CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les débats sur les classes sociales, et plus généralement sur la bonne manière de qualifier les positions sociales, agitent la sociologie depuis des décennies. Sur la base de conceptions fondatrices comme celles de Marx, de Weber, de Sorokin, d’Halbwachs ou de Warner, de nouvelles propositions ont été avancées après-guerre. Peter M. Blau et O. D. Duncan (1967) ont défendu l’emploi d’un indice continu de prestige professionnel. Pierre Bourdieu a cherché à unifier en une approche en termes d’espace social, de styles de vie, de champs et de capitaux (1984) celles en termes de classes sociales, de groupes de statut et de représentation politique (1978 ; 1980). Divers auteurs ont prôné une approche par les classes sociales en donnant chacun un sens différent au concept (Goldthorpe, 1980 ; Wright, 1985). Ce foisonnement a donné lieu, plus récemment, à des tentatives d’intégration ou de discussion (Grusky & Sorensen, 1998 ; Chan & Goldthorpe, 2004 ; Savage et al., 2013).

2David B. Grusky, en particulier, a poursuivi avec différents collaborateurs une série de prospections empiriques visant à comparer la qualité de plusieurs conceptions de la stratification sociale, notamment pour défendre un schéma en « microclasses », dont l’efficience est évaluée à l’aune d’une vaste gamme de comportements et attitudes (Weeden & Grusky, 2005), ou pour comparer sur des critères de fluidité sociale différentes échelles d’agrégation des classes sociales (deux classes, cinq « grandes » classes, 82 « microclasses », ainsi qu’un schéma non pas catégoriel, mais graduel : Jonsson et al., 2011). Cet effort systématise dans un registre théorique la masse des travaux qui, sur un registre plus pratique, ont remis en cause les divisions sociales les plus couramment employées en les divisant à leur tour, en mettant en avant leur hétérogénéité ou, parfois, en proposant des divisions alternatives [1].

3Le présent article adopte une démarche similaire à celle-ci sous deux aspects : il interroge la pertinence de schémas en grandes classes sociales qui prévalent dans la sociologie française et le fait en cherchant à systématiser empiriquement tout un courant de recherches qui interroge les catégories stabilisées, par la pratique (voir, par exemple, Amossé & Chardon, 2006), ou par la critique théorique (s’inspirant souvent de P. Bourdieu [1978]). La démarche diffère toutefois en plusieurs sens de celle menée autour de D. B. Grusky. Elle se positionne résolument dans l’espace des débats français sur la stratification sociale, où occupent une place bien plus centrale les méthodes biographiques et de terrain d’une part, les théorisations de P. Bourdieu d’autre part – dans des versions moins simplifiées que celles exportées en langue anglaise. La visée n’est pas non plus la même, l’objectif n’étant pas de déterminer le schéma géométrique simple qui convient le mieux pour représenter les positions sociales (grandes classes, petites classes, hiérarchisées ou non, ou encore grandeurs continues) : un modèle pertinent n’a aucune raison de suivre une forme aussi élémentaire. Il ne s’agit pas ici de statuer sur la bonne théorie de la stratification sociale, mais plus directement d’éprouver la consistance des découpages en classes sociales les plus couramment employés dans les travaux contemporains. On pense en particulier au triptyque des classes populaires, des classes moyennes et de la bourgeoisie, qui structure la sociologie française depuis Maurice Halbwachs (1955 [1938]) jusqu’à aujourd’hui, y compris chez des auteurs qui affinent les divisions ou en précisent les structures, mais le font dans le cadre de la tripartition élémentaire (notamment Siblot et al., 2015). L’interrogation porte d’ailleurs ici tout autant sur d’autres catégories courantes comme les élites, les indépendants, les ouvriers ou la fonction publique.

4Quelles traces empiriques est‑il donc possible de construire des grandes classes sociales qu’évoquent régulièrement les sociologues en France ? Sur quels critères, à l’aide de quel matériau et avec quelles précautions est‑il pertinent de chercher à les circonscrire ? On ne peut répondre à ces questions sans adopter au préalable une définition minimale des classes sociales, au sens d’une définition réduite aux critères que partagent l’ensemble des définitions sur lesquelles s’appuient les différentes recherches recourant aux grandes catégories dont il vient d’être question.

5En premier lieu, ces recherches, qu’elles revendiquent une approche réaliste, nominaliste ou autre, ont en commun de considérer que les entités pertinentes (généralement des individus ou des familles) appartiennent à une classe (à l’exception éventuelle de cas d’entre-deux supposés rares), et jamais à deux classes à la fois. Même ceux qui, après Bourdieu, estiment illusoire de prétendre distinguer les classes les unes des autres « sur le papier », ou considèrent qu’une classe consiste avant tout en une catégorie identificatrice dont l’efficience résulte d’un travail de mobilisation, considèrent que les individus ou les familles, dans leur grande majorité, appartiennent aux classes qu’ils identifient, ce qui implique bien que le système des classes s’apparente à une partition des individus ou des familles, avec des limites éventuellement floues, mais identifiables.

6Un autre trait commun prévaut [2], même s’il est plus structurant dans les travaux inspirés d’Halbwachs ou de Bourdieu que dans ceux inspirés de Marx, de Weber ou de Goldthorpe. Il consiste à considérer que les classes sociales sont suffisamment structurantes pour affecter tous les domaines de l’existence, et donc se manifester par des systèmes relativement cohérents de manières d’être – des styles de vie. Cette conception implique qu’en multipliant les critères pour objectiver les classes sociales, on tend à en préciser les contours et non à les brouiller : les prospections empiriques qui suivent reposent sur ce principe [3].

7Ces clarifications explicitées, il convient de passer à la recherche proprement dite des traces de grandes classes sociales en France. Dans un premier temps sont détaillés une série de préalables méthodologiques sans lesquels on risquerait de voir des classes là où il n’y en a pas. Puis la prospection est menée sur des données de l’Insee, à l’échelle des professions à l’aide des enquêtes Emploi de 2008 à 2016, et à l’échelle des ménages à l’aide de l’enquête Budget de famille de 2011.

Comment rechercher de grandes classes sociales sans présupposer leur existence ?

8Rechercher si, dans la société française, il est possible de trouver la trace de grandes classes sociales appelle une démarche qui ne présuppose pas d’emblée leur existence. Pour éviter les pétitions de principe de ce type, il est utile d’en signaler différentes formes, inscrites dans les arguments ou dans les outils empiriques, auxquelles il n’est pas rare que recourent les sociologues entendant montrer l’existence des classes sociales [4].

9Un raccourci relativement fréquent consiste à mettre en évidence des différences entre situations sociales, puis d’en déduire l’existence de catégories séparées, sans que l’analyse ne montre véritablement les coupures, éventuellement floues, qui autoriseraient à le faire. Le cas se rencontre d’abord chez tous ceux qui ont voulu identifier une classe sociale au moyen d’une étude monographique : de la même manière qu’en observant au spectromètre un seul objet, mettons une fleur mauve à feuilles vertes, on ne peut pas déduire que les couleurs des objets en général doivent se modéliser par de grandes catégories comme « mauve » et « vert », aucune étude, aussi poussée soit‑elle [5], ne peut s’appuyer sur l’observation d’une lutte entre deux groupes sociaux sur un terrain circonscrit pour défendre une conception homologue de la stratification sociale à l’échelle d’une société entière [6].

