Neither Durkheim as the master of a school, nor his magnum opus, L’Année sociologique, has been explored fully.
1Cent vingt ans après le lancement de L’Année durkheimienne [1], il semble utile de tracer les grandes lignes d’une sorte de bilan historiographique de la « Première série » (1898-1913), série qui est à la fois la mieux connue – en cela qu’elle eut la particularité d’être associée au leadership d’Émile Durkheim – mais qui reste pourtant assez peu étudiée : aucune monographie ne lui a été consacrée comme cela a pu se faire avec de grands bénéfices pour d’autres revues [2]. Quant au corpus des 5 000 comptes-rendus qui y furent publiés sur cette période, force est de constater qu’ils sont encore à ce jour en jachère, à quelques exceptions notables près [3], sans parler de leur réédition qui fut toujours parcellaire, à commencer par les comptes-rendus de Durkheim lui-même [4]. Yash Nandan (1980 : XVII), qui fut sans doute celui qui se rapprocha le plus de l’analyse systématique des comptes-rendus de Durkheim, parlait de la « scholarly apathy of sociologists toward Durkheim’s Année », alors que, toujours selon lui, L’Année constituait son magnum opus [5]. Nous ne sommes pas loin de confirmer son jugement cinquante ans plus tard, sans d’ailleurs comprendre pourquoi ses efforts se sont si brutalement interrompus [6]. La marginalisation de la forme « compte-rendu de lecture », substance essentielle de L’Année, serait-elle le seul élément d’explication de cette déshérence relative [7] ?
2Quant à la connaissance que nous avons accumulée sur les cinquante collaborateurs qui participèrent à cette entreprise, elle est encore très lacunaire. S’ils ont tous été identifiés par Philippe Besnard à la fin des années 1970 (RFS, 1979), si certains ont bénéficié de monographies (on pense à Marcel Mauss ou Maurice Halbwachs), et si d’autres sont en passe de devenir mieux connus (François Simiand, Henri Hubert, Robert Hertz, Célestin Bouglé [8], Gaston Richard récemment), la plupart restent dans l’ombre de l’histoire, alors qu’ils jouèrent un grand rôle dans cette aventure collective, et au-delà. On pense à Georges Davy, Paul Fauconnet, Paul Lapie, Dominique Parodi, et d’autres encore.
L’Année dans le champ des revues
3Pour mieux se représenter ce que fut L’Année, il est utile de se tourner du côté des revues qui purent servir de modèle à Durkheim quand il se décida à rassembler un collectif de savants pour instituer la sociologie comme discipline [9]. Comme nous le montre une lettre à Bouglé présentée dans ce numéro, Durkheim s’inspira en partie de L’Année psychologique fondée en 1895 par Alfred Binet, un auteur qu’il avait sondé pour savoir s’il était pertinent de commander des articles à des auteurs, en plus des comptes-rendus prévus. Binet l’encouragea dans ce sens afin de garantir un « esprit » ou une « tendance ».
4Quand il se lança, Durkheim avait bien d’autres modèles en tête que L’Année psychologique. Il suffit de consulter la liste des revues qu’il lisait depuis ses études à l’École normale supérieure (1879-1882) [10]. On peut aussi se référer aux revues qu’il emprunta dans les bibliothèques municipales quand il était professeur de lycée [11], ou à la bibliothèque de la faculté des Lettres de Bordeaux quand il fut chargé du cours de « Science sociale et pédagogie » (1887-1902) [12]. On pourrait également renvoyer aux nombreuses revues qu’il référença dans sa thèse (1893) ou dans Le Suicide (1897), deux ouvrages publiés avant le lancement de L’Année.
5En France, cependant, à côté de cette profusion de revues, l’espace était assez restreint pour qui voulait publier des articles à caractère sociologique [13]. On pense à La Réforme sociale et La Science sociale des leplaysiens, à la Revue internationale de sociologie de René Worms (1893), à la Revue de métaphysique et de morale de Xavier Léon (1893) ou à la Revue philosophique de la France et de l’étranger de Théodule Ribot (1876) [14] au sein de laquelle de nombreux philosophes publièrent leurs premiers articles, comme Durkheim ou Tarde avant lui. Par conséquent, Durkheim et son équipe s’engouffrèrent dans cette aventure sans souffrir d’une trop vive concurrence. Ils purent combler un vide et se mesurer aux revues de sociologie italiennes (La Riforma sociale, 1895 ; La Rivista italiana di sociologia, 1897) ou états-uniennes (American Journal of Sociology, 1895), souvent isolées au sein de leurs propres pays. Le temps des revues sociologiques était arrivé et Durkheim prit le train au bon moment, sans se soucier outre mesure de l’antériorité et de l’entregent de Worms (1869-1926) et de sa Revue internationale de sociologie [15] conçue d’une tout autre manière.
La question du format : avantages et inconvénients d’une revue bibliographique
Il faut chercher à avoir une influence ; et nous ne le pouvons pas si nous sommes avant tout un bon index bibliographique.
6L’Année fut avant tout une revue bibliographique. Elle se donnait pour finalité de mettre en valeur des matériaux susceptibles d’être utilisés par les sociologues. Durkheim le résume très bien à son ancien étudiant Foucault alors qu’il le sollicitait pour rédiger un compte-rendu [16] :
J’ai commencé à publier chez Alcan une Année sociologique. Mon but est surtout de procéder à un inventaire annuel de toutes les ressources, utilisables par les sociologues, et que contiennent les ouvrages d’histoire du droit, de la religion, des phénomènes économiques, parus dans l’année, ou bien alors les travaux de statistique morale ou autres.
