CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Depuis les années 1960, l’intérêt des sciences sociales et humaines pour l’alimentation s’est développé quasi simultanément dans les univers anglophones et francophones. Abrité derrière des problématiques « plus » sociologiques tout d’abord, cet objet s’est imposé comme une question scientifiquement légitime durant les crises alimentaires des décennies 1990 et 2000. Au cours de cette période, un tournant s’opère aux États-Unis qui, prenant l’étiquette de food studies, inscrit l’alimentation dans le cadre des cultural studies, alors que l’articulation sur avec les disciplines des sciences sociales se renforce en France et de façon plus nuancée au Royaume-Uni. Deux espaces scientifiques se développent qui proposent deux manières d’organiser la réflexion académique sur l’alimentation. Les tenants de la première annoncent l’émergence d’un « nouveau » territoire scientifique (Macbeth, MacClancy, 2004 ; Miller, Deutsch, 2009 ; Koc, Summer, Winson, 2012 ; Albala, 2013), alors que ceux de la seconde déploient leur objet dans les disciplines existantes, revisitant parfois les cadrages épistémologiques pour développer le dialogue interdisciplinaire (Fischler et Masson, 2008 ; Poulain, 2012 ; Warde, 2016).

2 Le point de vue adopté ici consiste à regarder comment la question de l’alimentation a trouvé sa place dans l’univers scientifique, autrement dit comment elle s’est thématisée. Une des missions assignées par Jean Michel Berthelot à l’épistémologie est l’analyse de l’impact des transformations sociales sur les « infrastructures imaginaires (qui) crée les conditions d’une thématisation particulière » (Berthelot, 1996, p. 161). Cette grille de lecture, qui s’inscrit dans la perspective de l’épistémologie des sciences sociales (Holton, 1982 ; Berthelot, 1996 ; 2001), a déjà été utilisée dans l’analyse de la thématisation des problématiques alimentaires dans les sciences sociales françaises (Poulain, Corbeau, 2012), pour les questions de l’importance du goût (Poulain, 2008), du plaisir alimentaire (Poulain, 2008 ; Dupuy, Poulain, 2012 ; Dupuy, 2014) ou encore de l’obésité (Poulain, 2009). Le projet de cet article est d’étudier les conditions d’émergence de ces deux formes de thématisation des études sur l’alimentation : socio-anthropologie de l’alimentation et food-studies. Pour ce faire, il est nécessaire de revenir sur la manière dont les cultural studies se sont développées dans les universités nord- américaines, tandis qu’en France les postures disciplinaires continuaient à s’imposer. Nous nous intéresserons à la fois aux postures scientifiques, aux contextes politiques et à leur influence sur les stratégies universitaires ainsi qu’à leurs connexions avec les mouvements sociaux. Enfin, après avoir repéré les formes d’institutionnalisation et les dynamiques des formations universitaires en sciences sociales étudiant l’alimentation, nous dégagerons les enjeux épistémologiques et pratiques qui sous-tendent ces deux postures.

1. Contextes et processus de thématisation

3 Si avec des articles comme « Psychosociologie de l’alimentation contemporaine » de Roland Barthe (1961) ou « Le triangle culinaire » de Claude Lévi-Strauss (1965), l’alimentation fait une entrée remarquée sur la scène académique au début des années 1960, c’est durant la décennie suivante qu’elle commence à se faire une place à travers la problématisation de la question du goût. Le développement de l’agriculture intensive, l’industrialisation de la transformation et de la distribution, les mutations des pratiques alimentaires elles-mêmes – que Claude Fischler (1990) désigne à l’époque par le jeu de mots de gastro-anomie –, apparaissent comme de nature à mettre en péril le goût des aliments et derrière lui, les rapports sociaux qu’il sous-tend, considérés par certains comme un « art de vivre ». Le goût devient la thématique centrale. À l’initiative de Jacques Puisais, un Institut Français du Goût se crée en 1975, auquel participent Jean Duvignaud, Jean Pierre Corbeau, Claude Fischler, Jean-Paul Aron, Matty Chiva… (Poulain, Corbeau, 2012). Les travaux sociologiques se multiplient : Léo Moulin (1975) depuis le collège de l’Europe explore la variabilité des goûts dans les cultures europé-ennes. Claude Fischler (1979) coordonne un numéro de la revue « Communications ». Raymond Ledrut (1979) analyse les effets de l’urbanisation sur les pratiques alimentaires et le goût pour les produits « biologiques » et « naturels ». Claude et Claude Grignon (1980) s’intéressent aux goûts populaires. Jack Goody (1982) consacre à la cuisine la leçon inaugurale de sa chaire d’anthropologie de l’université de Cambridge. Stephen Mennell (1985) revisite Theodor Adorno pour tenter de rendre compte de l’homogénéisation et de la « régression des goûts » caractéristiques selon lui de la modernité alimentaire. L’histoire n’est pas en reste. Jean-Paul Aron et Jean-Louis Flandrin sortent l’histoire de l’alimentation de la raideur comptable dans laquelle les premières heures de la nouvelle histoire l’avaient plongée et participent à la construction d’une « histoire de la sensibilité alimentaire » (Aron, 1967), d’une « histoire du goût » (Flandrin, 1987) et ouvrent la voie à d’une histoire sociologique de la cuisine et des manières de table (Nerinck, Poulain, 1987).

