1La cohésion sociale fait l’objet d’une préoccupation politique explicite. Elle est souvent évoquée dans le discours politique et social, dans un contexte où sont mises en évidence des difficultés, en l’occurrence une peur de la détérioration du contexte social, une instabilité généralisée, un manque de certitude concernant les façons de procéder face à des situations sociales inédites [1]. Déjà, au début du xixe siècle, des évolutions socioéconomiques rapides avaient ainsi été appréhendées. Elles donnèrent alors lieu à des discussions sur la cohésion sociale au sein des réseaux académiques et politiques [2].
2L’intérêt politique pour la cohésion a émergé, depuis la fin des années 1980, dans un contexte particulier, celui d’une concurrence et d’une restructuration économique exacerbées. En France, un « Plan national de cohésion sociale » a été décrété en 2005 par le ministre du Travail, du Logement et de la Cohésion sociale, Jean-Louis Borloo. En faisant de la cohésion le troisième de ses objectifs principaux, la « Stratégie de cohésion sociale », élaborée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe et promulguée lors du sommet de Lisbonne de l’an 2000, constitue le point d’orgue de l’intérêt dévolu à la cohésion [3].
3Recouvrant diverses dimensions, la notion est néanmoins toujours pensée en référence aux inégalités ainsi qu’à la confiance, qu’elle soit intersubjective ou portée aux institutions. Le « Plan national de cohésion sociale » vise, en France, à réduire les inégalités, en particulier celles auxquelles sont confrontées les populations issues de l’immigration, vivant dans des conditions de vie et de logement dégradées. De façon analogue, le Conseil de l’Europe a défini la cohésion sociale en rapport avec les disparités et les polarisations sociales. Il définit le « modèle social européen » comme cette volonté de « réaliser un équilibre entre la croissance économique et la justice sociale » [4]. À l’inverse, la littérature scientifique et théorique sur la notion de cohésion sociale est réduite (Bernard, 1999) et se traduit occasionnellement par une mise en cause radicale de sa pertinence (Dubet, 2009, 325).
4Émanant principalement des institutions publiques et politiques, la référence à la cohésion sociale est relayée par les médias, mais on ignore dans quelle mesure elle constitue, comme telle, une préoccupation réelle des citoyens. On serait bien en peine d’identifier des enquêtes d’opinion spécifiquement consacrées à cette notion. Notre propos sera précisément ici de tenter de reconstruire des représentations individuelles de la cohésion sociale, à partir d’enquêtes, en l’occurrence de l’European Social Survey (ess) 4e édition, réalisées en 2008 qui certes ne portent pas spécifiquement sur cette problématique mais évoquent plusieurs des facteurs susceptibles de contribuer ou non à sa consolidation.
5L’analyse que nous proposons met en œuvre une interprétation spécifique de la cohésion sociale, saisissable dans les appréciations et les jugements formulés par les enquêtés, concernant les politiques sociales, la solidarité sociale et la coexistence des différents groupes sociaux dans le cadre national. Cette interprétation de la cohésion sociale ne doit pas être confondue avec une acception de la cohésion nationale, articulée autour des déterminants de l’identité nationale, éventuellement, de la culture nationale et de ce qui fait la spécificité du lien social, sur le territoire national ou de la façon dont ce lien se constitue, en comparaison et par différence de ce qui est le cas dans d’autres pays. En ce sens, la cohésion nationale se penserait en référence à l’étranger. En Suisse, par exemple, l’appel à l’unité et à la cohésion se fait parallèlement au constat du pluralisme culturel et linguistique, envisagé comme une composante fondamentale de l’ensemble national. Peut également intervenir, lorsqu’est convoquée la cohésion nationale, une référence à la communauté (ou au communautarisme) qui n’est pas prévalente dans l’évocation de la cohésion sociale. La particularité de la situation française, en lien avec une conception républicaine et laïque de la citoyenneté, est de se référer à la nation comme espace social privilégié de définition de l’identité, de la culture et des droits. L’évocation de la cohésion sociale au sein de l’hexagone est immédiatement assimilée à la cohésion de la société française à l’échelle nationale. Cette association traduit, de façon implicite, un projet et une vision politiques de la cohésion et de l’intégration sociales [5].
