CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Au cours des dernières décennies, la sociologie française du militantisme s’est profondément renouvelée avec une moindre emprise du structuralisme et l’avènement du « paradigme interactionniste » (Sawicki et Siméant, 2009). La distanciation à l’égard d’une approche holiste des structures sociales et des organisations militantes s’est accompagnée d’un regain d’intérêt pour les acteurs, les interactions et les contextes, ainsi que d’une focalisation sur de « nouveaux » groupements (les mouvements sociaux, les associations, les coordinations, etc.) et de « nouvelles » causes (l’écologie, l’humanitaire, la défense des « sans », l’altermondialisme, etc.). Dans le contexte de crise du système représentatif et de ses principales organisations (partis politiques, syndicats), ce renouvellement théorique et empirique de l’analyse du militantisme a suscité une controverse sur les formes contemporaines de l’engagement et ses possibles transformations. Les sciences sociales françaises ne font pas figure d’exception et l’on observe des débats similaires aux États-Unis autour des changements de la participation civique et du capital social (Putnam, 1995, 2002 ; Schudson, 1996 ; Skocpol, 1996 ; Jackman et Miller, 1998), ou en Amérique latine, à propos de l’évolution des matrices sociopolitiques nationales-populaires et de l’essor d’un nouvel éthos militant autonomiste (Martucelli et Svampa, 1997 ; Merklen, 2009 ; Svampa, 2009).

2 Articulée aux paradigmes du post-matérialisme et de l’individualisme, la thèse d’une mutation de l’engagement militant a été formulée en France autour de l’idée d’un renversement du rapport entre les valeurs collectives, anciennement dominantes, et les valeurs individuelles, aujourd’hui prépondérantes (Perrineau, 1994, 1998 ; Ion, 1997 ; Eme, 2001 ; Worms, 2006). Sans que cela renvoie à un élan d’égoïsme (Ion, 2012), l’engagement serait davantage lié aux projets personnels des individus et à la réalisation de soi — l’attachement à une identité collective et le dévouement à une cause commune passant dorénavant en retrait. Cette perspective a été modélisée par Jacques Ion dont les catégories d’analyse « engagement affranchi » et « engagement affilié » (Ion, 2001) sont reprises tant par ses adeptes que par ses critiques. Pour cet auteur, l’opposition entre ces deux modèles d’engagement synthétise le renversement historique du rapport entre l’individu et le collectif, entre le je et le nous. De nature fusionnelle durant la majeure partie du xx e siècle, ce rapport tendrait à devenir de nature contractuelle à partir des années 1970-1980. Le lien social entre les militants évoluerait également vers une prédominance du type sociétaire sur le type communautaire, en raison de la diminution des temps de réunion et de convivialité, de la professionnalisation du militantisme et de l’émancipation des individus à l’égard des appartenances primaires. Cette mutation de l’engagement se manifesterait enfin à travers une nouvelle articulation entre la base et le sommet au sein des organisations, liée au rejet des mécanismes de délégation, à la prégnance du principe délibératif et à la valorisation des ressources individuelles.

3 De nombreuses critiques se sont élevées contre l’idée d’une telle transformation, en réfutant notamment l’argument de la vola­tilité des engagements contemporains. Certains auteurs insistent par exemple sur la permanence d’engagements durables et de liens communautaires dans les collectifs, ainsi que sur le rôle des organisations dans le maintien des vocations militantes (Harvard Duclos et Nicourd, 2005 ; Barbance et Ughetto-Schloupt, 2007 ; Nicourd, 2009). D’autres discutent la césure historique qui sépare temporellement les deux modèles d’engagement et plaident pour une analyse soucieuse de la pluralité des formes de militantisme à toute période donnée (Brodiez, 2006 ; Sociologies pratiques, 2007 ; Politix, 2013 ; Lefebvre, 2013). D’autres encore critiquent la normativité dont serait porteuse la dichotomie entre des engagements passés analysés comme aliénants et des engagements présents conçus comme émancipateurs (Collovald, 2002 ; Simonet, 2006 ; Nicourd, 2007). Cette normativité implicite renforcerait la disqualification sociale et politique des formes de mobilisation des classes populaires et relèguerait les mondes ouvriers et communistes dans un passé révolu.

4 Cible des principales critiques, la modélisation proposée par J. Ion est toutefois considérée comme heuristique par une diversité d’auteurs (Sawicki et Siméant, 2009 ; Lambelet, 2009 ; Mayer, 2010 ; Lefebvre, 2013), à condition de ne pas l’essentialiser et de la tester empiriquement. Dans cette perspective, l’ambition de cet article est de mobiliser les catégories d’analyse définies par J. Ion afin de les confronter à une étude de cas contextualisée et d’en reformuler certains éléments à partir de nos résultats. Cette démarche renvoie à une dialectique de la théorie et de l’empirie dont la « pensée par cas » constitue un fondement (Passeron et Revel, 2005). Les études de cas n’ont pas pour seule vertu de fourmiller de détails à propos des conduites et des représentations localisées, elles sont également une source de généralisation aujourd’hui largement reconnue (Burawoy, 1991, 2003 ; Becker et Ragin, 1992 ; Baszanger et Dodier, 1997 ; Beaud et Weber, 1997 ; Elias, 1997 ; Cefaï, 2003 ; Haegel et Lavabre, 2010 ; Buscatto, 2012 ; Hamidi, 2012). Sans remettre en cause la thèse globale de la transformation du militantisme, le point de discussion concerne ici la séparation historique entre les deux modèles d’engagement qui nous semble critiquable pour au moins trois raisons. D’une part, l’indexation de chaque modèle à une époque donnée génère le risque d’une pensée évolutionniste et normative. D’autre part, l’opposition temporelle de deux modèles radicalement différents implique un raisonnement en termes de rupture et non de processus. Enfin, l’assignation d’un seul type d’engagement par période tend à homogénéiser la diversité des pratiques et à réifier les catégories d’analyse.

5 L’objectif de cet article est de mettre en lumière la pluralité des pratiques militantes qui coexistent à différentes époques et les rapports plus ou moins distants que les acteurs entretiennent avec les modèles d’engagement. En mêlant les récits biographiques à l’observation des interactions, l’analyse cible les points de tension entre, d’une part, les définitions du militantisme légitime dans des contextes donnés et, d’autre part, les formes concrètes d’action et de relation dans les organisations militantes. Cette perspective ne se focalise donc pas sur des dimensions proprement politiques de l’engagement militant comme la construction des problèmes publics, la représentation des groupes sociaux ou l’autonomisation du champ politique. Dans une approche ethnographique, l’enquête éclaire le jeu des acteurs dans leur rapport à la normativité du groupement et montre que l’adhésion à un modèle d’engagement n’empêche pas l’élaboration d’une critique à son encontre. Elle fait également apparaître les limites d’une mise en pratique des principes fondamentaux des modèles d’engagement et les obstacles à la réalisation des aspirations individuelles et collectives.

Encadré 1 : Méthode d’enquête et matériau empirique

Le matériau empirique provient d’une enquête approfondie menée au sein d’une université populaire créée en 2003 dans le but de transmettre des savoirs théoriques aux classes populaires et de contribuer à la formation d’un esprit critique. L’association compte entre 150 à 200 adhérents selon les années, avec une cotisation annuelle de 10 à 20 euros. Elle propose des conférences et des cours dans différents espaces : quartiers populaires, entreprises industrielles, maison d’arrêt. Entre 2009 et 2011, nous avons observé quinze cours et conférences organisés par l’association, ainsi que de six réunions de direction. Treize entretiens approfondis ont été réalisés avec les responsables de l’association selon la méthode des récits de vie, complétés par divers échanges informels. Les personnes rencontrées sont les administrateurs élus à la fois en 2007 et en 2010, soit les militants engagés durablement dans la direction de l’association au moment de l’enquête. En 2010, neuf d’entre eux sont également membres du bureau, parmi lesquels le président, le secrétaire et la trésorière. Outre leur participation aux instances de direction, ces acteurs s’engagent bénévolement dans le fonctionnement quotidien de l’association qui ne compte qu’un seul salarié chargé du travail administratif. D’autres informations sur l’histoire du groupement ont été recueillies à travers la presse locale et les documents internes de l’association, comme les comptes rendus de réunion et les programmes d’activité.