4 Parallèlement, dans les années 1960 en Angleterre, puis par la suite aux États-Unis se développe un mouvement intellectuel et universitaire : les cultural studies. On date sa naissance à la création à Birmingham, en 1964, du Centre for Contemporary Cultural Studies (CCCS). Le mouvement se caractérise par une posture critique à l’égard des approches classiques de la culture savante et par une valorisation des cultures populaires. La Culture du pauvre : étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre de Richard Hoggart (1957), avec son caractère hybride entre ethnologie, sociologie et littérature constitue une sorte de manifeste. Le projet est de porter le regard sur les cultures locales en se défaisant de la hiérarchisation implicite et de la domination de la culture savante. Moins concentrée sur les conflits de classes sociales que sur les communautés, sur leur vie sociale et quotidienne, elle s’intéresse au sub cultures, aux cultures locales, aux cultures ethniques, à la culture de masse, ou encore aux cultures créées et promues par l’univers des media. Ce faisant elle ouvre un débat sur le statut même de la culture dont une des conséquences sera de sortir l’alimentation de son invisibilité en l’articulant à la question des identités sociales.

5 Cette approche pluridisciplinaire va connaître un premier succès en Angleterre, au sein des universités polytechniques fraîchement créées pour absorber le flux démographique qui se presse aux portes de l’enseignement supérieur. Ces universités professionnalisées, dotées d’un corps enseignant partiellement détaché des disciplines classiques, trouvent dans les Studies une manière de conquérir une certaine légitimité académique. Ce phénomène s’amplifie avec la mise en place de l’open university et de nouveaux éditeurs spécialisés apparaissent qui relayent le mouvement (Matterlart, Neveu, 1996).

Les États-Unis et la French Theory

6 C’est dans les départements de littérature, aux États-Unis, que les travaux du CCCS sont positivement accueillis. Ils sont vus comme une nouvelle entrée dans les cultures américaines ; diversité des mouvements migratoires, diversité culturelle des natives, etc. Le milieu littéraire américain entretient, à la fin des années 1960, des relations denses avec une série d’intellectuels français, philosophes, sociologues, linguistes, etc. Ceux-ci sont invités régulièrement outre-atlantique à donner des conférences, ou à enseigner. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer : Michel Foucauld, Jean Baudrillard, Jacques Derrida, Louis Althusser, Gilles Deleuze, Roland Barthes, Jacques Lacan, Jean-François Lyotard, Julia Kristeva, Michel de Certeau, etc. Certains de leurs ouvrages sont traduits en anglais et bientôt cet ensemble, plus ou moins hétéroclite pour le regard français, sera regroupé sous l’étiquette de French Theory qui devient une référence centrale du mouvement. Les départements de littérature ont, à ce stade, le rôle principal alors que ceux de sciences sociales, rarement à la manœuvre, prennent le train en marche.

7 L’analyse de la réception de ces auteurs par les milieux académiques américains suppose une contextualisation et un rappel du climat universitaire et politique. Les années 1970 se caractérisent par un discours critique à l’égard du mouvement hippy et de la « contre culture » qui fit les grandes heures des universités américaines au moment de la guerre du Vietnam. La crise pétrolière et économique fait souffler sur les universités américaines un vent de pragmatisme et oriente les étudiants vers des choix plus utilitaristes qui modifient les rapports de force entre les départements universitaires. Dans ce contexte, les départements de littérature qui voient le nombre de candidatures diminuer, vont trouver dans l’analyse critique des mutations de la société américaine un « positionnement » stratégique pour résister à la concurrence. En préemptant l’étude de ce qui « fait question », ils affichent des projets de vie alternatifs à ceux qu’offrent les MBA et les masters in Law, plus orientés vers le marché de l’emploi (Cusset, 2002 ; Angermuller, 2013).

8 Vus des États-Unis, les intellectuels français sont des « produits subversifs ». Cet ensemble théorique va contribuer à jeter le soupçon sur les ambitions utilitaristes et scientistes des concurrents, y compris les départements de sciences humaines et sociales qui se trouvent pour une part distanciés. Cependant la connexion des cultural studies avec le monde académique français repose partiellement sur un malentendu. L’étiquette « post structuraliste », qui fleure bon le « cinquième arrondissement de Paris » n’est en fait qu’une « invention » américaine qui s’appuie à la fois sur la notoriété du structuralisme Levi-straussien outre-atlantique et sur la promesse de son dépassement. Vue depuis la France la production des auteurs de la French Theory est loin de constituer un corps de connaissance cohérent. De surcroît, si certains avaient acquis quelque notoriété dans le pays d’origine avant de s’exporter au États-Unis, d’autres doivent la leur pour une bonne part à un retour d’influence. Enfin, à l’exception de Foucault, leur influence sur les milieux académiques hexagonaux, notamment dans les disciplines des Sciences Humaines et Sociales (SHS) a été assez faible après 1980. Nombreux sont les universitaires français qui se sont tenus à distance des cultural studies et des combinaisons théoriques plus ou moins suspectées de soutenir des postures relativistes. Cette critique est d’ailleurs également présente aux États-Unis et l’affaire Sokal en fut le point de fixation (Sokal, Bricmont, 1998).