6Nous tiendrons aussi pour irréductibles les notions de cohésion sociale et de lien social quoiqu’elles trouvent toutes deux un sens aussi bien au plan microque macrosocial. Il peut en effet exister du lien social sans cohésion, celle-ci désignant un niveau d’intégration supérieur de la société – sans qu’à travers ce terme il soit nécessairement fait référence à l’intégration des minorités. La cohésion sociale mobilise en outre des facteurs qui ne sont pas pertinents, lorsque se trouve apprécié l’état du lien social, tel que l’homogénéité culturelle ou socioéconomique, l’équité, la non-discrimination. Dans notre interprétation de la cohésion, les institutions de l’État social jouent en outre un rôle central comme ce fût le cas historiquement.
7La perspective que nous adopterons permet de comparer, d’une part, les théories de la cohésion sociale – en l’occurrence une interprétation compréhensive de cette dernière – ainsi que des politiques publiques, mises en œuvre dans le domaine, et les représentations individuelles de la cohésion qu’ess permet de reconstruire, d’autre part. La méthodologie que nous convoquons est spécifique, dans la mesure où nous ne proposons pas une investigation de la cohésion perçue, c’est-à-dire des perceptions individuelles et donc subjectives qu’ont les individus de la cohésion de leur groupe, et qui est pourtant considérée par certains (Bollen et Hoyle, 1990) comme un élément fondamental de la cohésion objective et de sa mesure. Cette perception individuelle de la cohésion, fondée sur un sens ou un sentiment d’appartenance au groupe et des sentiments de moralité, ne peut être analysée à partir des enquêtes par questionnaire récentes dont nous disposons actuellement. En revanche, l’ess rend possible une approche qui ne constitue pas seulement une mesure d’indicateurs de cohésion sociale, comme en proposent le Conseil de l’Europe (cdcs) [6], la direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (drees), le ministère de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement ou l’enquête européenne eu-silc (Revenus et conditions de vie). Elle permet une appréciation des représentations de la cohésion sociale plus précise que ne l’autoriseraient des enquêtes comme l’International Social Survey Program, dans ses modules « Inégalités sociales », l’Enquête sur les valeurs des Européens (evs) ou le Panel électoral des Français (2002).
8Notre démarche consistera donc à envisager à partir d’ess les représentations de la cohésion sociale à l’échelle nationale – plutôt que les attitudes à l’égard de la cohésion nationale [7] – et à dégager des attitudes typiques à l’égard de la cohésion sociale, en tenant compte, d’une part, de l’attachement individuel à ces paramètres et, d’autre part, de la contribution effective (i.e. financière) que les enquêtés sont prêts à apporter à la solidarité sociale [8]. Notre propos consistera donc spécifiquement, à partir d’ess (voir encadré 1 ci-après), à saisir l’appréciation par les enquêtés de ce que nous aurons préalablement identifié comme des dimensions fondamentales de la cohésion sociale. Pour ce faire, nous procéderons, dans un premier temps, à l’élaboration d’une interprétation compréhensive de la cohésion. Nous esquisserons ensuite, à partir d’ess, une typologie des attitudes et des jugements se dessinant en matière de cohésion sociale. Nous montrerons enfin que dans chacune de ces représentations de la cohésion prévalent certains facteurs – plutôt que d’autres – perçus comme déterminants dans la constitution de la cohésion sociale dans le cadre national. Dans cette mesure, il sera possible d’éprouver la cohérence des représentations de la cohésion sociale émergeant de cette enquête.
Encadré 1. L’Enquête sociale européenne (European Social Survey)
Elles se déroulent tous les deux ans depuis 2002. Quatre sont actuellement mises à la disposition des chercheurs : 2002, 2004, 2006 et 2008. Seule la quatrième vague (ess4) est utilisée ici.
Les enquêtes recueillent des informations sur les valeurs et les attitudes en rapport avec les évolutions des institutions européennes. Vingt pays participent au dispositif : 19 pays européens et Israël.
L’échantillon est représentatif de la population des ménages âgée de 15 ans et plus. Pour la France, il a été constitué sur la base du Recensement de 1999, à partir d’un échantillon stratifié à trois degrés de tirage. Le premier degré permet de tirer 25 unités primaires à partir de 92 Zones d’Études et d’Aménagement du Territoire (zeat) et de neuf classes d’agglomération. Le deuxième degré vise à sélectionner des ménages au sein de chaque unité primaire. Le troisième degré sélectionne les individus au sein des ménages selon la méthode du dernier anniversaire. Les étrangers sont exclus. Quatre mille cinquante unités ont été tirées dans la quatrième vague de l’enquête, 2 073 interviews ont été réalisées, avec un taux de réponse de 49,4 %.
