1 Les politiques de résorption [2] des bidonvilles [3] mises en œuvre depuis les années 1960 partout dans le monde ne sont pas venues à bout de ces quartiers d’habitats informels qui persistent dans les grandes villes globales au Nord comme au Sud. Le nombre de squatteurs résidant en bidonvilles a même augmenté à l’échelle mondiale de 10 % par an entre 2000 et 2010 alors que des politiques de résorption ont contribué à reloger ou à normaliser la situation de plus de 227 millions de personnes selon l’Organisation des Nations unies (UN Habitat, 2011). Les pays européens ne font pas exception et ils découvrent régulièrement des bidonvilles aux portes de leurs métropoles (Agostini et al., 2016). Dans la région de Madrid, qui constitue ici notre cas d’étude, plus de 10 000 personnes résident encore dans une dizaine de bidonvilles (IRIS, 2015) dont l’un, la Cañada Real Galiana, est souvent considéré comme le plus grand bidonville d’Europe, alors même que des politiques de résorption ont été mises en œuvre dès la fin des années 1960 par le régime franquiste. Comment expliquer la persistance de ce phénomène ? Les politiques publiques en question sont-elles inefficaces ? Leur mise en œuvre fait-elle défaut ? Sont-elles inadaptées ? Les populations ciblées résistent-elles à des politiques qu’elles ne jugent pas légitimes ?
2 Cet article montre que la persistance des bidonvilles n’est pas le résultat d’une faillite des politiques publiques, comme l’envisage une partie de la littérature sur les slums (Neuwirth, 2004 ; Davis, 2006), mais provient davantage de la combinaison de stratégies d’acteurs interdépendants, agissant à plusieurs niveaux de gouvernement et recourant à diverses procédures. L’article démontre que toute politique de résorption des bidonvilles produit de l’expulsion assurant ainsi leur persistance. Les politiques de résorption permettent de reloger des milliers de ménages mais, d’une part les agendas sont partiels et laissent une grande partie des bidonvilles hors du spectre d’intervention, et d’autre part, les dispositifs mobilisés sont sélectifs. Ces trois activités (relogement, mise en attente et expulsion) sont indissociables et, bien que prenant différentes formes (évacuation policière, éviction par les dispositifs de relogement, inaction), l’expulsion n’en constitue pas moins le pilier central à partir duquel s’organise le traitement des bidonvilles.
3 On retrouve dans la littérature sur les bidonvilles, et plus généralement sur les marges urbaines, quatre types d’arguments dont nous pointons ici les limites mais qui servent de base pour la formulation des hypothèses.
4 (1) Pour les géographes spécialistes des bidonvilles, ce n’est ni une nouveauté ni une surprise : les bidonvilles sont l’objet d’expulsions plus ou moins violentes, plus ou moins massives, plus ou moins régulières, dans les pays du Sud (Leckie, 1994 ; Everrett, 2001 ; Dupont, 2010) mais aussi du Nord (Vitale, 2009 ; Cousin et Legros, 2014). Plusieurs types de causes sont mises en avant : projets de développement urbain, grands événements, conflits armés, déplacements de migrants ou de réfugiés, invasions de terres (Olds et al., 2002). Parce qu’ils sont évacués régulièrement de leur habitat sans solution de relogement, les habitants des bidonvilles doivent se reloger par leurs propres moyens, rejoignent ou reconstituent des bidonvilles, plus éloignés, plus précaires avant d’être de nouveau expulsés (Berner, 2000 ; Menon-Sen et Bhan, 2008 ; Dupont et Vaquier, 2013 ; Legros et Vitale, 2011). Mais la régularité de ces expulsions et le flou qui règne autour de leur mise en œuvre limitent bien souvent la teneur empirique des recherches qui peinent à retracer à la fois les processus qui mènent aux expulsions et les trajectoires des habitants qui les subissent.
5 (2) Ensuite, la plupart des travaux internationaux sur les politiques des bidonvilles font le constat suivant : lorsque des politiques de résorption sont envisagées par les acteurs publics, les dispositifs de relogement sont systématiquement sélectifs et s’accompagnent toujours de l’expulsion d’une grande partie des habitants non relogés vers d’autres bidonvilles (Berner, 2000 ; Clerc, 2005 ; Bhan, 2009 ; Dupont, 2010 ; Bhan et Shivanand, 2013). Néanmoins, ces travaux ne font bien souvent que décrire les conséquences de politiques sélectives et répressives sans expliquer les processus causaux de cette forme de gouvernement différentiel des illégalismes [4], qui oscille entre tolérance, répression et normalisation et qui se joue entre des acteurs de différents niveaux de gouvernement (Aguilera, 2017).
6 (3) Sans porter exclusivement sur les bidonvilles, des travaux contemporains sur la gestion publique des marges éclairent cette sélectivité et la spatialisent en mettant en évidence des processus de « séclusion » [5] (Wacquant, 2010) ou d’encampement (Verdirame et Harell-Bond, 2005) qui refoulent, isolent et mettent en attente (Kobelinsky, 2010) les populations catégorisées comme indésirables (Cowan et Lomax, 2003 ; Bernardot, 2008 ; Agier, 2008). Mais bien souvent l’explication est mono-causale : c’est le « néolibéralisme sécuritaire globalisé » qui fabriquerait des « mauvais pauvres » (Valluy, 2005). Or, il est insuffisant d’expliquer les effets des politiques publiques uniquement par ce prisme qui écrase la complexité de l’action publique, donne trop de poids aux idées, à leur circulation et aux changements récents de l’économie globalisée alors que de nombreux phénomènes ne sont pas récents (Pinson et Morel Journel, 2016 ; Le Galès, 2016).
7 Il est possible de complexifier ces approches en remettant les stratégies des acteurs au cœur de la réflexion à deux niveaux. Tout d’abord, grâce aux travaux en sociologie de l’action publique portant sur les politiques au « guichet » qui montrent comment des agents de l’État, face à des ayants droit, produisent de l’éviction dans la mise en œuvre de politiques destinées à en intégrer une partie et contribuent ainsi à reproduire des catégories du type « bons » et « mauvais » migrants (Spire, 2008 ; Kobelinsky, 2013), « bons » et « mauvais » locataires (Sala Pala, 2013 ; Bourgeois, 2013), « bons » et « mauvais » squatteurs (Bouillon, 2010 ; Aguilera, 2012).
8 Mais ces approches tendent à isoler démesurément le travail de guichet et policier (Mainsant, 2008). Ces activités ne doivent pourtant pas être déconnectées du reste du travail gouvernemental mais doivent être réinsérées dans une analyse plus ample de la production de l’ordre (Bonnet, 2008 ; Favre, 2010) et des instruments d’action publique qui produisent aussi des effets propres (Lascoumes et Le Bourhis, 2014 ; Nahrath et Varone, 2014). De façon plus générale, les acteurs publics (décideurs, cabinets, directeurs, fonctionnaires) sont soumis à des contraintes politiques et financières, ils doivent gérer les dispositifs existants tout en faisant des choix ou des compromis au sein d’un tissu de relations qui lient leurs organisations (et des acteurs de marché) et qui conditionnent leurs marges de manœuvre sans pour autant les annihiler (Musselin, 2005).