10Cette tendance à conclure à des coupures à partir d’un matériau qui ne montre que des différences se rencontre également dans des études sur des gammes bien plus variées de situations sociales, représentées sous la forme de nuages de points. Ce sont alors les techniques de partitionnement du nuage qui sont en cause : que l’on utilise la classification ascendante, les classes latentes, les k-moyennes, ou même plusieurs variantes de ces techniques départagées par des mesures de qualité, on aboutira à une division du nuage, quelle que soit la pertinence qu’il y a à diviser le nuage. Le risque de réifier ainsi des catégories discontinues dans un nuage de points ne présentant pas de véritable discontinuité tient pour partie à la robustesse de l’analyse : la forme et la taille des sous-ensembles [7] identifiés sont très sensibles à d’infimes variations des variables numériques définissant le nuage ainsi que, le cas échéant, à la fluctuation d’échantillonnage. Mais s’il existe des indicateurs de qualité, il n’en existe aucun de pertinence à proprement parler : cela est affaire de sociologie et non de technique mathématique. Anticipons dès maintenant l’épreuve empirique qui suit en notant que, dans l’état actuel des connaissances sociologiques, une manière acceptable de statuer de la pertinence à découper un nuage de points consiste à se fier d’abord aux divisions qui apparaissent à l’œil nu. En effet, les chercheurs, ethnographes ou statisticiens, qui invoquent de grandes classes sociales sans recourir à des nuages de points le font aujourd’hui selon des techniques moins précises que l’œil nu. Quant à ceux qui y recourent, soit ils font état de divisions visibles à l’œil nu [8], soit ils ne montrent pas les nuages et empêchent ainsi de juger à quel point les sous-ensembles qu’ils isolent sont séparés par de véritables coupures ou par de simples différences [9].

11Une autre tendance fréquente consiste à reprendre les catégories en vigueur dans différents univers sociaux, telles quelles ou remaniées, qu’il s’agisse de catégories administratives comme le code des Professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) en France ou de la variété des mots qu’emploient ordinairement les agents pour se désigner ou pour désigner les autres. Or, en faisant jouer ainsi le rôle des sociologues à des acteurs qui ne le sont pas, en particulier aux partis, syndicats, médias, intellectuels et autres porte-parole, on prend un double risque. Celui, d’abord, de recourir à des termes différents qui se réfèrent en réalité à des positions sociales très proches : on pense aux nombreux vocables d’auto-identification qui circulent dans les grands ensembles paupérisés, mais aussi, à l’autre extrémité de l’espace social, à certains usages des notions d’« élite » et de « bourgeoisie ». Inversement, celui de masquer les différences importantes qui peuvent exister entre des situations regroupées sous un même terme : là on pense aux schèmes de type haut/bas, eux/nous ou haut/moyen/bas, qui sont au fondement de l’identification des grandes classes sociales, que le matériau traité soit statistique (comme chez Louis Chauvel [2006]) ou ethnographique (comme dans l’étude aussi méticuleuse qu’influente d’Olivier Schwartz [1998]).

12Les grandes divisions traditionnelles de l’espace social peuvent encore être défendues (par exemple par Schwartz, 1998 : 51) au motif que l’on ne pourrait pas parler du monde social sans employer de catégories pour le faire. Mais un contre-argument s’impose. Il existe bel et bien des conceptualisations qui ne nécessitent pas le recours à des catégories discontinues, celles par exemple qui s’appuient sur des notions mathématiques comme espace ou distribution, ou sociologiques comme capital ou hiérarchie, qui ouvrent la possibilité de modéliser des continuums, des catégories discontinues, mais aussi des configurations hybrides ou plus complexes.

13On trouve encore la tendance à accorder une prépondérance indue à un unique critère de différenciation, ou, plus radicalement, à ramener l’ensemble de ces critères à un seul : on découpe alors selon ce seul critère des catégories qui, selon d’autres critères, peuvent très bien être en réalité proches entre elles ou hétérogènes individuellement. L’écueil a souvent été incriminé (en France dès Henri Mendras [1967 : 93-98 ; 218]). On le rencontre toutefois encore beaucoup, en particulier chez la plupart des analystes de la mobilité sociale privilégiant le matériau statistique, qui se satisfont d’indicateurs de statut professionnel – ou, plus récemment, économique. Chez ces derniers et ceux qui ont pris l’habitude de s’appuyer sur leurs travaux, la tendance à concevoir un espace social divisé en quelques grandes classes entre en collusion avec la routinisation du recours à un unique outil d’analyse, la table de mobilité sociale, traditionnellement construite sur un petit nombre de catégories statistiques sujettes elles aussi à la routinisation.

14Il faut signaler également les travaux qui promeuvent des catégories discontinues plus fines que les grandes catégories traditionnelles, mais en prenant pour acquise la pertinence de ces dernières, à l’instar de ceux qui ont voulu dépasser le dualisme marxiste en y insérant une classe moyenne (Boltanski, 1982 : pt. 1 ; Bosc, 2008 : 6-20), ou celui de W. Lloyd Warner et Paul S. Lunt (1942) divisant la upper class en une lower-upper class et une upper-upper class. Une autre manière de reproduire le problème à l’identique consiste à identifier une classe en en montrant l’hétérogénéité ou la structuration interne, comme l’a fait Louis Chauvel (2006) à propos des classes moyennes. Mais alors rien n’atteste qu’il s’agit véritablement d’une classe douée d’une relative homogénéité, puisque la structure ou l’hétérogénéité internes dégagées peuvent très bien valoir pour une portion plus vaste de l’espace social.

15Les raisonnements et méthodes mentionnés dans cette section, s’ils peuvent mener à de riches résultats, sont suspects dès qu’ils sont employés pour montrer l’existence de classes sociales : il a fallu les mentionner pour justifier de ne pas y recourir ici. Les deux prospections qui suivent sur des données récentes de la statistique publique française, respectivement à l’échelle des professions et à celle des ménages, ont été construites avec le souci de forcer l’apparition de catégories discontinues, par tous les moyens possibles ne relevant pas de l’artefact technique, de manière à éviter tout soupçon que la démarche soit viciée à la racine par une remise en cause a priori de la pertinence des grandes catégories sociales traditionnelles.

Les divisions entre catégories de profession du point de vue de l’enquête Emploi

16De Maurice Halbwachs (1955 [1938]) à Kim A. Weeden et David B. Grusky (2005), nombre de théoriciens des classes sociales ont pris le groupe professionnel pour unité élémentaire de leurs analyses. C’est cette même perspective que j’adopte ici dans un premier temps, du fait de la richesse des informations disponibles à cette échelle d’observation. Pour le cas français, c’est la statistique publique qui offre les données les plus complètes – et les seules permettant de comparer simultanément un grand nombre de types de profession. Cette comparabilité est rendue possible par l’existence du code des PCS, nomenclature qui, malgré son inévitable arbitraire, a maintes fois fait la preuve de sa pertinence pour décrire les groupes professionnels. Pour limiter l’hétérogénéité interne aux professions [10], l’analyse porte sur le niveau le plus fin de cette nomenclature : les enquêtes Emploi de 2008 à 2016 (Insee) ont permis de circonscrire 471 professions et de construire 37 variables numériques portant sur les conditions de travail et d’emploi des individus qui les exercent, sur leurs revenus, leurs études, leur situation résidentielle, leur patrimoine immobilier, leur âge, leur sexe, leur origine sociale et migratoire, leur situation conjugale et domestique (l’annexe numérique détaille la procédure adoptée). La structure de cet ensemble de professions relativement à ces variables est dégagée d’une analyse en composantes principales (ACP) : avant toute considération sur ce que le système des professions peut nous apprendre des divisions de la société française en grandes classes sociales, il faut en décrire les principes de différenciation.