9 Une contextualisation en miroir permet de mieux comprendre le décalage avec les études sur l’alimentation menées dans le contexte français, qui ne se réduit pas seulement à une question de posture théorique. L’élection de François Mitterrand et l’arrivée de la gauche au pouvoir fait souffler sur les universités françaises un vent très différent de celui qui secoue les campus américains. Des postes se créent. En 1985, les chercheurs sous contrat sont titularisés pour moitié au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et pour moitié dans les universités. Des flux démographiques importants, les difficultés d’accès au marché de l’emploi et la gratuité de l’enseigne- ment supérieur gonflent les effectifs étudiants. Nombreux sont ceux qui portent leur choix sur les disciplines sans numerus clausus, notamment l’histoire, la géographie, la psychologie et la sociologie au détriment des lettres classiques ou modernes. Les SHS en expansion disposent d’arguments pour revendiquer une bonne part de la création de postes. Et malgré les invitations à l’interdisciplinarité, les disciplines se resserrent sur leur près carré épistémologique. Le structuralisme, l’interdisciplinarité sont passés de mode, comme la « postmodernité ».

10 Concernant l’alimentation, cette période est marquée par la soutenance des premières thèses sous la direction d’Edgar Morin (Poulain, Fischler) et de George Condominas (Hubert), suivie de l’ouverture de postes fléchés de maître de conférences (universités de Tours et de Toulouse), de chargé de recherche au CNRS, au Museum d’Histoire Naturelle, à l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA) et à l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE). Au sein de l’Association Internationale des Sociologues de Langue Française (AISLF) Léo Moulin et Jean Pierre Corbeau créent un comité de recherche intitulé : Sociologie et anthropologie de l’alimentation (CR 17). Enfin les ministères de l’agriculture et de la recherche mettent en place des dispositifs de financement de recherche publique (Aliment 2000-1, Aliment 2000-2, Aliments demain et Alimentation Qualité Sécurité), qui vont avoir un rôle décisif dans la dynamisation de la recherche sur l’alimentation dans les SHS (Lambert, Saives, 1995).

11 Cette mise en contexte des perspectives dans lesquelles les études sur l’alimentation sont menées des deux côtés de l’Atlantique montre ce que l’on peut considérer comme une « dérive de continents épistémologiques ». Elle pointe comment cet ensemble théorique plus ou moins hétérogène de travaux philosophiques et sociologiques a été reçu et réorganisé pour servir au positionne- ment stratégique des départements de littérature aux États-Unis. Et comment en France, le flux démographique et la politique de soutien à l’enseignement supérieur ont contribué à renforcer les départements et les disciplines de SHS. Comment enfin, les milieux intellectuels se sont mis à dériver l’un par rapport à l’autre. Les philosophes français devenus des vedettes aux États-Unis disparaissaient des mondes de la recherche français, menant à une partielle déconnection des cultural studies avec les SHS françaises. Elle explique également la distance critique d’une partie importante du milieu académique français qui s’enracine à la fois dans la critique savante de l’anthropologie culturaliste et dans une posture politique universaliste critique à l’égard du multiculturalisme. Elle explique enfin la surprise teintée de déception des lecteurs américains qui ne retrouvent pas dans la production française contemporaine l’indexation sur la French Theory.

L’expansion des cultural studies dans le champ de l’alimentation

12 À partir des années 1980, les cultural studies investissent les cultures populaires de différentes régions du monde « European studies », « American studies », « Asian studies », ainsi que les influ- ences réciproques entre l’est et l’ouest ; easternization et westernisation (Nair-Venugopal, 2012). Ce qui était jusque-là dans l’ombre portée des cultures savantes devient visible et les éléments de la vie quotidienne prennent du relief. Michel de Certeau avec l’Invention du quotidien (Certeau de, Giard, Mayol, 1980) devient un auteur de référence. Dans cette mise au jour quasi archéologique des « choses simples de la vie », la nourriture se donne à voir. Elle reste, cependant, une thématique d’indexation de problématiques plus fortes que sont l’identité ou encore le genre.

13 L’expansion des cultural studies s’opère selon une double ligne de force : expansion thématique et expansion géographique. La transformation du statut épistémologique du concept d’identité en faisant exploser les lectures essentialistes et en les fragmentant en un ensemble de micro identités sociales, ethniques, de catégories sociales ou encore de genre va assurer une diffusion dans de nombreux territoires académiques. Sur la question du genre, elles dynamisent le débat sur les identités féminine et masculine en promouvant, contre l’essentialisme féministe, une lecture « constructionniste » (Butler, 1990), que prolonge et raffine le mouvement queer avec la notion « d’identité flottante » et le concept de « performativité » emprunté à Jacques Derrida (Kosofsky Sedgwick, 1990 ; Parker, Kosofsky, Sedgwick, 1995). Les mouvements féministes vont s’emparer de l’alimentation à travers le problème de l’obésité et de la pression des modèles d’esthétique corporelle qui s’imposent aux femmes. Fat is a feminie Issue de Susie Orbach (1978) lance le premier pont entre gender studies et food studies. Cette veine se révélera fructueuse y compris en France.

14 Les questions « post coloniales », elles, tentent de dénouer les influences des cultures des anciennes puissances colonisatrices sur les affirmations identitaires des anciens colonisés. Pour ce faire, elles trouvent chez Michel Foucault les éléments d’analyse de la dialectique ambiguë des relations dominants-dominés. Sur ce thème, l’influence des théoriciens de la créolité d’origine francophone caribéenne et réunionnaise a été décisive ; Raphael Confiant, Aimé Césaire, Patrick Chamoiseau, Françoise Vergès, Albert Memmi, Carpanin Marimoutou, etc. (Bernabé, Chamoiseau, Confiant, 1989 ; Tibère, 2016). Cette thématisation au pluriel de l’identité, en rupture avec différentes formes d’essentialisme, se connecte facilement avec les questions qui font l’actualité de la société américaine. Elle donnera matière à des travaux sur la place de l’alimentation dans le mouvement de créolisation et les formes du vivre ensemble en milieux pluriculturels (Cohen, 2000 ; Poulain, Tibère, 2000 ; Tibère, 2009).

