à la logique initiale du concours (Ying, 2018). L’expression de l’« éducation pour l’examen » (yingshi jiaoyu, 应试教育) est utilisée pour la première fois en 1963, dans un sens péjoratif. Elle recouvre toutes les pratiques pédagogiques qui « emploient les examens comme moyen, pour l’objectif unique de sélectionner une minorité à partir de la majorité d’une population, et cherchent uniquement à maximiser le taux de réussite » (Zheng, 2007). Cette conception de l’éducation s’en voit opposer une autre – l’« éducation pour les qualités (suzhi jiaoyu, 素质教育) » –, inspirée d’une idéologie plus libérale de l’éducation, et qui a pour objectif d’améliorer la « qualité » (suzhi) de la population, considérée comme cruciale pour participer à la concurrence mondiale [26]. La politique de l’« éducation pour les qualités » prône avant tout l’espace et le temps laissés aux élèves pour les activités parascolaires. La « qualité » ici désigne la diversité des talents de tous ordres susceptibles d’être mobilisés dans la compétition économique, à l’opposé donc des qualités proprement scolaires nécessaires pour réussir les concours [27]. En pratique, elle désigne les talents acquis ou développés dans les activités parascolaires et exige des écoles qu’elles investissent dans les activités autres que l’enseignement du programme scolaire et la préparation du concours.

24Les mesures d’égalisation des ressources ont pour conséquence la mise en place de présélections des élèves sur les compétences scolaires et leurs talents non scolaires. Cette présélection crée un espace de manœuvre pour les familles qui cherchent à mieux placer leur enfant dans la hiérarchie scolaire (Chiang, 2018 ; van Zanten, 2001, 2016). Dans son livre Unequal Childhoods, Annette Lareau a mis en lumière le concept de concerted cultivation pour décrire les pratiques éducatives des parents de classe moyenne suivant la logique des écoles aux États-Unis (Lareau, 2011). En Chine, l’investissement dans les activités parascolaires, qui commence souvent dès l’École primaire, s’organise avant tout autour des « spécialités » prises en compte dans les recrutements des écoles d’élite : activités artistiques ou sportives, activités parascolaires, telles que les cours avancés et les compétitions disciplinaires. Les choix se font davantage en fonction de la rentabilité pour les recrutements que des préférences de l’enfant. Ils permettront aux enfants d’entrer dans les établissements d’élite grâce aux dérogations.

25Tang Junchao a souligné qu’en Chine l’inégalité économique et sociale entre familles a un effet plus important au début du parcours scolaire de l’enfant, tandis que cette influence diminue avec l’apparition du concours d’entrée au lycée, puis pour l’entrée à l’Université (Tang, 2015). En revanche, le statut de l’école (pilote ou non pilote) exerce un effet plus important que l’origine sociale pour l’entrée au lycée ainsi que pour l’accès à l’Université. L’explication qu’il donne est que les écoles pilotes du premier niveau développent avec plus de succès la capacité et la motivation des élèves dans leur apprentissage, ce qui facilite la poursuite des études. Les parcours scolaires de nos enquêtés permettent de confirmer l’importance de l’investissement de la famille avant l’entrée au collège. En outre, notre étude montre que les conditions de travail pendant la préparation au concours dans les lycées de statut différent exercent un impact direct et immédiat sur la motivation et la capacité de travail des élèves. Cela explique en partie pourquoi l’école joue un rôle plus déterminant dans le parcours scolaire des élèves quand la transition entre deux niveaux d’études repose sur un concours, comme c’est le cas entre collège et lycée et entre lycée et Université. Ainsi, l’élément structurant dans la reproduction des inégalités par le système scolaire est la différence de ressources pendant la préparation du concours.

Les différents cadres de préparation au concours

26L’année de préparation au Gaokao est cruciale non seulement pour la réussite des élèves mais également pour les écoles dont les résultats d’élèves sont déterminants pour leur place dans la hiérarchie des établissements. L’inégalité des ressources entre les établissements pendant la préparation du concours est facilement observable au sein des deux établissements que nous avons étudiés et principalement sur deux plans : le temps et l’espace de travail pour les élèves et l’emploi des enseignants. Ces différences ont un effet immédiat sur la motivation et la capacité de travail pour les élèves.

27Dans les deux écoles, les cours commencent à 8 h du matin et la journée se termine aux alentours de 18 h. L’emploi du temps dans les deux écoles est apparemment semblable, mais les moyens mis en place pour encadrer le temps personnel des élèves, tel que la soirée et le week-end, les distinguent.

28Le lycée Ordinaire ferme ses portes à 18 h 30. Il n’a pas les moyens de proposer un service d’étude du soir. Malgré de multiples demandes des élèves tout au long du semestre, ce n’est qu’un mois avant le concours du Gaokao que le directeur a autorisé le prolongement des heures d’ouverture jusqu’à 20 h 30. Elle est accordée à condition que quelques enseignants se soient portés volontaires pour surveiller gratuitement les élèves à l’école. Dans le lycée Élite, au contraire, une « étude du soir » est prévue, depuis le début de l’année, tous les soirs entre 18 h 30 et 21 h 30, dédiée au travail personnel. Tous les élèves peuvent s’ils le souhaitent rester à l’école le soir pour étudier. Le temps de travail est ainsi garanti institutionnellement, sous surveillance des enseignants.

