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1En 1964, Raymond Boudon publie dans le volume 15 de L’Année sociologique Troisième série, en collaboration avec André Davidovitch, son premier article dans la revue (Davidovitch & Boudon, 1964). En 2013, son dernier article, posthume, intitulé « La science aux sources des faux savoirs dans l’espace public » (vol. 63, nº 2), paraît quelques mois après son décès et clôture cinquante années de publication et d’implication dans la revue fondée par Émile Durkheim plus d’un siècle auparavant (Boudon, 2013). Durant ces cinquante années, le paysage, éditorial et institutionnel, de la sociologie française a été profondément bouleversé. La discipline, encore marginale et peu institutionnalisée dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, s’est installée dans la plupart des universités françaises, dispose de dizaines de revues généralistes et spécialisées et regroupe près d’un millier de sociologues répartis entre diverses institutions (Chenu, 2002 ; Heilbron, 2015) [1]. Il est devenu légitime de s’interroger sur la position, naguère monopolistique, de L’Année sociologique dans cet espace scientifique et éditorial. Comment la revue canonique de la sociologie française a-t-elle traversé ce demi-siècle ? Quelles transformations a-t-elle connues durant cette période ? A-t-elle conservé sa vocation généraliste et critique voulue par Durkheim en maintenant une notoriété, nationale et internationale, qui en avait été la marque dès ses origines ? Est-elle, sous l’égide de Raymond Boudon, devenue la revue d’une école théorique spécifique, en l’occurrence celle de l’individualisme méthodologique ?

2La thèse défendue dans cet article est que, d’une part, ces cinquante années ont vu la revue perdre une large partie de ses spécificités originelles au profit d’une standardisation qui répond à la densification et à la concurrence accrue du paysage éditorial sociologique français. D’autre part, la trajectoire scientifique de la revue oscille entre le maintien d’une identité généraliste plus ancrée qu’auparavant dans une sociologie institutionnalisée et des orientations qui ne sont pas sans lien avec son origine durkheimienne. Enfin, si la marque intellectuelle de Raymond Boudon a su s’imposer, à travers des réseaux et des institutions spécifiques, la revue conserve une ouverture théorique qui la distingue d’autres revues d’écoles.

Préambule méthodologique : une approche bibliométrique

3Faire l’histoire d’une revue sur un demi-siècle, dans l’espace restreint d’un article, implique des options méthodologiques spécifiques [2]. L’approche adoptée dans ce travail est résolument quantitative et, plus spécifiquement, bibliométrique (Rostaing, 1996 ; Gingras, 2014) – nous reprenons ici la définition proposée par Yves Gingras (2014 : 9), à savoir que la bibliométrie est « une méthode de recherche qui consiste à utiliser les publications scientifiques et leurs citations comme indicateur de la production scientifique et de ses usages ». Une telle approche se justifie, car elle permet d’observer les transformations de la production scientifique à partir d’indicateurs quantitatifs et sur une longue période [3]. Elle nécessite de se fonder sur des sources autorisant une telle démarche. Nous nous sommes tourné vers le Thomson Web of Science (WoS dans la suite de l’article) qui couvre les sciences sociales, avec des biais connus (Archambault et al., 2006) [4]. Toutefois, la base de données n’inclut pas en tant que telle L’Année sociologique. S’il est possible de repérer les citations se référant à L’Année sociologique dans le WoS (plus précisément dans les revues recensées par celui-ci), il fallait leur ajouter des données spécifiques à la revue. Nous avons donc créé une base de données ad hoc pour L’Année sociologique entre 1964 et 2013, comprenant des informations sur les articles et les auteurs. C’est le croisement entre celle-ci et le WoS qui constitue l’armature empirique de l’article.

Standardisation et ouverture d’une revue canonique

4Une première approche pour étudier les transformations d’une publication comme L’Année sociologique sur cinquante ans peut être de croiser des données et indicateurs scientométriques et quantitatifs sur la production scientifique de la revue et des considérations de bibliographie matérielle (Varry, 2011). Une revue est en effet un lieu de publications scientifiques, mais aussi un objet éditorial original, avec un certain format, une certaine organisation interne qui le caractérise. L’Année sociologique était historiquement une publication parfaitement identifiable dans l’espace des revues, du fait de la forme que lui avait donnée Durkheim combinant des Mémoires originaux, souvent de grande ampleur, et une section bibliographique critique occupant la majeure partie du numéro annuel [5]. Ce format est encore celui de la revue au milieu des années 1960 lorsque Raymond Boudon y publie pour la première fois. Un demi-siècle plus tard, si le titre de la revue demeure, l’objet-revue que le lecteur a entre ses mains n’a que peu à voir avec le format originel durkheimien. Durant ces décennies, la revue a ainsi connu une évolution majeure, transformant en profondeur la publication pour la rapprocher du format standard d’une revue de sciences sociales. Tout d’abord, d’annuelle – comme son titre l’indiquait –, la revue devient semestrielle [6] à partir de 1995. L’imposant volume annuel de plus de cinq cents pages environ est remplacé par deux numéros d’environ la moitié.

5Ce changement du format et du rythme de publication s’accompagne aussi d’une transformation radicale du contenu de la revue. L’équilibre si particulier entre « Mémoires originaux » et « Analyses bibliographiques et notes critiques » se renverse dans les années 1970-1980 au détriment de la seconde catégorie (voir Figure 1). La section bibliographique était dominante dans les premières séries de L’Année, et constituait même une part substantielle de l’identité propre de la revue (Müller, 1993). Dans les années 1960 et 1970, elle occupait encore la majeure partie de la revue, atteignant parfois plus des trois quarts du volume. Elle prolongeait une ambition durkheimienne bien spécifique : couvrir l’ensemble des domaines de la sociologie. Par exemple, la section bibliographique occupe les deux tiers du volume de 1970 et se divise en six sections qui elles-mêmes se divisent en sous-sections, reprenant largement la classification durkheimienne originelle [7]. La tendance est toutefois, dès cette période, à la baisse. On passe ainsi de 69 % entre 1964 et 1973 à 53 % entre 1974 et 1983. Cette diminution de la part des analyses bibliographiques se poursuit et s’accentue dans les décennies suivantes. À partir de 1995, elle représente toujours moins de 15% des volumes, certains numéros n’ayant pas de section bibliographique – sur l’ensemble des livraisons de la décennie 2004-2013, la place moyenne de la section bibliographique est de 5 %, celle-ci étant dorénavant liée au thème du numéro [8].

Figure 1. – Part des analyses bibliographiques dans L’Année sociologique Troisième série, 1964-2013 (moy. mobile sur 3 ans, en %)

Figure 1

Figure 1. – Part des analyses bibliographiques dans L’Année sociologique Troisième série, 1964-2013 (moy. mobile sur 3 ans, en %)

6La première section de la revue qui regroupe historiquement les « Mémoires originaux » se transforme, quant à elle, d’abord par l’ajout de nouvelles sous-sections (des « Études » généralement plus courtes, ou encore les « Travaux de la Société française de sociologie » [9] dans les années 1970), puis, avec la réforme de 1995, par la disparition de ces distinctions entre types d’articles. Cette transformation avait été inaugurée, à partir de 1975, par la publication de numéros thématiques – par suite, une distinction subsistait entre les articles publiés dans le cadre de cette thématique (qui devinrent les « Études ») et les articles hors thème, reprenant par là le fonctionnement de nombreuses revues généralistes de sciences sociales qui agrègent des articles thématiques et des « varia ».

7L’examen détaillé de cette première section de L’Année sociologique sur cinquante ans illustre aussi ces transformations. Entre 1964 et 2013, paraissent 567 articles dans la revue [10]. Ce nombre cache toutefois une évolution notable dans la production annuelle d’articles. Jusqu’en 1975, le nombre d’articles par numéro oscille entre 2 et 5, ces articles étant bien souvent de longs « Mémoires » dans la tradition durkheimienne d’origine [11]. On assiste ensuite à une progression du nombre d’articles sur les décennies suivantes et à une réduction de leur format qui se rapproche de la taille standard des articles de sciences sociales : une dizaine par numéro dans les années 1980, puis une moyenne annuelle d’environ 17 articles pour deux numéros [12]. Cette progression s’accompagne mécaniquement d’un accroissement du nombre d’auteurs qui publient dans la revue sur la période. Ainsi, au total, 514 auteurs distincts sont à l’origine de ces 567 articles. D’une décennie à l’autre, le nombre d’auteurs distincts augmente substantiellement : seulement 38 auteurs publient un « Mémoire » ou une « Étude » dans L’Année sociologique entre 1964 et 1973. On en compte 181 entre 1994 et 2003 et 172 entre 2004 et 2013 (pour un nombre d’articles équivalent sur les deux décennies). Durant les cinquante ans considérés, l’immense majorité de ces auteurs ne contribue à la revue que par un seul article (434 sur 514, soit 84 % d’entre eux). Seuls 80 auteurs publient deux articles ou plus et 15 en publient quatre ou plus. On peut noter ici que Raymond Boudon est le premier contributeur de la revue tout au long de ce demi-siècle, avec 11 articles publiés (dont un posthume et auxquels il faut ajouter deux présentations de numéros thématiques) [13].

