CAIRN.INFO : Matières à réflexion
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1 Les recherches menées en éthologie sur la sociabilité et la culture dans le monde animal ont connu un vif essor depuis un demi-siècle. Pourtant, elles restent à ce jour relativement méconnues en sciences sociales. Il n’en a pas toujours été ainsi. Les sciences sociales se sont en effet développées, à leur naissance, en lien étroit avec les réflexions menées par les naturalistes sur les sociétés animales, comme l’illustrent les œuvres d’Auguste Comte, Herbert Spencer, Alfred Espinas ou encore Émile Durkheim (Stark, 1962 ; Guillo, 2003). Toutefois, à partir du tournant du siècle, elles ont pris peu à peu nettement leurs distances avec cette thématique de recherche et avec les pans des sciences de la vie dans lesquels elle est désormais explorée [2]. On peut même aller jusqu’à considérer, sans excès, que depuis lors, les recherches menées en sciences de la vie sur la société et la culture animales ont été, soit assez largement ignorées – souvent au nom de l’autonomie épistémologique des sciences sociales – soit vivement rejetées, en tant que vues porteuses d’un réductionnisme naturaliste fallacieux [3]. Pourtant, les réflexions sur ces deux thèmes ont été conceptuellement révolutionnées depuis les années 1960, et ont donné lieu à des investigations prodigues en découvertes empiriques.

2 L’objectif du présent article est d’exposer de manière synthétique ces recherches en restituant le plus fidèlement possible les faits qu’elles ont permis de mettre au jour, la manière dont elles posent la question de la sociabilité et de la culture chez les animaux, ainsi que les particularités conceptuelles qui leur sont propres, au regard de la façon dont les sciences sociales conçoivent traditionnellement les faits socio-culturels. On tentera de montrer, en guise de préambule, que la catégorie d’« animal-machine », volontiers utilisée aujourd’hui dans certains courants des sciences sociales pour caractériser de manière critique les modèles proposés par l’éthologie, est beaucoup trop vague et flottante pour rendre compte avec une précision suffisante des perspectives propres à cette discipline. Ensuite seront présentées de manière synthétique les deux thématiques principales, relativement autonomes, quoique connectées l’une avec l’autre, autour desquelles se sont développées les recherches éthologiques sur la sociabilité animale, au sens le plus large, durant le dernier demi-siècle : le comportement social stricto sensu, d’une part ; les phénomènes culturels, d’autre part. Enfin, nous proposerons de revenir de manière synthétique sur la façon dont cette éthologie conçoit le social, le culturel, et l’agentivité animale, pour esquisser les conditions sous lesquelles un débat critique croisé avec les sciences sociales est susceptible d’être fécond.

L’éthologie considère-t-elle l’animal comme une « machine » ?

3 Les recherches qui visent aujourd’hui à réhabiliter l’agentivité animale en sciences sociales ou en philosophie décrivent volontiers l’éthologie comme une discipline fondée sur une conception de l’animal comme « machine » [4]. Ce modèle de « l’animal-machine » et l’épistémologie qui l’accompagne feraient peser des conditions telles pour la reconnaissance d’une subjectivité animale qu’ils conduiraient nécessairement le chercheur à s’interdire d’atteindre celle-ci et d’en mettre au jour le contenu. Toutefois, une telle qualification du programme de l’éthologie peut s’avérer fort trompeuse tant que l’on ne précise pas en quel sens précis cette discipline formule et déploie cette conception jugée « mécanique » du vivant. La notion de « machine » est en effet une entité trop vague et polysémique pour rendre compte avec suffisamment de rigueur des questionnements propres à une discipline, encore moins de ses inflexions historiques.

4 On ne saurait prétendre ici proposer une analyse de l’épistémologie qui sous-tend l’éthologie, fût-ce sur la période récente. L’objectif sera simplement de porter le regard par-delà la qualification « d’animal-machine », pour opérer quelques distinctions importantes dans la perspective d’un dialogue avec les sciences sociales. Dans cette perspective, il est essentiel de distinguer fermement au moins cinq partis pris, d’une part, et cinq niveaux de questionnements, d’autre part. Chacun des partis pris peut suggérer que les éthologues qui l’adoptent adhèrent en quelque mesure à une forme de « mécanisme ». Mais ces partis pris portent sur des problèmes différents et peuvent être adoptés, ou rejetés, indépendamment les uns des autres, ce que masque nécessairement l’usage d’une catégorie unitaire comme celle d’« animal-machine ». Ces partis pris sont : le refus de l’usage du vocabulaire mentaliste ; la nécessité de retenir, toujours, l’explication qui minimise la complexité des compétences psychologiques de l’animal (principe nommé généralement le « Canon de Morgan » (Morgan, 1903)) ; l’usage de la méthode expérimentale ; l’explication des comportements au moyen du schéma stimulus / réponse ; l’explication du comportement par des schémas innés. Les cinq niveaux de questionnements que l’on peut distinguer renvoient, quant à eux, à une typologie classique fondamentale de l’éthologie [5] : la description du comportement étudié, la détermination des causes immédiates qui le pro­- duisent chez un animal, celle de sa fonction, celle de son ontogenèse et enfin celle de sa phylogenèse.

5 Ces distinctions sont fort importantes, car elles permettent de montrer en quoi le qualificatif d’« animal-machine » conduit à des confusions conceptuelles qui interdisent de saisir les différences entre les paradigmes éthologiques et, plus largement, la manière dont les courants propres à cette discipline conçoivent l’agentivité animale. Car ces différents paradigmes peuvent être qualifiés de « mécanistes » sur tel ou tel de ces questions ou parti pris et, dans le même temps, « non-mécaniste » à propos des autres.

6 Le béhaviorisme, par exemple, est fermement opposé à l’usage du vocabulaire mentaliste en matière de description des comportements : aux yeux des savants qui s’inscrivent dans ce courant, ce vocabulaire renvoie à des entités non observables – esprit, instinct, pensée, volonté, etc. – qui ne peuvent, par conséquent, faire l’objet d’un traitement scientifique. Toutefois, ils appliquent exactement le même traitement à la description du comportement humain. Dans le béhaviorisme, le « mécanisme » n’est pas réservé à l’animal. Ce paradigme ne trace donc pas de « Grand partage » entre humains et non-humains sur ce point. Par ailleurs, dans ce courant, ce parti pris sur la description a été largement associé à des vues inspirées par Pavlov sur le conditionnement pour expliquer les causes proximales du comportement. Dans un tel cadre, le comportement est conçu comme une réponse proportionnée à un stimulus typique, l’ensemble de ce schéma étant le produit d’un processus d’apprentissage par conditionnement, autrement dit d’acquisition au cours de l’ontogenèse : les chiens, comme le montre l’exemple classique de Pavlov, peuvent apprendre à saliver sous l’effet d’un signal sonore ou visuel, si celui-ci a été associé de façon répétée à la présentation de nourriture. L’animal n’apparaît donc pas ici comme un être répondant à des schémas inscrits « mécaniquement » dans des instincts innés.

7 L’éthologie classique, qui se dessine à partir des années 1930, notamment avec les travaux de Nikolaas Tinbergen et Konrad Lorenz, rompt radicalement, quant à elle, avec une bonne partie de ces principes. Lorenz, en particulier, multiplie les exemples destinés à réfuter la conception du comportement comme « assemblage de réflexes conditionnés ». Ainsi fait-il valoir l’existence de « coordinations de mouvements innés et hautement spécialisés ». Abordant la question de l’ontogenèse des comportements complexes, il soutient que ces derniers se forment à travers un feuilletage complexe de séquences, dont certaines sont innées, tandis que d’autres comportent des lacunes, « constituant, à la place d’un acte instinctif, une «faculté d’acquérir» » (Lorenz, 1970, p. 20) [6]. Ainsi montre-t-il, dans une étude célèbre, que les oisons des oies cendrées sont portés, durant une courte et très précise période de leur développement, à s’attacher à un être de leur environ­- nement doté de caractéristiques définies – possédées par leurs mères, mais il est possible de leurrer l’oison, jusqu’à un certaine point – qui leur servira ensuite d’image étalon pour reconnaître à l’âge adulte les membres de leur espèce et déclencher alors des comportements sexuels innés [7]. En somme, pour Lorenz, les comportements fonctionnellement homogènes des animaux supérieurs ne sont pas simplement acquis par des stimulations répétées, comme le soutiennent les béhavioristes : ils sont programmés, de façon innée, pour être acquis. Cette réhabilitation de la base innée des comportements a conduit ce courant éthologique à aborder la question de leur fonction : il faut en effet expliquer pourquoi ces actes instinctifs se sont installés dans l’espèce. Dans un tel cadre, la fonction est alors considérée sous un angle phylogénétique : elle est ici donnée par l’utilité du comportement pour la survie de l’espèce. Au total, cette réhabilitation de l’instinct, d’une part, et cet intérêt porté à la fonction des comportements, d’autre part, ont conduit cette étho­- logie classique à relâcher considérablement l’exigence d’une description physicaliste stricte, et à lever ainsi partiellement l’interdit qui frappait, dans le béhaviorisme, l’usage d’un vocabulaire mentaliste ou sociologique épais, comme l’atteste chez Lorenz l’emploi de notions comme l’instinct ou le rituel. Par ailleurs, cette posture, qui n’est plus fondamentalement centrée sur la mesure quantitative des rapports entre stimulus et réponse, a conduit ces savants à réhabiliter la collecte de données en milieu naturel, soulignant ainsi les limites de la méthode expérimentale.

