CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1 Qu’est la sociologie de l’action organisée devenue ? [1] Sans doute comme d’autres domaines des sciences sociales, a-t-elle été travaillée par des phénomènes de spécialisation. Les sociologues des organisations sont aujourd’hui des sociologues du travail ou de l’économie. On peut aussi imaginer que cette tradition d’analyse incarnée par des figures comme Michel Crozier, Erhard Friedberg, Pierre Grémion, Jean-Claude Thoenig ou encore Patrice Duran a été « métabolisée » par bon nombre de chercheurs travaillant sur l’action collective sous toutes ses formes. Ceux-ci ont peut-être tellement incorporé les questionnements, les postulats et les méthodes de cette « école » qu’ils en oublient de mentionner leur dette. C’est sans doute le cas des chercheurs qui travaillent dans le cadre du chantier de recherche de la gouvernance. Cet article défend l’idée d’une forte, bien que peu explicitée, filiation entre les travaux de sociologie des organisations, ou sociologie de l’action organisée, d’une part, et les travaux sur la gouvernance d’autre part. Ces deux approches qui ont largement marqué l’analyse des politiques publiques, notamment en France, ont en commun d’avoir fait des formes de l’action collective, et tout particulièrement des formes de la coordination, non seulement un enjeu d’analyse sociologique mais aussi une dimension du politique.

2 Toutefois, et c’est sans doute ce qui explique que les références explicites à la sociologie de l’action organisée soient si peu appuyées dans les travaux sur la gouvernance, ces deux approches divergent sur un aspect essentiel. Cet article avance l’idée selon laquelle les travaux sur la gouvernance diffèrent des travaux de sociologie de l’action organisée en ce qu’ils esquissent, même si c’est souvent de manière hésitante et incomplète, une théorie historique de l’État et une théorie des transformations des formes de la coordination, construction théorique à laquelle s’est toujours refusée la tradition française de sociologie des organisations. Cet article est donc aussi l’occasion d’avancer des propositions sur cette théorie implicite de l’État et de ses transformations que les chercheurs œuvrant au chantier de la gouvernance rechignent à assumer. Cette théorie que nous qualifions de « néo-pluraliste » et « pragmatique » donne à voir un État débordé et dé-différencié, mais qui n’en est pas faible pour autant. Cette théorie est fondée sur un postulat que la gouvernance et la sociologie de l’action organisée ont en commun : la conviction selon laquelle les modes d’action concret et de coordination sont des enjeux de science sociale et disent beaucoup des formes que prennent les liens politiques et les relations État/société.

3 Dans la première partie de ce texte, nous revenons sur ce que la sociologie de l’action organisée et la gouvernance ont en commun, à savoir une approche organisationnelle de l’État. Cette approche se traduit notamment par un postulat pluraliste, une prise au sérieux des enjeux de production et d’efficacité de l’action et, enfin, un intérêt pour les enjeux de coordination. Nous examinons ensuite les critiques convergentes que ces deux approches ont suscitées. Dans la seconde partie, nous abordons ce en quoi elles diffèrent. Alors que la sociologie de l’action organisée peine à intégrer l’historicité, il s’agit d’un trait saillant des travaux sur la gouvernance. C’est ce qui permet à ces derniers, même si c’est souvent de manière éparse et implicite, de suggérer une théorie de l’État en transformation. Nous concluons cet article par l’évocation de quelques « friches » de connaissance que le chantier de la gouvernance n’a pas encore investies.

Des approches voisines

Une « approche organisationnelle » de l’État

4 En 2007, dans un chapitre de synthèse consacré à la notion de « multi-level governance », Andy Smith évoquait la réception pour le moins sceptique des notions de « gouvernance » et de « gouvernance multi-niveaux » dans les travaux de science politique et de sociologie en France. Il l’expliquait notamment par la prégnance ancienne des approches sociologiques dans les travaux français portant sur l’État, l’action publique et les rapports centre-périphérie. De ces travaux, affirmait Smith, se dégage une forte propension à concevoir le « gouvernement » non pas comme l’ensemble des acteurs et des organisations exerçant le pouvoir exécutif, mais comme un en­semble de processus et/ou d’activités impliquant une grande variété d’acteurs et participant à imprimer une direction aux en­- sembles sociaux et à assurer l’intégration de leurs composantes, pour reprendre la définition donnée du gouvernement par Jean Leca (1996). Dès lors, ajoutait Smith :

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The notion of government is defined as an analytical concept which, to all intents and purposes, closely resembles what social scientists elsewhere label as governance. (Smith, 2007, p. 379).

6 S’il est clair que cette approche sociologique des politiques publiques, des processus de gouvernement et des relations entre niveaux institutionnels est sans doute aujourd’hui un trait commun de la recherche française sur l’action publique, il faut reconnaître que l’école française de sociologie des organisations, telle qu’elle s’est développée notamment au sein du CSO, a grandement contribué à l’installer et à la légitimer. Et c’est sans doute effectivement la prégnance préalable de cette approche sociologique de l’État et de l’action publique qui, en France, a nourri les réticences à l’égard de la notion de gouvernance.

7 Ainsi donc, la sociologie des organisations appliquée à l’étude de l’action publique et de l’État (au sens large du terme) et les travaux mobilisant la notion de gouvernance partagent sans doute davantage de choses que ce que l’on suppose a priori. Avant de détailler les éléments que ces deux approches ont en commun, on peut avancer l’idée qu’elles partagent ce que Rosamond qualifiait, à propos des théories de la « multi-level governance », une « conception organisationnelle de l’État » (Rosamond, 2003, p. 120). Par « conception organisationnelle », on entend une approche qui part du postulat selon lequel l’État, les organisations politiques et administratives et les processus d’action publique sont confrontés à des enjeux d’organisation du travail collectif, de mobilisation des acteurs et de coordination de leurs activités qui ne diffèrent pas fondamentalement de ceux auxquels sont confrontés d’autres types d’organisations comme les entreprises ou encore les associations et les mouvements sociaux. Toutes ces formes de mobilisation et d’action relèvent d’un même univers marqué par la division du travail et la complexité organisationnelle générées immanquablement par toutes les formes d’action collective. Il faut tout de suite préciser que cette approche « organisationnelle » qui, pour une part, banalise les organisations politiques, n’empêche pas, par ailleurs, de leur reconnaître des traits spécifiques et de leur accorder un traitement sociologique particulier.

8 Plus précisément, sociologie des organisations et travaux sur la gouvernance partagent trois ensembles de postulats.

9 On retrouve d’abord dans les deux approches ce que l’on pourrait appeler un postulat pluraliste. Dans ses travaux, R. Dahl (1961), l’un des fondateurs de l’approche pluraliste, indiquait que les situations pluralistes sont caractérisées par deux dimensions majeures : la multiplicité des acteurs et la dispersion des ressources. Ces situations rendent très improbable la domination durable, unilatérale et dans tous les secteurs d’un seul et même type d’acteur ou d’organisation. Les situations de domination sont liées à la capacité qu’ont certains acteurs à mobiliser opportunément leurs ressources dans des situations contingentes. Ainsi, selon le postulat pluraliste, le pouvoir n’est pas la propriété durable et stable de certains acteurs mais une relation toujours instable mettant aux prises des acteurs, des organisations, des niveaux institutionnels qui ont peu de chance d’être totalement dépourvus de ressources pour peser dans les rapports de force et atteindre leurs objectifs, mais qui les mobilisent de manière différenciée selon les domaines et les situations. On retrouve cette vision du pouvoir dans la formule bien connue de L’Acteur et le système, selon laquelle le pouvoir est « une relation et non un attribut des acteurs » (Crozier, Friedberg, 1980, p. 56). On la retrouve aussi dans la définition du pouvoir formulée par Friedberg (1997) comme « capacité d’action ». Ceci vaut pour les relations entre acteurs et groupes dotés de statuts, de prérogatives, de niveaux de légitimité, de compétences différents au sein d’une organisation (comme les médecins et les infirmières dans un hôpital ou les détenteurs de mandats politiques et les fonctionnaires au sein d’un ministère ou d’une collectivité territoriale). Ceci vaut aussi pour les relations impliquant différentes organisations ou différents niveaux institutionnels (l’Union Européenne, l’État, les gouvernements locaux) dans un processus de construction d’une politique publique. Ce postulat pluraliste est aussi central dans les travaux placés sous l’égide de la gouvernance. Dans les trois « provinces » qui constituent cette tradition d’analyse – les travaux sur la multi-level governance européenne, ceux portant sur les rapports entre niveaux de gouvernement et notamment entre l’État et les gouvernements locaux ou encore ceux qui se penchent sur les transformations de l’action publique –, on retrouve ce postulat pluraliste. À chaque fois, il est question de démultiplication des acteurs (ou stakeholders) impliqués dans les processus d’action publique et de décentrement des régulations typiques de l’action de l’État, à savoir l’imposition par la hiérarchie et le droit. À propos des relations centre-périphérie, Goldsmith et Page indiquent ainsi que :

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What twenty years ago seemed largely a question limited to activities within nation-states now has a multilevel dimension, often involving an increased number of tiers within and between countries as well as an EU influence. (Goldsmith and Page, 2010, p. 1).

