CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Cet article est consacré aux mouvements de critique des sciences des années 1970. En France et à l’étranger, ces mouvements se développent conjointement avec l’essor du gauchisme et la remise en cause des figures traditionnelles de l’autorité à la suite de Mai 1968. Ils promeuvent notamment une forme ouverte d’expertise et une diffusion élargie des sciences vers le grand public. Leur étude offre l’occasion de s’interroger sur la spécificité de la critique des sciences par rapport au thème de l’engagement scientifique, et aux interactions avec les autres mouvements à cette époque (féminisme et écologie). La mouvance intellectuelle dans laquelle s’inscrivent ces mouvements de critique de sciences n’est par ailleurs pas étrangère à certains pans des Sciences Studies contemporaines. Au nom de la critique du rationalisme et de la technocratie, certains sociologues des sciences en viennent à concevoir l’activité scientifique non pas simplement comme une activité sociale comme une autre, mais plus encore comme une activité politique comme une autre. Cette position consiste à soutenir que le scientifique et le politique sont indissociables. Revenant sur la distinction classique de Max Weber (1963 [1919]), Bruno Latour illustre cette position qui s’est développée dans les années 1970 et qui reste aujourd’hui encore une orientation parmi d’autres dans les études sur les sciences [1] :

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« […] il faut insister au contraire pour dire qu’il n’y a jamais aucun rapport à établir “entre le savant et le politique”, la science et la politique, pour la bonne et simple raison que ces domaines à mettre en rapport n’existent pas et n’ont jamais existé séparément. ».
(Latour, 2008, p. 677)

3Notre ambition ici est de contribuer à l’analyse des liens entre science et politique à la lumière de productions militantes des acteurs scientifiques. Il s’agira précisément de questionner les deux versants de la dimension politique au sein de ces mouvements - (1) comme processus historique singulier et (2) comme qualification de l’activité scientifique - à partir d’un matériau original. Pour étudier ce moment particulier, on se propose d’analyser des revues militantes publiées après Mai 1968 au sein desquelles les chercheurs et les enseignants critiquent l’institution scientifique et s’interrogent sur les conséquences sociales, environnementales et politiques des sciences. La période considérée s’étend de Mai 1968 à la fin des années 1970.

4L’analyse de ces mouvements de critique des sciences à travers ces textes s’inscrit dans une perspective visant à prendre en compte la diversité des chemins et les éventuels conflits qui caractérisent les moments où les acteurs se livrent à un travail de démarcation. L’enjeu est de mettre au jour les façons dont les acteurs scientifiques investissent le thème de la frontière entre science et politique en interprétant cette activité comme un processus de politisation définit comme une requalification « qui résulte d’un accord pratique entre des agents sociaux enclins, pour de multiples raisons, à transgresser ou à remettre en cause la différenciation des espaces d’activités. » (Lagroye, 2003, pp. 360-361). Il s’agit d’étudier les voies que les acteurs empruntent pour contester l’agencement entre les sphères d’activités lié à la différenciation, et plus particulièrement les hiérarchies entre les sphères. La politisation de la science apparaît dès lors comme une remise en cause de la légitimité de la différenciation à partir des fonctions supposées de cette sphère d’activité et de l’autorité dont elle jouit vis-à-vis des autres.

5À travers l’analyse de la politisation de la science, cette étude entend répondre à deux questions qui correspondent aux deux versants de la dimension politique que nous avons évoqués. (1) La première concerne l’association entre critique des sciences et le courant des Sciences Studies qui tient le scientifique et le politique pour inséparables : cette tradition des Sciences Studies et les critiques de la science partagent-ils réellement une même conception de la science et du politique ? Jusqu’à quel point cette comparaison est-elle fondée ? ; (2) La seconde question renvoie à la qualification de l’activité scientifique en tant qu’activité politique : en prenant précisément comme objet des revues militantes pour éclairer le travail de démarcation opéré par des acteurs scientifiques, quelles sont les limites de la position consistant à définir le politique et le scientifique comme deux catégories qui se recouvrent entièrement ?

6Nous rappellerons dans un premier temps la manière dont les études sur les sciences appréhendent les liens entre science et politique, et nous définirons en particulier l’originalité du courant des Sciences Studies qui émerge à partir des années 1970. Nous proposons ici de distinguer trois modalités de la relation science-politique à partir desquelles il sera possible de situer l’originalité de notre corpus. Nous introduisons ensuite les acteurs et les organisations des mouvements de critique des sciences aux États-Unis et en France. L’analyse des mouvements américains nous conduira à montrer que le courant des Sciences Studies qui nie la distinction science-politique donne une image monolithique de ces mouvements si on les compare au développement de la critique des sciences en France. Enfin, nous présentons une analyse lexicométrique des revues militantes dont les résultats permettront de nuancer l’association entre ces mouvements et les Science Studies d’une part, et de souligner ce que cette approche laisse dans l’ombre lorsqu’on aborde l’engagement politique des acteurs scientifiques d’autre part.

Les grandes figures des relations science-politique et le développement d’une version indifférenciée

7Les relations entre science et politique ont été appréhendées de trois manières différentes au sein des études sur les sciences. Ces trois versions se distinguent selon les relations entretenues par les deux activités. Dans le premier cas, la science est perçue comme une institution autonome qui est et doit rester indépendante de la politique. Dans le deuxième cas, si les deux domaines sont toujours distincts, il y a cependant une interdépendance qui différencie cette version de la précédente. Dans le dernier cas, les deux activités se recoupent mais cette version se manifeste sous deux formes distinctes et nous verrons que la nouvelle sociologie des sciences (Dubois, 2001) pousse le plus loin cette conception des relations science-politique.

8La première figure qui se dégage dans les études sur les sciences prend comme point de départ le fait que la science peut être analysée comme une institution sociale autonome définie par des normes spécifiques (Merton, 1973). Dans cette version, la science et la politique doivent rester indépendantes dans la mesure où, si les normes qui définissent l’ethos scientifique sont concurrencées par d’autres normes ou valeurs, c’est l’autonomie de la science qui est menacée et, par conséquent, la possibilité de produire une connaissance scientifique rationnelle. L’exemple le plus célèbre est fourni par Robert K. Merton (1973) lorsqu’il étudie la situation de la science sous l’Allemagne nazie. L’anti-intellectualisme et la glorification de l’homme d’action ont eu des effets durables sur la place de la science en Allemagne. Les scientifiques ont dû adhérer à des normes institutionnelles qui étaient en conflit avec les normes de l’éthos scientifique moderne. Ce conflit oppose l’État totalitaire aux scientifiques :

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« The conflict between the totalitarian state and the scientists derives in part, then, from an incompatibility between the ethic of science and the new political code which is imposed upon all, irrespective of occupational creed. The ethos of science involves the functionally necessary demand that theories and generalizations be evaluated in terms of their logical consistency and consonance with facts. The political ethic would introduce the hitherto irrelevant criteria of the race and political creed of the theorist. Modern science has considered the personal equation as a potential source of error and has evolved impersonal criteria for checking such error. ».
(Merton, 1973, pp. 258-259)

