CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dans cet article, il s’agit d’analyser la réception de diverses thèses psychologiques dans les pages de L’Année sociologique Première et Deuxième séries. Cette réception a paru inégale et semble avoir été l'objet de luttes, signe de la faible homogénéité doctrinaire des collaborateurs, qui se mesure à travers leurs correspondance et publications [2]. On se propose ici de l'analyser à partir des comptes-rendus publiés par la revue. Pour comprendre cette réception, il faut considérer d’abord que la psychologie n’était pas une discipline établie dans l’enseignement ou une profession réglée par des droits d’entrée, de sorte qu’il y avait plusieurs genres de psychologie et divers types de trajectoires de « psychologues ». Pour Émile Durkheim et les durkheimiens, cette diversité était perçue et jugée à partir de leur position dans le champ intellectuel. Ils traitaient les intellectuels libres issus du pôle professionnel et les philosophes professeurs du secondaire, appelés fréquemment « dilettantes », d’une autre manière que les prétendants à une carrière littéraire dans l’enseignement supérieur – avec qui ils entretenaient des rapports beaucoup plus resserrés. De même, étant donné la diversité des thèses psychologiques sur le « social », d’inspiration philosophique ou naturaliste, les durkheimiens étaient plus favorables à celles qui avaient le plus d’affinités avec leur propre projet de bâtir une sociologie scientifique. Les théories d’inspiration philosophique, ainsi que celles fondées sur les sciences naturelles étaient jugées de façon plus critique à cause de l'absence de méthode objective et de la spécificité des sciences sociales. Bref, si l’on était professeur de faculté littéraire et défenseur des sciences sociales spécifiques, on avait plus de chances de recevoir une bonne revue dans les pages de L’Année sociologique ; à l’inverse, un auteur issu des facultés professionnelles ou de l’enseignement secondaire, inspiré par le naturalisme ou la philosophie morale, était plus susceptible d’être mal évalué [3]. Néanmoins, la réception de la psychologie dans L’Année sociologique relève aussi de la diversité doctrinaire des durkheimiens. On sait que les collaborateurs de la revue ne formaient pas un groupe monolithique porteur d’une seule et même vision des rapports entre la psychologie et la sociologie. Et on trouve entre eux des divergences dans les deux séries, même si la psychologie est exceptionnellement mise en valeur au détriment de la sociologie durkheimienne.

2La position de ces deux sciences, la sociologie et la psychologie, dans le champ intellectuel et dans l’enseignement supérieur – qui connaît des transformations importantes durant la période couvrant les deux séries de L’Année sociologique – entraine aussi des changements de perception et d’évaluation de la part des durkheimiens. Au début de l’institutionnalisation universitaire de ces deux sciences, à la fin du xixe siècle, la psychologie était beaucoup plus légitime que la sociologie. Il faut attendre les années 1920 pour que la sociologie durkheimienne conquiert plus de prestige chez les pratiquants des sciences de l’homme – même si, du point de vue institutionnel, elle est alors devenue très faible par rapport à la psychologie (Heilbron, 1985 ; Karady, 2001). Cette transformation s’inscrit dans les pages de la revue de Durkheim de façon nette : le ton général est plus combatif envers la psychologie dans la Première série, et plus conciliant dans la Deuxième. Il y en a d’autres signes : aucun psychologue ne collabore à L’Année sociologique Première série, alors que Charles Blondel, par exemple, participe à la Deuxième série [4]. Pendant la Première série de la revue sont forgés les outils conceptuels qui permettent de définir la sociologie et de délimiter la frontière avec la psychologie, combat nécessaire pour légitimer la sociologie comme science autonome et spécifique. Ce combat fondamental fonde l’identité de L’Année sociologique par opposition à la Revue internationale de sociologie, de René Worms, étant donné que la première soutenait l’explication par les « faits sociaux », alors que dans la seconde le « facteur psychologique » était mis en évidence (Consolim, 2014b). Cet enjeu incite les durkheimiens à incorporer la « psychologie collective » comme objet d’étude légitime de la sociologie et à rompre avec l’opposition entre « esprit » et « corps » qui orientait les psychologies sociales concurrentes. Ainsi, les faits sociaux sont définis essentiellement comme « psychologiques », au sens où ils expriment des sentiments collectifs et des représentations sociales à travers les institutions sociales. Dans la Deuxième série de L’Année sociologique, la réception de la psychologie revient avec les mêmes polarisations conceptuelles que dans la Première, entre conscience collective, conçue comme un ensemble de représentations collectives, et conscience de l’individu. Mais, cette fois-ci, la discussion est centrée plus fortement sur les formes de collaboration possibles entre les deux sciences – étant donné qu’elles sont maintenant considérées comme mûres pour dialoguer et construire ensemble une science de l’« Homme total ». Néanmoins, les limites entre les deux sciences sont objet de divergences en fonction d’abord du genre de psychologie – physiologique ou philosophique – qu’il faudrait prendre en compte dans ce dialogue, ensuite du degré de spécialisation souhaité pour les deux sciences, et finalement de la définition même de la sociologie et de la psychologie. On peut, donc, appeler « hétérodoxes », dans les deux séries, les défenseurs de la cause de la « psychologie » en sociologie. Ils ont eu, en quelque sorte, des trajectoires déviantes par rapport aux durkheimiens stricts – Dominique Parodi et Marcel Déat n’ont pas de doctorat, Daniel Essertier n’est pas normalien et Gaston Richard, qui est normalien, docteur ès lettres et professeur à Bordeaux, n’est pas devenu sorbonnard. Dans les deux générations, les préférences théoriques se concentrent sur des auteurs outsiders à la Sorbonne – tels que Gabriel Tarde ou Henri Bergson. Donc, la défense de la « psychologie » dans la revue peut être associée à des trajectoires scolaires et professionnelles moins prestigieuses et dont la réponse symbolique était parfois de mettre en valeur le Collège de France au détriment de la Sorbonne.

La Première série : la fondation de la sociologie contre la psychologie

3Dans la Première série de L’Année sociologique, la discussion des thèses psychologiques est présente dans plusieurs comptes-rendus [5]. Rappelons que le projet de la revue de Durkheim commence en partie dans les pages de la Revue de métaphysique et de morale, qui avait recruté Paul Lapie et François Simiand pour écrire des comptes-rendus des œuvres de sciences sociales – section qui disparaîtra lors de la fondation de L’Année sociologique (Besnard, 1979). Célestin Bouglé fut le médiateur entre la Revue de métaphysique et L’Année sociologique et c’est par lui que Lapie et Parodi ont été recrutés (Pinto, 1993 ; Soulié, 2009). Il a été aussi le principal responsable de la Section « Sociologie générale », dédiée à la discussion des rapports entre la sociologie et la psychologie – Section qui ne figure pas parmi les plus prestigieuses de L’Année sociologique (Karady, 1979) [6]. L’orientation de Durkheim était d’investir d’abord dans la recherche spécialisée, et non dans la synthèse, étant donné que la généralisation en sociologie devrait être poursuivie seulement après l’accumulation de résultats de recherche à long terme [7]. Donc, la Section de Bouglé n’était pas dédiée à produire une théorie sociologique générale, en dépit de son titre, mais plutôt à combattre les théories générales du social, dont celles d’inspiration psychologique, ainsi qu’à soutenir l’autonomie et la spécificité de la sociologie par rapport à la philosophie et à la psychologie [8]. Dès 1895, Durkheim discutait des rapports entre psychologie et sociologie avec Bouglé : si les faits sociaux étaient des actes et des représentations, ils étaient psychologiques, mais d’une psychologie sui generis, qui ne permettait pas de déduire la psychologie sociale à partir de la psychologie individuelle [9]. La correspondance entre Durkheim et Bouglé montre que les négociations autour du titre de la Section de Bouglé étaient une question sensible : Durkheim lui propose d’écrire une introduction dans sa Section « Sociologie générale » pour expliquer les inconvénients qu’il y aurait à utiliser l’expression « psychologie sociale » [10]. À travers les comptes-rendus publiés par la revue, on voit que la majorité des collaborateurs ont suivi l’orientation de Durkheim, et que, en dépit de ce qui dit Philippe Besnard (1979) qui insiste sur l’hétérogénéité doctrinale de l’équipe, seuls G. Richard et D. Parodi se montrent critiques envers la sociologie durkheimienne [11].

4Pour Durkheim, fonder la sociologie supposait en quelque sorte de remettre en question la définition de la « pensée » et de la « conscience de l’individu » et, en particulier, le statut de la pensée philosophique et du philosophe – fondé sur la croyance en l’autonomie des idées et des valeurs individuelles par rapport aux conditions sociales. Du point de vue conceptuel, les notions de « conscience collective » et de « représentations collectives » jouaient un rôle central dans ce combat parce qu’elles fondaient la possibilité de construire des objets sociologiques et des explications par des faits sociaux contre la sociologie naturaliste et contre la psychologie philosophique [12]. Ainsi, elles impliquaient une relativisation de la morale et une abstraction de la conscience de l’individu que les philosophes et les historiens trouvaient problématique [13]. L’idée d’une « pensée collective » avait donc des implications morales et intellectuelles qui constituaient un grand obstacle théorique (Soulié, 2009). Les publications les plus importantes des durkheimiens en rapport avec cette discussion sont parues à cette époque et orientent les comptes-rendus dans la revue [14]. Dans ces textes, Durkheim appelle « sociologie » une « psychologie collective » ou une « psychologie sociale » ; néanmoins, fréquemment il utilise l’expression « psychologie sociale » pour faire référence aux « travaux assez indéterminés où il est question de la psychologie des foules et aussi de généralités de toutes sortes » (Durkheim & Fauconnet, 1903 : 35). Dans l’article « Sociologie », de Paul Fauconnet et Marcel Mauss, on se rend compte de l’ampleur du combat contre les théories psychologisantes du social et les auteurs mentionnés : Spencer, Tarde, les économistes classiques et les théoriciens du droit naturel (Fauconnet & Mauss, 1901 : 17-18) [15].

5L’essai de classification des théories d’inspiration psychologique de la part des durkheimiens indique la diversité d’auteurs à prendre en considération dans les comptes-rendus de L’Année sociologique. La psychologie expérimentale pratiquée par Théodule Ribot et ses disciples, plus proche de la sociologie durkheimienne en ce qui concerne les valeurs scientifiques et les trajectoires de ses pratiquants, n’était presque pas en question dans la Première série, étant donné l’approche organiciste de cette psychologie, mais aussi à cause des préférences de Théodule Ribot pour la « psychologie sociale » de Gabriel Tarde. Il est significatif que le seul compte-rendu de Ribot date de 1906 – après le décès de Tarde. Cependant, d’autres genres d’études psychologiques, concernant des groupes sociaux ou des sociétés, ont été objets de recension dans la revue. A contrario des psychologues scientifiques, les « psychologues sociaux » français avaient très peu de culture scientifique : ils étaient souvent des « intellectuels libres » issus des milieux non universitaires, des milieux professionnels ou de l’enseignement secondaire. Fréquemment, leurs dispositions et leurs références intellectuelles étaient orientées vers l’éclecticisme ou fondées sur des sciences étrangères à la sociologie [16].

Les « Psychologies sociales françaises » : le combat contre l’encyclopédisme

6Quelques auteurs ont publié à la fin du xixe siècle un genre d’ouvrage dont le but était de peindre le portrait d’un groupe social à partir de caractères psychologiques généraux, qui recouvrent parfois son histoire sur un ou plusieurs siècles. Ce genre d’œuvres n’a pas présenté de convergence de méthode et même d’objet, à mesure qu’elles se sont concentrées sur les foules, les peuples, les races, les nations, etc. [17]. Ce sont des écrits de combat, rédigés dans un moment où l’idée de la « décadence des races latines » se diffuse, et qui veulent plus intervenir dans le débat public que faire œuvre de science. Le mot « psychologie » dans les titres de ces œuvres indique la priorité donnée à la peinture des traits généraux d’une pensée ou d’une mentalité – toujours accompagnée par des jugements de valeur de la part des auteurs. Certains ont eu des comptes-rendus dans L’Année sociologique : Émile Boutmy, Alfred Fouillée, Gustave Le Bon et Émile Letourneau. Leurs œuvres sont présentées comme ayant des points en commun, suivant les classifications de la revue [18]. De la même génération, ces auteurs ont une position institutionnelle hors université qui nous permet de les analyser ensemble : Boutmy a été le fondateur de l’École libre des sciences politiques ; Fouillée a eu une carrière de professeur de philosophie dans le secondaire ; Le Bon était un publiciste, devenu dès 1902 éditeur chez Flammarion ; Letourneau était fondateur et professeur à l’École d’anthropologie de Paris depuis 1885. Fouillée et Letourneau ont été membres de l’Institut international de sociologie de R. Worms à partir de 1896, et ont publié des articles dans la Revue internationale de sociologie. Tous ces auteurs participent aux mêmes débats : Fouillée reconnaît la similarité entre son œuvre de psychologie et celle de Boutmy, en même temps qu’il combat le pessimisme de Le Bon envers la psychologie des « races latines ».