Les interviews se déroulent en face à face et durent environ une heure. Une partie des questionnaires complémentaires sont remplis directement par les personnes interrogées. Les premières questions collectent les informations sur les pratiques, les attitudes et les valeurs des personnes interrogées. Les caractéristiques sociodémographiques des individus sont recueillies avant les questions sur les critères de jugement et de perception des individus. Le questionnaire se termine par des questions visant à tester la cohérence et la robustesse des réponses.
Une approche compréhensive de la notion de cohésion sociale
9Le discours social et politique se construit aujourd’hui autour d’une double référence à la cohésion sociale et aux inégalités, sans s’appuyer toutefois sur une définition de celle-là stricte et univoque, issue de la littérature sociologique [9].
10Pour cerner les représentations et appréciations de la cohésion sociale, nous nous appuierons sur une interprétation compréhensive et originale de celle-ci, fondée sur la tradition sociologique. Il ne s’agit pas ici de donner une définition définitive de cette notion, en elle-même multidimensionnelle (Forsé et Parodi, 2009, 17), mais d’identifier plusieurs de ses dimensions fondamentales. La cohésion sociale, que nous envisagerons dans le cadre national français, peut s’appréhender en référence à l’homogénéité sociale et culturelle, à la solidarité, à l’équité, au sentiment d’appartenance et au capital social, à la confiance [10].
11Des sociétés fortement homogènes socialement – comme le suggérait déjà Léon Bourgeois avec l’idée de « société de semblables » – ou culturellement (voir Birnbaum, 1998), présentent une forme de cohésion fondée sur l’identité et la faiblesse des disparités individuelles [11]. Cette interprétation de la cohésion sociale présuppose que les frontières de classes ne soient pas absolument étanches et que les clivages ou les conflits sociaux soient faibles (voir Lagrange, 2006 b, 74). On présuppose ainsi que la cohésion est d’autant plus forte que les inégalités et les écarts de situations individuelles sont faibles [12]. Si ce paramètre d’homogénéité est déterminant, alors la cohésion requiert des institutions qui garantissent de faibles écarts de positions, c’est-à-dire notamment des institutions de redistribution. Pour cette raison, nous avons fait jouer, dans ce qui suit, un rôle déterminant aux variables interrogeant la responsabilité de l’État dans les domaines de la santé et concernant le niveau de vie des chômeurs ou des personnes âgées (voir annexe 1).
12L’existence d’une cohésion sociale, dans le cadre national, nourrit en outre un sentiment d’appartenance collective qui se délite, lorsque les inégalités sont perçues comme intolérables, c’est-à-dire comme dépassant un certain seuil. Ce sentiment d’appartenance peut s’exprimer non pas seulement en terme d’identité mais comme un sentiment de justice, dans la mesure où la cohésion sociale présuppose que soit respectée une certaine justice sociale, notamment fondée sur la hiérarchisation de principes de justice distributive fondamentaux – tels que la satisfaction des besoins de base, le principe du mérite et le souci d’une certaine égalité interindividuelle (Forsé et Parodi, 2010, 240).