10Tout en maintenant la distinction entre science et politique, la deuxième figure analyse les deux activités en termes d’interdépendance. Cette version est introduite en Angleterre au début des années 1930 par des scientifiques qui appliquent le matérialisme dialectique à l’histoire des sciences. Le point commun des travaux initiés dans cette perspective est de démontrer que le développement scientifique dépend de la structure sociale et économique. Cette thèse est reprise par les membres d’un petit groupe de scientifiques appelé le Visible College (Werskey, 1988 [1978]), puis par le réseau The Social Relations of Science dont les membres [2] entendent développer une analyse systématique des rapports entre sciences et sociétés au moyen du marxisme, tout en enseignant le socialisme aux scientifiques et la science aux socialistes (Filner, 1976). Cette conception de l’histoire des sciences n’est pas simplement intellectuelle. Elle a une incidence concrète, car elle entraîne aussi une intervention directe dans la gestion de la recherche. Supposant que le socialisme est sur le point de gagner les pays occidentaux, il s’agit de défendre une économie socialiste reposant notamment sur la planification de la science. L’ouvrage de John D. Bernal (1939), The Social Function of Science, illustre à la fois l’application de cette histoire marxiste des sciences qui s’oppose à la conception d’une « science pure », et la volonté de transformation de la science à travers la planification, c’est-à-dire une prise en charge de l’organisation de la science par l’État. Bernal conçoit la science comme un facteur dans un complexe basé sur des forces économiques et politiques. Ce facteur « science » est appelé à jouer un rôle fondamental avec l’avènement du socialisme.

11La dernière figure qui ne sépare pas le scientifique et le politique se décompose en deux versions bien distinctes. La première insiste sur le fait que la dimension politique est toujours présente dans le champ scientifique, et la seconde radicalise cette position en affirmant qu’il n’existe aucune distinction entre science et politique. Appliquant la théorie des champs à la science, Pierre Bourdieu constitue une figure originale parmi les positions sur les relations science et politique en rejetant d’emblée l’opposition entre analyse interne et analyse externe, c’est-à-dire la possibilité de séparer l’épistémologie des conditions sociales de la science. Comme dans les autres champs sociaux, la science est traversée par des rapports de force, des luttes, des stratégies, des intérêts et des profits, mais il y a néanmoins un enjeu spécifique qui est le monopole de l’autorité scientifique. La définition du champ scientifique et le refus de distinguer analyse interne et analyse externe amènent Bourdieu à considérer sous un angle original les relations entre science et politique :

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« C’est le champ scientifique qui, en tant que lieu d’une lutte politique pour la domination scientifique, assigne à chaque chercheur, en fonction de la position qu’il y occupe, ses problèmes indissociablement politiques et scientifiques et ses méthodes stratégiques scientifiques qui, du fait qu’elles se définissent expressément ou objectivement par référence au système des positions politiques et scientifiques constitutives du champ scientifique, sont en même temps des stratégies politiques. ».
(Bourdieu, 1975, p. 95)

13Dans cette approche où « les conflits épistémologiques sont toujours, inséparablement, des conflits politiques […] » (Bourdieu, 1975, p. 93), le champ scientifique jouit néanmoins d’une autonomie relative [3]. Bien que le champ scientifique ne puisse être pensé sans les stratégies politiques, il reste un champ spécifique qui n’est pas réductible à des enjeux politiques, et cela n’empêche nullement la prise en compte d’un « progrès de la raison ». L’approche antidifférenciationniste (Shinn, Ragouet, 2005) développe une version des relations science et politique dans laquelle les deux sphères ne devraient pas être dissociées d’un point de vue analytique parce qu’il n’existe pas fondamentalement de différences entre elles. L’une et l’autre se confondent :

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« Nous avons dû faire une erreur quelque part lorsque nous avons distingué la politique et la science. […] Nous avons fait fausse route. Il fallait remonter plus loin. Non pas en histoire, ou en économie, ou en sociologie, mais en philosophie. C’était au moment initial, lors de la séparation des rapports de forces et des rapports de raison que nous nous étions trompés. Que se passe-t-il donc si nous nions cette différence et nous mettons à suivre les seuls rapports de forces ? Est-ce le chaos ? Est-ce l’invasion des barbares ? Est-ce la fin du monde ? Sans la croyance dans des sciences bien séparées du politique, nous avons toujours l’impression qu’il nous manque quelque chose et que le ciel va nous tomber sur la tête. Pour montrer qu’il tient fort bien tout seul, il faudrait pouvoir prouver dans le détail d’une discipline particulière, que la croyance dans les sciences est, comme jadis celle en Dieu, une “hypothèse superflue”. ».
(Latour, 2011 [1984], pp. 18-19)

15Telle est l’ambition de Latour lorsqu’il étudie la trajectoire de Pasteur et des pastoriens. La thèse qu’il défend est que la bactériologie « recompose » la société. Cette thèse s’appuie sur l’idée que la diffusion du travail de Pasteur ne s’explique pas par les arguments soutenus :

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« Le mouvement social dans lequel Pasteur se situe et se place […] compose à part entière l’efficacité que l’on prête aux démonstrations de Pasteur. ».
(Latour, 2011 [1984], p. 52)

17Dans cette version antidifférenciationniste [AD] des liens science-politique, tout ce que l’on rassemble derrière l’étiquette « science » se réduit à la capacité des scientifiques à convaincre des collègues, des publics, des politiques que leurs affirmations sont justes ou conformes à la réalité.

18L’étude des liens entre science et politique à travers la référence au processus de politisation de la science permet de souligner les problèmes sociologiques qui découlent de cette vision AD. Affirmer que science et politique ne sont pas des catégories distinctes pose problème dans la mesure où cela revient à généraliser et à figer une partie des conceptions défendues par des acteurs. En effet, les positions représentées sont plus diversifiées que ce que suppose cette vision comme nous le verrons. La seconde limite de la vision AD renvoie à la spécificité de l’action collective qui est niée lorsque science et politique ne sont pas distingués. Le propre de l’action collective est bien de prendre pour cible des injustices qui ne sont pas ou peu visibles dans le cours normal de l’activité. La prise de parole dans les revues militantes pour dénoncer l’ordre établi ou des pratiques paraissant illégitimes constitue une rupture repérable dans le temps.

De l’émergence de la politisation de la science : acteurs et organisations

La critique des sciences américaines comme définition d’une « obligation morale »

19C’est en 1969 que naissent aux États-Unis les groupes de scientifiques qui élaborent une critique de la science [4]. Pendant l’année 1969, de jeunes diplômés du MIT menacent d’arrêter la recherche pour pousser le gouvernement américain à mettre fin à la guerre au Vietnam. L’arrêt de la recherche pendant une journée a lieu le 4 Mars 1969, donnant ainsi son nom au mouvement [March 4th]. Après cette action, le mouvement se scinde en deux groupes distincts. Celui qui est le plus semblable à la critique française est composé d’universitaires et se donne le nom de The Union of Concerned Scientists. L’activité de ce groupe relève d’une critique continue de la politique gouvernementale et ces universitaires jouent fréquemment le rôle d’expert, ou plutôt de contre-expert, dans les débats publics (Blume, 1974 ; Moore, 1996 et 2008). Une deuxième organisation particulièrement importante se forme en 1969 aux États-Unis. Il s’agit de l’association Scientists and Engineers for Social and Political Action qui publie la revue Science for the People. Cette association est créée suite à l’action de M. Perl et Ch. Schwartz, qui souhaitent tous deux persuader l’American Physical Society de prendre position sur la guerre du Vietnam. Ensuite, les membres concentrent leurs actions vers l’American Association for the Advancement of Science en interrompant leurs congrès et en s’adressant aux scientifiques qui travaillent en lien avec les organismes militaires.