8 Dans l’éthologie actuelle, le vocabulaire non-physicaliste – mentaliste ou social – est assez largement accepté – du moins toléré – pour décrire les comportements au moyen de leur fonction, lorsque celle-ci est jugée évidente pour l’observateur. Par exemple, comme l’écrit l’auteur d’un ouvrage méthodologique de référence, on pourra accepter de décrire l’envol d’un oiseau à l’approche d’un prédateur comme un comportement de « fuite », plutôt que comme une « alternance rapide de contraction et de relaxation du muscle pectoral » (Lehner, 1996, p. 82). De la même façon, l’usage de catégories sociologiques, aux accents anthropomorphiques, comme la « coopération », la « dominance », l’« altruisme » ou encore la « réconciliation » (de Waal, 1990) est jugé aujourd’hui acceptable par beaucoup d’éthologues lorsque ces catégories sont utilisées en un sens clairement fonctionnel et/ou pour expliquer les forces évolutives qui ont pesé sur la sélection des comportements qu’elles désignent. Ainsi, comme le souligne l’éthologue Adam Miklósi :

9

Les animaux vivant en groupe peuvent avoir des problèmes similaires à résoudre (dominance, coopération) ou des forces évolutives similaires peuvent les avoir sélectionnés pour leur vie en groupe.
(Miklósi, 2007, p. 15).

10 Telle est la raison pour laquelle une partie des éthologues considèrent qu’une forme d’ « anthropomorphisme fonctionnel » est acceptable (Miklósi, 2007, p. 15).

11 En revanche, la très grande majorité des éthologues sont aujourd’hui très réticents – et certains extrêmement réticents –, à utiliser ce vocabulaire lorsqu’il s’agit de rendre compte des causes proximales du comportement, en d’autres termes des mécanismes organico-psychiques qui le sous-tendent. À leurs yeux, des comportements décrits dans des termes fonctionnels identiques – altruisme, réconciliation, coopération, par exemple – peuvent être exécutés sous l’effet de mécanismes organico-psychiques très différents suivant les espèces, de la même façon qu’une fonction comme la « fuite » peut être réalisée par des organes fort différents, morphologiquement et phylogénétiquement (les ailes des mouches et celle des oiseaux, par exemple). Ainsi la conduite du chien vis-à-vis des membres de la famille humaine auprès de laquelle il vit présente, dans les sociétés occidentales, des similitudes très fortes avec celles des enfants : jeu, soumission relative, etc [8]. Mais les états mentaux du chien, selon ces éthologues, n’ont rien à voir avec ceux des enfants. Sur cette question – celle des mécanismes proximaux impliqués dans le déclenchement et le déroulement du comportement –, ainsi que sur la question de l’ontogenèse des comportements, la plupart des éthologues actuels adhèrent au canon de Morgan, même si certains d’entre eux, comme les éthologues cognitifs, en font une application moins stricte et radicale que d’autres.

12 Comme on peut en juger, on ne saurait donc jeter quelque lumière sur la façon dont l’éthologie conceptualise aujourd’hui le comportement animal en se contentant de soutenir qu’elle traite l’animal comme une « machine ». Du moins est-il impératif de préciser à propos de quel ordre de questions, et en quel sens défini, elle s’appuie sur un tel « modèle ».

13 Concentrons-nous maintenant plus spécifiquement sur le regard que l’éthologie porte sur le comportement social. Comme on va le voir, cette question a longtemps constitué une énigme, y compris dans le cadre de l’éthologie classique. À partir des années 1960, un cadre paradigmatique révolutionnaire va résoudre cette énigme, avec d’importantes conséquences conceptuelles pour tout un pan de l’éthologie, qui sera désormais fermement arrimée à la théorie néo-darwinienne de l’évolution.

L’explication du comportement social des animaux : le succès des modèles évolutionnaires néo-darwiniens

Le modèle de la sélection de parentèle (kin selection)

14 Il n’est pas excessif de dire qu’aux yeux des éthologues classiques, le comportement social ne constituait pas un objet soulevant des difficultés théoriques profondément différentes de celles que posent les autres comportements animaux. Comme on l’a souligné plus haut, la plupart d’entre eux se concentraient sur la description et l’étude des mécanismes proximaux impliqués dans la structure, le déclenchement et le déroulement du comportement, ainsi que dans son ontogenèse. L’explication phylogénétique n’était pas absente. Mais elle était renvoyée à l’« utilité pour la survie de l’espèce » du comportement, jugée le plus souvent suffisamment évidente pour ne pas justifier davantage d’investigations.

15 Or, s’agissant des comportements sociaux, cette explication ne pouvait guère satisfaire les partisans de la « théorie synthétique de l’évolution », qui commence à occuper une place dominante en biologie à partir des années 1930 (voir Mayr, 2001). En effet, cette théorie accorde un rôle explicatif capital au mécanisme de sélection naturelle. Celle-ci est définie, dans un tel cadre, comme une reproduction différentielle entre les individus d’une même population porteurs de variantes d’un même trait, qui sont héritables et n’ont pas la même « valeur adaptative ». En d’autres termes, ces différentes variantes ne donnent pas aux individus qui les portent la même probabilité d’avoir une descendance. Par exemple, une légère différence de couleur de peau héritable entre deux soles vivant dans une même niche géographique donne à chacune d’entre elles une probabilité différente d’être dévorée par un prédateur, et donc une probabilité différente d’avoir une descendance. Ce différentiel de reproduction peut donc donner lieu, au fil des générations de descendants de ces deux individus, à un processus de sélection au sein de la population dans laquelle ils vivent.

16 Or, comme Darwin lui-même l’avait souligné (Darwin, 1999, pp. 291-292), nombre de comportements qualifiés usuellement de sociaux dans le monde vivant constituent de véritables défis pour une telle explication. Comment expliquer, en effet, que des conduites à travers lesquelles des individus diminuent leur probabilité de se reproduire, au profit des autres – par exemple, les ouvrières qui, chez les fourmis et les abeilles, travaillent ou sont prêtes à défendre leur société contre les intrus jusqu’à la mort – aient pu être retenues par la sélection naturelle ? Imaginons ce que pouvaient être les ancêtres de ces insectes avant que cette division du travail complexe et les comportements sociaux qui l’accompagnent ne se répandent dans les populations formées par leurs descendants. Et imaginons qu’un des traits au moyen desquels cette vie sociale est aujourd’hui réalisée survienne chez un de ces ancêtres par mutation – par exemple, une disposition à ramener de la nourriture pour une sœur, à défendre la ruche contre les intrus au risque de perdre sa vie, une ébauche de dard dont l’usage tue celui qui s’en sert, etc. Cet individu « altruiste » [9], par définition, aura en probabilité moins de descendants que ses congénères de la même population, car non seulement ce trait diminue ses propres chances de survie, mais il augmente celles de congénères qui ne le possèdent pas : ceux-ci bénéficient en effet de l’aide de cet « altruiste ». Ce différentiel reproductif voue de tels traits à disparaître de la population presque aussitôt qu’ils sont apparus, dès la génération suivante, tout au plus au bout de quelques générations.

17 Tel est l’argument que les défenseurs du néo-darwinisme ont longtemps opposé aux explications mobilisant le principe de « l’utilité pour l’espèce » : montrer simplement en quoi un trait peut être utile pour une population ou une espèce ne suffit pas à expliquer pourquoi et comment il a été sélectionné. Pour contourner cette difficulté, certains chercheurs ont proposé à partir des années 1960 une version élaborée du principe de l’utilité pour l’espèce : la « sélection de groupe ». Dans un ouvrage aujourd’hui classique, le naturaliste écossais Vero Copner Wynne-Edwards évoque le cas des lagopèdes d’Écosse, dont certains individus de sexe masculin paraissent, dans des situations de surpopulation, se résigner à quitter le territoire où ils vivent, renonçant ainsi à se reproduire (Wynne-Edwards, 1962). Un tel comportement « altruiste », « social » – au sens où l’individu adopte une conduite manifestement bénéfique pour le reste de la population, et désavantageuse pour lui en termes reproductifs – a pu s’installer dans cette espèce, dit Wynne-Edwards, parce que la sélection s’est opérée ici non pas au niveau des gènes ou des individus, mais au niveau des groupes ou des populations de cette espèce. Les groupes dans lesquels de tels comportements existaient ont mieux résisté à la concurrence intergroupe que les autres, lesquels ont disparu.

18 Contre ce modèle, une cohorte de chercheurs, notamment William Hamilton, John Maynard Smith ou encore George Christopher Williams ont fait valoir que le principe de la « sélection de groupe », malgré les apparences, ne permet pas de résoudre l’énigme évoquée plus haut. En effet, quelle que soit l’utilité de tels traits pour le groupe, il reste, ici encore, à expliquer comment, une fois apparus chez un individu, ils ont pu se répandre au fil des générations successives sachant qu’ils diminuent chez ceux qui les portent la probabilité de reproduction, tout en augmentant celle des individus qui ne les portent pas. Dans le sillage de cette critique, les mêmes chercheurs vont alors bâtir un modèle évolutionnaire compatible avec le principe de sélection naturelle, tel qu’il est compris dans le cadre du néo-darwinisme. Cette explication va révolutionner le regard porté par la biologie sur le comportement social dans le monde vivant. Elle est formulée en toute netteté par Hamilton au début des années 1960 dans un article (Hamilton, 1964) [10] portant sur les hyménoptères, ordre d’insecte composé majoritairement d’espèces sociales, notamment les abeilles et les fourmis.

