CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« Oublier les catégories de culture cultivée, culture moyenne et culture populaire n’est pas chose facile, c’est pourtant probablement une des conditions d’un véritable renouveau de la sociologie de la culture ».
(Donnat, 2004, p. 102)

1Le développement et la diversification du champ des biens culturels depuis l’après-guerre ont provoqué un certain nombre de déplacements dans la structuration et la signification des goûts et des pratiques culturelles. Il peut sembler évident que la situation contemporaine n’est plus celle des années 1960 et 1970 telle que Pierre Bourdieu pouvait la décrire ou l’interpréter dans La Distinction, point de focale de la sociologie de la culture en France, en termes aussi bien de détermination que de signification des pratiques et des goûts culturels (Bourdieu, 1979). En effet, les sociologues ont à rendre compte de la place prise dans les pratiques des individus, notamment des catégories diplômées, par des genres culturels anciennement populaires, souvent de façon dominante, comme les musiques jazz, rock, électroniques, le roman noir, la bande dessinée, les jeux vidéo, les séries télévisées, etc., mais aussi la faiblesse ou la baisse de certaines pratiques comme la fréquentation de l’opéra, de la musique classique, des émissions culturelles ou encore de la littérature.

2Depuis les années 1990, de nombreux auteurs ont noté « l’affaiblissement de la légitimité culturelle de la haute culture » (Ethis et Pedler, 1999).

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La baisse de la fréquentation de ces manifestations [les arts de la scène] parmi les fractions riches en capital culturel est cohérente avec notre hypothèse que la montée de l’omnivorisme comme catégorie discursive reflète un affaiblissement de la légitimité culturelle de la haute culture

4écrivent Michèle Ollivier, Guy Gauthier et Alexis Hiêú Truong (Ollivier, et al., 2009, p. 465). De son côté, Bernard Lahire s’est attaché à signaler les « pratiques culturelles bien peu légitimes dans les milieux cadres et professions intellectuelles supérieures » et le « rapport distant à la culture légitime dominante » (Lahire, 2004, p. 137) [1]. Jean-Louis Fabiani écrit, lui, que :

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Si le sociologue [Bourdieu] peut affirmer l’inégale distribution des compétences ou des préférences culturelles, on ne peut conclure sans autre médiation à une théorie générale des propriétés distinctives de la consommation de produits culturels, d’autant plus que les différences à partir desquelles on tire ces conclusions sont souvent ténues (Fabiani, 2003, p. 310).
Il peut donc sembler abusif de faire de ces pratiques [concert de musique classique, opéra, et théâtre] l’emblème de la culture « dominante », dans la mesure où celles-ci sont partout minoritaires, y compris parmi les membres des classes dominantes,

6écrit encore Philippe Coulangeon (Coulangeon, 2005, p. 102).

7Que ces trois dernières pratiques classiques ne constituent plus un emblème de la culture dominante exige logiquement de déboucher sur une modélisation adéquate.

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Ces brèves réflexions sur la montée de l’éclectisme dans les milieux les plus investis dans la vie culturelle et l’hybridation de la culture cultivée laissent deviner la complexité croissante des rapports qui lient les univers culturels et les milieux sociaux ainsi que la difficulté de l’entreprise qui consiste à établir une correspondance stricte entre les uns et les autres à partir de la seule échelle de la légitimité,

9résume Olivier Donnat (Donnat, 2004, p. 97).

10Il est un fait décisif que depuis la fin des années 1960 la conservation des goûts « populaires » de jeunesse et l’extension de l’éventail des goûts caractérisent l’évolution des pratiques culturelles des individus au cours de leur cycle de vie, ce qu’O. Donnat appelle la « force de la dynamique générationnelle » (Donnat, 2009, pp. 122-123). C’est ce que capte ladite thèse de « l’éclectisme culturel » des catégories supérieures de Richard Peterson (Peterson, 1992 ; Peterson et Simkus, 1992 ; Peterson et Kern, 1996 ; Peterson, 1997 ; Peterson, 2004). L’éclectisme ou l’omnivorisme culturel désigne cette extension des portefeuilles de goûts classiques des catégories supérieures par l’adjonction de pratiques et de goûts populaires (contemporains), parfois seulement leur connaissance (« un vague savoir sur un large éventail de formes musicales », Peterson, 1992, p. 255). On sait que R. Peterson caractérise son modèle comme une pyramide inversée « avec un goût dominant au sommet et de plus en plus de formes alternatives au même niveau à mesure que l’on descend vers le bas » (Peterson, 1992, p. 254). Et il ajoute, point important, que vers le bas le goût musical peut servir non seulement à marquer horizontalement le niveau de statut mais aussi à délimiter verticalement les frontières de statut entre des groupes de goût définis par, dit-il, « l’âge, le genre, la race, la région, la religion et le style de vie ».

11Si les sociologues peuvent s’accorder sur un changement de contenu des pratiques culturelles, notamment sur la place prise par les biens issus des industries culturelles, la plupart ne s’entendent pas pour autant sur un changement de structure. Une grande partie d’entre eux demeurent en ce sens fidèles au modèle structuraliste de la distinction dans leur appréhension des pratiques culturelles, notamment parce qu’ils veulent expliquer à l’aide de ce modèle ce fait que les goûts ne sont pas distribués au hasard dans la population. Ainsi, selon O. Donnat, l’éclectisme apparaît « aujourd’hui comme la forme la plus accomplie de la disposition cultivée en matière musicale » (Donnat, 1994, p. 94). Le sociologue Ph. Coulangeon, en étendant la légitimité à l’éclectisme des catégories supérieures prolonge la thèse classique (Coulangeon, 2003). Michèle Ollivier et Viviana Fridman vont aussi dans ce sens en nommant la nouvelle configuration éclectique des catégories supérieures « ouverture ostentatoire à la diversité » (Ollivier et Fridman, 2004). « L’omnivorisme » aujourd’hui, comme le snobisme hier, n’en continue pas moins à définir ce qu’est l’usage correct du goût, écrivent encore Guy Bellavance, Myrtille Valex et Michel Ratté (Bellavance, et al., 2004, p. 28). Cet éclectisme est en fait un éclectisme limité, limité par le maintien du mépris de certains genres (Bryson, 1996).

12Il nous semble que la prorogation du modèle de la distinction à travers l’éclectisme culturel manifeste en elle-même deux transformations qui sont d’une part la requalification de la valeur des genres culturels populaires qu’il suppose et d’autre part la disparition de la figure du dominant culturel dorénavant éclectique. Ces deux évolutions exigent une révision du cadre d’analyse des pratiques culturelles, au profit d’une hétérogénéité des ordres de légitimité selon les genres et d’une diversification des formes d’éclectismes culturels. Que les goûts ne soient pas distribués au hasard ne signifie pas qu’ils soient commensurables, hiérarchisés et distinctifs, c’est-à-dire pris dans une structure de hiérarchie sociale telle que le modèle de la distinction a pu le défendre de façon matérialiste (par la « position sociale ») et moniste (par le holisme du « marché unifié » de la légitimité culturelle).

13Comme nous l’avons montré pour le champ circonscrit du goût musical (Glevarec et Pinet, 2009 ; 2011 ; 2012), le jugement social articulant entre elles les six classes statistiques de goûts peut être pluriel plutôt qu’univoque : le rapport d’appréciation esthétique qui domine le goût musical est un rapport d’indifférence, celui de la classe qui représente 36 % de la population des amateurs de musique caractérisée positivement par son goût pour la chanson française. Quatre classes se caractérisent par des inappétences premières ou secondes [2] : la classe du goût pour les genres classique et jazz s’accompagne d’une inappétence pour les genres du rap, de la musique électronique et du hard rock. Cette inappétence a tous les atours de la distinction à ceci près qu’elle caractérise dorénavant les plus âgés des membres des catégories supérieures. Deux classes composées de jeunes se caractérisent par un mélange d’inappétences et de goûts : la classe du goût pour la chanson internationale et le rap est aussi celle de l’inappétence déclarée pour les genres classiques ; la classe du goût pour la musique électronique est marquée par une inappétence pour la chanson française et internationale, la musique world et classique. La troisième classe jeune se caractérise par un goût pour le rock qui ne s’accompagne pas d’inappétences. Enfin, une classe se caractérise par un rejet de tout ce qui apparaît « moderne » ou « jeune » puisque le goût de ses membres, caractérisés par un âge élevé et une appartenance populaire, est négatif sur les genres récents tout autant que classiques, seulement positif à l’endroit de la chanson française. On le voit, la restitution de la structure goût/indifférence/inappétence et des portefeuilles de préférences musicales indique la pluridimensionnalité du goût et de l’éclectisme musical. Elle suggère d’envisager de ne plus faire d’un comptage de goûts ou de pratiques le parangon de la description des rapports à la culture mais oblige à considérer enfin l’hétérogénéité des combinaisons. En effet, la théorie de l’éclectisme quantitatif mesure un nombre de pratiques ou de goûts culturels jugés différents sans tenir compte de leur spécificité. L’éclectisme qualitatif mesure lui aussi un nombre de pratiques et de goûts hétérogènes mais en tenant compte de leur nature [3].