6 L’analyse repose sur une enquête approfondie dans une association locale dirigée par d’anciens adhérents du Parti communiste français (PCF). Ce cas d’étude nous plonge au cœur de la controverse sur les transformations du militantisme puisque les « vieux » engagements sont généralement associés au monde communiste tandis que les « nouveaux » font souvent référence au monde associatif. L’ancrage territorial de cette association est une ancienne ville ouvrière de 40 000 habitants située en périphérie de Paris et dirigée depuis 1935 par des élus communistes. Dans ce territoire, comme dans de nombreuses municipalités de l’ancienne banlieue rouge, la désagrégation du système d’action communiste (Courtois et Lazar, 1995 ; Bacqué et Fol, 1997 ; Pudal, 2009 ; Mischi, 2014) et l’influence de la politique de la ville (Tissot, 2007 ; Carrel, 2013) ont généré la mise en place de dispositifs de démocratie participative (Biland, 2006 ; Nez et Talpin, 2010) et le développement d’une multitude d’associations locales (Kokoreff, 2003 ; Masclet, 2003 ; Hamidi, 2010 ; Trenta, 2014). Ces territoires s’avèrent alors féconds pour étudier les changements opérés dans le champ militant, particulièrement en ce qui concerne les classes populaires.

7 Cette analyse diachronique des modèles et des pratiques d’engagement se déroule en deux temps. Dans la première partie centrée sur les carrières militantes (Fillieule, 2001), l’article scrute les origines sociales, les dispositions à l’engagement et les itinéraires des dirigeants de l’association afin de mettre en lumière les changements et les continuités dans leurs formes d’engagement. L’organisation de l’association et la structure des relations internes sont l’objet de la seconde partie qui étudie les mécanismes de division du travail et leurs effets sur les modes de délibération. La conclusion revient sur les apports théoriques de cette étude de cas et propose une grille d’analyse de la pluralité des modèles d’engagement et des pratiques militantes.

Carrières militantes des dirigeants associatifs

Origines sociales et dispositions à l’engagement

8 Les treize militants rencontrés (huit femmes et cinq hommes) partagent certaines caractéristiques et expériences liées à leur socialisation et à leur trajectoire. Les dirigeants de l’université populaire présentent d’abord une certaine homogénéité au niveau de l’âge. La plupart de ces personnes sont nées entre la fin des années 1930 et la fin des années 1940 (11 sur 13), seuls deux membres sont nés dans les années 1960 et 1970. Ce groupe est également homogène du point de vue des origines sociales et politiques. Au cours des entretiens, ces personnes se sont principalement définies comme issues d’un milieu populaire (12 sur 13), parfois plus spécifiquement du milieu ouvrier (11 sur 13) et communiste (9 sur 13). Les trois personnes issues d’un milieu populaire non communiste ont connu une socialisation primaire dans des familles où le vote s’orientait à droite et où la militance n’était pas présente. La seule dirigeante issue des classes moyennes, née en 1978, n’a pas baigné dans un milieu politisé lors de sa socialisation primaire. Le poids de la famille dans la socialisation politique (Mathieu, 2004 ; Bargel, 2009) se vérifie puisque huit personnes sur neuf issues d’une famille communiste ont adhéré au Parti communiste français (PCF) et à ses organisations satellites dès leur plus jeune âge. Pour les quatre personnes issues d’une famille non communiste, deux sont tout de même devenues membres du PCF et deux n’ont adhéré à aucun parti politique. Au total, ce sont donc dix responsables de l’université populaire sur treize qui ont adhéré au PCF à un moment de leur carrière militante, dont huit « natifs » et deux « convertis » (Leclercq, 2008). Pour la plupart des natifs, l’adhésion au PCF est considérée comme naturelle. Comme l’exprime cette dirigeante associative, l’imprégnation du communisme dans l’environnement familial procure le sentiment d’être « née dedans ».

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« J’étais membre du Parti, j’ai adhéré à 18 ans. J’étais une petite “coco”, j’étais née dedans. Mes sœurs étaient membres du Parti et puis ça s’est trouvé un peu naturellement. Comme d’adhérer au syndicat, c’était une démarche naturelle. J’étais née dedans… mes parents, mes sœurs… ». (Femme, 1943, cadre administratif d’entreprise) [1]

10 Pour les convertis, le rapport au Parti communiste est moins fusionnel et plus intellectualisé. Comme l’évoque ce dirigeant né dans une famille ouvrière de droite, c’est par la lecture de Marx durant sa scolarité, puis l’adhésion aux textes fondamentaux du marxisme-léninisme et le partage de cette idéologie avec un groupe de pairs, qu’il réalise sa conversion au communisme. Loin d’avoir la force de l’évidence, son engagement au PCF est alors rapporté à un « hasard ».

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« Je suis devenu communiste par hasard… C’est par des lectures, la lecture de Marx en cours d’économie quand j’étais au lycée. Un copain dont les parents n’étaient pas “cocos” non plus, mais qui s’est mis aussi à lire Marx. Donc un rapport à la politique extrêmement intellectualisé. Avec des lectures de Marx, Lénine, Staline... » (Homme, 1963, cadre de la fonction publique)

12 Les valeurs et les pratiques communistes transmises par la famille ou acquises dans d’autres espaces de socialisation ont conditionné le rapport à l’engagement d’une large majorité de ces militants (10 sur 13). Cette socialisation politique les a dotés d’une aptitude à définir certaines situations et expériences sociales comme relevant du registre politique, avec la prédominance d’une grille de lecture marxiste-léniniste. Elle a également contribué à façonner des dispositions à l’engagement qui se manifestent autant par le militantisme politique que syndical. Une large majorité des responsables de l’université populaire ont connu des engagements syndicaux durables (11 sur 13), essentiellement au sein de la Confédération générale du travail (CGT) durant leur carrière professionnelle et parfois dans des syndicats étudiants. Les deux personnes n’ayant jamais adhéré à un syndicat sont également celles qui n’ont pas milité dans un parti politique. Le militantisme associatif est en revanche assez peu partagé avant l’expérience de l’université populaire, seules deux personnes se sont engagées de manière centrale dans des associations féministes ou d’insertion. Quelques associations de parents d’élèves et amicales de locataires apparaissent dans les carrières militantes, mais toujours de manière subordonnée à l’engagement au Parti communiste.

13 Par leur âge, leurs origines sociales, leurs engagements poli­tiques et syndicaux, ces dirigeants associatifs ne correspondent pas à l’image d’Épinal des « nouveaux militants » censés peupler les associations, en rupture avec les « anciens militants » définitivement fossilisés dans les organisations dites traditionnelles (Mathieu, 2013). L’analyse de cette association comme d’autres groupements récents éclaire au contraire l’enchevêtrement synchronique ou diachronique d’engagements syndicaux, partisans et associatifs qui structure les carrières militantes (Revue française de science politique, 2001 ; Agrikoliansky, 2002 ; Sommier, 2003). La notion de carrière, et la logique processuelle qui lui est associée (Fillieule, 2001), ouvrent une voie pour comprendre la complexité d’itinéraires militants saisis dans les différents espaces et contextes d’engagement. Les trajectoires socio-professionnelles apportent également un éclairage sur les bifurcations individuelles et les interactions au sein des groupements. Dans le cas de l’université populaire, la grande majorité des dirigeants associatifs ont connu une mobilité sociale ascendante ; seul un fils d’ouvrier a mené une carrière professionnelle d’ouvrier non qualifié (Tableau 1). Ces trajectoires d’ascension sociale ont été marquées soit, au travers du système scolaire, par l’obtention d’un diplôme supérieur au baccalauréat, soit par des formations professionnelles et le passage de concours de la fonction publique. La seule militante communiste qui réalise une mobilité ascendante en dehors de la fonction publique travaillait pour la banque de l’Union soviétique, alors nommée Banque commerciale pour l’Europe du Nord. Ces formes de mobilité attestent de la pluralité des dispositions sociales (Lahire, 1998) et facilitent la reconversion des savoirs et savoir-faire militants dans différents espaces (Willemez, 2004 ; Tissot, 2005).