11 Concernant l’action publique locale, Denters de son côté affirme que :

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There is a consensus that it is indeed appropriate to characterize contemporary systems of Western local policymaking and public service delivery in terms of ‘governance’, where public decision-making concerning local issues increasingly takes place in the context of multi-agency networks that cross traditional jurisdictional boundaries (both vertical, across levels of government, and horizontal, between different local governments) and cut across the public-private divide. (Denters, 2011, p. 315).

13 On parle bien ici de postulat pluraliste : les situations pluralistes sont peu propices, a priori, au monopole par certains acteurs ou certaines organisations de situations dominantes, et surtout à la reproduction de ces positions dominantes dans le temps et dans l’espace. Ce postulat pluraliste et relationnel n’empêche pas de constater que, dans certaines conditions, certains acteurs peuvent prévaloir dans des rapports de pouvoir, mobiliser plus opportunément leurs ressources et instaurer par conséquent, des situations inégalitaires. Dans le cadre d’analyse proposée par l’école française de sociologie des organisations, ces inégalités sont même nécessaires à l’engagement d’une relation et donc d’une action collective, car celui qui est démuni de ressources ne peut s’engager dans un échange. Il s’agit davantage de considérer que les relations et les inégalités de pouvoir s’actualisent dans des processus d’action et qu’elles sont donc inévitablement soumises à des remises en tension et en question.

14 Le deuxième élément commun aux approches de sociologie des organisations et de gouvernance est de mettre au cœur de l’analyse les enjeux de production et d’efficacité. Les deux approches considèrent en effet l’État comme une organisation productive. M. Foucault a largement documenté le passage d’une logique de souveraineté à une logique de gouvernementalité autour des xvii e et xviii esiècles. À la faveur de cette transition, les arts de gouverner ne sont progressivement plus limités aux enjeux de conquête et de conservation du pouvoir ; ils s’étendent aux enjeux d’entretien et productivité de la « population » dont la santé et le travail doivent participer au prestige de l’État (Foucault, 2004 ; Lascoumes, 2004). L’État se réorganise et se rationalise pour œuvrer à cette productivité de la société. Il devient lui-même une organisation qui produit des biens et des services, met en œuvre des programmes et développe le souci de sa propre efficacité et de sa propre efficience. L’État ne se limite plus au souverain et à ses hommes de main et de loi, il devient une organisation ramifiée, différenciée, constituée de secteurs, de professions, de groupes tendus vers la production de biens et de services, à la construction de critères d’excellence professionnelle et organisationnelle. Bien entendu, le développement de l’État-Providence et la multiplication des domaines d’intervention des politiques publiques renforcent ce caractère « producteur » de l’État. Les sociologues des organisations ont aussi contribué à documenter cette évolution. Le manuel de Politiques Publiques co-signé par Jean-Claude Thoenig et Yves Mény, ne s’ouvre-t-il pas par un chapitre consacré au « Welfare State » ? Les auteurs y affirment notamment que :

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La gamme et l’ampleur des politiques menées par les États, les modalités d’intervention qu’elles requièrent, l’importance des ressources en jeu modifient la nature de l’État. (Thoenig, Mény, 1989, p. 26, c’est moi qui souligne)

16 et que le développement du Welfare State a

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suscité la création de multiples structures, incité à de nouveaux modes d’intervention et de gestion. (Thoenig, Mény, 1989, p. 27).

18 Les sciences sociales ont tardé à prendre la mesure de cette nouvelle dimension de l’État et du politique. La science politique est restée longtemps focalisée sur les organisations, les dispositifs et les processus de conquête des mandats. Et lorsqu’elle s’intéressait à l’État, c’était généralement pour le réduire à un « donné », produit nécessaire de la modernisation politique et réduit à l’exercice de fonctions. La sociologie des organisations est sans doute le domaine des sciences sociales qui a le premier problématisé les enjeux de la croissance de l’État, de sa bureaucratisation, du raffinement de ses modes d’intervention sur le social et de la transformation de ses modes d’action et d’organisation. C’est aussi la « crise de l’État Providence » et le spectre d’une potentielle « ingouvernabilité » des sociétés qui a favorisé le dépassement des visions strictement institutionnelles ou fonctionnelles de l’État. Sa capacité d’action et d’intégration n’est plus vue comme donnée. Les sciences sociales – et notamment la sociologie des organisations et les policy studies – mettent au jour et problématisent « les difficultés plus générales de la gestion publique » et « la fragilité et la relativité de cette figure du pouvoir » (Duran, 2010, p. 6) qu’est l’État. Un peu plus, tard, c’est aussi face à des processus de réorganisation de l’État et des modes d’action publique – externalisations, privatisations, partenariats, contrats, etc.–, notamment dans le monde « Anglo », que les travaux sur la gouvernance se sont développés (Rhodes, 1997 ; Pierre, 1998 ; Stoker, 1999). Là encore, l’intuition première de ces travaux était que ce qui pouvait être considéré à première vue comme des transformations purement techniques des modes de production et de coordination de l’action publique renvoyait à des logiques plus profondes de transformation de l’État, des rapports État-société et, plus profondément, des modes de production du consentement. Par exemple, l’abandon plus ou moins rapide et généralisé par l’État de fonctions de production de services et de biens (routes, logements, etc.) au profit d’un recentrage sur des activités de régulation pose question quant aux formes de relations que ce type d’État entretient avec les citoyens (Majone, 1997 ; Jordana & Levi-Faur, 2004). Ainsi, dans les deux perspectives, mais de manière plus explicite dans les travaux sur la gouvernance, les questions de production, d’organisation et de coordination ne sont pas identifiés comme relevant des sciences de gestion, mais comme renvoyant à des processus et des mécanismes qui questionnent la nature du lien et de l’autorité politiques.

19 Le troisième élément commun à la sociologie des organisations et à la gouvernance est le fait de construire la mobilisation, la coordination et l’intégration des acteurs et des systèmes qu’ils composent comme enjeux de l’analyse. À l’encontre de perspectives sociologiques peu attentives à ces questions et promptes à déduire la capacité de mobilisation, de coordination et d’intégration des systèmes d’action de la robustesse des rapports de domination, sociologie des organisations et gouvernance considèrent les mécanismes de mobilisation et de coordination comme une question de recherche. Question de recherche car les capacités de mobilisation, de coordination et d’intégration ne se déduisent pas de la détention par certains acteurs de mandats d’autorité, de l’inégalité dans la distribution des ressources d’influence ou de l’existence de chaînes hiérarchiques robustes. Patrice Duran a fort bien décrit cette inclination somme toute très taylorienne et fordiste chez les policymakers, mais aussi chez les social scientists, à penser que le pouvoir, autrement dit la capacité à agir et à faire agir, le pouvoir comme « capacité d’action » pour reprendre les termes de Friedberg, se déduit de l’autorité.

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Il est difficile de faire admettre, écrit-il, que ceux qui ont l’autorité à formuler des décisions n’ont qu’une capacité limitée à en contrôler l’effectivité. (Duran, 1999, p. 46).

21 Question de recherche car les ressorts de la coordination ne sont pas transparents et constituent en eux-mêmes un enjeu sociologique (Dodier, 1993). Il est de tradition de considérer que le droit, la relation hiérarchique, l’imposition réglementaire constituent les mécanismes de coordination par excellence de la sphère politico-administrative. Or, la sociologie des organisations et la gouvernance invitent à ne pas réifier ce type d’association, à ne pas considérer que « tout fonctionne au pouvoir » (Friedberg, 1997, p. 269) ou même à la maximisation d’intérêt ou à la hiérarchie. Il s’agit plutôt, au travers d’une approche organisationnelle banalisant les organisations politiques et administratives, d’examiner dans quelles mesures une pluralité de mécanismes de coordination – jeux de pouvoir et de négociation, relations marchandes, imposition hiérarchique, logiques de confiance et de réciprocité, etc. – peuvent s’actualiser dans les processus contribuant à l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. La tradition française de sociologie de l’action organisée a montré dans quelles mesures des jeux subtils articulant rapports de force, marchandages, négociation et réciprocité participaient souvent de concert à la construction d’une capacité d’action collective dans une organisation. De leur côté, les travaux sur la gouvernance sont largement redevables des travaux qui s’interrogent sur l’ingouvernabilité des sociétés contemporaines (Leca, Papini, 1985 ; Kooiman, 1993 ; Mayntz, 1999). Toutefois, ces travaux cèdent rarement, comme c’est le cas parfois de leurs critiques (Jouve, Lefèvre, 2002), à l’idée facile selon laquelle les sociétés, urbaines notamment, seraient définitivement devenues ingouvernables. Ils formulent davantage le postulat selon lequel la gouvernabilité des sociétés est nécessairement partielle, variable dans le temps et d’un secteur à l’autre (Favre, 2003) et s’intéressent aux efforts des acteurs pour renouveler les leviers et les instruments de l’action publique (Hood, 1986 ; Lascoumes, Le Galès, 2004). Ceci les conduit à se pencher sur les causes, les significations et les effets de la diversification des modes de coordination dans l’action publique. Que nous apprend cette diversification sur le lien politique, le consentement à agir ou obéir dans les sociétés contemporaines ?

22 Finalement, on pourrait dire que ce qui fait la spécificité commune de la sociologie de l’action organisée et des travaux sur la gouvernance c’est qu’ils font des questions d’organisation et de coordination une question sociologique et politologique.