8L’Année fut subsidiairement conçue comme le support de publication d’articles et, de ce fait, elle se distingua de ses « concurrentes » : au contraire, la Revue de métaphysique et de morale, la Revue internationale de sociologie ou la Revue philosophique privilégiaient les articles de fond. Faire de L’Année un lieu de publication d’articles a d’emblée embarrassé Durkheim [17] qui aurait préféré ne pas s’y risquer. Il trouva une solution provisoire en sollicitant des auteurs étrangers qu’il appréciait ; mécontent, il demanda ensuite à ses collaborateurs de produire des articles. Au final, à partir du changement de formule en 1907, les articles (ou « Mémoires originaux » pour reprendre la formule de l’époque) ont été édités à part, dans une collection éditoriale autonome. Plus aucun Mémoire ne parut dans les deux derniers volumes de 1910 et 1913.
9En misant sur les comptes-rendus, L’Année s’inspirait plutôt de modèles historiens, comme la Revue historique. Selon Bertrand Müller (1993), la Revue critique d’histoire et de littérature, créée en 1866 par les chartistes Paris et Meyer, fut pour lui une grande source d’inspiration. Les modalités pratiques de rédaction des comptes-rendus furent pensées et expliquées par Durkheim à ses principaux collaborateurs. Régulièrement dans sa correspondance, il revient sur ce qu’il attend (collecter le « résidu utile ») et ce qu’il veut éviter : la distribution de bons et mauvais points, par exemple.
10Les avantages d’une revue bibliographique sont multiples. Le plus évident – Durkheim l’explique à Bouglé dans une lettre [18] – est de s’efforcer à une veille bibliographique sur un domaine spécifique. Durkheim concevait L’Année comme un outil de travail pour les chercheurs, à telle enseigne qu’il fit tout son possible pour doter la revue d’un index des matières (à partir du deuxième volume) doublé d’un index des noms d’auteurs recensés (du troisième au dernier volume) [19].
11L’une des forces et des originalités de L’Année fut d’étendre sa couverture scientifique aux articles qui paraissaient dans les revues étrangères [20] afin d’éviter de se restreindre aux seules revues françaises et aux ouvrages. Au fil des numéros, l’intérêt des recenseurs évolua dans ce sens en se déportant progressivement des ouvrages vers les revues [21]. L’avantage lié à cet aspect consistait à se trouver en capacité de coller à l’actualité scientifique internationale et interdisciplinaire. La réactivité d’un recenseur est très élevée comparée à celle d’un auteur d’ouvrage qui est entravé par le rythme lent de l’édition. Les recensions d’articles offrent l’opportunité d’engager des discussions scientifiques pointues en un temps réduit. Chacun peut réagir en temps réel (c’est-à-dire en une année) à ce qui était publié [22]. « L’espace public » théorique de Jürgen Habermas (1962), conçu comme un espace de discussion rationnelle, était rendu possible sous cette forme. Après les Académies des sciences du xviie siècle pour les sciences de la nature, il y eut les revues de papier au xixe siècle, que les science studies appellent joliment les « académies invisibles ».
12Cependant, la formule des reviews a aussi ses inconvénients. Si la discussion savante appelle une discussion rationnelle parfois intransigeante, elle peut froisser des susceptibilités, souvent très chatouilleuses dans ce milieu. Durkheim était redouté pour son franc-parler, à juste titre : on a pu décompter que 40 % de ses 500 recensions furent critiques (Béra, 2012a). Symétriquement, il n’appréciait pas les critiques adressées à sa revue et à ses collaborateurs, surtout quand elles prenaient un tour personnel et s’apparentaient à des attaques ad hominem.
13Il y avait un autre inconvénient à la formule bibliographique dont Durkheim n’eut de cesse de se plaindre à partir de 1906 : cette « besogne bibliographique » obligeait à lire et commenter les travaux des autres au lieu de produire une œuvre personnelle. Le travail de recension, quand il réclame toute l’énergie productive du savant, peut conduire à stériliser ses capacités créatives et l’éloigner de la tache de production « pure ». Au lieu d’être un auctor, le savant se cantonne au registre du lector. Durkheim l’écrivit explicitement à Hubert en 1906 en s’en plaignant ; un an plus tard, il décida de relâcher la discipline bibliographique pour tout le monde et de transformer la formule annuelle de L’Année en un périodique qui ne sortirait plus qu’une fois tous les trois ans. Il souhaita que tous produisent aussi cette sociologie tant appelée de ses vœux. À lui, cela permit d’écrire un quatrième ouvrage [23].
Le domaine de la sociologie
La sociologie, entre analyse et synthèse
14L’Année sociologique était destinée à marquer un domaine disciplinaire à côté des autres disciplines universitaires existantes (l’histoire, la psychologie, l’anthropologie, la philosophie, etc.). Pour cette raison, Durkheim ne fut pas enthousiaste du tout quand son éditeur Félix Alcan lui proposa d’abord de se rattacher à L’Année philosophique de François Pillon : cela aurait encore inscrit la sociologie sous la dépendance de la philosophie, ce qui se produisait déjà bien trop à son goût [24]. En réclamant son autonomie éditoriale et en organisant les savoirs en fonction des différents domaines de la vie sociale, L’Année put dessiner les contours d’une nouvelle discipline. Ce travail de spécialisation en sous-champs constitua une avancée majeure pour l’institutionnalisation cognitive de la sociologie, avant même qu’elle devienne institutionnelle. Par ce travail analytique, elle sortit de « l’ère des généralités » et se présenta comme un domaine à part entière, divisé en sous-espaces. Les sept sections [25] en fournirent l’ossature. Elles restèrent stables au cours de la Première série et se prolongèrent au-delà : dans la Deuxième série de l’entre-deux-guerres, les sections allèrent jusqu’à prendre la forme de fascicules distincts [26].
