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1L’économie du bien-être ou welfarisme s’est construite dans le prolongement de l’utilitarisme classique. Mais alors que selon ce dernier (Bentham, 1823 [1789]) l’optimum du bien-être social se calcule au travers de la maximisation des plaisirs et de la minimisation des peines, le welfarisme, selon la définition qu’en donne Amartya Sen (1991, p. 16), cherche à faire en sorte que « l’évaluation de l’état social soit exclusivement fondée sur les utilités engendrées par cet état. » En somme, le concept de bien-être intègre ici des activités qui peuvent ne nous procurer aucun plaisir, aucune peine. L’essentiel est de prendre en compte nos préférences, même lorsqu’elles portent sur l’état social (comme lorsque l’on souhaite par exemple une société plus égalitaire) et non plus seulement sur notre état individuel. Le bien-être social ou collectif ne maximise plus la somme des utilités ou intérêts individuels mais satisfait au mieux les préférences du plus grand nombre. Comment, cependant, agréger les préférences individuelles pour parvenir à un bien-être collectif ? Comment, pour ce faire, comparer ces préférences les unes avec les autres ? Que faire des préférences dispendieuses ? Comment hiérarchiser les préférences sans les juger de manière paternaliste ? Ces questions demeurent irrésolues au sein du welfarisme et continuent d’être débattues. Par ailleurs, l’objection bien connue de Rawls (1987 [1971], § 1) à l’égard de l’utilitarisme semble valoir tout autant pour son extension welfariste :

2

Chaque personne possède une inviolabilité fondée sur la justice qui, même au nom du bien-être de l’ensemble de la société, ne peut être transgressée. Pour cette raison, la justice […] n’admet pas que les sacrifices imposés à un petit nombre puissent être compensés par l’augmentation des avantages dont jouit le plus grand nombre. […] les droits garantis par la justice ne sont pas sujets à un marchandage politique ni aux calculs des intérêts sociaux.

3Ce pourquoi pour Rawls, comme pour ceux qui d’une certaine manière le suivent (Ronald Dworkin, 1981 ; Thomas Pogge, 2008 [2002]), si maximisation du bien-être il doit y avoir, elle doit s’entendre comme la maximisation des ressources (d’où le nom de « ressourcisme » donné à ce courant de pensée) des plus démunis. La réponse de Sen (2010 [2009]) est différente. Selon lui, le bien-être correspond à la mise en œuvre de « capabilités » ou « pouvoir d’être ou de faire », ce qui implique de prendre en compte la liberté réelle qu’ont les individus de mener à bien le projet de vie qu’ils ont choisi en fonction de leurs préférences. Au niveau d’une société dans son ensemble, il s’en est suivi une critique de la mesure du niveau de bien-être par le seul PIB. D’autres dimensions devaient être considérées. L’Indice de Développement Humain (IDH), calculé par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) sous l’impulsion de Sen (entre autres), prendra ainsi aussi en compte la santé (espérance de vie) et le niveau d’éducation. Ces trois facteurs (PIB, santé, éducation) pondérés pour aboutir à un indice unique restent cependant insuffisants et d’ailleurs les rapports du PNUD sont en réalité beaucoup plus complets dans leurs analyses. Le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi (2009) ira encore plus loin dans ses préconisations en recommandant notamment de ne pas négliger la mesure du bien-être subjectif. Au niveau individuel, les mesures étaient en effet souvent basées sur le bien-être « objectif » au travers d’un certain nombre d’indicateurs tenant finalement à des ressources comme l’emploi, la participation à la vie politique ou le revenu. Or cette limitation apparaît contestable, notamment du point de vue des capabilités, puisqu’il semble là tout aussi indispensable de se centrer sur l’évaluation que les individus font eux-mêmes de leur propre bien-être. La mesure ne repose plus cette fois sur une liste d’items choisis a priori comme nécessaires au bien-être mais est donnée a posteriori en analysant les réponses à des questions d’appréciation subjective du bien-être soumises à des échantillons représentatifs. On aboutit au final à une conception nettement pluridimensionnelle du bien-être (individuel, collectif, subjectif, objectif).

4Répond-on pour autant à l’objection de Rawls ? Rien n’est moins sûr. Ce n’est cependant pas sous un angle théorique que nous chercherons ici à prendre position dans ce débat. En restant sur le versant subjectif, qui doit effectivement entrer en ligne de compte, nous nous contenterons de nous interroger empiriquement sur la relation qui peut exister entre le bien-être subjectif et les sentiments de justice sociale. Les observations que nous pourrons faire n’apporteront donc pas toutes les réponses à la question de savoir comment penser l’articulation entre bien-être et justice. Elles éclaireront cependant le point de vue des acteurs qui en constitue une dimension qui ne peut être oubliée.

Deux approches de la satisfaction

5Parmi les nombreuses recherches sur le bien-être subjectif, on peut distinguer deux grandes approches. D’un côté, on trouve des études centrées autour des affects et des émotions. Il s’agit alors de mesurer presque « objectivement » les moments positifs et les moments négatifs vécus au cours d’une journée, en comptant par exemple le nombre de sourires esquissés, le temps passé à des activités agréables ou désagréables, en repérant les états dépressifs ou en évaluant la qualité du sommeil. Dans cette veine, Daniel Kahneman et Alan Krueger (2006) ont proposé un indice axé autour du malheur, en mesurant la proportion de temps qu’un individu passe dans un état déplaisant. D’un autre côté, on a plutôt affaire à des études qui se centrent sur l’évaluation par l’individu de son degré de satisfaction à l’égard de l’ensemble de sa vie. On demande à l’individu un jugement sur la qualité de la vie qu’il mène.

6Bien que ces deux approches ne soient pas sans lien, chacune a ses spécificités. La première se targue d’être une mesure objective, mais en pratique elle se montre particulièrement sensible au problème de l’adaptation aux circonstances : chacun ajuste ses attentes à ce qui lui semble effectivement réalisable ; aussi, quelle que soit la hauteur de ses attentes, chacun connaîtra son lot de joies et de peines. Le mieux loti ne sourira pas aux mêmes choses que le moins bien loti ; il ne pleurera pas non plus aux mêmes malheurs. Pourtant – en poussant l’argument de l’adaptation jusqu’au bout – le bilan émotionnel pourrait être le même. En outre, une telle approche se concentre exclusivement sur le moment présent et laisse dans l’ombre le temps long du projet de vie. La seconde approche est clairement affichée comme une mesure subjective et, pourtant, le problème de l’adaptation semble y être moins prononcé (Deaton, 2008). Chacun juge pour soi, certes, mais ce jugement suppose de se comparer et de s’appuyer sur des raisons d’être ou non satisfait de sa vie. Ce type de mesure n’est donc pas uniquement subjectif. Malgré tout, juger de son bien-être n’est pas une chose facile et, à la limite, il faudrait pouvoir tenir compte de tous les aspects de la vie. Il n’est donc pas surprenant, comme l’ont noté de nombreux auteurs (Deaton, 2011 ; Schwarz et Strack, 1999), que la manière d’amener la question exerce une influence sur la réponse. Il y a un effet de cadrage : l’enquêté juge de la qualité de sa vie en tenant compte des aspects de la vie que l’enquêteur aura évoqués auparavant dans son questionnement.

7Nous suivrons néanmoins ici cette seconde approche. Mais, pour mettre en relation empiriquement le bien-être subjectif ainsi mesuré avec des sentiments de justice sociale, on se trouve confronté à une difficulté qui tient à ce que bien peu d’enquêtes statistiquement représentatives posent simultanément les deux questions. L’enquête sur la « Perception des Inégalités et les Sentiments de Justice » (PISJ) fait de ce point de vue exception et constituera notre source principale d’analyse (Forsé et al., 2013). Réalisée fin 2009 par l’institut GfK-ISL, elle a été adressée à un échantillon représentatif de 1711 personnes résidant en France et âgées de 18 ans ou plus. La question sur le bien-être y était formulée de manière très standard en reproduisant un énoncé que l’on retrouve dans beaucoup d’autres enquêtes, notamment internationales : « Tout bien considéré, à quel point êtes-vous satisfait ou pas satisfait de la vie que vous menez en ce moment ? Notez votre réponse sur une échelle allant de 1 à 10, de 1 pour ‘pas du tout satisfait’ à 10 pour ‘tout à fait satisfait’. ».

Le bien-être subjectif en France et en Europe

8Comme la moyenne des réponses obtenues est égale à 6,4, on peut soutenir que les Français sont dans l’ensemble assez satisfaits de la vie qu’ils mènent. Toutefois, ce résultat est-il particulier à la France ?