Trois grands principes de structuration

17La relative redondance dans le choix de certaines variables (la tendance à travailler le samedi et celle à travailler le dimanche, l’âge moyen de fin des études et la tendance à être très diplômé) est trop faible pour expliquer à elle seule l’apparition de trois grands principes qui organisent les corrélations dans le nuage de points soumis à l’ACP normée. Ceux-ci, ensemble, résument 56 % de la variance.

18Le premier axe en résume 24 % (Graphique 1). À contribution quasiment égale, les variables qui lui donnent sa forme sont, positivement, l’âge moyen de fin des études, la part de revenus élevés, les proportions de conjoints, de pères et de mères exerçant une profession valorisée, et, négativement, la part de non-diplômés, de titulaires de diplômes professionnels, et de résidents en HLM. Plus secondairement contribuent aussi la part de résidents en zone urbaine sensible, la part de contrats précaires et, positivement, la part de résidents de l’agglomération parisienne. L’axe exprime donc clairement, à travers le statut professionnel, les processus sociaux complexes, mais puissants qui maintiennent d’une génération à l’autre la hiérarchie des statuts sociaux par le biais, notamment, de la trajectoire familiale, scolaire et matrimoniale. À ce titre, on peut considérer qu’il donne une mesure de la quantité globale de capitaux associés aux différentes professions, dont disposent les individus qui les exercent, leurs familles d’origine ou leurs familles de destination. Je résumerai ceci en y voyant un axe indiquant la valeur sociale des professions.

Graphique 1. – Variables de l’analyse en composantes principales sur les codes de PCS : axes 1 (horizontal), 2 et 3 (verticaux)

Graphique 1. – Variables de l’analyse en composantes principales sur les codes de PCS : axes 1 (horizontal), 2 et 3 (verticaux)
Graphique 1. – Variables de l’analyse en composantes principales sur les codes de PCS : axes 1 (horizontal), 2 et 3 (verticaux)

Graphique 1. – Variables de l’analyse en composantes principales sur les codes de PCS : axes 1 (horizontal), 2 et 3 (verticaux)

Notes : Ensemble des variables actives. Les étiquettes non précédées de « % » ou de « var. » (variabilité) indiquent une moyenne.
Source : Enquêtes Emploi, 2008-2016 (Insee).

19Le deuxième axe, résumant 20 % de la variance (Graphique 1), prend ici une importance qui doit être relativisée au vu du grand nombre de variables retenues indiquant une grande quantité de travail, effet des préoccupations de l’Insee et plus spécifiquement de la perspective adoptée par l’enquête Emploi focalisée sur les conditions d’emploi et de travail. Il exprime pourtant bien un véritable principe de différenciation sociale qui ne se réduit pas à un strict gradient de quantité de travail. Les variables qui y contribuent le plus le font toutes positivement : le nombre de jours travaillés par semaine, la part de propriétaires de leur logement, la part de résidents en zone rurale, la part de travailleurs à leur compte, le nombre d’heures travaillées par semaine, l’âge moyen et la tendance à travailler le samedi. Parmi celles qui y contribuent plus secondairement, deux le font positivement : la tendance à travailler le dimanche et la part de titulaires d’un diplôme de l’enseignement professionnel court. D’autres y contribuent négativement : d’abord la part de contrats précaires, puis la part d’individus dont la mère exerce une profession valorisée, la part de salariés du public, la part d’individus en couple non mariés, la variabilité de l’âge et la part de résidents de l’agglomération parisienne. On a là un axe qui échelonne les métiers selon la place que prend le travail dans la vie quotidienne et dans le système de valeurs de ceux qui les exercent : à une extrémité, les professions indépendantes et plus encore celles liées à l’agriculture, auxquelles on accède à des âges relativement élevés, souvent au bénéfice d’un patrimoine professionnel et immobilier, à l’autre, les métiers où les horaires sont fixes et stables, sans heures supplémentaires, et ceux qui au contraire sont plus instables, tous surreprésentés dans les zones les plus urbanisées où sont remises en cause certaines valeurs traditionnelles comme le travail ou le mariage, notamment à la faveur de l’éducation donnée par les mères diplômées.

20Quant au troisième axe, qui résume 12 % de la variance (Graphique 1), il échelonne les codes de PCS selon un gradient d’instabilité. Ce sont d’abord, positivement, la part de contrats à temps partiel, la part de bas revenus et la variabilité du temps de travail hebdomadaire qui lui donnent sa forme, puis, négativement, la part d’accédants à la propriété, variables auxquelles il faut ajouter, négativement, le nombre d’enfants, et positivement, la variabilité de l’âge de fin des études, la part de femmes et la tendance à travailler le samedi. Il s’agit bien là de variables associées à la stabilité ou à l’instabilité des conditions d’existence, tant dans le domaine du travail que du logement, de la vie de famille et même de la scolarité, que ce soit à l’échelle de la semaine, du contrat de travail ou de séquences biographiques plus longues [11]. Notons la différence nette entre cet axe, auquel la part de contrats précaires contribue peu, et le précédent, auquel la part de contrats à temps partiel contribue peu elle aussi : l’importance que prend le travail dans la vie quotidienne et la stabilité des conditions d’existence sont bien deux principes différents de structuration du système des professions.

21Les axes suivants ont peu d’intérêt ici, puisqu’ils signalent des corrélations attendues entre de petits groupes de variables aux significations très proches : la part d’individus nés à l’étranger et celle d’individus dont le père est né à l’étranger (axe 4), les parts d’individus travaillant respectivement la nuit, le soir, le dimanche et le samedi (axe 5). Soulignons que les trois principes de structuration dégagés, indiquant respectivement la valeur sociale des professions, l’importance que prend le travail dans la vie quotidienne de ceux qui les exercent, et le degré d’instabilité de leurs conditions d’existence, ne valent qu’en relation avec le point de vue particulier de l’enquête Emploi et des 37 variables qu’elle a permis de construire. Par exemple, un principe aussi structurant que le genre n’est pas apparu directement, mais seulement indirectement par le biais du troisième axe, du fait que l’enquête renseigne peu de variables distinguant les professions selon qu’elles soient à dominante masculine ou féminine. L’organisation générale du nuage de professions est désormais dégagée dans ses grandes lignes, les précautions d’analyse sont signalées, il reste à décrire les divisions qui le traversent.

Un partitionnement en quatre sous-ensembles et ses relations avec les grandes catégories socioprofessionnelles

22Le nuage de points, projeté sur le premier plan factoriel, montre une division de l’ensemble de professions en quatre grands sous-ensembles, du point de vue des 37 variables retenues. Ce constat, fait à l’œil, mais soutenu par la minutie avec laquelle les variables ont été construites et redressées, se retrouve au moyen d’une classification ascendante hiérarchique réalisée avec la méthode de Ward sur la distance euclidienne (Graphique 2). Ces quatre groupements de professions peuvent être décrits convenablement par leur simple position sur les premiers axes factoriels. L’un, comptant 97 professions d’après la classification (soit 10,5 % des individus actifs occupés [12]), comprend les professions les plus hautes sur le deuxième axe : il s’agit de métiers qui accaparent l’essentiel de la vie de ceux qui les exercent. Les trois autres s’échelonnent nettement le long du premier axe : les professions dévalorisées à gauche du graphique, un ensemble de professions intermédiaires au centre, et celles qui sont valorisées à sa droite, comptant respectivement 158, 104 et 112 codes de PCS (soit 43,8 %, 24,1 % et 21,6 % des actifs occupés). Ces trois catégories se distinguent donc les unes des autres uniquement selon le premier principe dégagé (malgré quelques chevauchements), alors que la première évoquée se distingue uniquement selon le deuxième principe. Aucune division n’est discernable selon le troisième principe de différenciation dégagé.