19 Pour résoudre l’énigme évoquée plus haut, Hamilton élargit la formalisation classique de la valeur adaptative (fitness) – ou, si l’on veut, reproductive (la probabilité de reproduction) – d’un trait, plus exactement du gène qui le commande, en incluant dans le calcul non seulement les effets du trait sur la capacité de l’individu qui le porte à avoir des descendants directs, comme les chercheurs le faisaient ordinairement, mais également ses effets sur le nombre de descendants que peuvent avoir les proches parents – sœur, frère, père, mère par exemple – de cet individu. À travers le calcul de cette « adéquation adaptative globale » (inclusive fitness), l’objectif est de tenir compte d’un fait essentiel : certains gènes peuvent se propager par d’autres moyens que la voie directe de la reproduction de l’individu qui les porte. Ils peuvent se répandre dans des populations à travers les effets positifs qu’ils peuvent avoir sur la reproduction d’individus qui ont une bonne probabilité de posséder le même gène – en l’occurrence, les apparentés. En d’autres termes, les gènes peuvent envahir les populations au fil des générations successives par deux voies : l’une, directe, classiquement évoquée, est la contribution à l’augmentation de la probabilité de reproduction de l’individu qui les possède ; l’autre, indirecte, est la contribution à l’augmentation de la probabilité de reproduction de proches parents de l’individu qui les porte.

20 Le second mécanisme correspond à un type de sélection naturelle bien particulier, nommé « sélection de parentèle » (kin selection) (Hamilton, 1964). Ce modèle de la « sélection de parentèle », souligne Hamilton, permet de donner une explication évolutive darwinienne solide de beaucoup de comportements sociaux, qu’il nomme « altruistes » [11]. Un gène qui commande un comportement altruiste, dit ainsi Hamilton, peut se répandre dans une population au fil des générations si les bénéfices reproductifs que ce comportement procure à des individus qui possèdent ce gène avec une bonne probabilité (les apparentés, notamment), contrebalancent ses coûts – la diminution de la probabilité pour l’individu qui le porte de se reproduire, parfois même la stérilité, comme chez les abeilles ouvrières.

21 Hamilton a formalisé cet argument à travers une « règle » qui porte aujourd’hui son nom. Soit C le coût du comportement altruiste en terme de fitness pour l’individu qui le porte ; soit B le bénéfice du même comportement en terme de fitness pour les individus qui en bénéficient ; et soit r le coefficient de proximité génétique entre le premier individu et les autres. Le comportement altruiste peut envahir une population au fil des générations si :

22 C/B < r

23 Cette règle implique, par exemple, que dans une population animale dont les frères et sœurs ont un coefficient de proximité génétique de ½ – ils ont en probabilité la moitié de leurs gènes en commun, comme chez les mammifères, par exemple – un comportement altruiste peut être sélectionné par un mécanisme de kin selection, toutes choses égales par ailleurs, s’il permet au frère ou à la sœur d’un individu intégralement altruiste d’augmenter l’effectif total de leurs descendants d’un nombre supérieur au double du nombre de descendants directs que cet individu aurait eu en l’absence de ce comportement altruiste, autrement dit s’il avait consacré toute son énergie à sa propre reproduction. En résumé, si ce comportement diminue d’une unité la progéniture qu’un individu peut espérer avoir par voie de descendance directe, il faut, pour que le gène qui le commande soit sélectionné par cette voie, qu’il permette à cet individu d’avoir au moins deux neveux ou nièces en plus.

24 Cette « règle d’Hamilton » prédit, pour les mêmes raisons, que les comportements « altruistes » ont d’autant plus de chances de se répandre dans une espèce vivante par cette voie que les individus de cette espèce ont une proximité génétique élevée. Or cette prédiction va recevoir une confirmation éclatante, livrée par Hamilton lui-même, avec les hyménoptères, ordre d’insectes qui comprend notamment les abeilles, les guêpes, les fourmis et les bourdons. La socialité est apparue, semble-t-il, treize fois chez les insectes dans leur ensemble, dont douze fois chez les seuls hyménoptères. Or, dans ces espèces, la reproduction obéit à des phases de dévelop­- pement dites « haplodiploïdes », qui donnent au coefficient de relation génétique entre les individus des propriétés très particulières : les sœurs possèdent en moyenne 75 % de gènes en commun – elles n’en partagent que 50 % dans les espèces à phases de développement diploïdes, comme les espèces de mammifères – ; les mâles, quant à eux, partagent 100 % de leurs gènes – 50 % dans les espèces à phases de développement diploïdes. L’existence d’une telle propriété abaisse donc considérablement le montant des bénéfices reproductifs que le comportement altruiste doit entraîner indirectement chez les apparentés – en augmentant leur probabilité de reproduction – pour contrebalancer le coût de l’abstention partielle ou totale de reproduction qu’il entraîne chez l’individu qui le possède. Elle rend donc beaucoup plus probable l’apparition de la socialité dans ces espèces. Remarquablement confirmée par cette particularité des hyménoptères sociaux, la théorie de la « kin selection » est devenue depuis lors l’un des piliers des explications de l’apparition de la socialité dans le monde animal.

D’autres voies vers la vie sociale

25 Dès les années 1960, et surtout 1970, d’autres modèles néo- darwiniens sont venus s’ajouter au mécanisme de kin selection pour rendre compte des diverses voies évolutives qui ont pu mener à la vie sociale dans le monde vivant. Le modèle de « l’altruisme réciproque » (reciprocal altruism), tout d’abord, proposé par Robert Ludlow Trivers (Trivers, 1971) a permis de montrer que, sous certaines conditions, un gène commandant des comportements altruistes peut avoir une valeur sélective positive – autrement dit être retenu par la sélection naturelle –, y compris lorsque ces comportements bénéficient à des non apparentés. Pour cela, il suffit, fait valoir Trivers, que l’individu bénéficiant de la conduite altruiste soit disposé de son côté à aider en retour ceux qui l’ont aidé par le passé. Dans ces conditions, le coût individuel de la coopération ne constitue pas un obstacle évolutif à l’accès aux bénéfices que celle-ci peut prodiguer. Ce mécanisme ne vaut toutefois que dans des cas très particuliers, comme l’a fait remarquer notamment Hamilton. En effet, pour qu’il puisse opérer, il faut impérativement que la réciprocité soit effective : si l’animal aide des ingrats, les gènes qui le disposent à de telles conduites vont rapidement disparaître de la population, pour les raisons évoquées plus haut. En d’autres termes, cette forme d’altruisme ne peut guère apparaître que dans des espèces dont les individus sont capables de reconnaître ceux qui les ont aidés, et ceux qu’ils ont aidés, afin d’éviter les free-riders. Une telle hypothèse n’a paru, à ce jour, plausible, semble-t-il, que dans quelques espèces de mammifères, comme les babouins olive de Tanzanie (Packer, 1977), les vampires – qui partagent le sang (Wilkinson, 1984) – et, surtout, à un très haut degré selon ces biologistes, chez l’homme.

26 À partir des années 1970, la théorie des jeux est également mobilisée pour bâtir des explications néo-darwiniennes de l’évolution des conduites sociales animales, sous l’impulsion, notamment, de Maynard Smith [12]. Celui-ci propose de modéliser l’évolution des comportements sociaux en les considérant comme autant de stratégies dans un jeu où les gains se mesurent en probabilité de survie pour les individus qui les endossent, et donc ultimement en nombre de descendants. Dans un tel cadre formel, les effectifs de chaque stratégie peuvent se modifier à chaque tour – chaque cycle reproductif – lorsque le jeu est répété. On peut alors mesurer l’évolution, au sens darwinien, dans une population, au fil des générations, des effectifs respectifs de deux ou plusieurs stratégies concurrentes – deux variantes, ou « allèles », d’un même gène –, par exemple, coopérer ou être hostile lorsque l’on rencontre un congénère. Ainsi est-il possible d’évaluer sous quelles conditions un gène commandant de tels comportements peut se répandre dans une population. Cette « théorie des jeux évolutionniste » (evolutionary game theory) a conduit à des résultats théoriques importants et contre-intuitifs pour certains d’entre eux. En particulier, elle a permis de montrer que la sélection naturelle, loin de toujours conduire à l’élimination d’une stratégie, au profit d’une autre, peut mener à des équilibres dans lesquels les deux stratégies concurrentes coexistent, avec des effectifs toutefois très différents, l’une étant largement dominante [13].