14En tant qu’elle vise une « sociographie de la fréquentation des équipements culturels » (Donnat, 2005), l’enquête « Pratiques culturelles des Français » prolonge ce modèle quantitatif en se focalisant sur l’inégalité culturelle, inégalité d’accès à la culture classique. C’est pourquoi son questionnement porte majoritairement sur les fréquentations et les usages des biens et des équipements culturels et minoritairement sur les goûts et les inappétences (bien davantage présents dans la sociologie anglaise et australienne par exemple, Bennett, et al., 1999 ; Bennett, et al., 2009) ; les inappétences ont été introduites dans l’enquête de 2008 à propos de la musique (Glevarec et Pinet, 2011 ; 2012), de la lecture et du cinéma (Donnat, 2009). L’enquête de référence propose un indicateur de « fréquentation globale des équipements culturels » qui est un compteur de la fréquentation de cinq équipements culturels (cinéma, bibliothèques, lieux de spectacles, exposition ou patrimoine) recouvrant, pour les trois derniers cités, près d’une vingtaine de genres culturels (Donnat, 1998, pp. 223-227 ; 2009, pp. 164-165). En fait, les sociologies de la fréquentation comme celles de l’éclectisme culturel se caractérisent par une épistémê[4] de l’inégalité culturelle qui veut qu’une pratique équivaut à une autre pratique dès l’instant qu’il s’agit du champ des biens culturels considérés comme supérieurs. En effet, sans la présupposition que les pratiques culturelles – c’est-à-dire certaines pratiques culturelles classiques ou cultivées –, sont des pratiques rares et souhaitables, il n’y aurait aucune justification à construire des variables de comptage de « l’éclectisme culturel générique » (Coulangeon et Lemel, 2007) et des indicateurs de « fréquentation globale » (Donnat, 2009), qui supposent de substituer les unes aux autres les pratiques comme deux qualités équivalentes (par exemple le théâtre et le concert classique).

15Dans cet article nous nous proposons de montrer comment les soubassements de la sociologie de la culture en France, son structuralisme et son holisme culturel, entrent en contradiction avec les évolutions que signalent l’affaiblissement de la légitimité de la haute culture, l’apparition d’une « variable » nouvelle que représente la reconnaissance sociale des genres culturels, les transformations du jugement de distinction comme dégoût et, enfin, la montée de ce qui était considéré jusqu’à maintenant comme « variables secondaires ». Nous proposons une épistémê de la diversité culturelle qui, à travers le modèle dit de la tablature des goûts culturels, permet d’analyser l’éclectisme culturel non plus à l’intérieur d’un domaine en particulier, mais sur plusieurs et différents genres culturels. Défendre un modèle d’une pluralité des éclectismes culturels permet de mieux se saisir du réel, des pratiques et des valeurs qui les articulent dans la France actuelle.

Les éclectismes culturels qualitatifs

Construire l’éclectisme culturel qualitatif

16Afin de mener notre réflexion sur les formes de l’éclectisme culturel contemporain, nous avons effectué une classification hiérarchique sur la population des Français éclectiques de 15 ans et plus (voir infra). De l’enquête sur « Les pratiques culturelles des Français », nous avons retenu au total 27 pratiques correspondant à 27 genres culturels. Ces genres correspondent à des genres culturels pratiqués au cours des douze derniers mois. Mobiliser davantage de genres culturels, voire l’entièreté des variables de genres culturels d’une enquête comme celle portant sur les pratiques culturelles des Français de 2008 n’aurait fait qu’accentuer la logique des archipels différenciés de goûts et la diversité des éclectismes culturels que nous cherchons à restituer. En matière de réflexion sur les éclectismes, qui peut le moins peut le plus, et montrer à partir d’un nombre significatif de genres culturels des éclectismes culturels suffit en effet à défendre le modèle ici proposé. Les variables retenues dans l’analyse classificatoire qui suit l’ont donc été de façon à guider a minima notre réflexion sur les contours de l’éclectisme culturel. L’analyse retient comme variables de l’enquête « Les Pratiques culturelles » des questions ayant trait à des genres ou, quand les genres n’étaient pas disponibles, à des domaines culturels ; à l’inverse, un certain nombre de questions de cette enquête portent sur des contenus spécifiques (par exemple sur des émissions de télévision en particulier) qui ne permettent pas de comparer des variables de même niveau, à savoir de genre culturel.

Champ des 27 domaines et genres culturels retenus

Le champ des 27 variables correspondant à 27 genres culturels couvre différents domaines culturels. Les variables retenues le sont dans les contraintes de l’enquête et mélangent – à l’instar de « l’indicateur de fréquentation globale des équipements culturels » d’Olivier Donnat (2009, pp. 164-165) –, d’une part des pratiques dans un domaine en général (le théâtre, la danse, etc.) et des pratiques dans un genre en particulier (la musique classique, la musique jazz, etc.), questions à partir desquelles on impute traditionnellement des goûts et, d’autre part, des préférences (i.e. des questions de goûts).
Nous avons privilégié des pratiques relativement différenciées dont l’offre est disponible sur tout le territoire national. Le souci d’équilibrer chaque domaine nous a amenés à ne pas retenir les pratiques redondantes avec des préférences par ailleurs retenues ; c’est le cas pour la fréquentation des concerts d’opéra, de rock, de jazz ou de musique classique eu égard aux « genres de musique écoutée le plus souvent » par ailleurs sélectionnés, opéra, pop-rock, jazz et musique classique.
Pratiques de domaines culturels :
Domaine des équipements fréquentés au cours des 12 derniers mois (trois domaines culturels) : est allé à un spectacle de danse classique, moderne ou contemporaine ; est allé au théâtre une fois et plus ; a visité un monument historique.
Domaine des lieux artistiques visités au cours des 12 derniers mois (un domaine) : a visité un musée.
Domaine cinématographique (un domaine) : est allé au cinéma une fois par mois et plus au cours des 12 derniers mois.
Domaine des jeux vidéos (un domaine) : a pratiqué des jeux vidéos au cours des 12 derniers mois.
Pratiques de genres culturels :
Genres d’ouvrages lus le plus souvent (six genres) : a lu de la littérature classique française, étrangère (jusqu’au XXe siècle) ; a lu des essais ; a lu des livres scientifiques ; a lu des romans policiers ou d’espionnage ; a lu des bandes dessinées ; a lu des mangas et comics.
Genre télévisuel régulièrement visionné à un moment de la vie (un genre) : a suivi au moins trois séries télévisées.
Genres de musique écoutée le plus souvent (six genres) : la musique classique ; la musique d’opéra ; la musique de jazz ; la musique pop, rock ; la musique hip-hop, rap ; la musique électronique, techno.
Genres de film préférés (deux choix possibles proposés aux enquêtés) (six genres) : les films comiques ; les films d’action ; les films policiers ou d’espionnage, thrillers ; les comédies dramatiques ; les films d’animation, dessins animés ; les films d’auteur.
Genres d’expositions artistiques visitées au cours des 12 derniers mois (deux genres) : a vu une exposition temporaire de peinture ; a vu une exposition temporaire de photographie.
N’ont pas été retenus entre autres dans le champ des 27 domaines ou genres culturels mentionnés ci-dessus : le nombre de livres lus, l’utilisation de l’ordinateur, le temps passé devant la télévision, le visionnage de vidéos, l’écoute de la chanson ou des variétés françaises, l’écoute de musiques du monde ou traditionnelles, l’écoute des variétés internationales ou du RnB, la lecture d’autres romans que des romans policiers ou d’espionnage, la fréquentation des bibliothèques et médiathèques, la fréquentation d’un spectacle de danses folkloriques, la fréquentation du cirque, la fréquentation du music-hall et des variétés, la visite d’un parc scientifique, la visite d’un site archéologique, l’assistance à un son et lumière, la lecture de la presse et des magazines.
Bien qu’il puisse paraître dommage qu’une plus grande diversité de genres n’existe pas dans chaque domaine culturel ou que le contenu même de l’enquête du ministère de la Culture oblige à s’en tenir à des variables de domaine plutôt que de genres, il est déjà intéressant pour la connaissance sociologique et suffisant pour la réflexion théorique menée ici de s’appuyer sur 27 pratiques ou préférences dans des domaines ou des genres culturels suffisamment significatifs de l’éventail du champ culturel dans la France actuelle.