Graphique 2. – Une partition des codes de PCS en quatre sous-ensembles : trois premiers axes

Graphique 2. – Une partition des codes de PCS en quatre sous-ensembles : trois premiers axes

Graphique 2. – Une partition des codes de PCS en quatre sous-ensembles : trois premiers axes

23Ce partitionnement rappelle fortement, à l’échelle des professions, le triptyque des classes populaires, moyennes et supérieures, couramment employé par les sociologues français (notamment : Schwartz, 1998 ; Chauvel, 2006), assorti d’une quatrième catégorie formée de travailleurs indépendants. Pour cette raison, il est utile de le comparer aux grandes divisions du code des PCS par lesquelles sont habituellement saisies ces quatre notions : les classes populaires par les codes 5 et 6 (« employés » et « ouvriers »), les classes moyennes par le code 4 (« professions intermédiaires »), les classes supérieures par le code 3 (« cadres et professions intellectuelles supérieures ») et les professions indépendantes par les codes 1 et 2 (« agriculteurs » et « artisans et commerçants »).

24Le sous-ensemble qui se détache en haut du graphique 1, celui des métiers qui occupent une place prépondérante dans le quotidien de ceux qui les exercent, contient toutes les professions classées par l’Insee parmi les agriculteurs, les artisans, les commerçants et les chefs d’entreprise (Tableau 1). Il est donc justifié de qualifier les professions qui le composent de « professions indépendantes », d’autant plus que ce sous-ensemble recoupe très largement celui des professions comptant au moins 70 % d’individus travaillant à leur compte : 92 % des professions du premier figurent dans le second et 98 % des professions du second figurent dans le premier. Certaines de ces professions indépendantes, cependant, sont classées sous d’autres codes de PCS – mais jamais parmi les « ouvriers » ou les « employés ». Ainsi, 14 % des codes de « cadres et professions intellectuelles supérieures », au sens de l’Insee, figurent dans ce sous-ensemble (et, notamment, la plupart des codes de « professions libérales des secteurs médical et juridique »). Ce code de PCS « cadres » est cependant composé essentiellement, à 84 %, de professions valorisées au sens de la classification construite. Le code des « professions intermédiaires », quant à lui, est composé surtout de professions que la procédure de classification signale comme intermédiaires du point de vue de leur valeur sociale, à 72 %, mais compte également 20 % de professions de haute valeur sociale, ainsi que 5 % de professions de faible valeur sociale : cela justifie de qualifier ces professions par le même adjectif que le code de PCS où elles prévalent. Le code des « employés » est celui qui recoupe le moins les ensembles de professions obtenus par classification, du fait de l’hétérogénéité qui le caractérise (Chenu, 1990 ; Amossé & Chardon, 2006) : même si les professions dévalorisées y sont les plus représentées (70 %), les professions valorisées (4,5 %) et surtout de valeur intermédiaire (26 %) y tiennent une place non négligeable. Le code des « ouvriers », enfin, est très majoritairement composé de professions de basse valeur sociale (95 %), très secondairement de professions de valeur sociale intermédiaire (4,5 %) – une seule profession valorisée y apparaît, les « ouvriers et techniciens des spectacles vivants et audiovisuels ». Signalons que la catégorie des « ouvriers et employés non qualifiés » défendue par Thomas Amossé et Olivier Chardon (2006) est à peine moins bien recouverte par ces professions dévalorisées que ne l’est le code des « ouvriers » : elle compte 93 % de professions de ce sous-ensemble.

Tableau 1. – Répartition des quatre sous-ensembles dégagés selon le code des PCS (en %)

Professions, d’après la classificationCode des professions et catégories socioprofessionnellesEffectif
1 et 23456
Indépendantes100,013,92,70,00,097
Dévalorisées0,01,05,369,794,6158
Intermédiaires0,01,071,725,84,5104
Valorisées0,084,220,44,50,9112
Ensemble100,0100,0100,0100,0100,0471

Tableau 1. – Répartition des quatre sous-ensembles dégagés selon le code des PCS (en %)

Lecture : Parmi les professions codées 3 dans le code des PCS, 13,9 % ont été classées dans le sous-ensemble des professions indépendantes par la procédure de classification.
Champ : 471 codes de PCS (voir supra).
Source : Enquêtes Emploi, 2008-2016 (Insee).

25La relative concordance entre la partition en quatre sous-ensembles, les grandes catégories de la statistique publique, et des notions communes en sociologie comme celles de travailleurs indépendants, de classes populaires, moyennes ou supérieures, suggère que s’il fallait diviser le système des professions en France en une poignée de catégories, le système de quatre catégories dégagé selon les principes qui précèdent conviendrait mieux que bien d’autres. On ne peut pourtant pas en conclure qu’il décrit la structure de classe de la société française, pour plusieurs raisons. D’abord, les données exploitées ne fournissent qu’un point de vue particulier qui laisse dans l’ombre des principes de structuration aussi importants que le genre ou celui, plus spécifique au monde professionnel, qui distingue le secteur public du secteur privé (Hugrée et al., 2015) : ces deux principes alternatifs, et d’autres encore, s’ajustent mal aux quatre grands sous-ensembles identifiés. Ensuite, si l’on omet les professions indépendantes qui correspondent à une catégorie institutionnalisée, les trois autres ensembles de professions identifiés ne sont associés à aucune catégorie du droit ou des conventions collectives et s’éloignent sensiblement de toute catégorie mobilisée. Les 112 professions qui sont apparues comme valorisées correspondent à des situations infiniment plus communes que cette « bourgeoisie », jamais clairement identifiée pour la période contemporaine [13], qui trône au sommet de l’espace social. La revendication d’appartenir aux « classes moyennes », au contraire, se retrouve dans des milieux sociaux bien plus variés que ceux des 104 professions dont la valeur est apparue intermédiaire (Pélage & Poullaouec, 2009 : 40, 43). Quant à la revendication d’appartenance à une frange basse de la société, même chez ceux déclarant un sentiment d’appartenance de classe, elle concerne non seulement bien moins d’individus que les 44 % d’actifs occupés exerçant les professions dévalorisées identifiées ici, mais surtout se retrouve dans des milieux sociaux variés (Ibid., p. 38 et 43).