9 (4) Nous pourrons en ce sens nous appuyer sur un certain nombre de travaux davantage attentifs à l’économie politique des villes qui soutiennent que la persistance des bidonvilles provient d’une tolérance stratégique et des arrangements locaux visant à préserver l’ordre public (Maccaglia, 2009). Les acteurs publics chercheraient également à maintenir un statu quo pour extraire de ces situations des ressources économiques (Smart, 2001) ou pour coopter des mouvements sociaux pour les constituer en clientèles électorales (Varley, 1998). Bien souvent, qu’il s’agisse de stratégie ou d’incapacité à agir de la part des autorités, expulsion, mise en attente et dissimulation vont de pair, contribuant à plonger les individus dans des situations liminaires d’incertitude entre un dedans et un dehors, souvent aux frontières (Agier, 2008) mais aussi dans les villes (Soederberg, 2017) [6]. Nous pourrons alors reprendre ces arguments en les articulant à la littérature sur la mise à l’agenda qui montre que certains enjeux sont délibérément délaissés (Cobb et Ross, 1997), notamment lorsque les élus ne veulent pas assumer le blâme d’un problème qu’ils ne parviennent pas à résoudre (Weaver, 1986).
10 Tous ces travaux apportent des éléments d’explication de la persistance des bidonvilles. Mais ils peinent à rendre compte de la complexité des processus, car ils ne sont pas suffisamment attentifs à l’interdépendance des facteurs, à la multiplicité des acteurs, aux échelles et aux dynamiques de l’action publique qui est souvent considérée comme une boîte noire et dont les décideurs ne feraient qu’appliquer les préceptes du néolibéralisme. Notre approche consiste ici à opérer un triple décalage par rapport aux travaux existants.
11 Tout d’abord, nous articulons dans cet article les stratégies de divers acteurs publics (élus, cabinets, services, agents de terrain, publics cibles) ou privés, qui prennent part à l’action publique à différentes échelles de gouvernement (municipalités, région, État) et dans divers secteurs (urbanisme, logement, social, sécurité). Ensuite, nous adoptons un point de vue de sociologue de l’action publique attentif à la combinaison des processus évoqués ci-dessus, interdépendants selon nous, et qui produisent tous, d’une façon ou d’une autre, de l’expulsion [7]. Le parti pris de l’article est de prendre au sérieux la diversité des logiques d’expulsion, aussi bien issus d’un travail policier explicite d’évacuation, que de processus plus silencieux d’éviction conséquents à des politiques de relogement systématiquement sélectives et partielles, voire même résultantes de l’inaction publique. Si le résultat (outcomes) semble le même, les acteurs, leurs motivations et les instruments (outputs) menant à l’expulsion sont très divers. Enfin, l’article évite d’isoler les phénomènes d’expulsion du reste du travail gouvernemental comme ont pu le faire Saskia Sassen (2014) et Matthew Desmond (2016) dans leurs travaux respectifs en focalisant sur ces outcomes et en minorant la diversité des dispositifs dont les « expulsés » sont par ailleurs ressortissants. En effet, les populations victimes d’expulsion sont également ciblées par des politiques plus intégratrices, notamment liées au déploiement de l’État-providence. L’entrée par les politiques de résorption permet de mettre en évidence les interdépendances entre des procédures diverses, en apparence contradictoires, mais dont pourtant les effets se combinent.
12 L’article démontre ainsi que la persistance des bidonvilles madrilènes résulte de la combinaison de plusieurs aspects du travail gouvernemental qui produisent, in fine, de l’expulsion : la mise en œuvre de programmes de résorption à la fois incrémentaux [8] (les bidonvilles sont résorbés progressivement) et sélectifs (tous les habitants ne sont pas relogés) ; une inaction publique (des pans entiers de territoires sont mis à distance de l’agenda des politiques de résorption) ; un travail policier de refoulement géographique et de surveillance. L’expulsion est produite collectivement, par la rencontre de plusieurs stratégies d’acteurs cherchant à préserver leurs intérêts en fonction de diverses contraintes politiques et économiques, relevant de plusieurs niveaux de gouvernement et de temporalités multiples. Seule l’articulation de niveaux macro et micro d’une part, et de temporalités longue et courte d’autre part, permet d’expliquer pourquoi les politiques publiques produisent systématiquement des bénéficiaires et des victimes.
Encadré 1 : Méthodologie de l’enquête
Encadré 2 : Les acteurs de la gouvernance des bidonvilles
– L’Institut de relogement et d’insertion sociale (IRIS : 1999-2015) qui succède au Consortium pour les populations marginalisées (CPM : 1986-1998) est l’agence régionale de résorption des bidonvilles. Il a été finalement dissout en 2015
– Les municipalités sont officiellement les seules compétentes pour agir sur les bidonvilles établis sur leur territoire mais elles délèguent par convention la charge de la résorption à l’IRIS ;
– Le département de Discipline urbaine (DDU) est le service d’urbanisme réglementaire de la ville de Madrid. L’une de ses missions est d’intervenir sur demande de l’IRIS pour évacuer les habitants et détruire les chabolas 1lors des opérations de résorption ;
– La préfecture (Delegación de Gobierno), en charge de l’ordre public ;
– Deux polices nationales : le Cuerpo nacional de la policia (CNP), et la Guardia civil qui intervient principalement dans les zones rurales ;
– Les propriétaires des terrains squattés (publics ou privés) signent des conventions avec l’IRIS et financent les opérations de démantèlement.
1. Une chabola est une « baraque », une maison de bidonville. Elle est l’unité de mesure utilisée par les institutions publiques.
13 Nous retraçons dans une première partie les processus d’institutionnalisation d’une action publique de résorption depuis les années 1960 qui, depuis son commencement, a toujours mis en scène des instruments sélectifs de relogement. Un examen plus précis de la politique de l’IRIS de la fin des années 1990 à nos jours permet d’expliquer la sélectivité de l’agenda de résorption à l’échelle régionale : tous les bidonvilles ne sont pas ciblés au même moment par une politique qui se veut incrémentale et partielle, soutenue par un travail policier disciplinaire et d’endiguement de l’informalité urbaine. Dans une seconde partie, nous adoptons une posture davantage micro en focalisant sur les instruments de résorption afin d’expliquer la sélectivité dans la mise en œuvre des programmes. La dernière section de l’article montre comment ces niveaux de sélectivité se combinent pour expliquer les effets des politiques de résorption en termes d’expulsion sur le territoire régional madrilène.
L’institutionnalisation de politiques de résorption incrémentales et sélectives
14 Comment expliquer qu’une politique publique de résorption institutionnalisée sur le long terme ne soit pas venue à bout en cinquante ans des bidonvilles madrilènes ? Après être revenu sur l’institutionnalisation de la politique de résorption madrilène d’abord nationale puis locale, la première section de l’article examine sa programmation sélective à l’échelle régionale.
L’institutionnalisation d’une politique de résorption des bidonvilles : de Franco à l’IRIS (1960-2015)
15 Alors que plus de 260 000 personnes (16 % de la population madrilène) résident en bidonvilles (chabolas) en 1950, le régime franquiste institutionnalise les premiers programmes de résorption en parallèle à sa politique du logement afin de coopter les oppositions, apaiser un mouvement social naissant, mais aussi libérer du foncier sous la pression des promoteurs privés (Castells, 1979 ; Vaz, 2006 ; Vorms, 2013). La plupart des familles des bidonvilles sont relogées mais 3 000 d’entre elles, dites « gitanes » [9], se voient refuser l’accès à un appartement, sous prétexte que les Gitans disposent d’un mode de vie spécifique appelant des actions spécifiques (Montes Mieza, 1986).