… confrontées à des critiques homologues

23 Lorsque l’on s’intéresse aux critiques formulées à l’égard des travaux de sociologie des organisations et des travaux sur la gouvernance, on est frappé par certaines homologies. Globalement, trois griefs majeurs ont été formulés à l’égard des travaux réunis sous ces deux bannières : l’indifférenciation du politique, l’oubli de la domination et le rapport au normatif.

24 Le premier grief est relatif à l’indifférenciation du politique. De fait, dans les deux traditions et encore plus nettement dans les travaux de sociologie de l’organisation, le politique n’est plus associé à une instance régulatrice centrale en position d’ajuster buts individuels et collectifs. Le politique ne s’incarne pas nécessairement dans l’État ou dans toute autre forme d’instance situé en surplomb des jeux sociaux. Le politique, et c’est tout particulièrement net dans les travaux de Crozier et Friedberg, est associé aux micro-jeux de concurrence, d’ajustement, de compromis, d’évitement qui se jouent à l’échelle des systèmes d’action. La politique existe lorsqu’il y a du jeu dans ces jeux. Elle est « politique quotidienne, ou si l’on préfère, de la micro-politique » (Friedberg, 1997, p. 261). Elle disparaît lorsqu’un régulateur central est en mesure de siffler la fin de la partie. Dans leur lecture critique de L’acteur et le système, Jobert et Leca résument la vision qu’ont Crozier et Friedberg du politique et des sociétés : « des sociétés complètement politiques d’où le centre politique a disparu » (Jobert, Leca, 1980, p. 1126). Ils y voient une « théorie non politique du politique » (Jobert, Leca, p. 1140), en ce sens qu’elle n’accorde aucun crédit aux visions postulant un ou des centres, titulaires de ressources et de prérogatives exceptionnelles, à partir desquels s’exerceraient des formes de régulation et de domination politique. On retrouve une position assez voisine dans les travaux sur les réseaux d’action publique dont on sait qu’ils entretiennent une relation de cousinage assez étroite avec ceux portant sur la gouvernance. Dans la définition qu’en donne Rhodes, les réseaux de politiques publiques sont des « réseaux inter-gouvernementaux auto-organisés » (Rhodes, 1999, p. xvii) incluant indistinctement des acteurs publics et privés et qui participent à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques publiques, à la régulation des secteurs socio-économiques et plus généralement à l’intégration des sociétés. Ces réseaux jouissent d’un degré significatif d’autonomie vis-à-vis des organes exécutifs et leurs membres se sentent assez peu respon­sables à leur égard. Pour Rhodes, ces réseaux « résistent aux efforts de pilotage politique, développent leurs propres politiques et façonnent leur environnement » (Rhodes 2000: 61). Dans les deux cas, les critiques ont relevé cette propension à faire du pouvoir politique central, de l’État, du politique comme pouvoir ou espace régulateur supérieur une entité inopérante, un acteur ou un ensemble d’organisations parmi d’autres, « une variante neutre quant aux conditions d’exercice et de succès de l’action collective » (Jobert, Leca, 1980, p. 1143). On trouve chez les critiques de la gouvernance la même objection quant à cette tendance à diluer le politique dans la trame des réseaux de contraintes et d’incitations dans laquelle les individus sont amenés à se mouvoir. Jonathan Davies (2011) pointe cette tendance des travaux placés sous l’égide de la gouvernance et des réseaux à théoriser la disparition du centre, des pouvoirs disciplinaires, des structures de commandement et, en dernière analyse, de l’État, alors que toute une série de signes empiriques montrent au contraire leur robustesse. Pour Davies et pour Jessop (2007), les travaux sur la gouvernance font leurs un certain nombre d’excès de la pensée de Foucault qui théorise une relocalisation intégrale des mécanismes de pouvoir, de coordination et d’ajustement dans le réseau des micro-pouvoirs et négligent ce faisant les phénomènes de « gouvernementalisation » au travers desquelles les institutions de l’État recentralisent, condensent, codifient les relations de pouvoir, réinjectent des mécanismes disciplinaires pour corriger les « failures of governmentality » (Davies, 2011, p. 72).

25 Le second grief est très lié au premier, il porte sur l’oubli de la domination dans les travaux de sociologie des organisations et sur la gouvernance. On a beaucoup reproché aux premiers leur focalisation sur des systèmes d’action, leur vision étroite du pouvoir comme relation et leur aveuglement quant à l’existence de liens plus que probables entre les jeux qui se jouent dans les organisations, et les chances qu’ont les différents types d’acteurs d’y faire prévaloir leur stratégie, d’une part, et la distribution des ressources dans « l’ordre social » plus global d’autre part. Comme l’observent Jobert et Leca,

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Crozier et Friedberg ne font pas une ‘critique de la domination politique’ puisque leur ‘politique’, c’est le jeu omniprésent qui biaise et casse la domination. (Jobert, Leca, 1980, p. 1141).

27 Dans cette approche, l’espace social est vu comme composé par une myriade de systèmes d’action concrets. Elle exclut donc toute idée de système stabilisé de domination, ou d’espace de synthèse ou de totalisation. Les jeux sont circonscrits aux systèmes d’action et les sociologues des organisations refusent de considérer les stratégies par lesquelles des acteurs vont tenter de sortir de leurs systèmes, que ce soit pour mobiliser des soutiens et des ressources à l’extérieur du système pour conforter ou contrarier, voire publiciser et politiser les conflits dans lesquels ils sont impliqués. Cette tradition de sociologie des organisations, peu sensible à l’existence d’un ordre macro de domination et donc plus généralement à l’État, a néanmoins été concurrencée au sein même du CSO par une autre tradition, structurée autour de Pierre Grémion (1976). Cette autre tradition admet l’existence d’un ordre macro marqué par des asymétries de ressources et de pouvoirs – l’État, la centralisation, les relations centre- périphérie, les hiérarchies administratives, etc. – et s’intéresse davantage aux espaces de jeu qui se créent dans cet ordre et offrent des marges de manœuvre aux acteurs dominés. Le « rapport dialectique entre les deux pôles » que sont le centre et le local qu’évoque Grémion (1976, p. 307) n’est rien d’autre qu’un rapport jamais totalement figé mais offrant un degré minimal de stabilité entre une structure de domination et des jeux d’acteurs. Un rapport dans lequel la structure cadre les interactions locales et, en sens inverse, les interactions locales travaillent la structure. On retrouve ce souci de la réintégration de l’État dans les travaux d’Olivier Borraz et de Patrice Duran, autres représentants d’une sociologie de l’action organisée plus sensibles aux ordres sociaux globaux et à leur historicité. Duran écrit ainsi que :

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L’analyse des politiques publiques permet […] de prendre en compte tout à la fois les aspects structurels de la régulation étatique et le jeu des acteurs. L’État apparaît dès lors comme cadre de l’action et ensemble d’acteurs, structures et processus. Il est utile en effet que le jeu des acteurs ne soit pas totalement dissocié de la structuration du champ d’action collective, afin de saisir comment acteurs et structures peuvent se combiner à l’intérieur d’un même processus social. (Duran, 2010, p. 12).

29 Dans un registre un peu différent, les premiers travaux sur la gouvernance, et plus particulièrement ceux associant gouvernance et réseaux d’action publique, ont fourni des analyses donnant à voir un État « creux » ou en voie d’évidement (Rhodes, 1994). Dans une vision résolument post-structuraliste (Le Galès, Thatcher, 1995), l’État ne peut plus être appréhendé comme une structure de commandement exerçant un pouvoir descendant sur la société, mais comme un espace investi par des systèmes d’acteurs autonomisés, peuplés par des acteurs réflexifs unis par des liens de confiance et de réciprocité, et contribuant à la stabilisation d’ordres locaux à l’échelle des systèmes d’action. Dans sa critique percutante des théories de la gouvernance et des réseaux, Davies (2011) ne questionne pas tant l’existence de réseaux d’action publique que la toile de fond « post-traditionnelle » dans laquelle les théoriciens de la gouvernance les inscrivent. Inspirés par la théorie de la structuration de Giddens (1987), ces théoriciens tendent à considérer que les acteurs fabriquent dans leurs interactions la trame structurelle qui cadrera progressivement leurs comportements. Inspirés aussi par les théories de la réflexivité (Beck et al., 1994), ils considèrent aussi que les acteurs peuvent se rendre maîtres des cadres dans lesquels ils interagissent et les rendre compatibles avec le maintien d’un niveau décent de confiance et de coopération. Pour Davies, cette vision fait peu de cas de deux implacables réalités d’ordre structurel. La première c’est celle d’une logique de plus en plus prégnante de concentration du pouvoir et des richesses dans le monde social. La seconde, liée à la première, c’est celle de l’inégalité entre les acteurs au sein d’un même réseau du fait de l’inégale distribution des ressources dans l’ordre social. Ces inégalités croissantes rendent très fragile l’implication des acteurs dans des dispositifs d’action réticulaires et réflexifs et très improbable la capacité des réseaux à subvertir et encore moins à abolir les structures sociales.