7Les auteurs de ces comptes-rendus sont Paul Lapie, Célestin Bouglé, Paul Fauconnet, Abel Aubin et Marcel Mauss. Pour les durkheimiens, écrire des comptes-rendus de ces œuvres offrait l'opportunité de critiquer leur approche éclectique et le mélange entre science et littérature au nom de la culture scientifique et de la méthode sociologique. Donc, ce type d’exercice permettait de construire l’opposition entre ce qui était « dépassé » et le nouveau « nouveau », c’est-à-dire les nouvelles règles de la méthode scientifique que les durkheimiens voulaient légitimer. En effet, les œuvres des psychologues s'inspiraient de Taine et expliquaient les mentalités collectives par la « race », le « milieu physique » et le « moment » [19]. Les comptes-rendus de Lapie sur Fouillée dans L’Année sociologique et sur Fouillée et Boutmy dans la Revue de métaphysique et de morale sont très critiques (Lapie 1899, 1902) [20]. Dans la Psychologie du peuple français, de 1898, Fouillée prétend se placer entre la métaphysique et l’atomisme individualiste : il conçoit la « volonté nationale », d’abord, comme le résultat de l’action réciproque des volontés individuelles à la façon de Tarde et, en deuxième lieu, comme le résultat de facteurs physiques et physiologiques. Néanmoins, la priorité des facteurs « spirituels » sur les facteurs « matériels » dépend de l’histoire de chaque nation : la France est ainsi la nation la plus « spirituelle » des nations civilisées parce que la diversité de son peuplement l’a libérée de la fatalité du climat et de la race. Donc, les problèmes tels que la « décadence » demandent, dans le cas des nations spirituelles, des remèdes moraux. Lapie valorise la tentative de Fouillée de construire une « psychologie sociale », mais, selon lui, il faut « sélectionner des habitudes suffisamment persistantes et générales », et ne pas les choisir au gré de la fantaisie de l’auteur [21]. Si Fouillée trouve le caractère des Français plus « spirituel », une telle affirmation devrait être confirmée par une étude comparée avec d’autres nations. De plus, il n’explique pas quel serait le rapport entre ces caractères et certaines institutions du pays. Fouillée ne fait donc pas de science, car il ne réussit pas à donner une explication des phénomènes qu’il décrit. La recherche des accords ou des incompatibilités entre caractères devrait être faite en raisonnant en termes d’éthologie collective, et pas individuelle. Dans son compte-rendu dans la Revue de métaphysique et de morale, Lapie (1902) est encore plus critique : il souligne les incohérences de l’éclectisme (la superposition des causes morales, physiques et raciales) et ironise sur l’influence d’Hippolyte Taine dans ces œuvres pour indiquer son caractère dépassé [22]. Dans ses comptes-rendus sur Boutmy, Bouglé (1902, 1903) critique l’éclectisme méthodologique, les explications par les « instincts » ou par le « milieu physique » et les « généralités psychologiques » considérées comme immuables. Néanmoins, Bouglé fait son éloge quand celui-ci considère que les institutions juridiques, économiques et religieuses sont aussi des facteurs qui déterminent la psychologie du peuple anglais, ou quand il considère que « volume, densité et mobilité sociale » sont des facteurs d’explication de l’économie et de la morale du peuple américain [23]. Un dernier compte-rendu, d’Aubin sur Fouillée, fait l’éloge de la prépondérance du facteur psychologique et sociologique sur la « race » et le « climat ». Cependant, il décrit l’œuvre de Fouillée comme un mélange d’art et de science et qualifie l’auteur de psychologue « obligé de se faire peintre » (Aubin, 1904 : 194). Donc, ces œuvres ont été considérées dans L’Année sociologique comme essayistes et dépassées, en même temps qu’elles étaient appréciées pour leur refus des théories raciales et physiques.

8En ce qui concerne l’œuvre de Le Bon, Psychologie du socialisme, de 1898, Fauconnet (1903) l’identifie comme un livre de combat. Le Bon était aussi un outsider de l’université. En 1894, son prestige est compromis à cause des articles qu’il a publiés dans la Revue scientifique qui faisaient l’éloge de la guerre comme stratégie de survivance des plus forts et soutenaient la supériorité de la « race » [24]. Durant les débats sur la « décadence des races latines », il était du côté des anglo-saxons et, donc, opposé à Fouillée. Fauconnet le critique car il ne donne pas de définition du « socialisme » ni de méthode pour étudier les causes de sa naissance et de son développement. Selon lui, l’aversion de Le Bon pour le socialisme gêne la compréhension de sa diffusion dans les peuples qu’il admire. Il critique aussi le rôle du concept de « race » dans la démonstration de la « décadence des peuples latins ». Néanmoins, Fauconnet cherche à identifier dans son œuvre des éléments qui peuvent contribuer à l’avancement de la sociologie. Telle sa vision d’une diversité des socialismes en fonction des institutions de chaque pays dans lequel ils s’enracinent, tels l’extension et le rôle d’État, et son degré de centralisation, telle l’importance relative des modes d’activité économique, etc. Il souligne donc ce qui pourrait être le point de départ d’une étude sociologique et comparée des institutions économiques et politiques nationales, et de leur degré d’intégration de l’individu – c’est-à-dire, la méthode et la théorie sociologique de Durkheim.

9Dans son compte-rendu de La Psychologie ethnique de 1901, Mauss affirme que la « sociologie » de Letourneau est « philosophique » et de « vulgarisation » parce que ses propos sont trop amples, telle l’ambition de donner une idée de l’« évolution mentale dans le genre humain tout entier » (Mauss, 1903 : 150). Il critique son objectif de peindre des portraits de mentalités collectives des peuples et son style essayiste. Depuis 1885, Letourneau occupe la chaire Histoire des civilisations à l’École d’anthropologie de Paris, où il étudie les institutions sociales de divers peuples – famille, mariage, propriété, etc. – en fonction de la notion de « race » et de son évolution mentale. Il soutient, comme Le Bon, qu’il y a des différences entre les races et que les races inférieures ne peuvent pas créer une civilisation supérieure. Mauss, de son côté, critique la notion de « race » et de « psychologie ethnique » parce qu’elles ne sont pas précises : des masses de peuples sont censées être de la même « race » sans aucune preuve. Il valorise l’importance des études d’évolution des institutions d’après des monographies et il indique qu’il faut caractériser les types d’institutions avant de conclure sur le « caractère de chaque groupe social ». Mauss suit, dans sa critique, tous les autres collaborateurs de L’Année sociologique : ils nient le rôle de la « race » et du « milieu physique » en sociologie, suivant en cela Durkheim dans Le Suicide ainsi que l’autonomisation de la « pensée sociale » au regard des institutions. Finalement, ils revendiquent la méthode sociologique durkheimienne. Donc, les comptes-rendus suivent un même standard : la stratégie est de critiquer les concepts et les théories concurrents, ainsi que de souligner les aspects plus proches de la sociologie durkheimienne [25].

Le combat contre la « psychologie collective » italienne

10La psychologie collective italienne entend se concentrer sur la mentalité de groupes sociaux concrets, tels que la foule ou la foule criminelle, en se démarquant de la sociologie, dont l’objet serait selon eux toute l’évolution de la société. Donc, pour se faire une place dans le champ des études de psychologie des collectivités, les psychologues des foules ont attribué à la sociologie la tâche de produire des études générales. Pour critiquer cette démarche, les collaborateurs de la revue ont donné deux types de réponses : les durkheimiens stricts signalent qu’il n’y a pas de psychologie collective autonome à l’égard de la sociologie et que l’« âme de foules » ne se réduit pas à la somme des « âmes des individus » ; d’autre part, les collaborateurs hétérodoxes soutiennent qu’il n’y a pas de psychologie collective autonome par rapport à la psychologie des individus et que l’« âme de foules » n’est rien que la somme des âmes des individus. En commun, les collaborateurs refusent les explications par le facteur biologique ou racial.

11Les auteurs des comptes-rendus ont été principalement Parodi, Fauconnet et Lapie. L’auteur le plus examiné a été Pasquale Rossi, recensé dix fois (dont 2 notices), et ensuite Scipio Sighele et Resta de Robertis. Les comptes-rendus les plus substantiels de Rossi portent sur la Psicologia colletiva et sur Mistici et settarii. Parodi y critique la division proposée par Rossi entre psychologie, psychologie collective et sociologie, ainsi que le but d’autonomiser les études de psychologie collective. Pour Rossi, la psychologie collective diffère de la psychologie individuelle parce que les phénomènes collectifs ne sont pas un produit de, mais un « phénomène original », à l’égard de l’âme des individus, alors que la sociologie étudie « l’évolution des produits sociaux, abstraction faite des sentiments ou des idées [26] ». Parodi soutient qu’il n’y a pas de place pour une troisième science et que tout phénomène mental doit être analysé par la psychologie individuelle ou par la sociologie : la psychologie individuelle étudie les phénomènes qui se déroulent dans l’« âme humaine », qui est « indivisible », et qui, mis à part les réflexes purs, se concentre sur « la réaction de l’âme d’autrui sur l’âme individuelle », alors que la sociologie étudie « les produits de la vie en commun », tels que la langue, l’art, la religion, etc., dans leurs formes ou leurs lois (Parodi, 1901 : 134). Néanmoins, cette division montre une divergence avec Durkheim : pour Parodi « l’état d’âme collectif n’est bien que la somme des états d’âme individuels », c’est-à-dire, il n’y a pas d’autonomie de la conscience collective par rapport à la conscience des individus (ibid.). Dans le compte-rendu de l’œuvre de Rossi sur le mysticisme, Parodi revient sur cette question : Rossi fait de la littérature avec de vagues généralisations, des métaphores, et produit des formules pseudo-scientifiques ; il confond psychologie individuelle et psychologie collective en traitant l’homme mystique comme un phénomène de psychologie collective, alors qu’il faudrait le traiter comme un phénomène de psychologique individuel, car il s’agit d’un état d’âme complexe. Selon lui, au lieu de faire des analogies entre l’âme individuelle et l’âme collective, il vaudrait mieux identifier les éléments individuels qui produisent l’âme collective (ibid., p. 135). Donc, pour lui l’âme individuelle est plus complexe que l’âme de la société et, de plus, c’est celle-là l’origine de celle-ci – conception opposée à celle de Durkheim [27].

12Les comptes-rendus de Fauconnet (1902, 1903) sont très instructifs parce qu’ils donnent une réponse opposée à celle de Parodi à propos de l’autonomisation des études de « psychologie collective » vis-à-vis de la psychologie individuelle et de la sociologie. Fauconnet se concentre sur la proposition de trois auteurs : Rossi, Sighele et Tarde. Il soutient la sociologie durkheimienne de manière stricte : « tous les faits sociaux – les faits morphologiques exceptés – sont des faits psychiques, et tous sont des manifestations spécifiques de la vie collective ou sociale » (Fauconnet, 1902 : 163). Si la sociologie étudie, donc, des faits à la fois « psychiques et collectifs », il n’y a pas lieu de distinguer psychologie collective et sociologie. Il faut éviter les considérations abstraites sur l’« esprit collectif » pour les comprendre à partir, par exemple, des institutions et dans une société où cet esprit est plus nette et analysable ; il faut trouver d’autres phénomènes proches, plus faciles à connaitre ; et même renoncer à les étudier quand ils sont « inabordables » à cause de leur complexité compte tenu du stade de développement de la sociologie. Donc, il ne faut pas les expliquer par quelques considérations sommaires et générales sur l’esprit collectif (ibid., p. 164). De plus, affirme Fauconnet, les « foules » sont des « groupes inorganisés, instables et temporaires » et, donc, leur esprit est dans un état intermédiaire entre la « conscience de l’individu » et les « représentations collectives » : comme elles ne sont pas vraiment des sociétés, il serait contradictoire de leur réserver le nom de « psychologie collective », même s’il ne laisse aucun doute sur l’existence de l’« âme collective » : « il faut savoir gré aux auteurs qui ont vulgarisé cette idée que la “foule a une âme”, que ses sentiments et ses actes ne sont pas une simple somme de sentiments et d’actes individuels » (ibid., p. 165). C’est pourquoi il faut étudier les mécanismes mentaux de toute collectivité – arts, mythes, sciences, dogmes, etc. – comme des institutions, au moyen de sciences spéciales. Or, cette question a été développée par Durkheim lui-même, qui a utilisé les phénomènes de psychologie des foules pour légitimer la notion de conscience collective (Durkheim, 1894 : 64). On voit bien ici toute la différence entre Parodi et Fauconnet à l’égard de la psychologie collective : la position du premier est franchement anti-durkheimienne à la différence du second.