15Durkheim organisa les sections exactement comme il les avait imaginées au départ : Sociologie générale (Bouglé), Sociologie religieuse (Mauss), Sociologie morale et juridique (lui-même), Sociologie criminelle (Richard), Sociologie économique (Simiand), Morphologie sociale et « Divers ». D’une certaine manière, il s’agit de l’embryon des divisions actuelles de la sociologie telles qu’on les retrouve dans les manuels et les organisations professionnelles [27]. Si elles restèrent stables, les rubriques à l’intérieur des sections furent en revanche plutôt mouvantes ; leurs réaménagements successifs doivent être considérés comme des arrangements intellectuels. Elles étaient pensées année après année par Durkheim, parfois par ses collaborateurs les plus proches (les responsables de sections). Elles représentaient les catégories instables d’une science en train de se faire, telle qu’elle se dessinait à travers la production éditoriale et scientifique de l’année en cours en France et à l’étranger [28]. La conception de ces catégories était évidemment surdéterminée par le point de vue de Durkheim : dès le début, suivant en cela Auguste Comte, (Durkheim, 1970 : 87), il avait conçu la sociologie comme une synthèse des sciences « spéciales ». Il entendait faire de la sociologie la science synthétique chargée de prendre en compte l’ensemble des données produites par les sciences spécialisées, qu’on appelle aujourd’hui plus volontiers « disciplines » : histoire, droit, démographie, sciences religieuses, économie politique, éthologie, etc. Ces faits sociaux étaient traités synthétiquement, en théorie et en méthode, par la sociologie comprise comme un regard ou un « état d’esprit », dont la spécificité résidait précisément dans cette compétence synthétique. Durkheim l’indique clairement dans un passage de la lettre à Bouglé [29] du 18 mars 1897 :
Je compte mettre en tête du premier volume une préface où j’exposerai l’objet du recueil. Je montrerai que la sociologie doit être avant tout un trait d’union [souligné par nous] entre plusieurssciencesrecherches déjà existantes et qui doivent les transformer elles-mêmes par suite de ce rapprochement, droit comparé, histoire comparée des religions, etc. – que c’est à cette seule condition que la sociologie peut devenir quelque chose de spécifique, et cesser de se réduire à de vagues généralités philosophiques et sans documentation – que ces recherches, si spéciales elles-mêmes ne peuvent progresser qu’à cette condition. Réponse à ceux d’après lesquels il faudrait attendre que chaque histoire fût faite pour que la sociologie fût possible. Le sociologue n’est pas un simple metteur en œuvre de travaux auxquels il est et reste étranger ; il apporte avec lui un esprit qui est l’esprit scientifique [souligné par nous] et dont les différentes histoires doivent s’inspirer.
17En considérant les disciplines existantes comme des domaines de la sociologie (eux-mêmes transformés en « sections » dans L’Année), Durkheim fut audacieux. Cette conception est pourtant encore antérieure : dès sa prise de poste à Bordeaux en 1887, il proposa avec un aplomb extraordinaire de transformer l’économie politique en une « branche de la sociologie » (Durkheim, 1970 : 103). Il fallait une extrême confiance en soi pour oser se représenter les sciences spécialisées déjà existantes comme des domaines à régenter, assimilant la sociologie à une sorte d’état centralisateur, celui-là même qu’il décrivait dans son cours sur le socialisme (Durkheim, 1992 : 49) [30] en 1895-1896 :
On appelle socialiste toute doctrine qui réclame le rattachement de toutes les fonctions économiques, ou de certaines d’entre elles qui sont actuellement diffuses, aux centres directeurs et conscients de la société.
19Quand on lit ce passage, on pourrait par transposition presque entendre ceci : « on appelle sociologie toute science qui réclame le rattachement de toutes les autres disciplines actuellement diffuses ». La sociologie étant le centre directeur et conscient des sciences du social. L’Année sociologique devint le bras armé de cet appel centralisateur et assimilateur. En outre, on le verra plus bas, Durkheim se considérait au sein de L’Année comme l’élément régulateur central.
La posture de combats
20Cette attitude pour le moins « cannibale » d’une sociologie synthétique amena Durkheim à privilégier la joute. L’ouvrage maintenant classique de Laurent Mucchielli (1998) repose sur cette forte thèse que L’Année fut une entreprise de combats menés contre les autres disciplines. Les chapitres de son ouvrage analysent les rapports souvent tendus entre la sociologie et l’histoire, la géographie, le droit, l’ethnologie, l’anthropologie criminelle, l’économie politique, etc. L’institutionnalisation universitaire de la sociologie passa par cette phase éditoriale agressive, sans doute nécessaire, qui lui assura une place au sein de l’université française, en dépit et à côté de la philosophie [31].
21Cette politique intellectuelle offensive trouva ses limites : les autres sciences sociales ont continué d’exister et elles ne furent jamais absorbées par la sociologie. Celle-ci s’imposa à côté des autres sciences sociales, jamais à leur place. Elle ne fut pas la « science des sciences » dont rêvait Durkheim [32]. Elle devint une science comme les autres, spéciale, elle-même divisée en sous-domaines, au même titre que l’économie, le droit, l’histoire, etc. Quant à la « sociologie générale » surplombante, elle n’est pas davantage parvenue à s’imposer : il n’existe aujourd’hui que des sociologies spécialisées.
Quid de la prépondérance du religieux ?
22Qu’est-il advenu de la prédominance que Durkheim souhaita accorder aux phénomènes religieux ? C’était son projet, celui qu’il annonça dans la préface du second volume, non sans avoir pris des précautions dans le premier volume, y compris sans doute vis-à-vis de ses plus proches collaborateurs (on pense à Bouglé) [33]. Dans quelle mesure la prédominance du religieux a-t-elle pu se mettre en place et s’épanouir, alors que les phénomènes religieux étaient relativisés dans la structure même du plan de la revue ? N’étaient-ils pas regroupés (et donc isolés) à l’intérieur d’une section ? Il y avait une sociologie religieuse, comme des sociologies juridique, économique, criminelle, etc.