20Le déplacement vis-à-vis de l’engagement des scientifiques de la première moitié du xxe siècle s’effectue tant au niveau du recours à un nouveau répertoire d’actions (interruption de colloques, pression sur les organisations professionnelles, revues militantes, etc.) que du renouvellement des conceptions sur la place de la science dans la société et de leurs relations. La mise de cause de la neutralité de la science dans les années 1970 s’accompagne d’un questionnement sur la façon dont doit être régulée l’activité scientifique et sur les décisions portant sur les priorités de la recherche. Ces réflexions traversent les mouvements qui naissent en Allemagne, en Angleterre, en Italie, aux Pays-Bas, et en France [5]. Cependant, les mouvements ont des tonalités relativement différentes selon les pays. Contrairement à l’ambition des mouvements anglo-saxons qui souhaitent explicitement mettre la science au service du peuple –notamment par le biais de contre-expertises – la critique prend une tournure différente en France en raison de la centralité de Mai 1968 dans la constitution de la critique.

21Le premier travail sociologique qui se penche sur la contestation de la science pendant cette période (Blume, 1974) l’interprète en référence aux travaux de R. K. Merton (1973) sur l’autonomie de l’institution scientifique. L’existence de mobilisations dans plusieurs pays à la même époque amène l’auteur à nuancer l’autonomie de la sphère scientifique qui apparaît alors comme une institution sensible au contexte politique et économique. Le panorama qu’il dresse et la position qu’il adopte ne constituent pas en soi une rupture avec la sociologie mertonienne. En revanche, l’analyse des mouvements de contestation prend une tout autre tournure dans les travaux s’inscrivant dans l’AD.

22Analysant les organisations américaines et les controverses sur le rôle des scientifiques dans la vie publique durant les années 1960 et 1970 aux États-Unis, dans un contexte de dépendance étroite vis-à-vis du financement de la recherche, K. Moore (1996 ; 2008) attire l’attention sur la question de la démarcation entre science et politique. Reprenant les travaux sur la démarcation entre science et non-science au sein de luttes pour la crédibilité (Gieryn, 1999), elle étudie comment ces organisations ouvrent la voie à une nouvelle forme d’action qui n’est ni scientifique à proprement parler ni strictement politique, permettant ainsi aux scientifiques de définir comme une obligation morale le fait de fournir des informations scientifiques pour servir le bien public. La période de mobilisation des scientifiques consiste alors en un déplacement de la frontière entre science et politique qui permet aux acteurs de conserver une crédibilité en tant que scientifiques « objectifs » tout en étant des acteurs politiques servant le bien public.

23Cette analyse se situe explicitement dans la vision de l’AD des relations science-politique. Dans la mesure où les organisations étudiées rencontrent un certain succès et que la disparition rapide de l’une d’elles est expliquée comme une conséquence de sa radicalité, on peut penser que les conclusions seraient plus nuancées si on ne se limitait pas au niveau organisationnel de ces mouvements, ou bien si l’auteur avait étudié ces mêmes mouvements de contestation dans d’autres pays où ils prenaient une forme moins stabilisée. Dans le même sens, ce travail suppose que les acteurs partagent unanimement l’opinion selon laquelle leur engagement va de pair avec le souhait de maintenir une crédibilité à l’extérieur de l’institution scientifique. Ainsi, la période et les organisations étudiées par Moore semblent homogènes et relativement exemptes de dissensus quant à la façon de repenser les liens entre science et politique.

Le développement de la critique des sciences en France

24Avant même les évènements de Mai 1968, il y a en France un contexte particulier qu’il est important de mentionner. Dans le contexte français, il faut souligner le rôle majeur des organisations politiques et des mobilisations de chercheurs dans la formation de la critique de la science après Mai 1968. L’Union des Étudiants Communistes (UEC) est une organisation centrale dans la formation politique de plusieurs générations de scientifiques. Ce lieu d’apprentissage politique de plusieurs générations après la guerre d’Algérie (Matonti et Pudal, 2008) est également l’un des passages obligés pour les scientifiques de gauche qui se forment au marxisme et s’initient ainsi à la prise de parole dans la revue Clarté. L’éloignement de certains membres vis-à-vis du marxisme orthodoxe au profit de tendances Italienne et Maoïste contribue à plonger l’UEC dans une crise au début des années 1960. La mise en cause de la science se développe précisément contre le marxisme orthodoxe. La guerre d’Algérie puis la guerre du Vietnam constituent également une étape importante dans la politisation de la jeune génération d’enseignants et de chercheurs recrutés en masse dans un contexte de densification de l’enseignement supérieur. À la fin des années 1960, l’opposition au marxisme orthodoxe gagne du terrain dans les syndicats d’enseignants et de chercheurs. Des tendances « gauchistes » devancent alors les tendances communistes qui étaient jusqu’alors majoritaires, notamment au sein du Syndicat National des Chercheurs Scientifiques (SNCS).

25La montée du gauchisme a des conséquences sur les réflexions sur la science et le rôle des chercheurs. Les événements de Mai 1968 marquent un tournant pour l’histoire de la critique de la science française, mais les réflexions des physiciens, biologistes et mathématiciens sur les impacts sociaux de la recherche précédent Mai 1968. Désirant réfléchir sur le rôle de la science dans les sociétés industrielles, d’anciens membres de l’UEC, et plus spécifiquement de la tendance italienne, se rassemblent entre 1966 et 1968 au sein d’un collectif nommé le Centre National des Jeunes Scientifiques (CNJS) dont l’activité principale est la publication d’une revue, Porisme. À cette époque, les membres du CNJS et d’autres acteurs centraux dans la critique de la science post-1968 suivent les séminaires sur l’idéologie spontanée des savants de Louis Althusser à l’École normale supérieure. Les activités du CNJS s’arrêtent avec Mai 1968 qui amplifie les réflexions menées dans ce groupe de chercheurs.

26Nous n’entrerons pas dans l’analyse de « l’évènement 1968 » à proprement parler. En réalité, les groupes qui se forment et qui véhiculent une critique des sciences n’émergent qu’à partir des années 1970 autour d’acteurs qui n’ont pas tous vécus Mai 1968 en France [6]. Une grande partie des acteurs qui animent ces groupes plus ou moins informels sont des physiciens, des biologistes ou des mathématiciens [7]. Au sein des différents collectifs (groupes de réflexion, revues, etc.), les acteurs ont en commun d’être passés par les différentes organisations politiques évoquées précédemment (UEC, CNJS, SNCS). Nés entre les années 1930 et 1940, ils s’opposent au marxisme orthodoxe auquel ils reprochent d’associer la science au progrès. Aux côtés de ces acteurs, on trouve également une génération sensiblement plus jeune. Ce groupe rassemble de jeunes chercheurs et de jeunes enseignants nés entre les années 1940 et 1950, qui obtiennent un poste la veille de Mai 1968 et qui sont dans une position particulière : assistants d’un grand professeur, ils sont aussi enseignants devant des étudiants à peine plus âgés qu’eux. La critique de la science est alors une façon de lier des préoccupations extérieures à l’institution scientifique (féminisme, écologie, psychanalyse, etc.) au regard de leur position actuelle.