Le combat contre Tarde : psychologie sociale et interpsychologie

13La réception de l’œuvre de Tarde dans L’Année sociologique est plus ample et son analyse plus complexe, étant donné qu’elle représente le nœud du combat de la revue contre l’explication psychologique en sociologie en raison du débat entre Tarde et Durkheim depuis les années 1890. Il est connu que pour Tarde la sociologie n’est pas une science autonome à l’égard de la psychologie : il a soutenu qu’elle doit être une « psychologie sociale » ou une « interpsychologie » [28]. Tarde est devenu un adversaire privilégié dans L’Année parce que, contrairement aux autres psychologues sociaux, il a conquis une position institutionnelle à la fin du siècle : il a été élu au Collège de France et à l’Académie des sciences morales et politiques, avec l’appui de T. Ribot [29]. Par conséquent, la critique à l’encontre de Tarde a été très ample et dure. La stratégie était de le rapprocher des psychologues sociaux ci-dessus, censés être dépassés, dans le but de les retraiter comme contraires au mouvement des nouvelles sciences sociales. Dans ce contexte, l'expression « psychologie sociale » et celui d’« interpsychologie » ont été employés par les durkheimiens au sens négatif, comme une approche « idéaliste » ou « individualiste », devant être surmontée par la notion de « psychologie collective » [30].

14Dans la Section « Sociologie générale » du premier volume de L’Année (1898), Bouglé annonce que la sociologie ne doit en aucune façon exclure la psychologie, mais que celle-ci doit être d’un type nouveau : une psychologie qui résulte de l’« interaction des consciences individuelles » (Bouglé, 1898 : 110). Cette terminologie, qui se trouve d’ailleurs aussi dans l’article de Fauconnet et Mauss (1901), va donner lieu, dans les années 1920, à des réinterprétations de ces auteurs comme s’ils étaient inspirés de Tarde – ce qui doit être réfuté d’après les comptes-rendus de L’Année. L’article de Fauconnet et Mauss est objet d’un compte-rendu de Bouglé, qui l’approuve et l’indique comme représentatif de l’orientation de L’Année : la sociologie est une « psychologie » dans la mesure où les institutions existent dans les représentations, étant donné que celles-ci sont d’un « genre nouveau », qu’elles forment un « système défini » et capable d’évoluer par lui-même – « dignes par conséquent d’être étudié à part et avec une méthode propre » (Bouglé, 1902 :135). Donc, l’accord entre Bouglé, Mauss et Fauconnet est complet et n’a rien à voir avec Tarde : la définition de la sociologie comme une « psychologie » avait pour but avant tout de différencier la sociologie durkheimienne des théories naturalistes ou matérialistes [31]. En même temps, pour les durkheimiens stricts il fallait soutenir cette « psychologie collective », objective et extérieure aux consciences individuelles, contre le stigmate de « métaphysique » apposé par Tarde.

15Les comptes-rendus de L’Année sociologique sur Tarde sont toujours l’occasion de défendre la sociologie de Durkheim contre la psychologie sociale ou l’interpsychologie de Tarde [32]. Le compte-rendu de Bouglé (1898) se concentre sur L’Opposition universelle et indique déjà la distance qui le sépare de Tarde [33]. Pour lui, Tarde semble ne pas avoir une conception scientifique de la sociologie : il est « difficile de distinguer nettement les hypothèses des vérités, les rapprochements des explications, l’utopie de l’histoire, et l’idéal de la réalité » (Bouglé, 1898 : 115). Au lieu d’une sociologie « scientifique, objective, spécifique », l’œuvre de Tarde serait un ensemble d’idées et de rêves [34]. Dans un autre compte-rendu sur Tarde, Bouglé affirme que « peut-être la sociologie proprement dite commence où finit la psychologie toute individuelle des Lois sociales » (Bouglé, 1899 : 152). Il refuse également la psychologie individuelle et le style essayiste de Tarde [35]. Lapie, lui non plus, ne laisse planer aucun doute sur sa prise de position dans le débat entre Tarde et Durkheim [36]. Son compte-rendu sur Transformation du pouvoir de Tarde montre qu’il est très critique envers l’interpsychologie, dont la théorie est déduite de quelques définitions générales. Il ironise aussi sur la confusion entre la psychologie individuelle et la sociologie, qui réduit toutes les transformations sociales aux découvertes de quelques inventeurs ou génies ensuite diffusées parmi le peuple. Tout se passe dans les consciences et puis se diffuse par imitation – au point de transformer les institutions et le pouvoir. Comme les inventions dépendent du caprice, il n’existerait pas de lois de l’évolution. La critique de Lapie tient, donc, principalement à la méthode : « il n’établit entre les faits et les causes supposées qu’un rapport empirique d’une insuffisante solidité » (Lapie, 1900 : 362). Fauconnet (1901) suit l’orientation de ses collègues dans son compte-rendu de L’Opinion et la foule. D’abord très descriptif, mais soulignant des passages exotiques dans l’œuvre, il indique que Tarde veut fonder une science spéciale, la « psychologie collective » ou la « psychologie sociale », mais que son projet est contradictoire. Il ne veut pas la fonder sur la psychologie de l’individu universel, et pas non plus sur « la notion “chimérique” d’un esprit collectif ». De plus, sa terminologie est instable et incohérente : il veut montrer « les rapports mutuels des esprits », leur « influence unilatérale et réciproque », mais en même temps il semble croire que les « représentations collectives sont irréductibles aux représentations individuelles » (ibid., p. 162). Le compte-rendu de François Simiand (1903) sur la Psychologie économique de Tarde est aussi très dur. Après avoir décrit une partie de l’œuvre, les titres et sous-titres, il conclut que « l’ordonnance de la matière est très libre et très fantaisiste ». Même s’il y a dans le livre des « vues ingénieuses », l’auteur ne fait pas de plan cohérent ni d’étude objective ; n’offre pas de faits et pas de doctrine.

16Finalement, le compte-rendu de Durkheim (1906) sur L’Interpsychologie de Tarde est le plus critique. Tarde n’aime pas l’expression « psychologie collective » – qu’il juge « entachée d’ontologie » – parce qu’il croit qu’il n’y a « rien de réel que des actions et réactions entre les individus ». De plus, les actions des esprits les uns sur les autres sont appelées « sociales » seulement si elles ont un sens moral (sympathie, confiance, obéissance, etc.). Comment séparer, demande Durkheim, les actions de haine des actions de sympathie ? Pourquoi deux sciences distinctes pour les étudier ? Ensuite, en ce qui concerne les phénomènes étudiés par l’interpsychologie, Durkheim critique l’absence de définition de la « foule » et d’une thèse sur la formation de sa mentalité. Tarde suppose que la foule est « faite par un meneur », mais ne le prouve pas. Finalement, Durkheim qualifie ses procédures d’« anecdotes librement commentées ». Et il conclut avec quelques règles de la méthode : il faut observer et distinguer les foules et les publics par des procédures objectives pour faire œuvre scientifique au lieu de la « vague interpsychologie ». Il montre les incohérences de l’auteur autour de la notion d’imitation et conclut qu’elle n’explique rien. On voit, donc, que Tarde a été très critiqué dans les comptes-rendus de L’Année sociologique et que le groupe est accordé pour appuyer Durkheim dans son débat avec Tarde. Néanmoins, le nom de Tarde est fréquemment mentionné dans la revue en raison de la diffusion de sa pensée à l’époque – en France et à l’étranger. Donc, la critique contre Tarde était partie prenante d’une stratégie de disqualification des théories à base psychologique ou individualiste, mais aussi du manque d’objectivité et de scientificité.

17En France, l’appui que Tarde a reçu de Théodule Ribot tout au long de sa carrière a contribué à mettre à distance les sociologues durkheimiens des psychologues scientifiques pendant la première décennie du xxe siècle [37]. En 1900, lors du IVe congrès international de psychologie, organisé par Ribot, Tarde est nommé président de la section de « Psychologie sociale et criminelle » et sa communication, « La psychologie intermentale », a été publiée dans la revue de Worms (1901). En 1903, lors du Ve congrès de l’Institut international de sociologie, dédié à discuter des rapports entre la sociologie et la psychologie, Tarde fait une communication appelée « La psychologie et la sociologie ». Robert Hourticq identifie deux opinions extrêmes dans ce congrès : celle qui soutient que la société n’est que la réunion des individus (Tarde), et celle qui cherche une « psychologie sociale » autonome à l’égard de la sociologie pour étudier des groupes intermédiaires entre l’individu et l’État, tels que la foule ou le peuple. Dans le compte-rendu qu’en écrit Hourticq (1905) dans L’Année sociologique, la conception de l’interpsychologie de Tarde est amplement critiquée. D’abord, Tarde confond la méthode objective et la sociologie matérialiste ; objectiver n’est pas exclure la psychologie de la sociologie ; la sociologie n’étudie pas seulement des choses matérielles, elle veut atteindre la « mentalité collective ». Ensuite, au contraire de ce qu’affirme Tarde, la thèse sociologique et la méthode objective sont plus récentes que la thèse psychologique, fondée sur des généralités. Au final, ce n’est pas la psychologie qui a œuvré pour la sociologie, mais la sociologie qui a le plus œuvré pour celle-là : elle a montré comment la conscience individuelle devient morale après avoir été imprégnée du milieu social. Il importe de souligner, d’abord, que la sociologie ne peut pas être expliquée par la conscience des individus et, ensuite, qu’il n’existe pas une psychologie sociale autonome par rapport à la sociologie (Hourticq, 1905 : 157). « On fait, si l’on veut, de la psychologie collective », affirme Hourticq, pour nier que la sociologie objective soit une sociologie des choses matérielles.

18Contrairement aux autres collaborateurs de L’Année, Richard (1902) est le seul à donner une image positive de l’œuvre de Tarde dans son compte-rendu de La Criminalité et les phénomènes économiques[38]. Après avoir décrit la théorie de Tarde, il en profite pour défendre son point de vue et pour répondre à une critique antérieure de Tarde à son œuvre : Richard aurait attribué à la « société dans son ensemble » la communication des sentiments antisociaux au lieu de la chercher dans l’« action immédiate de l’entourage » et dans la « suggestion indirecte de l’amour du luxe ». Richard propose un demi-accord avec Tarde : le « milieu social » ne peut moraliser personne, mais il peut donner le sentiment de la dépendance envers les autres, ce qui refoule les fins personnelles derrière les fins sociales. Néanmoins, pour lui le facteur le plus important de la criminalité est l’« état de crise », alors que pour Tarde ce sont des contradictions entre les désirs et les croyances. La distance entre Richard et Tarde semble plus petite qu’entre Richard et Durkheim et la rupture avec Durkheim [39] aura lieu en 1907. Peut-être le compte-rendu très dur de Lapie (1905) sur Richard a-t-il joué un rôle, ou même la nomination de Bouglé à la Sorbonne [40].

19Le combat contre Tarde dans L’Année sociologique avait ciblé son manque de culture scientifique – dans la définition des objets et dans la méthode psychologique, considérée comme « impressionniste » et très généraliste au regard des sociétés concrètes – en raison de la disproportion entre les causes et les effets sociaux, c’est-à-dire entre l’invention des génies solitaires ou l’imitation entre les individus et les transformations des institutions sociales. On voit aussi la différence entre Richard et Lapie en ce qui concerne la sociologie de Durkheim.