29Il est à noter que cet espace et ce temps de travail sont non seulement des conditions pour une bonne préparation au concours, mais également des lieux de comparaison et de compétition. Les élèves s’évaluent et se comparent en termes de temps resté dans l’espace de travail. Lors des résultats du premier examen blanc, Zhang Zhuo est classé pour la première fois dans les dix premiers de la classe. Ses camarades, et en particulier Wang Fan, ont remarqué dans les entretiens que « Zhuo faisait beaucoup plus d’effort maintenant », « il reste tard le soir ». Quant aux élèves du lycée Élite qui ne participent pas à l’« étude du soir », même s’ils justifient dans les entretiens qu’ils continuent de travailler à la maison une fois rentrés, ils se considèrent en fait plutôt comme « non travailleurs », ou comme « se laissant aller ». Le fait d’être vu et de se voir dans un espace dédié à la préparation du concours pour une durée prolongée a un effet sur la perception des élèves et incite à la compétition entre ces derniers. Pour les élèves du lycée Élite, c’est un choix personnel de s’invertir dans ce temps et cet espace, tandis que pour les élèves du lycée Ordinaire c’est une contrainte institutionnelle, liée au manque de ressources de l’école.

30En outre, les élèves du lycée Élite se représentent la préparation du Gaokao comme relativement courte. Alors que les élèves du lycée Ordinaire parlent des « efforts de longue haleine » ou d’« une corvée de douze ans » pour la réussite du Gaokao, une grande partie des élèves du lycée Élite considèrent que la préparation du concours ne dépasse pas un an et pour certains, même, les vrais efforts ne commencent qu’après le premier concours blanc, soit deux mois seulement avant le Gaokao. Nous observons que les trois ans d’études des élèves au lycée Élite sont organisés en deux temps : le temps de développement de qualités et le temps de préparation au concours. Le premier s’étend tout au long des deux premières années avec une place importante dédiée aux activités extrascolaires, permettant aux élèves de développer les « qualités personnelles ». Le deuxième recouvre seulement la dernière année qui est consacrée entièrement à la préparation du concours. De ce fait, ces élèves sont prêts à s’engager entièrement dans la préparation du concours. Par ailleurs, ils ont intérêt à s’y mettre totalement, puisque leurs investissements seront rentabilisés d’une manière optimale.

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[Faire des efforts avant le Gaokao] c’est très rentable. Il s’agit seulement de quelques dizaines de jours dont l’effet s’étend sur toute la vie. […] Dans le futur, il n’y aura plus aucune opportunité… même si tu prenais dix fois plus de temps, tu n’obtiendrais sans doute pas les mêmes effets. (Liu Yuan, lycée Élite.)

32L’aménagement du temps et de l’espace de travail et l’organisation de l’équipe pédagogique pendant la préparation du concours ont contribué à en faire le moment le plus « rentable » d’investissement pour leurs élèves du lycée Élite. L’économie du temps et du travail des élèves se base principalement sur les expériences des enseignants dans la préparation du concours.

Le rôle des enseignants dans la préparation du concours

33Le Gaokao, nous l’avons vu, est, dans la tradition des concours chinois, un concours au contenu limité, aux sujets figés, qui requiert une culture purement scolaire. La différence dans l’efficacité de la préparation se fait ainsi entre les enseignants qui enseignent la connaissance et les enseignants qui enseignent la technique d’examen. Pour pouvoir enseigner celle-ci, les enseignants ont besoin d’avoir une vision interne du Gaokao, c’est-à-dire d’avoir participé à la correction des copies du Gaokao ou à la création des sujets du Gaokao. Ayant ces expériences-là, les enseignants du lycée Élite se focalisent sur l’enseignement de la « compréhension du concours ». Les élèves ont ainsi une perception différente de la préparation du concours.

34Dans le lycée Ordinaire, les mêmes enseignants suivent une classe tout au long des trois ans du lycée. Au lycée Élite, ce sont les enseignants réputés pour leur expérience dans la préparation au Gaokao qui prennent en main l’année de Terminale. Au niveau de chaque promotion, deux enseignants par matière restent au moins deux ans de suite en Terminale, afin de transmettre les méthodes adaptées aux changements du concours d’une année à l’autre. Pour chaque matière, les deux ou trois enseignants les plus expérimentés deviennent des experts du Gaokao et restent en permanence en Terminale. Même si l’année de Terminale est considérée par les enseignants comme une année difficile et « à éviter », l’école persuade, primes à l’appui, les plus expérimentés d’entre eux de rester toujours en « première ligne ». Cette organisation permet aux élèves du lycée Élite de préparer le concours avec les enseignants les plus compétents, spécialistes du concours. C’est une des raisons pour lesquelles les élèves du lycée Élite voient la préparation du Gaokao comme une technique à laquelle se former à travers la répétition, tandis que les élèves du lycée Ordinaire la comprennent comme une accumulation de connaissances.