27Ces collectifs se sont illustrés par des actions ponctuelles. L’un des épisodes les plus marquants est sans doute la venue de Murray Gell-Mann en 1972 au Collège de France. Invité à présenter ses travaux, le Prix Nobel de physique est pris à parti par un groupe qui lui demande de s’exprimer sur son rôle dans la Division Jason. Le deuxième moment important est la publication d’un recueil de textes. Publié en 1973, l’ouvrage (Auto)critique de la science inaugure la reprise de la collection « Science Ouverte » au Seuil par Jean-Marc Lévy-Leblond (Lévy-Leblond et Jaubert, 1973). Le livre est composé de textes écrits originellement en anglais, français et italien dans les revues du début des années 1970. Cet ouvrage collectif dirigé par Lévy-Leblond et Alain Jaubert est à la fois un manifeste pour la critique de la science et pour la collection du Seuil qui entend se différencier d’autres collections de vulgarisation.

28Il n’existe pas véritablement d’organisations comparables aux organisations américaines, à l’exception du Groupement des Scientifiques pour l’Information sur l’Énergie Nucléaire (GSIEN) et du Collectif Intersyndical de Sécurité à Jussieu qui incarnent en France un mouvement de contre-expertise dont le périmètre est limité aux thèmes de l’énergie nucléaire et de l’amiante. Hormis l’irruption au Collège de France et (Auto)critique de la science, on trouve peu de traces de cette nébuleuse critique. Seules les revues militantes permettent d’étudier l’ensemble des critiques sur une période relativement importante sans les réduire aux groupes qui ont survécus plus ou moins longtemps. Pendant les années 1970 sont publiées plusieurs revues qui sont relativement bien diffusées. Bien qu’elles se définissent par des lignes éditoriales sensiblement différentes, ces revues s’apparentent à un lieu de sociabilité incontournable qui prend ses racines dans l’effervescence de Mai 1968. Leur objectif est d’alimenter une critique de la science dans la lignée du mouvement écologique et féministe, mais aussi de tisser des liens entre le mouvement et l’extérieur de l’institution scientifique afin de déconstruire l’autorité de la science dans la société. Le recours à une analyse lexicométrique sur un corpus constitué par ces revues permet de s’orienter vers une analyse de l’énonciation de cette critique.

29À ce stade, la politisation de la science analysée à partir des mouvements de contestation de la science des années 1970 apparaît donc comme un processus singulier du point de vue historique. Si son développement dans plusieurs pays tend globalement à les concevoir comme une renégociation des liens entre science et politique, le processus en France nuance cette image dans la mesure où on perçoit davantage une critique de l’autorité de la science et des hiérarchies.

La critique de la science au prisme des revues éphémères

Le corpus des revues éphémères

30La cartographie de la critique de la science que nous proposons repose sur l’analyse d’un corpus rassemblant trois revues (Tableau 1) : Survivre et Vivre, Labo-Contestation, Impascience (Encadré 1). Ces revues ont été publiées entre 1970 et 1977 [8]. Chacune d’elle est spécialisée autour d’un ou deux thèmes : Survivre et Vivre sur l’écologie et le pacifisme, Labo-Contestation sur la division du travail, et Impascience sur la critique politique et subjectiviste de l’activité scientifique. Outre l’existence de traits formels communs (présence de caricatures, de publicités détournées, de poèmes, l’anonymat des auteurs, etc.), le choix de ces trois revues s’explique par le fait qu’elles remettent en cause la place de la science dans la société. Ce choix tient aussi à deux raisons principales [9]. La première est que par leur diversité, ces revues offrent l’occasion d’une analyse transversale de la critique de la science qui ne surévalue pas l’une ou l’autre des thématiques abordées. La seconde raison renvoie à la période qu’elles couvrent. Les publications s’étalant sur plusieurs années, elles permettent de réfléchir sur les transformations des critiques de la science.

Tableau 1

Récapitulatif des revues[10](1),(2)

Tableau 1
Années de publication Lieu de publication(1) Nombre de numéros parus Nombre d’articles(2) Survivre et Vivre 1970 – 1975 Paris 19 numéros 72 Labo-Contestation 1970 – 1972 Lyon 6 numéros 43 Impascience 1975 - 1977 Paris 7 numéros 92 N= 207

Récapitulatif des revues[10](1),(2)

(1)?Le lieu de publication est celui du siège de la publication, qui est généralement celui du directeur de la publication ou de l’éditeur. Les auteurs participant à ces revues ne sont pas nécessairement de la même région.
(2)?Il s’agit du nombre d’articles dont nous avons tenu compte pour l’analyse lexicométrique.

31Les 207 articles qui constituent notre corpus offrent la possibilité d’étudier la production des critiques. Selon les directeurs de publication ou les secrétaires de publication interviewés, les revues fonctionnent grâce à un noyau d’environ dix à vingt personnes autour duquel gravitent des acteurs qui participent temporairement au groupe. Si on ne peut pas analyser les conditions précises de la réception de ces revues, il est en revanche possible de donner un ordre de grandeur pour la diffusion de cette critique. D’après les chiffres mentionnés dans les éditoriaux des revues, le deuxième numéro (1971) de Labo-Contestation aurait été tiré à 3 000 exemplaires, le numéro 4/5 (1976) d’Impascience à 2 000 exemplaires auxquels s’ajoutent 750 abonnements, et Survivre et Vivre semblerait enregistrer une progression continue pour atteindre un tirage à 12 500 exemplaires pour son numéro 12 (1972) [11]. La lecture de ces revues montre qu’elles ont une définition particulièrement extensive de leurs publics : les articles s’adressent moins à des pairs qu’à des lecteurs qui vivraient les mêmes expériences ou qui partageraient la volonté de démystifier la science. [12]

Encadré 1. Présentation des revues analysées

La revue Survivre et Vivre12 est créée en 1970 par des mathématiciens rassemblés lors d’un colloque à Montréal. La revue est attachée aux noms de trois mathématiciens qui sont actifs durant sa publication : Claude Chevalley, Alexandre Grothendieck, et Pierre Samuel. La revue est alors conçue comme l’une des activités principales d’un « mouvement international pour la survie de l’espèce humaine ». Elle portera d’ailleurs le nom de Survivre jusqu’en 1971 au moment où les acteurs de cette revue modifieront l’horizon de ce mouvement. Dans les premiers temps, l’ambition de fonder un mouvement d’ampleur internationale sera marquée par la publication d’une revue en français, et d’une autre en anglais.
Le premier numéro de la revue Labo-Contestation paraît en 1970. La revue sera, jusqu’au n° 4, un supplément de la revue Herythem. Critique politique de la vie quotidienne. Ce premier numéro est rédigé par des biologistes de différents statuts (techniciens, chercheurs et étudiants) essentiellement à Lyon. Pierre Clément, le directeur de la publication, est chercheur en biologie animale. Son nom est le seul à figurer dans cette revue où l’anonymat est la règle13.
Bien que le premier numéro de la revue Impascience date de 1975, les auteurs ont formé des groupes de réflexion bien avant la première publication. Sous le pseudonyme de Zéphirin Xirdal, Jean-Marc Lévy-Leblond dirige cette revue éditée par les éditions Solin. Cette revue se distingue aussi des deux autres en ne publiant que des numéros spéciaux14. Le titre énigmatique de la revue, résultant de la contraction du mot « impasse » et « science », reflète l’intérêt que portent les membres de la revue aux jeux de mots qui foisonnent dans les articles. La parole, plus explicitement encore que dans la revue Survivre et Vivre, renvoie à une attirance pour la psychanalyse.