27 Ces différents modèles, avec d’autres du même type [14], ont servi d’ossature à partir des années 1970 à un paradigme présenté par son fondateur, l’entomologiste Edward Osborne Wilson, comme une « synthèse » (Wilson, 1987) de ces perspectives éthologiques nouvelles sur le comportement social : la sociobiologie. Dans cette synthèse, Wilson a proposé d’étendre directement à l’homme les principes sociobiologiques, en ajoutant qu’avec ces modèles, les sciences de la vie allaient bientôt « phagocyter » les sciences sociales. Ces extensions sommaires à l’homme ont entraîné dans leur sillage une vive polémique, à forte résonnance idéologique, qui a considérablement obscurci les lignes de questionnements réelles, les modèles et les concepts évoqués plus haut, désormais réunis indistinctement sous l’étiquette imposée par Wilson.

28 À partir des années 1980, ces polémiques s’estompent assez largement. Les modèles explicatifs néo-darwiniens connaissent depuis lors un vif essor. Ils ont servi à la collecte et à l’interprétation d’un volume considérable de données sur les conduites sociales dans le monde animal. Toutefois, ce paradigme s’est étendu en éthologie, le plus souvent, sous une autre dénomination que celle de la « socio­biologie » – en particulier la « behavioral ecology » – bien que les perspectives théoriques recouvertes par ces différentes bannières soient les mêmes. Et il s’est perpétué principalement, sous sa forme originelle, à propos d’espèces, ou de questionnements, qui restent relativement éloignés des interrogations épineuses et polémiques soulevées par la sociabilité humaine. Sur l’homme, et sur les espèces réputées proches de lui – en particulier les primates non-humains, ou encore les chiens – les recherches sur la sociabilité qui se réclament du néo-darwinisme ont connu un recentrage théorique progressif, qui a profondément renouvelé, encore une fois, le regard éthologique sur ces thématiques.

Les recherches sur les espèces proches de l’homme : l’influence grandissante des sciences cognitives

29 Dès la fin des années 1980, une partie des investigations menées sur ces espèces se focalisent sur le niveau psychologique [15], quand la sociobiologie établissait le plus souvent – comme son nom l’indique – un lien direct entre le gène, d’une part, et les traits socio-culturels, d’autre part. Ce recentrage s’explique largement par l’essor considérable, à la même époque, des sciences cognitives – essor qui n’a pas cessé depuis lors. Une bonne partie des questionnements explorés dans un tel cadre se déploient autour du thème de la cognition sociale et plus largement des capacités et des mécanismes cognitifs qui rendent possible la culture humaine (sur ce dernier point, voir la partie 3 du présent article), au premier rang desquels la « théorie de l’esprit », c’est-à-dire la disposition à interpréter le comportement d’autrui en attribuant à celui-ci des états mentaux – croyances, désirs, notamment – plutôt qu’en mobilisant, comme pour n’importe quel phénomène naturel, le schème cognitif de la causalité physique ordinaire (Wellman, 1990 ; Premack, Woodruff, 1978 ; Tomasello, 1999).

30 Dans une telle perspective, la comparaison entre les compétences des singes, des enfants et également des chiens [16], a occupé une place centrale. À partir de l’âge de trois à quatre ans, les enfants commencent ainsi, selon ces éthologues et psychologues, à interpréter le comportement d’autrui en termes de désirs et de croyances, ce que les autres animaux, y compris les singes, ne semblent pas faire, du moins avec le même degré de complexité [17]. Pour certains chercheurs, aujourd’hui fort influents, la théorie de l’esprit serait la compétence qui permettrait l’acquisition du langage ainsi que le développement de la culture au sens fort du terme (Tomasello, 1999). Et cette compétence jouerait un rôle clé dans l’explication évolutive d’une différence entre l’homme et les autres primates que beaucoup d’éthologues ont considérée comme centrale durant les vingt dernières années, même si elle est aujourd’hui l’objet de discussions dans le détail : l’être humain aurait ceci de particulier, parmi les primates, qu’il constitue une espèce dont les individus sont assez spontanément « coopératifs », quand les autres primates sont davantage « compétitifs », hormis avec leurs proches parents (Hare, Tomasello, 2004).

31 Ces recherches se sont développées depuis les années 1990 en lien étroit avec des investigations davantage classiques en primatologie – notamment les nombreuses études sur la dominance, la hiérarchie et l’agression intraspécifique – et en psychologie du développement, renouvelant en profondeur les questionnements et les débats qui animent ces disciplines. Ce faisant, elles ont entraîné un déplacement du noyau conceptuel des parties les plus théoriques de l’éthologie. L’association étroite de ces éthologues avec les sciences cognitives, ainsi que les réflexions sur la fonction phylogénétique – évolutive – des comportements sociaux, ont ainsi conduit à considérablement relâcher l’interdit que le béhaviorisme a longtemps fait peser sur l’usage du vocabulaire mentaliste. Toutefois, si l’usage de ce vocabulaire paraît admis – avec cependant de fortes réserves chez une partie des éthologues les plus classiques – à propos de la phylogenèse et de la fonction des conduites sociales, il reste l’objet de vifs débats à propos de la causalité immédiate et des mécanismes cognitifs qui sous-tendent ces conduites, certains éthologues défendant une interprétation beaucoup plus radicale du canon de Morgan que d’autres, comme Frans de Waal chez les primatologues (de Waal, 1990). Plus largement, une bonne partie des éthologues restent quelque peu à l’écart de ces recherches marquées par les sciences cognitives, cantonnant l’essentiel de leur activité à la tâche descriptive classique qui consiste à dresser l’éthogramme des conduites sociales propres à chaque espèce.

La question de la culture dans le monde animale

32 Parallèlement à ces recherches sur les comportements sociaux stricto sensu – mais en interactions constantes avec elles –, un vaste champ de réflexions théoriques et d’investigations empiriques s’est développé en éthologie sur le thème des « cultures animales ». À la différence du terme « social », qui est très rarement, en lui-même, l’objet de définitions ou de débats précis en éthologie – la question « sociale » est généralement débattue à travers d’autres notions, comme l’altruisme, la réciprocité, la coopération ou la hiérarchie –, la notion de « culture », comme on va le voir, va directement constituer le concept central d’un champ de recherches consacré à l’étude des conduites qui se répandent dans les populations d’êtres vivants sous l’effet d’un « apprentissage social » (social learning).

Deux études pionnières : les mésanges et les macaques

33 Deux travaux sont aujourd’hui considérés comme inauguraux dans ce champ d’investigation. Le premier porte sur le comportement de populations de mésanges charbonnières, observées au Royaume-Uni dans les années 1920 à 1940 (Fisher, Hinde, 1949). Durant cette période, l’on remarqua au fil des ans que, dans certaines régions, de plus en plus de mésanges charbonnières se nourrissaient du lait contenu dans les bouteilles déposées le matin devant les maisons, en faisant sauter ou en perçant l’opercule qui les ferme. James Fisher et Robert Hinde montrèrent que ce comportement est apparu indépendamment – a été « inventé » – en plusieurs points du Royaume-Uni par certaines mésanges, et qu’il s’est ensuite propagé à un rythme régulier dans de nombreuses populations de mésanges du pays. La diffusion de ce trait était beaucoup trop rapide pour s’expliquer par l’apparition d’une mutation génétique disposant l’oiseau qui la porte à adopter ce type de conduite. Par ailleurs, ce trait s’est diffusé en cercles concentriques de plus en plus larges autour des foyers d’« invention », autrement dit suivant un profil semblable à celui d’une épidémie. Ainsi, ont fait valoir Fisher et Hinde, tout suggère que ce comportement s’est répandu de proche en proche à travers un mécanisme de transmission de mésange à mésange.

34 La seconde recherche volontiers considérée comme fondatrice de ce champ d’investigation porte sur les macaques Macaca fuscata de l’île de Koshima au Japon (Itani, Nishimura, 1973). En 1952, des chercheurs observèrent dans une troupe de macaques qu’ils approvisionnaient régulièrement en patates douces, qu’une femelle, qu’ils dénommèrent Immo, avait inventé une technique qui consistait à laver dans l’eau de mer le sable dont ces légumes étaient recouverts. Cette technique – ou, si l’on veut, ce trait comportemental – s’est ensuite répandue peu à peu auprès des individus qui composaient la troupe, jusqu’à être adoptée par 80 % d’entre eux, cinq ans après l’innovation opérée par Immo. Ici encore, le rythme relativement rapide de la propagation du trait interdisait que l’on y voie un caractère ancré dans des gènes spécifiques, et suggérait une diffusion par un mécanisme de transmission d’individu à individu.

Des phénomènes répandus dans de nombreuses espèces animales

35 Durant les décennies suivantes, les recherches sur de semblables traits « culturels » ou « cultures animales » – car tel était le nom que l’on s’autorisait désormais à leur donner – se sont multipliées. Ainsi de nombreux comportements de ce type ont-ils été mis au jour chez les chimpanzés. Dans une vaste synthèse, des primatologues de renom ont associé leurs efforts pour recenser 39 traits obéissant à un tel mécanisme de diffusion dans des populations de chimpanzés Pan troglodytes (Whiten et al., 1999) : par exemple, utiliser des bouts de bois adaptés pour extraire des termites des endroits où ils nichent, les capturer avec la nervure centrale d’une feuille, casser les noix entre deux morceaux de bois ou en les frappant avec un bout de bois sur un support de pierre, se servir de feuilles pour panser les plaies, etc. 