35Les élèves de l’année de Terminale se plaignent tous des exercices interminables et répétitifs. Or, certains réussissent mieux que d’autres à se motiver et à résister à l’ennui. L’épreuve, qui sépare ceux qui vont réussir et ceux qui n’y arriveront pas, réside ainsi dans la capacité à donner du sens non seulement aux exercices, mais surtout à leur répétition. Deux manières différentes de comprendre la répétition sont à l’origine de deux modes d’engagement chez les élèves : la maîtrise de la connaissance ou la maîtrise des techniques de l’examen.

36

[Yang Xin, élève au lycée Ordinaire, dont le père est conducteur de taxi et la mère comptable, a montré dans les entretiens son envie de persévérer et de réussir, en restant dans une logique d’apprentissage et de maîtrise de la connaissance testée.]
La tâche que nous sommes en train d’accomplir est la même que celle des médecins spécialisés en traitement des brûlés. Il faut transplanter de la peau pour les grands brûlés, tu vois ? La réussite dépend de la vitesse de la transplantation et celle de la putrescence. Si la transplantation se fait vite, tu survis. Si la putrescence est plus rapide que la transplantation, tu meurs. C’est notre situation maintenant. Comment dire, réparer tous les trous de la connaissance. Les réparer dès que tu les vois. Tu ne peux pas espérer les réparer tous, c’est juste la vitesse de la réparation qui compte. Plus vite c’est mieux. C’est mon point de vue. (Yang Xin, lycée Ordinaire.)

37Pour Liu Yuan, élève au lycée Élite, dont les deux parents sont cadres d’entreprise, ce n’est pas la maîtrise des connaissances qui est au centre de son attention. Lui se focalise plutôt sur la forme des questions qui sont susceptibles d’affecter la performance dans les examens : le style de question, l’organisation de la copie, les « fils de solution » ou les étapes du développement nécessaires.

38

Le style des questions change énormément, puis l’organisation de la copie… Tu es obligé de t’habituer, et tu prépares les stratégies que tu peux employer. On est obligé d’avoir cette accumulation d’expérience pour faire face au Gaokao. (Liu Yuan, lycée Élite.)

39Pour Liu Yuan, le sens de la répétition consiste à accumuler les expériences d’examens. Il s’agit moins d’un apprentissage de la connaissance qu’un apprentissage d’un « savoir-faire », « qui ne se transmet pas par les mots » (Cheng, 2014). D’autres élèves du lycée Élite, tel que Li Run, parlent du « sens du jeu » comme au jeu de basket. « Il faut s’entraîner pour que la réflexion reste fluide ». Les exercices qui exigent des efforts « se rapprocheraient à bon escient de la notion d’“entraînement”, au sens sportif » (Cheng, 2014 : 119).

40La distinction des modes d’engagement est frappante entre les deux lycées et interroge le rôle des enseignants chargés de la préparation au sein des deux lycées. Tandis que le savoir testé par le Gaokao est explicitement limité aux manuels et programmé par le Guide d’examen (le document officiel qui annonce le programme du concours), les savoir-faire pour réussir le concours sont une connaissance ésotérique, monopolisée par les enseignants les plus expérimentés que l’on ne trouve que dans les meilleures écoles. Ce sont ceux qui ont participé à la correction des copies du Gaokao ou même à la création des sujets, comme madame Liu, enseignante de chinois au lycée Élite. Ayant une vision de l’intérieur du concours, ils sont capables de mieux cibler les entraînements et de montrer aux élèves les techniques de réflexion propres aux examens. Ce qui fait l’efficacité des écoles d’élite ce n’est pas la capacité de travail de leurs élèves ni leur motivation dans l’apprentissage des connaissances, mais le fait qu’elles motivent mieux leurs élèves dans la préparation du concours grâce à l’enseignement d’une technique de pensée directement lié aux examens.

L’intériorisation de la hiérarchie

41La préparation du concours du Gaokao est non seulement une préparation de la connaissance testée, mais aussi un entraînement par répétition de l’intériorisation des inégalités sociales du système éducatif. Elle inculque l’idéologie méritocratique qui veut que chacun doive formuler ses attentes en proportion des efforts qu’il est prêt à fournir. Il s’agit d’une attente qui concerne à la fois l’université dans laquelle ils poursuivront les études, et la « réussite » personnelle à long terme. Ces attentes sont hiérarchisées et façonnées par la place de l’établissement scolaire dans lequel est inscrit l’élève. En choisissant le terme d’« attente », nous désignons une espérance subjective que les individus ajustent aux probabilités objectives et qui se distingue de l’espoir et du rêve non réalistes. Dans le contexte de la préparation du Gaokao, les jeunes apprennent non seulement à réussir le concours, mais aussi à maîtriser leurs attentes en s’inscrivant dans une domination, en fonction de la manière dont ils arrivent à maîtriser leurs résultats d’examen.

Le dépassement des inégalités et la maîtrise de l’attente

42La justification méritocratique prône « la proportionnalité entre contributions et rétributions sociales : chacun reçoit en fonction de ce qu’il a apporté » (Gonthier, 2007 : 154). Dans la préparation du Gaokao, la volonté personnelle et la capacité de travail sont directement liées à l’obtention de bons résultats et, par conséquent, à l’augmentation des chances objectives d’entrer dans les universités prestigieuses. La connaissance de soi-même se fonde sur l’accumulation des expériences d’examens répétitifs.