Les champs contextuels de la critique [13][14]

32Dans les deux parties qui suivent, l’objectif est de présenter les résultats généraux de l’analyse lexicométrique, puis les résultats relatifs à l’évolution de la critique dans le temps [15].

33L’analyse lexicométrique prend en compte 95,24 % du corpus découpé en segments de texte (Tableau 2). Elle permet de distinguer huit classes (ou mondes lexicaux) qui représentent chacune entre 7 % et 16 % du corpus. Nous les avons nommées respectivement : La science comme activité sociale (Classe 1), Les mouvements dans l’institution (Classe 2), Les relations au sein de l’institution (Classe 3), Les risques (Classe 4), Le mouvement écologique (Classe 5), L’enseignement des sciences (Classe 6), Les alternatives (Classe 7), Les témoignages depuis l’institution (Classe 8).

Tableau 2

Synthèse de l’analyse lexicométrique[16]

Tableau 2
Classe 1 Classe 2 Classe 3 Classe 4 Classe 5 Classe 6 Classe 7 Classe 8 Nom de la classe La science comme activité sociale Les mouvements dans l’institution Les relations dans l’institution Les risques Le mouvement écologique L’enseignement des sciences Les alterna- tives Les témoigna- ges depuis l’institution scientifique Poids de la classe 14,80 % 13,38 % 13,78 % 11,39 % 10,40 % 7,24 % 13,23 % 15,73 % Formes spécifiques (Khi2) idéologie (319,36) ; science (234,11) ; social (175,58) ; dominant (142,5) ; classe (128) labo (302,07) ; grève (207,25) ; vacataires (176,24) ; comité (170,71) ; lutte (164,12) effectuer (135,45) ; patron (111,08) ; diplôme (107,98) ; chercheur (93,18) ; cycle (87,31) nucléaire (484,65) ; centrale (239,77) ; pollution (231,89) ; énergie (217,07) ; atomique (170,05) militaire (259,64) ; action (228,64) ; survivre (213,86) ; adhérent (209,52) ; mouvement (207,84) mathématique (476,69) ; géométrie (208,76) ; maths (182,88) ; élève (169,94) ; pédagogique (131,05) parascience (91,7) ; science (83,4) ; physique (81,49) ; magie (65,93) ; particule (62,2) ; vérité (58,36) boulot (175,53) ; ça (148,01) ; aller (132,54) ; prof (115,44) ; mec (99,42) ; fille (94,05) Formes lexicales significativement absentes (Khi2) patron (-29,15) ; année (-21,54) ; mathématique (-19,73) ; labo (18,28) ; nucléaire (-18,1) homme (-41,54) ; chose (-24,18) ; mathématique (-23,77) ; science (22,3) ; vie (-18,2) science (-59,88) ; société (-26,9) ; homme (-20,91) ; sentir (-19,63) ; théorie (-19,37) chercheur (-25,4) ; labo (-23,77) ; personnel (-22,2) ; travail (-20,16) ; patron (-19,15) rapport (-29,43) ; labo (-29,27) ; chercheur (-25,55) ; patron (-24,86) ; laboratoire (-16,46) chercheur (-24,18) ; labo (-21,3) ; personnel (-15,04) ; laboratoire (-13,93) ; patron (-13,93) chercheur (-40,89) ; travail (-36,89) ; politique (-34,57) ; labo (-29,89) ; personnel (-24,29) scientifique (-83,92) ; science (-38,37) ; social (-35,83) ; action (-33,12) ; lutte (-25,77)

Synthèse de l’analyse lexicométrique[16]

Légende : La première classe représente 14,85 % du corpus. Ce registre de discours est marqué par des formes lexicales comme « idéologie » ou « science » qui sont caractéristiques de cette classe.

34La Classification Descendante Hiérarchique (Figure 1) oppose deux ensembles parmi ces différentes classes. Le premier ensemble réunit les classes sur les relations dans l’institution, les mouvements qui s’y développent, et les témoignages produits sur l’institution (Classes 3, 2 et 8). Ces classes ont en commun d’être des récits situés comme, par exemple, des récits sur les relations de travail à l’université ou dans les laboratoires afin de dénoncer le poids de la hiérarchie (Classe 3). La classe Les mouvements dans l’institution (Classe 2) est propre à la revue Labo-Contestation qui publie un numéro spécial sur l’hôpital en 1972. La revue publie fréquemment des témoignages de chercheurs, de techniciens, ou de secrétaires. Un des partis pris de la revue est en effet que ce qui passe pour une anecdote est en fait révélateur du quotidien du monde de la recherche (une injustice vécue dans un laboratoire est rarement un cas isolé), et que l’existence d’inégalités dues aux hiérarchies est omniprésente dans toutes les sphères de la vie sociale, y compris la science. La classe 2, qui est associée à la précédente, est elle aussi descriptive puisqu’elle consiste à rapporter les différentes manifestations dans l’institution scientifique, les mouvements d’étudiants et de chercheurs dans différents lieux. La classe sur Les témoignages dans l’institution (Classe 8) se détache des deux autres dans la mesure où, si elle renvoie aussi à des récits rédigés dans un style oral, elle fait référence à des extraits dans lesquels les auteurs analysent leur place dans l’institution et la façon dont ils ont intériorisé les normes de l’institution scientifique. On trouve dans cette classe de nombreux extraits d’articles écrits à la première personne où des chercheuses décrivent les rapports hommes-femmes et le « code masculin » qui régit cette institution :

35

« le plaisir […] de découvrir l’origine, forcer les portes de l’inconnu, laisser sa trace sur des terres vierges est un plaisir que je crois masculin ».
(Impascience, 1975, p. 16)

36Le second ensemble regroupe toutes les autres classes (1, 7, 6, 5, 4) qui se distinguent des précédentes en se centrant sur l’activité scientifique et ses effets. Il s’agit de classes déconnectées de l’institution scientifique (Voir les absences significatives de ces cinq classes) : les extraits ne sont pas situés dans des laboratoires ou ne portent pas sur des relations précises entre les membres de l’institution scientifique. Les classes 4 et 5 (Le mouvement écologique et Les risques) forment un premier sous-groupe au sein de cet ensemble. Toutes les deux sont essentiellement représentées dans la revue Survive et Vivre. Si les risques dont il est question dans les revues sont essentiellement liés à l’utilisation du nucléaire militaire et civil, la classe 4 s’étend à d’autres risques comme la pollution ou les manipulations génétiques. Le deuxième sous-groupe est composé des registres faisant référence au sens de l’activité scientifique (Classe 1) et aux pratiques scientifiques (Classes 7 et 6). La classe L’enseignement des sciences (Classe 6) porte sur la diffusion de « l’idéologie scientiste » par le bais de l’enseignement. Cette classe est surtout illustrée par la question de l’enseignement des mathématiques modernes qui fait l’objet d’un numéro spécial de la revue Impascience. Dans ce numéro de la revue, les auteurs s’interrogent sur les conséquences néfastes de l’introduction des mathématiques modernes afin de démontrer que, contrairement à l’ambition qui avait conduit à cette réforme, l’enseignement des mathématiques modernes a rendu l’enseignement encore plus abstrait sans conduire à une réelle démocratisation. Bien qu’elle s’inscrive aussi dans un registre sur les pratiques scientifiques, la classe 7 a une forme particulière. Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, il n’est pas question de définir une « science pour le peuple » mais d’interroger la science moderne et l’autorité dont elle jouit à travers des pratiques habituellement considérées comme distinctes de l’espace scientifique telles que les para-sciences ou la psychanalyse. Enfin, la dernière classe La science comme activité sociale (Classe 1) se distingue par la volonté de définir la science en tant qu’activité sociale. Les auteurs entendent rompre avec l’idée selon laquelle la science serait une activité spécifique qui ne pourrait pas être analysée en termes de déterminations. Au sein de cette classe, les auteurs prennent fréquemment leur distance avec la conception marxiste de la science considérée comme un modèle d’analyse à dépasser :