30 Le troisième grief commun ciblant à la fois la sociologie de l’action organisée et les travaux sur la gouvernance a trait à leur dimension normative. La mention de ce grief est sans doute plus anecdotique, mais elle a le mérite là encore de pointer un lien de cousinage entre ces deux traditions d’analyse. Il n’est sans doute pas anodin, sur le plan y compris théorique, de constater que l’une et l’autre de ces traditions ont été soupçonnées à la fois d’anti-étatisme, de libéralisme, voire de néo-libéralisme ou encore de réformisme éthéré. Ces critiques convergentes disent quelque chose de crucial à propos de ces deux traditions, à savoir qu’elles nourrissent une vision agnostique, historicisée et organisationnelle de l’État, qu’elle l’appréhende comme un outil de production. Dès lors, elles considèrent que l’État n’est ni une essence immuable ni une entité sacrée, que ses modes d’action, d’organisation et de coordination sont contingents, témoins d’une époque, et n’ont pas vocation à être sanctuarisés mais, au contraire, à évoluer en permanence. Tenant à distance les lectures institutionnalistes et philosophiques qui réifient l’État, ces deux traditions considèrent aussi que l’État est une organisation ou un ensemble d’organisations susceptibles de générer des effets pervers. Elles s’exposent dès lors l’une et l’autre au procès en « rhétorique réactionnaire » (Hirschmann, 1991) jetant l’État-Providence avec l’eau de ses dysfonctionnements. C’est cette lecture organisationnelle et agnostique de l’État, qui amène M. Crozier à aller à l’encontre de sciences sociales françaises d’autant plus statolâtres qu’elles en ignorent les fonctionnements intimes, et à prôner la décentralisation et le recours à des modes d’action plus délibératifs et concertés pour faire pièce à la tendance des élites de l’État à privilégier « la re­- cherche de la solution » au détriment de la « construction du problème » (Crozier, 1995, p. 25). Elle aussi qui l’amène, avec d’autres sociologues des organisations et avec des alliés du Club Jean Moulin et de la revue Esprit, à constater que les politiques territoriales de l’État, malgré leurs bonnes intentions redistributives, engendrent le plus souvent une dépendance à l’État, une logique d’évitement entre acteurs locaux et privent, finalement, les territoires de réseaux de coopération et d’une capacité endogène à construire les problèmes et à y trouver des solutions. Ces inclinaisons normatives et les prises de position qui en découlent ont beaucoup été reprochées à Crozier et l’on peut penser que ces reproches survivent aujourd’hui sous la forme d’une méfiance à l’égard d’un supposé tropisme centriste de la sociologie des organisations. On peut penser que les chercheurs mobilisant la notion de « gouvernance » partagent un certain nombre de pentes normatives du fondateur de la sociologie des organisations à la française. Ce qui est clair en tout cas, c’est que les travaux sur la gouvernance ont attiré à peu près autant de foudre. Il faut dire que l’usage du terme par les Institutions financières internationales, dans le cadre des politiques d’ajustement structurel, et par l’Union européenne, dans le cadre de ses stratégies explicites pour contourner les gouvernements nationaux, a largement contribué à nourrir la méfiance. Mais au-delà, c’est la même volonté de déplacer le regard – temporairement – des questions de compétition électorale, de légitimité et de domination, vers les questions de production, d’action et de coordination qui n’a pas été comprise et prise pour une entreprise de démolition de l’État. John Crowley résume bien cette méfiance en indiquant que bon nombre de commentateurs ne croient pas que l’usage de la notion de gouvernance procède d’une simple « désacralisation analytique » de l’État consistant à le voir comme « un mode de coordination des activités humaines parmi d’autres ». Ils y voient plutôt « l’intention d’abattre le privilège politique de l’État » (Crowley, 2003, p. 52), bref un programme politique de dissolution de la souveraineté dont le but ultime serait d’ « abâtardir les capacités du pouvoir républicain » et de « régler des comptes avec le républicanisme libéral » (Padioleau, 2000). Un signe tangible de l’implication des tenants de la gouvernance ne peut-il pas être trouvé dans le fait que la plupart ont travaillé sur les objets et les processus susceptibles de saper les bases de la souveraineté étatique – l’Europe, les régions et les villes (Smith, 1997 ; Fournis, 2006 ; Pasquier, 2012 ; Dupuy, 2010 ; Le Galès, 2003 ; Pinson, 2009) – et, plus généralement, sur tous les processus d’action qui divergent du répertoire classique de l’État wébérien (Le Galès, Négrier, 2000 ; Pinson, 2004 ; Pollard, 2010) ?

31 En fin de compte, sans que cette filiation ait jamais été réellement affirmée ou assumée, il est clair que la sociologie de l’action organisée et les travaux sur la gouvernance partagent des orientations intellectuelles, des problématisations, des inclinations normatives … et des adversaires. Par dessous tout, ils partagent un intérêt pour les formes de coordination en ce qu’elles révèlent des éléments cruciaux pour comprendre l’action collective, l’État et les rapports entre État et société. Ces deux approches divergent cependant sur un point qui fera l’objet de la partie suivante. Alors que la sociologie de l’action organisée s’est peu souciée de capitaliser sur ses travaux pour construire une théorie de l’État et de son évolution historique, les travaux sur la gouvernance tirent justement de leurs constats empiriques sur les transformations des modes de coordination une ébauche de théorie de l’État.

La gouvernance : la théorie de l’État en plus ?

Historiciser les modes de coordination

32 Les liens de parenté évoqués dans la première partie n’ont pas empêché des débats entre les tenants des deux approches. Certains héritiers de la sociologie de l’action organisée ont notamment reproché aux travaux sur la gouvernance leur absence de précision conceptuelle. C’est le cas de Patrice Duran (2001) qui, s’il reconnaissait aux travaux menés sous cette bannière de poser les bonnes questions, s’interrogeait aussi sur la nouveauté réel de ce regard, sur le statut, descriptif, analytique ou prescriptif de la notion même de gouvernance, « plus significative d’un ‘coup d’œil’, ajoutait-il, que d’une théorie affirmée » (Duran, 2001, p. 372). Dans ce même texte, P. Duran mettait aussi le doigt sur un élément implicite et mal assumé par les tenants mêmes de l’approche en termes de gouvernance : son caractère historicisant.

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La gouvernance relève d’un registre qui est d’avantage celui de la description dans la mesure où elle procède d’une formulation indexée sur une réalité historique particulière dont elle n’est pas séparable car elle vise à en rendre compte. Parler de gouvernance territoriale, dès lors qu’il s’agit de spécifier à et dans quelles conditions est susceptible de se développer un type d’action publique dans nos sociétés, implique en effet la production d’un concept de nature historique. (Duran, 2001, p. 374).

34 Nous partageons ce constat, mais considérons que c’est justement ce statut de concept historique, pour peu qu’il soit assumé, qui fait l’originalité de la notion de gouvernance et qui distingue les travaux menés en son nom des travaux de sociologie de l’action organisée. Nous entendons défendre ici l’idée selon laquelle la gouvernance porte une théorie historique de l’État, certes souvent implicite, mais qui se dégage aujourd’hui de l’accumulation des travaux sur la gouvernance. En cela, elle se distingue de la sociologie de l’action organisée dont on sait que la réticence à théoriser l’existence d’ordres sociaux macro se double d’une réticence à produire une théorie historique des ordres sociaux, et notamment de l’État. Non seulement, cette tradition donne à voir des acteurs impliqués dans des situations a-historiques, qui ne sont pas « chargées » des expériences passées, mais elle ne pose pas la question du devenir historique des organisations qu’elle observe malgré un postulat initial selon lequel le monde social serait aujourd’hui marquée par le poids des organisations.

35 Avant de tenter de montrer en quoi la gouvernance porte une théorie historique de l’État, il faut dissiper un malentendu constant sur les usages de la notion. En effet, à la lecture des travaux sur la gouvernance, on est confronté à une ambiguïté constante, une oscillation entre un usage positif et un usage programmatique du terme. L’usage positif consiste à associer la « gouvernance » à un type donné de modes d’action publique et en particulier de modes de coordination, à savoir ceux qui tendent aujourd’hui à concurrencer sinon à supplanter le répertoire classique de l’État wébérien : les réseaux, les partenariats, la négociation, la contractualisation, etc. Ici, gouvernance est clairement opposée à gouvernement. C’est l’usage que suggère Crowley quand il évoque des « logiques de gouvernance » qui succèderaient aux modes d’action caractéristiques de l’État « dans sa forme keynésienne et planificatrice ».

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À une logique combinant autorité, distance, majesté, hiérarchie s’opposerait alors, toujours de manière idéal-typique, une logique combinant partenariat, proximité, animation, réseau. (Crowley, 2001, p. 57).

37 C’est celle que l’on trouve dans les premiers travaux usant de la notion (Rosenau, Czempiel, 1992 ; Rhodes, 1997 ; Mayntz, 1999).

38 L’usage programmatique vise davantage à faire de la gouvernance un moyen de formuler des hypothèses de changement sur la place de l’État et les transformations des formes de coordination sur fond de transformations économiques, politiques et sociales majeures (mondialisation, transformation du capitalisme, européanisation, décentralisation, etc.) (Pinson, 2003). La gouvernance ne désigne pas ici des modes d’action et de coordination spécifiques, mais un chantier de recherche qui formule l’hypothèse selon laquelle les formes de l’action collective dans une variété de domaines – l’action publique, la production et les échanges économiques, l’action collective, etc. – seraient travaillées par des processus d’hybridation, de transferts d’un domaine à l’autre et de réarticulation. P. Le Galès présente ainsi « la gouvernance » comme :

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Un chantier de recherche qui concerne les formes de coordination, de pilotage et de direction des secteurs, des groupes et de la société, au-delà des organes classiques du gouvernement. (Le Galès, 2004, p. 242).