13Cette homogénéité sociale et économique repose donc, pour partie, sur des formes plurielles de solidarité (voir aussi Ferguson, Langlois et Roberts, 2009, 94) que l’on teste, à partir de l’ess avec les variables sur la conception de la justice sociale et l’appréciation des institutions de l’État social (voir annexe 1). Cette solidarité n’est pas seulement institutionnelle mais aussi interindividuelle ou peut prendre la forme d’une interdépendance et d’une coopération sociale. Le rôle fondateur de la solidarité, en matière de cohésion, a été souligné à l’origine de la réflexion sociologique par Durkheim (1893), avec la distinction entre solidarité organique et solidarité mécanique [13]. Cette forme d’interdépendance objective entre les individus s’actualise aussi bien dans une solidarité que l’on a coutume de désigner comme « chaude », c’est-à-dire dans la solidarité interindividuelle, que dans la solidarité dite « froide », c’est-à-dire fondée sur des institutions. La solidarité dite « chaude » se conçoit comme une solidarité de proximité, souvent intrafamiliale ou locale, alors que la solidarité dite « froide » repose sur les structures de l’État social ainsi que sur des formes de redistribution organisées par un pouvoir centralisé. Alors que la seconde forme de solidarité est institutionnalisée et associée à des politiques sociales de l’État, la première est plutôt informelle et repose sur des liens interpersonnels. Elle s’appuie sur une réciprocité dans les échanges sociaux, dont M. Mauss (1923) a montré qu’elle était au fondement de la cohésion des sociétés [14]. Dans le contexte des sociétés industrialisées, les institutions de l’État – instance centrale de régulation – et, plus spécifiquement, de l’État social ont constitué des modes de régulation fondateurs de la cohésion sociale nationale (Rosanvallon, 1992). Cette relation organique, unissant la cohésion sociale et une politique sociale déterminée conduite par l’État, s’est instituée durant la Seconde Guerre mondiale, en particulier en Grande-Bretagne avec le plan Beveridge (Castel, 1995, 737). Ainsi, la réduction des écarts sociaux – et l’engendrement d’une forme d’homogénéité sociale – passe notamment, dans le cadre de l’État social, par la production et l’existence de biens collectifs, tels que les soins de santé, l’éducation, rendus universellement accessibles ou par la promotion de programmes de redistribution équitables [15].
14Ce souci de justice sociale se traduit aussi dans l’égal traitement des groupes et des individus au sein de la société, ce traitement égal étant un vecteur de cohésion sociale. Cette conception de la justice sociale actualise une forme d’équité qui passe, comme on l’a vu précédemment, par le fait que ne subsistent que des inégalités justes. Cette forme d’équité s’incarne aussi bien dans un traitement équitable de tous les groupes que dans l’absence de discrimination sociale [16]. La légitimité des institutions et la confiance qui leur est portée s’enracinent, pour partie, dans ce traitement équitable des citoyens, quelle que soit leur inscription économique et sociale, dans la sphère du marché et dans la diversité des groupes et des catégories d’appartenance sociale, mais également dans la participation égale de tous les citoyens à la vie collective [17]. La légitimité des institutions se saisit, notamment, à partir d’indicateurs de confiance dans les institutions (ainsi des structures publiques ayant des missions éducatives, sanitaires ou sociales), de confiance dans le bon fonctionnement démocratique (par exemple les élus, les partis politiques, les médias…), dans le sentiment que ces institutions agissent légitimement (voir annexe 1), et enfin dans le sentiment que la société est juste. Dans cette première dimension de l’interprétation du concept de cohésion sociale – fondée sur les notions d’homogénéité sociale, de solidarité et d’équité [18] – et à ce niveau de description du modèle interprétatif de la cohésion sociale que nous proposons, la cohésion se présente comme l’effet des institutions.
15Néanmoins, ce respect de l’équité et un traitement équitable des individus comme des groupes sont propices à susciter, lorsque l’on adopte une perspective subjective, un sentiment d’appartenance et d’identité collective, dont se nourrit réciproquement la cohésion sociale (voir cdcs, § 34). La mise en évidence de ce type de sentiment, aussi bien comme soubassement de la cohésion que comme sentiment induit, est toutefois récente en sociologie. Bien que sentiment d’appartenance et identité, selon le groupe de référence auquel ils s’appliquent, peuvent avoir un rôle ambivalent du point de vue de la cohésion nationale [19], on reconnaît qu’ils ont des effets en termes de cohésion. L’identification à un groupe implique l’adhésion aux normes et aux valeurs qui prescrivent les comportements désirables et les attitudes valorisées au sein de ce groupe (Oakes, Haslam et Turner, 1994), induisant des phénomènes incontestables de cohésion. Celle-ci