36 Comme l’indique l’exemple des mésanges, on trouve ce type de traits dans une gamme fort variée d’espèces, et non simplement chez celles qui sont réputées les plus proches de l’homme. Les rats, par exemple, semblent se fier aux choix opérés par des congénères en matière de recherche de nourriture et de préférence alimentaire (Laland, Plotkin, 1993). Des dauphins captifs ont montré de grandes capacités à reproduire une action effectuée par un expérimentateur devant eux (Kuczaj, Yeater, 2006), de même que les chiens (Kubinyi, Pongracz, Miklósi, 2009). De nombreuses variantes « culturelles » ont été également recensées dans les chants de certaines espèces d’oiseaux (Slater, 2003), ou encore dans leur manière de chercher la nourriture (Lefebvre, 1986). Dans certaines espèces de poissons, la préférence pour telle ou telle route migratoire paraît se transmettre d’individu à individu (Helfman, Schultz, 1984) [18]. Certains insectes manifestent également de telles capacités de transmission : les bourdons en quête de nourriture, par exemple, abandonnent plus rapidement une fleur qui s’avère pauvre en ressources lorsqu’ils sont accompagnés par un individu expérimenté (Leadbeater, Chittka, 2007).

La culture comme ensemble de traits transmis par social learning

37 Ces différentes recherches dessinent aujourd’hui un vaste et dynamique champ d’investigation articulé autour d’une définition globalement consensuelle de la culture, bien qu’elle soit l’objet de discussions dans le détail (voir Laland, Galef, 2009). Un trait est considéré comme culturel, au sens large, si sa présence dans une population d’une espèce donnée résulte d’une transmission d’individu à individu, autrement dit

38

d’un apprentissage social (social learning), plutôt que de différences génétiques entre les populations [de cette espèce] ou de différences dans la manière dont les divers environnements écologiques façonnent le développement comportemental des individus.
(Laland, Galef, 2009, p. 9).

39 En d’autres termes, la présence d’un trait dans une population d’une espèce, et son absence dans une autre population de la même espèce, ne suffit pas à établir son caractère « culturel ». Cette inégale répartition peut être due, tout d’abord, à des différences génétiques entre populations. Elle peut également tenir aux différences de ressources que présentent les niches écologiques dans lesquelles vivent respectivement ces deux populations. Dans ce cas de figure, la présence du trait dans une population tient au fait que les individus de cette population l’ont acquis chacun de leur côté, individuellement (individual learning), à travers leurs interactions avec un environnement dans lequel on trouve une ressource susceptible d’en provoquer l’acquisition – par exemple, l’existence d’un type particulier de proie, ou de brindilles de bonne qualité pour extraire de la nourriture. Et il est absent dans l’autre population simplement parce qu’une telle ressource est absente dans la niche où elle vit. Ici, les différences de comportement observables entre les populations s’expliquent par les différences de niches écologiques, et non par un processus de transmission sociale d’une innovation apparue dans une des deux populations. En résumé, le trait comportemental est acquis ici par individual learning, et non par social learning[19].

40 Comme le suggère la référence centrale au social learning, ces investigations ne se sont pas déployées sans connexions – parfois étroites – avec les recherches sur les comportements sociaux proprement dits, évoquées plus haut (voir la partie 2 du présent article). Toutefois, compte tenu de la définition de la culture retenue, les questionnements soulevés dans ces deux champs de recherches sont à bien des égards sensiblement distincts, tant aux plans théorique qu’empirique. En effet, dans les recherches sur la socialité, une bonne partie des traits étudiés sont supposés être ancrés dans des gènes, caractéristiques de l’éthogramme propre à l’espèce étudiée, comme c’est le cas par exemple des conduites « altruistes » chez les hyménoptères, ou encore des comportements d’agression intraspécifiques liés à la domination sociale chez les mammifères, comme les loups ou les primates non-humains. Du reste, c’est précisément parce que de tels traits sont ancrés dans des gènes que leur existence dans une espèce peut donner lieu à des explications phylogénétiques par la sélection naturelle. Toutefois, rien n’interdit, a priori, que des conduites puissent être considérées comme « sociales » sans pour autant être ancrées dans des gènes. Là est le point important : l’origine d’un trait – génétique ou acquise (par apprentissage individuel ou auprès d’un congénère) – ne joue aucun rôle dans sa caractérisation comme social – même si, de fait, la plupart du temps, les traits sociaux étudiés sont supposés avoir un fondement génétique assez direct. Ce qui fait le caractère social d’une conduite, ce sont en général simplement ses effets sur autrui et sur celui qui l’endosse (voir la partie 2 et la partie 4 du présent article).

41 En revanche, la question de l’origine du trait – ou, si l’on veut, des causes qui en expliquent l’existence chez un individu – joue par définition un rôle capital dans les recherches sur la culture. En effet, comme on l’a souligné plus haut, un trait est considéré comme culturel pour autant qu’il est transmis par social learning, ce qui exclut d’emblée les traits qui sont – principalement – commandés par des gènes. Dans un tel cadre, la part du « culturel » dans le monde vivant est globalement définie comme une part de ce qui échappe au « gène ». Plus précisément, les traits biologiques sont tous regardés comme l’expression, physique, physiologique ou comportementale, d’une information. Et cette information est considérée comme étant soit contenue dans des gènes – la forme d’une patte, la couleur du tégument, la stérilité des hyménoptères, leurs conduites « altruistes » –, soit acquise individuellement – la couleur de la fleur de l’hortensia, qui peut varier suivant les sols dans lesquels vivent les individus, le type de proie chassé par une espèce de prédateur –, soit acquise par transmission sociale [20]. Le troisième cas de figure délimite le champ des faits « culturels » au sens large.

Variété et inégale complexité des mécanismes de social learning

42 Compte tenu de cette délimitation de l’objet, les problèmes qui se posent aux éthologues spécialisés dans l’étude des phénomènes « culturels » sont d’une nature différente de ceux qui forment la trame des recherches sur la socialité stricto sensu, évoquées plus haut. Sur cette thématique, les investigations et les débats se sont largement concentrés sur le social learning. En effet, les premières études avaient démontré qu’un trait comportemental pouvait apparaître chez un animal sous l’effet d’un contact avec un congénère. Mais ce faisant, elles ouvraient un vaste champ d’interrogations : à travers quels mécanismes d’apprentissage et au moyen de quelles compétences cognitives s’opèrent dans les différentes espèces ces passages de l’information d’un individu à un autre ?

43 Dès les premières investigations, beaucoup d’éthologues adop­- tèrent une position prudente, doutant que le « social learning » se ramène chez l’animal à un processus d’imitation semblable à celui que l’on observe chez les humains (voir Hopper, Whiten, 2012, p. 455) [21]. Au total, au fil des recherches, une gamme variée de mécanismes et de compétences cognitives, d’une complexité très inégale, ont été mis en évidence dans les différentes espèces où l’on avait observé un phénomène de transmission d’un trait d’un individu à un autre.

44 Ainsi certains éthologues ont-ils pu montrer, par exemple, que parmi les phénomènes rangés sous cette dénomination – notamment l’ouverture des bouteilles de lait par les mésanges – beaucoup consistaient en un mécanisme de « renforcement local » (local enhancement) ou de « renforcement par stimulus » (stimulus enhancement) [22], qui ne requièrent que des compétences cognitives et sociales rudimentaires. Dans ces cas de figures, l’attention de l’individu est dirigée vers un objet ou un lieu par la présence d’un congénère. Il explore ensuite ce lieu et cet objet – par exemple la bouteille de lait – et finit par acquérir, de lui-même, le comportement de l’autre individu vis-à-vis de cet objet : par exemple, en picorant sur la bouteille, la mésange finit par percer l’opercule, et découvre qu’elle contient une ressource en nourriture. Ici, la transmission de l’information ne requiert qu’une disposition sociale de bas degré – un vague comportement grégaire suffit. Et elle n’exige en rien que les animaux concernés disposent de quelque capacité cognitive à extraire et à reproduire l’information motrice sous-tendant le comportement qu’ils observent chez un autre individu – capacité éminemment complexe.

45 Autre mécanisme relativement simple évoqué dans ce champ de recherche, la « facilitation de réponse » (response facilitation) survient lorsqu’un comportement potentiellement présent chez tous les membres d’une espèce est déclenché chez un individu par l’observation d’un congénère qui le manifeste (Hoppitt, Blackburn, Laland, 2007), par exemple, l’envol d’un individu A à la vue de l’envol d’un individu B qui lui-même fuit un prédateur.

46 L’émulation (emulation) désigne, quant à elle, un mécanisme mobilisant des compétences cognitives davantage complexes, puisqu’elle implique que l’information nécessaire pour exécuter un comportement n’est pas présente initialement dans le répertoire de l’individu qui l’acquiert au contact d’un congénère. Dans le processus de transmission sociale par émulation, l’observateur est motivé par le résultat ou le but de l’action du congénère qu’il observe, sans se préoccuper des moyens mis en œuvre pour l’obtenir. Il acquiert une nouvelle conduite – par exemple se nourrir d’un gibier particulier – simplement sous l’effet de cette motivation, « sans copier les stratégies comportementales qui ont été exhibées devant lui pour atteindre » ce résultat (Hopper, Whiten, 2012, p. 454) [23].