16 Pendant la période de « transition », alors que l’État se déchargeait d’une partie de ses compétences sur les Communautés autonomes, le Consortium pour la population marginale (CPM) est inauguré en 1986 sous la tutelle de la mairie de Madrid, de la Communauté autonome de Madrid (CAM) créée en 1983 et de l’État (préfecture). Ce sont ainsi 1 405 familles qui sont relogées en appartement, 251 dans des quartiers construits en lieu et place des bidonvilles (Barrios de tipología especial, BTE) et 232 en campements provisoires (CP) (Rapports annuels CPM, 1986-1997). Mais les BTE et les camps provisoires se dégradent rapidement, attirent le trafic de drogue et certaines familles quittent ou revendent leurs logements pour s’installer de nouveau dans des bidonvilles (Alonzo, 2004 ; Lopez de Lucio, 1999). Le nouveau président conservateur de la Communauté autonome de Madrid, Alberto Ruiz-Gallardón (Partido popular), décide d’y mettre fin en créant en 1998 une nouvelle institution, l’Institut de relogement et d’insertion sociale (IRIS), pour faire face à ce problème désormais considéré comme structurel.
17 Au total, les politiques franquistes avaient relogé près de 200 000 personnes. Depuis 1986, les politiques de résorption (CPM et IRIS) ont permis de reloger plus de 4 000 familles dans des appartements (3 400) ou des logements temporaires (1 000) (Figure 1).
Figure 1 : Expulsions et relogements sur les périodes 1986-1998 (CPM) et 1999-2012 (IRIS)

Figure 1 : Expulsions et relogements sur les périodes 1986-1998 (CPM) et 1999-2012 (IRIS)
18 L’IRIS, institution régionale spécialement dédiée à la résorption des bidonvilles de la CAM, est unique en son genre en Europe [10]. Chargé de reloger des familles issues de bidonvilles dans des appartements achetés directement dans le parc diffus afin de limiter les risques d’éloignement et de concentration de populations vulnérables, l’IRIS dispose d’un budget annuel moyen de 26 millions d’euros [11] sur la période 1999-2012. En 2012, l’IRIS était propriétaire de 2 388 appartements, ses travailleurs sociaux suivaient plus de 9 000 familles et avait relogé près de 2 000 familles en 13 ans. La politique de l’IRIS correspond donc bien à une politique publique institutionnalisée sur le temps long, dotée de budgets, d’instruments et d’administrations propres. La persistance des bidonvilles ne peut donc s’expliquer par l’inexistence de politiques publiques ou d’une gouvernance éclatée comme c’est par exemple le cas en France (Legros et Olivera, 2014) et ailleurs en Europe (Aguilera et Vitale, 2015). Officiellement conçu comme une agence de guichet unique sollicitée par des mairies qui souhaitent résorber des bidonvilles, l’IRIS est, dans les faits, placé sous l’autorité directe des élus régionaux qui influencent fortement la programmation annuelle de résorption. Celle-ci répond davantage à des critères politiques de stratégies métropolitaines de la CAM et de la Ville de Madrid qu’à des situations d’urgence ou aux requêtes des municipalités périphériques.
« Nettoyer » le centre-ville d’abord : la programmation de l’IRIS sous contrainte politique et financière
19 Comment est définie la liste des bidonvilles à résorber ? Comment expliquer la hiérarchisation des cibles ? Deux stratégies se combinent ici : d’un côté, l’IRIS a établi une programmation stratégiquement progressive de ses opérations de résorption sur le moyen-long terme ; de l’autre, les élus de la CAM ont poussé l’IRIS à ne pas mettre certains bidonvilles à son agenda afin qu’ils puissent accueillir temporairement les familles expulsées d’autres bidonvilles et non relogées. Plusieurs facteurs se combinent pour expliquer l’incrémentalisme et la sélectivité de l’agenda de résorption.
20 1 — Les opérations d’expulsion réalisées en 2000 concernent d’abord les plus grands bidonvilles. Ce facteur de taille (et donc de visibilité) joue moins pour les bidonvilles des périphéries madrilènes. Le volume moyen des espaces ciblés dans les trois premières années décline, confirmant le fait que l’IRIS a d’abord ciblé les grands bidonvilles : 52,5 familles en 1999, 25 en 2000, 18 en 2001, 2 en 2002.
21 2 — La localisation des bidonvilles visés joue aussi. Ce sont les bidonvilles du centre-ville qui ont été les premiers résorbés. La première explication, souvent évoquée lors des entretiens avec les dirigeants de l’IRIS, est stratégique : la CAM a imposé à l’IRIS d’éradiquer en premier lieu les bidonvilles les plus visibles, mais aussi les plus importants. La seconde explication est organisationnelle : l’IRIS est épaulé dans cette action par le département de Discipline urbaine de la mairie de Madrid avec qui les relations sont davantage routinisées. Pour éradiquer les bidonvilles à l’extérieur de Madrid, l’IRIS doit faire appel aux agents de la police nationale (CNP), voire de la Guardia civil, ce qui rend la procédure plus complexe. Les bidonvilles du centre-ville ont toujours occupé plus de poids dans l’agenda de résorption que les bidonvilles périphériques. La tendance ne se renverse qu’à partir de 2010, une fois la plupart des bidonvilles du centre-ville résorbés.
22 3 — Le facteur de l’ancienneté de l’occupation a souvent été invoqué lors de nos entretiens, mais il ne joue pas. En fait, les bidonvilles anciens ont été consolidés, se sont transformés en véritables quartiers, et sont devenus le support de réseaux sociaux denses. Il est matériellement plus difficile d’éradiquer ce type de bidonville et les responsables de l’IRIS ont anticipé le fait que la résistance des familles y serait plus forte. En termes plus stratégiques, comme nous l’expliquons plus tard en détail, l’IRIS a délibérément laissé ces terrains en dehors de son agenda pour assurer leur persistance et y repousser plus facilement les familles expulsées des bidonvilles voisins (Rosilla, Celsa, Pozo).
23 4 — De même, le facteur de la précarité des familles a plutôt joué en défaveur d’une résorption prioritaire. L’IRIS a ciblé en priorité des bidonvilles peuplés de familles relativement moins pauvres que les autres afin d’être certain de pouvoir leur proposer un logement en accession sociale à la propriété dans le parc diffus. La question des bidonvilles les plus marginaux a été mise en attente afin de ne pas rendre visibles les obstacles au relogement de certaines familles : « On commence par les populations les plus normalisables […] les autres, il faut attendre, car il faut les préparer à être relogées » (Entretien, secrétaire général de l’IRIS, 16 février 2012).
24 5 — Enfin, l’explication souvent proposée par les géographes travaillant sur la question des expulsions de bidonvilles (Legros, 2011 ; Dupont et Vaquier, 2013), selon laquelle les opérations seraient, en fait, déterminées par les besoins en foncier des municipalités, n’est pas complètement avérée dans notre cas. Certes les responsables politiques justifient souvent les expulsions par l’existence d’un projet urbain, mais il n’est pas pour autant concret, ou n’est que rarement réalisé dans les mois ou les années suivantes. La plupart des terrains jadis occupés par les bidonvilles de Madrid n’ont pas été urbanisés et sont encore vacants en 2014. Ce n’est donc pas la pression à l’urbanisation qui pousse l’IRIS à expulser.