40 Pour lui, elle « ne constitue pas un concept ancrée dans une théorie ni, a fortiori, une théorie », elle permet davantage « de formuler des questions plus que d’apporter des réponses » (2004, p. 244). Autrement dit, il s’agit de voir comment l’État ne recourt plus uniquement aux formes de coordination qui lui étaient associés (l’imposition réglementaire, la hiérarchie, l’organisation, la planification, les approches top-down), mais organise des mixes de coordination avec des répertoires classiquement associés à d’autres domaines (le marché, l’incitation financière, la confiance, la réciprocité, etc.) (Le Galès, 1998). Dans cette perspective, le gouvernement ne se dissout pas dans quelque chose qui lui succèderait, mais réorganise, au travers des politiques publiques et de leurs instruments, ses relations avec son environnement.

41 Le problème est que la frontière est souvent ténue entre les deux approches et que les tenants de la seconde sont souvent tentés de désigner par gouvernance des modes d’action et de coordination spécifiques, tout simplement pour valider l’intérêt du programme de recherche et de la théorie implicite du changement politique et social qu’elle contient. La question dès lors se pose de savoir s’il n’est pas temps de dépasser le « stade programmatique » et de se servir de l’ensemble des constats empiriques que ce programme aujourd’hui vieux de vingt ans a permis d’accumuler pour ériger la gouvernance en théorie historique du changement de l’État, des modes de fabrication des politiques et des rapports entre État et société. Il est temps à mon sens d’assumer le statut de concept historique de la gouvernance. C’est dans ce sens que nous proposons dans la section suivante de mettre au jour la théorie implicite du changement historique de l’État contenue dans les travaux sur la gouvernance.

Une théorie de l’État en transformation

42 On l’a dit, la sociologie de l’action organisée n’a pas de prétention à produire une théorie de l’État et encore moins de ses transformations. La chose est étonnante ! Alors même que la focalisation sur les organisations et plus généralement l’action organisée, présentées comme la caractéristique majeure des sociétés industrialisées, pourrait laisser penser que cette tradition s’arrime aux constats de la sociologie historique de Max Weber sur la rationalisation bureaucratique des sociétés, il n’en est rien. De même, alors que la description du phénomène bureaucratique et sa critique font fortement écho aux travaux sur le Taylor-Fordisme et à son dépassement, nulle trace de l’évocation d’une sortie du monde bureaucratique. La sociologie des organisations, au moins dans sa version française, semble refuser de saisir le social par son « devenir ». Par ailleurs, l’État lui-même, on l’a dit, passe à la trappe, comme toutes les conceptualisations donnant à voir des ordres macro. On voit donc mal comment il pourrait être intégré dans une théorie du changement des sociétés et de leurs organisations.

43 Il en va tout autrement pour la gouvernance qui, nous semble-t-il, porte une théorie, certes implicite et pointilliste, de la transformation de l’État. Nous proposons de qualifier cette théorie de néo-pluraliste et de pragmatique. Néo-pluraliste car elle donne à voir un État confronté un environnement dans lequel évolue un nombre beaucoup plus important d’acteurs et dans lequel les ressources sont davantage dispersées qu’auparavant et qui appelle un renouvellement des formes d’interaction entre l’État et son environnement et plus particulièrement des pratiques de coordination. Pragmatique car les travaux sur la gouvernance considèrent généralement que cette transformation progressive de l’État et de son répertoire d’action ne relève pas, ou pas principalement, d’un « grand dessein », qu’il soit néo-libéral ou néo-managérial, mais d’une série d’ajustements opérés face à des difficultés d’action et de coordination. Ajustements qui n’ont pas concerné uniquement l’État mais l’ensemble des sphères de l’action collective : les entreprises, les organisations politiques et syndicales, les associations et les mouvements sociaux.

44 On peut avancer que la théorie du changement de l’État contenue dans les travaux sur la gouvernance est néo-pluraliste car elle donne à voir un État territorial qui a perdu le monopole de l’exercice du pouvoir politique, de la capacité à impulser des mécanismes d’action collective et à coordonner les activités sociales. Elle décrit un État pris dans des tissus d’interdépendance l’associant à des entités qui lui étaient jusqu’alors subordonnés – entreprises, gouvernements locaux, intérêts organisés, etc. – ou qui avaient peu de prise sur l’organisation de l’espace dont il avait seul le contrôle – autres États, organisations inter et supranationales, acteurs transnationaux. Cette théorie peut être qualifiée de pluraliste car elle donne à voir des environnements d’action dans lesquels l’État est confronté à un nombre croissant d’acteurs et dans lesquels donc son influence est potentiellement dilué. Pluraliste également car les ressources – financières, d’expertise, de légitimité – sont de plus en plus dispersées (Dahl, 1961). Pluraliste encore car, face à la profusion des intérêts économiques et sociaux auxquels il est confronté, l’État est contraint d’ouvrir les processus de décision à ces intérêts sans pouvoir pour autant les organiser ou les coopter. Mais on ajoute le préfixe « néo » car contrairement aux pluralistes des années 1960 qui insistaient sur la stabilité des systèmes politiques pluralistes, un certain degré d’autonomie de ces systèmes et interrogeaient peu les mécanismes concrets de fabrication des politiques publiques, les « néo-pluralistes » décrivent des situations dans lesquelles la capacité de l’État seul à satisfaire les demandes, intégrer les groupes et légitimer le régime politique semble être largement questionnée. Des situations dans lesquelles la rationalité des processus de politique publique est limitée, et dans lesquelles le poids des intérêts privés, notamment ceux des grandes entreprises privées, s’est affirmé dans le jeu politique (Dunleavy, O’Leary, 1987). Les travaux sur la gouvernance reprennent aussi implicitement les conclusions d’un Lindblom qui, partant d’une posture pluraliste, reconnaît ensuite à la fois les limites de la rationalité du processus de politique publique, du contrôle que les élus peuvent avoir sur celui-ci, les limites aussi de l’autonomie du système politique, et le poids croissant des grandes organisations privées (Lindblom, 1977 ; 1979). La vision néo- pluraliste reprend ainsi à son compte les idées de pluralité de voix d’accès à l’État et à la décision, d’ouverture et d’autonomie relative de l’État, mais se débarrasse des traits à la fois normatifs (la démo­cratie libérale comme meilleur régime possible), fonctionnalistes (la résorption des tensions comme fonction du système politique) et rationnalistes (les politiques publiques comme processus de problem solving) du premier pluralisme.

45 C’est bien une vision néo-pluraliste qui se dégage des travaux sur la gouvernance et, plus encore, une théorie sur la pluralisation historique des systèmes politiques. En effet, quatre principaux constats ressortent des travaux conduits sous les auspices de la gouvernance (Bevir, 2011 ; Denters, 2011). Le premier est celui de la pluralisation des systèmes d’action publique et du polycentrisme qui en résulte, constat d’ailleurs partagé avec les travaux sur l’action publique menés dans une perspective de sociologie de l’action organisée (Duran, Thoenig, 1996). Les processus d’élaboration des politiques publiques sont décrits comme impliquant une diversité croissante d’acteurs relevant de sphères et de niveaux divers. Ces situations pluralisées procèdent à la fois de logiques objectives de redistribution de l’autorité et de dispersion des ressources, mais aussi de logiques plus subjectives qui amènent les acteurs à appréhender les problèmes d’action publique de manière moins sectorisée et plus transversale. En suivant Colin Hay, on pourrait ainsi considérer que la pluralisation des systèmes d’action collective procède non seulement d’un degré croissant d’interdépendance entre les acteurs relevant de secteurs ou d’échelles d’action différents, mais aussi et peut-être surtout de la reconnaissance de plus en plus explicite de ces interdépendances par les acteurs des politiques eux-mêmes et des effets en chaîne que cette reconnaissance implique (Hay, 2010). Le deuxième constat est relatif au caractère de plus en plus multi-juridictionnel des problèmes publics auxquels sont confrontés les acteurs des politiques publiques (Smith, 2011). Là encore, cette réalité a des effets de pluralisation puisque la prise en charge de ces problèmes implique nécessairement une renégociation constante des règles de souveraineté et des rapports inter-gouvernementaux et le recours à des modes de décision et de coordination qui relèvent plus de la diplomatie et de l’arrangement que de l’action souveraine (Page, Goldsmith, 2010). Le troisième constat est la conséquence des deux premiers. Pour agir dans des contextes pluralisés et traiter des problèmes multi-jurictionnels, les acteurs ne peuvent plus compter uniquement sur des modes de gestion autoritaires, descendants, mécaniques et standardisés. On assiste par conséquent à la diversification et à l’hybridation des pratiques de gouvernance et, en particulier, des formes de coordination.

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« Les mécanismes de gouvernance sont souvent des pratiques hybrides, combinant des systèmes administratifs avec les mécanismes du marché et les organisations à but non lucratif » (Bevir, 2011, p. 2).
« En complément des mécanismes bureaucratiques et politiques traditionnels comme la hiérarchie et le vote majoritaire, les décisions procèdent de plus en plus de la concurrence ou de négociations » (Denters, 2011, p. 314).