9La même question est posée dans l’Enquête Européenne sur les Valeurs (European Values Study, EVS) en 2008 (ou 2009 dans certains pays). Le niveau de la satisfaction en France (7,1 en 2008) est un peu plus élevé que celui trouvé dans l’enquête PISJ en 2009. Il faut cependant noter que la question est posée plutôt au début du questionnaire dans EVS alors qu’elle l’est à la fin dans PISJ – suggérant une sorte de bilan après avoir évoqué beaucoup d’inégalités. De plus, les effets de la crise des subprimes se font sûrement ressentir davantage en 2009 qu’en 2008 et il est bien possible que cela conduise à davantage d’insatisfaction. Quoi qu’il en soit, le score de bien-être des Français dans EVS est égal à la moyenne que l’on peut calculer (7,1) pour l’ensemble des 36 pays où l’enquête a eu lieu en Europe. Pour ce qui est du bien-être, le Français serait donc un Européen moyen.

10La hiérarchie des scores moyens de satisfaction dans ces pays permet de les répartir approximativement en trois grands groupes. En Europe du Nord, le bien-être ressenti dépasse assez franchement la moyenne. En Europe du Sud (avec la France), on se situe plutôt aux alentours de cette moyenne tandis que dans les pays de l’Europe de l’Est (mais aussi en Allemagne), les enquêtés se disent moins satisfaits de la vie qu’ils mènent. Ces groupes ne sont bien sûr pas parfaitement homogènes. Certains pays font exception et ont un indice de bien-être qui les rapproche d’un ensemble qui n’est pas géographiquement le leur. Mais ces exceptions sont plutôt rares et la tendance générale est bien celle décrite. Le maximum de satisfaction s’observe d’ailleurs au Danemark et le minimum en Bulgarie.

11Une autre enquête effectuée en 2012, le Gallup World Poll, montre que les pays du Nord restent ceux où la satisfaction est la plus élevée. En France, l’indice de satisfaction est égal à la moyenne des pays de l’OCDE. L’Allemagne se hisse au niveau de la France et de la Grande Bretagne pour être proche de cette moyenne. Les Pays de l’Est sont toujours ceux où l’on observe le plus d’insatisfaction, mais ils sont à présent rejoints par les pays d’Europe du Sud (Italie, Espagne, Grèce, Portugal). Cette baisse très nette du bien-être entre 2008 et 2012 y est certainement une conséquence de la crise économique qui frappe, comme on le sait, durement ces pays en provoquant d’importantes pertes de pouvoir d’achat et un chômage élevé.

Trois dimensions de la satisfaction

12En étudiant à présent plus en détail la satisfaction au sein de la société française, on constate qu’elle dépend bien évidemment d’un grand nombre de facteurs (Manzo, 2011). Observons, pour commencer, quelques éléments démographiques et géographiques. Il n’y a pas de différence entre les sexes. En moyenne, les hommes sont aussi satisfaits de leur vie que les femmes (6,4 pour les premiers et 6,3 pour les secondes, l’écart demeurant à l’intérieur des marges d’erreur). La satisfaction moyenne varie en revanche quelque peu selon la position dans le cycle de vie. Elle commence par baisser légèrement avec l’âge jusqu’au passage, environ, de la cinquantaine avant de remonter : la satisfaction moyenne des 18-24 ans s’élève ainsi à 6,4 ; elle descend à 5,7 pour les 48-53 ans, pour atteindre ensuite 6,8 pour les 60-65 ans et 6,6 au-delà. Cette courbe en U avait déjà été observée avec d’autres données (Blanchflower et Oswald, 2008). La satisfaction moyenne varie aussi légèrement en fonction de la taille de l’agglomération de résidence : les habitants des grandes villes (6,2) ou de la banlieue des grandes villes (6,2) apparaissent un peu moins satisfaits que les autres, en particulier que les ruraux (6,6).

13Pour comprendre ces variations, il faut regarder de plus près les déterminants de la satisfaction. Il y en a, pourrait-on dire, de toute sorte. Aussi, en première approche, nous les ramasserons sous trois dimensions. La première concerne les ressources de l’individu, à la fois sur le plan financier et sur celui de sa santé physique et mentale (mais l’aspect santé est hors champ dans notre enquête et ne sera donc plus évoqué dans la suite de cet article). La deuxième porte sur l’emploi et la qualité de la vie professionnelle, le sentiment de réussite et de reconnaissance lié à son travail et à ses projets professionnels. Enfin, la dernière dimension rassemble les divers aspects de la vie sentimentale et sociale : le couple, les enfants, les amis, la participation à des associations.

L’importance du niveau de vie

14Chacune de ces dimensions est en soi un champ de recherche. L’influence du revenu sur le bien-être a ainsi été largement explorée, à la fois au niveau individuel et au niveau sociétal, depuis le célèbre article de Richard Easterlin (1974) qui concluait à partir de données éparses que la croissance économique ne rendait pas les citoyens plus satisfaits. On parla alors de paradoxe d’Easterlin. Depuis lors, les données s’accumulant dans quasiment tous les pays, on ne peut plus douter du rôle majeur du revenu sur la satisfaction à l’égard de la vie menée. Non seulement, les sociétés les plus riches sont aussi les sociétés où les habitants sont en moyenne les plus satisfaits de la vie qu’ils mènent ; mais encore, au sein de chaque société, les habitants les plus riches sont plus satisfaits de leur vie que les plus pauvres. Le paradoxe d’Easterlin affirmait plus précisément que l’influence du revenu sur la satisfaction était beaucoup plus faible au niveau sociétal qu’au niveau individuel au sein d’une société. D’où l’on pouvait conclure que le bénéfice de la croissance économique était perdu, car la satisfaction à l’égard de sa vie était essentiellement relative à la situation de ses concitoyens. Mais cette thèse n’est pas confirmée par les derniers travaux sur ce sujet : il semble plutôt que l’influence du revenu sur la satisfaction soit proche entre le niveau individuel et le niveau sociétal (Hagerty et Veenhoven, 2003 ; Deaton, 2008 ; Stevenson et Wolfers, 2008).

15De quelque manière qu’on l’évalue, l’influence du revenu ou du niveau de vie sur la satisfaction ne fait pas l’ombre d’un doute. D’après l’enquête PISJ, les corrélations entre les divers indicateurs de revenu ou de niveau de vie et l’indice de satisfaction sont toujours très élevées ; il n’y a tout simplement pas de variable plus corrélée à la satisfaction que ces indicateurs. Ainsi, la corrélation (de Pearson) entre la satisfaction et le niveau de vie (le revenu par unité de consommation) est de 0,31. La corrélation monte même à 0,35 lorsque l’on retient plutôt le logarithme du niveau de vie. Toutes les études tendent d’ailleurs à montrer qu’il faut plutôt considérer l’échelle de revenu ou de niveau de vie sous la forme logarithmique lorsqu’on s’intéresse au lien à la satisfaction. La satisfaction que procure l’argent serait en effet plus relative qu’absolue : un riche ne retirerait pas la même satisfaction d’un don de 100 € qu’un pauvre ; en revanche, le riche et le pauvre seraient à peu près aussi satisfaits d’un don de 10 % de leurs revenus respectifs.

16Les indicateurs plus subjectifs d’estimation du niveau de vie sont également très liés à la satisfaction à l’égard de la vie menée. La corrélation de la satisfaction avec l’affirmation de connaître des fins de mois difficiles en matière budgétaire est très forte (0,40). De même, sont fortes les corrélations de la satisfaction avec le sentiment de faire partie des défavorisés sur le plan des inégalités de revenu (0,42), des inégalités de patrimoine (0,30) ou encore des inégalités de logement (0,31). La corrélation avec le niveau de vie (sur une échelle logarithmique) est de 0,35. Les enquêtés ont également été amenés à estimer dans quel quartile de revenu personnel ils se situaient. Comme ils ne se trompent pas beaucoup sur leur situation, la corrélation entre cette autoposition et la satisfaction est également élevée (0,30). Le tableau 1 permet de se faire une idée des écarts de niveau de satisfaction qu’engendrent les inégalités de revenu. Cet écart est d’environ 2 points entre les ménages pauvres et les ménages aisés – ce qui correspond à la valeur de l’écart-type de cette mesure de la satisfaction.