26Plus fondamentalement et du fait même que ces trois sous-ensembles ne correspondent à aucune catégorie institutionnalisée, il est difficile d’admettre que les coupures floues qui ont été identifiées dans le nuage de points construit correspondent à des coupures sociologiquement consistantes. La remarque ne s’applique pas à l’ensemble des professions indépendantes, qui justement est à la fois le plus clairement séparé sur le graphique 2, celui qui recoupe le mieux les catégories de la statistique publique (qu’il s’agisse des codes 1 et 2 des PCS ou de la catégorie des « travailleurs à leur compte ») et celui qui trouve la retraduction juridique la plus claire. Pour les trois autres sous-ensembles, les choses sont différentes. Alors même qu’ils se distinguent avant tout selon leur position sur le premier axe de l’ACP, au point que cet axe de la valeur sociale fournisse l’unique interprétation disponible de leurs différences, on observe quelques chevauchements le long de l’axe entre l’ensemble intermédiaire et celui des professions valorisées, et, plus encore, entre l’ensemble intermédiaire et celui des professions dévalorisées. Ce dernier ensemble est le plus dispersé le long de l’axe : on trouve même 12 des 158 professions que la classification signale comme dévalorisées qui occupent en réalité une position plus élevée, sur cet axe indiquant la valeur des professions, que la profession la plus basse sur l’axe du sous-ensemble des professions valorisées [14]. À ce premier indice de l’inconsistance sociologique des coupures qui apparaissent graphiquement, il faut en ajouter un plus net encore. Ce qui frappe en observant le premier plan factoriel (Graphique 2), pour peu que l’on fasse abstraction de la forme des points et des professions indépendantes hautes sur l’axe vertical, c’est bien moins la division en trois paquets que la relative régularité de l’ensemble, la possibilité de parcourir la totalité de l’axe horizontal par d’infimes sauts d’un point à un autre. Deux professions proches sur l’axe, mais que la classification a placées dans deux sous-ensembles différents sont socialement bien plus proches que deux professions d’un même sous-ensemble, mais relativement éloignées sur l’axe : cette configuration s’éloigne radicalement de celle qui, par exemple, sépare deux individus ayant chacun passé leur vie dans deux communes proches situées de part et d’autre d’une frontière nationale, mais confrontés à des expériences socialisatrices contrastées, car produites par des institutions nationales différentes.

27Des divisions ont donc été observées à l’échelle des professions, mais seule celle d’entre elles qui isole les professions indépendantes apparaît sociologiquement consistante. Les unités d’observation que sont ces 471 codes de PCS forment cependant de larges entités dotées d’une importante hétérogénéité interne, comme le montrent les innombrables travaux menés depuis l’après-guerre sur les différents groupes professionnels – c’est une des raisons pour lesquelles les sociologues qui évoquent les grandes classes sociales y associent des individus, parfois des maisonnées, mais pas des groupes professionnels entiers. Il convient donc de poursuivre l’analyse sur de plus petites unités sociales.

Quelles discontinuités à l’échelle des ménages d’après leurs budgets ?

28Pour tenter de retrouver les grandes classes sociales traditionnelles à une échelle plus restreinte, plusieurs types d’entités sociales élémentaires sont susceptibles de convenir : maisonnées, lignées, familles élargies ou nucléaires, ménages, individus, voire les entités infra-individuelles que la sociologie a appris à identifier (Halbwachs, 1994 [1925] : 172 ; ou Lahire, 2002 : 393-408). Le choix opéré ici dérive d’une part de la nécessité de recourir à du matériau statistique, imposée par le projet de considérer un espace national d’un seul geste [15] sans se restreindre à l’une de ses portions, d’autre part du souci de disposer de variables continues plutôt que catégorisées. Le passage d’une modalité à l’autre d’une variable catégorisée, en effet, produit inévitablement un saut sur le nuage de points représentant l’ensemble des variables, alors même que les modalités en question sont loin de correspondre toujours à des catégories institutionnalisées. Les variables continues, au contraire, non seulement permettent de mesurer précisément des différences de toutes amplitudes, mais en outre peuvent être représentées sans déformation comme dimensions d’un nuage de points. Ces variables, ne présupposant aucun découpage particulier, sont donc tout indiquées pour faire apparaître, si elles existent, les véritables coupures qui traversent la population étudiée. Or, parmi les enquêtes statistiques portant sur l’espace social français, celles qui renseignent un grand nombre de variables continues à l’échelle la plus fine sont les enquêtes Budget de famille de l’Insee, dont j’exploite ici la dernière version, passée en 2011. L’analyse est donc menée à l’échelle des ménages, unité élémentaire de l’enquête.

Délimitation de la population et construction des variables

29Après plusieurs essais, il est apparu pertinent de restreindre l’échantillon étudié aux ménages formés d’un couple avec un ou plusieurs enfants, logés en France métropolitaine. On se place ainsi dans la situation la plus favorable a priori à la mise en évidence d’une structure de classe, en rendant plus homogène la population du point de vue de la composition du ménage et en prenant les situations les plus en prise avec les nécessités économiques et professionnelles, sans pour autant induire de sous-représentation conséquente d’un milieu social ou d’un autre.

30L’enquête d’origine compte environ 250 variables renseignant des postes de dépense détaillés, exprimées ici en pourcentage du budget annuel total [16]. Pour conserver toute précision susceptible de traduire une forme de différenciation sociale, ces postes de dépense n’ont pas été additionnés en des catégories plus larges : ce choix réduit autant qu’il est possible l’arbitraire souvent injustifiable des regroupements opérés par l’Insee (Chauvel, 1999 : 83-84), mais a pour contrepartie d’accroître le nombre de variables comportant une part importante de valeurs nulles, nombre de toute façon inévitablement élevé. Le problème a été atténué en additionnant à d’autres les postes de dépense concernant moins de cinquante ménages, sur des critères de signification sociale. L’analyse porte in fine sur le nuage que forment les 3 137 ménages considérés à l’aune de 210 variables redressées puis centrées et réduites, nuage qu’une ACP permet d’observer à partir de ses différenciations les plus saillantes. Observons donc ce nuage pour dégager les grands principes qui le structurent, avant d’examiner comment certaines caractéristiques des ménages s’y positionnent.

Comment s’organisent les ménages avec enfants du point de vue des variables construites ?

31Le nuage peut être décrit à partir des principaux axes qui en différencient les points, dégagés par l’ACP, dont quatre sont interprétables. Le premier prend part à 3,7 % de l’inertie. Il échelonne les ménages selon la part que prennent dans leur budget différentes dépenses alimentaires, comme le montre la variable supplémentaire englobant l’ensemble de ces dépenses (Graphique 3) [17]. Le deuxième axe (2,0 % de l’inertie) est structuré par l’opposition entre des dépenses associées à un haut niveau de vie, au premier rang desquelles plusieurs dépenses de vacances, et une série de dépenses incompressibles ou considérées comme telles dans les zones dominées de l’espace social, les services téléphoniques avant tout. Ces premiers axes apparaissent sous l’effet de deux tropismes de l’enquête exploitée, l’un, très fort, sur les dépenses alimentaires, l’autre sur les dépenses de vacances. Ils n’en dégagent pas moins deux dimensions différentes des styles de vie, qui, pourtant, sont proches en ce qu’elles sont toutes deux structurées par le montant total des dépenses [18].

32Le troisième axe (1,7 % de l’inertie) oppose les dépenses en charges locatives, plus secondairement certaines dépenses liées au milieu urbain comme les cartes de transport, à celles associées à la possession de sa résidence, taxes et eau courante en premier lieu, mais aussi combustibles, et, plus secondairement, quelques dépenses d’autant plus fréquentes que l’on vit dans une zone peu urbanisée comme l’assurance automobile ou la charcuterie. Le quatrième axe (1,5 % de l’inertie) oppose les budgets des jeunes ménages, les plus fréquemment grevés par l’achat d’un logement et comprenant les plus fortes parts d’achats d’aliments pour bébé et de divers services (de la garde d’enfants aux frais de mariage), aux budgets frugaux des ménages de retraités, où sont surreprésentées certaines dépenses irréductibles, liées à la possession de sa résidence principale en particulier, et, plus secondairement, quelques dépenses de voyage ou de présentation de soi.