17Dans le champ des 27 genres culturels retenus, le cumul maximal de pratiques est de 20 ; aucun individu ne déclare plus de 20 pratiques sur les 27. Les associations les plus fréquentes sont de trois et de quatre genres et représentent chacune 12 % de la population (voir graphique 1). Si l’on s’intéresse aux « individus culturellement les plus éclectiques » entendus selon un seuil minimum de pratiques, ceux citant six genres et davantage représentent 44,7 % des Français de 15 ans et plus, et ceux citant 10 genres et plus 13,5 %. Les individus qui cumulent 19 et 20 pratiques sur les 27 sont un nombre infinitésimal, 0,06 % et 0,04 % des éclectiques, autant dire qu’ils ne peuvent servir d’appui véritablement solide à l’idée qu’il existerait un éclectisme culturel à la fois étendu et significatif d’un groupe social. Sur les 19 individus (pour 5 004 personnes enquêtées) qui ont entre 17 et 20 pratiques sur les 27, cinq appartiennent aux professions de l’information, des arts et du spectacle, soit des individus intéressés professionnellement à l’actualité culturelle dans sa diversité.

L’éclectisme culturel quantitatif

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L’éclectisme culturel quantitatif

Source : enquête « Pratiques culturelles des Français » 2008, DEPS, ministère de la Culture / Clersé / LCP-CNRS. Champ : 27 genres culturels pratiqués au cours des douze derniers mois ; N = 5004. Lecture : 19,3 % des individus enquêtés ont 9 pratiques et plus.

18Le tableau n°1 confirme, au niveau d’un éclectisme quantitatif, la thèse de Peterson appliquée au champ musical (Peterson et Kern, 1996 ; Peterson, 1997) : l’éclectisme culturel croît avec le niveau d’études et la catégorie socio-professionnelle. Ajoutons qu’il décroît fortement avec l’âge. Il trouve ses plus forts taux chez les catégories jeunes adultes et étudiantes. Le genre n’a qu’une influence assez limitée sur l’éclectisme quantitatif ; les hommes déclarent un peu plus de genres culturels que les femmes.

Tableau 1

L’éclectisme culturel quantitatif selon les variables socio-démographiques

Tableau 1

L’éclectisme culturel quantitatif selon les variables socio-démographiques

Source : enquête « Pratiques culturelles des Français » 2008, DEPS, ministère de la Culture / Clersé / LCP-CNRS. Champ : 27 genres culturels pratiqués au cours des douze derniers mois. N = 5004. En italiques les valeurs dont les effectifs sont inférieurs à 10 et indiquées n.s. celles inférieures à 5. * aucun individu n’a pratiqué plus de 20 genres sur les 27 pratiques retenues

De l’éclectisme quantitatif à l’éclectisme qualitatif

19L’objectif étant de rompre avec toute idée d’indicateur de fréquentation globale et avec l’épistémologie de la substituabilité culturelle et distinctive des pratiques culturelles les unes par les autres, afin de soutenir un modèle de la diversification et de la diversité des éclectismes culturels, ceci au nom d’une hypothèse soutenable de différences qualitatives entre les genres culturels, nous avons effectué une classification hiérarchique de la population des éclectiques, sur la base de notre périmètre des pratiquants de six genres culturels et davantage parmi 27.

20Cette classification des personnes éclectiques a pour objectif de regrouper leur population en un nombre limité de classes, les plus homogènes possible en interne et les plus différenciées entre elles, de façon à renvoyer une part importante de l’hétérogénéité des pratiques de cette population à l’hétérogénéité entre les classes. La qualité de l’analyse se mesure à la « part d’explication » qui est perdue (qui doit être la plus petite possible) quand on passe de la description individuelle des 2 239 individus pratiquants six genres et plus à celle des quelques classes retenues (soit le nombre de ceux pratiquant six genres et plus que nous avons retenus comme « éclectiques »). La coupure de l’arborescence en sept classes est apparue optimum ; 38 % de l’inertie totale étant encore expliquée quand on opère la réduction de la population de ces 2 239 personnes à ces sept classes. Elles peuvent être décrites par le bouquet spécifique des pratiques (mais aussi des « non-pratiques ») qui y sont courantes, c’est-à-dire significativement plus courantes qu’en moyenne. Cette homogénéité et cette hétérogénéité s’entendent ici du seul point de vue des pratiques qu’il s’agit d’analyser : les 27 genres culturels sont donc les seules variables actives de l’analyse. Chaque individu est ainsi décrit par le « vecteur » à 27 dimensions de ses attitudes quant à ces 27 genres. Cela n’empêche pas d’intégrer à l’analyse des variables socio-démographiques illustratives, qui servent à éclairer la nature des classes d’éclectisme obtenues (la procédure met en avant celles qui sont ex-post les plus significativement caractéristiques de la population d’une classe). En procédant ainsi, on se donne la possibilité de faire émerger de la combinatoire des pratiques et non pratiques les archipels de pratiques correspondant aux associations entre elles les plus couramment rencontrées.

21La méthode classificatrice est particulièrement adaptée à une approche de l’éclectisme en termes de tablatures, visant à montrer l’écart entre l’idée d’un « éclectisme global » qui caractériserait désormais certaines catégories sociales et la réalité des portefeuilles de pratiques. Il faut, pour apercevoir cela, d’une part cesser d’extrapoler du profil d’une classe statistique de pratiquants culturels issue d’une classification hiérarchique un gamut de pratiques effectives qui les concernerait tous uniformément, – ainsi, si l’écoute de la musique d’opéra apparaît significative de la classe 7/7 (valeur-test de 6,4), seuls 27 % des membres sont caractérisés par cette écoute ; il y a, on le voit, loin du profil statistique d’une classe par rapport à l’ensemble de la population aux taux de pratiques effectives des membres de cette classe-même. Les éclectismes que dessinent les figures ci-après ne représentent bien entendu pas l’éventail exact des genres pratiqués et absents pour tous les individus de la classe – ni même forcément pour un seul d’entre eux, – mais ce qu’on pourrait appeler le profil culturel moyen des membres de la classe, qui juxtapose les traits les plus probables (et improbables) dans cette classe.

22La classification hiérarchique des éclectismes culturels donne donc à voir des portefeuilles de pratiques culturelles qualitativement diversifiés et non exhaustifs, à savoir des ensembles de pratiques à la fois différenciées et dont aucun ne se caractérise par la couverture de tous les genres. La distribution des genres culturels, dont le tableau 2 donne la moyenne pour chaque classe, ne permet pas de soutenir qu’un ensemble d’individus se caractériseraient par des pratiques, significativement présentes (concernant par exemple au minimum 50 % des membres de la classe), relevant à la fois des genres classiques les plus anciennement légitimes et aussi des genres plus récents issus des cultures populaires, des industries culturelles ou des médias. S’il est dorénavant devenu légitime aux yeux de certains, sociologues de la culture compris, de regarder des séries télévisées, d’écouter de la musique rock, de lire des bandes dessinées ou des romans policiers, ceux qui le font, parmi les forts pratiquants culturels, ne vont guère au théâtre, ne visitent pas beaucoup d’expositions temporaires de photographie, n’écoutent guère de musique classique, d’opéra ou de jazz. Par ailleurs, ceux qui ont visité un musée, écouté de la musique classique et visité un monument historique, pratiques légitimes s’il en est, n’ont ces nouvelles pratiques légitimes qu’en faible proportion, à savoir de regarder des séries télévisées (24 % déclarent en avoir regardées), d’écouter de la musique rock, de lire des bandes dessinées ou des romans policiers.