8Ce grand nombre d’auteurs – au regard du nombre d’articles recensés – ayant contribué à L’Année sur un demi-siècle a, de plus, une autre signification qui renvoie au mode de production des connaissances sociologiques privilégié par la revue. En effet, près de 90 % des articles publiés dans la revue entre 1964 et 2013 n’ont qu’un seul auteur. Sur l’ensemble de la période étudiée, le nombre moyen d’auteurs par article est de 1,16 – et cela sans évolution notable des années 1960 aux années 2000 (on oscille entre 1,21 et 1,14 au cours des cinq décennies). La revue reste éloignée d’une tendance mondiale à la collaboration, tendance qui, il est vrai, concerne davantage les sciences de la nature et certaines sciences sociales plus formalisées – comme la science économique ou la psychologie –, mais qui a aussi gagné la sociologie, en particulier américaine (Gingras, 2002). Depuis les années 1980, plus de la moitié des articles publiés dans les revues américaines de sociologie ont au moins deux auteurs et, de manière plus large, dans les sciences sociales, on s’approche d’une moyenne de trois auteurs par article dans les années 2000 (Gingras, 2014 : 41). Toutefois, il faut noter que L’Année sociologique ne se distingue guère, de ce point de vue, d’autres revues françaises de sociologie majeures à peine plus enclines à la publication d’articles à plusieurs auteurs [14]. L’article type publié par la revue demeure écrit par un seul auteur, et la sociologie publiée dans L’Année reste, à cet égard, proche des humanités, comme la philosophie ou l’histoire.

Affiliations institutionnelles

9On peut ensuite s’interroger sur les affiliations institutionnelles de ce demi-millier d’auteurs ayant contribué à L’Année sociologique sur un demi-siècle, sachant que nombre d’entre eux déclarent plusieurs affiliations (du fait, par exemple, de l’appartenance à un centre de recherche dépendant à la fois d’une université et du Centre national de recherche scientifique [CNRS]) [15]. Par suite, les proportions sont donc calculées sur l’ensemble des affiliations institutionnelles attachées non pas aux auteurs, mais aux articles (et leur somme peut dépasser 100 %). Ainsi, entre 1964 et 2013, 29,5 % des articles ont au moins un de leurs auteurs affiliés au CNRS, 26,6 % à une université parisienne [16] et 20 % à une université provinciale. Un cinquième de ces articles ont (au moins) un auteur affilié à une institution étrangère (dans la quasi-totalité des cas une université). Viennent ensuite les grandes écoles (10,6 %) – en particulier les Écoles normales supérieures (ENS) –, l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) (5,5 %) [17] et d’autres institutions d’enseignement supérieur et de recherche (7,2 %). Moins de 2 % des articles ont un auteur affilié à une institution ou une organisation qui ne relève pas de l’enseignement (supérieur) ou de la recherche.

10Ce poids du CNRS, s’il renvoie à une donnée structurelle de l’emploi scientifique en sciences sociales de l’après-guerre (Heilbron, 2015), doit toutefois être analysé avec précaution du fait, comme on l’a dit, du caractère souvent mixte des centres de recherche auxquels sont affiliés les auteurs d’article, et cela sans que l’on puisse trancher sur l’appartenance soit à l’université, soit au CNRS de l’auteur en question. La relative faiblesse des universités provinciales, couplée au fait que les deux tiers des centres de recherche CNRS en sociologie sont aussi parisiens, de même qu’une part importante des grandes écoles et autres institutions (Centre national des art et métiers [CNAM], ENS Ulm ou ENS Cachan, Institut national des langues et civilisations orientales [INALCO], Institut national de la statistique et des études économiques [INSEE], etc.), constituent, par contre, un indicateur relativement pertinent de la domination du centre parisien dans l’origine des auteurs d’articles. On doit noter d’ailleurs, pour le cas des universités parisiennes, que deux universités dominent, à savoir Paris-IV et Paris-V – avec 12 % des articles ayant au moins un auteur affilié à l’une ou l’autre de ces universités.

11L’évolution des parts respectives de ces différentes institutions sur le demi-siècle étudié permet de mettre en évidence des transformations significatives dans l’origine des contributeurs de la revue. La principale est l’augmentation du poids des universités parisiennes en parallèle de la diminution du poids du CNRS. En prenant comme point de repère 1995, et la nouvelle formule éditoriale de L’Année sociologique, on constate que les articles ayant au moins une affiliation à une université parisienne passent de 18 % entre 1964 et 1994 à 33 % entre 1995 et 2013 tandis que, pour le CNRS, on passe d’un article sur trois à un peu plus d’un article sur quatre (Tableau 1). Sur les deux mêmes périodes, la part des universités provinciales progresse, quant à elle, mais de manière peu significative [18], contrairement à celle de l’EHESS qui double (passant de 3 % à 7 % des articles). Cette progression des auteurs affiliés à une université, parisienne ou provinciale, au détriment des auteurs affiliés au CNRS, s’inscrit dans un contexte d’évolution de l’emploi des sociologues et illustre la dimension dorénavant plus universitaire de la sociologie française (Chenu, 2002 ; Heilbron, 2015). Le caractère parisien de ce rééquilibrage en faveur des universités s’explique largement par le poids des auteurs affiliés à Paris-IV et à Paris-V dans cette seconde période (30 des 38 affiliations à Paris-IV concernent les années 1995-2013 – voir, infra, le poids de la Sorbonne et du Groupe d’étude des méthodes de l’analyse sociologique de la Sorbonne [GEMASS]). Par ailleurs, l’augmentation du nombre d’articles ayant au moins un auteur affilié à une université étrangère (de 19 % à 23 %) renvoie à l’ouverture internationale croissante de la revue que l’on commente au paragraphe suivant.

Tableau 1. – Affiliations institutionnelles des auteurs d’articles de L’Année sociologique Troisième série, 1964-2013

Répartition des affiliations selon la période(%)
Institutions de rattachement 1964-1994 1995-2013
Universités parisiennes17,932,8
CNRS33,626,5
Institutions étrangères19,123,2
Universités de province18,321,4
Grandes écoles9,811,1
EHESS3,07,2
Sans institution6,46,0
Autres institutions10,25,1
Institutions extra-universitaires3,00,3

Tableau 1. – Affiliations institutionnelles des auteurs d’articles de L’Année sociologique Troisième série, 1964-2013

Une internationalisation qui progresse

12Sur les 514 auteurs distincts qui produisent au moins un article entre 1964 et 2013, 111 sont étrangers (au sens de rattachés à une institution étrangère et non de la nationalité) – soit légèrement plus d’un auteur sur cinq. Pour autant, seul un article sur six est produit par des auteurs étrangers (différence qui s’explique par le fait que les auteurs étrangers ont plus tendance que les auteurs français à écrire des articles à plusieurs mains). Il faut toutefois noter que la revue s’internationalise durant le demi-siècle étudié. Dans les années 2000 (soit entre 2004 et 2013), près d’un auteur sur cinq (18,8 %) est un auteur étranger. C’est le double de la proportion que l’on trouvait entre 1964 et 1973. La progression est relativement constante sur la période considérée.

13En examinant plus spécifiquement l’origine des auteurs, on constate que l’internationalisation de L’Année sociologique se déploie d’abord dans l’espace francophone occidental, à savoir, par ordre décroissant du nombre de contributeurs respectifs, la Suisse, le Canada et la Belgique [19]. Sur l’ensemble de la période étudiée, la moitié des auteurs étrangers qui contribuent à L’Année sociologique sont originaires d’un de ces trois pays. Cette proportion décroit pourtant sur la période [20], indice d’une internationalisation grandissante de la revue. Celle-ci se traduit par la multiplication des pays d’origine des auteurs d’articles : entre 1964 et 1983, seuls huit pays autres que la France sont impliqués. Entre 1994 et 2013, c’est plus du double : soit 17 pays différents. À partir des années 1990, la revue connaît une augmentation du nombre de ses auteurs américains. Sur 18 articles écrits par un auteur issu des États-Unis, 13 le sont après 1990. Toutefois, l’internationalisation se fait aussi en direction d’une ouverture à d’autres pays européens. De nouveaux partenaires comme l’Italie, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne acquièrent une place importante. À partir de la fin des années 1990, le choix de publier des articles directement en anglais, en nombre toutefois relativement marginal, a clairement joué en faveur de cette internationalisation [21]. Il faut toutefois noter qu’elle se fait de manière univoque vers les pays du Nord, à savoir l’Amérique du Nord et l’Europe. Les autres régions du globe, le « Sud », ne fournissent quasiment aucun contributeur, la revue restant ancrée dans les zones dominantes de la production sociologique mondiale (Mosbah-Natanson & Gingras, 2014). Entre 1964 et 2013, seuls quatre articles ont des auteurs issus de régions périphériques (dont trois paraissent après 1995) [22].