47 Enfin, l’imitation (imitation) proprement dite consiste en un processus dans lequel un individu acquiert un nouveau comportement en reproduisant et en intégrant à son répertoire l’action observée chez un autre individu (Whiten, Ham, 1992 ; Tomasello, 1999). Ce mécanisme suppose la possession de capacités cognitives davantage complexes que les précédents, en particulier si l’on considère, comme le font aujourd’hui beaucoup de psychologues et d’éthologues, qu’une telle performance ne peut être accomplie pleinement sans posséder une forme de compréhension des intentions d’autrui, autrement dit la « théorie de l’esprit » [24].

48 Comme le suggère cette échelle des mécanismes de social learning couronnée par « l’imitation », sur ce thème, comme sur celui des comportements sociaux, les recherches éthologiques se déploient bien souvent avec, en arrière-plan, la question des spécificités de la socialité et de la culture humaines.

Consensus et débats actuels en éthologie : la question du propre de l’homme en arrière-plan

49 Depuis une vingtaine d’années, un consensus s’est assez largement installé en éthologie, semble-t-il, à propos de l’explication évolutionniste des conduites sociales dans le monde animal. De la même façon, la grande majorité des éthologues reconnaissent aujourd’hui l’existence, dans beaucoup d’espèces, de traits répandus dans certaines populations animales sous l’effet du social learning. La plupart considèrent toutefois que ces traits présentent des différences capi­tales avec les traits culturels humains (voir Laland, Galef, 2009). Tout d’abord, on ne les trouve qu’en nombre limité dans chaque espèce – les variantes de chant, par exemple, sont souvent les seuls traits de ce type observables chez les oiseaux qui les possèdent. Surtout, ils ne sont pas cumulatifs. À la différence des animaux, font valoir la plupart des éthologues, les humains ont une propension à s’appuyer sur les traits culturels qui existaient avant eux pour les transformer, parfois les complexifier. La transmission sociale humaine plonge ainsi les cultures dans une dynamique cumulative marquée par des « effets de cliquet » (Tomasello, 1999), qui ont démultiplié le nombre, l’étendue et la complexité de ces traits, jusqu’à envahir tous les pans de l’existence d’homo sapiens sapiens : les technologies, les langues et plus largement les innombrables institutions qui encadrent l’existence des humains. Du point de vue de l’évolution, l’être humain a donc une propriété très particulière : la culture, qu’il produit sans cesse, devient sa propre « niche » écologique, ce qui modifie considérablement l’action de la sélection naturelle, laquelle n’est plus directe, mais médiatisée par des processus de coévolution (Odling-Smee, Laland, Feldman, 2003). La plupart des éthologues adhèrent également à l’idée selon laquelle ces propriétés des cultures humaines tiennent aux capacités cognitives bien spécifiques que les humains mobilisent dans le processus de transmission sociale. Tout d’abord, l’espèce humaine est caractérisée par une propension très active à enseigner aux congénères (active teaching), et pas seulement à la progéniture (Whiten, 2009). Ensuite et surtout, les humains sont à la fois capables de – et fortement disposés à – dès le plus jeune âge, imiter, au sens fort, leurs semblables. Cette compétence serait elle-même rendue possible et démultipliée, selon ces éthologues, par la « théorie de l’esprit » [25].

50 Plus globalement, comme on l’a souligné plus haut, une bonne partie des éthologues considèrent aujourd’hui qu’il est légitime de mobiliser dans les recherches sur les animaux un vocabulaire sem­- blable à celui qui est utilisé d’ordinaire pour les humains – société, hiérarchie, dominance, culture, tradition, etc. Mais pour la grande majorité d’entre eux, encore une fois, l’usage de ce vocabulaire ne doit surtout pas laisser penser que les mécanismes mentaux qui sous-tendent ces comportements – les causes proximales – sont les mêmes que chez l’être humain. Sur cette question, la plupart des éthologues souscrivent fortement au principe de parcimonie du canon de Morgan. Toutefois, on notera, comme on l’a évoqué plus haut, que tous ne l’appliquent pas avec la même rigueur. Si beaucoup considèrent que des mécanismes d’apprentissage basiques de type béhavioriste sont à la source de la plupart des faits socio-culturels dans le monde animal, d’autres, en revanche, accordent manifestement une épaisseur plus substantielle aux capacités cognitives des animaux [26].

51 Par-delà ces points de convergence généraux, de vifs débats existent malgré tout dans ces champs de recherche. Tout d’abord, le rôle des gènes continue à susciter d’importantes controverses. Certains chercheurs, dans le sillage de Wilson, continuent à défendre une position fortement réductionniste à propos des conduites sociales, mais aussi de la culture, chez les animaux, comme chez l’être humain. D’autres considèrent, en revanche, que les mécanismes de social learning, qui échappent par définition au déterminisme génétique, dessinent un ordre de phénomènes bien particulier, fort étendu dans le monde animal, et plus encore chez l’homme. Ces chercheurs sont assez nombreux dans le champ d’investigation consacré aux « cultures animales » (voir Laland, Galef, 2009). D’autres encore refusent le partage – et l’alternative théorique – entre, d’un côté, des comportements qui seraient intégralement et de façon univoque sous le contrôle de gènes et de l’autre, des comportements qui obéiraient à une transmission sociale pure, dans laquelle aucune disposition génétique n’interviendrait [27].

52 Plus spécifiquement, un certain nombre d’éthologues considèrent que les différences observées entre les humains et les espèces animales à propos des phénomènes de social learning sont d’une ampleur trop importante pour que l’on utilise le vocable « culture » à propos des secondes. Aussi préfèrent-ils évoquer l’existence de « traditions » chez les animaux, et réserver à l’homme le terme « culture » (voir Laland, Galef, 2009). D’autres, à l’inverse, soutiennent, sur la base d’investigations empiriques, que les frontières ne sont pas aussi tranchées : à leurs yeux, il y a entre les cultures humaines et les cultures animales une différence de degré, plutôt que de nature. Ainsi font-ils valoir, par exemple, qu’une forme de cumulativité a été observée chez certains chimpanzés sauvages dans l’usage d’outils ou encore qu’il existe des comportements de teaching dans différentes espèces de mammifères, comme les mangoustes ou encore les cétacés [28].

53 Enfin, la théorie de l’esprit fait de plus en plus l’objet d’âpres discussions. Si une large majorité d’éthologues s’accordent aujourd’hui à reconnaître l’ampleur de la spécificité humaine sur cette question, certains considèrent, toutefois, comme sur la question précédente, que la frontière entre l’homme et l’animal n’est pas aussi tranchée qu’on pourrait le croire. Selon eux, certains animaux, notamment quelques espèces de primates non-humains, mais aussi les chiens, ne s’en tiendraient pas à une interprétation des actions d’autrui de type « physicaliste », c’est-à-dire au moyen de la seule catégorie « cause / effet » : ils seraient capables, jusqu’à un certain point et dans certaines circonstances, de traiter celles-ci en termes « mentalistes », c’est-à-dire comme procédant d’intentions[29]. Pour certains chercheurs, comme Frans de Waal, il est même légitime de considérer qu’il y a une forme de morale mobilisée par les grands singes dans leurs transactions (de Waal, 1990).

Éthologie et sciences sociales : quelles articulations possibles au sujet de l’agentivité sociale et culturelle des animaux ?

54 Il n’est sans doute pas excessif de considérer, comme on l’a évoqué en introduction, que ces recherches éthologiques sur les phénomènes socio-culturels dans le monde animal ont été largement ignorées depuis un peu plus d’un siècle par les sciences sociales, quand elles n’ont pas été vivement rejetées par elles. Certes, on trouve des références appuyées à cette discipline chez des auteurs majeurs, comme George Herbert Mead, Claude Lévi-Strauss ou Erving Goffman. Mais dans ces œuvres, l’éthologie est davantage un outil, réinterprété dans un cadre original, plutôt qu’un ensemble de données et d’hypothèses auxquelles il s’agirait d’accorder une place majeure en les articulant avec la réflexion socio-anthropologique.

55 Sans prétendre entrer ici dans le détail d’argumentaires et de débats complexes, on peut dire que ce rejet – ou cette indifférence – a été le plus souvent appuyé sur un argument fort répandu, lequel consiste à faire valoir l’existence d’une différence de nature entre les phénomènes étudiés par les sciences sociales chez l’être humain, d’une part, et par les éthologues chez les animaux, d’autre part. Une frontière épistémologique, sinon ontologique, séparerait de ce point de vue l’homme de l’animal. Si bien que l’éthologie n’aurait aucune utilité pour les sciences sociales, tandis que les concepts des sciences sociales n’auraient, quant à eux, dans le meilleur des cas qu’une valeur approximative, métaphorique, pour éclairer le comportement animal – avec tous les risques de glissements que recèlent les métaphores [30].

56 Cet argument de la « frontière » a été décliné sous des formes variées : partage entre nature et culture, holisme se réclamant de Durkheim, insistance – également d’inspiration durkheimienne, et plus largement kantienne – sur la normativité propre aux règles sociales humaines et leur irréductibilité aux comportements effectifs des individus ; insistance sur l’existence d’une faculté symbolique, qui reconfigurerait tous les pans de l’activité humaine, comme dans le culturalisme ou l’interactionnisme symbolique, ou encore, plus récemment, redéploiement, en sciences sociales, d’arguments wittgensteiniens, comme l’opposition entre les causes et les raisons ou l’irréductibilité de l’action à la cognition, dans la sociologie pragmatiste ou l’ethnométhodologie (Coulter, 1989 ; Quéré, 2011) [31].