Tableau 1

Satisfaction moyenne à l’égard de la vie menée selon des indicateurs de niveau de vie

Tableau 1
Quartile des revenus par unité de consommation Satisfaction moyenne En ce qui concerne votre budget, vous arrive-t-il de connaître des fins de mois difficiles ? Répartition des réponses Satisfaction moyenne Q1 Les plus pauvres 5,3 Oui, souvent 34 % 5,3 Q2 6,1 Oui, quelquefois 31 % 6,5 Q3 6,6 Non, rarement 15 % 7,1 Q4 les plus riches 7,2 Non, jamais 20 % 7,5

Satisfaction moyenne à l’égard de la vie menée selon des indicateurs de niveau de vie

Source : PISJ 2009

17L’influence du revenu sur la satisfaction tient à de nombreux aspects et ne se limite bien évidemment pas uniquement à une question de pouvoir d’achat et de consommation. Derrière le revenu, il y a des questions de qualité de l’emploi, de reconnaissance, de confiance, qui exercent une influence propre sur la satisfaction. Néanmoins, l’aspect purement pécuniaire ne peut absolument pas être évacué. Il faut des ressources financières pour pouvoir mener sa vie comme on le souhaiterait et plus on a accès à ces ressources, plus on a de chances d’être satisfait. Le fait de connaître des fins de mois difficiles en matière budgétaire est d’ailleurs l’un des facteurs les plus déterminants de l’insatisfaction. Le manque de ressources monétaires nourrit une insatisfaction qui se rattache aussi au sentiment de frustration face à tous ces nouveaux produits que la société de consommation ne cesse d’exhiber devant chacun. Une question sur la frustration liée à une offre qui se renouvelle sans cesse a été posée dans l’enquête PISJ et l’on constate qu’il y a bien une corrélation entre l’insatisfaction à l’égard de sa vie et ce sentiment que la croissance de l’offre de nouveaux biens procure plutôt de la frustration (0,25).

18Ces résultats montrent que l’adaptation de ses préférences aux circonstances de la vie ne va pas jusqu’à effacer toute différence sur le plan de la satisfaction entre les personnes favorisées et les personnes défavorisées. L’argument de l’adaptation, que l’on associe généralement aux travaux de Sen, n’est pas pour autant invalidé, mais son extension se trouve limitée. Les individus conservent un sens critique à l’égard de la vie qu’ils mènent, vraisemblablement en se comparant aux autres, comme nous le verrons.

Les incidences de la vie professionnelle et des comparaisons aux autres

19Venons-en à la deuxième dimension du bien-être subjectif distinguée ci-dessus : la satisfaction à l’égard de la vie menée se juge relativement à un projet de vie, une aspiration située et fonction de la dotation initiale de l’individu. Il s’agit en premier lieu du projet professionnel considéré au-delà de la question salariale (mais le salaire doit aussi être considéré comme une forme de reconnaissance, sans être la seule forme possible). De ce point de vue, l’insatisfaction augmente tout au long de la carrière, ce qui peut s’expliquer par l’usure, la lassitude, la frustration suite à des échecs successifs ou encore une réussite simplement « quelconque » en regard d’aspirations initiales. D’après l’enquête PISJ, en moyenne, les individus se comparent un peu plus à des personnes qui ont mieux réussi qu’eux : si 60 % des enquêtés déclarent s’en sortir aussi bien que leurs amis, 26 % disent s’en sortir moins bien et 13 % disent s’en sortir mieux. De même, si 69 % des enquêtés déclarent s’en sortir aussi bien que leurs collègues ou ceux qui font le même métier qu’eux, 21 % disent faire moins bien et 10 % disent faire mieux. Or, comme on peut le voir au tableau 2, cette tendance à se comparer à des personnes qui ont mieux réussi que soi se renforce plutôt tout au long de la carrière, peut-être tout simplement parce que les écarts de réussite sont de plus en plus importants et visibles avec l’avancée en âge.

Tableau 2

Tris des réponses à la question « du point de vue de vos revenus personnels, considérez-vous que vous vous en sortez mieux que… 1) vos amis… 5) les gens qui ont le même âge que vous » selon l’âge de l’enquêté

Tableau 2
18-30 ans 31-40 ans 40-50 ans 51-60 ans >60 ans Ensemble Vos amis Mieux 16 % 14 % 13 % 13 % 12 % 13 % Aussi bien 59 % 59 % 57 % 56 % 67 % 60 % Moins bien 25 % 27 % 31 % 31 % 22 % 27 % Total 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % Les gens qui ont le même âge que vous Mieux 24 % 18 % 16 % 14 % 20 % 19 % Aussi bien 53 % 55 % 52 % 56 % 65 % 57 % Moins bien 23 % 27 % 31 % 31 % 15 % 24 % Total 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %

Tris des réponses à la question « du point de vue de vos revenus personnels, considérez-vous que vous vous en sortez mieux que… 1) vos amis… 5) les gens qui ont le même âge que vous » selon l’âge de l’enquêté

Source : PISJ 2009

20La satisfaction dépend assez fortement de ces comparaisons aux autres. Le sentiment de s’en sortir mieux, du point de vue de ses revenus personnels, que ses amis est visiblement gratifiant (la satisfaction moyenne est de 7,1), un peu plus que de s’en sortir aussi bien (6,7), mais surtout bien plus que de s’en sortir moins bien (5,1). Bien entendu, une partie de cette gratification est liée au fait de disposer d’un bon revenu, néanmoins même en contrôlant par le fait de connaître des fins de mois difficiles, la corrélation entre satisfaction et position relative par rapport aux amis reste assez forte (0,22 tandis que la corrélation simple de Pearson est de 0,32). Si l’on se demande à présent quels sont les groupes de référence les plus importants pour évaluer sa propre satisfaction à l’égard de la vie, on constate que ce sont d’abord les amis qui sont les principaux référents, suivis des individus de sa génération (corrélation de Pearson de 0,31), des collègues et personnes qui font le même métier (0,26), des voisins (0,26) et, enfin, des parents (0,23).

21Par voie de conséquence, la satisfaction à l’égard de la vie se trouve aussi être liée à la position sociale. Les cadres supérieurs (6,9) et les professions intermédiaires (6,8) sont plus satisfaits que les ouvriers et les employés (5,9). L’opinion sur la position occupée dans la hiérarchie sociale est, sur ce point, encore plus discriminant. Dans l’enquête PISJ, on demandait à chacun de se positionner sur une échelle de statuts sociaux, allant de 1 pour le bas à 10 pour le sommet de la hiérarchie. Or cet auto-positionnement est très corrélé à la satisfaction (le coefficient de Pearson est 0,36). La corrélation est également très forte avec le sentiment d’appartenance de classe. Les personnes déclarant faire partie « des défavorisés ou des exclus » sont évidemment les plus insatisfaites (3,8) ; elles sont suivies par celles qui se situent dans « la classe populaire ou ouvrière » (5,6), puis par celles qui s’identifient à « la classe moyenne inférieure » (6,3), puis « la classe moyenne supérieure » (7,5) et, enfin, « la classe supérieure, les gens aisés » (7,6).

22On ne peut démêler aisément la part de l’effet du revenu strictement liée à la consommation et au pouvoir d’achat de la part liée aux statuts et à la reconnaissance. Mais il ne fait guère de doute que les deux ont de forts effets sur la satisfaction. Si l’on considère la question sur les fins de mois difficiles en matière budgétaire comme un bon indicateur de la dimension « ressource » et la question sur l’appartenance de classe comme un bon indicateur de la dimension « statutaire », alors il semble que ces deux dimensions soient tout aussi importantes pour le bien-être subjectif : la corrélation de Pearson avec la satisfaction est pour chacune de 0,40. Si ensuite on calcule les corrélations partielles entre la satisfaction et chacune de ses variables en contrôlant par l’autre variable, on obtient des résultats assez symétriques : la corrélation partielle entre la satisfaction et les fins de mois difficiles en matière budgétaire, contrôlée par le sentiment d’appartenance de classe, s’établit à 0,29 ; la corrélation partielle entre la satisfaction et le sentiment d’appartenance de classe, contrôlée par les fins de mois difficiles en matière budgétaire, s’établit à 0,28. Il semble donc que chacun de ces facteurs pèse d’un même poids sur la satisfaction à l’égard de la vie que l’on mène.

23Le sentiment de justice à l’égard de la hauteur de sa propre rémunération est également un motif de satisfaction. Les personnes qui affirment que leur rémunération correspond à ce qui est juste sont plus satisfaites que les autres. Leur satisfaction moyenne est de 6,9 tandis que ceux qui se disent un peu moins bien payés que ce qui est juste ont une satisfaction de 6,5 et que ceux qui disent être bien moins payés ont une satisfaction de 5,3. Plus surprenant, mais confirmant d’autres études (Pritchard, Dunnette et Jorgenson, 1972), les personnes qui déclarent être trop bien payées par rapport à ce qui serait juste ne sont pas spécialement contentes : leur satisfaction s’établit à 6,3. Une des explications possibles pourrait être que ces personnes se sentent en porte-à-faux vis-à-vis de leurs collègues.

24Au-delà du salaire, les conditions de travail jouent un rôle manifeste. Ainsi, à la question « dans vos relations de travail, avez-vous le sentiment d’être bien traité par vos supérieurs hiérarchiques directs ? », ceux qui se disent mal traités sont évidemment plus insatisfaits que les autres (la corrélation de Pearson est de 0,26 [1]). De même, les personnes qui se disent défavorisées sur le plan des inégalités en matière de pénibilité du travail sont plus insatisfaites que les autres (la corrélation de Pearson est de 0,21).