23Si L’Année a pu être perçue par certains comme « l’école tabou-totem », ou même comme un « clan », s’il est vrai aussi que Durkheim s’essayait souvent à expliquer les phénomènes sociaux par le religieux, les collaborateurs chargés des autres sections sont loin d’avoir appliqué à la lettre ce point de doctrine. Si la famille (la sociologie de la famille) et le droit purent trouver dans la religion des éléments explicatifs ponctuels, par exemple à propos de leur genèse ou de leur structure, on est loin de pouvoir dire que la religion étendit son empire aux autres sections de L’Année et donc à tous les domaines du social. Ainsi, Simiand, grand ordonnateur de la section de Sociologie économique, est resté sourd à ces appels : la question religieuse est loin d’avoir débordé sur son domaine [34]. On peut en dire autant de la section de Sociologie criminelle chapeautée par Richard.
24Le projet intellectuel de tout expliquer par la religion a donc rapidement trouvé ses limites, dès la Première série de L’Année et plus encore après elle : l’entre-deux-guerres, puis l’après-Seconde Guerre mondiale, ont confirmé les phénomènes religieux sinon dans leur confinement, du moins dans leur spécialisation. On peut même ajouter que le caractère « spécial » des phénomènes religieux a été renforcé par l’approche ethnologique et historique qui fut privilégiée et qui a amené les responsables de la section religieuse à négliger les religions modernes, au détriment de la compréhension des sociétés contemporaines. On sait que, rétrospectivement, Mauss a dit avoir beaucoup regretté cette déviation.
L’Année constitua-t-elle une « école » ?
Notre œuvre commune suppose une foi commune.
25On a souvent débattu la question de savoir si Durkheim avait constitué une « école » sociologique. Dès 1895, dans un article publié en italien dans La Riforma sociale, il annonça « son » école de sociologie au sein du « groupe universitaire », une école qui selon lui se réclamait de la méthode objective (ou positive) [35].
Sans entrer dans les détails, nous essayerons [dans cet article] de classer les principales doctrines sociologiques de manière à faire connaître les différentes écoles, leurs chefs et l’orientation de chacune d’elles. À vrai dire, le terme « d’école » est impropre car la production sociologique a encore quelque chose de sporadique et d’individuel, chacun est un peu resté son propre maître.
27Dans cet article, il distingue le « groupe anthropologique » (avec Letourneau), le « groupe criminologiste » (autour de Gabriel Tarde et Alexandre Lacassagne et la Revue d’anthropologie criminelle), et le « groupe universitaire ». Ce dernier, initié par Alfred Espinas et Alfred Fouillée, fut prolongé par lui-même :
L’école, qui est sur le point de se former et dont nous nous occupons […] démontre qu’il est possible de soumettre la morale à la science.
29À cette date, pourtant, il n’était pas encore titulaire de la chaire de science sociale qui ne sera ouverte qu'en 1896. On peut même se demander s’il songeait alors à créer une revue. Ajoutons qu’il n’avait pas de « disciples » au sens strict ; il n’était donc le « maître à penser » de personne, si ce n’est de quelques étudiants bordelais inscrits en licence de philosophie ou en préparation à l’agrégation [36]. S’auto-désigner comme « chef d’école », cela ne suffit évidemment pas pour en être un. En revanche, les collaborateurs réguliers et donc parfaitement identifiés de L’Année furent très vite assimilés à des « disciples », Durkheim devenant par contiguïté leur maître. Mais pour cela, il a fallu en passer par la création d’une revue et la confirmation, année après année, qu’il existait une équipe stable, viable et performante, travaillant sous la direction d’un seul. L’Année fut à ce titre la véritable « école », son objectivation.
30De ce point de vue, il est intéressant de savoir comment on devenait un collaborateur de L’Année. Il est évident qu’il fallait faire acte d’allégeance et accepter les termes du contrat intellectuel : les Règles de la méthode sociologique (parues en 1894 sous forme d’article), appliquées dans la thèse (1893) et Le Suicide (1897), en constituait l’édifice doctrinal. L’adhésion pouvait être partielle, en ce sens que chacun conservait une certaine autonomie intellectuelle (on l’a vu au sujet de la question des religions). Mais certains points étaient non négociables. On en a la preuve quand par exemple Emmanuel de Martonne, futur grand géographe, à l’époque un modeste camarade normalien d’Henri Hubert, proposa sa collaboration. Pour se faire, il passa une sorte d’entretien avec Durkheim qui se passa très mal. Il commença par déclarer qu’il ne savait pas au juste ce qu’était la sociologie, ce qui fit sursauter le directeur de la revue : « S’il n’y croit pas, il vaut mieux qu’il s’abstienne, or quand je l’ai vu, il n’a pas la foi » commenta-t-il dans une lettre à Hubert (Durkheim, 1987 : 495). On a là une preuve de ce qui était nécessaire pour intégrer cette « entreprise » collective [37] : la croyance en la sociologie. Durkheim « croyait » en la science [38] et il se sentait investi d’une mission. Ses biographes ont insisté sur cet aspect de sa personnalité qui transparait dans les témoignages et dans les textes. Pour faire partie de l’équipe de collaborateurs, il fallait manifester sa croyance, comme son directeur la manifestait lui-même, être convaincu que la sociologie positive était possible, qu’elle pouvait et devait être menée méthodiquement ; cela supposait aussi, par opposition, qu’il ne fallait pas se laisser attirer par « l’essayisme » et les généralités philosophiques [39].
31Yash Nandan (1980 : 2) proposa quatre éléments pour permettre de parler d’une « école » : selon lui, il faut tout d’abord un maître (scholarch) qui ne manque ni de sang-froid ni de charisme pour affronter les adversaires et défendre sa ligne (ibid., p. 5-13); il faut aussi une doctrine, fondée sur le positivisme, le comparatisme, etc. (ibid., p. 13-21); il faut des followers (des collaborateurs, des continuateurs [ibid., p. 21-34]) capables de suivre et défendre le maître et sa doctrine, sachant manifester une loyauté à toute épreuve ; et enfin, il est primordial que cette doctrine soit diffusée méthodiquement (ibid., p. 34-42). L’Année joua ce rôle.