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21On peut conclure que dans la Première série (1898-1913) les durkheimiens, à de rares exceptions, ont mis en œuvre une stratégie de combat contre l’annexion de la sociologie par la psychologie individuelle, mais aussi contre la séparation entre psychologie collective et sociologie. Dans ce combat, ils ont créé des oppositions conceptuelles clés. La première concerne la définition de la sociologie comme une « psychologie collective » en opposition à l’« interpsychologie » de Tarde ou à la « psychologie sociale » – celle-ci étant censée être une science autonome à l’égard de la psychologie individuelle et de la sociologie. La deuxième concerne l’objet d’étude de la sociologie, qui inclut des institutions sociales et les « représentations collectives » (ou « conscience collective ») en opposition à la « conscience individuelle » ou à l’« âme des collectivités » (foules, peuples, etc.). La troisième concerne l’explication en sociologie, qui doit être faite par des « faits sociaux » spécifiques et pas par un « facteur individuel ». Les durkheimiens ont qualifié les thèses adverses d'essayistes et contraires à la science. De leur côté, les opposants aux durkheimiens vont taxer la sociologie de Durkheim de « mécaniste », « objectiviste » et « matérialiste » au nom d’une approche psychologique : de l’« intériorité », de la « subjectivité » ou de l’« individualité » – en particulier dans le cas des sociétés civilisées, censées être plus motivées par les idées et les idéaux que les sociétés primitives. Parmi les adversaires, il y eut des collaborateurs de la revue de Durkheim tels que Richard et Parodi, qui représentent, de façons distinctes, deux prises de position critiques face à la sociologie durkheimienne : Richard évoluant à un pôle professionnel (Revue internationale de sociologie) et Parodi à un pôle philopédagogique (Revue de métaphysique et de morale). En ce qui concerne la psychologie sociale américaine, Parodi est le seul à en faire l’éloge en raison de la dimension intérieure et individuelle de l’explication, fondée sur des désirs et des idées, et aussi parce qu’elle est orientée vers une science normative et appliquée des problèmes sociaux [41]. Son combat pour la double définition, de la « conscience sociale » et aussi de la sociologie – « fait » et « idéal » ; « science positive » et « science normative » – reprendra dans la Deuxième série de L’Année sociologique sous l’influence de Marcel Déat. Pour sa part, Richard fait l’éloge de Tarde et de Ribot afin de montrer que la psychologie de l’individu et l’instinct de conservation jouent un rôle plus important que les types sociaux esquissés par Durkheim. Sa conception de l’explication sociologique comme un accord entre deux points de vue, facteur individuel et facteur collectif, sera reprise par Daniel Essertier.

La Deuxième série : des propositions de dialogue entre la sociologie et la psychologie

22Dans les années 1920, la sociologie n'était plus un « projet », comme à l'époque de sa « fondation », mais elle n'était pas non plus une « discipline » autonome. La première génération de L'Année sociologique avait vieilli et occupait des postes à l'université et dans l'administration scolaire (Clark, 1973 ; Heilbron, 1983, 1985). Les comptes-rendus montrent des continuités avec la Première série, mais aussi des ruptures et parfois une préfiguration de ce qui aura lieu dans les Annales sociologiques.

23La réception de la psychologie dans L’Année connaît deux changements principaux entre la Première série et la Deuxième série : la nature des œuvres examinées et le recrutement des collaborateurs. En ce qui concerne les œuvres, le genre « psychologie sociale » (psychologie des peuples, des foules, etc.) disparaît au profit de titres issus de la psychologie philosophique, sociologique et physiologique. Parmi les ouvrages recensés, l’œuvre la plus importante est le Traité de psychologie de Georges Dumas. Au début des années 1920, le débat sur les rapports entre la psychologie et la sociologie commence par l’initiative de Georges Dumas, praticien de la psychologie physiologique et pathologique, qui cherchait à établir un dialogue avec Marcel Mauss. Il adoptait la conception de la « psychologie » de Comte, suivant laquelle cette science n’était pas spécifique, mais le résultat de l’explication physiologique et sociologique. D’après la division proposée par Dumas, les fonctions mentales supérieures sont objet exclusif de la sociologie, alors qu’à la psychologie reste l’explication des phénomènes mentaux simples et conditionnés par l’organisme (Consolim, 2017). Cette proposition a suscité l’adhésion de l’ancienne génération de L’Année sociologique : Mauss et Bouglé par exemple posaient la psychologie collective en objet sociologique à la façon de Durkheim. Néanmoins, elle a aussi rencontré beaucoup de résistance. D’abord, du côté des psychologues qui prétendaient délimiter et autonomiser la psychologie individuelle au détriment de la psychophysiologie, et ensuite de la part de la nouvelle génération de collaborateurs de L’Année issus du Centre de documentation sociale (CDS) dirigé par Bouglé : Marcel Déat et Daniel Essertier [42]. Comme plusieurs membres de la nouvelle génération au CDS, ils étaient prêts à considérer la sociologie durkheimienne comme dépassée ou comme une science inachevée, et à se battre pour une rénovation de la sociologie par la psychologie. De plus, à travers d’autres publications, ils ont diffusé une réinterprétation des œuvres durkheimiennes de la première génération. On peut donc suggérer que l’« anti-durkheimisme » de plusieurs membres du CDS était l’expression de la faiblesse institutionnelle de la sociologie dans l'enseignement supérieur, et donc le résultat de carrières bloquées et contraintes à édicter un discours sur l’homme et la vie sociale au-delà de la logique de la recherche « pure » – plus en phase avec la philosophie morale, l’éclecticisme et à la portée de la vie pratique [43].

24Donc, du point de vue de la réception de la psychologie dans la revue, l’entrée d’une nouvelle génération de collaborateurs a été fondamentale. Ainsi, la revue de Durkheim a accueilli deux mouvements, antagonistes, mais liés entre eux, et qui s’inscrivent dans le champ intellectuel de cette décennie. Le premier mouvement s’exprime par l’expansion de la sociologie durkheimienne au milieu des autres sciences de l’homme, en particulier la psychologie et l’histoire, dont les publications font place à la production sociologique, voire proposent une collaboration avec cette science [44]. Le deuxième mouvement offre une critique de la sociologie de Durkheim par des philosophes pratiquant la sociologie, mais voulant néanmoins la psychologisation de la sociologie pour l'inscrire dans une « société des sciences morales ». Il est, donc, une réponse philosophique au premier mouvement, à mesure que la critique de la prétention de la sociologie à annexer la psychologie était accompagnée d’une critique du réductionnisme des sciences (positives) de l’homme devant l’individu, sa conscience et sa liberté [45]. Dans le contexte du débat sur l’enseignement de la sociologie dans les écoles normales primaires, les préférences des collaborateurs de L’Année indiquent leurs positions : alors que l’ancienne génération reste du côté de la diffusion de la « science de la morale » durkheimienne dans les écoles normales primaires, la nouvelle s’inspire plutôt de Bergson, Tarde, Lalande et Parodi [46]. Ainsi, ces deux mouvements représentent deux conceptions des sciences de l’homme dans cette décennie : la scientifique, qui soutient la collaboration entre la sociologie et la psychologie sans abandonner la spécificité de chaque domaine ; et la philosophique, dont le but est de souligner certaines valeurs générales – la « conscience de l’individu » ou la « liberté de l’individu » – pour faire face aux sciences positives (Karady, 1969 ; Heilbron, 1985 ; Marcel, 1997, 2001 ; Hirsch, 2015, 2016 ; Consolim, 2017). Les principaux collaborateurs de la rubrique « Psychologie et Sociologie » ont été Mauss et Bouglé, du côté de la première génération, et Essertier et Déat, de côté de la deuxième. Il importe donc de centrer l’analyse sur ces quatre personnages [47].

Marcel Mauss : le dialogue entre la sociologie et la psychologie scientifique

25En 1925, Mauss publie divers comptes-rendus dans L’Année sociologique qui indiquent qu’il est engagé à prolonger la tradition de la sociologie durkheimienne. Depuis 1920, comme on l’avait mentionné, il a entamé un dialogue avec Dumas et publié plusieurs articles dans son Journal de psychologie et, en 1924, il accepte l’invitation à présider la Société de psychologie. En apparence, on pourrait penser qu’il était engagé à promouvoir la psychologisation de la sociologie, mais c’est tout le contraire : en acceptant le dialogue avec Dumas, Mauss accepte aussi la division des tâches entre les deux sciences pour laquelle les mentalités collectives sont objet de la sociologie et pas de la psychologie (Consolim, 2017 ; Hirsch, 2018). Dans ses comptes-rendus, il fait fréquemment référence à Durkheim et analyse les œuvres d’après une vision stricte de la sociologie durkheimienne. Par exemple, il juge « insuffisante » une œuvre qui s’inspire de la théorie de l’imitation de Tarde ; il critique aussi la méthode américaine, inspirée en même temps par une psychologie de l’individu et par la philosophie – cas de la psychologie du mysticisme de C. A. Bennett (Mauss, 1925 : 394). Ses observations montrent combien il est d’accord avec la notion de représentations collectives, contre l’idée de données immédiates de la conscience de l’individu. Dans son compte-rendu de Max Scheler, il relève la différence entre « personnalité collective » et « personnalité individuelle », dessinée par l’auteur, et rappelle que cette différenciation est aussi celle de Durkheim – à ceci près que Scheler admet la possibilité des « actes » d’une personnalité collective. Dans un compte-rendu sur Ernst Cassirer, à propos des notions de « culture » et de « symbole », il soutient qu’elles font partie de la nature car elles sont dans la société. Il n’y a pas d’opposition entre l’« homme » et la « culture » ; entre l’« être humain » et l’« homme social ».

26En 1927, il publie un article dans L’Année sociologique, « Divisions et proportions des divisions de la sociologie », et défend l’idée que la sociologie doit étudier la morphologie, ainsi que la physiologie des pratiques et des représentations, car il y a une « connexion intime entre acte et représentation ». La division entre conscience collective et conscience individuelle est ainsi maintenue. Dans cet article, il répond aux critiques adressées à la notion de conscience collective, et aussi à celle suivant laquelle la société serait chose abstraite ou un concept purement philosophique : il s’agit d’une réalité distincte et c’est à la sociologie de l’étudier. Enfin, il affirme, ce qui est très important, que l’alliance avec la biologie est plus importante qu’avec la psychologie (Mauss, 1927 : 126) [48]. Dans ce contexte, la notion de l’« Homme total » est précise : il faut étudier l’homme moyen, pas intellectualisé ou européanisé (très distinct, donc, de l’« individu-philosophe ») et, ensuite, collaborer avec les autres sciences de l’homme, mais sans sortir de son cadre spécifique et de la méthode « scientifique » [49]. En 1931, au moment de la Troisième semaine de synthèse, organisée par Henri Berr, Mauss revient sur cette question dans la discussion avec Jean Piaget : contre la systématisation que propose Piaget sur l’étude de l’enfant en général, Mauss soutient l’impossibilité de parler d’un homme en général en ce qui concerne la psychologie collective. « Piaget a fait, à mon avis, non pas de la psychologie de l’enfant en général, mais la psychologie des enfants les plus civilisés. Il faudrait en considérer d’autres, celles d’enfants élevés dans les milieux très différents » (Mauss, 1933 : 118-119). Donc, la méthode sociologique conduit Mauss à se distancer du vocabulaire qui généralise avant d’analyser. L’« homme total » implique une radicalité en ce qui concerne la relation entre les corps et la mentalité collective – qui ne laisse pas de place à la psychologie fondée sur une philosophie de l’universel.

Célestin Bouglé : défenseur de l’explication sociologique en psychologie

27Bouglé est considéré dans la grande majorité des études sur les durkheimiens comme un auteur « ambivalent », un philosophe ou un sociologue psychologisant, en raison du rôle des idées ou des « valeurs » dans ses travaux. Pendant les années 1920, l’œuvre centrale pour fonder cet argument est Leçons de sociologie et sur l’évolution des valeurs[50]. Il s’agit d’une œuvre largement fondée sur Les Formes élémentaires de la vie religieuse, et dans laquelle on se rend compte que Bouglé était très enclin à diffuser la sociologie durkheimienne – au risque de la vulgariser et à dogmatiser. Il soutient la notion durkheimienne de « conscience collective », ainsi que le caractère propre des « créations sociales » vis-à-vis de la conscience de l’individu – conceptions largement mises en question par les psychologues et les sociologues adversaires du durkheimisme. Les représentations religieuses, par exemple, n’ont pas leur origine dans l’imagination des individus ou dans les inventions des prêtres, mais dans la société. De plus, selon Bouglé, les préférences en matière de « valeurs » reflètent des idéaux impératifs, qui sont en rapport avec la structure de la société. Donc, il vise à démarquer les études sur les mentalités collectives de la psychologie individuelle et, de plus, à refuser une psychologie sociale autonome à l’égard de la sociologie. En ce sens, il ne peut pas être considéré comme les quelques durkheimiens de la nouvelle génération qui ont construit des ponts clairs avec la philosophie de la conscience ou de la psychologie individuelle [51].