47 Ainsi, la pluralisation conduit à une diversification des modes de décision et de coordination y compris au sein même de l’État. Enfin, et c’est le quatrième constat des travaux sur de la gouvernance, cette diversification des modes de coordination se traduit notamment par le recours croissant aux réseaux de politiques publiques pour définir les problèmes et coordonner les actions visant à les traiter (Le Galès, Thatcher, 1995 ; Kickert et al., 1997). Ici, s’opère une double dynamique de pluralisation – puisque les réseaux peuvent avoir pour effet d’abaisser un certain nombre de barrières à l’entrée dans les dispositifs d’action publique – et de dépassement de la hiérarchie comme seul horizon de la coordination au sein de l’État –car les réseaux fonctionne à la confiance, à l’identité et à la réciprocité plutôt qu’à l’imposition.

48 La théorie de la transformation de l’État portée par les travaux de la gouvernance est aussi pragmatique, et c’est ici que l’on retrouve la question cruciale des formes de l’action organisée et de la coordination. En effet, on peut considérer que si les travaux sur la gouvernance sont porteurs d’une théorie des changements de l’État, ces changements n’y sont pas vus comme le produit direct ni de grands changements institutionnels (décentralisation, construction d’ensembles régionaux, dérégulation), ni de grands projets concertés ancrés dans un programme idéologiques (néolibéral ou néomanagérial) ou encore d’exigences du capitalisme. Ils sont davantage le résultat instable et variable d’une série d’ajustements, d’itérations, d’essais-erreurs, d’expérimentations dans les modes d’organisation, d’action et de coordination qui finissent par faire système, par un jeu d’influence réciproque entre sphères d’action collective. Bien entendu, les changements institutionnels, les projets idéologiques et les pressions du capitalisme peuvent accélérer et institutionnaliser ces changements, mais ils sont généralement eux-mêmes les produits des transformations intervenues dans les formes de l’action collective. Une formulation radicale de cette vision du changement est proposée par Bevir et Rhodes (2011), qui refusent les définitions essentialistes de l’État, mais n’en proposent pas moins une « anti-fundational theory of the State » dans laquelle les transformations de l’État et de son rôle s’originent dans des pratiques concrètes éparses des manières de faire d’acteurs confrontés à des dilemmes et qui finissent par faire système. Ces ajustements localisés qui portent notamment sur les modes d’action et de coordination finissent par avoir un effet sur la place de l’État et sur ses rapports avec la société.

49 Cette perspective de lecture du changement privilégiée n’est bien entendu pas tout à fait nouvelle. On peut lui reconnaître au moins trois influences. L’influence de Michel Foucault est évidente qui renverse le regard sur l’État, refuse de le voir comme une essence tout en prenant au sérieux ses transformations. « L’État ce n’est pas un universel écrit-il ; l’État ce n’est pas en lui-même une source autonome de pouvoir ; l’État ce n’est rien d’autres que des faits : le profil, la découpe mobile d’une perpétuelle étatisation ou de perpétuelles étatisations, de transactions incessantes qui modifient, qui déplacent, qui bouleversent, qui font glisser insidieusement, peu importe, les financements, les modalités d’investissements, les centres de décision, les formes et les types de contrôles, les rapports entre pouvoirs locaux et autorité centrale, etc. L’État ce n’est rien d’autre que l’effet mobile d’un régime de gouvernementalité multiple » (Foucault, 2004, cité par Lascoumes, 2004, p 3). D’où l’intérêt pour la matérialité des pratiques et des instruments et sur leurs effets en termes d’étatisation de la société. On retrouve dans la théorie implicite du changement de l’État au sein des analyses de la gouvernance l’idée selon laquelle le changement procède moins d’une idéologie ou d’un grand dessein hégémonique que de la cristallisation de pratiques concordantes.

50 On retrouve aussi dans cette conception du changement la marque de la sociologie wébérienne et ce, sous deux traits distincts. Les travaux sur la gouvernance reprennent l’idée chère à Weber selon laquelle l’État s’exprime et imprime des changements à la société par des techniques de gouvernement, par une matérialité des pratiques et de la présence de l’État. Comme Foucault après lui, Weber a permis de distinguer dans l’État la question des gouvernants, de leur souveraineté et de leur légitimité d’une part, et celle des techniques de gouvernement et de rationalisation du social (Le Galès, 2014). Deuxièmement, les travaux sur la gouvernance reprennent à leur compte l’idée wébérienne d’une historicité de l’État territorial comme agent central d’une rationalisation des processus d’action collective dans un moment précis de l’histoire des sociétés. À partir de cette perspective historique, la gouvernance formule l’hypothèse selon laquelle nous vivrions une nouvelle phase historique dans laquelle la rationalisation imposée par l’État aurait un tout autre visage. Elle ne s’exprimerait plus par la différenciation des bureaucraties d’État, la clôture des espaces nationaux et de la présence tentaculaire des bureaucraties d’État sur un territoire. Elle s’exprimerait au contraire par dédifférenciation des bureaucraties d’État et de leurs élites, par l’ouverture forcée – à des fins de compétition – des espaces nationaux et par une présence plus parcimonieuse sur un territoire qui a perdu de son importance stratégique. La gouvernance ne donne pas à voir un État affaibli mais un État qui a redéfini son rapport avec la société et le territoire sans avoir pour autant abandonné la perspective de rationalisation.

51 Enfin, cette lecture historique des changements de l’État est instruite par les travaux d’économie politique (Crouch, Streeck, 1997; Trigilia, 2002) avec lesquels les tenants de la gouvernance ont largement dialogué. Deux apports de l’économie politique sont notamment réappropriés par la gouvernance. C’est d’abord l’idée classique selon laquelle le capitalisme et l’État ne sont pas compréhensibles si l’on ne prend pas en compte la manière dont ils se sont mutuellement construits. Le second apport, c’est l’homologie certes partielle mais réelle, qui existe immanquablement entre les formes d’action et de coordination observables au sein des firmes et au sein des administrations d’État. Les lectures institutionnalistes et essentialistes donnent à voir les formes d’action de l’État comme ontologiquement spécifiques, au nom de la sacrosainte distinction entre sphère publique et privée. L’économie politique rappelle les frappantes homologies de fonctionnement entre l’État wébérien et la firme taylor-fordiste. Elle incite dès lors à penser sous un jour nouveau le parallélisme des restructurations au sein des deux mondes. L’agencification, la décentralisation, les démarches de projet ne sont-elles pas les pendants bureaucratiques de l’externalisation et de la désintégration verticale ? Firmes et administrations n’ont-elles pas subi le même processus de « dégroupage » (« unbundling » dans le vocabulaire de Pollitt et Talbott, (2004)) ? Encore une fois, on peut y voir le produit d’un projet concerté d’application des principes néolibéraux et néomanagériaux. On peut aussi y voir, comme Storper (2001), le produit non concerté d’ajustements, d’innovations épars et pragmatiques face à des dilemmes organisationnels rencontrés dans les administrations et les entreprises. Ce qui n’empêche pas de s’intéresser aux phénomènes de circulations des formes d’organisation et de coordination d’une sphère à l’autre.

52 Quelle image de l’État ressort de cette théorie néo-pluraliste et pragmatique du changement ? Les travaux sur la gouvernance donnent à voir un État à la fois débordé et dédifférencié mais qui n’est pas pour autant désarmé.

53 Les travaux sur la gouvernance donne d’abord à voir un État débordé. L’épithète ne renvoie pas tant à l’idée de « surcharge » de l’État popularisée par les travaux de la trilatérale (Crozier et al. 1975). Il signale d’abord la fin d’une situation dans laquelle les politics (la compétition politique), les policies (les politiques publiques), et la polity (l’espace ou la communauté politique) s’organisaient à l’échelle d’un seul et même espace placé sous l’égide de l’État territorial (Duran, 2010). Cette situation d’empilement était le produit de processus de construction des sociétés nationales relativement étanches dans lequel l’État et ses politiques publiques ont de fait joué un rôle crucial (Mann, 1994 ; 1997). Aujourd’hui, l’État est confronté à – et impliqué dans – des mécanismes de construction des politiques publiques qui, du fait des interdépendances spatiales mentionnées plus haut, ne trouvent plus dans l’espace stato-national leur contenant naturel. Il fait également face à l’émergence et à la concurrence de nouveaux acteurs des politiques publiques qu’il a lui-même contribué à créer ou à doter en compétences (gouvernements locaux et régionaux, organisation supra ou internationales) et même à des acteurs privés qu’il a lui-même crédités d’une légitimité à intervenir dans l’action publique (agences de notations). De ce fait, il a perdu le monopole de l’expression et de la déclinaison en politiques de l’intérêt général. Le pouvoir infrastructurel dont il disposait de manière quasi- monopolistique, ce que Mann a défini comme « la capacité de l’État de pénétrer la société civile, et sa capacité logistique à mettre en œuvre des décisions politiques dans tous les secteurs » (Mann, 1984, p. 113) a aussi été contesté par le poids d’autres acteurs dans la construction de l’environnement matériel des sociétés (Dupuy, Pollard, 2014). De plus, sa légitimé à organiser et construire les sociétés a été contestée par une mobilisation sociale accrue et de plus grandes réticences au consentement. L’État ne semble plus en mesure de borner par son territoire, ses institutions et ses frontières matérielles, juridiques et symboliques, les pratiques, les identités et les stratégies des individus et des groupes sociaux. Les nouvelles formes d’action publique et de coordination sont à la fois la cause et le résultat de ce débordement. Ici, lorsque l’on parle de l’État, il faut sans doute distinguer d’une part le territoire, les institutions et les liens de solidarité qu’il incarne et, d’autre part, les groupes sociaux qui occupent des fonctions en son sein. En effet, les groupes sociaux incarnant traditionnellement l’État peuvent aussi organiser ce débordement à leur profit. C’est le cas des hauts fonctionnaires « pantouflant » dans des organisations internationales ou des firmes transnationales ou d’hommes poli­tiques mettant leur prestige et leurs réseaux au service d’une grande entreprise étrangère.