57 Certes, aujourd’hui, la thèse de la frontière entre nature et culture est contestée en sciences sociales par une série de recherches qui proposent de réhabiliter l’agentivité animale, dans le sillage des travaux de Bruno Latour (Latour, 1991), Philippe Descola (Descola, 2005) ou Tim Ingold (Ingold, 2007), comme on l’a souligné plus haut. Or les chercheurs qui développent ces perspectives invoquent volontiers la nécessité d’ouvrir les sciences sociales à « l’éthologie ». Toutefois, les – rares – éthologues académiques auxquels se réfèrent ces auteurs sont principalement ceux qui maximisent au plus haut degré l’épaisseur et la complexité de l’esprit des animaux, ou encore des chercheurs hétérodoxes situés aux marges ou à l’extérieur de ce champ académique. En réalité, le plus souvent, les travaux éthologiques évoqués dans les lignes qui précèdent sont ignorés dans le détail, largement absents des bibliographies de ce nouveau courant socio-anthropologique. Ils sont volontiers rejetés, en bloc et en creux, dans des développements théoriques de facture très générale, tournés contre le modèle de « l’animal-machine », lequel constituerait le socle épistémologique de l’éthologie dominante [32].

58 Il ne saurait être question de proposer, dans le cadre du présent article, une discussion, fût-elle rapide, de la validité de ces arguments fort complexes, qui ont donné lieu à de vifs débats, notamment autour de la question du « naturalisme ». On se contentera de formuler ici quelques remarques destinées à préciser les contours de l’épistémologie propre à cette éthologie et de la conception de l’agentivité sociale et culturelle qui en dérive, afin de faire ressortir les points qui peuvent faire l’objet de questionnements communs, d’articulations ou de débats critiques avec les sciences sociales.

59 Tout d’abord, on notera que dans ces travaux éthologiques, le mot « social », comme on l’a souligné plus haut, ne fait généralement guère l’objet de développements et de discussions approfondis. Lorsqu’il est explicitement défini, il est le plus souvent ramené, sans précisions substantielles, à la « coopération » [33], ou encore à « l’altruisme » (voir plus haut, Hamilton, 1964). Et si la définition de la culture fait l’objet de quelques débats, évoqués précédemment, l’ampleur de ces derniers est sans commune mesure avec les questionnements soulevés par le même concept en sciences sociales. Sur ce thème, globalement, une définition précise, largement acceptée – évoquée plus haut –, régule la plupart des recherches éthologiques.

60 Dans le cadre de notre enquête, il est essentiel de préciser le sens et les justifications qu’une telle posture épistémologique peut recevoir, afin d’être en mesure de cerner la signification exacte de ce que les éthologues disent réellement – et sont en mesure de dire – à propos de la sociabilité et de la culture. Dans cette posture épistémologique, qui est assumée et explicite chez quelques chercheurs, de telles définitions liminaires, précises et simples, n’ont en rien – du moins ne devraient avoir en rien – vocation à livrer la signification philosophique que doit avoir le concept, à recouvrir le sens qu’il peut prendre dans le langage ordinaire ou encore à rendre compte des états mentaux rattachés aux comportements qu’il permet de décrire. Les définitions sont ici conçues comme de simples points de départ dont le but, essentiellement méthodologique, est de délimiter avec clarté le champ des phénomènes étudiés. Dans un tel cadre, une bonne définition du social est donc simplement une définition dont la précision permet de bâtir des modèles théoriques ou des protocoles de collecte des données empiriques qui se révèlent féconds à propos du halo de questionnements complexes et entremêlés qui entoure, en première analyse, le thème général des faits sociaux et culturels chez les animaux. Ainsi, dit l’éthologue Richard Dawkins :

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Je ne m’intéresse pas à la psychologie des motivations. Je ne vais pas argumenter pour savoir si les gens qui se comportent de manière altruiste le font « vraiment » pour des motifs altruistes. […]. Ma définition ne concerne que la question de savoir si l’effet d’une action est de diminuer ou d’augmenter les chances de survie du présumé altruiste et celles du présumé bénéficiaire.
(Dawkins, 1996, p. 21).

62 Comme on l’a évoqué plus haut, une telle définition a incontestablement permis de donner une explication évolutionniste solide des phénomènes collectifs observés chez les hyménoptères. Par ailleurs, ce langage de description a permis d’identifier et de mesurer l’étendue empirique des comportements, fort variés et nombreux dans le monde animal, à travers lesquels les individus consacrent une partie de leurs ressources à augmenter les chances de survie de leurs congénères. Pour toutes ces raisons, il ne paraît guère légitime de rejeter en bloc ces recherches en se contentant d’invoquer le caractère pauvre et sommaire des définitions qu’elles donnent aux concepts traditionnels des humanités ou aux catégories du sens commun.

63 D’un autre côté, il est incontestable qu’une partie des éthologues ne s’en tiennent pas strictement à cette démarche et à cette interprétation de leurs données. Ainsi certains d’entre eux – notamment les sociobiologistes, ou aujourd’hui les psychologues évolutionnistes –, effaçant le statut méthodologique et la portée limitée de leurs définitions, glissent vers une prétention à rendre compte de tous les phénomènes susceptibles d’être recouverts par ces mots, et à résoudre ainsi les interrogations philosophiques, sociologiques et anthropologiques qui les mobilisent. Or il est incontestable que la définition de l’altruisme évoquée plus haut ne peut permettre de rendre compte à elle seule et directement, par exemple, d’un phénomène comme le don, tel qu’il se donne à voir aux sciences sociales. Les conduites susceptibles d’être regroupées sous ce terme dans ces disciplines – comme dans le sens commun, d’ailleurs – forment un ensemble qui ne peut recouper que partiellement l’altruisme, tel qu’il est défini en éthologie : le don, tel que le décrit l’anthropologie, par le système d’obligation qu’il impose à son destinataire, n’a pas pour effet direct – en tout cas pour effet certain – « de diminuer les chances de survie » de l’altruiste qui s’y adonne. De même ne peut-on expliquer directement la guerre ou le crime par l’agressivité : comme le soulignait Gabriel Tarde, beaucoup d’activités criminelles ne requièrent pas d’agressivité ; et il existe des activités qui supposent de l’agressivité, sans être criminelles (Tarde, 1890) [34].

64 Les recherches actuelles sur les phénomènes socio-culturels dans le monde animal ne peuvent donc prétendre rendre compte directement de l’origine, et encore moins de la nature, de l’ensemble des phénomènes auxquels renvoient ces notions chez l’être humain. Mais il serait tout aussi illégitime de considérer, comme on peut le lire parfois en sciences sociales, que les recherches éthologiques sur l’altruisme ne disent rien sur la constellation des conduites décrites et regroupées derrière ces catégories par le sens commun ou par les humanités. La véritable question qui s’ouvre, sans doute, aujourd’hui, sur ce thème délicat ne consiste pas à se demander si ces travaux expliquent intégralement, ou non, la sociabilité humaine, ou animale, mais à déterminer exactement le contenu et les limites de ce qu’ils en disent, autrement dit comment ils peuvent s’articuler avec les connaissances accumulées par les sciences sociales de leur côté et avec leurs propres méthodes (voir, par exemple, Conein, 2001). Pour toutes ces raisons, on peut regretter que les sciences sociales ignorent assez largement ou rejettent en bloc, le plus souvent, les travaux éthologiques consacrés spécifiquement aux espèces animales, abandonnant ainsi à un naturalisme sommaire les investigations relatives à ces points d’articulation. Plus encore, en s’intéressant de près à ces recherches, les sciences sociales pourraient elles-mêmes investir l’éthologie, et l’enrichir en y exportant des arguments et des méthodes qui leur sont propres [35].