14 Cette relative distanciation à l’égard de leur condition d’origine est un élément essentiel pour comprendre l’expérience, plus ou moins douloureuse, du désengagement communiste des neuf responsables de l’université populaire sur dix ayant adhéré au PCF. L’analyse des raisons de « quitter le Parti » met en lumière un horizon normatif commun aux différents membres de l’association, particulièrement en ce qui concerne les rapports entre l’autorité et la sujétion dans les organisations militantes. Ces désengagements du Parti communiste sont cependant liés à trois contextes socio-historiques divers, qui correspondent à des inflexions fortes du fonctionnement du PCF : l’après-Mai 68, le retour à l’orthodoxie de la fin des années 1970 et la critique du stalinisme au milieu des années 1990.

Sexe
Milieu familial
Date de naissance
Formation initiale
PCS en fin de carrière
Homme
Ouvrier
1942
Certificat d’études primaires
Ouvrier non qualifié de type industriel
Femme
Ouvrier
1946
Certificat d’études primaires
Profession de l’information, des arts et des spectacles
Femme
Populaire
1940
CAP (comptabilité)
Cadre de la fonction publique
Femme
Ouvrier
1943
CAP (comptabilité)
Cadre administratif d’entreprise
Femme
Ouvrier
1948
CAP (employé de bureau)
Cadre de la fonction publique
Homme
Ouvrier
1938
Baccalauréat
Cadre de la fonction publique
Homme
Ouvrier
1940
BTS (électrotechnique)
Ouvrier qualifié de type industriel
Femme
Ouvrier
1946
École normale d’institutrice
Professeur des écoles, instituteur
Femme
Ouvrier
1946
École normale d’institutrice
Professeur, profession scientifique
Homme
Ouvrier
1963
DEUG (histoire)
Cadre de la fonction publique
Femme
Ouvrier
1938
Agrégation (histoire)
Professeur, profession scientifique
Homme
Ouvrier
1948
Agrégation (philosophie)
Professeur, profession scientifique
Femme
Classes
moyennes
1978
Agrégation (philosophie)
Professeur, profession scientifique

Contextes et raisons du désengagement communiste

15 Le premier contexte de désengagement du Parti communiste correspond à l’après-Mai 68. Onze responsables de l’université populaire ont entre 20 et 30 ans lors du printemps 1968, cette période est alors charnière pour la plupart des enquêtés. Les incidences des mobilisations de Mai 68 sur les trajectoires militantes sont cependant variables (Pagis, 2011). Pour certains militants, ces mobilisations renforcent leur adhésion au PCF et multiplient leurs engagements. C’est aussi le moment de la conversion au communisme, via les luttes syndicales, pour une responsable de l’association. C’est au contraire la période durant laquelle trois « natifs » décident de quitter le Parti après y avoir adhéré durant leurs années de jeunesse.

16 Pour ces trois personnes, le désengagement communiste est concomitant d’un autre engagement dans des groupements poli­tiques moins structurés que le PCF et plus en phase avec la ferveur militante des années post 1968. En militant dans le mouvement féministe ou dans des groupes d’extrême gauche, ces trois acteurs maintiennent des dynamiques d’engagement qui concilient la contestation sociale et la critique anti-institutionnelle. À partir du milieu des années 1970, tandis que la militante féministe poursuit son activité dans le mouvement social et des associations de quartier, les deux militants des partis d’extrême gauche vivent un nouvel épisode de désengagement politique et décident de ne plus investir la forme partisane. L’un ouvrier et l’autre bibliothécaire, ils concentrent leur activisme sur leur univers professionnel, et plus particulièrement sur la sphère syndicale, au sein de la CGT.

17

« Depuis que je travaille, j’ai toujours été militant syndicaliste. Puis militant politique. Quand j’ai commencé de travailler, j’étais à la CGT, donc j’étais au Parti communiste. En 68, je me suis un petit peu fâché avec le Parti communiste, donc j’étais dans les groupes d’extrême gauche… que j’ai fini par quitter d’ailleurs… mais je suis toujours resté plus ou moins d’extrême gauche quand même. Mais par contre je suis toujours resté à la CGT ». (Homme, 1942, ouvrier non qualifié de type industriel)

18 Le deuxième contexte de désengagement a trait au retour du Parti communiste à l’orthodoxie à la fin des années 1970 (Courtois et Lazar, 1995) et concerne quatre responsables de l’université populaire. Nés dans les milieux ouvriers et communistes des années 1930-1940, ces militants vivent Mai 68 avec intensité et s’engagent dans diverses organisations communistes (sections, cellules, syndicats, associations). Ils sont également liés à des municipalités communistes, en tant qu’élu local ou agent des services administratifs et partagent encore leur vie conjugale avec un membre du PCF. Leur adhésion à la cause communiste et leur militantisme multipositionné correspondent alors pleinement au modèle de l’engagement affilié légitimé par l’appareil partisan (Pudal, 1989 ; Lazar, 1998). Ces acteurs s’impliquent totalement durant la période d’aggiornamento du PCF qui, devant faire face aux critiques internes du stalinisme au milieu des années 1950, se caractérise par une ouverture à la fois sociale et idéologique (Pudal, 2009). Cette tentative de réforme du Parti communiste répond également aux aspirations à une émancipation vis-à-vis de l’Union soviétique et à une union des diverses composantes de la gauche française. La fin de l’aggiornamento et le retour au parti stalinien à partir de 1977 génèrent, chez ces militants, une tension extrême entre leurs convictions personnelles et leur fidélité au parti. Leurs récits évoquent une distanciation progressive du PCF liée à l’impossibilité, en interne, de débattre de la stratégie politique et au discrédit des cadres de l’appareil partisan. Comme pour une multitude de militants communistes, le désengagement intervient à la suite de conflits récurrents et d’une longue frustration (Mischi, 2014). Pour cet ancien ouvrier devenu responsable municipal d’équipements culturels, il correspond à un « désaccord profond » sur le centralisme du PCF et l’absence de débats qui en découle.

19

« J’ai quitté le parti sur un désaccord profond en 1981, mais jusque-là j’étais un militant actif. […] Le désaccord portait d’abord sur le fait que le Parti ne voulait absolument pas de mise à jour par rapport à ses liens avec l’Union soviétique. Et puis surtout, j’avais considéré qu’il y avait un tassement aux élections et le Parti ne voulait absolument rien entendre au niveau de la remise en cause de son fonctionnement. Je me rappelle qu’au dernier comité de section avant le congrès, j’avais fait une intervention pour dénoncer le centralisme démocratique, mais ça n’a pas été entendu. Donc j’ai dit : “Je n’ai plus rien à faire ici, je m’en vais” ». (Homme, 1938, cadre de la fonction publique)

20 Pour la directrice de services administratifs d’une mairie communiste, la distance avec la direction nationale du PCF se creuse avec la fin de l’Union de la gauche et du programme commun. La frustration née de l’absence de débats en interne et de l’obligation de se soumettre à l’autorité des permanents fonde sa décision de quitter le Parti.

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« Il y a eu le programme commun, moi j’étais à fond dedans. J’y ai cru, je m’y suis beaucoup investie et, tout d’un coup, on nous a dit : “Marche arrière ! C’est terminé le programme commun.” Alors là, moi j’ai dit : “Je ne suis pas une girouette. On ne me dit pas un jour c’est une chose, un autre jour c’en est une autre.” C’était aussi une période où le Parti communiste commençait à perdre des voix aux élections et où on ne cessait pas de dire : “Mais on perd des voix, là ! Il y a un problème.” Et au fur et à mesure qu’on manifestait notre inquiétude, on voyait arriver dans les réunions les permanents qui nous disaient : “Mais non, non…” C’était invraisemblable… Plus tout ce qui se passait dans les pays de l’Est, ça faisait beaucoup. On avait déjà avalé pas mal de couleuvres. Mon mari et moi, on s’est dit : “Là, c’est terminé. On ne peut plus admettre ça” ». (Femme, 1948, cadre de la fonction publique)

22 Cette critique de la verticalité du PCF et de l’autorité des délégués est relativement courante chez les militants de la période de l’aggiornamento, notamment pour les « natifs » ayant connu une mobilité sociale ascendante (Leclercq, 2008). Enfants de parents ouvriers, ces quatre personnes sont devenues respectivement professeur agrégé de philosophie, responsable de services culturels municipaux, responsable de services administratifs municipaux et analyste à la banque de l’Union soviétique. Au cours de leur ascension sociale, ils ont acquis en dehors du Parti communiste des ressources culturelles et relationnelles qui leur ont permis de prolonger leurs carrières militantes. La fin de l’adhésion au PCF ne marque d’ailleurs pas la sortie définitive du monde communiste. Avec la désagrégation du système d’action communiste, ces acteurs ont continué à s’engager jusqu’à la fin de leurs carrières professionnelles, au sein la CGT et de municipalités dissidentes.