25 Le ciblage des bidonvilles et des familles se fait sous contrainte financière (« on ne peut pas reloger tout le monde en même temps ») et politique (« on dépend de la sollicitation des mairies pour intervenir ») (extraits d’entretien, directeur de l’IRIS, 2012). Pour la direction de l’IRIS, il est nécessaire de répartir dans le temps et l’espace la mobilisation des moyens financiers et humains et de réguler ses relations avec les partenaires municipaux tout en contentant les exigences de la présidence de Région. De plus, par cette stratégie incrémentale, l’IRIS, mène une politique d’auto-légitimation : il ne s’attaque pas de front à toutes les cibles potentielles et s’assure que les cibles choisies peuvent être relogées. Il peut démontrer ainsi son efficacité auprès de la CAM qui le finance. Chaque année, le ciblage mixe grands et petits bidonvilles, et délaisse ceux qui le mettraient en difficulté. En particulier ceux, telle la Cañada Real Galiana, qui assurent l’accueil transitoire des familles non relogées après des opérations d’éradication antérieures.
La condition de l’expulsion : l’inaction publique sur le plus grand bidonville de Madrid
26 À cheval sur trois communes, la Cañada Real Galiana (CRG) est le plus grand bidonville de Madrid. Plus de 10 000 personnes y résideraient selon les rares données disponibles (EMVS, 2012). La Cañada Real n’est pas recensée au même titre que les autres bidonvilles madrilènes et n’apparaît dans les rapports officiels de l’IRIS qu’à partir de 2015. Avant cette date, elle n’a pas été ciblée par cet organisme.
27 Initialement issus de l’implantation de jardins privatifs et d’entrepôts dans les années 1950, des baraquements ont commencé à être construits sur ce site à la suite de l’arrivée d’une main-d’œuvre marocaine importante dans les années 1990 (Franchini, 1998). Le statut de la Cañada Real Galiana est à la fois juridiquement flou [12] et socialement et morphologiquement très hétérogène. Les secteurs [13] les plus au nord sont habités par des classes moyennes implantées depuis les années 1970 qui ont fait goudronner la route et ont bâti des villas. Ceux situés plus au sud sont occupés par des familles très pauvres qui vivent dans des habitations plus ou moins consolidées et qui côtoient la plaque tournante de la drogue dure espagnole (« La Plaza de las drogas »). Les profils socio-culturels sont également cloisonnés. Les Marocains (27 % de la CRG [EMVS, 2012]) se concentrent dans le secteur 5, alors que les familles dites gitanes résident principalement dans le secteur 6. Un nouveau bidonville de près d’un millier de personnes (El Gallinero) a également émergé aux abords de la Cañada Real, occupé majoritairement par des migrants roms venus d’Europe de l’Est, dont certains sont arrivés de France à la suite d’une série d’évacuations, notamment en 2010.
28 Face à cette complexité, les autorités locales et régionales ont joué du blame game (Hood, 2002) en reportant le problème jugé très embarrassant vers des acteurs concurrents (Weaver, 1986). L’absence de la Cañada Real et du Gallinero sur l’agenda de la politique de résorption de l’IRIS s’explique en effet par un jeu d’acteurs conflictuels opérant à des niveaux différents de gouvernement. Aucun instrument existant ne permettant de résorber un bidonville d’une telle ampleur, le risque de perdre politiquement la face en s’engageant dans un programme très délicat, explique pourquoi ni les mairies directement concernées ni la Communauté autonome n’ont voulu prendre l’initiative. Ce déni collectif d’agenda a maintenu un statu quo pendant trente ans. Certains responsables vont d’ailleurs jusqu’à nier le statut même de bidonville à la Cañada, usant ainsi de la stratégie de l’issue containment (Cobb et Ross, 1997, p. 15) : « La Cañada ? Non ce n’est pas du chabolismo, ce n’est pas pareil, c’est autre chose, c’est beaucoup plus compliqué » (entretien, directeur de l’IRIS, 23 mai 2012).
29 Pour les élus de la CAM et de la mairie de Madrid, la Cañada n’est pas perçue comme un problème à résoudre, mais plutôt comme une solution permettant d’absorber les familles non relogées dans les dispositifs de relogement du CPM et de l’IRIS. En effet, c’est l’État franquiste qui, dans les années 1960, a posé les premières pierres des secteurs 5 et 6 en installant des familles autour d’une « colonie » destinée à désengorger le centre-ville. En 1994, la mairie de Madrid (dirigée par le Partido popular), qui souhaite récupérer une parcelle squattée pour construire un centre commercial, éradique un bidonville du quartier de Los Focos/San Blas dans l’est de la capitale, et déplace les familles sur un terrain de Valdemingómez (Noguès Saez, 2010, p. 320). C’est le point d’extension des secteurs sud de la Cañada qui a dû rapidement accueillir des centaines puis des milliers de familles en provenance des bidonvilles expulsés par l’IRIS au cours des années 2000 : « La Cañada a grossi parce qu’on n’a pas relogé les familles que nous avons expulsées et qu’on les a transférées là-bas » (entretien, directeur du département de Discipline urbaine [DDU], mairie de Madrid, 5 mars 2012).
30 Du côté des acteurs régionaux (CAM et IRIS), le déni d’agenda s’explique par l’intérêt stratégique que représente la Cañada pour la mise en œuvre de la politique de résorption de la région de Madrid dans son ensemble :
« Nous n’avons pas créé ce bidonville. Nous nous en sommes certainement bien servi pour vider le reste de Madrid. Il était déjà là avant qu’on s’en serve, mais c’est vrai que c’est bien utile » (entretien, directeur de l’IRIS, 23 mai 2012).
32 Malgré les nombreuses sollicitations de la part des municipalités de Madrid et de Rivas, la Communauté autonome de Madrid a donné l’ordre à la direction de l’IRIS de ne pas se lancer dans la résorption de la Cañada Real. Pour les élus, sa destruction provoquerait un engorgement des dispositifs de relogement et des autres bidonvilles encore existants. Pendant longtemps, il n’a pas été question de mettre en lumière un problème considéré comme insoluble.
33 Du côté de l’État, tout en finançant ponctuellement des projets éducatifs et humanitaires d’organisations non gouvernementales (ONG), la préfecture a adopté la même stratégie de mise à distance, car la Cañada Real est apparue comme une solution tout autant qu’un problème. En charge de l’ordre public via l’action de la police nationale, elle a cherché à concentrer les trafics (principalement de drogue, mais aussi de matériaux), ainsi que des sans-abri du centre de Madrid dans une seule enclave davantage contrôlable et plus propice à un travail de surveillance :
« On avait clairement l’ordre de pousser les trafiquants et les sans-abri de Vallecas [14] vers la Cañada. Il fallait nettoyer Vallecas […] Il y a eu une stratégie claire de mettre tout le monde en dehors de la ville. Tout le monde est dans le secteur 6 (de la Cañada) maintenant » (entretien, agent de police nationale, 14 mai 2012).
35 Pourtant, en 2007, le maire de Madrid Alberto Ruiz-Gallardón, qui réclamait l’intervention de l’IRIS mais constatant son inaction, a souhaité lancer une politique municipale d’éradication sur sa commune. Entre 2007 et 2012, le DDU a ainsi mené, en marge des opérations menées avec l’IRIS, 66 opérations pour détruire 381 maisons principalement dans les secteurs 5 et 6 de la Cañada [15]. L’ouverture soudaine et rapide de cet agenda municipal d’éradication (non accompagnée de relogement) a provoqué une mobilisation collective des habitants et une visibilité médiatique sans précédent du bidonville. La Communauté autonome a dû réagir. En 2011, elle a voté une loi régionale imposant aux municipalités de recenser leurs portions de Cañada et de proposer des solutions de relogement ou de légalisation. Face aux protestations des municipalités se trouvant dans l’incapacité de répondre à cette exigence, la CAM a finalement décidé en 2015 de fusionner l’IRIS avec l’Agence régionale du logement public (Instituto de la vivienda de Madrid, IVIMA) pour créer l’Agence régionale de logement social (Asociación de promotores públicos de vivienda y suelo de Madrid, AVS). La politique régionale des bidonvilles a ainsi de nouveau laissé la place à des politiques du logement pour populations marginalisées.