32Comme on l’a vu, et d’ailleurs Durkheim l’écrit à Bouglé, les collaborateurs possédaient une marge de manœuvre : ils pouvaient par exemple ne pas suivre Durkheim quand il expliquait le social par le religieux. Néanmoins, si les désaccords devenaient trop importants, ils devaient quitter « l’école », ce que fit Richard en 1907 alors qu’il avait été placé dès le premier numéro à la tête de la quatrième section de Sociologie criminelle et que son travail avait été valorisé à ce poste. Il quitta L’Année [40] en raison de son refus de considérer le religieux comme un objet d’étude sociologique. Cela choquait sa conscience protestante.
Organisation du travail et style de management
33La principale spécificité de L’Année est d’avoir proposé une unité doctrinale originale contrôlée par un seul homme. Les préfaces des deux premiers numéros sont à ce titre des éléments édifiants, et on peut les comparer à celles de la Revue de métaphysique et de morale, de la Revue philosophique ou de la Revue internationale de sociologie au moment de leurs lancements. L’unité doctrinale était d’autant mieux assurée qu’elle fut garantie par une organisation centralisée. En termes d’analyse de structure de réseau, Durkheim était un personnage central : tout passait par lui, du début à la fin, et cela peut se vérifier à travers les correspondances (actives) exhumées [41] depuis les années 1970. Il centralisait les demandes d’ouvrages à recenser, alliant ceux qu’il avait repérés à ceux qu’on lui demandait d’acquérir [42]. Il répartissait le travail en fonction des volumes reçus, et il élaborait ainsi le plan du numéro, travail qu’il réalisait seul et dans sa globalité.
34En outre, il s’arrangeait pour que ses collaborateurs soient en relation fréquente avec lui [43], sans rien entreprendre pour qu’ils soient en relation les uns avec les autres [44]. Certains historiens semblent s’étonner qu’il n’y eût qu’exceptionnellement des réunions collectives entre les différents collaborateurs [45] – l’équivalent des comités de rédaction des revues actuelles. Cela était pourtant voulu. Dans ce type de gouvernance, chaque rédacteur est tenu isolé et peut ainsi, en définitive, ne connaître aucun autre collaborateur. Ainsi, si Bouglé eut des relations avec son ami Lapie, s’ils purent à ce titre travailler ensemble à la section 1 de « Sociologie générale », ils n’étaient pas pour autant des intimes de Mauss et d’Hubert qui travaillaient de leur côté à la seconde section [46]. Cette absence de relations entre les collaborateurs des différentes sections explique sans doute les difficultés d’organisation de l’après-Durkheim [47]. Celui-ci était le seul à connaître tout le monde et à avoir une vue complète sur l’ensemble de l’entreprise. Ajoutons qu’il s’évertuait également à entrer dans l’intimité de tous pour établir un « lien fort » et affectif qui puisse ressembler à une relation exclusive [48].
35Toute la « besogne » épistolaire que cela supposait exigeait une productivité du travail hors norme ; Durkheim s’y astreint en dépit de crises et de découragements, de nuits blanches dont il ne manquait pas de se plaindre à son neveu [49]. Il s’allégea de certaines taches – l’indexation des numéros reprise par Fauconnet, les courriers aux éditeurs par Hubert – mais sans jamais lâcher l’essentiel, c’est-à-dire la centralisation de l’organisation. Sa direction était loin d’être superficielle : elle était tout ce qu’il y a de plus réel et personne ne fut en mesure de lui succéder, faute de réunir toutes ses compétences. Il était un leader charismatique, animé par une foi inégalée dans son entreprise de fondation. L’Année restera sans successeur véritable pour toutes ces raisons. Ni Mauss, ni Bouglé, ni Halbwachs, ni Simiand, tous dotés de qualités spécifiques, ne furent en mesure de reprendre L’Année après la Première Guerre mondiale et de relancer la Première série avec la régularité et l’efficacité qui l’avait caractérisée, au moins jusqu’en 1907.
36L’autre spécificité, et non la moindre, de cette division du travail, fut de s’assurer la fidélité de certains collaborateurs dévoués et productifs. Durkheim s’arrangea pour les faire collaborer activement, c’est-à-dire leur faire produire de nombreux comptes-rendus dans chaque numéro. Cela eut l’effet de les mobiliser et produisit une solidarité à la fois objective et subjective qu’on ne trouve plus dans nos revues actuelles, du moins pas sous cette forme ou à ce degré [50]. Comme il l’écrit de manière explicite dans le court chapitre 3 du livre III de sa thèse (Durkheim, 2018 : 511-516, « Autre forme anormale » [de la division du travail]), il existe une relation très étroite (une loi générale) entre la productivité du travail, la division du travail et la solidarité du groupe. Avec quelle surprise doit-on lire sous sa plume, en effet :
Le premier soin d’un chef intelligent et expérimenté sera de supprimer les emplois inutiles, de distribuer le travail de manière à ce que chacun soit suffisamment occupé, d’augmenter par conséquent l’activité fonctionnelle de chaque travailleur. (ibid., p. 511)
38Il insiste un peu plus loin sur la nécessité de maintenir une activité continue pour maintenir la solidarité entre les organes. On pourrait presque comparer L’Année à une machine (on le fait assez communément en la comparant à une entreprise) et le suivre un peu plus loin :
Quand le mouvement qui anime toutes les parties d’une machine est très rapide, il est ininterrompu parce qu’il passe sans relâche des unes aux autres. Elles s’entraînent mutuellement, pour ainsi dire […]. Par suite, elles seront plus solidaires (ibid., p. 514)
40Le travail qu’il a organisé de manière continue, régulière, intensive pour lui et les autres et qu’il a distribué de manière précise à chacun de ses collaborateurs pendant des années s’apparente à cette description. Comment ne pas voir, en effet, toute l’importance que Durkheim accordait au travail au plan individuel dans l’organisation de sa propre vie, et de manière collective, au sein de la seule entreprise qu’il n’ait jamais créée et dirigée, L’Année sociologique ? « À mesure que l’on avance, le travail devient une occupation permanente, une habitude, et même, si cette habitude est suffisamment consolidée, un besoin » (ibid., p. 516). Il termine ce chapitre qui ne peut pas être ignoré par ceux qui réfléchissent à L’Année sociologique en expliquant que la division du travail est une source de cohésion sociale pas seulement parce qu’elle « limite l’activité de chacun, mais encore parce qu’elle l’augmente » (ibid., p. 516).