23 Le troisième contexte de désengagement du PCF correspond au second aggiornamento du Parti, après la chute de l’Union soviétique, et concerne deux responsables de l’université populaire. Si ces deux personnes connaissent des trajectoires sociales et des carrières militantes qui diffèrent profondément, elles partagent néanmoins un rapport très intellectualisé avec le PCF. Leur adhésion au marxisme-léninisme était au fondement de leur engagement communiste et s’accompagnait d’une vision orthodoxe du fonctionnement du Parti. Leur attachement au Parti se délite avec la remise en cause du stalinisme et les multiples tentatives de refonte du PCF, à partir de 1994.

24 Pour l’un de ces deux acteurs [2], le désengagement correspond à une mise à distance progressive de la doctrine marxiste et à la conviction que le Parti n’est pas réformable. Élu local et homme d’appareil [3], il quitte ses responsabilités partisanes en 2003, mais conserve ses mandats de conseiller général et de conseiller municipal. Il s’engage ensuite dans des collectifs locaux où se rassemblent des militants politiques, syndicaux et associatifs. Tout en revendiquant son identité communiste, il en cherche une nouvelle définition qui serait à la fois plus diverse au niveau idéologique et plus libertaire au niveau de son organisation.

25

« Même si je ne suis plus au PCF, je me dis toujours communiste. Je suis plutôt sur une recherche : qu’est-ce que ça veut dire le communisme au xxi e siècle ? […] Je me dis communiste unitaire parce que je pense qu’on a besoin maintenant de prendre un grand shaker, de foutre un peu de marxistes, un peu d’écolos, des anarchistes… Je pense qu’il y a un côté libertaire qu’on a flingué, nous, les communistes. C’est un vrai problème dans notre rapport au pouvoir… la sujétion, le manque d’impertinence ». (Homme, 1963, cadre de la fonction publique)

26 Malgré la diversité des carrières militantes et des contextes de désengagement, plusieurs similitudes apparaissent dans les raisons de quitter le Parti communiste : la critique de l’institution et de l’autorité hiérarchique, les entraves à la délibération, l’impuissance des militants de la base face aux permanents, la volonté d’ouverture à d’autres groupes sociaux et tendances idéologiques. On voit ainsi poindre dans les entretiens biographiques une critique du modèle de l’engagement affilié légitimé par l’appareil partisan, qui s’articule à des expériences vécues au cœur du système d’action communiste. En d’autres termes, l’engagement multipositionné de ces militants communistes ne s’opposait pas à la formation d’un regard distancié sur les modalités de cet engagement. La critique ne porte d’ailleurs pas sur la dimension totale de l’engagement ni sur le dévouement à la cause communiste. Elle vise essentiellement le rapport hiérarchique entre le centre et la base au sein du Parti et l’impossibilité d’y débattre de certains choix stratégiques. Chez ces militants, la tension entre les convictions personnelles et la loyauté à l’égard du Parti fluctue en fonction des contextes, mais devient intenable à la suite de certains événements qui précipitent leur désengagement. Comme l’exprime cette militante, cette discordance pouvait être surmontée, un temps, par la volonté de transformer le Parti de « l’intérieur ».

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« Je m’étais déjà mise un peu en retrait depuis Prague, depuis 68… C’est pas pour rien que même au syndicat à la banque on m’appelait la gauchiste. Parce que vraiment, il y avait des choses qui ne passaient pas. Et la cellule locale à laquelle j’appartenais, on était aussi assez contestataires. Donc j’étais dans ce courant-là et j’avais un vieux camarade qui m’avait dit – c’était un peu mon père politique de la banque – il m’avait dit : “Si tu veux changer les choses, ça ne peut être fait que de l’intérieur”. J’avais 19 ans quand il m’avait dit ça et vraiment je m’étais dit : “Il faut qu’on puisse changer les choses de l’intérieur et qu’on nous fasse pas avaler des couleuvres”. Et en même temps, j’avais vraiment le cœur communiste. C’était pas vraiment une contradiction, c’était la volonté de dire : “Si on s’en va et qu’on laisse la place aux staliniens, eh bien le parti il va se déliter”. Il faut qu’on soit à l’intérieur et qu’on discute ». (Femme, 1943, cadre administratif d’entreprise)

Les raisons de l’engagement associatif

28 Outre l’existence d’un rapport distancié au modèle d’engagement légitimé par le Parti, ces trajectoires d’anciens membres du PCF mettent en lumière l’intrication des activités politiques, syndicales, professionnelles et associatives dans le militantisme communiste. Comme pour d’autres formes de désengagement militant (Fillieule, 2005), la fin de l’adhésion au Parti communiste n’est pas nécessairement un point de rupture dans les carrières militantes. Les trajectoires montrent en effet que la plupart de ces acteurs poursuivent leurs engagements dans les autres organisations communistes, particulièrement dans les mondes syndicaux et professionnels. En d’autres termes, la reconversion des engagements militants est facilitée par la diversité de l’écosystème communiste et la progressive autonomisation de ses éléments (parti, municipalités, syndicats, associations) à partir des années 1970-1980. Dans cette perspective, s’investir dans une association ancrée dans un territoire populaire et communiste n’équivaut pas tant à une rupture avec les anciens engagements partisans qu’à une continuation de ces carrières militantes. Cet aspect apparaît nettement dans notre échantillon en raison d’une surreprésentation des personnes nées dans les années 1930-1940 (11 cas sur 13) pour qui le fait de rejoindre l’université populaire est concomitant de la sortie – effective ou imminente – du monde du travail. C’est à l’occasion de cette reconfiguration des temps et des engagements que l’espace associatif devient central dans ces carrières militantes. La diversité de l’offre associative, ici l’action socioculturelle par l’éducation populaire, permet également d’assouvir des désirs réprimés durant la vie professionnelle, comme l’apprentissage de nouvelles connaissances.

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« J’étais en retraite en 2004. Quand je travaillais, je travaillais en usine, je faisais équipe. Donc pour des raisons d’équipe, des raisons de temps, je n’ai jamais pu... J’ai pas suivi beaucoup d’études, mais j’ai toujours eu dans ma tête que s’il y avait une opportunité pour acquérir un certain nombre de connaissances, ça m’aurait bien intéressé. À partir du moment où on ne travaille plus, ça donne beaucoup plus de temps. Et j’ai su par hasard qu’il y avait une université populaire qui se créait et j’ai commencé à aller aux cours ». (Homme, 1942, ouvrier non qualifié de type industriel)

30 Pour l’ensemble des militants de l’université populaire, qu’ils aient adhéré ou non au PCF, la forme associative n’est toutefois pas anodine et indifférenciée à l’égard notamment de la forme partisane. L’engagement associatif est mis en relation avec un mode de fonctionnement autonome, délibératif et non sectaire. Il requiert alors un ajustement et une adaptation des dispositions militantes forgées essentiellement dans l’univers communiste à travers un autre type d’engagement. Le président de l’association, présent dès la fondation, insiste ainsi sur une transmission des savoirs indépendante de toute ligne politique officielle. Ce professeur de philosophie conçoit l’université populaire par opposition à l’université nouvelle [4] dont il était l’un des initiateurs durant les années 1970.