Tableau 2

Nombre moyen de genres par classe

Tableau 2

Nombre moyen de genres par classe

Source : enquête « Pratiques culturelles des Français » 2008, DEPS, ministère de la Culture / Clersé / LCP-CNRS. Champ : 6 genres culturels pratiqués au cours des douze derniers mois sur 27. N = 2239

23Il faut, d’autre part, faire apparaître à côté des pratiques significatives, dans la logique défendue par le modèle de la tablature, le champ du manque culturel, à savoir les taux d’absence de pratiques cultu r elles des individus, forts pratiquants dans certains domaines, de chaque classe. C’est pourquoi nous avons retenu dans les tableaux 3 à 9 à la fois les valeur-tests des modalités des pratiques retenues des personnes éclectiques (i.e. forts pratiquants culturels de six pratiques ou davantage sur 27) et les pourcentages des modalités dans la classe (i.e. pourcentages de pratiquants dans la classe) mais aussi des données similaires concernant les « non pratiques » aux plus fortes valeurs-test, c’est-à-dire désignant un écart à la pratique moyenne particulièrement significatif mais ici vers le bas. De façon à rendre la lecture des tableaux ci-dessous plus aisée nous avons simplifié les intitulés des genres. L’encadré ci-dessus permet de se reporter à l’exacte modalité de chaque genre culturel.

Diversité des éclectismes et manque culturel

24Au regard de l’ancienneté des genres culturels, deux types d’éclectisme apparaissent en première approche : le groupe formé des trois premières classes se caractérise par la forte présence des genres culturels récents, tandis que celui constitué des classes 4 à 7 l’est par la prééminence de genres culturels anciens. Cette seule bipartition pourrait permettre de soutenir la pertinence et la persistance de la légitimité culturelle. La diversité des classes culturelles 4, 5, 6 et 7, anciennes et classiques, indique que ce n’est justement pas le cas. Les éclectismes de goûts, contemporains ou anciens, apparaissent à la fois différenciés et circonscrits [5].

Tableaux 3 à 9 : classes d’éclectismes culturels (six genres et plus) et champ du manque culturel

tableau im4
Lecture : 68 % des membres de la classe 1 déclarent écouter le plus souvent de la musique rap et hip-hop ; ils sont 86 % à n’avoir pas visité d’exposition de peinture au cours des 12 derniers mois. Ainsi pratiques comme absences de pratique définissent-elles le profil d’éclectisme d’une classe. Source : enquête « Pratiques culturelles des Français » 2008, DEPS, ministère de la Culture / Clersé / LCP-CNRS. Champ : 6 genres culturels pratiqués au cours des douze derniers mois sur 27. N = 2239 ; Deux choix étaient possibles pour les films préférés.

Tableaux 3 à 9 : classes d’éclectismes culturels (six genres et plus) et champ du manque culturel

tableau im5
tableau im6

25L’éclectisme de la classe 1 (19 %) est défini par la musique rap, les jeux vidéo, la musique électronique, les films d’action et comiques. Ses membres ne fréquentent qu’en infime proportion les équipements culturels et les genres les plus classiques, expositions, musée, théâtre, musique classique. La classe 2 (17 %) se caractérise par la pratique des genres du roman et du film policiers, des films d’action et des séries télévisées. À l’instar de la classe 1, une distance importante aux pratiques de genres anciens et classiques est très partagée par les membres de cette classe. Tandis que la classe 1 se caractérise fortement par la présence des catégories (surtout masculines) jeunes et très jeunes, et des lycéens et étudiants, et secondairement par les faibles diplômes et l’appartenance ouvrière, la classe 2 apparaît, certes plutôt populaire elle aussi (« ouvriers », « employés » et « CAPBEP » sont significativement sur-représentés), mais centrée sur des catégories plus âgées (les hommes de 35 à 49 ans sont par exemple deux fois plus nombreux ici qu’en moyenne).

26La classe 3, plus petite classe d’éclectisme (7 %), est marquée par la pratique de plusieurs genres contemporains mais d’abord des « animés » (films d’animation [6]), et secondairement du manga, des jeux vidéo et des bandes dessinées. Ce sont des jeunes adultes femmes qui sont au centre de cette classe, plus neutre socialement que les précédentes car peu marquée par des sur-représentations liées à la profession ou au diplôme.

27La classe 4 (9 %), qui peut apparaître grâce au goût prononcé pour le rock comme une classe de la nouvelle légitimité, se caractérise, malgré la très forte place accordée à la littérature classique, par son absence de pratiques de certains genres les plus traditionnellement légitimes, l’opéra en tête (98 % de non-pratiquants dans la classe), et ses faibles taux de pratiques comme la sortie au cinéma, tout autant que par la faible présence de la bande dessinée, de la musique rap et électronique, des films d’action, « animés » et comiques. On le voit, en aucun cas cette classe, qui peut apparaître moderne par plusieurs traits, ne se définit par un éventail de pratiques couvrant l’ensemble des genres les plus légitimes, non plus que l’ensemble des genres populaires que ses membres valorisent pourtant pour certains d’entre eux. C’est d’abord une classe à forte coloration féminine (sept femmes pour trois hommes), qui associe des goûts culturels moins courants chez les hommes, comme les comédies dramatiques, la littérature classique, les films d’auteur. Les diplômés du supérieur et les âges intermédiaires y sont aussi plus présents qu’en moyenne, – les VT des variables illustratives désignant en fait une enseignante, plutôt littéraire et d’âge moyen, comme le cœur de cette classe.

28La classe 5, la plus importante numériquement (21 %), vient s’ajouter à la liste des éclectismes classiques par la place significative des pratiques des Monuments historiques, du musée, des expositions de peinture, des films comiques, du théâtre et des expositions de photographies. Mais les genres culturels de l’opéra, de la musique classique, des comédies et drames, de la musique de jazz et des animés y sont nettement plus rares qu’en moyenne. Peu typée par son profil socio-économique ou par l’âge (tout au plus les personnes de niveau baccalauréat y sont-elles un peu plus nombreuses et les ouvriers et sans diplômes un peu moins), elle semble en fait rapprocher tous ceux pour qui les pratiques culturelles sont avant tout faites de sorties et d’événements.

29La classe 6 (14 %) définie par des goûts et par des taux élevés des pratiques légitimes s’il en est que sont la musique d’opéra, la musique classique et le jazz, la lecture d’essais et la visite d’exposition de peinture, se caractérise par ses taux encore plus élevés, dépassant parfois les 90 %, d’absence de pratiques des films d’auteur, du théâtre, du cinéma, de la lecture de bandes dessinées, de la musique rock, électronique et rap, mais aussi des jeux vidéo, des films animés et des comédies. Autrement dit, cette classe de pratiquants hautement portés sur des genres traditionnellement légitimes se caractérise par l’absence de pratique des genres nouvellement légitimes et ainsi par un éclectisme de goûts qui apparaît là encore circonscrit. Classe de personnes âgées et retraitées (plutôt anciens cadres ou employés qu’ouvriers), unies avant tout par la fidélité aux genres musicaux classiques et sortant peu, la classe 6 n’est pas très significativement marquée par le niveau de diplômes. La force de l’âge prime ici sur celle du statut social ou culturel.

30La classe 7 (13 %) se caractérise par le cumul d’un certain nombre de pratiques classiques, allant des films d’auteur aux monuments historiques en passant par la musique jazz, la littérature classique et les visites muséales, mais ses membres excluent massivement de leur goût la musique rock, les séries télévisées, les jeux vidéo, les films d’action, comiques et policiers. Cette classe ne représente donc guère plus que les précédentes un éclectisme exhaustif sur l’ensemble des genres culturels, notamment contemporains et valorisés par d’autres éclectiques. C’est en fait la classe des personnes cultivées d’âge mûr, cadres encore actifs particulièrement, qui multiplient les sorties culturelles, mais qui contrairement au public plus neutre socialement de la classe 5, associent ces sorties à la lecture et à l’écoute de musique (mais pas des genres contemporains). Là encore, le modèle cultivé classique très parisien – l’appartenance à cette zone géographique étant presque deux fois plus élevée ici qu’en moyenne – ne peut se caractériser par un éclectisme étendu qui inclurait les genres contemporains.