L’efficacité de la Première série : la force du collectif
Vous avez bien raison de dire que notre petit groupe est un milieu moral autant qu’intellectuel. Nul ne le sent plus vivement que moi. Mais on le sent aussi en dehors de nous.
41On ne saurait achever ce bilan historiographique sans revenir sur l’efficacité de cette organisation collective dont Durkheim parut lui-même surpris. Il s’étonnait autant de la solidarité du groupe que de sa productivité. Constater que chaque année, mille pages de comptes-rendus puissent être livrées en temps et en heure, ne fut pas la moindre de ses satisfactions. L’efficacité de la revue fut très vite reconnue et la réputation scientifique qui en résulta accrut encore la productivité du groupe. La tactique qui consistait à rendre compte des publications du monde entier, toutes disciplines confondues, de « pratiquer les échanges » avec les autres revues, ne fut pas pour rien dans le succès de cette entreprise [51]. Tous les collaborateurs purent d’ailleurs tirer de ce travail collectif, de cette ascèse, les ressources nécessaires pour faire carrière et obtenir des postes dans des institutions prestigieuses [52]. Ces publications devinrent donc aussi des titres à faire valoir.
42Durkheim avait depuis toujours attiré l’attention sur ce phénomène : le groupe n’est pas la somme des parties et L’Année en est un parfait exemple empirique. Cette revue, qu’on l’appelle « école » ou « entreprise », comme on voudra, était devenue une entité sui generis. Quant à cette théorie selon laquelle la division du travail produisait de la solidarité sociale, il l’avait expérimentée in vivo en initiant et institutionnalisant ce regroupement qui produisit des effets positifs bien au-delà de ce qu’il avait espéré. La revue fut à la fois la source et la résultante de solidarités intellectuelles, et cela en dépit de ses incomplétudes mises en exergue par certains historiens qui ont préféré insister sur « l’ambivalence » de tel ou tel collaborateur. Il n’en reste pas moins que la solidarité fut réelle et efficace et qu’ils collaborèrent tous à la même entreprise pendant près de quinze années. Les nombreux ralliements qui firent la fierté de Durkheim [53] compensèrent de loin les petits et les grands désistements.
43Il est vrai aussi que les circonstances politiques contribuèrent à renforcer l’unité morale du groupe : les péripéties de l’affaire Dreyfus coïncidèrent exactement avec le lancement de L’Année en 1898 et les principaux collaborateurs se retrouvèrent tous dans leur engagement en faveur du capitaine injustement condamné et puni. Les correspondances démontrent que les liens amicaux vinrent se surajouter aux liens professionnels. Durkheim cessa de s’adresser aux uns et aux autres par un conventionnel « Cher collègue », basculant dans le registre amical (« Mon cher ami »), n’hésitant pas à mélanger les genres en profitant de cet effet d’aubaine. À cette solidarité politique et sociale s’ajouta parfois la commune sensibilité politique (socialiste ou radicale) en faveur des valeurs de progrès et de justice, qui ne fut pas pour peu dans l’unité de ce groupe de « savants de la République » [54].
Notes
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[1]
Et vingt ans après le centenaire de ce lancement, commémoré dans un numéro de L’Année sociologique (1998) dirigé par Philippe Besnard, décédé cinq années plus tard.
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[2]
On pense au travail de Stéphan Soulié sur la Revue de métaphysique et de morale qui n’a pas d’équivalent pour la Revue philosophique, la Critique philosophique, L’Année sociologique, la Revue internationale de sociologie, etc. L’enquête sociologique sur les revues de l’époque n’est pas à l’agenda des recherches.
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[3]
Voir M. A. Lamanna (2001) pour les questions liées à la famille et aux genres, avec forcément quelques anachronismes sur ce dernier point, ou Ph. Steiner (2005) sur les aspects socio-économiques. Hormis ces deux exemples, on trouve peu d’analyses de contenu, que l’on prenne le problème par section ou par collaborateur.
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[4]
Dans l’ordre chronologique : J. Duvignaud en 1969 ; J.-Cl. Filloux en 1970 ; V. Karady en 1976 et 1979 ; Y. Nandan en 1980. Il s’agit à chaque fois de sélections, avec des choix non explicités.
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[5]
L’ouvrage resté inégalé de Stephen Lukes (1988), tiré de sa thèse de 1968, ne consacre qu’un petit (et quinzième) chapitre, et quelques pages à L’Année (7 pages sur 684 dans l’édition de poche). Marcel Fournier (1994 ; 2007 : chap. 10) était mieux armé pour entreprendre un travail sur la revue. Il démontra à quel point l’entreprise collective fut essentielle pour comprendre et caractériser le parcours de Durkheim et de son neveu. Pourtant, il n’est pas rentré lui non plus dans l’analyse des comptes-rendus, s’en tenant aux articles, ce qui est en soi une avancée. Les choses semblent se dérouler ainsi : plus le temps passe, plus les études se spécialisent et s’engouffrent dans les détails. Le dernier niveau d’analyse est celui des comptes-rendus bibliographiques, qui fut la forme élémentaire de la revue. Par un mouvement apparemment paradoxal, ce sera seulement une fois que les études historiques se seront penchées sur ce niveau de « détail » que les éléments les plus généraux pourront ressortir.