Les femmes dans la revue

14Étudier les transformations de la revue sur cinquante ans doit aussi se faire en intégrant une dimension devenue incontournable, à savoir la place des femmes dans l’espace scientifique. La tendance en sciences (sociales), largement documentée dans nombre de dimensions de l’activité scientifique, est celle d’une augmentation de la proportion des femmes impliquées dans celles-ci, malgré des inégalités toujours persistantes (Larivière et al., 2013). Se pose donc la question de savoir si L’Année s’inscrit dans une telle évolution. Le premier indicateur, celui de la composition du comité de rédaction [23], dénote une avancée, certes légère, en la matière. Dans les années 1960, seule Viviane Isambert-Jamati fait partie de ce comité qui compte une quinzaine de membres, à une période, il est vrai, où les femmes sont encore peu nombreuses dans la recherche et l’enseignement supérieur. Il faut attendre la fin des années 1990 pour qu’entrent de nouvelles femmes dans le comité de rédaction et qu’elles y soient mieux représentées. En 2013, on compte ainsi (seulement) 3 femmes sur 16 membres du comité de rédaction.

15Le second indicateur classique est celui de la proportion de femmes parmi les auteurs d’articles publiés dans la revue. De manière relativement surprenante, on observe sa grande stabilité sur les cinquante ans étudiés. En effet, entre 1964 et 2013, un peu plus d’un article sur cinq publié dans la revue a au moins une auteure (21,5 %). Cette proportion oscille entre 20 % et 25 % – le maximum étant atteint dans les années 1980. Les trois dernières décennies n’ont ainsi pas vu de progression significative de la part des femmes dans la production publiée dans L’Année, malgré une légère augmentation entre les années 1990 et le début des années 2010. Le fait significatif, dans ces statistiques, étant sans doute cette proportion relativement importante d’articles écrits par des femmes entre 1960 et 1980. La revue reste toutefois en retard en termes de féminisation par rapport à d’autres revues contemporaines de sciences sociales (Boelaert et al., 2015 : 30).

Les orientations sociologiques d’une revue généraliste

16Les éléments discutés dans le paragraphe précédent, s’ils nous renseignent sur le fonctionnement de la revue, sa standardisation et sur les caractéristiques générales de la production scientifique qui y est publiée et des auteurs associés, ne suffisent guère à spécifier la place occupée par la revue dans la sociologie française depuis cinquante ans. Revue centrale avant-guerre, L’Année sociologique a été confrontée, dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, à une concurrence croissante du fait de la multiplication des revues sociologiques, généralistes et spécialisées [24]. Des années 1970 aux années 2000, ce sont plusieurs dizaines de nouvelles revues qui voient le jour [25], suivant ainsi la progression morphologique de la discipline, en premier lieu en termes de nombre de chercheurs et d’enseignants-chercheurs rattachés institutionnellement et intellectuellement à la sociologie, et de diversité des institutions scientifiques (universités et autres organismes) employant des sociologues et produisant de la sociologie (Heilbron, 2015).

Morphologie du comité de rédaction

17Un tel développement et son incidence sur la place de L’Année sociologique dans la sociologie française peuvent être abordés à partir de ce point d’observation qu’est le comité de rédaction de la revue. L’analyse de la morphologie de celui-ci renseigne ainsi sur l’identité de la revue [26]. Dans les années 1960 pourtant, la revue n’en possède point. On trouve alors un « comité de patronage » ou « comité de direction » qui regroupe, au début de cette décennie, les « patrons » de la sociologie française comme Georges Gurvitch, Raymond Aron ou Jean Stoetzel [27], mais aussi le durkheimien historique Georges Davy, le juriste Jean Carbonnier, le spécialiste du travail Pierre Naville ou les sociologues des religions Émile Poulat et Gabriel Le Bras – tandis que les jeunes étoiles montantes de la sociologie, comme Alain Touraine, Michel Crozier ou Pierre Bourdieu s’en tiennent éloignés. Raymond Boudon, quant à lui, entre au comité en 1974 seulement, l’année du décès de Roger Bastide qu’il remplace. Entre 1964 et 1983, ce comité regroupe une quinzaine de personnes pour chaque numéro. Il se caractérise par l’hétérogénéité et la pluralité des ancrages institutionnels et disciplinaires de ses membres. En considérant les 21 membres de ce comité entre 1964 et 1983, on constate, d’une part, le poids de la faculté des Lettres de la Sorbonne (puis de l’université Paris-Sorbonne) d’où proviennent dix de ses membres, mais, surtout, vient ensuite la faculté de Droit de Paris avec cinq membres, suivie du CNRS avec trois membres. Cet ancrage de la revue dans la « vieille » Sorbonne, plutôt que dans le CNRS qui avait été le lieu du renouvellement de la sociologie après 1945 (Heilbron, 2015), démontre le caractère très institutionnalisé et légitime de L’Année sociologique qui demeure, de ce fait, une revue universitaire et parisienne. Une seule université non parisienne est représentée dans le comité, et cela seulement au début des années 1980 : il s’agit de l’université Bordeaux-II, avec François Chazel qui devient membre du comité de direction en 1983. Le fait marquant reste ce poids des juristes dans le comité : un quart des membres du comité provient de la faculté de Droit où, il est vrai, ils professent un enseignement ou pratiquent des recherches orientées autour de la sociologie. Jean Carbonnier est ainsi le président du comité avant Raymond Boudon (Terré, 2007 : 556). Autre dimension majeure de ce comité de rédaction, la relative interdisciplinarité qui y règne, d’abord du fait des juristes qui essaient d’accorder droit et sociologie, mais aussi du fait de la présence d’un historien (Ernest Labrousse), d’un démographe (Alain Girard) ou d’un linguiste et ethnographe (Jacques Faublée). Cette relative ouverture disciplinaire de la revue s’enracine dans un état pré-institutionnalisé de la sociologie qui ne devient une discipline universitaire autonome qu’à partir de la fin des années 1950 en France. De ce point de vue, L’Année sociologique reste en retard des évolutions institutionnelles de la sociologie qui se mettent en place dans les années 1960 (Heilbron, 2015).

18Il faut attendre le début des années 1980 pour voir la revue rejoindre le train institutionnel de la sociologie en marche et continuer dans la voie de sa standardisation. Elle le fait d’abord sur le plan de son organisation interne en se dotant d’un comité de rédaction. Certains membres du comité de direction se retrouvent dans celui-ci, comme André Davidovitch, Jean Carbonnier ou Raymond Boudon. Pour autant, sur les 33 membres du comité que l’on retrouve sur la période, on constate la disparition des juristes. De 1980 à 2013, ils ne sont que trois à se réclamer du droit (dont Jean Carbonnier qui décède en 2003). Sur les 24 nouveaux membres qui entrent au comité de rédaction, on ne compte qu’une juriste spécialiste de droit économique, Marie-Anne Frison-Roche. Les disciplines autres que la sociologie sont, de plus, extrêmement peu représentées [28]. Les autres membres du comité de rédaction, avec un renouvellement générationnel conséquent, sont tous affiliés à la sociologie et, de ce point de vue, L’Année sociologique devient une revue plus « sociologique ». Ce resserrement disciplinaire du comité de rédaction s’inscrit pleinement dans l’institutionnalisation universitaire de la sociologie de ces dernières décennies (Houdeville, 2007). Le comité de 2013 se caractérise dès lors, à la fois par un ancrage scientifique spécifique (le GEMASS – on y reviendra), mais aussi par le maintien d’une pluralité d’affiliations institutionnelles, affiliations devenues exclusivement sociologiques : sur 16 membres, 5 sont chercheurs au CNRS, 4 sont enseignants-chercheurs dans des universités parisiennes, 2 dans des universités de province, 3 sont affiliés à des grands établissements eux aussi parisiens (ENS Cachan et CNAM) et 2 sont issus d’universités étrangères. La composition du comité de rédaction reste donc marquée par un tropisme parisien. Bien évidemment, on peut noter que, si dans les années 1960 L’Année sociologique pouvait encore, malgré la concurrence de nouvelles revues, rassembler dans son comité de patronage une part importante des sociologues majeurs de la période, cinquante plus tard il ne peut être question d’une telle représentativité alors que la sociologie est présente dans plusieurs dizaines d’universités et autres institutions d’enseignement supérieur et de recherche.

L’Année sociologique, une revue généraliste en sociologie

19L’expansion de la sociologie en France sur les dernières décennies a entraîné une augmentation de la production scientifique, illustrée par la création de nombreuses nouvelles revues comme on l’a dit. La plupart d’entre elles sont spécialisées sur un objet spécifique (Blondiaux et al., 2012 : 239 sq.) tandis que L’Année sociologique se présente toujours comme une revue généraliste avec la vocation ancienne de couvrir l’ensemble des domaines de la sociologie [29]. Analyser son évolution sur cinquante ans nécessite de s’interroger sur le maintien de ce statut de revue généraliste : les articles publiés sur cette période ont-ils couvert, par leur objet, les différents domaines de la sociologie ? Pour tenter de cerner les grandes orientations scientifiques et intellectuelles qui traversent cette production, on a procédé en deux temps : d’une part, un codage thématique de l’ensemble des 567 articles [30], et, d’autre part, une analyse des numéros thématiques après 1975 (lesquels représentent la très grande majorité des numéros après cette date).