28En ce qui concerne les comptes-rendus de Bouglé dans L'Année psychologique de 1925, même s’ils sont écrits dans un style plutôt descriptif, ils prolongent son combat pour la sociologie durkheimienne. Bouglé se permet de juger les œuvres par référence à la sociologie durkheimienne et refuse clairement d’expliquer les institutions sociales par la psychologie ou l’action des individus. Par exemple, sur un ouvrage qui considère les « instincts » ou le « milieu physique » comme les seuls facteurs explicatifs, il rappelle qu’il faut considérer plutôt le « milieu social » comme facteur d’explication, c’est-à-dire « les formes que prennent les institutions et les représentations collectives [qui] orientent l’effort des consciences individuelles » (Bouglé, 1925 : 195).

29Mais ce sont ses comptes-rendus dans les Annales sociologiques qui montrent le mieux sa prise de position à l’égard des rapports entre la psychologie et la sociologie. En 1934 et en 1936, il écrit deux grandes recensions de plusieurs chapitres du Nouveau Traité de psychologie de Dumas où il ne fait aucune critique de la sociologie durkheimienne ni ne revendique aucun droit pour la psychologie de l'individu. Il ne questionne pas la délimitation entre les deux sciences établie par Dumas, et essaie toujours de signaler des mentions, des concepts ou des références qui peuvent porter vers une vision plus sociologique de la vie mentale collective – expliquée par les représentations collectives et les institutions sociales. Sa critique est dirigée plutôt vers les auteurs qui ne considèrent pas le milieu social comme un facteur d’explication de la vie collective ou qui nient l’existence d’une conscience collective sui generis. Il trouve positive la sociologisation de la psychologie chez Charles Blondel à mesure que sa « psychologie différentielle » se conforme à la division proposée par Dumas : elle étudie « ce que les individus doivent aux particularités de leur physiologie et de leur existence sociale » (Bouglé, 1934 : 143). Dans le même but, Henri Piéron est critiqué pour n’avoir pas fait allusion à Maurice Halbwachs et aux cadres sociaux de la mémoire dans son étude. Les conceptions de Georges Davy sur la conscience collective sont décrites sur le ton de l’approbation. En ce qui concerne Essertier, Bouglé prend des distances de façon très diplomatique : il reconnaît que l’auteur s’inspire plus de Bergson que de Durkheim et, donc, que sa proposition de collaboration entre la psychologie et la sociologie suit une autre direction. Contre Essertier, il considère que le dialogue proposé par Dumas n’était pas une proposition « abstraite », mais « concrète ». Dans les années 1930, Bouglé soutient la sociologie durkheimienne et la proposition de Dumas dans d'autres publications. Néanmoins, c'est lui qui va ouvrir la voie à la nouvelle génération d'« hétérodoxes », défenseurs d'un dialogue plus profond et sans frontières nettes entre la sociologie et la psychologie – ce qui ne signifie pas qu'il était d'accord avec eux.

Daniel Essertier : le combat pour l’explication psychologique en sociologie

30C’est sa thèse secondaire sur les relations entre la psychologie et la sociologie, soutenue en 1927, qui vaut à Essertier d’être sollicité par Célestin Bouglé pour faire des comptes-rendus d’ouvrages de psychologie sociale [52]. Dans cette œuvre, publiée par le CDS, il remercie Célestin Bouglé et Marcel Déat pour leur appui. Essertier devient membre du CDS, mais il a eu une carrière très brève à cause de son décès en 1931. Il a été élève de Gaston Richard et collabore aussi à la Revue internationale de sociologie, que ce dernier dirige depuis 1926. Dans la notice nécrologique d’Essertier parue en 1934 dans les Annales sociologiques, Bouglé reconnaît que l’auteur « n’adoptait pas telles quelles, pour sa part, toutes les théories de la première équipe de L’Année sociologique ». Néanmoins, il l’avait invité à écrire quelques comptes-rendus dans la revue.

31Sa collaboration à L’Année sociologique se résume à très peu de comptes-rendus : trois publiés en 1925 et un prévu pour 1927, mais publié posthumément dans les Annales, en 1934. Essertier n’acceptait pas la division de la psychologie proposée par Dumas, et était critique aussi bien à l’égard de la sociologie durkheimienne que de la psychologie physiologique – ce qui le poussa à élaborer une proposition alternative de collaboration entre la sociologie et la psychologie. Dans le premier de ses comptes-rendus, sur F. Bartlett (Psychology and Primitive Culture), il affirme que le psychologue doit employer la méthode sociologique et étudier l’individu à travers des faits sociaux, mais qu'il lui faut éviter deux erreurs : « considérer l’individu à part du groupe » et « proscrire toute espèce d’explication psychologique » en sociologie (Essertier, 1925 : 237). Bartlett souligne (correctement) le rôle de l’individu dans le modèle de civilisation adopté par un groupe : les coutumes sont, selon lui, issues de la création consciente de certains individus – et non une création de la collectivité. Donc, en opposition à Bouglé qui soutenait l’originalité de la conscience collective, Essertier fait l’éloge des approches fondées sur la conscience des individus en sociologie et refuse scientificité à la notion de conscience collective. Le deuxième compte-rendu se concentre sur des conférences de psychanalystes faites à la British Society of Sociology, et Essertier en profite pour valoriser la psychanalyse à l’égard de la psychologie physiologique : les psychanalystes répondent aux questions que la psychologie physiologique ne peut pas résoudre parce que celle-ci ne s’intéresse pas au rôle de l’individu dans la société. Ils expliquent les institutions sociales par les mobiles des hommes qui les ont édifiées ; ces mobiles sont des « instincts sociaux qui se libèrent par le contact entre les consciences » et qui font partie des « intimités de la vie de l’individu ». Selon les psychanalystes, la sexualité infantile explique tous les problèmes sociaux, y compris le problème des « valeurs ». Essertier accorde de l’intérêt à la thèse majeure de la psychanalyse, qui postule l’existence de mobiles inconscients et refoulés, même s’il en critique les exagérations – comme d’ailleurs beaucoup de psychologues en France à cette époque. Ces comptes-rendus montrent que même si Essertier est prudent et évite de critiquer ouvertement la sociologie durkheimienne dans la revue, il exprime ses préférences pour les œuvres recensées et dont l’approche est l’explication des institutions sociales par la psychologie de l’individu.

32Essertier éclaire aussi ses prises de position dans le compte-rendu du tome II du Traité de psychologie et, en particulier, des auteurs impliqués dans ce débat, tels que Georges Dumas, Henri Delacroix, Charles Blondel, Gustave Belot, Georges Davy et André Lalande. Et sa critique s’appuie sur des références qui questionnent la sociologie de Durkheim, telles que Marcel Déat et Roger Lacombe. D’abord, il affirme que les relations entre la psychologie et la sociologie se sont inversées : Ribot avait peur que la psychologie annexe la sociologie et désormais c’est la sociologie, insatisfaite de la position que lui ont attribuée les psychologues, qui veut annexer la psychologie. Dumas ne s’oppose pas à l’annexion de la psychologie par la sociologie, étant donné que selon lui « tout ce qui n’est pas réaction de l’organisme aux excitations du milieu externe doit s’expliquer socialement » – point de vue partagé par plusieurs collaborateurs du Traité de psychologie (Essertier, 1934 : 123). Georges Davy, par exemple, représente « la thèse orthodoxe » en sociologie, et donne suite au plan d’annexion de Durkheim – qui avait construit « un abîme entre les deux sciences ». Pour Davy, la société est une réalité distincte des individus et c’est seulement par elle que s’explique la présence de facultés supérieures dans l’individu, ses sentiments et ses fonctions intellectuelles. De plus, il affirme que la société est « créative », ce qui indique qu’il préfère l’annexion à la collaboration avec la psychologie. Blondel, pour sa part, traite des choses « complexes » sans aucune nuance : il soutient que la conscience des individus doit être expliquée par la sociologie. Or, si la conscience est déterminée par la société, affirme Essertier, elle n’est pas libre – condition nécessaire pour atteindre la vérité scientifique. Dans les cas des phénomènes « complexes », ajoute-t-il, il faut atténuer l’explication sociologique et mettre en évidence l’explication psychologique, beaucoup plus subtile, jusqu’à les fondre dans le sens d’une science de l’Homme total, comme l’aurait proposé Mauss. Delacroix, par opposition aux autres, est loué parce qu’il critique l’idée que la société est créative à l’égard des individus. Néanmoins, si la société produit des « puissances individuelles », il ne précise pas ce qu’elle est susceptible d’apporter aux individus. Gustave Belot est aussi loué parce qu’il critique la notion de « conscience collective » de Durkheim. Finalement, Essertier mentionne d’autres auteurs qui considèrent la notion de « conscience collective » problématique : Roger Lacombe et Marcel Déat.

33Georges Dumas, organisateur du Traité, est l’auteur le plus critiqué. Psychologue « prêt à sociologiser », Dumas ne fait pas vraiment de connexion avec la psychologie parce qu’il ne considère que les explications physiologique et sociologique dans sa proposition de collaboration. En ce qui concerne son étude sur le « rire », il faut reconnaître, d’abord, que Bergson a été le premier à découvrir la dimension sociale de l’expression des émotions, et ensuite qu’au contraire de Bergson, Dumas n’a pas établi de lien avec la psychologie de l’individu. En ce qui concerne l’« interpsychologie », autre sujet traité par Dumas, Essertier affirme que ce phénomène a été déjà expliqué en premier par Tarde – et que l’influence de la société sur l’individu ne peut pas être expliquée avec des termes si « abstraits » que « participation de tous à un même état collectif » – que Dumas utilise en s’inspirant de Durkheim. Au contraire, il faut étudier le « concret » : par exemple, quelles sont les causes du succès d’une idée ; comment est-ce qu’une idée ou une mode peut influencer un individu ; quelle est la réfraction d’une doctrine quand elle passe du maître aux disciples. Or, cet appel au « concret » contre l’« abstrait » est aussi une attaque contre les concepts sociologiques et, encore plus, contre les sciences positives. Et c’est pour cette raison qu’il soutient « l’unité profonde des sciences qui ont l’homme pour objet » d’après l’argument que la nature humaine est unique et qu’il n’y a que des « êtres concrets » [53]. Si l’on considère les oppositions mentionnées par Essertier – « unité profonde », « concret », « individu » versus « spécialisation », « abstraction » et « collectif » – on voit que ses prises de position s’inscrivent dans un mouvement philosophique plus ample et contraire à l’autonomisation des sciences de l’homme, et que l'on peut associer à l’opposition entre le Collège de France (Bergson et Tarde) et la Sorbonne (Durkheim et Dumas).

34Essertier montre cette même orientation dans les œuvres qu’il a publiées pendant cette période. Dans son livre Psychologie et sociologie (1927b), il réaffirme ses critiques contre Durkheim – en particulier sur la notion de conscience collective et son autonomie par rapport à la conscience individuelle. La psychologie de Bergson lui paraît beaucoup plus nuancée parce qu’elle ne se produit pas dans le « cabinet de travail » ou dans les « laboratoires ». Il faut étudier le « complexe », « mouvant », « indivisible », « infixé » et « total ». L’individu est beaucoup plus complexe que la société et le point de vue de l’individu ou du génie peut éclairer les phénomènes sociaux : Freud, par exemple, aurait eu le courage d’étudier les génies dans la littérature. Quelques années plus tard, dans son livre Philosophes et Savants au xxe siècle : La Sociologie (1930), les chapitres sur Tarde et Richard ont été écrits pour attaquer Durkheim. La sociologie ne respecte pas l’histoire et son intention est d’annexer la psychologie. Néanmoins, il revendique que le sociologue soit un psychologue, et voit même des signes de l’influence de la psychologie chez les durkheimiens : Fauconnet et Mauss (1903) se seraient inspirés du « point de vue de l’interpsychologie » ; Bouglé aussi paraît adopter le parti de Tarde puisque selon lui l’individu pense par lui-même, et ce n'est pas la société qui pense en lui [54]. Donc, Essertier donne une image des durkheimiens, à partir de son projet d’une sociologie psychologisante – ce qui est en accord avec le moment « individualiste » et, de plus, donne suite à des critiques apparues dans la Première série. Essertier s’approprie donc cette opposition, associée aux milieux intellectuels outsiders contre les professeurs de l’université. Ainsi, Mauss a été mis du même côté que Tarde, Bergson, Belot, Lacombe et Déat – c’est-à-dire celui des critiques de la sociologie durkheimienne.