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[6]
Le fait que son travail ait été mal reçu par Ph. Besnard ne saurait expliquer à lui seul son abandon.
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[7]
Voir M. Béra (2012a ; 2012b). L’article de S. Mosbah-Natanson dans ce numéro (p. 209-238) confirme cette évolution, ainsi que l’entretien de Bernard Valade par J.-C. Marcel (p. 239-251) à propos de la réforme de 1994.
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[8]
Voir J.-C. Marcel (2001) et Les Études sociales (2017).
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[9]
M. Fournier (2007 : 329) écrit que plus de 200 revues virent le jour dans ces décennies !
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[10]
Il empruntait le très ancien Journal des Savants, le Rheinisches Museum für Philologie, la Revue des deux mondes, la Revue philosophique, la Critique philosophique. Politique, scientifique, littéraire de Charles Renouvier (Paoletti, 2012 : 401-425).
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[11]
À Sens (1883 et 1884), il emprunta la Revue philosophique, pratiquant une « veille » bibliographique régulière de tous les domaines couverts par la revue de Théodule Ribot. C’est là un socle essentiel de sa culture philosophique et psychologique, on le sait (Paoletti, 2012 : annexe 2). À l’École normale (ENS), pendant son congé sabbatique doctoral (1885-1886), il consulta la Revue philosophique, les Philosophie Vorträge et le Nineteenth Century. À Troyes (année scolaire 1886-1887), il emprunta la Revue des deux mondes, la Revue scientifique et le Journal des économistes (Béra, 2017a : 511).
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[12]
Pour consulter la liste exhaustive des revues, se reporter à N. Sembel et M. Béra (2013 : 71). Parmi les plus significatives : la Revue philosophique, L’Année philosophique, la Critique philosophique, la Revue de l’histoire des religions, la Revue internationale de l’enseignement, la Revue internationale de sociologie, la Revue de métaphysique et de morale, la Revue scientifique.
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[13]
Il reste tout entier à cartographier. Ce travail devrait être interdisciplinaire puisque la sociologie se pensa, à l’origine, comme la synthèse des sciences spéciales. Il faudrait également déterminer quel était le champ des revues en Allemagne ou aux États-Unis. Une méthode efficace consisterait à étudier le réseau des échanges entre revues à partir des recensions de L’Année.
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[14]
Sur Ribot, on peut lire S. Nicolas (2005).
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[15]
Voir le numéro de la revue Les Études sociales (2015) coordonné par Frédéric Audren et Massimo Borlandi.
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[16]
Voir la correspondance de Durkheim à Foucault dans ce numéro, p. 67-76.
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[17]
Voir la correspondance de Durkheim à Bouglé dans ce numéro, p.43-65.
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[18]
Ibidem.
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[19]
Le premier volume n’a pas d’index. On imagine la charge de travail que put représenter cette indexation. Il faut comprendre l’abandon de l’index des matières à partir du volume 7 (1903-1904) comme un mal nécessaire pour un Durkheim accablé de travail.
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[20]
La moitié des recensions concerne des ouvrages et des articles allemands, et deux tiers des ouvrages étrangers.
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[21]
Par ricochet, près de la moitié des références (43 %) des Formes élémentaires renvoient à des revues (26 revues dont 16 en anglais) (Béra, 2016a : 155-167). À comparer avec la Division sociale : sur 177 références (voir la toute récente édition scientifique de M. Achimastos et D. Foufoulas), seulement 16 renvoient à des articles de revues, soit 9 %.
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[22]
Voir le cas particulier des échanges animés entre l’anthropologue anglais Andrew Lang et Durkheim (Béra, 2012b).
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[23]
Rappelons qu’il écrivit 500 comptes-rendus en 12 volumes et relut les 5 000 qui parurent (Besnard, 2003 : 276).
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[24]
À l’université, et jusqu’en 1958, la sociologie restera sous dépendance de la philosophie. Depuis, ces deux disciplines se sont éloignées, parfois de manière radicale (Joly, 2017).
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[25]
Six pour le premier volume.
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[26]
Avec plus ou moins de réussite, de rigueur et de bonheur. Voir l’article de J.‑C. Marcel dans ce numéro, p. 145-180. L’idée de scinder L’Année en différents fascicules, en attribuant à chacun un responsable, contribua à accentuer cette division, au risque de perdre l’unité d’ensemble.
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[27]
On pense aux réseaux thématiques de l’Association française de sociologie qui sont une cinquantaine.
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[28]
M. Borlandi (1998) propose une analyse fouillée de la première section, dont le contenu fut problématique. Ph. Steiner (2005) propose une analyse de la section 5 de Sociologie économique.
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[29]
Voir la correspondance de Durkheim à Bouglé dans ce numéro, p. 43-65.
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[30]
L’analogie n’est peut-être pas aussi incongrue qu’il n’y paraît puisque la réflexion que mène Durkheim sur le socialisme est en même temps une réflexion sur la sociologie et ses fondateurs, dont Saint-Simon. En outre, la concordance des temps est presque parfaite entre la conception et la dispensation de ce cours (1895-1896) et le lancement de la revue (1897-1898).
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[31]
La sociologie s’enseignait à Bordeaux dans le cadre du cursus de philosophie. Après leur admissibilité écrite, les étudiants de licence pouvaient être interrogés à l’oral sur le cours de « Science sociale » qu’ils choisissaient parmi douze autres (Béra, 2017b).