20L’analyse du tableau 2 démontre que la revue demeure, sur la période étudiée, une revue généraliste, bien que certaines thématiques perdent de leur poids au profit de certaines autres. La diversité des thèmes abordés dans les articles prouve que L’Année sociologique ne se limite pas à un sous-domaine de la sociologie. Pour autant, se dégagent un certain nombre d’axes majeurs qui donnent sa coloration à la revue sur la période. Le premier est l’importance donnée aux questions théoriques et méthodologiques en sociologie, mais aussi à l’histoire de la discipline proprement dite : selon les décennies, entre un cinquième et un peu plus d’un tiers des articles relève de cette catégorie, constituant par là le premier pôle thématique de la revue. On peut noter qu’entre les années 1980 et le début des années 2000, ce pôle se renforce, du fait de l’importance accordée à la fois à l’histoire du durkheimisme, et aux discussions théoriques inspirées par les travaux de Raymond Boudon (on revient ci-après sur ces deux dimensions). Le second pôle, consacré aux questions de droit, de justice et de criminalité, avec un article sur sept, s’inscrit dans la continuité d’une orientation durkheimienne ancienne qui s’est maintenue, entre autres, grâce au poids des juristes dans le comité de rédaction. Suivent ensuite le domaine économique, les questions de morale et de croyance, et des thèmes relevant de la culture et de l’éducation (autour d’un article sur dix pour ces différents sujets). Le domaine politique comme ceux de la famille, de la science et de la connaissance sont, quant à eux, relativement marginaux dans la revue. D’une décennie à l’autre, on constate toutefois la grande variabilité de la part respective de certains thèmes, laquelle s’explique largement par la succession des numéros thématiques sur la période étudiée.

Tableau 2. – Répartition thématique des articles publiés dans L’Année sociologique Troisième série, 1964-2013

Répartition des articles selon la période (%)
Thématique 1964-1983 1984-1993 1994-2003 2004-2013
Théorie et histoire25,718,829,336,2
Droit et criminalité18,110,39,820,1
Économie25,74,36,312,6
Morale et religion10,518,86,910,9
Culture, éducation3,85,121,86,3
Autres6,79,44,06,3
Politique2,97,712,64
Connaissance2,99,49,23,4
Famille3,816,200

Tableau 2. – Répartition thématique des articles publiés dans L’Année sociologique Troisième série, 1964-2013

21Cette ambition généraliste se retrouve aussi dans l’évolution des numéros thématiques qui sont publiés à partir de 1975. Sur la période 1975-2013, une part substantielle de ceux-ci est consacrée à des sous-disciplines de la sociologie, cherchant par là à produire une synthèse des savoirs sociologiques sur un domaine donné [31]. On peut citer ainsi, par exemple, le numéro inaugural « Sociologie des migrations » en 1975 dirigé par le démographe Alain Girard, le numéro « Sociologie de la famille (1965-1985) » dirigé par Jean Kellerhals et Louis Roussel [32] en 1987, ou encore celui consacré à la « Sociologie de l’éducation » en 2000 présenté par Marie Duru-Bellat. La revue couvre ainsi sur près de quatre décennies un nombre important de (sous-) domaines de la discipline : les migrations, les sciences, la famille, la religion (plus spécifiquement le catholicisme), les arts et la culture, la communication ou l’économie, etc. Toutefois, à partir des années 1990, si certains numéros thématiques se présentent toujours autour d’un sous-domaine de la sociologie (« Sociologie de la communication » en 2001, « Sociologies économiques » en 2005 ou encore « Sociologie de la consommation » en 2011), les thématiques des numéros se font souvent plus précises et n’ambitionnent plus de couvrir un sous-domaine entier de la sociologie, mais des objets plus spécifiques [33]. Les orientations se partagent alors entre des thématiques liées aux recherches spécifiques des directeurs ou directrices du numéro (par exemple : « Nation, nationalisme et citoyenneté » dirigé par Pierre Birnbaum en 1996 ou « Au-delà de l’emploi… le travail » dirigé par Françoise Piotet en 2003), des thématiques d’inspiration boudonienne ou encore des thématiques liées à l’histoire de la sociologie (voir infra pour ces deux dernières orientations). Si cette évolution ne trahit pas la vocation généraliste de la revue au regard de la diversité des thématiques abordées, on peut toutefois l’analyser comme une forme de renoncement à l’ambition synthétique historique de la revue au profit d’objets ou de problématiques plus spécifiques, suivant en cela les orientations d’autres revues sociologiques généralistes.

22Sur les deux dernières décennies étudiées, la revue a aussi toutefois su explorer des « voies nouvelles », comme le propose le titre d’un numéro paru en 2002. Ces voies nouvelles sont multiples et explorent des domaines ou encore des approches innovantes et originales (comme l’analyse de réseau) tout en s’appuyant sur les acquis et sur l’histoire de la discipline. Michel Forsé et Simon Langlois (2002 : 8) introduisent l’orientation du numéro évoqué précédemment dans les termes suivants [34] :

23

La nouveauté est ainsi toujours débitrice de ce qui l’a précédée : c’est en développant une idée antérieure, parfois tombée en désuétude ou tenue pour mineure, mais aussi en la critiquant que se développent des voies nouvelles, sans oublier le rôle joué par l’emprunt à une autre discipline. La sociologie n’échappe pas à la règle. Y détecter ces voies n’est donc pas simple, à plus fortes raisons si l’on ne dispose pas du recul temporel suffisant pour faire la part entre ce qui semble conduire à une impasse et ce qui au contraire paraît offrir des perspectives.

24Ainsi, si la sociologie du droit est largement présente dans la revue, un numéro paru en 2003 et dirigé par Marie-Anne Frison-Roche propose d’explorer « Le droit au féminin aujourd’hui », en mêlant perspectives historiques et études sur les évolutions contemporaines. Dans le domaine de la sociologie des arts, mais aussi de la culture, L’Année sociologique a innové en consacrant des numéros à des domaines relativement marginaux de la sociologie française contemporaine, mais en fort développement depuis quelques années. On peut citer le numéro de 2002 dirigé par Pierre Parlebas : « Sociologie du sport en France aujourd’hui ». Celui-ci revient sur « le parcours cahotant de la sociologie du sport » en affirmant qu’elle « est une discipline à l’état naissant, qui cherche sa voie » (Parlebas, 2002 : 245). De même, Hyacinthe Ravet, sociologue et musicologue, et Bruno Brévan dirigent en 2010 un numéro intitulé : « Sociologies de la musique. Relecture et voies nouvelles ». Ils reviennent, en forme de bilan, sur un domaine dont « on peut situer [le] véritable développement, en France, à partir des années 1980, avec la publication de plusieurs recherches fondées sur des enquêtes empiriques » (Ravet & Brévan, 2010 : 265). En 2011, la sociologie militaire est l’objet d’un dossier intitulé « Valeurs, métier et action : évolutions et permanences de l’institution militaire ». Éric Letonturier souligne, dans l’introduction, la « position académique toujours marginale et fragile de cette spécialité, pourtant ancienne, de la sociologie » (Letonturier, 2011 : 268). Ces différents numéros partagent l’ambition d’explorer et de baliser des domaines qui peuvent avoir fait l’objet d’un développement récent, mais qui n’ont pas obtenu la reconnaissance, en particulier au sein d’autres revues de sociologie, que l’on pouvait attendre. Éric Letonturier écrit ainsi à propos de son domaine : « peu nombreuses ont été les revues de sociologie à dédier l’ensemble d’une de leurs livraisons à cet objet et aux problématiques qui s’y rattachent » (Letonturier, 2011 : 267). D’autres thématiques comme la morale ou les croyances collectives, historiquement significatives pour Durkheim, font aussi l’objet d’un traitement approfondi dans la revue, nous invitant à réfléchir plus directement sur l’héritage durkheimien que l’on peut encore y déceler.

Des persistances durkheimiennes

25Comme il ne saurait être question d’analyser chacune des grandes thématiques publiées dans L’Année sociologique, on a choisi de se focaliser sur deux thématiques spécifiques. Comme on l’a déjà souligné, les deux thèmes les plus représentés dans la revue sur la période étudiée sont, en premier lieu, les questions relevant de la théorie, de la méthodologie, mais aussi de l’histoire de la sociologie. En second lieu, ce sont les questions de droit et justice. Cette double orientation peut être abordée sous l’hypothèse de persistances durkheimiennes.