se traduit subjectivement dans un « sentiment » d’appartenance ainsi que dans la conviction d’appartenir à un groupe, à une communauté ou à une société donnée (Bollen et Hoyle, 1990 ; Buckner, 1988) et dont l’ess permet de recueillir l’expression. Le rôle de ce sentiment d’appartenance, doublé d’un phénomène (ou d’un effet) de reconnaissance, participe aussi bien de la construction d’une identité individuelle que collective associée, dans ce second cas, à des formes caractérisées d’allégeance collective (Lévi-Strauss, 2001 ; Gianni, 1999). La reconnaissance individuelle par le groupe a en effet un rôle décisif non seulement dans le sentiment subjectif d’appartenance mais également comme facteur objectif de consolidation de la cohésion sociale (Lagrange, 2006 c, 356) [20]. Cohésion et identité – ou sentiment d’appartenance –, dans cette perspective plus qualitative, s’alimentent alors du partage de valeurs communes et d’une communauté d’interprétations (Durkheim, 1893 ; Helly, 2002). Les études de la cohésion de groupes sociaux, à une échelle autre que nationale, l’ont bien mis en évidence. En effet, cette communauté de valeurs induit une adhésion plus forte aux normes de comportement et aux normes instituées (Knack et Keefer, 1997). Le rôle du partage de valeurs communes demeure toutefois une référence ambivalente, au titre de vecteur de la cohésion sociale dans la mesure où ce partage peut être excluant. En effet, le partage de valeurs ou l’identité collective, autour desquels peut se cristalliser une cohésion à un niveau local ou communautaire, induisent, dans certains cas, le rejet du « hors groupe », c’est-à-dire de tout ce qui présente une différence à l’égard de cette identité ou de ce groupe (Tajfel et Turner, 1979). Pour cette raison, il ne peut constituer, à lui seul, un critère d’appréciation exclusif de la cohésion sociale [21].
16Une approche réellement compréhensive de la cohésion sociale suppose également d’apprécier la nature et l’intensité des réseaux sociaux auxquels participent les individus et, plus largement, de tenir compte des résultats auxquels sont parvenues les théories du capital social [22]. La notion de capital social couvre des domaines comme : la densité et la qualité des relations et des interactions entre les individus et les groupes ; leurs sentiments d’engagement mutuel (Stanley, 2003, 5) et la confiance dans des valeurs et des normes communes ; ainsi que, comme nous l’avons précédemment évoqué, un sens de l’appartenance et de la solidarité qui est supposé être l’un des fondements de la cohérence interne d’une société (Woolley, 1998 ; Coleman, 1988, 98). La légitimité, largement reconnue, des institutions de l’État, au même titre que la confiance dans les institutions, dans l’État et le Gouvernement, ainsi que dans la volonté et la capacité des dirigeants de conduire le pays sont des facteurs décisifs – et producteurs – de cohésion sociale.
17Les dimensions de la cohésion sociale précédemment évoquées sont toutes présentes dans l’ess qu’il s’agisse de l’homogénéité sociale et culturelle, de la solidarité et de l’équité, du sentiment d’appartenance et du capital social, de la légitimité des institutions et de la confiance qui leur est portée par la population (voir annexe 1). Ainsi et pour évoquer quelques exemples, la faiblesse des écarts de situations individuelles et des inégalités est explicitement prise en compte par l’ess lorsque l’on demande aux enquêtés si « pour qu’une société soit juste, les différences de niveau de vie entre les gens devraient être faibles ». De même, la cohésion sociale fondée sur la coopération sociale appert dans l’ess avec une question portant sur l’articulation, facilitée par les aides et services sociaux, des sphères privées et professionnelles. L’équité de traitement des groupes y intervient aussi [23]. Bien que l’ess ne permette pas d’évaluer la mesure dans laquelle l’intensité des échanges sociaux est un vecteur objectif majeur de cohésion, elle permet d’apprécier le rôle de la qualité des institutions et de la confiance que les citoyens leur portent, dans des jugements concernant la cohésion sociale en France et la promotion qui en est faite (voir aussi Breton, Reitz et Valentine, 1980 et annexe 1).
Typologie des attitudes face à la cohésion sociale
Construction du modèle
18La mise en évidence, à partir de la théorie et de la tradition sociologiques, de dimensions fondamentales de la cohésion sociale nous a conduites à retenir, dans l’enquête ess, six variables jugées pertinentes pour cerner, en première analyse, une attitude générale à l’égard de la cohésion sociale [24]. Cette attitude permet de construire une typologie de profils spécifiques. Au vu de la tradition sociologique, notamment française dans son inscription historique et sa restitution présente, nous avons considéré que l’attachement et l’attitude à l’égard des institutions de l’État social constituaient une strate fondamentale d’une représentation de la cohésion sociale.