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« Le projet qui s’est très vite dégagé, c’est un souci d’éducation populaire, un souci de développer l’esprit critique des participants sans ligne idéologique. Je dis ça parce que j’ai eu l’expérience de l’université nouvelle, qui était une association très liée au Parti communiste et qui avait comme objectif de diffuser le marxisme, voire le marxisme-léninisme, donc avec une ligne d’intervention philosophico-idéologico-politique affichée ! L’esprit de l’université populaire se veut à distance de ça. En tout cas, moi j’ai toujours tenu à ce qu’il n’y ait pas de philosophie officielle, qu’il n’y ait pas de ligne politique ou théorique officielle de l’université populaire ». (Homme, 1948, professeur-profession scientifique)

32 Dans le discours de l’élu local, dont la carrière militante est marquée par l’engagement local et national au sein de l’appareil partisan, on voit poindre l’idée d’un renversement du rapport entre les individus et les structures, dans la perspective d’un changement social. Il considère la diffusion des savoirs critiques comme un moyen nécessaire à la transformation de la société par les citoyens, ceux-ci représentant à ses yeux les nouveaux sujets de l’histoire. À rebours de la perspective élitiste d’une avant-garde éclairée guidant la révolution prolétarienne à laquelle il a longtemps adhéré, il considère aujourd’hui l’université populaire et les autres associations ou mouvements sociaux comme le moyen privilégié permettant aux citoyens de se former, de participer à la vie publique et de changer la société par le bas.

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« L’université populaire, je l’ai créée quand j’ai quitté mes responsabilités [au PCF]. Parce que ma réflexion c’était : pour [vaincre] cette misère de la pensée en France, il faut armer les citoyens. Enfin je crois que c’est les citoyens, l’avenir c’est chez eux que ça repose. Donc c’est ça qui m’a amené à créer l’université populaire, autrement dit il faut aider à ce que des gens rencontrent le monde des idées, se musclent le cerveau pour pouvoir agir comme citoyen ». (Homme, 1963, cadre de la fonction publique)

34 La plus jeune militante explicite encore davantage les attentes à l’égard du monde associatif lorsqu’elle met en balance son engagement à l’université populaire avec une expérience préalable dans une association anti-FN – qu’elle a quitté précocement en raison de son rattachement au Parti socialiste. Cette militante décrit un sentiment d’accomplissement de sa volonté d’engagement, grâce à la pratique de la délibération et à l’indépendance de l’association à l’égard d’une autorité supérieure comme un parti ou une personnalité politique.

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« L’université populaire, ça correspond au type d’engagement que je veux, qui m’intéresse et qui me semble avoir un sens réel. Finalement, l’engagement dans un parti politique me déplaît. Là, j’ai l’impression d’agir de manière politique en fait, mais peut-être plus efficacement. Je me trompe peut-être, mais en tout cas j’ai l’impression qu’au moins on peut donner une certaine orientation. C’est quelque chose qu’on fait à plusieurs, ce n’est pas une ligne d’un parti ou d’une faction d’un parti. Ce côté, on suit un homme, c’est pas ce qui me plaît ». (Femme, 1978, professeur-profession scientifique)

36 Tandis que l’étude des carrières militantes des anciens adhérents du PCF illustrait une distanciation progressive à l’égard du modèle d’engagement affilié, l’analyse de leurs représentations de l’université populaire et des associations en général montre une certaine proximité avec le modèle d’engagement affranchi. La critique de la hiérarchie, de la centralisation et de la délégation dans le Parti communiste s’articule à la valorisation de l’autonomie, de la participation directe et de la délibération au sein de l’université populaire. Mais avant de conclure à une transformation effective des formes d’engagement du modèle affilié vers le modèle affranchi, il est nécessaire d’étudier les interactions dans le contexte associatif et, particulièrement, le rapport entre la base et le sommet.

Rapport entre la base et le sommet dans le contexte associatif

Genèse et activité de l’université populaire

37 L’université populaire est créée en 2003 avec le projet de transmettre des savoirs auprès de ceux n’ayant pas ou plus accès aux institutions scolaires et universitaires. Son objectif est de contribuer à la formation d’un esprit critique considéré comme essentiel à l’exercice de la citoyenneté. L’élu local, ancien cadre du PCF, est à l’origine de cette association. Il publie d’abord une tribune dans la presse locale invitant toutes les personnes intéressées à participer à la fondation d’une université populaire sur le territoire, puis rédige dans ce même journal des comptes rendus de réunion en renouvelant l’appel à participation. Un groupe relativement hétérogène se constitue au cours de ces réunions, qui se compose d’une vingtaine de militants actifs dans les sphères associatives, syndicales, partisanes et/ou municipales. L’ancrage associatif de l’université populaire et son indépendance à l’égard des partis politiques sont clairement revendiqués lors de sa fondation, notamment par l’élu local qui prend soin de préciser dans un article de presse que « l’université populaire est un lieu de diffusion de savoirs et de pensées critiques, pas une nouvelle organisation politique [5] ».

38 L’université populaire organise tout au long de l’année des conférences et des cycles de cours. Gratuites et mensuelles, les conférences permettent de recevoir des intervenants prestigieux dans un haut lieu de la vie culturelle locale et d’attirer un public nombreux. Ces conférences sont importantes pour le rayonnement de l’association, mais l’activité principale réside dans les cycles de cours dont le suivi nécessite l’adhésion à l’association (10 euros). Au fil des ans, l’association parvient à susciter l’adhésion de près de 200 membres. La présence de personnalités artistiques et universitaires parmi les fondateurs lui permet d’acquérir rapidement une légitimité auprès des financeurs publics et de mobiliser des réseaux de relations pour attirer des intervenants de différentes disciplines (philosophie, littérature, sciences de l’homme, sciences de la vie et sciences de la matière).

39 Dès les premiers temps, les cours et les conférences trouvent un public régulier. L’association densifie sa programmation, étend son activité à différentes communes du département et intervient également dans deux grandes entreprises industrielles et une maison d’arrêt. Son budget suit ce développement grâce à des subventions municipales, départementales et régionales. Ces financements permettent notamment de rétribuer les intervenants et de recruter un salarié pour le travail administratif. Le fonctionnement de l’association repose toutefois sur l’engagement bénévole de ses membres. Le bénévolat concerne, d’une part, les responsables des instances de direction qui mobilisent en moyenne 10 membres pour les réunions de bureau, 20 membres pour les conseils d’administration et 40 à 80 membres lors des assemblées générales. Il s’avère, d’autre part, essentiel aux activités plus quotidiennes liées à la planification et à l’organisation des cours et des conférences. Ces acteurs associatifs ont ainsi créé une commission chargée de la programmation qui réunit 8 à 10 bénévoles et une commission chargée de la communication à laquelle participent 4 à 6 membres.

Pluralité des types d’engagement dans l’association

40 Le développement de l’activité de l’université populaire et l’importance du bénévolat dans son fonctionnement ont contribué à susciter l’engagement d’adhérents et à renouveler le groupe des dirigeants. Parmi les vingt membres élus au conseil d’administration en 2010, il ne reste plus que cinq membres fondateurs. Plusieurs personnes ayant adhéré à l’association pour en suivre les cours se sont progressivement impliquées dans son fonctionnement et ont pris des responsabilités au niveau de l’organisation. Ces militants prennent en charge des tâches à la fois simples et essentielles comme ouvrir et fermer les salles, accueillir les intervenants, enregistrer les adhésions et collecter les cotisations. Issu de la base des adhérents, ce petit groupe acquiert une importance grandissante et dessine les contours d’un nouveau rôle dans l’association : celui de référent. Un « étudiant [6] » est nommé référent pour chacun des 25 cours annuels afin de réaliser les tâches liées au bon déroulement des enseignements. De fait, les sept à huit étudiants tenant ce rôle cumulent la responsabilité de plusieurs cours. Le « référent principal », qui est à l’origine de la formalisation de ce rôle [7], cherche à élargir le groupe afin de répartir les responsabilités et d’assurer une présence lors de chaque rencontre.