Graphique 3. – Analyse de composantes principales sur les budgets : cercles des axes 1 et 2 et des axes 3 et 4

Graphique 3. – Analyse de composantes principales sur les budgets : cercles des axes 1 et 2 et des axes 3 et 4
Graphique 3. – Analyse de composantes principales sur les budgets : cercles des axes 1 et 2 et des axes 3 et 4

Graphique 3. – Analyse de composantes principales sur les budgets : cercles des axes 1 et 2 et des axes 3 et 4

Note : Sélection de variables actives. * : Variable supplémentaire.
Source : Enquête Budget de famille, 2011 (Insee).

Indices d’une absence de discontinuités à l’échelle des ménages vus par leurs budgets

33L’analyse a été construite de façon à favoriser l’apparition de combinaisons de variables dont presque aucune ne présente de coupure, mais qui, prises ensemble, soient capables de polariser suffisamment les ménages pour y dessiner une coupure décelable. Je n’ai pu déceler aucune coupure, même floue, ni sur le graphique 4 qui donne les nuages de points sur deux plans formés par les quatre axes présentés ni sur d’autres visualisations en trois dimensions depuis différents angles, non reproduites ici : on est en présence d’un nuage de points dense. Un retour sur la signification des axes permet de préciser le constat.

Graphique 4. – Nuage des ménages selon leurs budgets : quatre composantes principales

Graphique 4. – Nuage des ménages selon leurs budgets : quatre composantes principales

Graphique 4. – Nuage des ménages selon leurs budgets : quatre composantes principales

Source : Budget de famille, 2011 (Insee).

34Une première remarque vient à l’examen des deux premiers axes. Ils sont orthogonaux l’un à l’autre par construction. Par contre, les variables supplémentaires que présente le graphique 5 montrent qu’ils sont tous les deux fortement corrélés à la position du ménage dans la hiérarchie que forment ensemble les capitaux culturel et économique : les revenus des ménages par unité de consommation, le montant de leur patrimoine économique et le niveau de diplôme de leur personne de référence s’échelonnent régulièrement le long de ces axes, ce qui est cohérent avec la corrélation qu’ils entretiennent avec la dépense totale annuelle. Or, le nuage des ménages est globalement homogène sur le premier plan factoriel (Graphique 4) : une part importante de ménages occupent des positions qui ne sont pas homologues sur chacun des deux axes.

35Il en résulte que, même s’il existait une coupure le long de l’un des deux axes, mais que celle-ci était masquée ici par l’imprécision de la mesure des dépenses, alors la coupure en question ne pourrait se ramener à une configuration de revenus, de diplômes et de patrimoines. Et pour cause, il apparaît qu’à capitaux économique et culturel du même ordre de grandeur, ce ne sont pas les mêmes situations sociales qui correspondent à un budget privilégiant les dépenses alimentaires ou les dépenses domestiques incompressibles : on trouve tendanciellement, dans le premier cas, les ménages les plus âgés et ceux dont la personne de référence est inactive ou travaille dans l’agriculture, et dans le second les ménages les plus jeunes et ceux dont la personne de référence est employée des services directs aux particuliers, chauffeur ou ouvrier de la manutention. Notons encore que les professions du haut de l’espace social paraissent plus homogènes de ce point de vue que celles du bas (Graphique 5), mais que cela ne se traduit pas par une plus grande homogénéité en haut de l’espace social à l’échelle des ménages (Graphique 4), comme si l’homogénéité de l’ensemble que forment ces professions valorisées était compensée par une hétérogénéité des individus qui les exercent du point de vue des deux principes de différenciation considérés.

Graphique 5. – Analyse de composantes principales sur les budgets : variables catégorisées supplémentaires (axes 1 à 4)

Graphique 5. – Analyse de composantes principales sur les budgets : variables catégorisées supplémentaires (axes 1 à 4)

Graphique 5. – Analyse de composantes principales sur les budgets : variables catégorisées supplémentaires (axes 1 à 4)

Note : Sélection de modalités, dont les plus saillantes sur les quatre axes.
Source : Budget de famille, 2011 (Insee).

36L’absence de discontinuités est plus nette encore le long des deux axes suivants. L’axe 3 différencie les ménages dans le même sens que le degré d’urbanisation du territoire où ils résident (Graphique 5). La gradation est progressive, même si deux catégories dotées d’une certaine homogénéité sociale se distinguent aux deux extrémités de l’axe, les zones rurales et surtout l’agglomération parisienne. Cette dimension territoriale, qui recoupe la séparation entre propriétaires et locataires du fait que l’immobilier est d’autant plus cher qu’il est situé dans une zone urbanisée, est ici séparée de la dimension économico-culturelle qui lui est habituellement corrélée, puisque l’axe est construit pour être orthogonal aux deux précédents : ainsi, ce sont les revenus et surtout les patrimoines les plus bas qui sont associés aux budgets des zones les plus urbanisées, alors que les revenus élevés et intermédiaires se différencient peu de ce point de vue. Il n’est donc pas surprenant qu’aucune coupure ne s’observe selon cet axe, qui retrace une gradation de degrés d’urbanisation que l’ACP a rendue indépendante des autres hiérarchies sociales. Pour l’axe 4, le système de distances entre les ménages obéit à une logique légèrement différente, mais qui aboutit à la même conclusion. L’axe oppose les ménages de retraités aux ménages de jeunes couples (Graphique 5), au point que seule une tranche d’âge occupe une position qui n’y est pas extrême, celle des 21 % de ménages dont la personne de référence a entre 40 et 45 ans. Mais cette opposition, si marquée soit‑elle, n’est que tendancielle, si bien qu’elle n’induit pas la moindre séparation au sein de l’ensemble des ménages (Graphique 4).

37En définitive, s’il existait de véritables coupures entre ménages du point de vue de leurs styles de vie, soit ceux-ci seraient mal saisis par les budgets tels que les enregistre l’enquête de l’Insee, soit la mesure de ces budgets serait trop imprécise pour faire voir de telles coupures, soit celles-ci suivraient des courbes trop complexes pour être visibles en deux ou trois dimensions. Dans les deux derniers cas de figure, les séparations ne pourraient pas suivre la hiérarchie économico-culturelle que la présente recherche et tant d’autres ont su faire apparaître, et par conséquent ne correspondraient à aucune des grandes catégories sociales traditionnelles que sont les classes « populaires » ou « dominées », les classes « moyennes », les classes « supérieures » ou « dominantes », la « bourgeoisie » ou les « élites ».

Tableau 2. – PCS actuelle ou ancienne des conjointes dans les professions indépendantes (en %)

EmployéeProf. inter-médiaireSans activité *Cadres, prof. intelle-ctuelles sup.Artisanes, commer-çantes, cheffes d’ent.Ouvrière (non agricole)Agricul-trice, ouvrière agricoleAutres
28,819,918,914,69,24,13,70,8

Tableau 2. – PCS actuelle ou ancienne des conjointes dans les professions indépendantes (en %)

Note : * hors retraitées, chôm. longue durée.
Lecture : 28,8 % des individus ont une conjointe employée (pondéré).
Champ : Personnes de référence du ménage, dans un couple hébergeant au moins un enfant de moins de 18 ans, exerçant une profession classée comme « indépendante » par la classification sur les codes des PCS (n=1 350).
Source : Enquête Emploi, 2011 (Insee).