25Comme on peut s’en douter, le fait d’être au chômage est un motif très important d’insatisfaction (la corrélation de Pearson est de 0,34). La satisfaction moyenne d’un chômeur est de 5,3 tandis que celle d’une personne en emploi est de 6,4. Dans la même veine, la satisfaction des personnes qui n’ont pas choisi de travailler à temps partiel est très inférieure (5,5) à celles qui l’ont choisi (7,1). La sécurité de l’emploi est plutôt une source de satisfaction, comme le suggère l’écart moyen de satisfaction entre les fonctionnaires titulaires (6,8), les fonctionnaires stagiaires, auxiliaires ou en vacation (6,3), les salariés du privé en CDI (6,3) et les salariés du privé en CDD (6,1).

Les rôles de la mobilité sociale et de la frustration relative

26Au-delà de la place au sein de la hiérarchie sociale, c’est aussi le sentiment d’y progresser qui est une source de bien-être subjectif. Dans l’enquête il était demandé aux interviewés d’estimer leur position sociale actuelle sur une échelle allant de 1 à 10, mais aussi leur position dix ans auparavant. La différence entre ces deux positionnements donne donc un indicateur fruste du sentiment d’ascension sociale. Or celui-ci est corrélé assez fortement à la satisfaction (la corrélation de Pearson est de 0,25).

27On peut également se donner un indicateur un peu plus sophistiqué de mobilité sociale en rapportant, pour chaque individu, la mobilité absolue qui vient d’être calculée à la mobilité moyenne. Il s’agit cette fois de mobilité relative et elle peut être évaluée en régressant la position socio-économique auto-déclarée aujourd’hui par celle d’il y a dix ans. On obtient ainsi une droite de régression des moindres carrés qui fournit une estimation de la pente moyenne de mobilité. Les individus dont la mobilité les amène à se situer au-dessus de cette droite peuvent être considérés comme connaissant une mobilité sociale relative ascendante, tandis que ceux dont la mobilité les conduit à se situer au-dessous ne bénéficient pas d’une mobilité relative aussi ascendante. Techniquement, cela revient, comme le propose Bernd Wegener (1991), à tenir les résidus des régressions pour des indicateurs de mobilité relative.

28On constate alors que la corrélation (0,37) entre cette mobilité et le bien-être subjectif est bien plus forte que celle résultant de la mobilité absolue. Bien sûr, ceux dont la mobilité relative est faible ont davantage tendance à être insatisfaits, tandis que ceux dont la mobilité est élevée s’avèrent bien plus satisfaits. Puisqu’ici la mobilité de l’individu est comparée à une mobilité d’ensemble, cela suggère que la frustration relative joue un rôle important dans l’évaluation subjective du bien-être.

29C’est là une des thèses les plus classiques de la sociologie qui trouve une nouvelle confirmation. Alexis de Tocqueville (1986 [1840], II, XIII, p. 522) déjà avait clairement identifié le mécanisme de base :

30

Quand l’inégalité est la loi commune d’une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l’œil ; quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent. C’est pour cela que le désir de l’égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l’égalité est plus grande.

31Une enquête réalisée par Samuel Stouffer et ses collègues (1949) montrera, au moins pour partie, la validité empirique de ce raisonnement. Dans leur étude comparée de deux corps de l’armée américaine au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ils se trouvent en effet confrontés à un résultat surprenant. Toutes les données à leur disposition leur indiquent que les chances de promotion des membres de l’armée de l’air sont nettement supérieures à celles des policiers militaires ; et pourtant, au cours de leurs entretiens, certains parmi les premiers se disent très insatisfaits de leurs opportunités de carrière, tandis que les seconds s’en montrent au contraire satisfaits. Stouffer explique ce paradoxe en introduisant la notion de groupe de référence. Les aviateurs se comparent aux promus qui sont très nombreux dans leur arme et dessinent en quelque sorte la norme en termes de carrière. Dans cette comparaison, les non-promus éprouvent tout naturellement un sentiment de frustration qui les conduit à exprimer une insatisfaction. Les policiers se comparent eux aussi à la situation la plus fréquente, mais cette fois elle vise le groupe des non-promus, si bien que ceux qui n’obtiennent pas d’avancement n’en éprouvent aucune frustration et ne se disent pas mécontents.

32On peut évidemment critiquer « l’évidence » psychologique de l’explication de Stouffer : pourquoi le groupe de référence serait-il nécessairement le plus nombreux ? Raymond Boudon (1977) pense qu’il faut plutôt se baser sur les possibilités objectives de promotion telles qu’elles résultent des structures de la compétition entre individus. Lorsque ces structures laissent entrevoir un espoir de promotion possible, selon la théorie de l’utilité espérée, elles conduisent les individus à s’investir pour faire carrière et à entrer effectivement en compétition. Pourtant, il y a nécessairement des perdants, dont le taux varie avec certaines propriétés de ces structures. Dans ce cas, c’est alors un investissement réalisé en vain qui explique la frustration. L’individu n’a pas pu atteindre son objectif du fait de la structure de compétition dans laquelle il se trouvait placé et sa satisfaction s’en trouve dégradée.

33De son côté, W. Garry Runciman (1966) ne manque pas de faire le lien avec les sentiments de justice puisque, même si certaines conditions structurelles doivent être observées, il est assez facile de comprendre que la frustration relative conduise à considérer la situation comme injuste. Mais en établissant ce lien, il cherche aussi à montrer que cette frustration ne doit pas s’entendre en un sens seulement « égoïste », par comparaison de sa propre situation avec celle d’un groupe. Elle est également « fraternelle », dans la mesure où c’est aussi la situation de ce groupe dans l’ensemble de la société qui peut avoir un effet sur le sentiment de frustration.

34Pour évaluer l’impact de la frustration relative sur le bien-être subjectif, nous reprendrons à notre compte cette distinction, en changeant seulement de vocabulaire pour parler dans le premier cas de frustration relative égocentrée et, dans le second, de frustration relative « solidaire ».

35Une mesure de la frustration relative égocentrée peut être obtenue en rapportant le salaire de l’individu à celui qu’il déclare être celui de ceux qui exercent la même profession que lui, puis en considérant le logarithme de ce rapport. La corrélation avec le bien-être subjectif est alors de 0,19. Ce score n’est pas négligeable mais tout de même nettement en-dessous de ceux liant le bien-être à la mobilité absolue ou relative. Parvient-on dès lors à une meilleure corrélation si l’on se tourne vers une frustration relative solidaire ? On peut ici calculer le logarithme du rapport entre le salaire que l’enquêté juge être celui de sa profession et celui qu’il estimerait souhaitable pour cette même profession. Dans ce cas, ce n’est pas directement le sort personnel de l’enquêté qui en cause mais celui des personnes qui exercent le même métier que lui. La corrélation entre cet indicateur et la satisfaction devient alors faible : 0,07.

36La frustration relative, qu’elle soit égocentrée ou solidaire, a donc sur la satisfaction une incidence moins forte que la mobilité sociale perçue au cours des dix dernières années. Néanmoins, il est clair que cette frustration n’est pas non plus sans effet. Nous avons vu que les comparaisons avec les amis, collègues, etc. étaient importantes, et il apparaît ici qu’une mobilité comparée à une référence, en l’occurrence celle de la moyenne, intervient bien davantage que cette même mobilité considérée en elle-même. Il ne fait donc pas de doute que la satisfaction est (aussi) affaire de comparaison. Ce qu’un individu perçoit de la plus ou moins forte progression de sa carrière en regard des références qu’il se donne affecte notablement son sentiment de bien-être.

37Il est intéressant de remarquer que la frustration relative est ici beaucoup plus égocentrée que solidaire, alors que s’agissant du sentiment de justice ou d’injustice à l’égard de sa propre rémunération (i.e. sentiment de microjustice), cette frustration solidaire joue un rôle un peu plus important. Avec les mêmes indicateurs que ceux qui viennent d’être utilisés, sa corrélation avec le sentiment de microjustice vaut 0,16. Elle est devancée par la corrélation avec la frustration égocentrée (0,21) et par celle avec la mobilité absolue (0,18) ou, davantage encore, avec la mobilité relative (0,28). Il n’en demeure pas moins que son impact sur le sentiment de justice pour soi-même est plus fort que sur le sentiment de bien-être personnel. Ce n’est d’ailleurs pas illogique. S’agissant de justice, la manière dont le groupe de référence (ou d’appartenance) est traité (ici économiquement) par la société peut, comme le prévoit Runciman, avoir un effet sur la manière dont on juge de l’équité de sa propre rémunération. Si j’exerce une profession que j’estime dans l’ensemble mal rémunérée, il est normal que je m’estime moi-même injustement rémunéré. Pour ne prendre qu’un seul exemple, c’est sûrement en France un sentiment répandu parmi les infirmières. En revanche, il n’y a que peu de raisons que cela atteigne le sentiment de satisfaction vis-à-vis de la vie que l’on mène, qui se trouve être affecté, comme nous l’avons vu, par bien d’autres facteurs.