15 La montée en charge de la grille de lecture écologique et la promotion de la biodiversité transforment le regard sur les cultures vernaculaires. La Convention sur la « diversité biologique, signée à Rio de Janeiro en 1992, affirme dans son article 8 « la nécessite de prendre en compte les savoirs locaux » et promeut la notion « d’ethno-diversité ». La globalisation de l’économie transforme les perspectives et donne aux cultures une visibilité et un statut nouveau qui rompent avec la vision classique de la culture déconnectée des infrastructures économiques et biologiques. Dans ce creuset, les cultures alimentaires apparaissent comme des leviers de la protection de la biodiversité. Le mouvement slow food qui, parti d’Italie, s’est fortement implanté dans le monde anglophone et qui revendique aujourd’hui plus de 100 000 adhérents dans le monde en a fait sa thématique privilégiée.

16 Enfin, l’importance croissante des cultural studies tient aussi à la place de plus en plus grande de la production des biens culturels.

17

Que l’on fasse référence à une définition qui renvoie à l’idée de créativité (édition, produits audiovisuels), à celle de la transmission et de l’exploitation de savoirs (formation, traitement de données) ou à des significations plus extensives (activités récréatives, loisirs, tourisme), le culturel prend une place grandissante dans les activités économiques.
(Mattelart, Neveu, 1996, p.  40).

18 L’alimentation trouve ici une place de premier choix que ce soit dans l’Édition où les livres mêlent cuisines, histoires locales et dans certains cas ethnologie, dans le secteur du tourisme où l’alimentation constitue une voie d’entrée dans les cultures locales (Poulain, 1997 ; 2011) dans les documentaires de télévision ou encore les émissions de compétitions culinaires.

19 Enfin une des plus importantes caractéristiques des cultural studies est de s’être connectées avec des mouvements sociaux et d’avoir donné un espace de théorisation et d’expression à des voies militantes. Ce faisant, elles ont transformé l’organisation du monde de l’Édition en créant une place pour des textes à mi chemin entre le document universitaire et l’enquête journalistique. Du premier, ils gardent une certaine ambition théorique, le système de référence, la présence sur les campus, du second la lisibilité par un plus grand nombre, le caractère pédagogique tant que de besoin et l’accès au média.

2. Thématisation et dynamiques institutionnelles

20 C’est dans ce contexte que les food studies sont apparues et se sont développées. Il est toujours difficile d’attribuer la première utilisation d’une expression, mais une des premières semble être le livre collectif [1] édité par Elisabet Furst, Ritva Prättälä, Marianne Ekström, Lotte Holm et Unni Kjaernes sous le titre « Palatable worlds. Sociocultural food studies, (1991). On trouve des usages plus anciens, mais ils s’inscrivent dans la perspective très différente de l’étude des formes d’alimentation animale (Roelofs, 1954) et ont été remplacés aujourd’hui dans ce sens par l’expression « nutrition animale ».

21 C’est durant la décennie 2000-2010, que dans le monde anglophone, le thème des food studies s’impose. Il regroupe et fédère les différents mouvements vers l’alimentation apparus dans les sciences sociales et les disciplines littéraires (Counihan, Siniscalchi, 2014 ; Gardner, 2013).

22 Sa montée en charge se voit aussi par la place conquise dans l’appareil universitaire. Dans l’enseignement tout d’abord, à travers la création de diplômes spécialisés aux niveaux licence, master et doctorat, mais aussi avec l’apparition de « mineures » dans des diplômes de thématiques voisines. Elle se lit également dans le développement de groupes de recherche, la mise en place de chaires, la création d’associations professionnelles et de sociétés savantes, l’organisation de séminaires et de congrès ou encore l’apparition de revues scientifiques dédiées. Son succès se mesure à sa présence médiatique : édition de livres savants et grand public, émissions de télévision, articles de presse, présence dans les média sociaux. Certains ouvrages, mélangeant de façon inédite vulgarisation journalistique, activisme et effort de problématisation connaissent des succès de librairie (Pollan, 2006, 2008 ; Schlosser, 2001 ; Belasco, 2006 ; Nestle, 2002). Nombreuses sont aujourd’hui les personnes aux États-Unis, tant dans les milieux académiques que non académiques, qui se reconnaissent sous cette expression.

La montée en charge des food studies

23 Le développement des food studies s’articule sur celui des cultural studies. En effet, les décennies 1980 et 1990 sont marquées par une consolidation des lectures disciplinaires dont le sommet est atteint avec une série d’ouvrages et d’articles de synthèse en sociologie, histoire et anthropologie (Fischler 1979 ; 1980 ; 1990 ; Garine, 1979 ; 1994 ; Goody, 1982 ; Douglas, 1984 ; Mennell, 1985 ; Lambert, 1987 ; Mennell, Murcott, Van Otterloo, 1992 ; Harris, Ross, 1987 ; Flandrin, Montanari, 1996 ; Sobal, 2000 ; Mintz, Du Bois, 2002 ; Poulain, 2002,). Les dynamiques disciplinaires sont aussi bien anglophones que francophones, mais pour autant la thématique n’a pas encore de légitimité académique forte.