38Une question subsiste au terme de ces explorations : pourquoi ne trouve-t‑on plus la trace de la catégorie des « professions indépendantes », qui s’est pourtant si clairement détachée à l’échelle des codes de PCS ? La réponse réside dans l’exogamie professionnelle des ménages observés. Si l’on examine, à l’aide de l’enquête Emploi de 2011 (Insee), les individus qui sont personne de référence de leur logement, en couple dans un ménage comprenant au moins un enfant de moins de 18 ans, et qui exercent l’une des professions que la procédure de classification a classées comme indépendantes, on voit que leurs conjointes n’exercent pas majoritairement le même type de profession (Tableau 2) : 67 % d’entre elles sont employées, ouvrières, cadres, ou exercent une profession intermédiaire ou intellectuelle supérieure, au sens de l’Insee. Autrement dit, même si l’on parvenait à retrouver les grandes classes sociales à l’échelle plus fine des individus, ces classes ne seraient pas des classes de ménage ou de famille comme il a souvent été défendu (Schumpeter, 1984 [1927] : 169 ; Parsons, 1940 : 850-854).

Conclusion

39Quel bilan peut‑on donc tirer des constats qui précèdent quant à l’existence des grandes classes sociales traditionnelles ? Il est tout d’abord apparu que les divisions ternaires classiques, comme celle entre classes dominantes, moyennes et dominées, ne sont pas de pures fictions dénuées de fondement empirique, puisqu’on en observe la trace à l’échelle des professions sous la forme de concentrations plus fortes en trois zones de la hiérarchie qui échelonne ces professions du point de vue de leur valeur sociale. Mais un autre constat a immédiatement suivi : il ne s’agit que de concentrations et non d’agrégats séparés, secondaires face à la relative homogénéité de la répartition des professions qui s’échelonnent quasi régulièrement le long de cette hiérarchie. En outre, la tripartition floue qui est ressortie recoupe approximativement le découpage administratif entre les « ouvriers et employés », les « professions intermédiaires » et les « cadres et professions intellectuelles supérieures » : il y a toutes les raisons de penser que les logiques qui ont conduit l’Insee à regrouper les codes fins de PCS en une trentaine de catégories plus larges se sont appuyées sur des constats de ce type et, ce faisant, ont contribué à figer une vision ternaire pourtant si ténue dans la réalité [19].

40C’est à ce type de logique de réification progressive que participent les travaux qui entendent dégager une structure de classe à l’examen de regroupements de professions en quelques dizaines de modalités (pour un exemple qui a le rare mérite de construire des nuages de points et d’en expliciter les procédures de regroupement, voir Brousse, 2017). On se rapproche ici de deux biais bien connus de la psychologie (Tajfel & Wilkes, 1963), le biais d’assimilation par lequel sont surévaluées les ressemblances entre des éléments du simple fait qu’ils sont assimilés à un même groupe, et le biais de contraste par lequel sont accentuées les différences entre des éléments du simple fait qu’ils sont assimilés à des groupes différents, à ceci près que ce ne sont pas des représentations individuelles qui sont en jeu ici, mais des faits sociaux [20].

41En outre, les auteurs qui ont parlé de grandes classes sociales l’ont fait à des échelles plus restreintes que celle des professions : pour eux, l’unité qui compose une classe sociale est l’individu, la famille, le ménage ou la maisonnée. Seule l’échelle du ménage a pu être observée ici, plus spécifiquement celle des ménages de couples avec enfants considérés du point de vue de leurs dépenses annuelles. L’analyse a bien montré des principes de hiérarchisation, selon le poids relatif des dépenses alimentaires, selon le poids relatif des dépenses de loisir ou au contraire des dépenses incompressibles, selon la part relative des dépenses liées au loyer ou au contraire à la possession de son logement, et selon la part relative des dépenses liées à la formation d’une famille de procréation ou au contraire liées au statut de retraité. Mais selon aucun de ces principes pris isolément, pris par deux (dans le plan) ou pris par trois (dans l’espace) n’est apparue de coupure capable de délimiter une classe sociale même floue. Plus encore, les deux principes de hiérarchisation les plus saillants sont différents l’un de l’autre (et même orthogonaux), et les ménages sont distribués de manière homogène sur le plan qu’ils forment, alors même que ces principes recoupent tous deux très largement la hiérarchie économico-culturelle : si, donc, il existait une coupure le long de l’un de ces axes que l’imprécision des données aurait masquée, celle-ci ne suivrait pas cette hiérarchie-là, et donc ne recouvrirait pas les grandes classes sociales traditionnelles qui, elles, sont censées la suivre.

42S’il est une catégorie sociale que l’analyse a nettement circonscrite, c’est celle des « professions indépendantes », fortement institutionnalisée. Mais ce n’est qu’à l’échelle des professions qu’il a été possible de discerner une coupure, séparant ces professions des autres selon le critère de la place que prend le travail dans le quotidien de ceux qui les exercent. La séparation n’est pas apparue à l’échelle des ménages pour deux raisons : la relative diversité des professions des conjointes des individus (majoritairement des hommes) exerçant une profession indépendante, et la moindre prégnance du prisme du travail dans l’enquête utilisée pour observer les ménages que dans celle utilisée pour observer les professions. Plus généralement, cette disparition à l’échelle des ménages d’une catégorie qui se détachait si clairement à l’échelle des professions nous rappelle à quel point il est délicat de prétendre montrer l’absence d’une classe sociale : à une telle affirmation, il est toujours possible d’objecter que la recherche n’a pas été assez minutieuse. Et en effet, le matériau exploité a probablement masqué certaines catégories institutionnalisées que des données plus adaptées auraient pu mettre en évidence, comme la noblesse ou la fonction publique. Mais c’est le cas encore d’un grand nombre de catégories définies juridiquement, comme celles de « cadre », de « travailleur social » ou d’« aide-soignante de classe supérieure d’échelon 4 des collectivités territoriales » : cette limite de la présente étude ne plaide pas spécialement en faveur de la thèse, remise en cause ici, d’un espace social structuré par les grandes classes sociales traditionnelles.

43Si, donc, les constats produits dans l’article offrent une raison de plus de remettre en cause les grandes catégories sociales traditionnelles, ils ne referment en rien le débat. Mais quels éclairages nous offrent‑ils à propos des problèmes connexes de stratification sociale qui, à partir de données similaires, sont discutés par la littérature internationale mentionnée en introduction ? À ce sujet, ce sont moins les résultats proprement dits qu’il est utile de commenter que leurs limites. Prenons par exemple la question spécifique de l’alternative entre une approche continuiste ou discontinuiste. Le matériau exploité, certes, n’a permis de circonscrire aucune des grandes classes sociales traditionnelles à l’échelle des ménages ou des individus. Mais il ne faut pas en conclure qu’une approche continuiste est plus pertinente : entre une approche en grandes classes (et même une approche en microclasses telle celle prônée par K. A. Weeden et D. B. Grusky [2005]), et une approche continuiste, il est possible d’envisager une gamme infinie d’approches intermédiaires, hybrides ou plus complexes [21].

44Les mêmes réserves valent pour les débats plus généraux sur l’intérêt respectif des grandes théories de la stratification sociale. Considérons à nouveau l’étude de K. A. Weeden et D. B. Grusky (2005), exemplaire par sa systématicité. Elle a le mérite de conforter la pertinence d’une approche en termes de division du travail par rapport à celles qui résument la stratification à un ensemble de larges classes sociales. Elle mobilise en revanche un matériau empirique trop pauvre pour que soient convaincantes les conclusions qui en sont tirées sur la conception de la stratification sociale à adopter parmi celles disponibles, du fait que les indicateurs de qualité de ces conceptions qui y sont construits prennent des valeurs dépendant bien plus du degré d’adéquation des données construites au cadre théorique envisagé que de la pertinence scientifique de celui-ci. Dans l’état actuel du décalage entre les théorisations sociologiques et la production statistique, pour savoir s’il est plus pertinent de décrire l’espace social en termes de classes économiques, de groupes de statut, de distributions de capitaux, de combinaisons de ces concepts, ou d’autres encore, conçus comme des collectifs en lutte ou comme des rôles hiérarchisés, ce n’est pas à la confrontation de quelques jeux de données qu’il faut recourir, mais bien à l’examen raisonné d’autant de travaux que possible, en faisant varier les modes d’objectivation employés, les échelles d’observation et les types de milieux sociaux considérés.