38En fin de compte, tous ces éléments soulignent également l’importance du travail à la fois comme source de revenu et comme affirmation d’un statut pour pouvoir se dire satisfait de la vie que l’on mène.

L’influence des relations sociales

39Mais, au-delà du travail, la satisfaction dépend encore de la vie sentimentale, familiale et amicale – la troisième dimension que nous distinguions plus haut. L’un des éléments les plus clairs de cet aspect est lié à la formation du couple : les personnes seules ont une satisfaction moyenne de 5,9 contre 6,6 pour les personnes vivant en couple (la corrélation de Pearson est de 0,17). En revanche, la présence d’enfants au sein du ménage n’a pas d’effets clairs sur la satisfaction, sauf dans le cas des familles monoparentales, où cette satisfaction chute à 5,4. D’autres éléments jouent également comme le nombre de discussions au cours de la journée (corrélation de Pearson de 0,10) ou la confiance envers les autres (corrélation de Pearson de 0,14). Une vie riche en relations sociales est donc un élément important.

40Il reste que les deux premiers facteurs étudiés, liés aux revenus et à la place dans la hiérarchie sociale, pèsent plus sur la satisfaction que ce troisième aspect, du moins en les considérant chacun isolément. Au fond, en France, chacun connaît assez bien son statut, son rang, et y est sensible. La satisfaction dépend du revenu (en tant que pouvoir d’achat et d’agir, ou encore source de frustration face à l’offre de produits et de services), mais aussi de ce statut qui déborde la simple question salariale (par exemple, pour se lier à des questions d’appartenance de classe, de hiérarchie au travail, de sentiment d’ascension sociale, de pénibilité du travail, de précarité de l’emploi, etc.) en positionnant chacun d’un côté ou de l’autre des inégalités et en nourrissant le sentiment d’être défavorisé sous divers aspects. Or tous ces éléments contribuent aussi à forger le jugement de chacun sur la justice sociale du pays.

41Il est donc logique de penser qu’il existe un lien entre le bien-être subjectif et les sentiments à l’égard de la justice de la société. Nous avons déjà vu qu’il existait une forte relation entre ce que l’on appelle la microjustice, se sentir soi-même justement ou injustement traité (dans l’enquête, sous l’angle de son niveau de salaire), et le bien-être subjectif. Mais, c’est à présent du sentiment de macrojustice, c’est-à-dire du jugement sur la justice de la société dans son ensemble qu’il s’agit. Toutefois, avant d’examiner en détail en quoi il peut être lié à la satisfaction à l’égard de la vie que l’on mène, voyons comment il s’exprime dans l’enquête PISJ.

Le sentiment de justice sociale

42À la fin du questionnaire, l’enquêté devait dire s’il trouvait la société française plutôt juste ou injuste. Or, ici comme dans bien d’autres enquêtes, une assez forte majorité (60 %) la déclare plutôt injuste. Les femmes jugent la situation plus négativement que les hommes et les personnes d’âges intermédiaires (surtout entre 50 et 60 ans) sont plus sévères que les plus jeunes ou les plus âgées. Toutefois, ces écarts entre sexes ou classes d’âges ne sont pas considérables. La situation socio-économique a en revanche un impact très net. Plus le revenu est élevé ou plus le niveau de diplôme l’est (les deux étant liés), plus on a tendance à penser que la société française est juste (Amadieu et Demeulenaere, 2011). La catégorie socioprofessionnelle joue également un rôle important. Les indépendants jugent la société française plus juste que les salariés, mais surtout plus l’on s’élève dans la hiérarchie des professions salariées, plus on considère que la société française est juste. Les cadres considèrent ainsi que la société française est plutôt juste à 55 %, contrairement aux ouvriers (surtout non qualifiés) ou aux employés qui la trouvent injuste à 65 %. Il n’y a donc pas ici seulement une gradation du sentiment d’injustice mais une complète inversion de majorité. Il en va de même si l’on prend en compte la situation vis-à-vis de l’emploi : les chômeurs ont un sentiment d’injustice à peu près équivalent à celui des ouvriers. La nationalité a aussi un effet non négligeable. Ce sont les Français ayant leurs deux parents nés en France qui sont les plus critiques, tandis que ceux dont un des deux parents est né à l’étranger le sont moins. Les étrangers, contrairement à ces deux catégories, trouvent majoritairement la société française plutôt juste. Mais il est ici vraisemblable que ces derniers, arrivés plus récemment en France, comparent la situation française avec celle de leur pays d’origine, tandis que le jugement des Français serait plus idiosyncrasique. La situation objective dans la hiérarchie professionnelle (ou vis-à-vis de l’emploi) est en outre corrélée avec l’appréciation subjective que les enquêtés se font de leur position dans cette hiérarchie des professions. Plus ils ont le sentiment d’appartenir à des catégories aisées, plus ils ont tendance à penser que la société française est juste. Et à nouveau ici nous observons une inversion de majorité. Ceux qui disent appartenir aux classes supérieures ou moyennes supérieures trouvent la société française juste, tandis que ceux qui pensent appartenir aux classes moyennes inférieures et surtout aux catégories populaires ou aux exclus, la trouvent majoritairement injuste. Il faut souligner que cette inversion de majorité s’opère au sein de la classe moyenne, entre ceux qui s’y positionnent plutôt en haut et ceux qui s’y positionnent plutôt en bas. Les premiers jugent à 60 % que la société française est juste, tandis que les seconds la trouvent au contraire injuste à 60 %. Ainsi, deux visions s’opposent et le contraste devient particulièrement fort et saisissant entre les catégories supérieures qui considèrent à 68 % que la société française est juste et les catégories populaires qui la décrivent injuste à 73 %.

43La position politique joue également un rôle puisque seuls ceux qui se déclarent proches d’une droite modérée considèrent la situation comme plutôt juste. Tous les autres, de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par la gauche modérée ou le centre pensent davantage que cette situation est globalement injuste. Néanmoins, le positionnement politique ne modifie pas le contraste qui vient d’être constaté entre catégories supérieures et populaires, que ce soit sous l’angle « objectif » ou « subjectif ». Au sein de la droite modérée par exemple, les catégories populaires considèrent majoritairement que la société française est injuste. Ailleurs, s’il n’y a pas forcément d’inversion de majorité, l’écart de jugement entre catégories supérieures et populaires demeure très important (de l’ordre de 15 à 20 %). Sans nier donc l’impact de l’idéologie politique, il est clair qu’elle n’altère que peu ou pas l’effet de la position socio-économique sur le sentiment de justice macrosociale.

44Ce sentiment n’est pas non plus sans lien avec l’appréciation que l’on porte sur la justice ou l’injustice de sa propre rémunération. Sans surprise, ceux qui s’estiment injustement payés ont tendance à penser que la société française est injuste et vice versa. Mais à nouveau, l’effet de la position professionnelle n’est pas atténué par cette corrélation entre micro et macrojustice. Quoi qu’ils pensent de leur rémunération, les cadres conservent une propension à juger la société juste. Et réciproquement, les catégories populaires restent sévères à l’égard de la société française, même lorsqu’elles s’estiment justement payées.

45Si, d’un côté, le sentiment de macrojustice est bien lié au sentiment de microjustice, d’un autre, le maintien de l’influence de la catégorie sociale montre que l’explication des réponses à cette question doit dépasser le cadre de la seule référence à la défense d’un intérêt personnel (vu sous l’angle du jugement porté sur sa propre rémunération), comme d’ailleurs aussi le seul enjeu de l’adhésion à une idéologie politique. C’est bien un sentiment global qui s’exprime et qui ne se détermine pas simplement en raison de considérations utilitaristes ou idéologiques. Global, il incorpore certainement pour partie ces dimensions, mais il ne s’y réduit pas. En retour, ce n’est pas non plus la simple appartenance à une catégorie de revenus, de diplômes ou de professions (tous ces indicateurs de position socio-économique étant corrélés) qui détermine à elle seule et « mécaniquement » le sentiment de justice. Même s’il faut relativiser, comme nous venons de le faire, les rôles du politique ou de l’intérêt, ils ne sont pas non plus sans conséquences. Dès lors, si l’on peut refuser les explications mécanistes ou relevant d’une causalité abstraite faisant du sujet le simple effet d’une structure socioéconomique ou d’une superstructure idéologique qui s’imposerait à lui, sans qu’il ait en quelque sorte son mot à dire, il reste à se demander comment on peut rendre compte de manière plus concrète de cette influence de la catégorie sociale.