24 Le développement des food studies est concomitant aux mouvements sociaux qui, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, convergent sur l’alimentation. Ils vont créer les conditions de l’articulation des postures disciplinaires et de la matrice des cultural studies (Nestle, McIntosh, 2010). Plus ou moins articulés sur des crises et s’inscrivant pour la plupart dans une critique de l’organisation contemporaine de l’alimentation, tant au niveau de la production que de la mise en marché, ils vont contribuer à changer le statut social et médiatique de cette question. Les universitaires se retrouvent alors avec un public intéressé par leur analyse, les activistes puisent dans les productions scientifiques disponibles et les journalistes dynamisent les allers-retours entre la science et la société. Alors qu’en France ce contexte renforce les postures disciplinaires et dans une moindre mesure le dialogue interdisciplinaire, aux États-Unis et dans une partie du monde anglophone, c’est la matrice food studies qui monte en charge. La situation au Royaume-Uni est plus contrastée, car elle y cohabite avec des perspectives disciplinairement ancrées (Murcott, Belasco, Jackson, 2013 ; Warde, 2016).

25 Marion Nestlé inventorie ainsi 13 mouvements différents pour les USA, dont : anti OGM, animalistes, locavore, pro agriculture bio, critique de la distribution, anti marketing, pro étiquetage nutritionnel, anti fast-food. Ils sont plus ou moins organisés, plus ou moins radicaux, mais installent des rapports de force avec les décideurs du monde économique et politique. Et les questions qui les traversent s’inscrivent selon cette auteure « dans la tradition démocratique américaine » (Nestlé, 2009). Au climat d’inquiétude qui prévaut dans les sociétés développées et auquel font écho ces différents mouvements « anti » s’ajoute l’enjeu de la faim dans le monde et du défi de nourrir une planète dont la population croît en progression géométrique. Parmi eux, le mouvement slow food a la particularité de tenter une vision globale éthique, hédoniste et écologiquement responsable. Sur les food studies convergent aussi des mouvements qui voient dans les cultures alimentaires locales des « patrimoines » à sauvegarder.

26 Le « démontage » d’un Mac Donald par José Bové en 1999 a ainsi fortement contribué en France à la réception de la sociologie de l’alimentation et plus largement du discours des sciences sociales sur l’alimentation, qui a ainsi gagné en légitimité, tant dans les milieux politiques, la presse que dans le monde académique.

27 L’émergence des food studies et leur prise de relais des perspectives disciplinaires dans le monde anglophone, a en revanche été rendu possible par les apports des cultural studies qui ont rendu visibles les cultures populaires et leurs composantes alimentaires, mais aussi par la transformation du statut épistémologique du concept d’identité, à la fois grâce aux travaux sur le genre et sur la question post-coloniale.

Les lieux de thématisation

28 Un séminaire intitulé « The Future of food studies: an interdis- ciplinary Workshop » (FoFS) regroupant 16 universités des États-Unis, du Royaume-Uni, de Belgique et d’Italie a été organisé en 2013 à Bloomington (Indiana) (Hamada et al., 2015). Il en ressort qu’il y a « presque autant de logique d’institutionnalisation que d’univer-sités ». Chaque portage de programme est en fait un peu « un cas particulier ». Plus globalement, les auteurs de la synthèse de ce workshop identifient trois grandes tutelles : la culture avec les départements de littérature, d’histoire, de civilisation, ceux d’agronomie et de nutrition qui dans l’organisation universitaire américaine dépendent des Land-grant universités à vocation professionnelle et technique et enfin les écoles d’hôtellerie restauration et du tourisme.

29 Un inventaire systématique des formations de niveau masters permet d’identifier 37 universités réparties dans 19 pays du monde [2] qui offrent des masters ayant une approche pluridisciplinaire de l’alimentation avec un centre de gravité sur les SHS. Parmi eux, 8 masters affichent le label food studies. Les 29 autres utilisent un autre intitulé, correspondant à une approche disciplinaire ou pluri- disciplinaire au sein des sciences sociales. Du point de vue de la répartition géographique, deux pôles principaux se repèrent, l’Amérique du nord avec 14 masters et l’Europe avec 18, et dans 24 d’entre eux la langue d’enseignement est l’anglais. Cet inventaire confirme la « grande diversité de situations ». Il montre aussi que les food studies cohabitent avec des formes d’inscriptions disciplinaires et que celles-ci sont (encore) largement dominantes. Mais son principal intérêt est de permettre la poursuite de l’analyse engagée lors du séminaire de Bloomington.

Tableau 1 : Master food studies et Sciences Humaine et Sociales appliquées à l’alimentation

Tableau 1 : Master food studies et Sciences Humaine et Sociales appliquées à l’alimentation
Tableau 1 : Master food studies et Sciences Humaine et Sociales appliquées à l’alimentation

Tableau 1 : Master food studies et Sciences Humaine et Sociales appliquées à l’alimentation

30 C’est ainsi que en prenant en compte tous les masters centrés sur les sciences sociales appliquées à l’alimentation (utilisant ou non l’intitulé food studies) il est possible de dégager deux grandes logiques institutionnelles et cinq principales formes de tutelle. La première logique correspond à l’élargissent de l’offre de formation sur la thématique de l’alimentation de départements à forte légitimité académique. Elle correspond à de nouveaux diplômes portés par des départements disciplinaires classiques. Deux noyaux disciplinaires principaux apparaissent : les départements de « Sociologie, anthropologie, ethnologie » et d’« Histoire, Géographie et Lettres et Civilisation ». Ils regroupent 17 masters sur 37. La seconde logique correspond à des diplômes installés dans des départements professionnalisant avec un positionnement pluridisciplinaire. Ils sont d’apparition plus récente, et dans tous les cas pas au cœur historique de l’université. La mise en place de ces diplômes qui prennent en compte les enjeux sociaux et culturels de l’alimentation, s’inscrit ici dans un renforcement de légitimité et de reconnaissance académique par des liens tissés avec les SHS. Il s’agit de départements d’agriculture, d’hôtellerie et tourisme ou encore de nutrition et ils représentent 20 masters sur 37. Passons en revue maintenant les cinq types de tutelles identifiées. On trouve donc des départements :