37

« À mon sens, la position marxiste conséquente, face à la crise de l’idéologie scientiste, consiste à s’interroger sur ce qu’il en est de la science comme phénomène social (historique), et non à vouloir à toute force cautionner la rigueur du matérialisme historique par l’appel aux sciences de la nature ».
(Impascience, 1975, p. 9)

Figure 1

Classification descendante hiérarchique de l’ensemble du corpus

Figure 1

Classification descendante hiérarchique de l’ensemble du corpus

Légende : Le dendrogramme se lit de la gauche vers la droite. À partir de l’ensemble du corpus représentant 2721 unités de contexte (soit 95,24 % des unités de contexte qui compose l’ensemble du corpus), le logiciel sépare les formes lexicales des classes 3, 2, et 8 de l’autre groupe constitué par toutes les autres classes en fonction de l’absence ou de la présence des formes lexicales parmi les segments de textes qui ont été préalablement définis. Cette opération est ensuite répétée jusqu’à l’obtention de classes stables.

38L’une des caractéristiques qui définit la politisation de la science à travers ces textes est l’omniprésence de la référence aux normes de l’institution scientifique qui sont considérées comme n’étant plus légitimes. La croyance en l’avènement d’un nouvel ordre social et les expériences vécues à la suite de Mai 1968 (vie communautaire, grève et cogestion dans certains laboratoires) viennent justifier un décentrement par rapport à l’activité scientifique chez les acteurs qui s’expriment dans ces revues en affirmant d’autres rôles et statuts que celui de scientifiques.

L’évolution des espaces de référence

39Le lien entre les espaces de référence et les années de publication des articles (Tableau 3) reflète de prime abord les différences entre les lignes éditoriales des revues et les thèmes des numéros spéciaux qu’elles ont publiés. Les années 1970 et 1972 sont ainsi représentatives de la classe Les relations dans l’institution (Classe 3) qui correspond à la période de publication de la revue Labo-Contestation. L’association entre l’année 1977 et les classes 7 et 8 s’explique aussi par la publication de deux numéros d’Impascience dont l’un est consacré aux mathématiques modernes et l’autre à des témoignages, notamment de femmes, empruntant un vocabulaire psychanalytique.

Tableau 3

Les années représentatives au sein des différentes classes

Tableau 3
Classe 1 Classe 2 Classe 3 Classe 4 Classe 5 Classe 6 Classe 7 Classe 8 Années représentatives (Khi2) 1975 (69,67) 1970 (51,74) ; 1972 (48,13) 1970 (44,68) ; 1972 (20,07) 1971 (35,71) ; 1975 (8,76) 1970 (130,86) ; 1971 (69,57) 1976 (285,88) 1976 (73,03) ; 1977 (63,54) 1977 (30,72)

Les années représentatives au sein des différentes classes

40Globalement, les années représentatives des différents espaces de référence indiquent un déplacement depuis un pôle défini par les mobilisations collectives (à l’intérieur et à l’extérieur de l’institution scientifique) vers un pôle mettant au centre de la réflexion la subjectivité et la possibilité de prolonger la mobilisation par un intérêt porté aux études sur les sciences. La prise en compte de l’évolution des revues dans l’analyse lexicométrique et l’architecture des classes permettent cependant de saisir des évolutions similaires au sein des trois revues et de tirer des conclusions plus générales quant à l’évolution de la critique de la science.

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Survivre et Vivre

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Survivre et Vivre

41Dans la revue Survivre et Vivre, l’écologie doit être mise en relation avec la « phase critique » que traverse la société industrielle qui consiste en une crise écologique naissante menaçant la survie de l’espèce humaine. Si l’écologie est d’abord associée à un mode de connaissance, et non à une science, la revue entend se démarquer de certaines approches de l’écologie qui serait devenue à la « mode » et connaîtrait d’importantes dérives. Alors que la préexistence de discours écologiques avait semblé nécessaire pour établir l’existence d’une crise écologique majeure et le bien-fondé du mouvement écologique (Classe 5), les auteurs soupçonnent certains discours d’être rétrogrades ou d’être « une invention des capitalistes ». Au fur et à mesure que la revue se développe, ces discours sont classés par les auteurs dans deux catégories : « l’écologie-fascisme » et « l’écologie-contrôle ». Cette opposition exprime le refus de fonder l’écologie uniquement sur la préservation de la nature ou la restriction, alors que la crise écologique doit amener une nouvelle forme de société. Contre l’écologie-fascisme et l’écologie-contrôle, les auteurs prônent une « écologie-désir » ouvrant la voie à une « révolution culturelle ». Le mouvement et les auteurs de la revue s’appuient sur le recours à des « débats-subversifs » mettant en avant le rôle de la parole pour révéler les contradictions. Les débats ont pour objectif de libérer les participants. Le cadre de ces débats – qui pourraient d’ailleurs être assimilés à des thérapies de groupes – est volontairement lâche afin de laisser les participants s’exprimer [17] et que puissent ainsi surgir des « vérités inconscientes ». Ce positionnement par rapport à l’écologie doit être compris par rapport à la question de l’expertise qui permet d’identifier un dilemme relatif au rôle du scientifique. S’il est clairement établi que les scientifiques ont une responsabilité à l’égard des citoyens, ce rôle est aussitôt contrebalancé par le refus de devenir des contre-experts. Aussi, la subversion culturelle peut être pensée comme une solution à un dilemme qui n’est pas explicitement énoncé.

42Dans Labo-Contestation, la critique de la division du travail dans l’institution combine deux éléments : les statuts des personnels qui s’expriment et le lieu où s’exerce la domination. Les premiers numéros de la revue suivent majoritairement la première voie comme en témoigne le lien entre l’année 1970 et la classe Les relations dans l’institution (Classe 3), tandis que les deux derniers numéros consacrés à l’hôpital et à la sociologie tentent de prendre comme objet le lieu de la domination pour dégager les effets sur les connaissances produites. Cette logique ouvre de nouvelles perspectives : celle du lien avec la pratique exercée dans une institution constituant un microcosme (l’hôpital), et celle de la critique du contenu de l’activité scientifique (la sociologie). Dans l’un des précédents numéros de la revue, un auteur appelait précisément à développer cette « critique du contenu de l’activité scientifique » en proposant d’ouvrir dans la revue une rubrique dédiée à ce sujet. Cet appel restera lettre morte. Les articles du numéro consacré à la sociologie amènent deux remarques concernant l’articulation possible entre la critique des connaissances scientifiques et les institutions dans lesquelles elles sont produites : (1) premièrement, cette position entre en contradiction avec l’objectif initial de la revue en conduisant à une forme d’atomisation de la critique de l’institution qui n’est plus pensée comme une institution [18] ; (2) deuxièmement, cette position ne s’est pas traduite dans les articles de la revue qui restent essentiellement cantonnés au registre de la dénonciation [19]. À titre d’exemple, les noms « sociologie », « sociologue » et l’adjectif « sociologique » sont présents dans la classe Les mouvements dans l’institution (Classe 2) et L’enseignement des sciences (Classe 6), mais ils sont surtout représentatifs de la classe 2 [20]. La critique de la sociologie se limite ainsi à une dénonciation de l’ascension des mandarins décrits comme des « idéologues ».