43

[Après le premier concours blanc, Li Fei est en train de dîner à la cantine avec une camarade. Je m’assois à côté d’elles. Elles parlent des résultats du concours blanc qui vient de sortir.]
Dire qu’on a raté l’examen est juste une manière de se donner une excuse [pour les mauvaises notes]. Je n’aime pas. […] Mettre en avant la malchance devant les mauvais résultats n’est rien d’autre que se chercher des excuses. Cette manière de parler implique qu’on pense avoir un niveau bien supérieur aux résultats réels. C’est se tromper soi-même. Je trouve que ce n’est pas une bonne manière de penser. (Li Fei, lycée Élite.)
– Donc au lieu de dire j’ai raté l’examen, tu préfères dire « je suis comme ça, c’est mon niveau » ?
Oui. Si chaque fois je les comprends de cette manière, je vais sentir que j’ai beaucoup de choses à améliorer et je vais faire plus d’effort. (Li Fei, lycée Élite.)

44La perception de soi est très étroitement liée aux résultats d’examen. Les ajustements aux fluctuations des notes et la projection des futurs possibles sont pratiqués fréquemment par les élèves après les sorties des résultats. Les élèves évaluent leur chance objective de réussir le concours avec les chiffres : les notes et les classements. Madame Yao, l’enseignante référente de la classe de Liu Yuan et Li Fei témoigne deux semaines avant le Gaokao : « arrivés à ce moment de l’année, les élèves doivent déjà connaître leur place ». L’ajustement de l’attente de soi en fonction des résultats d’examens ne se limite pas au projet de la poursuite des études. Il a également des conséquences sur la perspective professionnelle.

45

[Cheng Hao est élève du lycée Ordinaire, son père est cadre dans une entreprise privée et sa mère artiste. Deux semaines avant le Gaokao, ses derniers résultats aux examens n’ont pas été satisfaisants et ont montré qu’il n’entrera probablement pas dans une université du premier rang.].
– Quel est ton objectif ?
Les universités de premier rang. Ma famille a déjà programmé le chemin que je devrai suivre dans le futur et je trouve leur projet pas mal. J’entrerai dans le « Big Four » (les quatre plus grands groupes d’audit financier au niveau mondial). Ma tante est « partner » de l’un des quatre, elle m’aidera à entrer. Mais il faut que j’entre au moins dans l’université S (une université de premier rang). Quant à moi, je ne suis pas quelqu’un qui aspire à de grandes choses. La vie en tant que gérant d’un petit café me va très bien. Je ne cherche pas une vie luxueuse. (Cheng Hao, lycée Ordinaire.)
La plage de possibilités, d’après lui, est restreinte par les éventuels résultats du Gaokao. Conscient de ses résultats d’examen, il se projette moins comme membre d’une élite financière que comme membre des classes moyennes.

46Comparé à Cheng Hao, Liu Yuan, élève du lycée Élite se voit également régresser avant le Gaokao. Cependant, il reste optimiste et ne vise que les deux meilleures universités, en disant « il y a encore du temps ».

47

Un projet à long terme pour ma vie, je n’y ai pas trop réfléchi. De toute façon, plus j’obtiens de points, plus je dispose de choix. Tu vois, si j’entre dans une bonne université, j’aurais plus de choix dans le futur. (Liu Yuan, lycée Élite.)

48Les deux meilleures universités représentent pour Liu Yuan une plage de possibilités plus large. La place relative dans le classement délimite ainsi la zone des possibles de chaque individu, tandis que les « efforts scolaires » sont les seuls moyens pour les élèves de se rapprocher des futurs désirables. Il s’agit pour eux de se soumettre à une forme d’exercice scolaire spécifique dont le contenu est soigneusement délimité et prescrit au fur et à mesure de l’institutionnalisation de la préparation du concours au sein des lycées.

49Telle que comprise par Li Fei, la maîtrise de cette plage des possibles s’effectue à travers les efforts scolaires. La valeur des efforts est appréciée par les élèves à travers l’« ascension », d’abord dans les classements aux examens, ensuite dans la hiérarchie des établissements et enfin même sur le plan géographique, par l’accès à une zone plus développée. Les élèves comme Li Fei ont vécu cette mobilité et cru en la justice et en la justesse de la formule : plus d’effort, plus d’ascension. Étant toujours la première pendant son parcours scolaire antérieur, elle a réussi à entrer au lycée Élite et devenir interne de l’école. Li Fei est originaire d’une zone montagneuse et rurale dans la banlieue lointaine de Pékin. Le district est peu doté en ressources éducatives en comparaison des districts du centre-ville. Les élèves de la banlieue réussissent rarement à sortir du district à la fin du collège.