Notes

  • [1]
    Un bel exemple nous est donné par Natalie Rogoff (1953).
  • [2]
    Une exception toutefois : les rares travaux qui, suivant scrupuleusement la voie de Marx, rapportent les classes à de strictes conditions économiques formant un système dont les divisions internes sont censées dériver de sa contradiction constitutive. Quand ces travaux se risquent sur le terrain empirique, ils assimilent les classes soit aux catégories socioprofessionnelles de l’Insee, soit à des mouvements politiques ou syndicaux : voir par exemple Paul Bouffartigue (2004).
  • [3]
    Un troisième élément fait consensus, le fait que les classes sociales se définissent par les luttes qui les opposent, ou, ce qui revient au même, qu’elles se définissent relationnellement, les unes par rapport aux autres. Mais c’est là une conséquence immédiate de la pluralité des classes sociales, du moins si l’on suit l’idée webérienne que toute coexistence d’ordres légitimes différents induit une concurrence entre eux : il n’y a donc pas lieu de mettre ce critère-là au centre du dispositif empirique.
  • [4]
    Les arguments synthétisés ici sont précisés et mieux adossés au détail des travaux de sociologie dans R. Sinthon (2018 : chap. 8).
  • [5]
    Ne citons ici que deux études particulièrement détaillées cherchant à identifier une « bourgeoisie » : celles d’Edmond Goblot (2010 [1925]), et de Barbara Bauchat et Monique de Saint-Martin (2010).
  • [6]
    Sauf à désigner par « classe sociale » ce qui relève en réalité d’un principe d’identification, mais alors il n’est plus pertinent de considérer qu’un individu ou un groupe « appartiennent » à une et une seule classe sociale.
  • [7]
    Je réserve ici le terme de classe à son acception sociologique : pour éviter toute polysémie, j’emploie le terme de sous-ensemble quand il s’agit d’une acception strictement ensembliste.
  • [8]
    Par exemple dans C. Brousse (2017).
  • [9]
    C’est le cas, entre autres, de Mike Savage (Savage et al., 2013). Avec un autre argument que le mien, Colin Mills (2014 : 441) pointe lui aussi, à propos du même article, les artifices techniques des procédures de partitionnement.
  • [10]
    Par souci de lisibilité, je m’autorise dans cette section certains abus de langage par métonymie. Je parle de « métier » ou de « profession » pour désigner les codes de profession. Je mentionne également, par exemple, la « tendance à travailler le samedi » d’un code de PCS quand il s’agit plus rigoureusement de la proportion d’individus travaillant le samedi chez ceux classés par l’Insee sous ce code de PCS.
  • [11]
    Les deux variables mentionnées qui caractérisent les codes de PCS par une variabilité entre les individus qui les exercent sont ici à comprendre comme le signe que les professions associées tendent à accueillir des individus aux trajectoires heurtées.
  • [12]
    Toute procédure de partitionnement présente une part d’arbitraire : les effectifs des sous-ensembles identifiés ne renvoient pas à une réalité substantielle. Ils n’en donnent pas moins un ordre de grandeur du nombre de professions et d’individus concernés.
  • [13]
    Pour deux points de vue différents à ce sujet, voir Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (2000), et R. Sinthon (2018 : chap. 8).
  • [14]
    À savoir le code 564b : « employés des services divers ».
  • [15]
    Ce projet est d’ailleurs critiquable (Sinthon, 2018 : 119-121). Mais l’intention ici est de se placer dans les conditions les plus favorables pour retrouver les grandes classes sociales traditionnelles par une démarche empirique qui n’en présuppose pas l’existence : il faut pour cela travailler dans le même espace que les recherches qui mentionnent ces grandes classes sociales.
  • [16]
    L’annexe numérique fournit de plus amples informations sur la construction et le choix des variables.
  • [17]
    Sur les 44 variables actives qui contribuent le plus, toutes le font positivement, et seules trois ne correspondent pas à des dépenses alimentaires (elles correspondent aux produits de toilette comme le savon, aux produits de nettoyage et aux autres produits ménagers).
  • [18]
    Ce montant, exprimé en logarithme, est plus corrélé à l’axe 1 que toutes les variables actives qui y contribuent négativement, et est plus corrélé à l’axe 2 que toutes les variables actives.
  • [19]
    Cette vision ternaire pourrait avoir eu plus de consistance par le passé, notamment quand l’opposition entre bourgeoisie et classe ouvrière était davantage institutionnalisée.
  • [20]
    On peut parler ici de re-descriptions représentationnelles, au sens de processus « cognitifs et culturels » consistant à « synthétiser, condenser et résumer notre pensée » (Cicourel, 2012 [2006] : 9).
  • [21]
    Voir Rémi Sinthon (2018 : 260-262).
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Les grandes classes sociales dont parlent régulièrement les sociologues en France, bourgeoisie, classes populaires ou autres, sont plus souvent invoquées qu’objectivées. L’article construit un dispositif empirique capable de tester leur pertinence sociologique tout en évitant de présupposer partiellement cette pertinence. Ces grandes classes sociales sont recherchées dans les données de l’Insee sur la société française contemporaine. À l’échelle des professions, les enquêtes Emploi (2008-2016) montrent la trace d’une division ternaire entre métiers valorisés, dévalorisés et intermédiaires, ainsi que d’une quatrième catégorie parallèle des professions indépendantes – mais c’est bien davantage la gradation entre statuts professionnels qui frappe que ces coupures. À l’échelle des ménages, l’enquête Budget de famille (2011) ne montre aucune trace de discontinuité et suggère que même si la cause pourrait en être l’imprécision de la mesure, alors ce ne serait pas les classes traditionnelles qui apparaîtraient.

Mot-clés

  • Classes sociales 
  • Catégories 
  • Méthodes de classification 
  • Consommation 
  • Classes populaires 
  • Classes moyennes 
  • Bourgeoisie 
  • Élites 
  • Professions indépendantes
  • Annexe méthodologique

    • En raison de contraintes éditoriales, des éléments prévus par l’auteur dans le corps de l’article ont été placés en annexe méthodologique. Celle-ci est disponible uniquement en version numérique et en accès libre sur Cairn.info, avec le numéro de la revue [NDLR].
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Rémi Sinthon
Dynamiques européennes (université de Strasbourg), associé au Cessp
Rémi Sinthon est sociologue, maître de conférences au laboratoire Dynamiques européennes de l’université de Strasbourg, associé au Centre européen de sociologie et de science politique (équipe CSE), au Centre Maurice Halbwachs et au Centre de recherche en économie et statistique CREST-LSQ. Il travaille sur la formation des statuts sociaux dans la France contemporaine, sur le rôle qu’y prennent les différents capitaux et les modes de socialisation associés. Il s’est intéressé plus spécifiquement à l’entrée dans l’âge adulte, aux usages du capital culturel, aux inégalités devant le système éducatif et à l’inscription territoriale des capitaux.
Mis en ligne sur Cairn.info le 18/09/2019
https://doi.org/10.3917/anso.192.0333
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