Marcel Déat : l’alliance entre la sociologie et la psychologie des valeurs

35Marcel Déat a été invité au CDS et à L’Année sociologique par Bouglé. En 1921, il écrit aussi avec lui un Guide de l’étudiant en sociologie, ce qui montre leur proximité. Néanmoins on ne saurait considérer les deux auteurs comme appartenant à une même famille d’après leurs prises de position dans ce débat [55]. Déat était un défenseur de la collaboration entre sociologie et psychologie, comme Essertier, et croyait comme lui que ce dialogue devrait prendre une orientation distincte de celle proposée par Dumas. Dans L’Année sociologique, il a écrit trois comptes-rendus et l’introduction à la rubrique « Sociologie et Psychologie », qui se concentre sur le tome I du Traité de psychologie de Dumas [56]. Dans cette introduction, il estime que les rapports entre sociologie et psychologie ne sont plus ceux du débat entre Tarde et Durkheim parce que l’air du temps est plutôt à la collaboration qu’à la compétition. De plus, cette collaboration doit être appuyée sur une « psychologie des valeurs » et une « sociologie des valeurs », c’est-à-dire, sur le plan des idées. Il critique, donc, la proposition de Dumas, d’inspiration trop matérialiste à son goût, et, en même temps, fait l’éloge de la proposition de Mauss (1924), qu’il croit inspirée par le rôle de l’individu dans la société. Mauss devient ainsi un auteur « hétérodoxe » par rapport à son oncle [57]. Comme on a vu dans le cas d’Essertier, il s’agit d’une réinterprétation de Mauss – si l’on considère que celui-ci était en plein accord avec Dumas et, surtout, si l’on prend en compte les réactions des psychologues à la conférence de Mauss, qui y ont vu une expression de l’« impérialisme sociologique » durkheimien (Meyerson, 1924). Dans ce cadre de références, Déat juge que Georges Davy est un auteur « orthodoxe » à mesure qu’il critique Mac Dougall et, par conséquent, qu’il laisse un abîme entre l’individu et la société [58]. Les mêmes critiques sont dirigées envers Dumas parce qu’il s’inspire de Comte – qui réduit la psychologie à l’homme organique et social – comme Durkheim [59].

36Pour Déat, l’influence de la société sur l’individu a lieu à travers un « idéal », un « système de valeurs » autonome – c’est-à-dire que la notion de « conscience collective » durkheimienne est réinterprétée dans le cadre d’une psychologie sociale. Dans une « sociologie des valeurs », l’individu ne serait pas simplement considéré comme le reflet du milieu social, mais il établirait avec la société une relation orientée par des valeurs [60]. Déat s’inspire d'André Lalande (1923-1924), d’après lequel les études des « fonctions supérieures de la vie mentale » touchent aux sciences normatives. En même temps, cette science doit englober aussi une « psychologie du jugement de valeur » étant donné que les idées des individus ne sont pas réductibles à l’organisme : il faut réconcilier la physiologie avec la psychologie à partir de la conscience individuelle. Ainsi, Déat formule une conception philosophique des rapports entre psychologie et sociologie, dont le centre est l’individu et sa moralité. Cette formulation permet de penser les différends entre Bouglé et Déat. Contrairement à Bouglé, Déat a promu une conception qui se ramène à une double opération à l’égard de la tradition durkheimienne : autonomiser totalement la notion de conscience collective de son milieu social d’origine (relecture de Durkheim) et supprimer l’irréductibilité de cette notion aux consciences individuelles (relecture de Mauss). Il souligne en Durkheim le philosophe, délaissant le Durkheim sociologue ; alors que, de son côté, Bouglé maintient le trait sui generis de la conscience collective, ainsi que son rapport au milieu social.

37Dans les comptes-rendus de Déat dans L’Année, ses préférences théoriques se révèlent à travers le type d’œuvre qu’il étudie. Dans la recension consacrée à M. Scheler, il trouve l’occasion d’attirer l’attention sur les rapports entre les « valeurs » et les « affects », tels que l’amour et la haine, et de chercher comment s’établit une éthique à partir des sentiments. Scheler souligne le sentiment de sympathie comme un type d’attachement primordial à l’égard de la « connaissance représentative » – c’est-à-dire une nature affective qui devance les « cadres sociaux » de la pensée. La question des « jugements des valeurs » est aussi présente dans le compte-rendu sur Alexius Meinong, une œuvre qui traite de la « valeur » et du « désir » en tant que faits psychologiques. Il s’agit d’une étude de psychologie philosophique des notions de bien et de mal qui ne fait aucune analyse sociologique. Déat nous dirige donc vers l’intériorité de l’individu : il se demande quels sont les rapports entre « l’intellectualité la plus haute » et l’« affectivité la plus animale » – et que, selon lui, les psychologues comme Dumas ne traitent pas (Déat, 1925b : 441). Dans la Revue philosophique, il critique la substitution de la psychologie physiologique à la psychologie individuelle (Déat, 1925a : 120) et indique que le physiologique ne peut pas expliquer le psychologique parce qu’il faut considérer le « système organique psychique » dans sa totalité. Selon lui, la conscience est un « système des fonctions orientées par des fins » (Déat, 1926 : 115). En ce qui concerne la sociologie, Déat s’appuie sur les Formes élémentaires de la vie religieuse de Durkheim pour affirmer que « l’âme de la société vient se refléter dans celle de l’individu » – dans ses pensées, valeurs, actions – ce qui veut dire que la conscience collective fournit à la conscience individuelle ses facultés supérieures ; néanmoins, cette explication selon lui n’est pas suffisante parce qu’elle n’explique pas ce qu’est la conscience collective : « nous n’accepterons jamais cette relativisation de la raison et des sentiments ; de nos jugements de réalité et de nos jugements de valeur » (Déat, 1926 : 141). On comprend ainsi que Déat a besoin de réinterpréter le concept de conscience collective pour différencier une dimension objective de la sociologie et une dimension normative – jugement de fait et jugement de valeur – différenciation qui se difracte en une conception de la conscience comme reflet du milieu social d’une part, et d’autre part comme totalement autonome à l’égard de son milieu d’origine [61]. En ce qui concerne la conscience de l’individu, une psychologie des jugements de valeur serait le couronnement de la psychologie physiologique et surmonterait aussi l’explication causale pour atteindre une explication par les fins. La psychologie serait, donc, une intermédiation nécessaire dans les rapports entre l’individu et la société, de la même manière qu’une science normative serait le complément nécessaire de la sociologie positive. Si l’on compare la critique de Déat avec celle de Parodi (1925), on conclut que l’accord est total : réinterprétation psychologisante de Mauss et d’autres durkheimiens et appel à des autorités du champ philosophique pour trouver une place à la psychologie individuelle.

38

***

39Dans sa défense d’une science morale normative, d’un durkheimisme plus souple et d’une place plus ample réservée à la psychologie, Déat ne se fonde pas sur Tarde ou sur Bergson comme Essertier, mais sur Lalande et Parodi. Comme Parodi, il veut préserver la conscience de l’individu des déterminations sociales ; comme Lalande, il soutient une science normative à côté de la science de la morale durkheimienne. Néanmoins, Essertier et Déat envisagent une collaboration entre psychologie et sociologie qui commence par la critique de la sociologie durkheimienne et de la psychologie de Dumas, bref, par la critique des sciences positives et de leur spécialisation. Et les deux vont s’ouvrir à un type de psychologie idéaliste et individualiste. Rappelons que Déat est à ce moment engagé dans la vie politique, et que cette position le pousse à politiser la sociologie et à diffuser l’esprit sociologique dans d’autres milieux. Pour sa part, Essertier oriente ses efforts vers une carrière universitaire et œuvre à une nouvelle image des durkheimiens de la première génération ainsi qu'à une sociologie psychologisante comme le voulait son maître Richard. On peut donc poser l’hypothèse que les engagements politiques et les intentions pédagogiques jouent un rôle dans cette vision du « double Durkheim », par laquelle ils prétendent être vus comme des durkheimiens ayant dépassé le maître.

Considérations finales

40À partir de l’analyse de ces deux séries de la revue de Durkheim, il est possible d’identifier deux prises de position durables sur les rapports entre la sociologie et la psychologie : une position officielle et majoritaire, et une autre critique et minoritaire. En ce qui concerne la première, elle tend à être expansionniste et prétend réserver à la sociologie les études sur les fonctions mentales supérieures, laissant à la psychologie celles sur l’individu et ses fonctions mentales inférieures. En plus, elle veut être spécialisée et dialoguer avec la psychologie sans compromettre ses frontières. Cette position ne change pas dans la Deuxième série parmi les collaborateurs de l’ancienne génération. En ce qui concerne la position minoritaire dans la revue, elle est aussi présente dans les deux séries – par l’autorité de Richard et de Parodi dans la Première, de Déat et d'Essertier dans la Deuxième. Il ne s’agit pas d’un groupe. Parodi est plutôt préoccupé par la préservation de l’espace de la philosophie face à la sociologie, alors que Richard veut fonder la sociologie dans l’interpsychologie de Tarde. Dans la Deuxième série, Essertier et Déat veulent de nouvelles formes de collaboration entre la psychologie et la sociologie, mais Essertier se fonde sur Tarde et Bergson, alors que Déat s’appuie sur Lalande et Parodi.

41Il est difficile de faire des comparaisons entre la Première et la Deuxième série, étant donné les différences de volume des textes et de nombre de collaborateurs ; néanmoins, on peut dire que l’homogénéité est beaucoup plus marquée dans la Première série, alors que la Deuxième opère un tournant dans le sens de divergences croissantes que l’on verra émerger entre les collaborateurs des Annales sociologiques. Donc, on peut conclure que l’esprit anti-durkheimien des années 1930 est né pendant les années 1920, même si, entre les deux périodes, la vie intellectuelle connaît d’importantes transformations. Dans la série A des Annales, les membres de l’ancienne génération, tels Bouglé et Halbwachs, campent sur leurs positions en face de la nouvelle génération – qui cherche des références bibliographiques hors de la sociologie durkheimienne et même hors de France. Jean Stoetzel et Robert Marjolin, par exemple, vont les trouver dans la « psychologie sociale » américaine ; Raymond Aron en Allemagne. La circulation internationale qui caractérise leurs trajectoires durant cette décennie peut éclairer en partie leur démarche critique. De plus, un signe important indique à la nouvelle génération que la première génération est dépassée : dans le compte-rendu de Raymond Aron sur le tome V du Nouveau Traité de psychologie de Dumas, paru dans les Annales sociologiques en 1941, l’auteur se refuse à faire une description ou à commenter l’œuvre. La proposition de collaboration entre sociologie et psychologie à la façon de Mauss et Dumas ne semble plus compter, et la sociologie durkheimienne ne correspond plus aux attentes de l’internationalisation des sciences sociales.