46Plusieurs pistes sont bien sûr envisageables. Nous avons ici privilégié l’une d’elles parce qu’elle met en jeu un aspect de la dimension territoriale qui a été quelque peu sous-estimé jusqu’à présent. Il faut en effet bien souligner que les inégalités ne sont pas uniformément réparties sur le territoire national. Au travers de travaux récents, Christophe Guilluy (2010) propose par exemple de distinguer schématiquement trois grands cercles au sein de ce territoire. En premier lieu, les grandes métropoles et leur centre-ville, qui sont en lien avec le mouvement de la mondialisation et en bénéficient. Ces centres urbains étaient traditionnellement occupés par des catégories sociales hétérogènes, à la fois bourgeoises et ouvrières. Mais avec l’élévation des prix des logements, on a assisté à une gentrification rejetant les catégories populaires à la périphérie et les remplaçant par des catégories moyennes supérieures. Le deuxième cercle est composé de banlieues occupées par des couches modestes ou moyennes inférieures et accueille une grande part des immigrants. Enfin, le troisième cercle, rural et périurbain, n’a cessé de s’étaler géographiquement, pour des raisons physiques puisqu’il s’agit principalement de zones pavillonnaires. Et il a dû accueillir à la fois ceux qui fuyaient l’insécurité des Zones Urbaines Sensibles (ZUS) et ceux qui se trouvaient évincés économiquement des centres-villes. Or les catégories populaires (ouvriers ou employés) qui ont fait le développement démographique de cette zone (dans laquelle le rural n’est plus aujourd’hui dominé par les agriculteurs) ont eu à subir les conséquences de la désindustrialisation avec les pertes d’emplois directs ou induits qui l’accompagnent. La France des plans sociaux est là bien davantage qu’ailleurs. À ces pertes ou menaces sur l’emploi se sont ajoutées des restructurations des services publics qui ont conduit, dans bien des cas, à un éloignement grandissant (postes, maternités, etc.). Pendant que la politique de la ville s’orientait vers les banlieues et permettait de réelles rénovations du bâti, le périurbain ne bénéficiait de rien d’équivalent. Les établissements scolaires prestigieux restaient l’apanage des centres-villes. Les banlieues bénéficiaient des ZEP et de leurs moyens accrus, tandis que le périurbain et le rural n’accédaient ni aux uns ni aux autres. Progressivement, des entretiens qualitatifs ont révélé un sentiment d’abandon de la part de ces catégories populaires du rural ou du périurbain se sentant de plus en plus délaissées par l’État et ne se retrouvant plus dans les discours des organisations politiques qui ont depuis 30 ans été en alternance aux commandes de cet État.

47Dans ces conditions, résumées à très grands traits, peut-on identifier dans l’enquête PISJ un effet croisé de la catégorie d’agglomération de résidence et de la position socioprofessionnelle qui accréditerait cette thèse d’un fort sentiment de délaissement, et finalement d’injustice, particulièrement répandu parmi les catégories populaires du périurbain et du rural ? La question sur la macrojustice que nous étudions ici constitue à cet égard un indicateur pertinent. C’est surtout dans les communes rurales que l’on a tendance à penser que la société est injuste. Si l’on ajoute la catégorie socioprofessionnelle, on constate que ce jugement négatif sur la société dans son ensemble est en premier lieu le fait des catégories populaires (ouvriers ou employés, et davantage encore pour les ouvriers non qualifiés) résidant dans ces communes rurales ou dans des villes moyennes ou petites (à l’inverse des cadres supérieurs qui dans ces zones continuent de trouver la situation plus juste). Ce sentiment d’injustice est en revanche beaucoup moins prégnant parmi les ouvriers ou employés des banlieues ou des grandes villes. Il semble donc bien que la société française soit perçue comme plutôt injuste avant tout par ces milieux populaires qui, résidant à la campagne ou dans des zones périurbaines faites de petites ou moyennes villes, subissent de plein fouet les effets de la désindustrialisation, de l’éloignement des services publics ou de l’augmentation des charges liées à l’évolution du coût de l’énergie nécessaire pour se déplacer ou se chauffer.

48C’est d’ailleurs une opinion qui est propre à la sphère de la macrojustice. La catégorie d’agglomération n’a pas d’effet sur la manière dont on juge la justice de sa propre rémunération, et surtout on ne retrouve pas un tel effet croisé de la zone de résidence et de la catégorie sociale si l’on s’intéresse à la façon dont les enquêtés jugent les inégalités. Ces deux variables n’ont ici ni effet propre important, ni effet croisé. Par exemple, ce ne sont pas les catégories populaires ou les milieux ruraux ou périurbains qui ont le plus tendance à penser que les inégalités de revenu sont fortes en France. Ce résultat peut paraître surprenant, tant il est vrai que l’on a bien souvent tendance à assimiler sans autre forme de procès inégalité et injustice, que ce soit en termes « objectifs » ou de perception. Les enquêtés viennent ici nous rappeler que cette assimilation ne va pas de soi. Le jugement sur la justice sociale est le fruit d’un ensemble d’éléments qui va bien au-delà du simple constat sur l’état des inégalités économiques ou autres. Il s’y ajoute vraisemblablement (pour être strict, on ne peut en rester ici qu’au stade de l’hypothèse) un sentiment d’abandon ou de relégation sociale et culturelle qui d’ailleurs, à force de perdurer, finit dans certains cas par se traduire politiquement par un vote extrême.

Quatre cas de croisement entre bien-être subjectif et sentiment de justice sociale

49Dans ces conditions, il n’est guère étonnant de constater un lien entre le sentiment de macrojustice et celui de bien-être (corrélation de Pearson de 0,22 ; cf. tableau 3). En effet, comme nous l’avons vu, la satisfaction à l’égard de la vie exprime un jugement global prenant en compte les conditions matérielles, sociales et affectives où l’interrogation sur son propre lot relativement aux lots des autres tient une bonne place. Or cette interrogation a évidemment des répercussions sur le sentiment de la justice de la société dans son ensemble. Rawls relie d’ailleurs l’évaluation de la justice sociale aux sorts des plus mal lotis : au fond, dans une société juste (« bien ordonnée » selon l’expression de Rawls), les plus mal lotis ne devraient ressentir aucune frustration ou une frustration aussi faible que possible ; et ce, non pas parce qu’ils se seraient adaptés à leur sort, mais parce que leur sort serait justifié à leurs yeux – il serait le résultat équitable de la coopération sociale. Dans les faits, les insatisfaits cumulent plutôt faiblesse des ressources et frustration : en « bons rawlsiens », ils ne peuvent qu’en déduire que la société est injuste. Inversement, les satisfaits font plutôt le constat que la société sait reconnaître leur valeur et une telle société ne peut vraisemblablement qu’être juste. La consonance majoritairement observée entre bien-être et sentiment de justice est donc bien le résultat que l’on pouvait attendre.

Tableau 3

Croisement entre bien-être subjectif et sentiment de justice

Tableau 3
Insatisfait Satisfait Société juste 35 % (– 8,6) 65 % (+ 8,6) Société injuste 57 % (+ 8,6) 43 % (– 8,6) Ensemble 48 % 52 %

Croisement entre bien-être subjectif et sentiment de justice

N.B. On reproduit sur ce tableau les pourcentages en ligne et, en-dessous entre parenthèses, les résidus standardisés ajustés Compte-tenu des réponses manquantes (2,6 %), 1667 individus sont répartis dans ce tableau. Le résidu standardisé ajusté est un paramètre d’écart à l’hypothèse d’indépendance dans la liaison entre deux modalités de réponse dans un tri croisé. Il suit asymptotiquement une loi normale centrée réduite. Ainsi, une valeur en dehors de l’intervalle [–3,29, +3,29] indique un écart à l’indépendance significatif au seuil de 1 pour mille (Haberman, 1973). Ces résidus sont ici particulièrement significatifs. Un signe positif indique un écart positif à l’indépendance et un signe négatif, un écart négatif. Le phi du tableau est lui-même très significatif. Il n’y a donc aucun doute sur le lien entre satisfaction et sentiment de macrojustice.
Source : PISJ 2009

50Pour autant, il est intéressant de se pencher sur les cas dissonants, c’est-à-dire ces cas pour lesquels satisfaction personnelle et sentiment de justice semblent antagoniques. Il apparaît ainsi deux possibilités supplémentaires. Celle où l’insatisfaction n’empêche pas de considérer la société comme juste, comme le prévoit par exemple la théorie de la croyance en un monde juste (Lerner, 1982 ; Bénabou et Tirole, 2006). Et celle, inversement, où le sentiment que la société est injuste n’empêche pas de considérer que l’on ne s’en sort soi-même pas si mal et d’exprimer finalement plutôt un sentiment de satisfaction (Dubet, 2006). Au total, nous étudierons donc les quatre cas suivants : les satisfaits qui jugent la société juste, les insatisfaits qui jugent la société injuste, les satisfaits qui jugent la société injuste et, enfin, les insatisfaits qui jugent la société juste. Nous avons construit cette typologie en considérant que les insatisfaits ont donné une note de satisfaction inférieure ou égale à 6 (qui constitue le mode de la distribution) et les satisfaits une note supérieure.