54 Ces exemples nous conduisent à la deuxième caractéristique de l’État transformé théorisé par la gouvernance : il tend à se dé-différencier. La forme d’État qui prévalait jusqu’à la fin des Trente Glorieuses était largement marquée par les caractéristiques repérées par Weber au début du xx esiècle : la rationalisation, la centralisation et surtout la différenciation, à savoir l’autonomisation de l’État par rapport à son environnement social par la construction d’un système de règles et d’institutions spécifiques et la constitution de groupes socio-professionnels dédiés au service exclusif de l’État. Les membres de cette bureaucratie sont recrutés dans le cadre de processus spé­cifiques et bénéficient de conditions d’emploi et de carrières spécifiques (Weber, 1971). Le droit de l’État est souvent spécifique. Dans les travaux classiques de sociologie de l’État, ce critère de la différenciation est essentiel et permet même de distinguer, selon Badie et Birnbaum, les États forts et les États faibles (Badie, Birnbaum, 1982 ; Birnbaum, 2011). Cette différenciation s’appuie sur la captation et la concentration graduelle par l’État de capitaux – de force physique, économique, informationnelle, symbolique – qui fonde sa puissance, accrédite son exceptionnalité et sa légitimité – la « monopolisation de l’universel » selon les termes de Bourdieu – et fabrique les « esprits d’État » qui, de part et d’autre de la frontière fictive entre État et société, font fonctionner le mythe de l’extériorité de l’État (Bourdieu, 1993). C’est bien cette différenciation et les effets performatifs en chaîne qu’elle engendrait qui est aujourd’hui mise à mal. Le monopole de l’universel est effrité par les government failures. La dépendance croissante de l’État à l’égard des ressources d’acteurs tiers permet l’accès de ces derniers à des cénacles de la décision jusqu’alors davantage protégés des interventions extérieures. L’implication de l’État dans des dispositifs d’action partenariaux dans lesquelles compétences, ressources et légitimités d’institutions relevant de différents niveaux sont enchevêtrées banalisent l’État. Les travaux sur la gouvernance multi-niveaux (Marks, Hooghe, Blank, 1996) ont bien montré comment ces dispositifs avaient pour effet de brouiller les intérêts et les identités des acteurs impliqués. Le déclin symbolique de l’État et les opportunités offertes par d’autres organisations génèrent des circulations et des migrations professionnelles inédites qui tendent à dédifférencier les noblesses d’État des autres segments des groupes sociaux dominants. On observe désormais un État servi par des élites politiques et administratives dont l’identité et les pratiques ne sont plus déterminées par la seule dimension du service de l’État, de l’appartenance à la bureaucratie d’État ou la seule référence à un territoire national. Ces logiques de dé-différenciation ne concernent pas uniquement les groupes professionnels œuvrant au cœur de l’État, mais également ses modes d’action et de coordination. On assiste en effet à une sorte de désappariement entre l’État et les modes d’action qui lui ont permis de s’affirmer. L’État s’est historiquement constitué en se dotant de modes d’action qui lui étaient pour l’essentiel propres. Ces modes d’action étaient, à leur tour, largement tributaires du processus central qui a fait l’État, à savoir la guerre. Ces modes d’action et de coordination propres étaient donc pour l’essentiel issus de l’organisation militaire : la division du travail, la hiérarchie, la sanction. Aujourd’hui, l’État semble devenu hétéronome du point de vue de l’invention d’outils d’organisation et de coordination, autrement dit il emprunte de plus en plus des modes plutôt associés au marché ou à la société (Levy, 2006). Pour autant, ses modes d’action et de coordination qui lui sont historiquement propres ne disparaissent pas, mais ils s’articulent et s’hybrident avec d’autres modes.

55 L’État débordé et dédifférencié dépeint par la théorie historique de la gouvernance n’est pas pour autant un État désarmé, encore moins un État faible ou creux. Les élites qui le servent encore le font intervenir pour contenir les effets de la crise. Elles savent distinguer les intérêts propres de l’État et les défendre face à des acteurs économiques et sociaux ou à d’autres niveaux de gouvernement, comme le montre très bien Renaud Epstein (2013) à partir du cas de la rénovation urbaine. Si l’on adopte une vision élargie de l’État intégrant les différents niveaux d’autorité pu­- blique, comme le fait Neil Brenner (2004) au travers de sa notion de « statehood », on peut même considérer que l’État s’est démultiplié et est présent sur des domaines d’action publique de plus en plus nombreux, qu’il a promu des échelles, comme les villes et les régions, dans une optique de déploiement des politiques de compétitivité, mais que ces échelles sont aussi des échelles de redéploiement du welfare. Néanmoins, ces logiques de débordement, de dédifférenciation voire de démultiplication de l’État ne sont pas sans effet sur les rapports entre l’État et la société, entre l’État et les citoyens et, pour finir, sur les régimes de citoyenneté (Pongy, 1997). D’une part, les relations d’interdépendance dans lesquelles est désormais inséré l’État ont généralisé les modes d’action fondés sur la négociation intergouvernementale, l’ajustement, l’itération, la contractualisation, l’agencification voire l’externalisation qui rendent compliqué l’exercice du contrôle citoyen. D’autre part, l’État de la gouvernance fonde de plus en plus son rapport à ses citoyens sur un registre de l’incitation, de l’injonction à l’entrepreneurialisme et de moins en moins sur le registre de l’allocation de droits. C’est une des dimensions du glissement de formes d’action fondées sur la hiérarchie vers des formes d’action fondées sur les mécanismes du marché et des réseaux. Ceci également ne peut manquer de transformer profondément les rapports entre l’État et les citoyens. Preuve encore une fois que les formes mêmes de l’action publique et de la coordination constituent des enjeux politiques, sociologiques et politologiques.

Épilogue : les trois friches de la gouvernance

56 Pour conclure cet article, nous souhaiterions évoquer trois domaines de recherche que les travaux sur la gouvernance ont pour l’heure éludés : les fondements anthropologiques de la gouvernance, la place du droit dans la gouvernance et la question des rapports entre les espaces de construction de l’action collective d’une part, et les espaces d’autorité, de légitimité, d’allégeance et d’identification politiques d’autre part.

57 S’il y a clairement une inscription des travaux sur la gouvernance dans une sociologie traquant le changement social et l’historicité des phénomènes sociaux, si dans ces travaux, l’État et ses formes d’action ne se comprennent que par rapport à la formation sociale dans lequel ils s’inscrivent (Pinson, 2003 ; Le Galès, 2014), en revanche, ces travaux éludent pour la plupart la question du terreau anthropologique dans lequel s’enracinent les transformations qu’ils document et analysent. Ces transformations se limitent-elles à des ajustements opérés par les policymakers confrontés à des difficultés de mise en œuvre des politiques, de mobilisation et de coordination des acteurs, d’articulation des ressources ? Faut-il aller plus loin et considérer que les transformations des modes d’action et de coordination procèdent aussi de transformations plus profondes, anthropologiques donc, des dispositions à obéir et coopérer ? Les modes de coordination associés communément à la « gouvernance » sont-ils le produit d’une transformation des rapports à l’autorité, à la hiérarchie, des dispositions à la remise de soi à des entités comme l’État ou l’administration ? Les travaux sur la gouvernance éludent souvent la question et ce sont souvent leurs critiques qui fournissent des fondements microsociologiques à ces travaux en les associant aux théories de la modernité réflexive et de l’agir intersubjectif (Davies, 2011). De fait, c’est sans doute du côté des travaux sur les controverses et sur la délibération qu’il faut aller chercher les raisons qui conduisent les acteurs à être moins disponibles pour des formes de coordination hiérarchique typiques de l’État wébérien et à se prêter plus facilement à des formes d’action et de coordination qui ménagent, au moins en apparence, les choix, les intérêts, les représentations et les identités des individus (Pinson, 2009).

58 Le second chantier que les travaux sur la gouvernance ont pour l’heure laissé en friche est relatif à la question du droit et de sa place dans les processus de gouvernance. Dans ces travaux, la conception du droit et de son poids dans les mécanismes de l’action publique et de coordination est généralement très sommaire. Le droit est souvent ramené à une forme d’action descendante, hiérarchique, voire autoritaire, exclusive de toute forme de tractation, d’itération. Les travaux sur la gouvernance se nourrissent volontiers des typologies classiques répertoriant les différents modes de régulation (Lange, Regini, 1989) et distinguant l’organisation (ou État), le marché et la régulation sociale (ou associative). Dans ces typologies, le droit est identifié comme étant intimement lié à la première. Dès lors, le droit est appréhendé dans sa stricte dimension obstructive et contraignante. Tout se passe comme si les travaux sur la gouvernance succombaient à

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une représentation du droit fortement marquée par une interprétation positiviste de la règle de droit et son association à un mode centralisé de régulation étatique qui continue à obscurcir tout jugement sur le droit. (Duran, 1993, p. 6).