31 1. De sociologie-anthropologie. Ils regroupent 9 masters. Ils disposent aujourd’hui d’une légitimité académique liée aux effets cumulatifs des travaux de trois générations de chercheurs et à la dynamique créée par les concurrences paradigmatiques (MacIntosh, 1996). La bipolarité méthodologique quantitative et qualitative a permis une mise en dialogue avec le secteur de la santé (nutrition, santé publique, épidémiologie), disciplines avec lesquelles la sociologie entretient des relations historiques. Et la tradition de la sociologie rurale tend des fils avec l’univers agricole et de la gestion des territoires.

32 2. D’histoire, de géographie, agrégeant parfois les civilisations ou la linguistique. Ils rassemblent 8 masters. Ils bénéficient de la légitimité d’une discipline très ancienne et là encore d’un nombre important de travaux (Parasecoli, Scholliers, 2012). Le dialogue avec les industries culturelles, de la muséologie et du patrimoine est bien installé.

33 3. Les départements d’hôtellerie-restauration et de tourisme forment le quatrième espace de développement des food studies avec 6 masters. Dans cet univers la gastronomie, les cultures et l’inter-culturalité alimentaires ont une importance opérationnelle. Dans le monde anglo-saxon, le flux d’étudiants dans ce secteur est relativement important car les études universitaires débutent juste après le bac, alors qu’il ne débute qu’au niveau licence 3 en France, en Suisse ou encore en Allemagne, compte tenu de l’existence des écoles hôtelières et pour l’Allemagne de la Hochfachschule. Dans le monde anglophone le secteur de l’hôtellerie est dominé au niveau doctoral par les tourism studies qui ont très tôt pris le vent des cultural studies. L’émergence des food studies a constitué pour un certain nombre d’enseignants notamment en gastronomie, art culinaire et restaurant management une voie de reconnaissance et de développement de recherche. Un champ a également émergé à l’articulation du tourisme et des food studies. Ce secteur dispose de flux d’étudiants en hausse et entretient des relations avec les milieux professionnels.

34 4. De nutrition et de santé publique ; ils regroupent 5 masters. Ce territoire scientifique est depuis longtemps en dialogue avec les approches des SHS. Cependant la mise en place de masters spécialisés est récente et traduit une certaines transformation des cadres de références. L’obésité a largement contribué au développement de ce dialogue (Maurer, Sobal, 1995 ; Poulain, 2009 ; Saint Pol, 2010). Si dans ce secteur la recherche interdisciplinaire fait désormais une place aux SHS, les logiques d’insertion professionnelle sont encore assujetties à un schéma de pensée et d’action de la santé publique.

35 5. Enfin les écoles d’agriculture et d’agronomie regroupent 9 masters. Beaucoup plus professionnalisés et installés dans des univers plus positivistes et souvent au service d’une agriculture productiviste, ces diplômes sont positionnés sur les enjeux globaux de la production et les questions de sécurité alimentaire. Historiquement connectés à la sociologie rurale ils déploient leurs réflexions sur la question de l’organisation de la production sur différentes échelles territoriales, depuis le développement local, jusqu’au système global.

36 On peut donc repérer cinq lieux de thématisation des food studies, cinq espaces académiques d’où s’organisent des connections avec, à chaque fois un portefeuille original de disciplines, de questions théoriques, de questions sociales, d’univers d’application et de médiatisation et enfin de formes de légitimation. Les profils d’enseignants-chercheurs travaillant dans ces diplômes, les origines et les trajectoires des étudiants en sortant sont assez différents. Ils sont plus tournés vers l’univers académique pour certains, vers celui de l’action et les milieux professionnels pour d’autres ; en quête de reconnaissance académique ou d’audience, etc. Tout ceci ajoute encore au sentiment d’hétérogénéité, mais génère des dynamiques particulières.

3. Les enjeux de l’opposition entre food studies et approche socio-anthopologique

37 Le travail de recherche suppose toujours un double inves- tissement. Une connaissance approfondie d’une discipline (parfois de plusieurs) avec ses paradigmes, ses cadres théoriques et ses méthodologies, plus l’acquisition d’une culture des objets particuliers sur lesquels le chercheur entend faire son travail. Dans le cas des sciences sociales et humaines où les paradigmes en concurrence sont nombreux, cette double spécialisation participe d’un phénomène de « babélisation » de la recherche qui rend difficile la communication. L’intérêt des food studies tient au fait qu’elles constituent un espace de rencontre et de socialisation professionnelle pour des confrères de disciplines différentes qui ont en commun une culture de l’objet « alimentation ». Elles sortent ainsi de l’isolement les chercheurs qui au sein de leurs disciplines respectives ont parfois du mal à trouver des interlocuteurs au fait des objets empiriques sur lesquels ils déploient leur activité. De surcroît, elles contribuent à l’appropriation collective du territoire. Elles ont une fonction de bannière offrant à un univers atomisé dans l’appareil universitaire une certaine visibilité.