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Labo-Contestation

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Labo-Contestation

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Impascience

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Impascience

43Les débuts de la revue Impascience sont marqués par le rejet d’un « marxisme dogmatique » et d’un « scientisme marxiste ». Les auteurs diagnostiquent une crise de l’idéologie scientiste à partir d’une contradiction entre la « prétendue » objectivité de la science et sa nature politique. Cela se traduit dans la revue par la coexistence de deux approches : une approche politique et une approche subjective. Ces deux approches donnent lieu à des lectures différentes de l’aliénation dans l’institution scientifique. Dans le premier cas, l’aliénation est synonyme de dépossession et elle s’inscrit dans la vision marxiste de l’histoire. Dans le deuxième cas, la mise en scène de l’expérience de l’auteur est la principale source d’inspiration de cette critique de l’aliénation. La subjectivité dans ces récits apparaît alors comme le seul moyen de pallier à son absence dans la théorie marxiste. Cette subjectivité s’écarte néanmoins des témoignages dénonçant le pouvoir des « mandarins » que l’on trouvait dans Labo-Contestation puisque les auteurs s’appuient ici sur la référence au féminisme et à la psychanalyse [21]. Il apparaît ainsi que le changement espéré ne vise pas l’organisation scientifique elle-même, mais plutôt les rapports entre hommes et femmes et les rapports entre les femmes et l’institution. La critique de la science dans Impascience conduit à envisager le passage d’une remise en cause de l’activité scientifique dans un cadre militant à l’étude sociale et historique des sciences impliquant une interrogation plus générale sur le rôle des valeurs dans le développement scientifique. Ce pan de la critique rencontre en effet les préoccupations des études sur les sciences, comme le note J. Peiffer revenant sur le moment où les travaux d’E. Fox Keller sont diffusés en France :

« Je pourrais résumer nos attentes comme suit : lutte contre l’appropriation d’un sexe par l’autre (aussi dans l’institution scientifique et par la science) ; déconstruction du dualisme sexuel ; recherche de traces du personnel, du subjectif, dans les concepts et les théories scientifiques à travers l’étude de leur genèse ; mise en évidence des biais sexistes dans les contenus scientifiques, même dans les disciplines qui à première vue n’étaient pas concernées par la différence sexuelle comme les sciences exactes (astronomie, mathématiques, physique) ».
(Peiffer, 2000, p. 81)
À travers ces trois revues se dessine donc le reflux progressif du mouvement social. De manière transversale, la redéfinition des fins de l’activité scientifique comme la place que cette activité occupe, ou devrait occuper, dans la société ne font pas l’objet d’un consensus. Il apparaît que la question de la différenciation ne reçoit pas une réponse définitive mais qu’elle constitue plutôt le cœur du processus de la politisation de la science. Outre le repli de la critique qui se vérifie dans d’autres mouvements au cours de cette période, l’évolution des différentes revues s’interprète comme la reformulation de cette question de la différenciation au sein des espaces de référence qui sont construits par les auteurs.

Discussion

44Au-delà de l’ancrage des différentes revues (écologie, féminisme, critique de la vie quotidienne), la critique de la science procède en laissant de côté les connaissances scientifiques pour réévaluer le rôle social de la science à partir de conceptions antagonistes des rapports entre science et politique. L’analyse lexicométrique des revues militantes a permis d’établir une cartographie des critiques qui permet de souligner trois caractéristiques. Tout d’abord, il est apparu que les revues fonctionnaient de manière similaire en cherchant à devenir des lieux incontournables pour la définition et l’élargissement d’une contestation de la science. Ensuite, ces articles ont en commun de s’interroger systématiquement sur la place de la science dans le cadre de mouvements sociaux qui dépassent l’institution scientifique. Enfin, ces revues s’inscrivent dans un questionnement sur les rapports entre l’individu et l’institution qui s’est manifesté par une critique des normes scientifiques accusées d’être à l’origine des rapports de pouvoirs au sein de l’institution scientifique et en-dehors.

45Pour conclure, l’analyse de ces revues affine la comparaison entre les critiques de la science et la version AD des liens science-politique. L’analyse lexicométrique permet d’établir que ce parallèle est fondé à travers la dé-singularisation de la science qu’ils opèrent. En fustigeant « l’idéologie scientiste » ou en proposant de remédier aux insuffisances de la théorie marxiste, il est question pour ces acteurs de remettre en cause l’autorité de la science et les liens qu’elle entretient avec d’autres sphères d’activité. L’analyse textuelle nuance néanmoins cette association puisqu’elle apparaît uniquement à travers un seul champ contextuel. Ainsi, la référence aux risques produits par les applications scientifiques ou la question de la monopolisation de l’expertise dans le débat nucléaire français n’impliquent pas de revoir complètement la façon dont la science est conçue, mais elles invitent plutôt à tenir compte des asymétries entre les acteurs qui prennent part à ces débats. Du point de vue des dynamiques de la critique de la science, le lien entre AD et critique de la science conduit à distinguer un autre phénomène : la synchronisation entre le développement d’approches subjectives qui deviennent dominantes dans les revues militantes et le renouvellement des Science Studies qui apparaissent comme l’une des voies possibles pour prolonger et pérenniser la critique de la science. Ces dernières remarques attirent l’attention sur la nécessité de prendre en considération les interactions entre les mobilisations dans le monde scientifique et les façons de penser les sciences et les techniques notamment au sein des études sur les sciences.

Annexe méthodologique

46L’analyse lexicométrique, et plus précisément la méthode d’Alceste, vise à interroger de manière transversale les critiques de la science au-delà des thèmes de prédilection des différentes revues, et indépendamment d’une grille d’analyse qui serait préalablement construite. La méthode Alceste consiste à effectuer une Classification Descendante Hiérarchique après avoir lemmatisé [22] un corpus de textes et divisé ces textes en segments de même longueur. En fonction de la distribution des unités lexicales dans ces segments, la classification aboutit à la construction de « mondes lexicaux », c’est-à-dire à la définition d’espaces de référence qui sont fondés sur la prise en compte du contexte d’apparition du vocabulaire dans des segments de texte. Les mondes lexicaux, qui sont définis statistiquement, renvoient à des espaces de référence associés à un nombre donné d’énoncés (Reinert, 1993). Ces mondes se définissent principalement par contraste ou par similarité les uns par rapport aux autres. Ces mondes lexicaux, ou classes, sont présentés par une liste de formes lexicales significativement présentes, de formes lexicales significativement absentes, de catégories grammaticales représentatives. Cela passe par le calcul du Khi2 entre, par exemple, une forme lexicale et une classe. Ce calcul est particulièrement pertinent puisque le nombre d’occurrences d’un mot n’a pas nécessairement une signification importante. Le mot « science » est par exemple très souvent employé dans les trois revues, mais il reste un indicateur très général à partir duquel il est difficile de tirer des conclusions sur la critique de la science.