36 L’élaboration du programme d’action de l’IRIS s’explique donc par la combinaison de facteurs liés à des contraintes financières et politiques, mais aussi par des jeux d’acteurs dans une gouvernance multiniveaux et conflictuelle. La prise en charge des bidonvilles par l’IRIS est sélective au niveau macro, ce qui explique une partie de la persistance des bidonvilles. Dans la section suivante, nous expliquons la sélectivité des politiques de relogement et les processus d’expulsion à une échelle plus micro, dans la mise en œuvre du dispositif de résorption.
Le dispositif de résorption : comment le relogement produit de l’éviction
37 L’expulsion n’est pas qu’une stratégie politique de refoulement menée au niveau macro. Elle opère aussi au niveau micro par l’usage des instruments sélectifs de relogement. C’est au niveau du dispositif d’éradication-relogement déployé pour chaque opération que des populations sont évincées du relogement construisant ainsi de l’indésirabilité. L’exemple du démantèlement du Salobral [16] en 2006 permet d’expliciter les dynamiques de filtrage des populations concernées par les programmes de résorption. Dans quelle mesure les agents de terrain jouent-ils un rôle dans le tri des familles à reloger ? En quoi leur travail discrétionnaire est-il contraint par les effets propres des instruments et les contraintes imposées par les managers de l’IRIS, eux-mêmes sous pression politique et financière ? Comment ce dispositif s’articule-t-il avec le travail policier ?
Travail social et recensement
38 Les premières familles s’installent à la fin des années 1990 sur une parcelle de 22 hectares, isolée dans le désert du sud du district de Villaverde (sud de Madrid), dans des conditions de dénuement extrême. L’ONG Caritas monte en 1998 des programmes éducatifs puis, en novembre 1998, la mairie de Madrid signe avec l’IRIS une convention de collaboration. À partir du 11 janvier 1999, trois travailleurs sociaux sont présents quotidiennement dans le Salobral. Ils effectuent des enquêtes sociales et font remonter les informations portant sur les familles et le bâti, cela en continu de 1999 à 2007 (Figure 2). En 1999, 15 familles expulsées d’un autre bidonville (Quinta), mais non relogées par l’IRIS, s’installent dans le Salobral. Près d’une centaine arrivent l’année suivante, en provenance de La Celsa détruite par l’IRIS. En 2000, 254 familles sont recensées.
Figure 2 : Évolution du peuplement du Salobral et du nombre de chabolas (1999-2007)

Figure 2 : Évolution du peuplement du Salobral et du nombre de chabolas (1999-2007)
39 La résorption du Salobral s’effectue en deux étapes. En 2001, l’IRIS sélectionne et reloge 115 familles sur le critère de l’ancienneté (celles arrivées en 1999). En 2002, il reste 180 familles sur le terrain alors que l’IRIS entame par ailleurs la résorption d’un autre grand bidonville de l’est de la capitale, El Pozo del Huevo, qui concentre la plupart des investissements. L’opération Salobral est temporairement interrompue alors que les familles expulsées et non relogées du Pozo del Huevo s’y sont réfugiées. Le nombre d’habitants double ainsi entre 2002 et 2005. L’IRIS se trouve confronté à un bidonville accueillant 372 familles, 1 261 personnes et 536 constructions illégales.
40 De nouveaux recensements, plus détaillés, sont alors effectués. L’IRIS adopte un règlement plus rigide pour ses relogements : la procédure des requisitos (« critères de sélection ») est affinée. Le 27 décembre 2005, la CAM (Esperanza Aguirre, Partido popular) et la mairie de Madrid (Alberto Ruiz-Gallardón, Partido popular) signent une nouvelle convention de collaboration créant une commission technique ad hoc pour fixer les critères de sélection des familles à reloger et coordonner les opérations de destruction des logements.
Bricoler des critères de sélection, façonner de l’intégrabilité et de l’indésirabilité
41 Les annexes de la convention de 2005 fixent les grandes lignes des critères de sélection qui combinent des critères socio-économiques et moraux.
Encadré 3 : Conditions d’éligibilité au relogement IRIS — opération Salobral
2. Être majeur ou être en mesure de prouver sa « capacité d’esprit »,
3. Ne seront pas relogés en appartement locatif les moins de 25 ans qui ne possèdent pas d’enfants à charge (en cas d’enfant à charge, le seuil descend à 18 ans),
4. Dépendre d’une famille dont le revenu global est jugé insuffisant et très limité (inférieur à 1 644 euros mensuels en 2005),
5. Ne pas être propriétaire de biens immobiliers sur le territoire national à la date de signature de la convention,
6. Ne pas avoir été locataire ou propriétaire d’un logement public ou de protection officielle dans les 20 années précédentes,
7. Ne pas avoir disposé d’usufruit sur un logement au cours des 20 dernières années,
8. Ne pas être locataire ailleurs,
9. Ne pas avoir été expulsé d’un logement IRIS ou ne pas avoir refusé le relogement offert par l’IRIS lors d’une potentielle opération précédente,
10. Ne pas avoir reçu de proposition de relogement depuis le 31 décembre 2004.
42 Dans les faits, ces critères ne seront jamais appliqués systématiquement. Ils subissent différents ajustements au cours de la mise en œuvre comme en témoigne le rapport de bilan de l’opération Salobral en 2007. Parmi les modifications [17], mentionnons par exemple la baisse du seuil de revenu d’admissibilité : 116 familles sont ainsi exclues du dispositif sur cette seule base. La révision des critères a permis de réduire le nombre de familles potentiellement admissibles au processus de relogement. Il est à noter que ces seuils ont été fixés a posteriori, une fois que la commission eut déterminé le nombre de familles admissibles, en fonction des capacités annuelles de relogement de l’IRIS et de l’accord des mairies censées accueillir les familles relogées sur leur territoire. Ce n’est donc pas la situation des familles qui détermine le nombre de relogements (et donc d’expulsions), mais à l’inverse ce sont les contraintes institutionnelles et financières qui conditionnent la catégorisation des familles en façonnant leur mérite et en définissant l’urgence des situations. Autrement dit, dans un contexte budgétaire et politique favorable, le nombre de familles potentiellement relogeables augmente et les critères sont assouplis [18]. À l’inverse, dans un contexte plus contraint, le tri est strict et la stigmatisation de supposés modes de vie s’en trouve renforcée.
43 La mise en œuvre de la sélection s’effectue ensuite selon deux procédures : un zonage du terrain et des entretiens. Le bidonville du Salobral est d’abord divisé en zones, par souci de rationalisation, pour « remettre de l’ordre » (Rapport Salobral, 2007, p. 14) et imposer une discipline administrative aux familles :
« Étant donné l’extension du bidonville et la densité de population, il est nécessaire de diviser le quartier en zones ; cela transmettra aux familles une sensation d’ordre, et leur fera intérioriser quelques règles, il faut faire exister des règles claires comme référence » (Rapport Salobral, 2007, p. 14).