38 L’intérêt le plus évident est de redessiner les découpages épistémologiques en créant un espace pluridisciplinaire attirant des chercheurs de part et d’autre de la muraille qui sépare les sciences biologiques des sciences humaines et sociales. L’espace des food studies se prête à de multiple combinaisons, des plus prudentes, comme celles qui se déploient au sein du territoire des sciences humaines et sociales entre histoire, économie, sociologie, anthropologie, psychosociologie, linguistique… aux plus ambitieuses, c’est-à-dire celles qui n’hésitent pas à tendre des fils entre la nutrition, l’agronomie, la génétique, l’épidémiologie d’un côté, et la sociologie de l’alimentation, les sciences politiques, l’anthropologie de l’autre. Les avancées de la génétique et de la nutrition (nutri-génétique, nutri-génomique et surtout épi-génétique) ouvrent de nouveaux espaces de coopération susceptibles de bousculer les lignes établies par l’organisation durkheimienne de la définition du social de son autonomie. En effet l’epigénétique met au jour des traces de l’influence des consommations alimentaires de la mère durant la grossesse ou de l’enfant durant les premiers mois de la vie qui influencent de façon plus ou moins durable l’expression des gènes. La production de données empiriques permettant le dialogue entre des territoires jusque-là autonomes peut redessiner les lignes entre les sciences sociales, médicales et la biologie. Ces avancées vont re-ouvrir le débat sur les formes d’interdisciplinarité et les modalités du dialogue inter- disciplinaire. En permettant d’éviter l’écueil des postures surplombantes de l’essai philosophique, la production de ces nouveaux types de données empiriques devrait donner un nouveau souffle à certains champs de la sociologie, au premier rang desquels la socio- anthropologie de l’alimentation.

39 Les cultural studies disposent en revanche d’une position épistémologique originale sur l’échiquier disciplinaire. Elles constituent à la fois un espace de production de savoirs et un lieu d’intégration des connaissances produites hors de son territoire dans différentes disciplines des sciences sociales et humaines. Cette situation particulière qui invite à adopter des perspectives pluridisciplinaires, expose à deux obstacles principaux : le risque de l’encyclopédisme et celui de l’instrumentalisation (quand ce n’est pas de la gadgetisation) des concepts issus des disciplines classiques des sciences humaines et sociales.

40 En effet, le recours aux productions de plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales conduit parfois les chercheurs à adopter des cadrages théoriques quasi encyclopédiques. Comme il est déjà très difficile de se tenir à jour dans des champs disciplinaires aussi variés, les références ne sont pas toujours à la pointe du « progrès » des spécialistes de la discipline et les revues de littérature sont trop souvent conduites à partir de documents de deuxième main, voire des text-books. Si ce type de production n’est pas sans efficacité pour signifier aux journalistes, aux responsables d’entreprise ou d’associations, voire au public cultivé, la dimension universitaire des food studies, il donne aux différents spécialistes des SHS des sentiments curieux, se distribuant sur un continuum allant du charme suranné de certains cours de culture générale de classes préparatoires à l’exotisme d’une conférence de « connaissance du monde » prononcée devant un parterre d’anthropologues. Une conférence de food studies réunit des chercheurs utilisant des méthodes et des cadres conceptuels si différents qu’ils peuvent parfois avoir seulement l’illusion de se comprendre. Le risque est grand de rester à la surface de ces objets et de se satisfaire d’une description de la diversité des influences culturelles.

41 Avec la montée des food studies la communauté scientifique concernée affronte le risque d’une (partielle) déconnection des problématiques scientifiques disciplinaires. Le caractère multi-paradigmatique des SHS limite considérablement les exportations de concepts en dehors des contextes épistémologiques dans lesquels ils ont été forgés. Ce problème est encore renforcé quand ils sont mobilisés dans le cadre plus ou moins implicite d’une théorie de la rationalité simplifiée et plus ou moins naïve, en ligne sur la « théorie de l’action rationnelle » largement dominante dans le marketing, les sciences de gestion ou la nutrition humaine. Si celui-ci à quelque compatibilité avec la psychologie cognitive qui permet de saisir la façon dont les biais cognitifs impactent la rationalité, l’articulation avec des concepts sociologiques – comme la théorie du choix rationnel de Raymond Boudon (2007) –, ou encore anthropo- logiques forgés dans des cadrages théoriques plus éloignés se révèle plus hasardeuse quand elle n’est pas tout simplement un coup de force ou de la poudre aux yeux.

42 Les cultural studies ont trouvé dans la critique littéraire une fond théorique commun, un espace d’intégration épistémologique. Espace qui pour le moment fait défaut au food studies. Le risque est alors grand d’une interdisciplinarité flottante, sans ancrage. Sans doute est-ce une raison pour laquelle de nombreux départements ne franchissent pas le pas et préfèrent s’articuler sur les disciplines.