50Une réussite comme celle de Li Fei reste très rare. Néanmoins, à l’endroit où les meilleures élèves se rassemblent, tel le lycée Élite, son expérience est loin d’être unique et est considérée comme normale. La valeur d’efforts scolaires est justifiée pour les élèves par la possibilité de faire progresser les résultats d’examen et de créer une plage de possibilités plus grande. Pour la réaliser, il faut dépasser les frontières infranchissables, les inégalités institutionnalisées et les conditions défavorisées, afin de « rattraper » les autres. À propos de la mobilisation politique dans la production agricole au village de Dazhai [28] pendant la période maoïste, Chang Shu et Hua Lingshan ont montré que l’effort individuel était demandé par les institutions, afin de surpasser des techniques de production arriérées (Shu & Lingshan, 2007). La même croyance en la volonté personnelle qui permet de dépasser les conditions matérielles et institutionnelles est présente chez les élèves préparant le Gaokao.

51Pour les élèves comme Li Fei, malgré l’élargissement du recrutement à l’Université, l’incertitude par rapport au résultat d’admission n’est pas diminuée, elle est même accrue avec une hiérarchisation plus fine des établissements (Li & Wang, 2020). La soumission devant la demande institutionnelle constitue la condition pour se projeter en haut de la hiérarchie dont la distance avec l’élève est rendue visible par les classements.

Le dépassement du concours et l’accès aux futurs désirables

52Outre de meilleures conditions de préparation au concours, le lycée Élite permet aux élèves de développer leurs « qualités » personnelles en son sein, tandis que l’organisation des activités scolaires du lycée Ordinaire n’inclut pas d’activités pour les « qualités » personnelles. Les « qualités » développées pendant les deux premières années constituent un privilège pour les élèves du lycée Élite, qui leur permet de surpasser les conséquences du concours. Pour ces élèves qui sont déjà au sommet de la hiérarchie scolaire, la préparation de ce dernier constitue un temps de « sacrifice ».

53

Mais je pense que [les résultats d’examen] reflètent d’une certaine manière le degré d’investissement d’une personne sur une chose donnée et pendant une période donnée, un degré de concentration des forces et un certain degré de compréhension d’une certaine situation. (Zhang Zhuo, lycée Élite, les parents sont tous les deux fonctionnaires.)

54Le mot « certain » est employé plusieurs fois pour limiter la signification des résultats d’examen. Zhang Zhuo distingue nettement l’apprentissage de la préparation au concours. Tandis que le premier consiste à avancer dans l’acquisition des connaissances, la seconde représente la répétition et l’ennui. Les examens n’évaluent pas les connaissances, mais la préparation des examens. Celle-ci n’a pour les élèves qu’une valeur utilitaire, pour accéder aux meilleures ressources éducatives du niveau supérieur de l’éducation. Les élèves comme Zhang Zhuo relativisent également l’importance du Gaokao, qui ne reflète pas les « qualités personnelles ». L’expérience qu’il a vécue lui permet de dépasser la culture livresque et d’accéder à la culture scientifique. Elle conditionne sa façon de percevoir le concours.

55

[Ayant l’objectif d’étudier la physique à l’Université, Zhang Zhuo s’intéresse beaucoup à la recherche. Il explique la découverte de sa vocation lors de sa participation à une « vraie recherche pendant la deuxième année du lycée. Cette expérience a été organisée par un intervenant extérieur, professeur d’une université prestigieuse. Zhang Zhuo souligne la différence entre une « vraie recherche » et les expériences qui sont réalisées en cours.]
Nous étudiions la poussière par terre et essayions de comprendre quels [étaient] les facteurs qui ont une influence sur le smog à Pékin. Nous avions constitué des échantillons, etc. J’ai même lu des livres en géologie à ce moment-là. J’ai beaucoup aimé. C’est [il accentue] de la recherche, et c’est toujours amusant. (Zhang Zhuo, lycée Élite.)

56La tension entre l’acquisition de la connaissance et la capacité de s’investir dans une tâche donnée n’est pas propre à Zhang Zhuo au sein du lycée Élite. « On n’apprend rien », confirme un autre élève du lycée Élite, Li Run. Ces élèves séparent nettement la valeur appréciée par le concours et la valeur de leurs « qualités personnelles ». L’échec au concours leur paraît moins fatal. Étant élèves au lycée Élite et déjà au sommet de la hiérarchie scolaire, ces derniers ne se limitent plus à la hiérarchie scolaire nationale, ils s’attendent à progresser dans une hiérarchie cette fois-ci à l’échelle internationale. Zhang Zhuo a lui-même échoué à entrer dans les deux meilleures universités de Chine, l’objectif commun des élèves du lycée Élite. Cela ne l’a pas découragé pour autant, il est parti aux États-Unis dès la deuxième année de la Licence, afin d’« étudier la vraie physique ».

57Tout comme « le temps de production » pour les paysans kabyles décrits par Pierre Bourdieu, les deux premières années du lycée Élite ont pour fonction d’accumuler les ressources symboliques qui permettront aux élèves d’obtenir plus de soutien de l’école pendant la période de travail intensif de préparation du concours (Bourdieu, 2000 [1972]). En échange, pendant cette période de préparation du concours, ils doivent réaliser des sacrifices et contribuer par leur réussite à l’excellence de l’école, qui est en soi un capital symbolique (Draelants, 2010). Or, avec le développement des « qualités personnelles », ils constituent le groupe d’élèves les moins préoccupés par les résultats du concours, grâce à la séparation qu’ils peuvent faire entre la valeur des résultats d’examen et celle des qualités personnelles, institutionnalisée au sein de leur établissement. Grâce à la fois aux meilleures méthodes de préparation qu’ils peuvent recevoir et à la relativisation de la valeur des résultats du concours, les élèves du lycée Élite bénéficient d’un double privilège.