60 Le pas est vite franchi qui consiste à considérer que la généralisation des dispositifs et instruments associés à la gouvernance signe la marginalisation des outils juridiques dans le pilotage de l’action publique et la coordination des activités. Le droit, réduit à son versant impératif, semble entraîné dans leur relatif déclin par l’État, la bureaucratie, les institutions législatives, la planification, etc. Deux précisions s’imposent ici, inspirées par les juristes les moins positivistes et les sociologues du droit, mais qui ne trouvent que peu d’écho dans la manière dont les tenants de la gouvernance – nous y compris à propos d’aménagement urbain – ont traité du droit. La première c’est qu’il est abusif d’associer les règles de droit à du pur commandement, à une logique de prescription obligatoire. La propriété première des normes juridiques n’est pas de produire de la conformation mais plutôt de l’orientation des conduites. À ce titre, les règles de droit participent, au même titre que d’autres types de normes – mœurs, morale, usages – et d’autres institutions, à réguler les sociétés et à générer de la coordination. Il est sans doute indéniable que l’affirmation de l’État fordiste, bureaucratique et planificateur des Trente Glorieuses a renforcé le poids des hiérarchies et des procédures formalisées contraignantes, et donc valorisé le versant impératif du droit. Mais cela ne doit pas conduire à confondre fonctionnement bureaucratique et recours à la règle de droit. Cela doit davantage inciter à formuler l’hypothèse selon laquelle la déprise de cette forme d’expression de l’État a pu rendre au droit sa place « normale », autrement dit, un ensemble de dispositifs qui, aux côtés d’autres mécanismes, orientent plus qu’ils ne déterminent les actions, mais qui restent essentiel à l’action et à la coordination. La deuxième précision revient à faire le constat que la diversification des modes de régulation mises en œuvre dans l’action publique s’est traduite par une certaine prolifération de la production de normes juridiques. En particulier, la banalisation du recours aux modes de coordination associés au marché (appels d’offre, concours, marchés internes, incitations financières, etc.) s’accompagne nécessairement de la production de règles et de la mise en place de dispositifs de contrôle de leur respect par les parties prenantes. La question du rapport entre gouvernance et droit a été traitée par les juristes (Caillosse, 2013) ou des sociologues du droit (Duran, 2009). Ils mettent notamment l’accent sur le déplacement des espaces de production et de mise en œuvre des règles juridiques – « de la réglementation à la régulation, de la décision unilatérale au contrat, de la division public/privé au partenariat et de la repré­- sentation à la participation » (Caillosse, 2013, p. 52) – et, du coup, de la nature même de ces règles, mais insistent aussi sur le maintien de leur importance. Mais pour l’heure, ces travaux sont insuffisamment pris en compte par les politistes qui situent leurs travaux dans le chantier de la gouvernance.

61 La troisième friche de la gouvernance renvoie au questionnement à la fois théorique et pratique, analytique et normatif, sur les espaces de la légitimité politique. Les travaux sur la gouvernance ont eu le mérite, avec d’autres, de documenter la manière dont la nature nouvelle des problèmes publics (notamment leur trans-juridictionnalité et leur trans-sectorialité) et les nouveaux modes d’action mis en œuvre pour les prendre en charge tendaient à mettre à mal le recouvrement des espaces d’action et des espaces d’autorité et de légitimité politiques que nos sociétés avaient hérité d’une période où elles étaient moins mobiles et moins complexes. Ils ont eu le mérite de montrer, à rebours d’une sociologie critique peu sensible aux enjeux de production et de coordination, que ce désemboîtement des échelles des policies et des politics ne procédait pas tant d’une ruse du politique et de la bureaucratie pour échapper au contrôle du public que de contraintes liées à la nature des problèmes. D’un point de vue normatif, les auteurs travaillant dans une perspective de gouvernance se retrouvent dans le refus d’une vision nostalgique qui prônerait le retour à la situation antérieure par le réarrimage des processus d’action publique dans les échelles supposées les plus propices à l’exercice de la scrutiny citoyenne (la commune et l’État notamment par opposition aux métropoles, à la région et à l’Europe) (Offner, 2006 ; Estèbe, 2007). Pour autant, tous occupés à travailler essentiellement sur l’action publique, ces auteurs se sont encore trop peu attaqués aux questions à la fois théoriques et pratiques, analytiques et normatives, que posent ces mécanismes de complexification et de désemboîtement des échelles du point de vue du lien politique. Sur le plan théorique et analytique, on sait finalement encore peu de choses des effets des modes d’organisation de l’action publique et de coordination associés à la gouvernance sur le lien représentatif et sur les identités politiques. On ne sait pas non plus quel type de régime politique les arrangements associés à la gouvernance finissent de facto par instituer. La gouvernance a-t-elle introduit en France et en Europe une forme de fédéralisme coopératif à l’allemande qui ne dirait pas son nom, caractérisé à la fois par les chevauchements de compétences, un système d’action fusionné et des négociations inter-scalaires et inter-sectorielles. Si ce régime prévaut effectivement dans la fabrique de l’action publique, mais n’est pas assumé sur le plan politique et institutionnel, est-il propice à une sorte d’ « évasion institutionnelle » (Padioleau, 1991) des processus politiques peu compatible avec l’exercice d’un contrôle démocratique ? À ne pas traiter ces questions, la gouvernance s’expose au procès en réductionnisme managériale qui lui est souvent fait. On le voit, ces questions d’ordre analytique sont assez peu discernables de questions plus pratiques, normatives et prospectives qui ont toutes trait aux contours de la communauté politique de référence et aux mécanismes par lesquelles s’actualise la responsabilité politique. Sur la base de constats objectifs sur la fabrique contemporaine de l’action publique, quelle architecture institutionnelle et quels mécanismes politiques faut-il promouvoir ou inventer ?

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À quel espace doit être rapporté la détermination de l’intérêt collectif, autrement dit à quelle autorité politique faut-il confier la responsabilité de dire ce qui est digne de valeur ? Quel est le lieu à partir duquel pourra s’opérer une hiérarchisation des préférences ? (Duran, 2014, pp. 92-93).

63 se demande Duran (2014). Quelle est la communauté de destin politique qui serait la mieux ajustée à la fois aux identités et aspirations des individus et à la réalité de l’action collective et aux formes de coordination contemporaines ? Et si ces deux dimensions renvoient irrémédiablement à des échelles différentes, existe-t-il des mécanismes permettant de les reconnecter et de créer des situations rendant possibles à la fois la responsabilité des élus et le contrôle par les citoyens ? Dispositions à coopérer, rôle du droit, effritement des allégeances politiques par une action publique de plus en transjuridictionnelle, autant d’enjeux qui renvoient tous d’une manière ou d’une autre à la question de la coordination. Autant d’enjeux qui soulignent le caractère profondément politique de la coordination.

Notes

  • [1]
    Je tiens à vivement remercier Patrice Duran, Andy Smith et Yann Fournis pour la lecture critique des premières versions de ce texte qu’ils ont bien voulu faire et qui ont contribué de manière décisive à son amélioration. Mes remerciements s’adressent aussi aux trois évaluateurs de la revue.
Français

Cet article défend l’idée d’une forte filiation entre les travaux de sociologie de l’action organisée et les travaux sur la gouvernance. Ces deux approches qui ont largement marqué l’analyse des politiques publiques, notamment en France, ont en commun d’avoir fait des formes de l’action collective, et tout particulièrement des formes de la coordination, non seulement un enjeu d’analyse sociologique mais aussi une dimension du politique. Toutefois, ces deux approches divergent sur un aspect essentiel. En effet, les travaux sur la gouvernance diffèrent des travaux de sociologie de l’action organisée en ce qu’ils esquissent, même si c’est souvent de manière hésitante et incomplète, une théorie historique de l’État et une théorie des transformations des formes de la coordination, construction théorique à laquelle s’est toujours refusée la tradition française de sociologie des organisations. Cet article est donc aussi l’occasion d’avancer des propositions sur cette théorie implicite de l’État et de ses transformations que les chercheurs œuvrant au chantier de la gouvernance rechignent parfois à assumer. Cette théorie, que nous qualifions de « néo- pluraliste » et « pragmatique », donne à voir un État débordé et dé-différencié, mais qui n’en est pas faible pour autant.

Mots-clés

  • Action publique
  • Coordination
  • État
  • Gouvernance
  • Sociologie de l’action organisée
  • Sociologie des organisations

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Gilles Pinson
est professeur de science politique à Sciences Po Bordeaux et chercheur au Centre Émile Durkheim (umr 5116). Ses travaux portent sur la et les politique(s) urbaine(s), la gouvernance urbaine et métropolitaine et les transformations des rapports entre États et villes. 

Sciences Po Bordeaux, Centre Emile Durkheim
g.pinson@sciencespobordeaux.fr
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Mis en ligne sur Cairn.info le 05/11/2015
https://doi.org/10.3917/anso.152.0483
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