Un modèle de la diversification

31Notre hypothèse de départ consistait à tenir pour inadéquate une lecture de la structuration des pratiques culturelles éclectiques en termes de nouvelle distinction. La configuration actuelle des pratiques culturelles des pratiquants éclectiques, et en leur sein des catégories supérieures, se caractérise moins comme un modèle unifié de pratiques et de légitimités que comme une diversité d’éclectismes culturels [7]. La classification hiérarchique menée sur un champ de genres culturels élargi, classiques et contemporains, permet une description des éclectismes culturels qui ne débouche pas sur l’image d’une forme extensive de la pratique culturelle d’un groupe social. Ainsi l’extension de la fréquentation des catégories supérieures sur un nombre croissant de pratiques culturelles, y compris sur les genres populaires (Donnat, 2009, p. 170), ne peut-elle plus s’accompagner d’une représentation globale et homogène du fort pratiquant et doit tenir compte de deux modifications : d’une part, d’une différenciation et d’une limitation des univers de pratiques des individus diplômés ; il y a plusieurs sortes de forts pratiquants culturels, qui ont des portefeuilles de goûts non-exhaustifs qui se recoupent sans se confondre en un unique goût et, a fortiori, une pratique dominante ; ils forment autant d’archipels de goûts qu’il y a d’univers de pratiques culturelles significatifs (dit autrement, il y a plusieurs sortes d’éclectismes culturels) ; d’autre part, d’un divorce entre la reconnaissance culturelle, acquise par un nombre exponentiel de genres anciennement illégitimes, et la légitimité sociale donnée par la position sociale des pratiquants. Ce divorce tient à l’introduction de la reconnaissance culturelle des genres populaires qui ajoute ou oppose sa force à la légitimité sociale. La hiérarchie esthétique ou culturelle, celle des experts d’un domaine culturel, – ici la reconnaissance culturelle des genres populaires –, ne correspond pas systématiquement à la hiérarchie sociale des préférences, homologue dans le cas de certains genres et distincte dans d’autres (Glevarec, 2013).

Les effets de la reconnaissance culturelle des genres populaires

32La diversification du champ de la culture depuis l’après-guerre et sa partition en de multiples espaces de production, de création et d’expertise (Hesmondhalgh, 2002) d’une part et la reconnaissance culturelle des genres d’autre part rendent problématiques la hiérarchisation des genres culturels les uns par rapport aux autres [8]. Ayant acquis de la consistance historique et esthétique, le genre culturel est devenu central dans la structuration des pratiques culturelles. Bien plus qu’entre, c’est désormais à l’intérieur des genres que les hiérarchies se formulent, non plus entre la littérature classique et le roman noir, non plus entre le jazz et le rock mais au sein du jazz et au sein du rock que les individus formulent des jugements de valeur. Il y a une incommensurabilité des genres et une hiérarchie culturelle qui s’effectue au sein même des genres entre le « bon » et le « mauvais ». Il faut pour cela insister sur l’usage esthétique des genres [9], genres conventionnels qui excèdent les seules véritables différences de nature technique que des spécialistes d’art pourraient au contraire déceler entre et à l’intérieur des différents domaines artistiques [10]. Dit autrement, l’argument premier et décisif est ici le genre culturel et le fait que les genres culturels produisent des œuvres, au sens d’œuvres de qualité, aux yeux des membres du champ culturel et des amateurs. Tous les genres culturels (rock, rap, musique électronique, jazz, manga, séries télévisées, films d’action, comédies, films d’auteur, théâtre classique, théâtre contemporain, bande dessinée française, comics, opéra, etc.) produisent des œuvres de qualité (culturellement légitimes si l’on tient au point de vue constructiviste et relativiste).

33Kim Schrøder écrit que « dans une démocratie, tous les goûts sont légitimes ; tous méritent d’être pris en compte par une politique culturelle de diversité » (Schrøder, 1992, p. 107). Le sociologue acquis au modèle de Pierre Bourdieu verra dans la première partie de la phrase une naïveté, du moins affirmera que certains goûts sont plus légitimes que d’autres, sollicitant la définition même de la légitimité culturelle comme effet de la légitimité sociale. K. Schrøder indique, lui, que les goûts sont tous légitimes puisqu’ils ont tous le droit égal d’exister dans les régimes politiques qui sont les nôtres. La culture a acquis en effet au cours de la seconde moitié du xxe siècle la forme d’une « institution du sens », espace commun de références qui représente un « usage impersonnel [des signes] qui fait loi […] parce que nul n’est censé ignorer la loi » selon la formule du philosophe Vincent Descombes (Descombes, 1996, p. 79). Cette institution du sens n’est pas la légitimité sociale des biens culturels mais leur reconnaissance culturelle. Celle-ci peut s’énoncer sous la forme : « si je juge des autres cultures (i.e. des autres genres culturels), je m’abstiens d’universaliser ce jugement ». Si je dis : « je trouve le jazz nul ou je n’aime pas le jazz, etc. », je m’abstiens de dire : « le jazz est nul, le jazz est mauvais, etc. » [11]. L’institution du sens est ici celle du « régime de justice culturelle » caractérisant les sociétés occidentales multiculturelles (Taylor, 1994). Il est alors intelligible, comme le démontre Shyon Baumann, que les processus contemporains de légitimation artistique soient comparables aux effets des mouvements sociaux (Baumann, 2007) en tant qu’ils sont des mobilisations collectives visant la reconnaissance sociale et l’existence culturelle (Snow, et al., 1986 ; Dubet et Martuccelli, 1998). Les sociologues sous-estiment la reconnaissance culturelle, pour laquelle toute sociologie de l’arbitraire de la légitimité est pourtant le meilleur vecteur (Bourdieu et Passeron, 1970), et surestiment la reconnaissance sociale par la position des pratiquants.

34Dans le modèle de P. Bourdieu, la légitimité culturelle d’un bien symbolique est une légitimité hétéronome, attendu que sa distribution est dépendante et relative à la qualité sociale de ses pratiquants, arrimée à une analyse du rendement social des pratiques. La théorie bourdieusienne des légitimités culturelles ne peut donc se soutenir que de la légitimité sociale tandis qu’un principe de légitimité culturelle autonome contrecarre celle-ci, principe que désigne avec moins d’ambiguïtés la notion de reconnaissance culturelle. Si les goûts n’ont pas tous la même légitimité sociale, ils ont dorénavant tous la même légitimité culturelle au sens de cette reconnaissance. Les sociologues acquis à la théorie de l’arbitraire de toute domination culturelle (des cultures classiques sur les cultures populaires) ne peuvent défendre le contraire. Que « tous les goûts soient légitimes » signale la disparition de l’absolutisme en matière culturelle. Il convient par conséquent de dénouer légitimité sociale et légitimité culturelle (au sens de reconnaissance culturelle) pour rendre compte de l’indépendance de la valeur culturelle d’un genre par rapport à sa valeur sociale : un genre culturel peut avoir une reconnaissance culturelle sans être pratiqué par les catégories supérieures, même de façon minimale. L’enjeu est alors de prendre la mesure de l’effet de la reconnaissance culturelle sur la légitimité sociale. Vivre dans les sociétés occidentales contemporaines, c’est-à-dire être soumis à un régime de justice culturelle (Taylor, 1994 ; Wieviorka, 1996 ; Saez, 2005) ou s’y reconnaître positivement, a des incidences sur le rapport des individus aux biens culturels, notamment sur ceux de ces biens qu’ils ne pratiquent pas ou ne connaissent pas. Sur ce point les catégories diplômées ne sont-elles pas, plus encore que d’autres, eu égard à leur niveau d’études, censées ne pas ignorer cette « institution du sens » qu’est devenu le respect dû aux différentes cultures (i.e. aux différents arts) ? C’est pourquoi dans le modèle que nous défendrons, la légitimité acquiert une autonomie qui se rapporte à la hiérarchie interne que les experts, amateurs ordinaires ou spécialistes d’un genre, établissent entre les œuvres.