45 Le rapport relate l’opposition forte des familles à cette première tentative de zonage qui opérationnalise le critère de sélection numéro 1 de la convention sur l’âge des parcelles : selon le découpage, un pas était fait vers leur intégration au projet de relogement si la date de la construction était évaluée comme antérieure à 2004, ou vers leur éviction si elles résidaient sur une parcelle jugée trop récente. Face à cette opposition, c’est le critère morphologique qui sera retenu : les équipes de l’IRIS définissent 14 zones de 38 chabolas en moyenne. Ce découpage administratif permettra ultérieurement de répliquer aux familles mécontentes qu’il s’agit de critères « objectifs » : il fonctionne comme un « instrument automatique » de dépolitisation de la sélection (Lorrain, 2004).
46 Les inspecteurs de l’IRIS réalisent ensuite un diagnostic démographique et architectural de ces parcelles sur la base duquel les travailleurs sociaux vont effectuer deux opérations de filtrage successives. Tout d’abord lors du dépôt des dossiers de demande de relogement : toutes les familles ne peuvent pas déposer de dossier, car les travailleurs sociaux appliquent en amont les critères lorsqu’ils disposent déjà des informations. Ainsi, sur les 495 familles résidant au Salobral, seules 376 sont autorisées à déposer un dossier : 119 familles sont évincées en amont de la procédure (Rapport Salobral, 2007, p. 35). Ensuite, des entretiens de sélection pour le relogement sont réalisés le 8 février 2006 et le 28 juin 2007. Lors de ces entretiens, les travailleurs sociaux remplissent les formulaires de demande de logement en présence des familles et les aident à constituer la documentation nécessaire (contrat de travail, déclaration d’imposition, livrets de famille). Un ensemble de données factuelles [19] sont aussi collectées à cette occasion. 232 sont sélectionnées pour être relogées progressivement en appartement. Au total, 263 familles sont donc évincées de la procédure. Le taux de relogement, qui ne figure pas dans le bilan de l’opération Salobral, fut donc de 46 %.
47 La plupart des personnes exclues sont restées vivre au Salobral jusqu’au mois de septembre 2007, tout en cherchant de nouvelles solutions de logement dans d’autres bidonvilles, principalement la Cañada Real Galiana. En octobre 2007, l’IRIS et le DDU de la mairie de Madrid effectuent une nouvelle tentative d’éradication du Salobral: plus de 40 maisons furent détruites en un mois [20].
Figure 3 : Schéma d’explication de l’éviction dans le dispositif de relogement du Salobral

Figure 3 : Schéma d’explication de l’éviction dans le dispositif de relogement du Salobral
48 Ainsi, les agents de terrain disposent bien d’une marge de manœuvre dans la sélection des profils admis au moment des entretiens avec les familles : ils évaluent, en fonction de catégories pratiques issues de leur propre expérience et de leurs principes moraux, la « bonne foi des familles », « leur mérite » et les « problématiques qu’elles pourraient poser au voisinage » [21]. Mais ce filtrage s’effectue une fois le niveau de sélectivité des opérations défini dans un jeu d’acteurs à plusieurs niveaux, sous l’effet de contraintes financières (budget alloué au relogement) et politiques (accord des municipalités à reloger des familles sur leur commune) que les agents ne maîtrisent pas (Howe, 1991 ; Evans et Harris, 2004). Ainsi, la supposée incapacité sociale et culturelle des familles gitanes à s’intégrer est construite par l’IRIS pour justifier de ne pas les reloger et ainsi masquer son incapacité à mener des politiques qui cibleraient toutes les familles en une seule opération. La supposée culture gitane, qui ferait obstacle à la vie dans un immeuble, naturalisée par les agents sur le terrain, n’est pas la cause de la sélection et du non-relogement : elle en est la conséquence. Ce sont les dispositifs de résorption du CPM et de l’IRIS qui ont façonné en trente ans la « vocation » à ne pas pouvoir vivre en appartement, confirmé la nécessité « d’éduquer au logement » et légitimé le fait d’expulser des familles hors de bidonvilles sans solution de relogement. L’institutionnalisation d’une telle politique de résorption sur le long terme a produit des effets structurants sur les territoires.
Les effets des politiques de résorption : relogement, dispersion, concentration
49 Les politiques de résorption sont sélectives. Si l’on se fie aux données officielles fournies par le CPM puis par l’IRIS, les programmes de résorption des bidonvilles madrilènes auraient permis de reloger 1 800 familles depuis le début des années 1990, mais elles auraient aussi contribué à expulser près de 1 900 autres familles qui ont dû, après chaque expulsion sans relogement, retrouver une habitation. Dans quelles mesures l’examen des données quantitatives permet-il de confirmer la corrélation entre relogement et expulsion établie dans les sections précédentes ? Quels sont les effets des politiques de résorption sur les territoires ?
50 À la suite des opérations de résorption, on observe plusieurs types de trajectoires des publics. Il convient tout d’abord de mentionner qu’une partie des familles relogées dans les appartements fournis par l’IRIS (principalement dans les quartiers sud de la capitale) ne s’y est pas établie sur le long terme. Sans pouvoir corroborer avec des données fiables [22] les propos de certains agents de terrain de l’IRIS en charge du suivi des familles sur les cinq années qui suivent le relogement, il semblerait que certaines familles revendent ou sous-louent (illégalement) leur logement public et repartent vivre en bidonville pour constituer un capital économique. Ce constat aide à expliquer le paradoxe initial de la persistance des bidonvilles : les familles relogées détournent les ressources affectées par les politiques sans pour autant cesser de vivre dans les bidonvilles.
51 Concernant les familles qui ne bénéficient pas des relogements, on observe des trajectoires à différentes échelles sur le sol madrilène. Dans certains cas, les familles sont « simplement » évacuées de leur domicile qui est immédiatement détruit par le DDU lors des opérations de l’IRIS. Les familles peuvent, dans un premier temps, se réfugier dans les bidonvilles à proximité puis rejoindre des proches, dans un second temps, dans des bidonvilles ailleurs à Madrid. Par exemple, dans le district de Villa de Vallecas, l’évacuation du Pozo del Huevo entre 1999 et 2003 poussa les familles à se réfugier dans les Barranquillas. Ensuite, l’éradication des Barranquillas à partir de 2004 est corrélée avec la croissance de la Calle Francisco Alvarez (tronçon de la Cañada Real Galiana) qui culmina en 2006 à 75 familles puis à 90 en 2008 (Figure 4).
Figure 4 : Nombre de familles résidant en bidonvilles dans le district de Villa de Vallecas (sud de Madrid) de 1999 à 2012

Figure 4 : Nombre de familles résidant en bidonvilles dans le district de Villa de Vallecas (sud de Madrid) de 1999 à 2012
52 Chaque destruction de bidonville donne naissance à une nouvelle occupation, généralement à quelques centaines de mètres, dans le même district, ou est suivie par la croissance du grand bidonville local qui fait office de soupape. Les responsables politiques et de la préfecture interrogés s’en accommodent, et les agents de police de terrain doivent compter sur ces bidonvilles de réserve pour accueillir les délogés afin qu’ils ne stationnent pas dans l’espace public ou qu’ils n’établissent pas de nouveaux bidonvilles :
« Dès qu’on détruit des bidonvilles, si on ne reloge pas, les familles et les trafiquants vont ailleurs. En fait, en ne les relogeant pas, c’est sûr, on les transfère directement vers d’autres bidonvilles, ou vers la Cañada Real. Pour le Salobral, ils n’ont même pas relogé la moitié ! Alors ceux qui restaient ont fait de nouveaux bidonvilles à côté » (entretien, directeur du DDU, mairie de Madrid, 5 mars 2012).