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« À l’origine y’avait deux personnes qui faisaient un peu les référents et je me suis aperçu qu’ils venaient plutôt par obligation, alors je me suis proposé. Et puis ils ont arrêté et mes responsabilités se sont élargies… je me suis renforcé parce qu’à force on connaît les gens et on sait ceux qui sont intéressés ou pas. Maintenant y’a un petit noyau qui existe, mais il faut encore l’élargir à d’autres personnes ». (Homme, 1942, ouvrier non qualifié de type industriel)

42 De manière plus générale, les référents jouent un rôle de médiation entre la base des adhérents et la direction de l’association. D’une part, ils transmettent certaines informations aux étudiants sur les prochaines conférences, les autres cycles de cours et les assemblées générales. D’autre part, ils soumettent à ces mêmes étudiants un questionnaire sur la forme, le contenu et l’organisation des enseignements. Une synthèse de ces questionnaires est effectuée par le « référent principal » qui permet de faire remonter des avis et demandes de la part des adhérents lors des différentes réunions de direction. Depuis 2008, l’engagement de ces acteurs au niveau de la base est en effet complété par une participation au conseil d’administration, au bureau, à la commission programmation et à la commission communication. Dans chacune de ces instances, les étudiants-référents représentent la moitié des membres. Par leur participation régulière aux instances de direction et leur assiduité aux différents cours, ils constituent progressivement un groupe en soi qui se distingue, à la fois, de l’ensemble des étudiants, et des autres dirigeants de l’association. Ils sont reconnus – et se reconnaissent eux-mêmes – comme le « noyau dur » de la base des adhérents. Grâce à la régularité de leurs rencontres et au partage des responsabilités, ils établissent des routines collectives qui stabilisent les relations et consolident le collectif. Signe de la constitution d’une identité de groupe, ils se dénomment entre eux le « groupe des acharnés » ou encore « le groupe des enragés » en référence à leur désir de suivre un maximum de cours et à leur volonté d’en rendre le déroulement optimal. L’homogénéité des origines sociales (classes populaires) et de l’âge (naissance entre 1938 et 1948) facilite aussi le regroupement. Des liens sociaux de type communautaire se tissent entre ces acteurs qui prennent plaisir à partager des moments de convivialité en plus des moments passés dans l’association. Des amitiés naissent et une union conjugale voit même le jour entre deux membres du groupe.

43 Les autres dirigeants de l’université populaire ont participé à la fondation de l’association ou l’ont rejointe dès les premiers temps. Contrairement au groupe des référents, ils donnent des cours et président les différentes réunions de direction. Bien qu’issus de milieux populaires, ils sont familiers du monde des sciences et de la culture grâce à leur formation et à leur profession. Ces dirigeants ne partagent pas de moment de convivialité en dehors des réunions de travail de l’association et ils nouent davantage, entre eux et avec le groupe des référents, des liens sociaux de type sociétaire. Au sein de la commission programmation, dont l’enjeu est de choisir les personnalités invitées, les interactions entre ces dirigeants deviennent même conflictuelles en raison d’une lutte symbolique pour l’appropriation individuelle du travail collectif. Comme le décrit la responsable de la commission, ces réunions exacerbent les rivalités entre certains militants qui mettent en jeu des intérêts personnels dans les prises de décision de l’association.

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« Il y a des personnalités assez fortes dans la commission programmation… c’est pas facile, ça, c’est vraiment pas facile à gérer. Et il y a certaines réunions où je suis sortie en me disant : “Où est-ce que j’ai mis les pieds ?” […] C’est quelque chose d’assez sourd, c’est ça qui me déplaît… parce que finalement quand on discute, on met les choses sur la table. Mais là, c’est plus une rivalité en fait. Parce qu’il y a un enjeu dans la commission programmation… C’est-à-dire que… on peut vivre la commission programmation comme une manière de se mettre en avant, de dire justement : “c’est ma programmation, la programmation de l’université populaire ça fonctionne parce que c’est moi qui ai trouvé les bons intervenants. C’est moi qui ai le meilleur carnet d’adresses”. Et il y a ça qui joue vraiment. […] Dans toute association, il y a ce type de problèmes qui entre en compte, il y a une question de reconnaissance qui se joue. Nous, c’est au niveau de la commission programmation que ça se joue le plus ». (Femme, 1978, professeur-profession scientifique)

45 De manière diamétralement opposée, le groupe des référents montre les signes d’un engagement total dans leur relation à l’organisation. Le fort attachement qui les lie à l’université populaire trouve sa source dans l’effet généré par l’accès aux savoirs théoriques. Contrairement aux autres dirigeants dont le rapport à l’association est plus distancié, ces acteurs n’ont pas eu accès à l’enseignement supérieur au cours de leur formation initiale. C’est par la formation professionnelle et les concours de la fonction publique que la plupart sont parvenus à réaliser une mobilité sociale ascendante. Au regard des autres militants, les référents tirent de cet engagement associatif des gratifications plus importantes en termes d’accès aux connaissances qui expliquent, en partie, l’intensité de leur engagement dans cette organisation. Comme le relate cette responsable de l’association, titulaire d’un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) de comptabilité et devenue analyste au sein de la banque de l’Union soviétique à Paris, ces rétributions du militantisme (Gaxie, 1977 ; Sawicki et Siméant, 2009) n’étaient pas forcément anticipées. La rencontre avec la philosophie est décrite comme une « révélation » qui l’incite à suivre de plus en plus de cours et à s’engager plus activement dans l’association.

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« Au début, je n’étais pas sûre d’aller aux cours. Et puis j’y suis allée et j’ai mordu tout de suite. Je découvrais des choses, la philosophie par exemple. Puis il y avait d’autres thèmes sur l’histoire du mouvement ouvrier, ou sur des trucs plus ludiques comme la chanson dans le mouvement ouvrier, ça, c’était plus dans mes cordes, plus proche de moi. Mais alors la philosophie, ça j’ai vraiment accroché ! À partir de là, j’ai suivi beaucoup de cours, ça a été pour moi une révélation ». (Femme, 1943, cadre administratif d’entreprise)

47 Leur attachement à l’organisation se manifeste encore par des actions collectives qui visent à défendre les intérêts de l’université populaire. Ces acteurs font par exemple appel à la solidarité du groupe lorsqu’un cours ne suscite guère d’intérêt chez l’ensemble des étudiants et qu’un intervenant risque de se retrouver face à une salle vide. Leur adhésion à l’association est si intensément incorporée qu’ils entrent également en conflit avec les autres dirigeants au sujet du travail du coordinateur [8]. En interaction quotidienne avec ce dernier, les référents lui reprochent un certain nombre d’erreurs et de manquements qui, selon eux, affectent la crédibilité de l’université populaire et entravent son fonctionnement. La défense des intérêts de l’association entre alors en opposition avec les systèmes de représentation de ces acteurs, particulièrement chez les deux principaux référents qui, en tant que militants syndicaux, rechignent à envisager son licenciement [9]. La tension entre les convictions personnelles et les intérêts du groupe génère une intériorisation du conflit qui est source de souffrance.

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« On se trouve dans la position d’anciens syndicalistes… de syndicalistes et on a envie de virer un mec ! C’est quand même pas facile. Et, puis, envie… oui, envie… bon, on préfèrerait pas le faire, je sais même pas si on pourrait le faire, mais il nous pose de gros problèmes. […] Roger [10] lui il dit : “Je participerai pas, si on doit le virer, je veux pas, je participerai pas”. Moi je pense qu’il faut tout faire pour ne pas le licencier, mais à un moment s’il met l’université populaire en péril… Roger, il en souffre vachement, il prend peut-être ça plus à cœur que les autres ». (Homme, 1940, ouvrier qualifié de type industriel).

49 Ce conflit interne à l’association n’altère pas totalement les relations entre les référents et les autres responsables de l’université populaire, mais il met en lumière la profonde division qui existe entre ces militants. Cette division résulte d’un rapport différencié aux savoirs théoriques que l’on peut analyser à partir de deux figures idéal-typiques : les savants et les profanes. Les rôles associatifs varient fortement entre ces deux types d’acteurs et manifestent l’existence d’une hiérarchie implicite. Si la quasi-totalité des dirigeants est issue des classes populaires, les « savants » ont acquis au cours de leurs trajectoires une maîtrise des savoirs légitimes. Ils sont professeurs agrégés, universitaires ou ont exercé des responsabilités dans des institutions culturelles et politiques. Ils donnent des cours au sein de l’université populaire, animent des rencontres avec des auteurs invités et/ou occupent les principales responsabilités associatives comme la présidence, le secrétariat et la direction des commissions programmation et communication. Les « profanes » sont les étudiants-référents dont on a vu qu’ils n’avaient pas eu accès à l’enseignement supérieur durant leurs parcours. Ils assistent à de nombreux cours et se situent dans la réception des connaissances. C’est en tant que représentant de la base qu’ils tirent leur légitimité à débattre dans les instances de direction. Cette asymétrie face aux savoirs légitimes engendre une division et une hiérarchisation du travail associatif entre les « savants », qui gèrent notamment les relations avec les institutions partenaires et les universitaires invités, et les « profanes » qui interagissent avec le public lors des cours ou à travers la distribution de tracts.