Le manque culturel des catégories diplômées

35La pratique culturelle des catégories supérieures doit être dorénavant pensée comme restreinte et variable d’un sous-groupe à un autre : restreinte veut dire qu’aucun membre des catégories supérieures ne maîtrise et a fortiori ne pratique l’ensemble des genres culturels, de la danse contemporaine à la musique électronique en passant par le manga et l’opéra, sans oublier le théâtre, la littérature blanche et les séries télévisées [12]. Il s’avère aussi qu’aucune catégorie supérieure, y compris les professions intellectuelles, ne maîtrise non plus l’ensemble des savoirs produits, dans le champ de la linguistique, de l’histoire, de la sociologie, de la physique, de la psychanalyse ou encore de la philosophie analytique. Le temps semble venu de faire place au manque culturel dans le rapport desdits dominants au monde culturel et intellectuel. Variable signifie que la pratique culturelle correspond à des archipels de goûts aussi divers qu’il est pertinent sociologiquement (et statistiquement) de faire apparaître des univers de préférences au sein même des catégories supérieures ou des catégories diplômées. Il ne s’agit donc pas de faire l’hypothèse ou le constat de profils d’individus culturellement « consonants » ou « dissonants » selon la légitimité, comme le fait Bernard Lahire, parce qu’il n’y a pas une échelle de légitimité par domaine culturel, comme il l’établit, échelle bancale du fait de ses « genres inclassables » et de l’attribution contestable de la légitimité des genres moyens (2004b, pp. 105-109). Dit autrement, les individus sont par définition a priori consonants sous l’angle de leurs pratiques culturelles et non de leur « légitimo-pratiques », tout autre construction devant se défendre de l’artefact méthodologique (notamment de construire des profils de pratiques à partir non pas de pratiques mais de légitimités de pratiques) [13].

36Dans le modèle de La Distinction un dominant culturel ne manque de rien. Non pas seulement parce qu’il couvrirait l’entièreté du champ des pratiques culturelles utiles à sa domination, mais parce qu’il a la capacité de redéfinir le domaine du légitime lui-même en toutes circonstances. La situation n’existe en effet pas en tant que déterminant propre des interactions, elle est le produit des habitus en présence. Le dominant domine de façon exhaustive et sûre. Or, il n’y a plus dans le champ des biens culturels un marché unifié des valeurs culturelles. Ainsi le champ musical couvert par un (dominant) amateur de Debussy, Bartok, Jolivet ou Xenakis ne témoigne-t-il, dans les sociétés culturelles diversifiées, que d’une mélomanie circonscrite, laissant dans l’ombre l’immensité des œuvres non-classiques et des plaisirs tout aussi inouïs qu’elles procurent à tous les passionnés déclarés (c’est plus généralement le cas à propos de tout individu qui dorénavant limiterait ses pratiques aux genres culturels classiques se privant des plaisirs des genres dits « populaires »). Les enquêtes auprès des amateurs qui ont rencontré les musiques rock produites dans les années 1960 restituent les rencontres inouïes qu’elles constituèrent pour eux (Bennett, 2006).

Jugement de tolérance, critique amateur et régime de consommation

37Depuis les années 1960, les sociétés occidentales sont caractérisées par la montée d’un « régime contemporain de justice culturelle » qui ne permet plus de légitimer des différences de valeurs absolues entre cultures, – et que le référentiel de la « diversité culturelle » incarne dans le champ des politiques publiques (Bonet et Négrier, 2008 [14]) –, et, plus largement, par une tolérance aux goûts des autres, comme en témoigne la progression du « principe de tolérance » en France où le niveau de diplôme joue positivement (Bréchon et Galland, 2010).

38Il convient de déplacer l’interprétation du jugement critique des individus en matière de culture depuis le régime de la distinction et la structure positionnelle à une interprétation dans le régime de l’amateurisme et des identités plurielles (Hennion et Maisonneuve, 2001 ; Hills, 2002 ; Hennion, 2004 ; 2006 ; 2009). Le jugement critique de l’amateur n’est pas qu’un jugement social déguisé, il est un jugement de connaisseur dans un genre où la critique est constitutive d’un goût positif, accompagné d’une ignorance sur d’autres genres.

39De même que le jugement critique n’est pas tout dans la fonction de distinction, les pratiques culturelles des catégories diplômées ne sont pas toutes dans l’ascétisme. Des changements ont affecté l’économie de la jouissance de la consommation culturelle. La part prise par un régime de valeur du plaisir contre le régime ascétique de la pratique culturelle différée (« satisfactions différées qui sont promises à leur sacrifice présent », écrit P. Bourdieu, 1979, p. 236) [15] est incontestable chez les individus appartenant aux jeunes générations d’adultes, notamment les catégories diplômées urbaines, marquées par la tolérance, le plaisir et le non-conformisme. Un nouveau régime de valeur, positivement décrit, articulé au marché et à la consommation a pris place à côté du mode ascétique de pratique culturelle que décrit Bourdieu dans La Distinction. Ce régime de la consommation est une façon de désigner l’impact d’une culture matérielle et d’une culture populaire à l’esthétique propre, telle que Simon Frith peut le formuler à travers l’idée d’esthétique populaire [16]. Comme on le voit à propos de la consommation des séries télévisées par les catégories supérieures, il devrait s’imposer à toute sociologie de la culture actuelle (Glevarec, 2012). Plus généralement, on peut faire l’hypothèse que c’est un relâchement du régime de valeur ascétique attaché à la pratique culturelle des catégories supérieures en France qui explique à la fois la place faite à d’autres formes de consommation et la place prise par des goûts dorénavant moins rejetés qu’auparavant. Ce modèle prend acte de la valeur de la reconnaissance des genres culturels et du « desserrement de l’ordre culturel » qui attachait hiérarchies sociales et hiérarchies culturelles (Grossetti, 2004).

La montée des variables secondaires et la sociologie des univers culturels

40La sociologie des « univers culturels » telle qu’elle est menée depuis les années 1990 représentait, par sa visée descriptive, un pas de côté par rapport au modèle d’analyse des goûts par les rapports sociaux et/ou par les rapports entre goûts (Donnat, 1994 ; Octobre, 2004), c’est-à-dire par le structuralisme réel (matériel et culturel). La restitution des données d’enquête de 2008 par Olivier Donnat (2009) signale plus encore, par ses commentaires et le choix des variables, l’introduction de nombreuses variables secondaires telles que l’âge, le genre ou la génération culturelle dans sa restitution tabulaire des configurations de pratiques dans la France contemporaine où l’ordinateur et internet ont pris une place décisive (Donnat, 2009, p. 103 ; p. 95) [17].

41L’homologie du goût et de la structure positionnelle est remise en question par la montée des variables secondaires (âge, genre, ethnicité…), au profit de ce qui peut être qualifié de tournant culturel. De même que les catégories supérieures sont hétérogènes dans leur goût, l’âge est une variable que nombre d’analyses sociologiques ont mis au premier plan (Gayo-Cal, et al., 2006 ; Bennett, et al., 2009). Plus récemment, la variable de la « génération culturelle » est venue ajouter sa valeur à la faveur des comparaisons historiques (BIPE/DEPS, 2007) O. Donnat parle de

42

La force de la dynamique générationnelle aujourd’hui à l’œuvre : dans le domaine musical, les habitudes et – les goûts forgés au cours – de la-jeunesse perdurent souvent à l’âge adulte. Il suffit de regarder les résultats sur les genres de musique préférés pour s’en convaincre. Les musiques étiquetées comme jeunes comptent de plus en plus d’amateurs parmi les adultes : ainsi près d’un tiers des 35-44 ans et une personne sur cinq dans la tranche d’âge 45-54 ans déclarent comme genre préféré une des formes musicales-suivantes : rock, pop, variétés internationales, R’n’B, métal, rap, hip-hop, musiques électroniques ou techno [18].
(Donnat, 2009, pp. 122-123)

43Ce faisant, elles remettent en question toute théorie explicative des pratiques culturelles par la position sociale comme variable première (la notion de « position sociale » suppose une et une seule structure sociale, à la façon d’une position sur une carte). Il faut dorénavant des « conditions culturelles » pour rendre compte des goûts dont l’existence est tout historique. De même que le « grand public » des productions culturelles est, à l’exception de quelques événements cérémoniels (Dayan et Katz, 1996), de plus en plus difficilement trouvable (Ang, 1991), ce sont dorénavant des variables d’âge, de génération culturelle, de genre qui rendent compte de la structuration des publics de la culture comme les données de l’enquête datant de 2008 en témoignent. C’est ce que l’on peut désigner de critique de l’homologie sociale et dont la statistique serait l’outil probatoire (Chan et Goldthorpe, 2007).