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[32]
Comme s’il avait substitué (malgré lui ?) la prétention sociologique à celle de la philosophie qui se pense comme « science des sciences ». Voir Fabiani (1988), Paoletti (2012) et Joly (2017). Les cotes de la bibliothèque de la Sorbonne, instituées par Philippe Le Bas autour de 1850 et reprises par l’ENS, placent la philosophie sous la cote « SP » ou « S Phi » (soit : « Science philosophique »). Cette appellation n’est évidemment pas anodine (sur le système des cotations des bibliothèques, on pourra se reporter à M. Béra [2016b]).
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[33]
Voir l’article de M. Achimastos dans ce numéro, p. 77-102. Seul Mauss avait été mis dans la confidence (Durkheim, 1998).
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[34]
Ph. Steiner (2005) a montré que Durkheim renonça à étudier l’économique en se tournant vers le religieux.
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[35]
Voir, par L. Mucchielli, la préface aux Règles de la méthode sociologique rééditées par Flammarion en 2010 (réédition qui inclut l’article de Durkheim paru en italien en 1895).
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[36]
Il avait une vingtaine d’étudiants en licence de philosophie, parfois autant en préparation à l’agrégation. Certains décrochaient leur licence (un sur trois en moyenne) et parfois l’agrégation (un sur 10), comme Mauss en 1895 (Béra, 2017b).
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[37]
On pourrait presque reprendre les termes de Durkheim et considérer que L’Année fut à la fois un ensemble de pratiques (ici : rédiger des comptes-rendus) et de croyances (ici : adhérer à certains points de doctrine).
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[38]
Il reprocha à Tarde de ne pas y croire.
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[39]
Nous avons tenté ailleurs (Béra, 2012a) d’étudier les règles d’inclusion et d’exclusion d’un bon ou d’un mauvais ouvrage à travers les catégories de jugement telles qu’elles s’exprimaient dans les comptes-rendus de Durkheim. Il faudrait étendre ce type d’analyse aux comptes-rendus des principaux collaborateurs (Mauss, Hubert, Bouglé, Lapie, Simiand, etc.).
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[40]
Voir l’article princeps de W. Pickering (1979), mais aussi le dossier coordonné par C. Rol (Lendemains, 2015), ou encore comment M. Joly (2017) montre que Richard était proche de Tarde.
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[41]
Voir les Lettres à Mauss éditées par Ph. Besnard et M. Fournier (Durkheim, 1998), ainsi que les Lettres à Bouglé par V. Karady (Durkheim, 1975 ; RFS, 1976), à Hubert, à Lapie, à Simiand… Sur l’intérêt des correspondances, voir aussi M. Béra (2014b) et T. Hirsch (2018).
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[42]
Voir la correspondance de Durkheim à Bouglé dans ce numéro, p. 43-65.
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[43]
Au moins par correspondance, mais aussi fréquemment via un rendez-vous personnalisé.
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[44]
Il y aurait une étude à mener sur la structure du réseau de relations entre les 50 collaborateurs identifiés par Ph. Besnard (RFS, 1979) en vue d’établir un sociogramme objectivant les relations d’interconnaissances entre les uns et les autres. Après la guerre, il fallut se rendre à l’évidence : la disparition du personnage central du réseau entraina des difficultés de collaboration entre les « cliques » qui ne se fréquentaient pas. Durkheim ne jouait plus le rôle de « Centrale ». Voir la lettre de Fauconnet à Mauss (Collège de France, fonds Mauss).
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[45]
Il y en eut une en 1907 puis une autre en 1913, à l’occasion de laquelle ses collaborateurs lui offrirent son buste par Paul Landowski. T. C. Clark (1973 : 186) ironisa en y voyant la seule chose qu’il manquait au clan : un totem qui représentait la figure de son chef.
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[46]
Les représentants des différentes spécialités ne se lisaient ni ne se connaissaient, ayant trop à faire pour assurer leur compétence dans leur propre domaine.
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[47]
Voir l’article de J.-C. Marcel dans ce numéro, p. 143-180.
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[48]
Hubert, Fauconnet ou Davy purent ainsi revendiquer leur lien intime et privilégié avec le maître, imaginant peut-être ( ?) qu’il était exclusif.
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[49]
Sans doute aidé par son épouse qui assumait la fonction de secrétaire de rédaction, relisant les épreuves, se chargeant des envois à la poste, etc.
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[50]
Aujourd’hui, les membres des comités de rédaction sont surtout des « administrateurs de la recherche » et ils n’écrivent qu’occasionnellement dans les revues qu’ils contribuent à faire vivre : ils organisent les numéros, contactent des « monteurs de dossiers », sollicitent des recenseurs ou des auteurs d’articles et se chargent de l’évaluation des articles écrits par des auteurs qui, dans leur immense majorité n’appartiennent pas au comité (à contrario, on évite même que les auteurs appartiennent au comité).
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[51]
Sur les 3 000 comptes-rendus parus entre 1898 et 1913, sept sur dix évoquent des ouvrages étrangers, la moitié des ouvrages allemands (Müller, 1993).
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[52]
On pense au Collège de France (Halbwachs, Simiand, Mauss), à l’École pratique des hautes études (Mauss, Hubert), à la Sorbonne (Fauconnet, Bouglé), à l’Université en général (Lévy, Richard, Lapie, Foucault, Lalo) ou à la haute administration de l’Éducation nationale (Lapie, Parodi, Bouglé encore, Aubin, Hourticq, etc.). La liste exhaustive de ces promotions rendues possibles en partie par ce passage à L’Année a été établie par Ph. Besnard (2003 : 279-280).
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[53]
Par exemple, ceux du juriste Paul Huvelin, du linguiste Antoine Meillet et d’un grand nombre de normaliens agrégés après 1905 (Hertz, Halbwachs, Demangeon, etc.).
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[54]
On pourrait évoquer aussi l’athéisme sur lequel ils se retrouvaient.