26Bien évidemment, L’Année sociologique n’est plus une revue durkheimienne au sens strict, et cela depuis fort longtemps. Le dernier durkheimien historique, Georges Davy, membre du comité de patronage, décède en 1976. Force est toutefois de constater que la revue s’arroge progressivement une autre fonction, non pas celle de maintenir le flambeau d’un durkheimisme déjà abandonné dans les années d’après-guerre, mais de devenir le lieu de l’écriture de cette histoire durkheimienne. Comme la revue leplaysienne, Les Études sociales, au départ revue du courant leplaysien devenue revue consacrée à l’histoire de ce dernier, L’Année sociologique est devenue, sur les dernières décennies, l’organe principal de l’histoire de la sociologie française. Il faut noter que la Revue française de sociologie, sous l’impulsion de Philippe Besnard, avait aussi été, à la fin des années 1970 et dans les années 1980, le lieu de l’écriture de cette histoire. Toutefois c’est L’Année sociologique, au tournant des années 1990-2000, qui reprend le flambeau. On compte en tout six numéros de la revue consacrés à cette thématique sur la période 1977-2012, dont cinq se concentrent sur le durkheimisme [35]. Cet intérêt pour l’histoire du durkheimisme s’inscrit à la fois dans le cadre du centenaire des œuvres de Durkheim, mais aussi d’un développement de l’histoire des sciences sociales depuis une vingtaine d’années [36]. La revue publie par ailleurs régulièrement d’autres articles d’histoire de la sociologie française ou étrangère, en dehors des numéros thématiques. Cette orientation est aussi congruente avec celle de la collection « Sociologies » dirigée par Raymond Boudon, qui se caractérise par une même importance accordée à l’histoire de la sociologie (Langlois, 2008). Cette emphase donnée à cette histoire s’accompagne de la publication de textes originaux, non connus ou peu connus, de durkheimiens. On peut citer en exemple le texte de Durkheim sur la sociologie générale publié en 1998 par Massimo Borlandi ou encore les textes de Marcel Mauss rassemblés par Jennifer Mergy en 2004. Cette activité éditoriale accentue la dimension historico-mémorielle de la revue [37]. Ainsi, si L’Année sociologique n’est pas devenue une revue d’histoire de la sociologie, elle a contribué largement à l’écriture de cette histoire.

27La revue se caractérise aussi par le poids donné au droit et au crime. On connait l’importance accordée par Durkheim à ces objets pour la construction de la sociologie. Ainsi la sociologie du droit, qui reste une sous-discipline relativement marginale dans la sociologie française, tiraillée entre son ancrage dans les facultés de Droit et son absence des départements de Sociologie, fait l’objet de six numéros [38] entre 1976 et 2009. Sur l’ensemble du demi-siècle étudié, un article sur sept s’intéresse au droit, à la justice ou au crime. L’une des causes de cette présence de la sociologie du droit est le rôle joué par Jean Carbonnier – président du comité de la revue dans les années 1960-1970 – ainsi que celui d’André Davidovitch – secrétaire de la revue, et dont l’objet de recherche privilégié était la sociologie criminelle [39]. Le comité comportait aussi, jusque dans les années 1980, nombre de membres issus de la faculté de Droit et leur remplacement progressif au sein du comité de rédaction par des sociologues n’a pas amoindri l’intérêt porté par la revue à la sociologie du droit. Ainsi, sur les six numéros thématiques consacrés au droit, cinq sont publiés après 1999, dont un, justement dédié à Jean Carbonnier, illustre la dimension mémorielle de la ligne éditoriale. Il faut toutefois remarquer que les articles relevant de la sociologie criminelle se font plus rares après le décès de Davidovitch. Pour autant, on doit noter la spécificité de la revue au regard de la place qu’elle accorde, dans une filiation somme toute durkheimienne, à la question du droit et du crime.

La visibilité de L’Année sociologique dans la sociologie française et internationale

28L’étude des transformations de la revue, et de son contenu, ne saurait être détachée d’une analyse de la notoriété de la revue dans l’espace, français et international, de la sociologie et des sciences sociales [40]. L’analyse citationnelle basée sur le WoS, outil bibliométrique central (Martin, 2000), fournit alors une voie pour mesurer cette évolution. Si les biais du WoS, en particulier en faveur des revues de langue anglaise, sont connus (Archambault et al., 2006), il n’empêche que l’on dispose d’un outil permettant de poser un regard objectivant sur la position de la revue dans l’espace scientifique – le fait que la revue en tant que telle ne soit pas recensée ne constitue ici en rien un obstacle, car on cherche à mesurer justement sa présence, en termes de citations, dans les autres revues de sciences sociales.

29Premier constat : les citations se référant à la revue augmentent sur la période considérée. On peut d’ailleurs noter l’accroissement très récent de cette notoriété, puisque 45 % de ces citations sont concentrées sur les quinze dernières années (soit 1999-2013) – et 56 % d’entre elles sur la nouvelle formule (depuis 1995). Pour autant, conclure à un effet de cette transformation ou bien à une notoriété substantiellement différente ces dernières années peut être simpliste du fait du caractère largement artefactuel de ce résultat. En effet, les transformations de la base de données du WoS sur les dernières décennies ont mécaniquement entraîné un accroissement du pool de revues citant L’Année sociologique[41] (Mosbah-Natanson & Gingras, 2014). Si la revue est citée, sur l’ensemble de la période, par plus de 650 revues, un peu moins d’un quart d’entre elles rassemble plus de 70 % de ces citations (on retrouve ici un résultat se rapprochant de la classique loi de Lotka). De manière assez prévisible, du fait du biais linguistique évident posé par le caractère francophone de la revue, on constate que les principales revues qui citent L’Année sociologique sont des revues de langue française (en premier lieu la Revue française de sociologie suivie de Sociologie du travail puis des Cahiers internationaux de sociologie) [42] ou des revues multilingues dont le français est une des langues de publication (comme les Archives européennes de sociologie ou Social Compass) [43]. Cela ne signifie pas pour autant que la revue ne soit pas citée dans des revues de langue anglaise : 52 % des citations recensées par le WoS sont issues d’articles publiés en anglais et seulement 41 % d’articles publiés en français. Toutefois ce résultat, au regard de l’écrasante domination des revues de langue anglaise dans le WoS, constitue paradoxalement une confirmation de l’ancrage francophone de la revue.

30Se pose ensuite la question de savoir plus précisément ce qui est cité lorsque ces revues citent L’Année sociologique. En effet, en lien d’ailleurs avec la dimension mémorielle de la revue, le premier résultat de cette analyse est qu’autour de 40 % des citations mesurées par le WoS sont des citations aux durkheimiens proprement dits – et principalement à Durkheim et à Mauss qui sont les auteurs les plus cités, tous auteurs confondus, sur l’ensemble des cinq décennies étudiées [44]. Il faut aussi distinguer entre les citations par langue de publication, car, si le phénomène décrit concerne l’ensemble des articles citant L’Année sociologique, il est d’autant plus accentué dans les articles de langue anglaise, les articles de langue française citant eux aussi largement les durkheimiens classiques, mais dans une moindre proportion [45]. L’impact contemporain de la revue passe encore largement par les citations faites aux Première et Deuxième séries de L’Année sociologique. Il faudrait une étude à part entière pour analyser les usages des classiques dans les travaux contemporains (entre, par exemple, des travaux d’histoire des sciences humaines [46] et des réactualisations contemporaines d’auteurs classiques), mais force est de constater que L’Année sociologique bénéficie de son statut centenaire de revue fondatrice qui a accueilli en son temps les premiers travaux sociologiques français [47].

Tableau 3. – Auteurs cités plus de 20 fois dans le WoS entre 1964 et 2013 pour leur contribution à L’Année sociologique

Auteur cité Nombre de citations
Émile Durkheim293
Marcel Mauss264
Pierre Bourdieu141
Michel Callon102
Henri Hubert71
Robert Hertz48
François Simiand33
Pierre Lascoumes30
Roger Bastide25
Pierre-Michel Menger25
Raymond Boudon24
Antoine Meillet22
Michel Forsé21

Tableau 3. – Auteurs cités plus de 20 fois dans le WoS entre 1964 et 2013 pour leur contribution à L’Année sociologique

31Le fait remarquable suivant ressort de l’analyse citationnelle : alors que dans le paragraphe suivant on s’interrogera sur la dimension boudonienne de la revue, on constate que les deux articles les plus cités sur la période 1964-2013 sont signés par des auteurs éloignés du réseau boudonien (Tableau 3). Il s’agit de l’article de Pierre Bourdieu, « Le marché des biens symboliques » publié dans le numéro de 1971 (avec 141 citations dans le WoS), et de celui de Michel Callon, « Éléments pour une sociologie de la traduction : la domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », publié en 1986 (avec 102 citations). La notoriété contemporaine de L’Année sociologique s’est donc faite autour de deux sociologues qui n’ont publié qu’une fois dans la revue et ont été engagés dans des constructions théoriques spécifiques [48]. Dans ces deux cas, la relation entre l’organe de diffusion qu’est la revue et l’article publié ne peut être décrite de manière trop simpliste. Le support de publication, ici L’Année sociologique, de ces deux textes n’a que peu à voir dans la construction de cette notoriété. Les auteurs suivants les plus cités se situent largement en retrait, sur le plan quantitatif, avec respectivement 30 citations pour Pierre Lascoumes, 25 pour Pierre-Michel Menger et seulement 24 pour Raymond Boudon. Cette faible visibilité boudonienne invite à interroger l’influence de Raymond Boudon sur le destin de la revue durant les cinquante ans étudiés [49].