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Ces effets [de la régression statistique sur les pratiques culturelles classiques en Italie, Israël, Allemagne de l’ouest, Suède et Etats-Unis] ne suivent pas toujours le modèle attendu où les catégories supérieures sont associées avec la culture distinguée et les catégories inférieures non. Deuxièmement, la différenciation culturelle se distribue selon des lignes de genre, d’origine ethnique et d’affiliation religieuse ».
(Katz-Gerro, 2002, p. 220)

45On le voit, l’homologie de la structure totalisante des positions sociales et de la structure totalisante des biens culturels est transformée par les variables secondaires (génération, âge, genre, …), parfois nommées « rapports sociaux » (de genre par exemple). C’est de même l’homologie de la structure totalisante de la légitimité culturelle à la structure des positions sociales qui ne sied plus eu égard à l’autonomisation de la reconnaissance culturelle des genres artistiques.

46L’omnivorisme des individus peut être analysé par l’offre ou par la morphologie de leurs liens sociaux. Dans le premier cas, il renvoie à l’extension des biens culturels depuis l’après-guerre et à la multiplication des « médiations » proposées par les industries culturelles ; dans le second cas, les « sociabilités [nouvelles] sont des facteurs actifs dans la composition des éclectismes culturels » (Bergé et Granjon, 2007, p. 198). Ainsi, la « mobilité culturelle » des individus diplômés est-elle un facteur favorisant l’éclectisme culturel (Emmison, 2003).

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Ils [les travaux sur les réseaux sociaux] étendent ainsi la perspective vers les expériences socialisatrices secondaires ou alternatives que le modèle bourdieusien, focalisé sur les transmissions familiales et scolaires, tend à négliger.
(Bergé et Granjon, 2007, p. 196)

48De même, la posture des cultural studies, par l’attention portée aux modalités de réception et leur modèle interprétatif, s’écarte de la posture de l’homologie structurale en insistant sur les publics, les dimensions réflexives et la place des œuvres culturelles dans la structuration de leur expérience (Turner, 1990 ; Dayan, 1993 ; Abercrombie et Longhurst, 1998 ; Mignon, 2002 ; Glevarec, et al., 2008).

49La démonstration ici menée se tient dans les limites de la méthodologie, qui est quantitative et porte sur des pratiques. Les réflexions sont dépendantes de la disponibilité des biens culturels, restreignant une approche qui devrait viser idéalement les goûts. Interpréter plus avant ce qui donnerait sens, voire unité aux différentes pratiques au sein d’une classe nécessiterait une enquête qualitative. C’est pourquoi, il convient de faire appel à des enquêtes sociologiques qui, changeant d’épistémê, prennent en compte la qualité des pratiques et des éclectismes autant que leur comptage selon l’ordre classique.

Conclusion

50La sociologie de la diversité culturelle ici soutenue permet « d’oublier les catégories de culture cultivée, culture moyenne et culture populaire », comme le préconise O. Donnat (Donnat, 2004, p. 102), et propose un renouveau du modèle de la distinction comme synthèse du goût et social et dominant. Dans le monde contemporain les sociologues sont-ils justes quand ils décrivent les goûts et les pratiques culturelles de la grande majorité des individus par les logiques de distinction plutôt que par des logiques d’existence ? La distinction appartient à une société d’aristocrates, l’existence à une société d’individus (Martuccelli, 2011). Recourir encore à la distinction n’est-ce pas se tromper d’objet sociologique, en prenant la partie (les aristocrates et les plus âgés des Français) pour le tout (l’immense majorité des individus qui ne sont pas pris dans des logiques de distinction mais bien plus dans des logiques d’expression et de singularisation dont tous les travaux sur les pratiques médiatiques et internet témoignent à foison) [19]. Quel est le poids du jugement de distinction dans l’analyse des attitudes culturelles face au jugement de singularité ? Dit autrement, ne convient-il pas de passer de la Distinction à la petite distinction, qui est une différenciation culturelle, là où la première est une domination ?

51Défendre une interprétation sociologique des pratiques culturelles en termes de diversité culturelle rompt à la fois avec l’absolutisme de la distinction et le holisme de la légitimité culturelle, mais aussi avec la signification distinctive des pratiques culturelles au profit d’une sociologie de la diversité culturelle, c’est-à-dire de la différence, de la valeur artistique des biens culturels et de la signification identitaire des pratiques culturelles. Elle retrouve alors le premier modèle de Bourdieu, celui de L’Amour de l’art (1969), en termes de compétence spécifique nécessaire à l’exercice d’une pratique et à l’élaboration d’un goût (Hennion, 2009), mais dans le sens de l’amateurisme et de la diversité des pratiques et des goûts. Elle appelle une enquête sur les goûts qui rende justice à leur diversité et permette de passer de l’épistémê de la fréquentation inégalitaire des enquêtes de pratiques à une épistémê de la diversité culturelle des goûts et des identités, d’amateurs ou non.

Tableau 10

Répartition par classes d’éclectismes des variables socio-démographiques

Tableau 10

Répartition par classes d’éclectismes des variables socio-démographiques

Source : enquête « Pratiques culturelles des Français » 2008, DEPS, ministère de la Culture / Clersé / LCP-CNRS. Champ : 6 genres culturels pratiqués au cours des douze derniers mois sur 27. N = 2239. En italiques les valeurs dont les effectifs sont inférieurs à 10 et indiquées n.s. celles inférieures à 5.