Conclusion

58À travers le contrôle des attentes des élèves, le concours du Gaokao constitue un outil de gestion non seulement pour faire face à la massification de l’enseignement supérieur, mais aussi pour la mondialisation de l’éducation. Détenant le monopole de la distribution des futurs désirables, il orchestre la hiérarchisation de l’attente de soi chez les élèves et décide de la légitimité d’une perspective internationale pour ces derniers.

59Dans cet article, nous nous sommes interrogés sur les effets d’une forme spécifique de concours, le concours distributif à contenu strictement scolaire. Il montre que, dans le contexte de la massification de l’enseignement supérieur, la sélection par concours à l’entrée constitue l’outil de gestion centralisée des ressources humaines du pays. L’article révèle aussi que les résultats d’examen sont considérés comme reflet des efforts fournis, tandis que les établissements au sein desquels les élèves le préparent exercent un impact direct sur la motivation et la capacité de travail des élèves. La justification méritocratique qui en résulte légitime les inégalités scolaires et incline les élèves à se projeter dans un futur correspondant à leur place dans la hiérarchie scolaire. La préparation du concours constitue l’apprentissage d’une position dans la relation de domination à l’égard de son futur.

60Le Gaokao représente une forme extrême de concours distributif avec une autorité centralisée sur un territoire national particulièrement étendu. L’analyse de ce cas peut dès lors être instructive pour les concours en France, avec le développement des banques d’épreuves ou des concours communs des écoles d’ingénieurs. Par ailleurs, il est important de mettre en exergue l’évolution d’un concours sélectif vers un concours distributif, puisque derrière ce glissement, le concours devient l’outil d’une « politique des quotas ». La politique des quotas, dont l’usage est courant dans le contrôle des flux des immigrants dans les pays développés (Fall, 2014) a bel et bien fait son entrée dans le domaine de l’éducation. Le cas des quotas raciaux dans la sélection d’étudiants pour l’entrée dans les universités d’élite américaines a suscité des débats sur la justice sociale et l’inégalité créée par ce procédé (Goastellec, 2004). Le concours n’est-il pas un outil d’euphémisation de la politique des quotas des « immigrants » sociaux face à la massification de l’enseignement ? Le cas du Gaokao nous rappelle le double usage de cet outil qui contribue non seulement à limiter l’aspiration de certains, mais aussi à imposer un futur désiré à d’autres, un futur dont la désirabilité est elle-même une construction sociale qui repose sur la hiérarchie scolaire.