L’Année sociologique est-elle devenue « boudonienne » ?

32S’interroger sur le rôle de Raymond Boudon dans la revue durant les dernières décennies nécessite d’étudier l’évolution de la revue à travers plusieurs indicateurs. Raymond Boudon a présidé aux destinées de la revue pendant un quart de siècle, devenant président du comité en 1977 et s’en retirant en 2003 au moment de sa retraite de l’université Paris-Sorbonne. S’il est l’auteur qui a le plus contribué à la revue sur les cinquante ans étudiés, on ne peut toutefois pas considérer qu’il en ait fait sa principale tribune – Raymond Boudon publie largement dans d’autres titres – à la manière d’une revue d’école comme Actes de la recherche en sciences sociales pour Pierre Bourdieu [50]. Pour autant, il a marqué de son empreinte la revue, sur les plans institutionnel et théorique, et cela même après son départ au début des années 2000.

33Cette empreinte se traduit d’abord dans l’organisation interne de la revue, et de son comité de rédaction. Comme on l’a vu plus haut, si le comité de patronage de la revue, dans les années 1960-1970, regroupe certaines des figures majeures de la sociologie française de l’époque, avec un ancrage spécifique dans la faculté de Droit, les années 1980 et les suivantes voient ce comité prendre une orientation plus sociologique. Pour autant, il reste marqué par une grande diversité institutionnelle et théorique. Ces (nouveaux) membres ne sont en aucun cas des partisans univoques de l’individualisme méthodologique ou de la théorie boudonienne de la rationalité [51]. Toutefois, le poids des sociologues issus de la Sorbonne et/ou membres du GEMASS, laboratoire fondé par Raymond Boudon en 1971, s’accroit durant cette période. En 1983, lorsque la revue se dote d’un comité de rédaction, seuls deux sur neuf de ses membres appartiennent au GEMASS et enseignent à la Sorbonne (à savoir Raymond Boudon et François Chazel). En 2003, lorsqu’il quitte la direction de la revue, sur 16 membres, 6 d’entre eux soit enseignent à la Sorbonne, soit sont membres du GEMASS. Le comité de rédaction, s’il conserve un pluralisme institutionnel et théorique, s’arrime donc, pour la période très contemporaine, à des institutions dans lesquelles Boudon a joué un rôle majeur. Cet ancrage institutionnel se traduit aussi par l’augmentation, dans la revue, de la part des auteurs liés à l’université Paris-Sorbonne ou au GEMASS. Entre 1977 (date d’accession de Boudon à la présidence du comité de patronage) et 2003 (date de son départ), les affiliations des auteurs au GEMASS passent de quasi inexistantes à plus de 10 %. Ce chiffre augmente ensuite pour atteindre un article sur cinq entre 2004 et 2013, preuve que l’ancrage institutionnel prime l’influence boudonienne directe proprement dite – il faut d’ailleurs ici remarquer que le GEMASS accueillait des personnalités comme François Chazel ou Jean Baechler qu’on ne peut rattacher de manière simpliste, sur le plan théorique, à Raymond Boudon.

34Cette réalité de l’ancrage de la revue dans une institution boudonienne a son pendant, si ce n’est théorique, du moins dans des orientations thématiques. Si, comme on l’a vu, dans les années 1970-1980, l’ambition de la revue, telle qu’elle se dégage à travers les numéros thématiques, est de couvrir un nombre considérable de domaines ou sous-domaines de la sociologie, dans une perspective incluant des orientations théoriques très diverses, paraissent dans les années 1990-2000 un nombre relativement important de numéros d’inspiration boudonienne au sens large. Ces numéros, souvent portés par d’anciens élèves de Boudon (mais pas toujours), sont aussi plus spécialisés que les numéros thématiques consacrés à un sous-domaine de la sociologie et s’orientent alors sur des questions épistémologiques spécifiques ou reprennent des interrogations typiques du cheminement intellectuel boudonien (par exemple : « Argumentation et sciences sociales » en 1994-1995, « Le juste : normes et idéaux » en 1995, « L’explication en sciences sociales » en 2005, « L’abstraction en sociologie » en 2006-2007 ou encore « Les croyances collectives » en 2010). Boudon contribue d’ailleurs à plusieurs reprises, par un article, à ces numéros thématiques, marquant ainsi ceux-ci de son autorité intellectuelle [52].

Boudon dans la sociologie française : une comparaison entre trois revues françaises de sociologie

35Les éléments qui précèdent, s’ils démontrent l’impact de Raymond Boudon sur la revue, son organisation et ses orientations, ne nous renseignent que partiellement sur l’influence intellectuelle qu’il a exercée sur la production sociologique publiée dans L’Année sociologique. Pour ce faire, on peut avoir de nouveau recours à l’analyse de citations en étudiant les références faites à Raymond Boudon dans les articles de la revue entre 1984 et 2013. Nous avons choisi de compléter cette recherche dans deux directions : d’une part, en comparant les données pour L’Année sociologique avec celles disponibles pour la Revue française de sociologie et pour Actes de recherches en sciences sociales, et d’autre part, en ajoutant les références à Pierre Bourdieu. Notre hypothèse était celle d’un poids plus important de la référence boudonienne dans L’Année sociologique que dans la Revue française de sociologie, revue centrale, et a fortiori dans Actes de la recherche en sciences sociales, revue de l’école bourdieusienne.

36Les résultats viennent largement confirmer cette hypothèse. Sur la période considérée (1984-2013), un peu moins d’un article sur trois publié dans L’Année sociologique cite, au moins une fois, Raymond Boudon (30,7 %) [53]. Un article sur sept publié dans la Revue française de sociologie comporte une telle citation. Le contraste est encore plus saisissant pour Actes de la recherche : moins de 1 % des articles qui y sont publiés citent Raymond Boudon. Pour les citations à Pierre Bourdieu, on trouve, de manière prévisible, une hiérarchie inverse, mais avec des écarts beaucoup moins accentués. Si un article sur trois cite Pierre Bourdieu dans Actes de la recherche, c’est aussi le cas de 27 % des articles publiés dans la Revue française de sociologie et, de manière moins attendue, d’un peu plus d’un article sur cinq pour L’Année sociologique. Cette dernière, si elle n’est pas une revue d’école comme Actes de la recherche en sciences sociales, est bien une revue marquée par un sociologue spécifique, Raymond Boudon. Le cas de la Revue française de sociologie est un cas intermédiaire qui illustre le poids respectif de ces deux sociologues que sont Boudon et Bourdieu dans l’espace de la sociologie française.

37Dans le cas de L’Année sociologique qui nous préoccupe ici, il s’agit enfin de se demander si cette orientation « boudonienne » varie sur la période étudiée, en particulier si ce poids des citations à Raymond Boudon s’accentue avec le temps. En comparant les décennies 1984-1993, 1994-2003 et 2004-2013, une césure apparaît au milieu des années 1990. Ainsi, un peu moins d’un article sur quatre le cite sur la première période (23,5 %). Pour les deux décennies suivantes, il s’agit d’un article sur trois, avec une légère augmentation entre les deux (1994-2003 : 32,4 % ; 2004-2013 : 33,9 %). La revue est donc devenue plus « boudonienne » au fil du temps, avec une emprise croissante des thématiques liées à ses travaux sur les numéros et les articles publiés, et en conséquence logique, l’augmentation du taux de citation à celui-ci. Toutefois, en analysant la répartition de ces références, on constate leur grande variabilité. Elles sont concentrées dans les numéros consacrés à des thématiques liées ou influencées par la pensée de Raymond Boudon, et évoquées précédemment. Par exemple, tous les articles du numéro sur « L’explication en sciences sociales » (2005) le citent. C’est aussi le cas pour trois quarts des articles des deux numéros intitulés « L’abstraction en sociologie » (2006 et 2007). Par contraste, les numéros très éloignés de l’univers intellectuel de Raymond Boudon le citent peu, ou pas : ainsi dans le volume 53 (2003), qui contient un numéro sur le droit au féminin et un autre sur l’emploi, seuls 12 % des articles le citent. Encore une fois, ces résultats démontrent d’une part, le poids de l’influence boudonienne dans la revue fondée par Durkheim, et d’autre part, que la revue, qui ne saurait se limiter à celle-ci, n’est pas devenue une revue d’école au sens strict.