54 De grands bidonvilles ont été entretenus temporairement par les autorités pour accueillir les familles expulsées aux alentours, le plus souvent dans la périphérie de Madrid dont les bidonvilles ont amorti les expulsions réalisées dans le centre-ville. À l’échelle métropolitaine, les politiques de l’IRIS et le travail policier se superposent pour créer un système de vases communicants. On observe ainsi des phénomènes de dispersion qui témoignent de mobilités accrues à la suite d’expulsions, puis de concentration dans les grands bidonvilles madrilènes qui n’ont pas encore été résorbés. L’agenda de l’IRIS progressant au fil des années, le nombre de bidonvilles dans l’aire urbaine de Madrid a diminué, limitant les options de relocalisation des familles expulsées. Les bidonvilles restants ont crû considérablement, comme en témoigne l’augmentation importante de la taille moyenne des bidonvilles au milieu des années 2000 (Figure 5). À partir, de 2005, de nouveaux bidonvilles renaissent sur une période au cours de laquelle l’IRIS évacue plus qu’il ne reloge (Figure 1) faisant chuter la taille moyenne des bidonvilles.
Figure 5 : Taille moyenne des bidonvilles sur la période IRIS (1999-2012)

Figure 5 : Taille moyenne des bidonvilles sur la période IRIS (1999-2012)
55 Par ailleurs, la Cañada Real est progressivement devenue la seule destination possible. Elle n’a cessé de croître dans l’ombre des données officielles (Figure 6). En effet, jusqu’en 2015, les rapports officiels du CPM et de l’IRIS ne font pas mention de la croissance constante de la Cañada [23]. De récentes études spécifiques chiffrent à 11 000 le nombre d’habitants en 2012 et permettent d'observer rétrospectivement la croissance du bidonville (EMVS, 2012).
Figure 6 : Évolution du nombre de chabolas à Madrid et dans la Cañada Real Galiana (1986-2012)

Figure 6 : Évolution du nombre de chabolas à Madrid et dans la Cañada Real Galiana (1986-2012)
56 L’outil cartographique étaye cette thèse à l’échelle régionale en permettant de visualiser la disparition progressive des bidonvilles de la commune de Madrid, corrélée avec la translation des familles vers les quartiers et les communes du sud et de l’est de la capitale et vers la CRG (Cartes 1 à 6).
Cartes 1 à 6 : Bidonvilles de Madrid capitale (en 1979, 1984, 1999, 2009, 2012) et de la région de Madrid (en 2012)


Cartes 1 à 6 : Bidonvilles de Madrid capitale (en 1979, 1984, 1999, 2009, 2012) et de la région de Madrid (en 2012)
57 Ces mobilités forcées dues aux opérations de résorption produisent des effets considérables sur les populations concernées dont les trajectoires familiales, d’emploi et scolaires sont fragilisées et dont les conditions de santé se dégradent fortement lorsque les expulsions se répètent (Berner, 2000 ; Alunni, 2012). Les politiques de résorption contribuent également à fragmenter les territoires. Pour résorber une partie de l’informalité dans la région de Madrid, un choix politique a été fait : celui d’assurer, sous surveillance, la croissance d’un grand bidonville ayant constitué jusqu’en 2015 une réserve d’informalité qui a représenté la condition de faisabilité de la réussite de la politique de l’IRIS. Après avoir provoqué une dispersion des habitants de bidonvilles à l’échelle régionale, les politiques de résorption menées par l’IRIS ont produit une concentration de l’informalité dans un seul bidonville que la municipalité de Madrid et la CAM ambitionnent aujourd’hui de légaliser pour moitié et de détruire pour l’autre moitié.
Conclusion
58 L’analyse des politiques de résorption des bidonvilles permet d’expliquer le paradoxe de leur persistance malgré des programmes d’action publique institutionnalisés depuis de nombreuses années. Si ces politiques permettent d’assurer le relogement d’une partie de la population des bidonvilles, elles sont aussi porteuses de pratiques d’expulsion inhérentes aux dispositifs de relogement qui sont sélectifs dans le ciblage et dans la mise en œuvre, et qui se combinent avec des stratégies de mise à distance d’une grande partie du problème. C’est ici le premier niveau de résultat de la recherche. Toute politique de résorption de l’habitat informel combine ainsi de façon indissociable trois dimensions : expulsion, mise en attente et intégration constituent les trois faces des politiques de gestion des bidonvilles et, plus généralement, de la pauvreté urbaine.
59 L’entrée délibérée par les politiques de résorption pour étudier les processus d’expulsion a permis de décaler le regard par rapport à deux points de focale habituels de la littérature internationale. D’une part, nous montrons que les expulsions ne sont pas seulement le résultat de décisions politiques visant à valoriser ou libérer du foncier pour des projets immobiliers et de développement, pour des grands événements ou simplement pour des questions d’ordre public ou juridique. D’autre part, nous montrons que le travail policier et les procédures juridiques ne sont pas forcément décisifs. Certes, les acteurs policiers participent activement aux procédures d’expulsion en appliquant les décisions de justice, en mettant en œuvre le volet « évacuation » des opérations de résorption et en repoussant les indésirables vers les bidonvilles éloignés du centre-ville. Mais le travail policier n’est qu’un facteur parmi d’autres dans l’explication de l’expulsion et il est davantage guidé par l’agenda gouvernemental des politiques de résorption et des politiques métropolitaines de façon générale. C’est ici le second apport de l’article : celui d’objectiver la diversité des procédures que recouvre la notion générique d’expulsion (Figure 7). Ce ne sont pas toujours les mêmes acteurs qui expulsent, ils n’agissent pas toujours pour les mêmes raisons, ne recourent pas aux mêmes instruments, et leur action produit des effets diversifiés. De plus, l’expulsion peut autant découler de l’inaction publique que d’intentions politiques caractérisées.
Figure 7 : Schéma général d’explication de l’expulsion

Figure 7 : Schéma général d’explication de l’expulsion
60 Enfin, l’article précise un résultat souvent avancé par les travaux sur la mise en œuvre des politiques publiques : elles sont toujours sélectives. Le troisième apport de l’article consiste ainsi à expliquer cette sélectivité en montrant comment se combinent plusieurs niveaux « d’écrémage » (Ingram et Schneider, 1991) dans des contextes contraints mais dans lesquels décideurs politiques et agents de terrain déploient des stratégies. L’agenda de résorption est partiel, car les contraintes financières et institutionnelles pèsent sur la capacité d’action de l’organisme en charge du relogement, mais aussi parce que l’incrémentalisme permet d’assurer la persistance d’une réserve d’informalité qui joue un rôle soupape servant au relogement des populations expulsées par ailleurs. Ensuite, dans la mise en œuvre de la politique de résorption, l’écrémage passe par une limitation du ciblage des populations et des territoires les moins problématiques afin de réduire les risques d’échecs et de maintenir le soutien politique dont l’IRIS a besoin. Dans ce processus, si les agents de terrain mettent bien en œuvre le filtrage des cibles, la sélectivité même des politiques dépend davantage de contraintes institutionnelles, politiques et financières. Ainsi la catégorisation en tant qu’« indésirable » d’une partie des populations concernées est la conséquence de ces contraintes, et non la cause de la sélection. En revanche, cette sélectivité est bien la cause de leur expulsion hors des dispositifs de relogement et vers les autres bidonvilles.