Notes

  • [1]
    Parmi les cadres et professions intellectuelles supérieures, 3 % déclarent comme genre de musique préféré la musique d’opéra ; 4 % écoutent essentiellement la radio pour la musique classique ; 9 % écoutent le plus souvent de la musique d’opéra, rappelle B. Lahire (2004, p. 137).
  • [2]
    Afin de rompre avec l’implicite théorique du « dégoût » comme dégoût social, il convient de mettre en avant la valeur d’inappétence comme absence de goût.
  • [3]
    En effet, là où un éclectisme quantitatif ou « générique » restitue trois goûts, quels qu’ils soient, par exemple ABC, BCD ou EFG, sous la même description d’un éclectisme à trois préférences que l’on peut additionner, l’éclectisme qualitatif distingue ces trois combinaisons comme trois associations différentes.
  • [4]
    Soit la forme prise par une connaissance savante à une période donnée et dans une communauté donnée (Foucault, 1990).
  • [5]
    Afin de ne pas alourdir la lecture des classes d’éclectismes, nous n’avons pas retenu les variables socio-démographiques présentes à titre illustratif et qui permettent de qualifier le profil sociologique de chacune d’elles. Nous renvoyons au tableau n°10 de répartition par classes d’éclectismes des variables socio-démographiques en annexe.
  • [6]
    Il y a, et c’est plutôt rare dans cette classification, une quasi coïncidence autour de ce genre (pratiqué globalement par 7 % de l’échantillon) entre une pratique et une classe, puisque 98 % de ceux qui disent regarder des « animés » sont dans cette classe et que 96 % des membres de cette classe regardent des « animés ». Cette pratique (en elle-même et par celles qui lui sont souvent associées) est donc très « typante » pour ses pratiquants.
  • [7]
    La tendance à nier les pratiques non-élitistes des catégories supérieures – par exemple le fait qu’elles aient regardé massivement les films Titanic, Les Visiteurs et Les Bronzés – peut trouver sa manifestation symptomatique dans le recours à la notion d’œuvres « omnibus » (Duval, 2011, p. 9). En appeler à l’œuvre « omnibus » pour expliquer qu’un bien culturel est consommé par différentes
    catégories sociales c’est, d’une manière ou d’une autre, nier qu’elle est consommée – réellement – par ces catégories. C’est renoncer à en tirer les conséquences théoriques en scotomisant du champ l’apparition de la pratique. En terme théorique, la notion « d’omnibus » est un interprétant ad hoc qui permet de conserver le modèle homologique, en le supposant quoi qu’il advienne, alors qu’elle signale l’incapacité d’interpréter une pratique dans le modèle de l’homologie.
  • [8]
    L’État français, en finançant maintenant non seulement les productions culturelles autrefois qualifiées d’élitistes (grands musées nationaux, opéras, etc.) mais aussi les productions culturelles populaires (festivals du film, etc.), reconnaît ainsi la légitimité des divers types de productions culturelles (Herpin et Verger, 2000, p. 32).
  • [9]
    Il rend caduque la distribution, elle-même légitimiste, de l’analyse esthétique des genres classiques et sociale des genres populaires, comme l’a montré Antoine Hennion (Hennion, 1998).
  • [10]
    Nous laissons de côté la question de savoir si un genre artistique est fondé sur une ontologie ainsi que celle de la dimension matérielle et/ou esthétique d’une œuvre d’art (Pouivet, 2008, p. 24).
  • [11]
    La reconnaissance culturelle des individus porte sur la catégorie du genre et laisse la critique et la hiérarchisation s’appliquer aux individualités artistiques et aux œuvres. C’est évidemment un point-clé à soutenir sans quoi la reconnaissance culturelle exclut toute possibilité de jugement critique ; on passerait d’un principe de « jugement social » appuyé sur l’universalité de la légitimité culturelle et de la hiérarchie culturelle des œuvres, celui soutenu par Bourdieu, à un principe de jugement culturel appuyé sur l’universalité de la valeur culturelle de toute œuvre.
  • [12]
    Il est fréquent de rencontrer des universitaires qui, sans aller jusqu’à remettre en cause la pertinence descriptive de La Distinction pour les années 1960, considèrent que sa valeur historique s’arrête à la description de la légitimité culturelle – effective alors – mais que l’analyse échoue à rendre compte des pratiques populaires, « illégitimes », existantes malgré tout, non dites dans l’espace public, des catégories diplômées ou supérieures d’alors. En résumé, ils croient au légitimisme de l’époque décrite par P. Bourdieu mais pas à la nouveauté de l’éclectisme contemporain (déjà présent à l’époque, mais non restitué par P. Bourdieu).
  • [13]
    Pour une critique de ce modèle, nous renvoyons à Glevarec (2005).
  • [14]
    Dans l’ordre normatif, le référentiel de la diversité culturelle est devenu le meilleur, sinon le plus légitime point d’appui pour défendre des genres minoritaires dans l’espace médiatique, comme l’est la musique classique par exemple ; bien davantage que l’argument de la supériorité esthétique de ce genre.
  • [15]
    « […] la forme la plus ascétique de la disposition esthétique et les pratiques les plus légitimes culturellement et les moins coûteuses économiquement […] ont toutes les chances de se rencontrer avec une fréquence particulière dans les fractions les plus riches (relativement) en capital culturel et les plus pauvres (relativement) en capital économique » (Bourdieu, 1979, p. 301)
  • [16]
    « La question de l’esthétique de la musique n’a plus rien à voir avec ce qu’il convient de faire avec la musique “inférieure” – celle-ci a adopté à son bénéfice les règles de l’esthétique élitaire de manière pleinement satisfaisante, écrit S. Frith. La question est de savoir que faire avec l’esthétique “inférieure”, avec cette façon de réagir à la musique qui prend en compte la réalité de son écoute quotidienne, de son omniprésence, de sa technologie, de son flux et de sa temporalité. Compte tenu de l’évolution des conditions de l’écoute musicale, cette esthétique s’applique désormais également à la musique “élitaire” » (Frith, 2008, p. 71).
  • [17]
    Le diagramme en secteurs (« camembert ») des cinq « rapports à la culture et aux médias » des Français en 2008 proposé par O. Donnat n’implique par exemple aucun modèle de structuration des différents univers de pratiques. Il est neutre. Voir Donnat, 2009, p. 219.
  • [18]
    Il ajoute : « Une telle lecture valide l’idée selon laquelle les préférences musicales évoluent relativement peu avec l’avancée en âge. Au cours de la dernière décennie en effet, le rock, tout en parvenant à conquérir de nouveaux amateurs dans la jeune génération, celle des 15-24 ans, a conservé la plupart de ceux qui avaient déjà atteint l’âge adulte lors de la précédente enquête : ainsi les 45-54 ans de 2008 sont-ils presque aussi nombreux que les 25-44 ans de 1997 à le déclarer comme genre musical préféré. Il en est de même pour la musique classique : chaque génération a gardé à peu près la même proportion d’amateurs mais à un niveau inférieur de la précédente, ce qui se traduit par une réduction de leur importance quantitative dans la population française et une augmentation de leur âge moyen. »
  • [19]
    C’est pourquoi on est en droit d’attendre des auteurs qui utilisent les notions « d’identité virtuelle », « narrative » ou « agissante » à propos des expressions de soi des individus sur internet, qu’ils indiquent le statut sociologique de ces identités (Cardon, 2008, p. 105). Si ces identités culturelles n’ont aucune conséquence sur la théorie qui privilégie l’identité sociale ou « civile » – si ce qui est dit n’est pas assumé théoriquement – c’est donc qu’implicitement ces identités sont compensatoires, vides, narcissiques, qu’elles n’ont ni véritable valeur sociale ni conséquence théorique.
Français

Depuis les années 1960, le développement du champ culturel et les changements de la signification des pratiques culturelles ont affaibli la légitimité culturelle de la haute culture et produit un éclectisme culturel, notamment des catégories diplômées, en direction des genres contemporains. Dans le prolongement d’une modélisation dite de la « tablature », cet article se propose de mettre à l’épreuve le lien ainsi tissé entre catégories diplômées ou supérieures – les plus éclectiques – et champ des pratiques couvertes. Il s’appuie sur une exploitation raisonnée de l’enquête Pratiques culturelles des Français de 2008 en recourant à une classification hiérarchique portant sur la population des personnes éclectiques sur le plan culturel. L’analyse statistique montre la diversité qualitative des formes d’éclectismes. Ainsi permet-elle d’engager une discussion sur les liens entre structure positionnelle et portefeuille de goûts et entre légitimité sociale et légitimité culturelle. Nous prônons un changement de modèle, de la distinction à la diversité culturelle, au nom de la différenciation des éclectismes, de l’argument de reconnaissance culturelle des genres artistiques et d’un régime de consommation ni ascétique, ni méprisant.

Mots-clés

  • distinction
  • diversité culturelle
  • éclectisme
  • goûts
  • légitimité
  • pratiques culturelles

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Hervé Glevarec
Hervé GLEVAREC est directeur de recherche au cnrs, Laboratoire Communication et Politique (Paris). Il travaille sur les pratiques culturelles et médiatiques contemporaines, notamment des jeunes. Il s’attache à construire un modèle d’analyse des goûts culturels dans un contexte multiculturel et dense, modèle dit de la « tablature » ; il a publié La Sociologie de la culture à l’ère de la diversité (Éditions de l’Aube, 2013). Il a mené récemment deux enquêtes qualitatives, l’une sur les loisirs numériques et culturels des préadolescents (La Culture de la chambre, Colin, 2010), l’autre sur la consommation des séries télévisées américaines par les amateurs du genre (La Sériephilie, Ellipses, 2012).
Une seconde partie de ses travaux porte sur la sociologie de la radio. Il est l’auteur de France Culture à l’œuvre (cnrs Editions, 2001). Il a enquêté sur la signification de l’écoute des radios musicales pour les adolescents (Libre Antenne, Colin, 2005) et mené avec Michel Pinet (chargé de recherché au clerse) une analyse statistique sur l’audience de la radio en France (La Radio et ses publics, Mélanie Seteun, 2009).
Michel Pinet
Michel PINET est chargé de recherche au cnrs, Centre Lillois d’Études et de Recherches Sociologiques et Économiques. Il y a mené ces dernières années des approches principalement quantitatives et modélisantes sur les pratiques culturelles et médiatiques contemporaines. Dans ce cadre, il a en particulier consacré plusieurs recherches quantitatives (s’appuyant sur les vagues successives d’enquêtes « Pratiques Culturelles » du Ministère de la Culture) à des approches visant à asseoir quantitativement le modèle dit de la « tablature », notamment à partir d’analyses hiérarchiques et classificatoires.
Il a écrit avec Hervé Glevarec « From Liberalization to Fragmentation : A Sociology of French Radio Audiences Since the 1990s and the Consequences for Cultural Industries Theory » (Media, Culture and Society, 2008), « La “tablature” des goûts musicaux : un modèle de structuration des préférences et des jugements » (Revue Française de Sociologie, 2009) et « Tablatures of Musical Tastes in contemporary France : Distinction without intolerance » (Cultural Trends, 2012).
michel.pinet@gmail.com
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 23/01/2014
https://doi.org/10.3917/anso.132.0473
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