Notes

  • [1]
    Zhonghuarenmingongheguo putong gaodengxuexiao zhaosheng quanguo tongyikaoshi (中华人民共和国普通高等学校招生全国统一考试).
  • [2]
    En 2020, le concours a eu lieu les 7 et 8 juillet à cause de la pandémie Covid-19.
  • [3]
    Le mot « effort » est employé dans sa forme singulière quand il s’agit du concept abstrait et au pluriel quand il désigne les pratiques concrètes définies comme « efforts ».
  • [4]
    La métaphore est communément utilisée tant par les médias que dans la vie quotidienne comme on l’a observé auprès de nos enquêtés. Voir par exemple, l’article de l’agence de presse officielle : « Nouvelle direction indiquée par la baguette du Gaokao, quel nouveau rythme l’accompagnera ? », Xinhua News [en ligne : http://m.xinhuanet.com/sh/2018-03/22/c_137055980.htm, consulté le 11 mai 2020].
  • [5]
    Nous proposons ici la notion de concours distributif en vue de décrire les concours dont l’objectif est de classer les candidats afin de les affecter à des postes inégalement dotés en ressources. Elle se distingue de celle du concours sélectif sur trois plans : les examinateurs (du même corps ou non que celui que les candidats aspirent à intégrer), le niveau de l’autorité (local/central) et l’institution qui l’administre (la même qui recrute ou une autre). Les concours que nous pouvons observer dans les sociétés, française ou chinoise, se situent le plus souvent sur le continuum que balisent ces deux types de concours.
  • [6]
    Il s’agit d’une phrase qu’on entend très souvent auprès des candidats des concours, des enseignants et des parents. Elle est souvent utilisée dans les médias également. La phrase ici est une citation de l’entretien avec Li Run, élève du lycée Élite.
  • [7]
    L’usage de l’expression « baccalauréat chinois », par analogie avec le diplôme français, est incontournable pour parler du Gaokao, soit dans les médias traditionnels comme Le Monde [en ligne : http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2014/06/09/pour-le-gaokao-les-chinois-ne-laissent-rien-au-hasard_4434558_3216.html, consulté le 11 mai 2020], soit sur les sites d’information tels que Slate.fr [en ligne : http://www.slate.fr/story/126266/gaoka-examen-difficile-etudiants-chinois, consulté le 25 mais 2017]. Les deux reportages commencent par cette analogie qui permet aux lecteurs de saisir les contours du concept de Gaokao.
  • [8]
    Quoique désormais, avec le système des concours communs, le recrutement des grandes écoles françaises se fasse selon un mode entre le sélectif et le distributif.
  • [9]
    Il s’agit de la Seconde Guerre mondiale, soit la guerre sino-japonaise (1937-1945) et la guerre civile chinoise qui a continué après 1945 et pris fin en 1949.
  • [10]
    Citation tirée du discours de Ma Xulun, ministre de l’Éducation, lors de la première réunion nationale de l’enseignement supérieur (diyici quanguo jiaoyu huiyi, 第一次全国高等教育会议), le 1er juin 1950.
  • [11]
    Le discours du ministre de l’Éducation, Ma Xulun, lors de l’ouverture de la première réunion nationale du travail de l’Éducation (23 décembre 1949). Voir les Annales de l’éducation chinoise (1949-1981), Pékin, Presses de l’encyclopédie de la Chine, 1984, p. 683.
  • [12]
    Par exemple, à la chute de la dynastie Han (220 ap. J.-C.), le royaume de Wei a créé le système des neuf rangs, tout premier système de sélection et de hiérarchisation des officiers impériaux par recommandation des autorités locales, afin de recruter et reclasser les élites locales existantes (Miyazaki, 1981 : 7). Le fameux concours impérial – Keju (科举) – a été inventé au début de la dynastie Sui (581-618 ap. J.-C.) pour consolider les nouveaux pouvoirs politiques par absorption des différents milieux et des élites locales et pour imposer l’unité nationale.
  • [13]
    Les savoirs à maîtriser étaient limités aux quatre classiques du confucianisme, afin de diminuer le nombre de livres nécessaires pour participer aux concours et de ne pas privilégier ceux qui pouvaient acquérir de nombreux ouvrages (Miyazaki, 1981).
  • [14]
    La phrase est une citation de l’entretien avec Liu Yuan, élève du lycée Élite.
  • [15]
    Il s’agit d’une « campagne de rectification » contre les militants d’inspiration libérale qui ont critiqué le gouvernement communiste. Le Mouvement a pour conséquence la répression sévère des intellectuels (Ziming & Merle, 2007). « Si l’on estime de 550 000 à 1,3 million le nombre d’intellectuels qui perdent leur poste et sont envoyés à la campagne ou dans des camps de rééducation par le travail, un quota de 5 % de chaque unité de travail doit également être désigné comme droitier. » Voir Amar Nathanel, Violences de masse en République populaire de Chine depuis 1949 [en ligne : https://www.sciencespo.fr/mass-violence-war-massacre-resistance/fr/document/violences-de-masse-en-republique-populaire-de-chine-depuis-1949, consulté le 11 mai 2020].
  • [16]
    Les zhiqing [« jeunes intellectuels »] ont été envoyés à la campagne pour des raisons politiques et idéologiques : […] « rééduquer les jeunes intellectuels, transformer leur mentalité, les obliger à s’unir aux masses afin d’empêcher qu’ils ne trahissent sa révolution » (Saint-Martin, 2005).
  • [17]
    Nous faisons surtout référence ici à l’agrégation de l’enseignement supérieur français. Elle concerne le recrutement des professeurs des universités dans les disciplines juridiques, politiques, économiques et de gestion. Le choix d’utiliser un terme générique nous permet d’attirer l’attention sur l’histoire de l’installation du concours d’agrégation en 1821, qu’il est intéressant de mettre en parallèle avec celle du Gaokao en termes de déplacement de l’autorité du local (établissement) au central (Conseil royal). Nous voulons également souligner que les jurys des agrégations comprennent toujours des membres des corps auxquels elles donnent l’accès (Chervel, 1993 ; 2009).
  • [18]
    En effet, le Gaokao est partie intégrante de la planification économique du pays dès le début. Son rétablissement a pour effet de renforcer ce trait de l’institution, en phase avec l’intégration de la Chine à l’économie du marché mondialisé. La création du Gaokao en 1952 a été concomitante de la proclamation par le Parti communiste chinois du Premier plan quinquennal de Développement économique. Le Gaokao est ainsi établi comme composante de la planification de l’économie.
  • [19]
    Le taux brut de scolarisation (TBS) est calculé en fonction du quotient du nombre d’élèves inscrits et de la population totale de la classe d’âge du niveau d’enseignement. Il est ainsi possible d’obtenir un résultat supérieur à 100 %, en prenant en considération des enfants qui sont scolarisés avant d’avoir atteint l’âge ou qui sont plus âgés que l’âge officiel indiqué par le niveau d’études. Le TBS de l’enseignement supérieur en France est 65,6 % en 2018 (voir le site de l’UNESCO [en ligne : http://data.uis.unesco.org/index.aspx?queryid = 142&lang = fr, consulté le 11 mai 2020]).
  • [20]
    Voir le site officiel du ministère de l’Éducation [en ligne : http://www.moe.gov.cn/jyb_xwfb/xw_fbh/moe_2069/xwfbh_2016n/xwfb_160407/160407_sfcl/201604/t20160406_236891.html, consulté le 11 mai 2020].
  • [21]
    L’expansion de l’enseignement supérieur s’est surtout accélérée après cette date. Dans l’intervalle de dix ans, entre 1998 et 2008, le TBS dans l’enseignement supérieur a plus que doublé, passant de 9,8 % à 23,3 %. Le taux d’entrée des lycéens diplômés dans l’enseignement supérieur est passé de 46,1 % en 1998 à 83,4 % en 2003.
  • [22]
    Voir le site de l’UNESCO [en ligne : http://data.uis.unesco.org/index.aspx?queryid = 142&lang = fr, consulté le 11 mai 2020].
  • [23]
    Pendant la « seconde explosion secondaire » en France, les effectifs de l’enseignement supérieur voient une augmentation de près de 84 % pour l’intervalle de quinze ans entre 1980 et 1995 (Convert, 2003 ; Blanchard & Cayouette-Remblière, 2016 : 19 ; Beaud, 2002). Si nous prenons les chiffres de 2007 et 1998, les effectifs de l’enseignement supérieur en Chine ont augmenté de 553 %.
  • [24]
    Le projet du label des écoles exemplaires fait partie des réformes mises en place à partir de 1993, annoncées dans le Plan du développement et des réformes de l’Éducation chinoise, et surtout le décret d’application de cette réforme promulgué par le gouvernement en 2004 [en ligne : http://old.moe.gov.cn/publicfiles/business/htmlfiles/moe/moe_177/200407/2483.html, consulté le 11 mai 2020].
  • [25]
    La moitié des écoles exemplaires sont les anciennes écoles pilotes reconverties.
  • [26]
    L’expression remonte à 1985, date à laquelle Deng Xiaoping a mis en avant la « nécessité d’améliorer les qualités de la population nationale » dans le premier Congrès national des travailleurs dans l’éducation (Yang, 2003).
  • [27]
    L’idée de « qualité » (suzhi) suscite des discussions entre les chercheurs. D’après Yan Hairong, le terme est le signe de la reformulation de la relation entre l’État, le marché et les travailleurs dans le contexte de l’idéologie néolibérale (Yan, 2008). Ceux qui ont une place dominante sur le marché du travail ont naturellement des « qualités », puisque les caractéristiques sociales de ces derniers définissent la signification des « qualités ». Néanmoins, selon Andrew Kipnis (2006 ; 2007) les « qualités » dans son contexte d’usage ne sont pas évaluées par le marché, la reconnaissance dépend de la décision arbitraire de l’autorité centrale d’évaluation.
  • [28]
    Dazhai est un village situé dans la province de Shanxi. Réputé pour son organisation de la production agricole, il est choisi par Mao Zedong comme l’exemple à suivre dans la campagne nationale « Imiter Dazhai ».
Français