Notes

  • [1]
    Cet article est le résultat d’un financement de la Fundação de Amparo à Pesquisa do Estado de São Paulo (Fapesp). Je remercie Jean-Christophe Marcel et Thomas Hirsch pour leur lecture attentive et leurs remarques.
  • [2]
    Lors de la formation de l'équipe de L'Année sociologique, Philippe Besnard (1979) montre le faible degré d'intégration et les divergences entre les collaborateurs – en particulier en qui concerne les rapports de la psychologie et de la sociologie (voir aussi Fournier, 2007).
  • [3]
    Parmi les stratégies d’évaluation, on souligne le degré de visibilité dans la revue de sorte que le silence ou une notice brève étaient des signes de non-reconnaissance de la légitimité d’un auteur ou d’une thèse – cas de la majorité des disciples des écoles de Le Play et aussi de René Worms (voir Durkheim, 1998).
  • [4]
    On peut dire la même chose des revues de psychologie : par exemple, aucun sociologue durkheimien n’a publié dans le Journal de psychologie normale et pathologique pendant les années 1900, alors que Georges Davy y est auteur dans les années 1920.
  • [5]
    Pour se donner une idée de l’extension de la discussion dans la revue, on a trouvé 389 occurrences des mots « psychologie » et « psychologique » dans les deux séries – 313 dans la Première série et 76 dans la Deuxième. En raison de l’écart entre les nombres de comptes-rendus et d’auteurs dans chacune des deux séries (12 tomes dans la Première série et un peu plus d’un tome dans la Deuxième), les deux parties de cet article, correspondant chacune à une série de la revue, sont traitées de façons diverses. La première est divisée en « genres de psychologie », d’après les classifications des durkheimiens, et la seconde est organisée par auteur.
  • [6]
    En effet, la « psychologie » a été une thématique beaucoup plus importante dans d’autres revues de l’époque, telles que la Revue internationale de sociologie et la Revue de synthèse historique, pour les sciences sociales, la Revue de métaphysique et de morale et la Revue philosophique, pour la philosophie.
  • [7]
    La proposition de Durkheim pour la rubrique « Sociologie générale » de L’Année sociologie est explicitée dans l’introduction au premier volume : « […] Nous avouons que nos efforts tendront surtout à provoquer des études qui traitent des sujets plus restreints et qui ressortissent aux branches spéciales de la sociologie. Car, comme la sociologie générale ne peut être qu’une synthèse de ces sciences sociales particulières, comme elle ne peut consister que dans une comparaison de leurs résultats les plus généraux, elle n’est possible que dans la mesure où elles sont elles-mêmes avancées. » (Durkheim, 1898 : IV).
  • [8]
    À ce moment, René Worms définissait la sociologie comme une philosophie des sciences sociales, ce qui laissait les sciences sociales spécifiques hors de portée des règles de la méthode sociologique. Par opposition, la Section de Bouglé était dédiée à mettre en valeur ces règles, ainsi que leur rôle dans l’orientation des autres sciences sociales.
  • [9]
    Lettre à Célestin Bouglé, 14 décembre 1895 (RFS, 1976 : 166-167).
  • [10]
    Lettre à Célestin Bouglé, 6 juillet 1900 (RFS, 1976 : 176).
  • [11]
    Gaston Richard (1860-1945) était parisien et a étudié au lycée Louis-le-Grand. Il a eu une carrière très classique : normalien, agrégé de philosophie, docteurs ès lettres. Il avait étudié à l’École normale supérieure à la même époque que Durkheim et a été nommé à Bordeaux lors du départ de celui-ci pour la Sorbonne. Il a eu un rôle important dans L’Année sociologique (Pickering, 1979). Dominique Parodi (1970-1955) était d’origine italienne et venait d’une famille très cultivée. Agrégé de philosophie, il n’a pas soutenu de doctorat et n’est pas devenu professeur à l’université. Il a fait carrière comme professeur de lycée jusqu’au moment où il a été nommé inspecteur de l’Académie de Paris, en 1917, et ensuite inspecteur général de l’Instruction publique pour l’enseignement secondaire, en 1919 (Caplat, 1997).
  • [12]
    C’est à ce titre que Bouglé soutient la sociologie de Durkheim en tant que « psychologie » dans son livre Les Sciences sociales en Allemagne de 1896.
  • [13]
    Dans l’introduction au premier volume de L’Année sociologique, Durkheim (1898a : VI) se démarque de l’histoire. « En un mot, tout ce qui est biographique soit des individus, soit des collectivités, est actuellement sans utilité pour le sociologue ». Sur les rapports entre la sociologie et l’histoire au début du siècle, voir T. Hirsch (2016 : 60-66). En fait, plusieurs historiens, comme Henri Hauser, ont essayé de soutenir l’interpsychologie de G. Tarde et de combattre la sociologie durkheimienne dans les débats sur l’enseignement des sciences sociales.
  • [14]
    Le Suicide (1897) et l’article « Représentations individuelles et représentations collectives » (1898), de Durkheim ; l’article « Sociologie » dans la Grande Encyclopédie (Fauconnet & Mauss, 1901) ; et l’article « Sociologie et sciences sociales » (Durkheim & Fauconnet, 1903).
  • [15]
    Il faut considérer que ces textes sont des prises de position dans le contexte du débat sur l’institutionnalisation des « sciences sociales » à l’université, qui s’organise autour de l’opposition entre pôle littéraire et pôle professionnel (voir Karady, 1976 ; Weisz, 1979).
  • [16]
    La carrière de G. Tarde a été certainement une exception et s’explique grâce aux réseaux politiques et culturels qu’il a construits à Paris à partir des années 1890 et à la bonne réception de la psychologie dans les milieux intellectuels conservateurs (Salmon, 2005 ; Consolim, 2008 ; Joly, 2017). De plus, Tarde a publié dans des revues universitaires, alors que les auteurs de « psychologie sociale » ont fréquemment écrit dans des revues « politiques et littéraires ». Finalement, il a été reconnu par des psychologues de prestige comme Ribot. Il a réussi à donner des airs modernes à une théorie qui au fond préservait la hiérarchie traditionnelle de la supériorité de l’individu par rapport à la société, ce qui a contribué aussi à la bonne acceptation de sa pensée parmi les acteurs des sciences sociales de l’époque.
  • [17]
    Sur la « psychologie des peuples » et sur Boutmy, voir Favre (1989) et Consolim (2014a).
  • [18]
    Voir, par exemple, le compte-rendu de Lapie sur Giran de 1906.
  • [19]
    Comme l’a montré Mucchielli (1997), en 1901 quelques collaborateurs de L’Année sociologique, tels que Mauss, Hubert et Aubin, ont profité de la tribune que leur offrait la section « Anthropologie et sociologie » pour disqualifier le rôle de la « race » par référence à l’œuvre de Léonce Manouvrier.
  • [20]
    Boutmy et Fouillée font partie d’une même génération intellectuelle : ils sont nés, respectivement, en 1835 et 1838. Ils ont écrit ses œuvres de psychologie au même moment, entre 1898 et 1903, c’est-à-dire, très tardivement dans leurs carrières (60-65 ans). Ils sont devenus membres de l’Académie des sciences morales et politiques dans la même décennie – Fouillée passe membre titulaire en 1893 et Boutmy en 1898. Le premier a fait sa carrière à la direction de l’École libre des sciences politiques et le deuxième était professeur dans le secondaire et auteur de manuels scolaires de philosophie (Consolim, 2014a).
  • [21]
    Lapie enseigne à l’université de Bordeaux entre 1903 et 1911 et fait ensuite carrière dans l’administration de l’éducation : comme recteur à Toulouse, directeur de l’Enseignement primaire et recteur de l’Académie de Paris (voir Terral, 2005).
  • [22]
    Le livre de Lapie, Les Civilisations tunisiennes, de 1898, a été écrit dans un style très proche de celui de Fouillée. Durkheim en fait une critique très négative dans L’Année. De son côté, Lapie est beaucoup plus critique envers Durkheim avant de devenir son collaborateur : il croyait qu’« expliquer les faits sociaux par la psychologie, ce n’est pas compromettre l’indépendance de la sociologie » et que pour les expliquer il faut considérer les causes sociales et les causes psychologiques (voir Lapie [1895 : 325] et aussi Terral [2005 : 126-127]). Néanmoins, d’après les comptes-rendus de L’Année, il soutient la sociologie durkheimienne sans ambiguïté.
  • [23]
    Bouglé était très proche de Élie Halévy, professeur à l’École libre des sciences politiques, et peut-être ce rapprochement a-t-il joué un rôle dans la modération de sa critique.
  • [24]
    À ce moment, le directeur de la Revue scientifique se prononce pour exprimer son désaccord avec Le Bon. Néanmoins, on voit qu’il était légitime jusqu’au milieu des années 1890. Dans la Division du travail social, Durkheim mentionne les études sur les crânes du Dr. Le Bon pour appuyer son propre argument sur la différentiation croissante des rôles sociaux entre les hommes et les femmes. Bouglé le mentionne aussi dans Les Sciences sociales en Allemagne.
  • [25]
    D’ailleurs, ces œuvres ont aussi été critiquées par les psychologues scientifiques, ce qui montre que les règles de la production scientifique avaient changé. Voir par exemple la nécrologie de L. Lévy-Bruhl (1906) sur Boutmy et celle de P. Janet (1916) sur Fouillée.
  • [26]
    Rossi donne une définition de la « Sociologie » identique à celle de R. Worms, selon laquelle elle est une « science synthétique ou une philosophie des diverses sciences sociales particulières » – une définition opposée à celle de Durkheim.
  • [27]
    Parodi était critique envers la méthode objective, qu’il considérait comme une réduction des sentiments à des choses matérielles et extérieures (voir Besnard, 1979). Il faut suivre Soulié (2009 : 232) quand il affirme que dans une comparaison avec Lapie et Bouglé, Parodi « fut sans doute le moins “sociologue”’ des trois ».
  • [28]
    Suivant Borlandi (1994), le débat entre Tarde et Durkheim, qui s’étale environ sur une décennie, peut être circonscrit à douze textes contre Tarde et à 14 contre Durkheim. Pour Tarde, la sociologie est une « psychologie » d’abord parce qu’en dernière instance l’explication en sociologie doit être fondée sur la psychologie des individus. Ensuite, parce que les idées et les sentiments des individus sont autonomes par rapport à la structure ou au type social.
  • [29]
    Tarde avait de bonnes relations avec les instances politiques et littéraires de Paris. « En ce sens, il est significatif que Durkheim ait commencé le débat […] ; attaquer [Tarde] était une façon de disqualifier les positions des groupes qui avaient de l’influence sur les nominations à l’enseignement supérieur ou aux institutions de prestige intellectuel. Tarde, pour sa part, avait intérêt à maintenir ce débat parce qu’il se projetait dans le champ intellectuel parisien comme quelqu’un à la hauteur d’un professeur d’université – qu’il appelait ironiquement “éminent professeur” » (Consolim, 2010 : 42 ; 2008). En effet, Tarde représentait la possibilité de réconcilier les anciennes habitudes de pensée et « les contraintes suscitées par les sciences humaines et sociales » (Joly, 2017 : 54).
  • [30]
    Tarde publie l’œuvre Écrits de psychologie sociale en 1898. Il s’agit d’un recueil de plusieurs articles déjà parus, à l’exception du premier chapitre, qui était une réponse à Durkheim. Le label « psychologie sociale » a été adopté par Tarde pour souligner l’importance des idées dans la vie sociale et renvoyer la sociologie durkheimienne à un certain « matérialisme ». Pour Tarde, une sociologie dépourvue de psychologie serait typique des débuts des sciences sociales et devrait évoluer vers une sociologie psychologique, correspondant aux sociétés civilisées.
  • [31]
    Voir les lettres de Durkheim à Bouglé concernant les décisions sur les rubriques de L’Année sociologique (Durkheim, 1975 : 426-427). Voir aussi le compte-rendu très positif de Bouglé sur l'article « Représentations individuelles et les représentations collectives » de Durkheim.
  • [32]
    Il y a cinq comptes-rendus des œuvres de Tarde et une notice sur Études de psychologie sociale.
  • [33]
    Il apparaît que le premier à donner une image de « philosophe » à Bouglé est Essertier (1930). Halbwachs nuance ce tableau, le nomme « sociologue », mais affirme que Bouglé lui-même ne se considérait pas comme un durkheimien « orthodoxe » (Halbwachs, 1941 : 47). De son côté, William P. Vogt (1979) consacre Bouglé comme un auteur « ambivalent ». Ce qu’on peut conclure à partir des comptes-rendus de Bouglé est que cette « ambivalence » n’existe pas et que, au contraire, il est un des plus acharnés défenseurs de la sociologie durkheimienne (voir aussi Besnard [1979], Heilbron [1985], Pinto [1993 : 167], Marcel [1997, 2001], Soulié [2009] et Mosbah-Natanson [2017]).
  • [34]
    Il n’est pas possible d’accorder à Philippe Besnard ce qu’il affirme sur ce compte-rendu (Besnard, 1979 : 16). Selon lui, Bouglé a analysé L’Opposition universelle de façon « très élogieuse ».
  • [35]
    Bouglé (1910) confirme son orientation critique envers la psychologie individuelle ou interactionniste par sa critique de Simmel qui, selon lui, ne fait pas d’étude scientifique, mais plutôt un « essai ». Il le qualifie même de « moraliste ».
  • [36]
    Le premier peut-être à donner de lui une image de « philosophe » a été Ferdinand Buisson (1927). Cherkaoui (1979) souligne l'inspiration psychologique de Lapie en raison d'un article de la Revue de Paris évoquant Tarde. Mais cet article s'avère en fait très critique. Heilbron (1985) reprend la figure du professeur d'université pour montrer l'idéalisme moral de ses prises de position, comme celles de Bouglé et Parodi (voir Besnard, 1979 ; Mucchielli, 1998 ; Terral, 2005 ; Pinto, 1993). Si on ne peut trancher ici cette question, l'auteur de L'École et les écoliers paraît cependant beaucoup plus proche de la « science de la morale » durkheimienne que Parodi. Dans le contexte des réformes de l'enseignement primaire et du combat contre l'Église, peut-être a-t-il fallu incarner le moraliste sans cesser d'être sociologue ?
  • [37]
    Ribot a aidé Tarde à entrer au Collège de France et à l’Académie des sciences morales et politiques. Leur correspondance montre que Ribot a même corrigé le manuscrit de candidature de Tarde. La préférence de Ribot pour Tarde n’a pas échappé à Mauss (voir Consolim, 2008 ; Joly, 2017).
  • [38]
    En 1907, Richard fonde la « Bibliothèque de sociologie » de L’Encyclopédie scientifique, une collection dirigée par le Dr. É. Toulouse, chez Doin, dans laquelle il publie ses propres ouvrages, ceux de G.-L. Duprat, et registre un livre de Lapie à paraître – qui ne sortira jamais. En 1915, Richard devient un collaborateur dans la Revue internationale de sociologie et après de décès de Worms, en 1926, il en devient le directeur.
  • [39]
    Voir le compte-rendu de Richard sur le Suicide de Durkheim dans L’Année sociologique. D’après Richard, il faut rétablir le « facteur individuel » et « accorder les deux points de vue » : l’action individuelle et l’action collective. Richard prétend réunir les théories de Tarde et de Durkheim, ce qu’il indique dans une lettre à Tarde en 1902. Suivant Pickering (1979 : 171-172), Richard « veut infléchir la sociologie vers la psychologie sociale plutôt que vers le “sociologisme” dont il accuse Durkheim. »
  • [40]
    Selon Lapie, Richard nie que la sociologie doive étudier des faits ; il analyse les sociétés du point de vue occidental au lieu d’étudier d’autres types sociaux et il mélange des jugements de faits et de valeurs, le normal et le pathologique.
  • [41]
    Dans deux comptes-rendus de 1899, Parodi souligne que pour Lester Ward les lois sociales sont des « fins » (des désirs et des idées) et, par conséquent, sont les états internes ou psychologiques qu’explique le social. Et dans le compte-rendu suivant, il indique que Daniel Vincent emploie la double définition de la « conscience sociale » : une « fin » vers laquelle tendrait le progrès social et aussi une « loi » tirée des faits. La « psychologie sociale » de langue anglaise a fait l'objet de plusieurs comptes-rendus dans la revue. En effet, ils sont aussi l'occasion d'une critique du naturalisme et de l'individualisme, du concept abstrait de « mentalité collective » (associé à une science spécifique pour l'étudier) et de l'idée d'une « sociologie » comme science vidée de toute psychologie.
  • [42]
    Ces deux membres de la nouvelle génération de durkheimiens avaient des carrières distinctes. Déat (1894-1955) était normalien (1914) et agrégé de philosophie (1920), mais il n’a jamais soutenu de doctorat et a orienté sa carrière vers la vie politique au Parti socialiste. De son côté, Essertier (1888-1931) avait fait sa formation à Bordeaux avec Richard et était agrégé de philosophie (1919) et docteur ès Lettres (1927). Au moment de sa collaboration à L’Année, Déat était professeur au lycée de Reims et Essertier à l’Institut français de Prague. Ces deux collaborateurs « hétérodoxes » ont été boursiers pendant leur formation et, donc, occupaient une position socialement dominée par rapport à Richard et Parodi.
  • [43]
    Jean-Christophe Marcel (1997 : 338) montre le rôle central de Bouglé et du CDS dans la formation de la nouvelle génération de durkheimiens, ainsi que dans l’innovation de la recherche. « […] Il [Bouglé] encourage ses jeunes collaborateurs à bâtir une sociologie “œcuménique”, qui rompt avec le programme durkheimien originel, et s’évertue à penser la place de l’action individuelle dans le monde social, en s’ouvrant à l’enquête de terrain mais aussi à d’autres sciences sociales. » D’autres études ont noté l’inspiration philosophique de plusieurs collaborateurs anti-durkheimiens, ainsi que leur souci de l’orientation sur la vie pratique et politique – qui manquait dans la sociologie de Durkheim (Desan & Heilbron, 2015).
  • [44]
    En 1920, le Journal de psychologie publie plusieurs articles sur la sociologie, et en 1923-1924 sortent les deux tomes du Traité de psychologie dont plusieurs articles soutiennent la sociologie. Le directeur du Journal de psychologie et l’organisateur du Traité, Georges Dumas, se rapprochent de Mauss pour essayer une collaboration entre la psychologie scientifique et la sociologie durkheimienne (Consolim, 2019 ; Hirsch, 2018).
  • [45]
    Heilbron a souligné ce mouvement de révision de la sociologie durkheimienne de la part des philosophes – dont Parodi – pour qui « l’influence de Durkheim agit bien dans le sens de l’idéalisme » (Heilbron, 1985 : 209).
  • [46]
    Voir aussi Geiger (1979). Il faut noter que Lapie et Parodi ne sont pas du même côté dans ce débat. Bouglé n’est pas non plus du côté de Parodi. Voir aussi la lettre de Bergson à Bouglé, qui montre nettement leurs divergences (Geiger, 1979).
  • [47]
    Maurice Halbwachs a été aussi un personnage très important dans ce débat, ainsi que Charles Blondel. Mais pas dans L’Année sociologique (Hirsch, 2015, 2016).
  • [48]
    Les conceptions de Mauss sont, donc, dans le prolongement de celles de Durkheim et non en rupture avec elles. Il ne soutient pas une « psychologie collective » autonome à l’égard de la sociologie. Pour une lecture contraire à celle-ci, voir Marcel (2004) et Mucchielli (1994). Les rapports de Mauss à la psychologie sont objet d’un long débat depuis Karady (1968). Pour celui-ci, Mauss a renouvelé la sociologie durkheimienne dans l’après-guerre, mais s’est maintenu dans son sillage. Heilbron (1985) l’envisage comme « chercheur », en opposition au « professeur » d’université – quelqu’un qui a poussé plus loin la sociologie durkheimienne à travers la recherche, mais sans sortir de la tradition de l’École. Karsenti (1997) reprend largement l’interprétation d’Essertier (1927b ; 1930) – celle d’un Mauss dit « hétérodoxe » parce qu’inspiré par la psychologie et l’interpsychologie. Mucchielli (1994) admet aussi une distance entre Durkheim et Mauss : selon lui, après le décès de son oncle, Mauss aurait réorienté ses recherches pour « les situations concrètes et complexes de la vie sociale ». Marcel (2004) prend aussi position pour l’hétérodoxie de Mauss à cause de son rapprochement avec la psychologie par l’interpénétration des concepts de conscience collective et de conscience de l’individu et de son intérêt pour ceux qui sont communs à la psychologie et à la sociologie. Mucchielli et Marcel soutiennent que Mauss propose une science de l’Homme total au-delà des frontières scientifiques, alors que Pinto (2010) prend position pour un Mauss jaloux de ces frontières (Consolim, 2017 ; Mauss, 2018).
  • [49]
    « L’étude de cette “totalité” est capitale, par conséquent, pour tout ce qui ne concerne pas l’élite de nos sociétés modernes. L’une des erreurs communes à la sociologie est de croire à l’uniformité d’une mentalité – je dirais académique – du genre de la nôtre » (Mauss, 1924 : 915).
  • [50]
    Voir dans cet article, la note [32]. Cette œuvre, sortie en 1922, est un ouvrage d'application pratique à l'attention des professeurs d'écoles normales primaires ou secondaires, dont le but était de discuter des problèmes d'actualité dans le contexte de l'après-guerre. Néanmoins, les concepts durkheimiens y sont fortement soutenus : le caractère impératif des valeurs, l'importance du milieu social, les représentations communes, les cadres sociaux de la pensée et la conscience collective comme synthèse sui generis.
  • [51]
    Dans le contexte des réformes de l’éducation et des débats sur l’enseignement de la sociologie dans les Écoles normales primaires, la sociologie durkheimienne était très critiquée par la droite intellectuelle. Selon Bouglé, dans ce contexte, la tâche des « professeurs » durkheimiens était plutôt de diffuser et de routiniser cette tradition au-delà de l’université. Il peut donc être vu comme un « professeur » à mesure qu'il œuvre pour la diffusion et la vulgarisation de la sociologie durkheimienne dans l'enseignement primaire.
  • [52]
    La thèse principale s’appelle Les Formes inférieures de l’explication (1927a) et la secondaire Psychologie et sociologie (1927b). Voir aussi deux volumes de Philosophes et Savants français du xxe siècle : La Psychologie (1929) et La Sociologie (1930). La thèse secondaire lui a été suggérée par Bouglé.
  • [53]
    Pour Essertier « la vérité est dans le tout et elle n’est ni psychologique, ni sociologique, car il n’y a qu’une nature humaine » (Essertier, 1934 : 130).
  • [54]
    Selon Essertier (1930), Halbwachs aurait hésité entre Durkheim et Bergson ; Fauconnet pensait qu’il n’y avait pas de représentations hors de la conscience des individus. Au même moment, Fauconnet (1930) affirmait qu’Essertier préférait Tarde à Durkheim, étant donné qu’il s’agissait d’un philosophe.
  • [55]
    En ce qui concerne les durkheimiens, V. Karady (2001) analyse plutôt le blocage de la carrière des sociologues à l’université comme étant le facteur fondamental de différenciation de leurs dispositions.
  • [56]
    Marcel Déat était à ce moment considéré comme un sociologue très prometteur. En 1925 et 1926, il a écrit un très long compte-rendu sur le Traité de Dumas dans la Revue philosophique (voir Déat [1925a, 1925b, 1926] ; Desan et Heilbron [2015] ; et Consolim [2017]).
  • [57]
    « Le sociologue, note M. Déat, rencontre dans son enquête ce qu’on peut appeler l’homme total, et de cette considération de la totalité psychologique individuelle résulte une conjonction naturelle de travaux. D’autre part, l’ethnographie comparée pose des problèmes qu’il appartient au psychologue [je souligne] de résoudre » (Déat, 1925c : 233).
  • [58]
    Mac Dougall, qui a été très critiqué par Bouglé dans la Première série, est maintenant mis en valeur par la nouvelle génération. Sur l'internationalisation des revues de sociologie, voir Sébastien Mosbah-Natanson (2008).
  • [59]
    Pour Dumas, « le domaine psychologique cessera d’être un territoire contesté, en ce sens que physiologistes et sociologues se le partageront » (Déat, 1925c : 234).
  • [60]
    « [La conscience collective] n’est tout de même intelligible pour le sociologue qu’à partir des consciences individuelles qui tendent vers elle comme vers leur lieu géométrique. […] Or, il semble qu’on ait trop souvent tendance à voir dans la conscience collective un ensemble d’institutions rituelles, un automatisme contraignant. Ce n’en est là que le moindre aspect. Elle est avant tout système de croyances ayant pour supports des symboles. C’est-à-dire non pas des signes représentatifs seulement, mais capables d’exalter l’affectivité et d’animer l’action. » (Déat, 1925a : 120-121).
  • [61]
    Il rompt ainsi avec la causalité de Durkheim. Les « croyances et symboles », libérés des conditions sociales, ne sont plus coercitifs. Il faut aussi dépasser l’idée de l’individu reflet du social parce que sa personnalité morale « se fait sans cesse et emprunte des éléments essentiels à une réalité qui le déborde […]. » (Déat, 1939 : 69).
Français