51Empiriquement, les quatre cas se trouvent réalisées, mais pas du tout au même niveau. Une assez nette majorité relative (33 %) penche à la fois pour l’injustice de la société et l’insatisfaction personnelle. Elle est suivie par les 27 % qui trouvent la société juste tout en s’estimant satisfaits. Viennent ensuite les 25 % qui sont satisfaits tout en jugeant la société injuste. Enfin on trouve les moins nombreux (15 %) qui, bien qu’insatisfaits, trouvent la société assez juste. Comme on pouvait s’y attendre en raison de la forte corrélation entre les deux variables, les deux cas les plus fréquents sont les cas consonants. Toutefois, les satisfaits qui déclarent que la société est injuste représentent tout de même un quart de l’échantillon. Il apparaît ainsi que la corrélation positive entre satisfaction et sentiment concernant la macrojustice tient assez peu à la contribution spécifique des satisfaits. Cette corrélation repose surtout sur la nette tendance des insatisfaits à juger la société injuste.

52À ces quatre combinaisons correspondent des catégories sociales ou démographiques différentes (cf. tableau 4). Les insatisfaits qui jugent la société juste se distinguent par le fait qu’ils ont souvent leurs deux parents nés à l’étranger et vivent plutôt dans de grandes villes, tandis que les satisfaits qui trouvent la société injuste ont leur deux parents nés en France et peuvent vivre dans un milieu rural. Ils ont d’ailleurs aussi des revenus moyennement élevés et se sentent appartenir aux classes moyennes supérieures. Mais ce qui frappe surtout ici c’est le contraste entre les jugements des personnes liées à une immigration récente et celles dont ce n’est pas le cas (d’autant que ce contraste ne se retrouve pas lorsque la corrélation entre les deux variables est positive). Les premières, bien qu’en position moins favorisée, gardent une certaine confiance dans la justice de la société, peut-être parce que leur référence se situe aussi ou encore dans leur société d’origine, tandis que les secondes sont beaucoup plus sévères à l’égard de la société dont elles connaissent mieux tous les rouages, même si elles-mêmes disent ne pas s’en sortir si mal (ce qui rejoint le constat de François Dubet et al. dans Pourquoi moi ?, 2013).

Tableau 4

Typologie du croisement entre satisfaction à l’égard de la vie menée et sentiment de justice de la société française selon différentes variables explicatives*

Tableau 4
Insatisfait et Juste Insatisfait et Injuste Satisfait et Juste Satisfait et Injuste Sexe homme femme homme n. s.* Age n. s. n. s. n. s. n. s. PCS n. s. ouvrier, employé cadres supérieurs, intermédiaires, indépendants n. s. Éducation n. s. primaire à secondaire université n. s. Activité n. s. chômeurs en emploi en emploi Niveau de vie (en moyenne) 1300€ 1200€ 1800€ 1650€ CS subjective n. s. défavorisé, classe populaire classe supérieure, moyenne supérieure classe moyenne supérieure Lieu de naissance des parents 2 parents nés à l’étranger n. s. n. s. 2 parents nés en France Commune grande ville n. s. n. s. rural État matrimonial n. s. divorcé, séparé marié n. s. Politique n. s. gauche, centre droite n. s. Effectifs n = 246 n = 554 n = 446 n = 421 Pourcentages 14,8 % 33,2 % 26,8 % 25,3 %

Typologie du croisement entre satisfaction à l’égard de la vie menée et sentiment de justice de la société française selon différentes variables explicatives*

* = non significatif ; les catégories non présentées dans ce tableau sont sans effet significatif.
Source : PISJ 2009

53Du côté des cas consonants, on constate clairement une opposition entre les catégories défavorisées (faible revenu, faible niveau d’études, souvent au chômage, ouvriers ou employés, se sentant appartenir aux exclus) et les catégories plus favorisées (revenu élevé, niveau d’études supérieur, en emploi, cadres, professions intermédiaires ou libérales ou indépendantes, se sentant appartenir aux classes supérieures ou à tout le moins moyennes supérieures). Les premières (majoritaires) expriment un fort sentiment d’insatisfaction et d’injustice ; tandis que chez les secondes, à l’inverse, la satisfaction se double d’un sentiment de macrojustice sociale. Il faut noter que si les premières ont plutôt tendance à être des femmes, les secondes sont plus souvent des hommes. Au-delà, l’état matrimonial joue aussi un rôle important. Les divorcés ou séparés ont le même jugement que les catégories défavorisées alors que celui des personnes mariées est identique à celui des catégories favorisées. L’échec de sa vie de couple conduit donc non seulement à une insatisfaction, mais aussi à un jugement plus sévère sur la justice sociale, tandis que le fait de vivre en couple conduit à un bien-être subjectif, qui se double d’un jugement positif à l’égard de la justice de la société dans son ensemble. Enfin, il faut observer que les personnes se positionnant politiquement à gauche ou au centre sont plus insatisfaites et penchent plus pour l’injustice de la société, tandis que celles qui se disent de droite ont tendance à être plus satisfaites de leur vie tout en trouvant la société plus juste.

54On a donc au total un clivage très prononcé entre des femmes, des divorcés, des catégories défavorisées et des personnes de gauche ou du centre qui sont insatisfaits de leur vie et de la justice sociale, et des hommes, des personnes mariées, des catégories favorisées et des individus se disant de droite qui sont satisfaits de la vie qu’ils mènent et de la justice sociale.

55Dans l’ensemble, donc, la satisfaction à l’égard de sa vie et le sentiment que la société est plutôt juste vont de pair. Quand ce n’est pas le cas, deux types de considérations se font jour. D’un côté, nous avons affaire à des Français de classe moyenne supérieure, nés de parents Français, habitant des communes rurales, qui se disent satisfaits tout en se montrant sévères à l’égard de la société. Bien intégrés, ils se montrent particulièrement sensibles à toute forme d’arbitraire parce qu’ils ont peur de subir un déclassement ou, surtout s’ils habitent des communes rurales ou périurbaines, éprouvent ce sentiment de délaissement rencontré plus haut. Ainsi, bien qu’ils se sentent plutôt en ascension sociale, ils pensent – comme le groupe des insatisfaits jugeant la société injuste – que la pauvreté et l’exclusion peuvent concerner tout le monde, et non certaines catégories fragiles. Ce sentiment d’une satisfaction fragile les conduit à se mettre plus facilement à la place des moins bien lotis et, dès lors, à juger la société injuste. Inversement, de l’autre côté, nous rencontrons avant tout des immigrés ou des Français nés de parents étrangers qui se montrent cléments à l’égard de la société française alors même qu’ils sont insatisfaits de leur sort. Mal intégrés, ils sont peut-être plus enclins à accepter l’idée d’être traités différemment des autres. Ainsi, lorsqu’on leur demande de juger, dans l’enquête PISJ, de la situation « un ouvrier non qualifié a travaillé dur toute sa vie sans jamais gagner autre chose que le salaire minimum », ils trouvent cela un peu moins injuste que les autres groupes sociaux. En revanche, cette acceptation toute relative d’un « deux poids, deux mesures » semble liée à une promesse d’intégration à terme. C’est vraisemblablement pour cette raison qu’ils sont en retour plus enclins que les autres groupes sociaux à dire, en réponse à une autre question de l’enquête, que la situation « un immigré travaille dans le BTP depuis 10 ans sans être déclaré, et va être renvoyé dans son pays d’origine » est injuste. Nous sommes loin de la thèse d’une « croyance en un monde juste » qui serait partagée par tout un chacun.

56Jusqu’ici, nous avons constaté l’existence de trois liaisons fortes : entre sentiments de micro et de macrojustice, entre bien-être et microjustice (justice de sa rémunération) et entre bien-être et macrojustice (justice de la société). Mais ce dernier lien que nous venons d’étudier en détail est-il susceptible de varier selon l’opinion sur la justice de sa propre rémunération. Un modèle log-linéaire montre que si les relations liant deux à deux les trois variables sont nettement présentes, il n’y a pas en revanche d’interaction d’ordre 3 entre ces trois variables. Cela signifie que le lien entre bien-être subjectif et sentiment de macrojustice ne dépend pas de ce que l’on pense de sa rémunération. Ce lien reste fort et identique aussi bien chez ceux qui se trouvent injustement payés que chez ceux qui pensent que leur paye est juste. On ne peut donc pas affirmer que la corrélation entre bien-être et sentiment de justice à l’égard de l’ensemble de la société soit le résultat d’une simple projection de la manière dont on juge de son niveau de salaire. Cette corrélation va au-delà et résiste à un raisonnement purement utilitariste. Sous cet angle, la justice macrosociale apparaît au total comme un facteur propre du bien-être personnel, c’est-à-dire non réductible à ses autres indéniables composantes.