43 La tradition sociologique française est marquée par une tension entre une perspective disciplinaire fidèle à la définition durkheimienne du fait social et la conception maussienne du « fait social total ». La première affichant un respect plus ou moins scrupuleux du principe d’autonomie du social est disciplinairement centrée et la seconde, inscrite dans la tradition inaugurée par Marcel Mauss dans les « techniques du corps », considère les frontières disciplinaires avec la psychologie et la biologie comme marquées par une certaine porosité. Les réflexions conduites sur la transdisciplinarité dans les années 1970 et 1980 sous l’impulsion d’Edgar Morin (Morin, Piattelli-Palmarini et al., 1974), ont joué un rôle déterminant dans le développement des sciences sociales appliquées à l’alimentation en accueillant la production des certaines des premières thèses (Poulain, 2012)

44 Ainsi l’alimentation humaine peut-elle être à la fois posée comme «fait social», (Durkheim), comme «fait social total» (Mauss) et comme «fait total humain» (Morin). Ces trois définitions ont en commun d’affirmer que l’alimentation est bien plus que l’infrastructure biologique qui la supporte. De plus, elles pointent, de façon grandissante de la première à la troisième, l’impérativité du dialogue interdisciplinaire. Aussi trouve-t-on en France derrière les revendications de l’étiquette « sociologie de l’alimentation » des postures sociologiquement centrées et des postures socio-anthropologiques du «fait social alimentaire», assumant un large dialogue inter- disciplinaire.

45 La situation dans le monde anglophone est aussi nuancée. Si les food studies ont conquis une place respectable aux États-Unis, au Royaume-Uni certains auteurs travaillant sur l’alimentation se tiennent à distance du label. C’est le cas des principaux acteurs de la cultural sociology (Inglis et al., 2008 ; Back et al., 2012). De plus, la question alimentaire à trouvé une place dans plusieurs veines de la sociologie anglaise, notamment le mouvement développementaliste qui prolonge la perspective de Norbert Elias (Germov, 1999) et se connecte avec l’anthropologie de Jack Goody, la sociologie de la consommation (Warde, 1996 ; Holm, 2013), enfin la sociologie politique de l’alimentation (Rayner, Lang, 2012).

46 Un travail reste à faire, pour mettre en place un ensemble théorique, notionnel et méthodologique non pas commun, mais susceptible de faire tenir sous une désignation acceptable par tous des postures plus ou moins concurrentes. Il est engagé comme en attestent des publications récentes qui regroupent chacune un nombre important d’acteurs du champ, sur le plan méthodologique (Miller, Deutsch, 2009 ; Murcott, Belasco, Jackson, 2013) et sur le plan théorique (Poulain, 2012 ; Albala, 2013 ; Warde, 2016). Des rencontres fructueuses s’opèrent avec les gender studies (Fournier, Jarty, Lapeyre, Touraille, 2015 ; Cairns, Johnston, 2015), ou encore la mise en œuvre concrète de perspectives interdisciplinaires (MacClancy, Henry, Macbeth, 2009 ; Fischler, 2013 ; Fournier, Poulain, 2016). Cet article souhaite aussi y apporter sa contribution, mais il est sans doute trop tôt pour dire si cette dernière soutiendra le label food studies ou la déclinaison des sciences sociales appliquées à l’alimentation.

Notes

  • [1]
    Il s’agit en fait de l’édition des communications prononcées lors d’une manifestation scientifique intitulée « Food, Symbols and Everyday Life » (1991), First Nordic Symposium of Sociological Food Research, qui s’est déroulée les 10-12 Septembre 1990, dans la ville de Gilleleje au Danemark.
  • [2]
    Il s’agit d’une photographie en juillet 2015. Certains programmes ont existé mais n’étant plus actifs n’apparaissent pas dans la liste. Nous remercions Kremlasen Naidoo, étudiant du Master of Phil « Food Studies » du Taylor’s Toulouse University Center, pour l’aide apportée dans la collecte d’information. Les critères d’inclusion sont la proposition d’un enseignement pluridisciplinaire sur l’alimentation avec centre de gravité dans les sciences sociales et humaines. La stratégie de recherche a consisté en une exploration Google par mots clef « Food Studies » et « Master » puis « Food » et « Social sciences ». Puis la recherche s’est prolongée par l’exploration des sites des universités des auteurs ayant collaboré aux principaux text book des food studies.
Français

L’intérêt des sciences sociales et humaines pour l’alimentation s’est développé quasi simultanément dans les univers anglophones et francophones, mais selon des chemins différents. À partir des années 2000 se développe en effet dans le monde anglo-saxon un mouvement appelé food studies qui opère sur le modèle des cultural studies un recentrage thématique pluridisciplinaire, à l’opposé de l’approche européenne, et notamment française, qui privilégie une perspective ouverte à l’interdisciplinarité mais disciplinairement ancrée. Cet article identifie trois polarisations disciplinaires : la première sur la socio-anthropologie, la deuxième sur l’histoire et les civilisations et la troisième sur la géographie et l’agriculture. Il se propose d’analyser les dynamiques internes et externes à l’oeuvre derrière cette rapide thématisation des études sur l’alimentation. Il étudie les relations qui se tissent entre les food studies et les différents ancrages disciplinaires, les jeux de complémentarité, de concurrences, mais aussi les risques et enjeux épistémologiques pour ces deux voies de développement des études sur l’alimentation.

Mots-clés

  • Food studies 
  • Goût 
  • Sociologie de l’alimentation 
  • Thématisation scientifique

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Jean-Pierre Poulain
est professeur de sociologie à l’université Toulouse-II Jean Jaurès et membre du CERTOP UMR-CNRS 5044. Titulaire de la chaire « Food studies: Food, Cultures and Health » créée conjointement par la Taylor’s University et l’université de Toulouse il co-dirige le Laboratoire International Associé (LIA) du CNRS, France Malaisie : « Food, Cultures and Health ».
Université de Toulouse, Certop UMR CNRS 5044,
LIA-CNRS « Food, Cultures and Health »,
Jean-Pierre.Poulain@taylors.edu.my
jpierrepoulain@aol.com
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/05/2017
https://doi.org/10.3917/anso.171.0023
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