Cet article analyse la réception de la psychologie dans L’Année sociologique Première et Deuxième séries (1898-1927). Il s’agit d’une étude fondée sur les comptes-rendus publiés par la revue, et sélectionnés par les mots-clés « psychologie » et « psychologique ». Cette étude révèle que chacune de ces deux séries a maintenu un rapport singulier avec la psychologie : la Première série laisse voir qu’il fallait fonder la sociologie contre toute sorte de psychologie, alors que la Deuxième série abordait plutôt la question du type de collaboration souhaitable entre les deux sciences. L’étude montre aussi que dans les deux séries des divergences existent entre les collaborateurs de la revue : les durkheimiens stricts ne cèdent pas d’espace à la psychologie, alors que les défenseurs de la cause de la psychologie veulent une fusion des deux sciences.

Mot-clés

  • L’Année sociologique
  • Sociologie et psychologie
  • Psychologie collective
  • École sociologique française
  • L’« Homme total »

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Marcia Consolim
Département de Sciences sociales Université fédérale de São Paulo
Marcia Consolim est professeure associée au département de Sciences sociales de l'université fédérale de São Paulo (UNIFESP). Son domaine de recherche se concentre sur l'histoire des sciences humaines et sociales et ses publications portent sur les rapports de la sociologie avec la psychologie en France, ainsi que sur les trajectoires d'intellectuels français sous la IIIe République. Ses recherches actuelles traitent de la circulation internationale et de la réception de théories sociales françaises et américaines au Brésil pendant la première moitié du XXe siècle. Elle a coordonné deux volumes de la collection « Biblioteca Durkheimiana » (UNIFESP) : Durkheim (2016) et Mauss (2018).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 18/04/2019
https://doi.org/10.3917/anso.191.0103
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