47L’avantage est de fournir, à travers des procédures itératives, une représentation de l’organisation interne d’un corpus de textes. Du point de vue de l’investigation sociologique, cela tend à déplacer l’attention du chercheur du champ lexical employé dans les textes vers le « champ contextuel » (Reinert, 1990) défini par un stock commun de vocabulaire, le recours privilégié à des catégories grammaticales, ou la cooccurrence de formes lexicales. Ramener le vocabulaire des articles à un champ lexical peut en effet s’avérer contre-productif dans plusieurs cas. Ainsi, le mot « aliénation » serait rattaché au champ lexical du politique, alors qu’il s’agit d’une forme lexicale malléable qui peut être utilisée dans un texte se réclamant d’une approche « subjective » de la science.

48Afin de simplifier la lecture, seule l’analyse du corpus complet est présentée dans l’article. L’analyse a cependant porté sur quatre corpus distincts : outre le premier corpus qui rassemble les trois revues, chaque revue a été analysée séparément. Pour ces quatre corpus, nous avons mené une analyse standard et un « tri croisé » entre les dates de publication des articles et les formes lexicales qui sont présentes dans le corpus afin de faire ressortir les spécificités de la critique d’un point de vue dynamique.

Notes

  • [1]
    Les thèses de la Nouvelle Production des Connaissances [New Production of Knowledge] (Nowotny et al., 2003 [2001]) s’inscrivent dans cette perspective.
  • [2]
    Ce réseau rassemble J. D. Bernal, J. B. S. Haldane, H. Levy, P. M. S. Blackett, J. Needham, J. Huxley, L. Hogben.
  • [3]
    L’un des présupposés de la sociologie des intellectuels qui s’inscrit dans cette tradition est que l’engagement et les formes de l’engagement dépendent de la place que les agents occupent au sein du champ scientifique. Le capital accumulé dans un champ peut être, sous certaines conditions, converti dans un autre champ.
  • [4]
    Nous ne mentionnons seulement qu’une partie des nombreux groupes américains. Pour une présentation plus exhaustive, nous renvoyons au travail de S. Blume (1974) et à ceux de K. Moore (1966 ; 2008).
  • [5]
    Il existe des revues comparables à celles que nous analyserons plus loin : WechselWirkung en Allemagne, Science for People et Radical Science Journal en Angleterre, les Cahiers Galilée en Belgique, Sapere en Italie, Revoluon aux Pays-Bas (Bensaude-Vincent, 2003).
  • [6]
    Ceux qui sont alors à l’étranger à cette période sont des intermédiaires importants avec les mouvements de contestation anglo-saxons.
  • [7]
    Nous nous appuyons sur 35 entretiens semi-directifs réalisés entre 2005 et 2009 dans le cadre de travail de thèse dont cet article est tiré.
  • [8]
    Les revues analysées dans cette partie de l’article sont consultables en ligne sur le portail « Science et société » : http ://science-societe.fr/
  • [9]
    Il y a d’autres revues comme le Cri des labos ou Le module enragé qui aurait pu être analysées. Outre le fait qu’elles sont très similaires par le thème qu’elles abordent – Le module enragé est un journal du personnel de Paris VII qui traite des hiérarchies au sein de l’institution –, nous avons préféré sélectionner trois revues avec des approches différentes qui couvrent la période 1970-1977.
  • [10]
    L’analyse de Survivre et Vivre ne porte pas sur l’ensemble de la revue car les numéros publiés en 1973 et 1974 sont inaccessibles.
  • [11]
    La progression du tirage de cette revue tient en grande partie au fait qu’elle ne s’adresse pas seulement aux membres de l’institution scientifique mais à tous ceux qui s’intéressent à l’écologie. Dans les premiers temps, la revue était cependant rédigée par et pour des scientifiques.
  • [12]
    La gazette nucléaire, Le sauvage, La gueule ouverte, sont d’autres revues portant sur l’écologie durant les années 1970. Survivre et Vivre est néanmoins l’une des plus anciennes et la place de la science y apparaît plus distinctement que dans ces autres revues.
  • [13]
    Les numéros de Labo-Contestation sont coordonnés depuis Lyon par P. Clément et d’autres chercheurs de la faculté des Sciences.
  • [14]
    Les thèmes de ces numéros sont par ordre chronologique : les femmes et la science, le nucléaire, les subalternes, les mathématiques modernes, les para-sciences.
  • [15]
    Pour une présentation du principe de l’analyse lexicométrique, nous renvoyons à l’annexe méthodologique située à la fin de l’article.
  • [16]
    Sont reportées ici les cinq formes lexicales ayant les Khi2 les plus élevés. Pour les présences significatives recensées dans le tableau comme pour les absences significatives, on a p < 0,0001.
  • [17]
    Les membres de la revue ont plusieurs fois rapporté des débats-subversifs menés dans des écoles, des universités, des petits villages, des usines.
  • [18]
    De ce fait, la critique de la science tendrait vers une critique des disciplines scientifiques, et s’éloignerait ainsi d’une critique de l’institution scientifique dans son ensemble.
  • [19]
    Dans le numéro spécial consacré à la sociologie, il n’est pas question de prendre comme cible des théories ou des concepts sociologiques. Les auteurs s’attaquent, de manière plus ou moins détournée, à ceux qui sont perçus comme l’élite de la sociologie française à cette époque.
  • [20]
    Le Khi2 de « Sociologue » est de 11,0 (p = 0,0009) dans la classe 2 et de 10,9 (p = 0,0009) dans la classe 6, de « Sociologique » est de 28,0 (p < 0,0001) alors qu’il est absent de la classe 6, et de « Sociologie » de 32,8 (p < 0,0001) dans la classe 2 et de 2,5 dans la classe 6 (p = 0,11 ; NS).
  • [21]
    Alors que dans les trois revues la défiance envers toutes les formes d’autorité implique un rejet de la citation, le nom de « Freud » est celui qui recueille le plus grand nombre d’occurrences dans notre corpus (50 occurrences).
  • [22]
    La lemmatisation est une opération qui consiste à regrouper sous une même forme lexicale les différentes formes d’apparition d’un mot (adjectif, adverbe, nom) au sein d’un corpus de textes.
Français

L’article étudie les liens entre science et politique à la lumière des mouvements de critique des sciences apparus au cours des années 1970. Les critiques émises par les scientifiques sur leur propre activité sont d’abord analysées comme un processus de politisation distinct de l’engagement pacifiste des physiciens nucléaires après la Seconde Guerre Mondiale. Après avoir mis en lumière la diversité de ce processus, l’analyse lexicométrique des revues militantes publiées entre 1970 et 1977 permet de montrer que la question de la différenciation entre science et société traverse ces mouvements et qu’elle est finalement au fondement même du processus de politisation. Cette conclusion nous amène à pointer les limites de l’idée selon laquelle science et politique sont nécessairement inséparables.

Mots-clés

  • analyse lexicométrique
  • critique
  • engagement
  • politisation

References bibliographiques

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  • En ligneFilner R., 1976, « The Roots of Political Activism in British Science », Bulletin of the Atomic Scientists, pp. 25-29.
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Renaud Debailly
Renaud DEBAILLY est maître de conférences à l’université Paris-Sorbonne, et chercheur au Groupe d’Études des Méthodes de l’Analyse Sociologique de la Sorbonne (Gemass-umr 8598). Ses recherches portent sur les mouvements de contestation dans le domaine des sciences et des techniques. Il travaille actuellement sur la critique des sciences en France après Mai 1968.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 23/01/2014
https://doi.org/10.3917/anso.132.0399
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