Inégalités culturelles et hiérarchisation du travail associatif

50 Bien que l’ensemble des responsables de l’université populaire partagent l’idéal d’une action collective autonome et délibérative, la division du travail engendrée par le rapport différencié aux savoirs légitimes tend à réduire les possibilités de participation des militants de type « profanes ». Le cas limite du référent principal, titulaire d’un certificat d’études primaires et ouvrier non qualifié de type industriel, illustre la manière dont s’incarne le rapport de domination lié au savoir. Dans son récit, il exprime le sentiment d’infériorité qui le conduit à s’autocensurer durant les cours et le malaise qu’il ressent dans les situations de promiscuité avec ceux qu’il nomme les intellectuels.

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« Personnellement, j’ai un peu un complexe d’infériorité. C’est-à-dire que je n’ai pas suivi d’études, je ne connais pas trop… Poser une question, on a toujours l’impression que ça va être une connerie. […] Parler à un intellectuel qui vient de nous faire une dissertation, qui vient de parler de choses que j’ai pas très bien comprises, déjà je sais même pas la question que je vais pouvoir lui poser ! Il y en a qui se sentent à l’aise, moi je ne suis pas à l’aise. Même quelques fois, j’évite de prendre le métro avec les profs, je ne me sens pas à l’aise. Même quelqu’un qui a bien parlé pendant le cours, j’évite… parce que je ne me sens pas bien. Les profs sont tout à fait sympas, ils n’arrivent pas en disant : “Moi, j’ai la connaissance et vous êtes tous des imbéciles !” Non, pas du tout. C’est tout à fait convivial, mais nous on a notre vécu, notre passé. Et notre rapport à lui, il ne s’en rend pas compte, mais c’est ça ». (Homme, 1942, ouvrier non qualifié de type industriel).

52 Le rapport différencié aux savoirs légitimes entre les dirigeants « savants » et les dirigeants « profanes » a des répercussions sur le fonctionnement de l’association et sur les prises de décision. Au sein de la commission programmation, les réunions sont préparées et animées par les deux professeurs agrégés de philosophie. Comme l’exprime la responsable de cette commission, les référents participent aux débats grâce au questionnaire et à leur propre expérience d’étudiants, mais l’élaboration de la programmation repose essentielle­ment sur ceux qui appartiennent au monde savant et qui connaissent les professeurs susceptibles d’intervenir. D’autant que, comme on l’a vu précédemment, il existe des enjeux personnels forts pour les dirigeants « savants » dans le choix des invités.

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« C’est surtout les intervenants qui font des propositions de cours. Il y a des demandes qui sont exprimées par les étudiants […] présents à la commission programmation. Mais quand même, ils n’ont pas la même fonction dans la commission programmation. Ce n’est pas situé, on ne dit pas : “Toi tu es juste l’étudiant”. Mais de fait, c’est ceux qui ont des contacts qui orientent la programmation nécessairement, et puis qui ont des idées, etc. ». (Femme, 1978, professeur-profession scientifique)

54 L’observation des interactions lors des assemblées générales, des conseils d’administration et des réunions de bureau confirme les limites de la participation des « profanes » et la mainmise des « savants » sur la conduite des débats. Ces derniers ont d’ailleurs bien conscience des conséquences de cette inégalité culturelle, sans toutefois que cela ne suscite un débat interne au groupement. L’élu local, qui anime les réunions de l’association en tant que secrétaire, considère ainsi que l’exercice de la démocratie dans les mouvements sociaux, les dispositifs participatifs ou les associations est un problème générale­ment occulté. Son expérience l’amène à se distancier des discours normatifs sur la pratique délibérative et l’horizontalité des relations pour formuler une critique de l’accaparement de ces espaces par quelques militants — au sein desquels il s’inclut — qui maîtrisent la parole et orientent les décisions collectives.

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« Il y a un vrai problème démocratique dans tous les mouvements de forum social, la démocratie participative... Même le petit truc politique que je fais en marge des grands partis, il faut avoir l’honnêteté de se dire que ce sont des grands lieux de magouilles où c’est toujours les mêmes qui décident. Des fois j’ai la chance de faire partie des cinq ou six qui décident du mouvement “historique” que cinq cents personnes vont voter, mais c’est pas des grands lieux de démocratie et de grande clarté. Ça reste hiérarchique, ça reste le jeu de la parole, de la facilité oratoire ». (Homme, 1963, cadre de la fonction publique)

56 Cette division et hiérarchisation du travail associatif n’échappent pas non plus aux dirigeants « profanes ». Dans son récit, une référente décrit la concentration du pouvoir de décision chez les détenteurs du savoir et la tendance à l’admiration chez les simples adhérents. Pour expliquer la continuité de l’action collective malgré ces limites à la participation et à la délibération, elle évoque la permanence d’un éthos militant forgé dans l’expérience communiste. Elle constate une analogie entre l’ancienne fidélité au Parti et l’actuelle loyauté aux dirigeants « savants ».

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« L’ancienne fidélité communiste, ça reste très présent. Il y a des restes de la culture communiste, moi-même certaines fois je dois m’en défendre. Et il y a toujours la tendance à l’admiration d’un personnage qui sait. Le savoir, surtout par rapport à ceux qui ne savent pas, c’est un pouvoir. […] Il n’y a aucune orientation décisive de l’université populaire qui se prend sur une proposition d’un adhérent de l’université populaire. À la limite, les adhérents ne seraient pas là, ça pourrait fonctionner comme ça fonctionne ». (Femme, 1948, cadre de la fonction publique)

58 L’analyse des interactions au sein de l’université populaire laisse donc apparaître une coexistence de liens sociaux communautaires et sociétaires, ainsi que des relations verticales entre les « profanes » qui agissent auprès de la base et les « savants » qui concentrent le pouvoir de décision. Ces derniers partagent pourtant les mêmes aspirations à la participation et à la délibération, mais, en laissant cette inégalité culturelle dans l’ombre des débats, ils se rendent impuissants à contrecarrer le processus de hiérarchisation de l’organisation par la maîtrise des savoirs légitimes. Les schèmes du modèle de l’engagement affranchi, pourtant bien présents dans les représentations collectives, restent alors assez éloignés des conduites observables dans cette association, particulièrement en ce qui concerne la participation des militants de base aux processus de délibération.

Conclusion

59 Cette étude de cas permet de revenir sur plusieurs points de la controverse concernant la transformation des engagements. En premier lieu, sans rejeter la thèse défendue par J. Ion, l’analyse nuance la portée de la dichotomie engagements passés versus engagements présents et souligne l’hétérogénéité des formes et pratiques militantes à différentes époques. L’adhésion de « vieux » militants, majoritairement syndicalistes et communistes, aux principes du modèle affranchi s’oppose ainsi à la lecture générationnelle d’une mutation de l’engagement portée par de « nouveaux » militants. Les carrières militantes des responsables de l’université populaire montrent un entremêlement des sphères partisanes, syndicales et associatives. Les principales inflexions de ces carrières militantes, notamment le désengagement du PCF, se comprennent à partir de choix individuels, des contextes socio-historiques et des trajectoires de mobilité sociale qui modifient les dispositions à l’action collective et facilitent la reconversion des savoirs et savoir-faire militants dans différents espaces. Malgré les diverses bifurcations, ces itinéraires mettent davantage en lumière une continuité qu’une rupture des engagements, particulièrement au sein d’un monde communiste fragmenté. Le militantisme associatif ne vient pas supplanter le militantisme politique ou syndical, il le prolonge sous une autre forme et dans un autre contexte.