En 2019, plus de dix millions de lycéens ont participé au Gaokao, le « Concours national et unifié d’entrée dans l’enseignement supérieur » en Chine. À l’issue de ce concours, en fonction de leur classement, les jeunes Chinois sont répartis dans des universités de prestige très différent. On dit de ce concours qu’il « décide de la vie de chacun ». Comment les paramètres du concours fondent-ils la justice sociale qu’il est censé assurer ? À partir d’enquêtes ethnographiques et d’entretiens au sein de deux lycées à Pékin, cet article défend la thèse selon laquelle le Gaokao incarne une idéologie méritocratique qui veut que chacun formule des attentes en proportion des efforts qu’il est prêt à fournir. Les inégalités du système scolaire, qu’elles relèvent des conditions matérielles ou symboliques offertes par chaque établissement secondaire, selon son statut, exercent un impact direct sur la motivation et la capacité de travail des élèves, et in fine sur leurs performances au concours. Elles délimitent les contours imaginaires du futur possible pour les élèves et reproduisent les inégalités sociales.

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  • Chine
  • Références bibliographiques

    • Allouch A., 2017, La Société du concours. L’empire des classements scolaires, Paris, Le Seuil, coll. « La république des idées ».
    • Beaud S., 2002, 80 % au bac… et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, Paris, La Découverte.
    • En ligneBlanchard M., Cayouette-Remblière J., 2016, Sociologie de l’école, Paris, La Découverte.
    • Bourdieu P., 2000 (1972), Esquisse d’une théorie de la pratique. Précédé de Trois études d’ethnologie kabyle, Paris, Le Seuil.
    • —, 1989, La Noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps, Paris, Éditions de Minuit.
    • —, Passeron J.-Cl., 1970, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Éditions de Minuit.
    • En ligneCharles N., 2015, Enseignement supérieur et justice sociale. Sociologie des expériences étudiantes en Europe, Paris, La Documentation française.
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Siyu Li
Siyu Li est actuellement doctorante en sociologie au CLERSÉ (université de Lille) et au Centre Maurice Halbwachs (ENS). Ses recherches portent sur la légitimation morale de la hiérarchie scolaire par les notes. En combiant la sociologie de l’éducation et la sociologie de la quantification, sa thèse porte sur le concours à l’entrée de l’enseignement supérieur en Chine (Gaokao), et plus précisément sur l’emprise de l’institution scolaire sur les élèves. Elle a traduit, en chinois, le livre de Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique. Précédé de trois études d’ethnologie kabyle (avec Z. Gao). 
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Mis en ligne sur Cairn.info le 24/08/2020
https://doi.org/10.3917/anso.202.0469
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