Notes

  • [1]
    Cette recherche a été réalisée dans le cadre et avec le soutien des programmes ANR « LICORNES » (ANR-12-CULT-0002) et « ASCE » (ANR-13-PDOC-0004).
  • [2]
    Même si quelques œuvres majeures ont fait référence à l’éthologie, à l’exemple de celles de George Herbert Mead ou Erving Goffman, cette discipline reste fort peu évoquée en sciences sociales.
  • [3]
    Comme ce fut le cas, avec acuité, dans les années 1970 et 1980, avec la polémique suscitée par la sociobiologie. Nous reviendrons sur ce point dans les dernières parties du présent article.
  • [4]
    Depuis une trentaine d’années, un ensemble de recherches socio-anthropologiques proposent de réhabiliter l’idée d’une agentivité animale à partir d’une critique de l’idée d’une frontière entre nature et culture, considérée comme une ontologie ou une perspective propre à l’Occident. Ce « Grand partage » ordonnerait en profondeur le regard que ce dernier porte sur les êtres qui composent le monde, en particulier le regard scientifique. Conséquence de ce Grand partage, l’animal serait d’emblée rangé, dans les sciences, du côté des choses, en particulier dans la discipline chargée d’étudier son comportement – l’éthologie : celle-ci serait ainsi par nature portée à le regarder comme une machine. Sur ce courant en sociologie et en anthropologie, et sur les auteurs dont il s’inspire (notamment Latour, 1991 ; Descola, 2005 ou Ingold, 2007) voir les articles de Vanessa Manceron et de Catherine Rémy dans le présent volume ; voir également Guillo, 2015.
  • [5]
    Les quatre dernières tâches constituent, depuis Nikolaas Tinbergen, l’un des socles épistémologiques centraux de la discipline (Tinbergen, 1963).
  • [6]
    Lorenz illustre notamment ce point avec sa célèbre théorie de l’empreinte (Lorenz, 1970, p. 20).
  • [7]
    S’inscrivant dans un modèle théorique proche, Tinbergen montre, de la même façon, l’existence de séquences rigoureusement ordonnées de comportements instinctifs dans le comportement reproducteur de l’épinoche (Tinbergen, 1952).
  • [8]
    Sur le « babymorphisme » de ce type de chiens, voir les études citées in Miklósi, 2007.
  • [9]
    Nous reviendrons plus loin sur cette notion, fort importante dans ces modèles.
  • [10]
    Voir également Maynard Smith, 1964.
  • [11]
    Dans cette littérature, depuis ces premiers modèles, sont définis comme « altruistes » les « actes qui sont coûteux pour un individu et bénéficient directement à un autre individu » (Boesch, 2012, p. 494 ; Wilson, 1987, p. 585). Nous reviendrons plus loin sur le sens de cette notion et, plus largement, sur le sens que prend le mot « social » dans cette littérature.
  • [12]
    La théorie des jeux, en général, va se trouver, à son tour, assez profondément enrichie en modèles et en concepts – comme le concept d’Evolutionary Stable Strategy – à travers ce nouveau champ d’application (Maynard Smith, 1982).
  • [13]
    Des débats fort importants se sont également noués autour des conditions qui rendent possible l’émergence et la diffusion de la « coopération » ou, si l’on veut, de l’« altruisme » (voir en particulier Axelrod, Hamilton, 1981).
  • [14]
    Voir, par exemple, le modèle de la « manipulation parentale » (Alexander, Sherman, 1977), qui vise à expliquer la socialité intra-familiale dans certaines espèces d’un point de vue évolutionniste, en partant du conflit d’intérêt opposant les parents et les enfants.
  • [15]
    C’est le cas, tout particulièrement, de la psychologie évolutionniste (evolutionary psychology) : voir Tooby, Cosmides, 1992.
  • [16]
    De nombreuses études menées depuis une vingtaine d’années sur les chiens ont montré que leurs performances communicationnelles avec les humains sont souvent plus développées et complexes que celles des singes. En particulier, les chiens paraissent beaucoup plus facilement et spontanément comprendre le pointing – ils regardent dans la direction indiquée par le doigt, et non le doigt – que les singes (Miklósi, 2007).
  • [17]
    Il y a toutefois de vifs débats autour de cette question, jugée aujourd’hui centrale dans ces disciplines. Sur les différents points de vue, à propos de l’être humain, voir Enfield, Levinson, 2006. Voir également Clément et al., 2011.
  • [18]
    Pour une revue des recherches et des découvertes éthologiques sur ce thème, voir la synthèse dirigée par Laland, Galef, 2009.
  • [19]
    Sur le social learning dans cette éthologie, et les liens susceptibles d’être établis avec les sciences sociales, voir l’article de Nicolas Claidière et Dominique Guillo dans le présent volume.
  • [20]
    Avec, bien entendu, tout un dégradé de cas intermédiaires. Sur ce point, voir également l’article de Nicolas Claidière et Dominique Guillo dans le présent volume.
  • [21]
    Le mot « imitation » recouvre lui-même aux yeux des éthologues et des psychologues impliqués dans ces débats un ensemble de phénomènes assez composites et complexes chez les humains (voir, par exemple, Shea, 2009).
  • [22]
    Sur la distinction entre ces deux mécanismes, voir Hopper, Whiten, 2012, p. 454.
  • [23]
    Pour d’autres mécanismes, qui sont des cas particuliers ou proches, avec des nuances, des précédents, voir Hopper, Whiten, 2012.
  • [24]
    Pour les débats sur cette question, voir notamment Huang, Heyes, Charman, 2006 et Tomasello, 1999.
  • [25]
    Il existe toutefois des débats – mais davantage au sein de la psychologie – à propos de l’importance de la théorie de l’esprit dans les spécificités humaines : sur ce point, voir Enfield, Levinson, 2006.
  • [26]
    C’est le cas des éthologues qui s’appuient aujourd’hui volontiers sur les sciences cognitives : voir, par exemple, à propos des chiens, Miklósi, 2007.
  • [27]
    Voir notamment Claidière, Sperber, 2010.
  • [28]
    Sur ces points, voir la revue in Hopper, Whiten, 2012, pp. 466-467,
  • [29]
    Sur ce point de vue, voir, par exemple, Kaminski, Pitsch, Tomasello, 2013, ou encore la synthèse proposée in Miklósi, 2007.
  • [30]
    On trouve parfois un rejet de cette éthologie – jugée marquée par le néo-darwinisme et la « sociobiologie » – y compris chez les chercheurs en sciences sociales qui appellent de leurs vœux une forme de collaboration interdisciplinaire à propos des animaux. Pour la France, voir par exemple Digard, 2012.
  • [31]
    Sur ces points, voir Guillo, 2012.
  • [32]
    Sur ce nouveau courant socio-anthropologique, voir les autres contributions à ce numéro, notamment les articles de Vanessa Manceron, de Catherine Rémy et de Chloé Mondémé. Pour une critique du positionnement à l’égard de l’éthologie dans ce courant, et plus largement de la thèse historique du « Grand partage », sur laquelle il s’appuie, voir également Guillo, 2015.
  • [33]
    Dans un « handbook » récent, qui rassemble les spécialistes de ces questions, on ne trouve que quelques rares définitions, toujours courtes, et guère discutées, comme la suivante : « the basis of human sociality, like the sociality of any species, is coopération » (Mesoudi, Jensen, 2012, p. 421).
  • [34]
    Nous avons tenté de développer plus longuement cet argument in Guillo, 2012.
  • [35]
    Il est possible, par exemple, d’affiner la modélisation de la culture traditionnellement proposée dans ces recherches en lui associant des arguments tirés de l’interactionnisme. Un tel modèle permet en outre de rendre compte de la communication, des interactions et des cultures qui relient des individus d’espèces différentes, ce que l’éthologie n’envisage guère à ce jour. Sur ce point, voir l’article de Nicolas Claidière et Dominique Guillo dans le présent volume.
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Les recherches sur la sociabilité animale au sens large ont été révolutionnées durant le demi-siècle écoulé, au plan théorique comme au plan empirique. Ces recherches nouvelles s’articulent principalement autour de deux thématiques : la description et l’explication du comportement social des animaux, d’une part, et celles des cultures animales, d’autre part. Bien loin de souscrire à un béhaviorisme sommaire, ces perspectives font ressortir empiriquement la complexité et la multiplicité des modes de sociabilité observables dans les différentes espèces animales. Outre ces découvertes empiriques, elles proposent des explications évolutionnistes extrêmement solides de l’apparition des comportements sociaux dans le monde vivant et des aptitudes culturelles animales. Toutefois, elles déploient une conception bien particulière de l’agentivité animale et des phénomènes socio-culturels, qui repose sur une épistémologie et des concepts quelque peu différents de ceux qui sont traditionnellement mobilisés dans les sciences sociales humaines. Ces différences – qui ne sont pas des incommensurabilités ou des contradictions – rendent illégitimes à la fois les tentatives d’explication réductionnistes de la sociabilité humaine, proposées par certains éthologues, et le rejet en bloc ou l’indifférence des sciences sociales à l’égard de ces recherches éthologiques sur les animaux. Par leur richesse, ces dernières invitent à trouver des voies qui articulent, sans les réduire les unes aux autres, les vues développées, chacune de leur côté et avec leurs propres méthodes, par les sciences sociales et par les sciences de la vie.

Mots-clés

  • Animal-machine
  • Apprentissage social
  • Comportement animal
  • Comportement social
  • Culture animale
  • Éthologie
  • Sélection de parentèle

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Dominique Guillo
est sociologue, chercheur au cnrs (au gemass, Paris, et associé au cresc (um6p), Rabat). Ses recherches portent sur les liens entre sciences sociales et sciences de la vie dans une perspective historique, théorique et empirique. Plus spécifiquement, il travaille actuellement sur les interactions humains/animaux (chiens, macaques de Barbarie), ainsi que sur la réception du darwinisme, à travers une comparaison entre des terrains français et marocains. Il réalise ces recherches dans le cadre des programmes anr licornes – dont il est responsable – et asce. Il a publié notamment Des chiens et des humains (Paris, Le Pommier, 2011) et Darwin in France (Oxford, Bardwell, 2016).

GEMASS (UMR 8598, CNRS-Paris IV) et CRESC (UM6P, Rabat)
dominiqueguillo@yahoo.fr
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Mis en ligne sur Cairn.info le 24/10/2016
https://doi.org/10.3917/anso.162.0351
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