60 L’analyse des représentations et des interactions au sein de l’université populaire illustre d’autre part la complexité des rapports entre les normes et les modes d’engagement. Les expériences de désengagement montrent d’abord comment des acteurs multipositionnés dans le système communiste parviennent à formuler une critique sur les modalités de l’engagement, notamment sur le rapport autoritaire entre le centre et la base. Autrement dit, la mise en œuvre d’un militantisme de type affilié légitimé par l’appareil partisan pouvait s’accompagner d’une prise de distance à l’égard de ce même modèle d’engagement. L’expérience associative de ces acteurs montre à l’inverse comment l’adhésion collective au modèle de l’engagement affranchi, avec ses principes cardinaux de participation et de délibération, s’articule à des pratiques militantes entravées par une hiérarchisation des rôles entre les « savants » et les « profanes » qui limite le partage des responsabilités. Ces résultats valident la pertinence des modèles d’engagement affilié et affranchi pour distinguer les différentes formes de militantisme, mais ils mettent en garde contre une assimilation abusive des représentations et des pratiques. Les résultats de notre étude de cas nuancent également l’opposition temporelle entre ces deux modèles. Au sein de l’association étudiée, on observe en effet des engagements affiliés dans le groupe des référents et des engagements affranchis chez les autres responsables. Cette coexistence de différents types d’engagement se manifeste par un tissage de liens sociaux à la fois communautaires et sociétaires, ainsi que par des formes d’attachement à l’organisation très contrastées.

61 L’ensemble de ces analyses nous conduit à proposer une grille de lecture des transformations du militantisme qui, sans vouloir mettre fin à la controverse, vise à intégrer différentes perspectives. Notre point de départ est de s’appuyer sur les vertus heuristiques de la modélisation proposée par J. Ion. Il convient pour cela de bien considérer les engagements affiliés et affranchis comme des modèles ou des idéaux types qui rendent compte d’un certain agencement de pratiques, de valeurs et de relations. Proches des discours indigènes, ces modèles constituent une base d’analyse féconde à partir de laquelle diverses recherches peuvent approfondir, nuancer, complexifier les changements qui s’opèrent dans le champ militant. Toutefois, l’indexation de chaque modèle à une période donnée, comme le fait J. Ion, radicalise l’opposition entre les différents types d’engagements et engendre le risque d’une réflexion évolutionniste. Il est plus raisonnable d’envisager une coexistence temporelle de ces deux modèles d’engagement, avec des périodes de domination relative de l’un, puis de l’autre, dans le champ du militantisme. Ainsi, le modèle d’engagement affilié était relativement dominant dans les représentations du militantisme du début du xx e siècle jusqu’aux années 1970, moment où s’amorce la domination du modèle d’engagement affranchi. Rien n’interdit de penser que ce rapport pourrait à nouveau s’inverser, comme cela s’est observé récemment en Argentine avec la réactivation de la tradition nationale-populaire (Svampa, 2011).

62 La prise en compte de la coexistence de plusieurs types d’engagements s’accompagne d’une attention à la pluralité des pratiques militantes. Cette diversité tend à être occultée par le travail normatif des institutions partisanes, syndicales et associatives qui établissent et diffusent les définitions du militantisme légitime. Les prescriptions institutionnelles sur les « bonnes manières » de militer ont une influence indéniable, mais limitée sur les actions individuelles et collectives dans les organisations. L’analyse des engagements concrets, au plus près des conduites des acteurs et à distance des discours officiels, met en lumière l’hétérogénéité des formes d’engagement à toute époque donnée. Enfin, la perspective d’une coexistence de différents modèles d’engagement et d’une pluralité des expériences s’oppose à l’idée d’un clivage générationnel et plaide pour une analyse des carrières militantes articulée aux trajectoires sociales et aux contextes d’action. Ce point de vue incite notamment à considérer avec prudence le caractère nouveau des engagements associatifs. Si les associations ont gagné en visibilité et en légitimité au cours des dernières décennies, les acteurs qui les animent ne sont pas nécessairement de nouveaux militants. Leurs carrières mettent en lumière les logiques individuelles de l’engagement, les représentations dominantes dans le champ militant et les rapports entre les différents espaces d’engagement qui conditionnent les aspirations à l’action collective et les formes possibles de leur réalisation. Cette grille de lecture engage alors la recherche vers une analyse diachronique de la pluralité des modèles d’engagement et des pratiques militantes. Le rapport différencié des groupes sociaux aux modèles dominants et aux formes légitimes du militantisme ouvre notamment des pistes de compréhension des mécanismes sélectifs de la participation politique et, plus particulièrement, des conditions socio-historiques de représentation des groupes subalternes.

Notes

  • [1]
    Sexe, année de naissance, profession et catégorie sociale de l’enquêté(e).
  • [2]
    L’autre personne, née en 1938, est la fille du maire emblématique de la ville étudiée. Attirée par la théorie marxiste, elle se consacre à des études d’histoire (maîtrise, agrégation, doctorat) et milite essentiellement au niveau syndical dans l’enseignement. Ne se reconnaissant pas dans le parti de la « mutation », elle cesse d’y adhérer.
  • [3]
    Né en 1963, il est élu maire-adjoint (1989-1995), conseiller municipal (1995-2014) et conseiller général (2001-2015). Il dirige la section locale de 1992 à 1998, occupe le poste de premier secrétaire de la Fédération départementale de 1998 à 2003 et siège au Conseil national du PCF de 2000 à 2003.
  • [4]
    Émanation du PCF, l’université nouvelle formait les militants communistes à la théorie marxiste.
  • [5]
    Citation tirée du n° 2514 de l’hebdomadaire La voix populaire.
  • [6]
    Au sein de l’association, les personnes qui assistent aux cours sont nommées « les étudiants ».
  • [7]
    Le militant le plus investi dans ce groupe a notamment rédigé un document intitulé « le rôle de référent ».
  • [8]
    Employé à temps plein, le coordinateur tient une permanence à l’association, réserve les salles de cours et envoie une feuille d’informations hebdomadaire à l’ensemble des adhérents.
  • [9]
    Pour une analyse approfondie de ce conflit, voir Trenta, 2011.
  • [10]
    Le nom a été modifié. L’enquêté cite ici des propos du référent principal.
Français

Cet article s’inscrit dans les débats sur les transformations du militantisme, il discute la séparation historique des deux grands modèles de militantisme définis par Jacques Ion. L’objectif de l’article est de mettre en lumière la pluralité des pratiques militantes qui coexistent à différentes époques et les rapports plus ou moins distants que les acteurs entretiennent avec les modèles d’engagement. L’analyse repose sur une enquête approfondie dans une association locale dirigée par d’anciens militants du Parti communiste français. En mêlant les récits biographiques à l’observation des interactions, elle cible les points de tension entre, d’une part, les définitions du militantisme légitime dans des contextes donnés et, d’autre part, les formes concrètes d’action et de relation dans les organisations militantes. À partir de ces résultats, nous proposons une grille d’analyse diachronique sensible à la pluralité des modèles d’engagement et des pratiques militantes.

Mots-clés

  • Modèles d’engagement 
  • Pratiques militantes 
  • Association 
  • Communisme 
  • Classes populaires

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Arnaud Trenta
est sociologue, post-doctorant au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (CNAM-CNRS). Il étudie le rapport à la politique, au travail et à la protection sociale des classes populaires à partir d’une approche comparative, ethnographique et multiscalaire. Il a récemment publié : « Organizaciones populares y políticas sociales en Argentina (2003-2011) », Caderno CRH, n° 81, 2017 ; « Les pratiques associatives dans les banlieues de Paris et Buenos Aires. La comparaison de cas contrastés », Espaces et Sociétés, n° 163, 2015, p. 41-55 ; « La citoyenneté ordinaire dans les quartiers de Buenos Aires », avec Leandro Lopez, Revue Tiers Monde, n° 216, 2014, p. 179-196.

Laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique (CNAM/CNRS)
arnaudtrenta@hotmail.com
Mis en ligne sur Cairn.info le 03/05/2018
https://doi.org/10.3917/anso.181.0247
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