Conclusion

38Qu’aurait pensé Émile Durkheim du destin de sa revue en 2013, soit 115 ans après sa première parution ? Il aurait d’abord pris acte de la perte de son quasi-monopole comme organe de la sociologie française, statut qui avait été le sien pendant plusieurs décennies et jusqu’aux premières années post-Seconde Guerre mondiale. L’Année sociologique est ainsi devenue, depuis un peu plus d’un demi-siècle, une revue sociologique parmi d’autres dans un paysage dense et concurrentiel. Cette transformation morphologique de l’espace des revues consacré à la sociologie, qu'elles soient généralistes ou spécialisées, est une marque du succès de l’institutionnalisation de la discipline, mais elle s’est opérée au détriment de la singularité de la revue fondée par Durkheim. Cette singularité se traduisait aussi par une spécificité éditoriale, la part accordée aux analyses bibliographiques. Durkheim aurait-il approuvé la disparition de cette dimension de bibliographie critique ? Celle-ci s’inscrivait dans le projet durkheimien de fonder la sociologie à partir de matériaux issus d’autres sciences sociales. Plus d’un siècle plus tard, une telle démarche, au regard du développement propre de la discipline, ne semble plus nécessaire. La profusion des publications sociologiques rend aussi difficile l’ambition de couvrir toutes les matières et recherches contemporaines et Durkheim aurait donc sans doute suivi cette réforme fondamentale de sa revue.

39Le constat suivant aurait été que la revue a quitté, et cela depuis plusieurs décennies, un strict ancrage durkheimien, pour une raison qui s’enracine aussi dans des transformations morphologiques et intellectuelles de la discipline. L’école durkheimienne, qui avait dominé jusque dans les années 1930, n’a pas résisté à la Seconde Guerre mondiale et au renouvellement pluraliste de la sociologie française après 1945. Pour autant, la trace durkheimienne reste présente dans L’Année sociologique. Durkheim et Mauss sont ainsi les deux auteurs les plus cités lorsque des sociologues contemporains se réfèrent à la revue, qui est aussi devenue, sur les dernières décennies, l’organe, non du durkheimisme, mais de l’histoire du durkheimisme, avec la publication de numéros et d’articles sur ce sujet, mais aussi d’originaux relevant de cette sociologie durkheimienne. La place accordée à la sociologie du droit est également un trait qui rappelle les origines de la revue, tout comme celle accordée à l’économie ou à la morale. De plus, la diversité des thèmes abordés par la revue constitue encore une permanence durkheimienne, le projet de Durkheim étant de couvrir l’ensemble des domaines de la sociologie.

40Enfin, la trajectoire institutionnelle et intellectuelle de la revue sur la période étudiée l’a ancrée, au travers de ce pluralisme de la sociologie française déjà évoqué, dans le sillage d’un sociologue spécifique, Raymond Boudon. Cela sans en faire pour autant une revue d’école. Durkheim le holiste ne se serait-il pas senti trahi en voyant sa revue subir l’influence du théoricien de l’individualisme méthodologique ? Une telle opposition, trop simpliste et scolaire, ne rend pas justice à une continuité entre le projet durkheimien et l’ambition boudonienne. Durkheim ambitionnait de faire sortir la sociologie de « l’ère des généralités » en lui donnant une assise scientifique et positive solide, éloignée des tentations idéologiques nombreuses et variées. C’était le cœur du projet durkheimien. Dans cette perspective, la conception boudonienne de la sociologie et, par suite, l’influence qu’elle a pu avoir sur L’Année sociologique, s’inscrivent dans la continuité de « l’idéal scientifique des fondateurs » (Boudon, 2010 : 4). Si la revue n’est plus durkheimienne, et si elle n’est pas devenue boudonienne au sens strict au regard de la diversité des objets, des approches et des contributeurs de ces dernières décennies, elle continue de contribuer à la promotion d’une certaine exigence scientifique pour la sociologie.