61 Ces résultats ne nient pas l’existence de stratégies politiques. Bien au contraire, ils permettent de les situer dans des jeux d’acteurs aux intérêts propres et dans des faisceaux de contraintes et d’opportunités. Le choix politique des commanditaires réside bien dans l’acceptation des conséquences de procédures qui mêlent relogement et expulsion. En cela, ces derniers participent au refoulement des populations considérées comme pertubatrices des programmes de relogement vers les périphéries les plus lointaines de Madrid. Les décideurs politiques, soucieux des préoccupations de la majorité de leurs électeurs, agissent de façon à éviter le blâme d’une incapacité à gouverner, tout en ménageant les ressources afin d’éviter une saturation des dispositifs dans un contexte de restriction budgétaire. Les conséquences négatives sont légitimées et sociologisées a posteriori (Edelman, 1985) via des discours moraux et méritocratiques autour de capacités culturelles d’intégration. C’est ici que les idéologies se déploient, pour justifier et donner du sens à des politiques qui produisent finalement autant de vulnérabilité que d’intégration.
Notes
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[1]
Je remercie Pierre Lascoumes et les membres du comité de rédaction de la revue pour leurs commentaires stimulants qui ont considérablement contribué à améliorer l’article. Je remercie également Patrick Le Galès, Julien Weisbein, Jacques de Maillard, Marine Bourgeois et Francesca Artioli pour leurs remarques sur les toutes premières versions de cet article dont les principaux résultats avaient été présentés lors des séminaires généraux du LASSP (Sciences Po Toulouse) et du CESDIP (UVSQ).
-
[2]
Une politique de résorption consiste à faire disparaître des bidonvilles ou de l’habitat insalubre par leur absorption progressive dans le droit commun, par normalisation, légalisation ou éradication-relogement.
-
[3]
Un bidonville peut être défini de façon large comme une occupation collective et illégale d’un terrain (sans titre et/ou sans l’autorisation de son propriétaire), accompagnée par une auto-construction de l’habitat avec des matériaux de récupération, hors de tout cadre de planification urbaine. Ces habitations peuvent être plus ou moins permanentes et plus ou moins connectées aux réseaux d’eau, d’électricité et aux infrastructures urbaines selon les cas.
-
[4]
L’illégalisme peut être défini comme « l’ensemble des activités de différenciation, de catégorisation, de hiérarchisation et de gestion sociale des conduites définies comme indisciplinées » (Lascoumes, 1996, p. 79).
-
[5]
« Processus par lequel des catégories sociales et des catégories particulières sont parcellées, refoulées et isolées dans des quadrants restreints d’espaces physiques et sociaux » (Wacquant, 2010, p. 166).
-
[6]
Lire aussi le texte de Stefan Le Courant dans ce numéro : « Expulser et menacer d’expulsion, les deux facettes d’un même gouvernement ? Les politiques de gestion de la migration irrégulière en France », p. 211-231.
-
[7]
Dans ce texte, l’expulsion sera entendue comme le phénomène général de refoulement, de mise à distance à l’échelle macro ; l’évacuation sera entendue comme la procédure juridique et policière de destruction d’un bidonville et de sortie de résidents qu’il y ait relogement ou pas ; l’éviction correspond ici à un processus moins explicite, plus insidieux, plus silencieux, et comme effet pervers d’un autre processus, notamment de la mise en œuvre de dispositifs de relogement.
-
[8]
Dans cet article, l’incrémentalisme est entendu de façon large comme une stratégie des « petits pas », qui fonctionne par avancées et ajustements successifs et dont les tenants cherchent à limiter les risques de ruptures importantes pouvant provoquer des prises de risques pour les organisations en place.
-
[9]
La catégorie « gitanos » est produite à la croisée de groupes qui revendiquent un héritage culturel et un certain nombre de pratiques traditionnelles, linguistiques et familiales, soutenus par des organisations européennes et internationales (Union Romani Internationale), et d’un processus de catégorisation de « l’extérieur », par les « payos » (les « non-gitans ») et les politiques publiques. Les Gitans appartiendraient à une sous-catégorie d’un ensemble plus vaste appelé alternativement les « Tsiganes » ou les « Roms » et qui représenterait la plus grande minorité d’Europe. On compterait autour de 600 000 Gitans en Espagne dont un tiers dans la région de Madrid (Liégeois, 2009). Les anthropologues réfutent l’homogénéité ethnique derrière ces catégories plus souvent utilisées aujourd’hui pour désigner des migrants résidant en bidonvilles, en Espagne comme en France (Olivera, 2011).
-
[10]
De telles institutions existent dans les grandes métropoles du Sud comme par exemple à Mexico, Santiago du Chili, Hong-Kong. En ce sens, le cas madrilène se rapproche plus des politiques menées dans le Sud qu’en Europe (Aguilera et Smart, 2016).
-
[11]
Calculs de l’auteur à partir des données de l’IRIS issues des rapports annuels.
-
[12]
Cette route de 16 km de long et 75,22 m de large relève du domaine public de la CAM qui l’a faite inscrire dans son Plan général d’occupation des sols (PGOUM) comme « sol imprescriptible, inaliénable, non urbanisable et de protection écologique ». Aucun aménagement n’est donc autorisé. Depuis 40 ans, les transactions de maisons se sont effectuées via des titres de propriété sans valeur légale, les maisons ont été construites sans autorisation.
-
[13]
La Cañada Real Galiana se divise en six secteurs du nord (1) au sud (6). Ces secteurs, issus de catégories indigènes et administratives (chaque secteur dispose de son association), correspondent à des variations architecturales et sociales.
-
[14]
Quartier populaire du sud de Madrid.
-
[15]
Données du DDU consultables en ligne sur le site de la mairie de Madrid en 2012.
-
[16]
Les données de cette section sont issues du rapport interne d’éradication du Salobral (version imprimée, Rapport Salobral, 2007), de la « convention de collaboration » entre la CAM et la mairie et d’entretiens semi-directifs avec des personnels de la direction de l’IRIS, des travailleurs sociaux et des responsables municipaux.
-
[17]
Pour le détail, se référer à Aguilera (2017, p. 492).
-
[18]
Sur le bidonville du Ventorro en 2006, la convention fixait des critères qui n’auraient permis de reloger que 30 % des familles. Les travailleurs sociaux se sont opposés à la direction de l’IRIS, en argumentant que cette trop forte sélectivité nuirait à l’image de l’institution et soulèverait la protestation des ONG. La mobilisation collective des agents a poussé la commission à revoir ses critères pour faire remonter le taux de relogement, qui est passé à 70 %.
-
[19]
Des données personnelles sur l’emploi, la situation financière de la famille, la santé, la scolarisation, la participation à des projets d’insertion, la trajectoire et les antécédents auprès des institutions de logement de la région madrilène.
-
[20]
De façon générale, la durée moyenne des interventions de l’IRIS sur chaque bidonville est de deux ans. Les relogements sont planifiés mois par mois et le bidonville est rasé en fin d’année, mais certains cas se sont avérés plus complexes en raison de l’arrivée de familles expulsées par ailleurs.
-
[21]
Extraits d’entretiens réalisés avec des travailleurs sociaux au printemps 2012.
-
[22]
La seule évaluation menée par l’IRIS de sa politique de relogement fut réalisée en 2012 et a conclu sur des effets limités en termes de stabilisation des trajectoires résidentielles et scolaires, sans pour autant fournir de données systématiques sur les familles (Santiago, 2012). Le rapport n’a pas été publié.
-
[23]
L’absence de données sur la Cañada Real dans les rapports officiels d’activité n’est pas liée à une absence de statistique publique mais à une stratégie. L’IRIS a réalisé des recensements afin d’effectuer une veille statistique mais les a conservés secrètement afin de ne pas susciter l’ouverture d’un agenda politique sur cet enjeu (Aguilera, 2015).