57Cette conclusion est d’ailleurs renforcée par le fait que s’il y a bien un lien entre sentiment de justice et perception des inégalités, cette perception n’a en revanche pas d’effet sur la satisfaction à l’égard de la vie que l’on mène. Dans l’enquête PISJ, on demandait à l’enquêté de se prononcer sur l’importance des inégalités en France dans douze domaines (touchant à l’économie, à l’identité des personnes ou à des risques divers), en évaluant chaque fois cette importance sur une échelle allant de 1 à 10. Les inégalités de revenu apparaissent de ce point de vue comme celles qui sont les plus fortes. Et il est bien clair que plus on pense que les inégalités sont élevées en France, plus on a tendance à trouver que la société française est injuste. Pourtant, ce ne sont pas les mêmes caractéristiques sociodémographiques des interviewés qui expliquent les réponses à ces deux types de questions. Pour ne prendre qu’un exemple, si la catégorie socioprofessionnelle de l’interviewé a un effet (rappelé plus haut) sur son sentiment de justice, elle n’en a aucun sur sa perception des inégalités. D’une certaine manière cette différence entre inégalité et injustice se retrouve ici, puisque si le sentiment de justice est lié au bien-être subjectif, la perception de la force des inégalités (notamment, mais pas seulement, en ce qui concerne les revenus) ne l’est pas. En somme, alors que pour la compréhension du bien-être personnel, il apparaît nécessaire de tenir compte des sentiments de justice, ce n’est pas le cas s’agissant de la perception des inégalités.

Conclusion

58Le paradoxe d’Easterlin a projeté sur le devant de la scène le thème du bien-être en laissant entendre que la richesse n’entraînait pas le bien-être au niveau sociétal. Même si l’hypothèse s’est révélée fausse depuis, l’intérêt pour le sujet est resté. Au-delà de la richesse et du PIB, le bien-être s’est imposé comme une dimension majeure pour juger de la réussite d’une société. Il existe à présent une très vaste littérature sur le sujet ; des revues s’y consacrent entièrement ; des enquêtes fréquentes sont menées pour évaluer la satisfaction à l’égard de la vie dans la plupart des pays du monde ; une institution comme l’OCDE propose sur un site dédié (www.oecdbetterlifeindex.org) de construire son indicateur de bien-être.

59Les facteurs déterminants de la satisfaction à l’égard de la vie commencent donc à être bien connus. Au niveau individuel, il faut être en bonne santé, avoir suffisamment d’argent, de bonnes conditions de travail où l’on se sent progresser, une vie affective et sociale riche et pleine. L’examen de l’enquête PISJ que nous venons de mener aboutit aux mêmes conclusions : il faut une aisance financière et le sentiment de réussir sa vie professionnelle, affective et sociale. De surcroît, comme nous l’avons vu, la comparaison aux autres joue un rôle important pour évaluer ses réussites ou ses échecs.

60Toutefois, jusqu’à présent, peu d’attention avait été prêtée au lien entre le sentiment de justice sociale et la satisfaction à l’égard de la vie menée. Or nous avons pu constater qu’un tel lien existait et qu’il n’était pas fortuit. Comme le laissait supposer la théorie de la justice de Rawls, le sentiment de justice est en partie lié à la satisfaction des plus mal lotis et, également, au sentiment d’être traité à sa juste valeur, en égale dignité. On devait ainsi s’attendre à la corrélation trouvée ici entre satisfaction et opinion sur la justice. À côté de tous les indicateurs de bien-être retenus dans la littérature spécialisée, il apparaît donc souhaitable finalement de retenir aussi le sentiment de justice sociale. Cette conclusion est renforcée par le fait que dans l’étude de Simon Langlois sur le Québec (publiée dans cette même livraison de L’Année Sociologique), on retrouve un lien tout aussi fort entre sentiments de bien-être et de justice, alors même que le contexte diffère puisqu’à l’inverse de la France une majorité de Québécois trouvent leur société plutôt juste.

61Il reste que, pour Rawls, le bien-être n’est pas la justice. Certes, les deux ont en partage certains réquisits comme le fait de disposer d’un revenu décent ou le fait de pouvoir agir et évoluer dans sa vie professionnelle, affective et sociale. Mais, en tant qu’objectif social, ils se distinguent nettement : l’approche en termes de bien-être demeure assez peu critique sur la répartition sociale des « biens » qu’elle promeut et elle peine à définir un principe d’organisation entre les différentes conceptions du bien que chacun peut proposer. L’approche en termes de justice sociale tend au contraire à faire de la justice le principe d’organisation et de compréhension de la cohésion sociale, au sein de laquelle le bien-être tient une place. Dès lors, les deux approches peuvent faire des évaluations fort différentes entre, par exemple, une communauté qui cultiverait l’entre-soi et une société ouverte : la satisfaction d’être entre soi et la faculté à se mettre à la place des autres peuvent conduire à des divergences de vue entre la perspective du bien-être et celle de la justice sociale.

62Cette divergence n’est pas neutre si l’on pense, comme l’a rappelé la citation de Rawls reproduite en introduction, que la justice a nécessairement la priorité sur le bien. Cela ne signifie évidemment pas que la recherche du bien-être serait moralement à rejeter, mais qu’elle doit se faire sous les auspices de la justice qui est ici toujours aussi une fin et jamais simplement un moyen.

Notes

  • [1]
    D’autres mesures de corrélation, comme la corrélation de rang de Spearman, ont été calculées, mais les résultats sont toujours très proches.
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Français

Il est à présent communément admis que l’étude du bien-être se doit d’incorporer une mesure de la satisfaction à l’égard de la vie que l’on mène. Cette satisfaction est ici analysée à l’aide d’une question posée dans un sondage réalisé en France en 2009 sur la perception des inégalités et les sentiments de justice. Les incidences sur le bien-être subjectif du revenu, de la vie professionnelle, de la mobilité sociale et de la frustration relative ou plus largement de la comparaison aux autres, ainsi que des relations sociales et affectives sont mises en évidence. Mais il apparaît aussi une forte corrélation avec les sentiments à l’égard de la justice de la société dans son ensemble. Ce lien n’était pas donné d’avance, puisqu’il s’agit dans un cas d’un jugement sur sa vie personnelle et, dans l’autre, sur la société prise globalement. Il peut cependant trouver une explication dans des théories de la justice et notamment celle de Rawls. C’est en tout cas là une dimension explicative qui ne se réduit pas aux autres, ni même à la simple perception des inégalités, et il serait dès lors opportun, pour mieux comprendre le bien-être subjectif, qu’à côté de tous les indicateurs classiquement utilisés et qui jouent leur rôle, il soit davantage tenu compte de cette relation avec les sentiments de justice sociale.

Mots-clés

  • bien-être subjectif
  • frustration relative
  • inégalités sociales
  • justice sociale
  • opinions

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Michel Forsé
Michel Forsé sociologue, est Directeur de Recherche au CNRS et membre du Centre Maurice Halbwachs (CNRS, ENS, EHESS) où il dirige le « Groupe de recherche sur la cohésion et la justice sociale » (GRECO). Il a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur le changement social et les réseaux sociaux et se consacre à présent à l’étude aussi bien théorique qu’empirique de la justice sociale. Sur ce sujet, il a publié avec Maxime Parodi aux Puf en 2004 La Priorité du juste et, en 2010, aux éditions Hermann Une théorie empirique de la justice sociale. Avec Olivier Galland, Caroline Guibet Lafaye et Maxime Parodi, il a publié L’Égalité, une passion française ? en 2013 chez Armand Colin. Chez ce même éditeur, en 2011, il a dirigé avec Olivier Galland un ouvrage collectif intitulé Les Français face aux inégalités et à la justice sociale.
Maxime Parodi
Maxime Parodi est chargé d’études sociologiques à Sciences Po Paris (OFCE). Il est notamment l’auteur de La Modernité manquée du structuralisme (Puf, 2004) et, avec Michel Forsé, de La Priorité du juste. Éléments pour une sociologie des choix moraux (Puf, 2004), et d’Une théorie empirique de la justice sociale (Hermann, 2010). Avec Michel Forsé, Olivier Galland et Caroline Guibet Lafaye, il a publié L’Égalité, une passion française ? (Armand Colin, 2013).
maxime.parodi@sciencespo.fr
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Mis en ligne sur Cairn.info le 12/11/2014
https://doi.org/10.3917/anso.142.0359
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