Notes

  • [1]
    À l’échelle mondiale, la sociologie, longtemps cantonnée à l’Europe et à l’Amérique du Nord, s’est internationalisée durant ce demi-siècle tout en restant traversée par des courants hégémoniques récemment contestés (Mosbah-Natanson & Gingras, 2014).
  • [2]
    Notre démarche s’inspire largement du travail effectué pour la revue québécoise Recherches sociographiques (Warren & Gingras, 2011).
  • [3]
    En revanche, cette approche ne permet pas de rentrer dans une analyse exhaustive des contenus des articles publiés. Il s’agit là d’une des limites de notre recherche que nous cherchons à combler partiellement avec l’analyse citationnelle développée à la fin de l’article.
  • [4]
    Nous remercions Yves Gingras et Mahdi Kelfaoui de l’Observatoire des sciences et des technologies (OST)-Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST-UQAM) pour leur aide.
  • [5]
    On renvoie ici, pour l’analyse de la Première série de L’Année, à l’article de Matthieu Béra dans ce numéro, p. 21-41.
  • [6]
    Boudon (1995 : 7) présente, dans une note introductive au numéro, cette semestrialisation de la revue. Il explique ainsi que : « En passant à la semestrialisation, notre revue se veut davantage en prise sur le mouvement des idées qui traverse et anime nombre de secteurs des sciences sociales ».
  • [7]
    Les six sections sont les suivantes : Sociologie générale et sociologie politique ; Morphologie sociale ; Sociologie religieuse ; Sociologie juridique et morale ; Sociologie économique ; Linguistique.
  • [8]
    Ce déclin a impliqué, pour notre recherche, que nous n’avons pas investigué plus avant cette section. Ainsi, parmi les auteurs de la revue, nous ne considérons ci-après que les auteurs d’articles et non pas les auteurs, même fréquents, de critiques bibliographiques. Ainsi par exemple, le sociologue Julien Freund, qui est très actif dans les critiques bibliographiques mais n’a pas publié un seul article dans la revue entre 1964 et 2013, n’est pas inclus dans notre analyse.
  • [9]
    Cette sous-section disparait ensuite dans les années 1980, sans doute du fait du déclin de la Société française de sociologie, remplacée en 2002 par l’Association française de sociologie.
  • [10]
    On ne distingue pas ici entre les « Mémoires originaux », les « Études » et autres types d’articles. Toutefois, on a exclu de ce décompte les articles nécrologiques ainsi que les introductions et présentations de numéros thématiques.
  • [11]
    Le « Mémoire » publié par R. Boudon et A. Davidovitch dans le numéro de 1964 intitulé « Les mécanismes sociaux d’abandon des poursuites : analyse expérimentale par simulation » compte 134 pages ; celui publié par Pierre Bourdieu, en 1971, « Le marché des biens symboliques », 77 pages.
  • [12]
    Pour comparaison, la Revue française de sociologie, revue trimestrielle, publie une moyenne de 6,5 articles par numéro entre 1995 et 2013, et Actes de recherches en sciences sociales, une moyenne de 7,4 pour la période 2005-2014.
  • [13]
    Il est suivi de Michel Forsé avec sept articles, puis Bernard Valade, François Terré et François Chazel avec six articles.
  • [14]
    Au début des années 2000, pour les quatre revues suivantes – Cahiers internationaux de sociologie, Actes de la recherche en sciences sociales, Revue française de sociologie et Sociologie du travail –, on compte 1,2 auteur par article et 20 % d’articles écrits en collaboration.
  • [15]
    On a retenu, comme niveau d’analyse, non pas les laboratoires, mais les institutions du niveau supérieur, à savoir CNRS, EHESS ou université.
  • [16]
    On inclut ici l’ensemble des universités d’Île-de-France, y compris les universités nouvelles comme Versailles–Saint‑Quentin ou Marne-la-Vallée.
  • [17]
    On a inclus l’École pratique des hautes études (EPHE) dans cette catégorie.
  • [18]
    La part des articles ayant au moins un auteur affilié à une université provinciale passe de 18,3 % entre 1964 et 1994, à 21,4 % entre 1995 et 2013.
  • [19]
    On peut ainsi noter que les deux premiers membres étrangers du comité de rédaction sont un Canadien, Simon Langlois, et un Suisse, Jean Kellerhals, qui rejoignent le comité dans les années 1990. Ils seront suivis par un Italien, Massimo Borlandi, au début des années 2000, puis par un Grec, C. Mantzavinos, qui rejoint le comité en 2012.
  • [20]
    Jusqu’à la fin des années 1980, les deux tiers des auteurs étrangers proviennent de ces trois pays. Ils ne sont plus qu’un tiers des contributeurs étrangers entre 2004 et 2013.
  • [21]
    Le premier article en anglais parait en 1995.
  • [22]
    On peut enfin noter que la collaboration internationale est quasi inexistante. Sur les 63 articles écrits en collaboration, seuls cinq le sont en collaboration internationale. Par suite, moins de 1 % des articles publiés dans L’Année sociologique sont le résultat de la collaboration entre des auteurs de pays différents (en l’occurrence la France et un autre pays).
  • [23]
    Voir infra pour l’étude détaillée du comité de rédaction.
  • [24]
    Voir sur cette question de l’après-guerre, l’article de P. Vannier dans ce numéro, p. 181-207.
  • [25]
    Sur le phénomène de prolifération de nouvelles revues, et ses conséquences, voir L. Blondiaux et al. (2012 : 239 sq). Au-delà du cas français, voir L. L. Hargens (1991).
  • [26]
    À titre de comparaison avec une revue plus contemporaine, on peut consulter Y. Potin (2015).
  • [27]
    On peut noter que ces trois patrons sont aussi associés à trois nouvelles revues de sociologie qui font concurrence à L’Année sociologique, à savoir respectivement les Cahiers internationaux de sociologie, les Archives européennes de sociologie et la Revue française de sociologie.
  • [28]
    À savoir, la science politique de manière éphémère avec la participation de Philippe Béneton à la rubrique « Lectures » au début des années 1980, l’anthropologie avec celle de Claude Rivière au comité dans les années 1980-1990, enfin la philosophie (des sciences sociales cependant) avec le Grec C. Mantzavinos qui entre au comité de rédaction en 2012.
  • [29]
    Bien évidemment, L’Année sociologique n’est pas la seule revue généraliste dans l’espace des revues de sociologie. Des nouvelles revues à vocation généraliste voient le jour après 1945 : la Revue française de sociologie, les Cahiers internationaux de sociologie ou plus tard Actes de la recherche en sciences sociales. On peut aussi mentionner le cas de la revue Sociologie, créée en 2010.
  • [30]
    Si on a d’abord voulu s’inspirer des grandes catégories historiques durkheimiennes de L’Année sociologique, on a finalement opté pour une démarche plus inductive dans la détermination de celles-ci.
  • [31]
    Entre 1975 et 1993, la moitié des numéros thématiques porte sur une sous-discipline ou sur un domaine à part entière de la sociologie. Dans les décennies qui suivent, cette proportion diminue.
  • [32]
    Le sous-titre donné à ce numéro, à savoir « 1965-1985 » indique bien la volonté de faire la synthèse des travaux relevant de la sociologie de la famille sur les deux décennies considérées.
  • [33]
    Les deux numéros thématiques consacrés à la science se distinguent ainsi clairement par leur intitulé respectif. Le premier, dirigé par Bernard-Pierre Lécuyer en 1986, s’intitule sobrement « Sociologie des sciences et des techniques ». Le second, dirigé par Michel Dubois en 2013, se place sous le titre suivant : « La science, une activité sociale comme une autre ? Controverses autour de l’autonomie scientifique ».
  • [34]
    Cela peut aussi s’appliquer à d’autres numéros qui se singularisent par leur originalité dans le paysage sociologique contemporain.
  • [35]
    Il s’agit des numéros suivants : « Durkheim et les durkheimiens : religion, connaissance et droit » (vol. 28, 1977) ; « Le centenaire de L’Année sociologique » (vol. 48, no 1, 1998) ; « Études d’histoire de la pensée sociologique » (vol. 48, no 2, 1998) ; « Lire Durkheim aujourd’hui » (vol. 49, no 1, 1999) ; « Mauss et les durkheimiens » (vol. 54, no 1, 2004) ; « Émile Durkheim : les Formes élémentaires de la vie religieuse un siècle après » (vol. 62, no 2, 2012).
  • [36]
    Il faut noter qu’en 1999 la Revue d’histoire des sciences humaines est fondée, et consacre de nombreux articles et numéros à l’histoire de la sociologie.
  • [37]
    En témoigne, et cela dès les années 1960, le grand nombre d’articles nécrologiques qui y est publié.
  • [38]
    Il s’agit des numéros suivants : « Sociologie du droit et de la justice » (vol. 27, 1976) ; « Sociologie du droit économique » (vol. 49, no 2, 1999) ; « Le droit au féminin aujourd’hui » (vol. 53, no 1, 2003) ; « Autour du droit : la sociologie de Jean Carbonnier » (vol. 57, no 2, 2007) ; « Pour une sociologie politique du droit I » (vol. 59, no 1, 2009) et « II » (vol. 59, no 2, 2009).
  • [39]
    Sur A. Davidovitch, voir J.-C. Marcel et L. Mucchielli (2006).
  • [40]
    Pour une analyse de la notoriété internationale des revues de sciences sociales françaises, on renvoie à Y. Gingras et S. Mosbah-Natanson (2010).
  • [41]
    Un test rapide confirme cette dimension artefactuelle. Ainsi, sur la période 1999-2013, 406 revues sont recensées citant au moins un article de L’Année sociologique, contre seulement 222 pour la période 1964-1988. On assiste de ce fait à un phénomène de dilution des citations, puisque, pour la période 1964-1988, on a une moyenne de trois citations par revue citant L’Année sociologique tandis que cette moyenne tombe à 2,3 pour la période 1999-2013 (sur ce phénomène à l’échelle globale, voir Larivière et al. [2009]).
  • [42]
    La Revue française de sociologie concentre un quart des citations pour les articles en français citant L’Année sociologique. Elle est suivie par Sociologie du travail (8 %), les Cahiers internationaux de sociologie et Actes de la recherche en sciences sociales (un peu moins de 4 %).
  • [43]
    Seules deux revues unilingues anglaises font partie du « top ten » : Current Sociology et la Pacific Sociological Review (dans ce cas, cela s’explique par un article consacré à l’histoire de L’Année paru il y a quarante ans : Kando, 1976).
  • [44]
    Sauf pour la décennie 2004-2013, où Michel Callon détrône de peu Durkheim, Mauss occupant la première place. On peut même ajouter que sur les dix auteurs les plus cités de la revue, cinq sont des durkheimiens classiques, à savoir, dans l’ordre décroissant des citations : Durkheim, Mauss, Hubert, Hertz et Simiand.
  • [45]
    En prenant comme indicateur les 15 premiers auteurs cités, on constate que les durkheimiens représentent 75 % des citations dans les articles en anglais et seulement 42 % des citations dans les articles en français.
  • [46]
    On peut ainsi noter que près de 10 % des références à Durkheim se trouvent dans des revues d’histoire (et pour un tiers dans des revues de sociologie).
  • [47]
    On remarque, à titre d’illustration, que la très grande majorité des citations dans une revue comme l’American Journal of Sociology renvoient à Durkheim, Mauss ou à un autre durkheimien (17 des 21 citations).
  • [48]
    Pierre Bourdieu publie ainsi en 1971 un texte fondateur dans son cheminement théorique, en particulier pour sa sociologie du champ culturel et intellectuel, et alors que la revue n’est pas encore dirigée par Raymond Boudon (il est à parier qu’il n’aurait pas publié ce texte dans L’Année sociologique quelques années plus tard). Tandis que Michel Callon publie en 1986, dans le cadre du numéro thématique intitulé « Sociologie des sciences et des techniques », un article fondateur pour la sociologie de la traduction.
  • [49]
    On peut rapprocher ce classement des résultats obtenus par É. Ollion et A. Abbott (2016) pour la réception américaine des sociologues français sur la période contemporaine.
  • [50]
    Sur la notion d’école en sociologie, voir Monique Hirschhorn (2018).
  • [51]
    Dans le cadre de cet article, il ne s’agit pas, pour nous, de prendre position sur la trajectoire théorique de Boudon (sur ce point, on peut consulter Boudon [2010] ou Morin [2006]), mais de fonder notre argumentation sur des indicateurs, principalement quantitatifs, permettant de juger de la proximité d’auteurs, d’articles ou de numéros d’avec cette trajectoire proprement dite.
  • [52]
    Ces articles sont souvent ceux qui inaugurent le numéro en question.
  • [53]
    On a normalisé le décompte des références à Boudon ou Bourdieu, à savoir que les références aux auteurs ne sont comptées qu’une fois par article (même si celui-ci cite plusieurs fois l’un des deux auteurs).
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Cet article se propose de revenir sur la période contemporaine de la revue, période qui se caractérise par la figure centrale de Raymond Boudon à partir des années 1980. Grâce à une approche bibliométrique, on étudie les transformations de la revue entre 1964 et 2013. La thèse défendue dans cet article est que, d’une part, ces cinquante années ont vu la revue perdre une large partie de ses spécificités originelles au profit d’une standardisation qui s’inscrit dans le contexte d’une densification et d’une concurrence accrue du paysage éditorial sociologique français. D’autre part, la trajectoire scientifique de la revue oscille entre le maintien d’une identité généraliste plus ancrée qu’auparavant dans une sociologie institutionnalisée et des orientations spécifiques qui ne sont pas sans lien avec son origine durkheimienne. Enfin, si la marque intellectuelle de Raymond Boudon a su, à travers des réseaux et des institutions spécifiques, s’imposer sur la revue, celle-ci conserve une ouverture théorique qui la distingue d’autres revues d’écoles.

Mot-clés

  • Revue scientifique
  • Bibliométrie
  • Raymond Boudon
  • Analyse de citations
  • Histoire de la sociologie

Références bibliographiques

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Sébastien Mosbah-Natanson
Groupe d’étude des méthodes de l’analyse sociologique de la Sorbonne (GEMASS), Sorbonne Université
Sébastien Mosbah-Natanson est maître de conférences en sociologie au sein de la faculté des Lettres de Sorbonne Université et membre du Groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique de la Sorbonne (GEMASS). Spécialiste de l'histoire de la sociologie, il a publié Une « mode » de la sociologie. Publications et vocations sociologiques en France en 1900 (Paris, Classiques Garnier, 2017) et de nombreux articles dans ce domaine. Il travaille aussi sur la mondialisation des sciences sociales contemporaines.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 18/04/2019
https://doi.org/10.3917/anso.191.0209
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