19Dans cette perspective, nous avons choisi d’examiner l’appréciation de la responsabilité de l’État s’agissant de « garantir les soins médicaux adaptés aux malades », « un niveau de vie convenable aux personnes âgées », « un niveau de vie convenable aux chômeurs » [25] ainsi qu’« un congé payé pour les gens qui doivent temporairement s’occuper de malades dans leur famille » [26]. Ces quatre dimensions couvrent les domaines de la santé, de la vieillesse et donc partiellement des retraites, du chômage et de l’aide à la dépendance qui représentent des piliers de l’État providence tel qu’il a été conçu à son origine [27]. On sait en effet qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la cohésion sociale s’est construite autour de dispositifs de protection sociale – relatifs, en l’occurrence, au chômage, à la maladie et à la vieillesse – et de transferts de ressources tels que les allocations familiales et les allocations logement (Rosanvallon, 1992).
20Aux quatre variables retenues sur la responsabilité de l’État, nous avons associé deux variables reflétant l’appréciation des effets – positifs et négatifs – des aides sociales : « Les services et les prestations sociales en France empêchent-ils que la pauvreté ne soit trop répandue ? » [28] ; « rendent-ils les gens paresseux ? », ces effets pouvant strictement s’exprimer en termes d’accroissement ou de réduction de la cohésion sociale. L’attachement aux institutions de l’État social peut en effet être le fruit soit d’une position de principe, soit de la volonté de réduire la diversité des situations sociales, i.e. les inégalités. Le degré d’attachement que l’on éprouve à leur égard peut être affaibli ou renforcé par la prise en compte de leurs effets réels [29]. Le souci pour la réduction de la pauvreté extrême animait les promoteurs des politiques sociales de l’après-guerre. Néanmoins, plusieurs enquêtes d’opinion (voir Caillot et Mette, 2002) ont montré que le soutien aux services sociaux pouvait être largement miné par le sentiment que des abus avaient été commis (Algan et Cahuc, 2006), alors même que l’on jugeait légitime que bénéficient de ces aides les individus qui le méritent. Autrement dit, le désengagement à l’égard de l’État social peut également s’expliquer, dans certains cas, par la stigmatisation de comportements de « passager clandestin », i.e. par le sentiment que d’autres citoyens ont déjà mis à mal la cohésion sociale. Or, la perception individuelle de l’état de la cohésion sociale et de son intensité a une influence sur les attitudes à l’égard des politiques redistributives et du soutien à l’État social.
21On a en effet observé que les préjugés à l’égard de groupes, perçus comme une menace à l’ordre social, sont un facteur central dans l’opposition aux mesures de justice sociale et redistributive (Gilens, 1999 ; Sears et Henry, 2005). Lorsque les bénéficiaires des prestations sociales ont la réputation d’« abuser » ou d’être « paresseux » – ainsi que certaines variables d’ess le suggèrent –, les citoyens disposent d’une raison pour leur refuser des droits. Ressurgit de façon récurrente, dans les enquêtes notamment qualitatives (voir Staerklé et al., 2007, 273), la question de savoir pourquoi la société devrait aider des personnes qui menacent les bases de l’existence communautaire, en leur octroyant des droits qu’elles ne méritent pas, et réciproquement celle de savoir s’il ne vaudrait pas mieux récompenser les personnes qui contribuent au bon fonctionnement du groupe, celles qui représentent au mieux ses valeurs et/ou celles qui le méritent le plus.
22Aux questions précédemment décrites, concernant la responsabilité de l’État dans les questions sociales et les effets des aides sociales, nous avons enfin adjoint une variable reflétant l’engagement et la propension individuelle à contribuer à ces aides : « Beaucoup de services et de prestations sociales sont financés par les impôts. Si le Gouvernement devait choisir entre augmenter les impôts et consacrer plus d’argent aux services et aux prestations sociales ou, au contraire, diminuer les impôts et consacrer moins d’argent aux services et aux prestations sociales, que devrait-il choisir ? » [30] Cette variable, qui demande aux enquêtés de se prononcer favorablement ou défavorablement face à une hypothétique augmentation des impôts, au profit d’un financement des services et des prestations sociales, permet d’apprécier l’engagement réel des enquêtés (i.e. ce que l’on nomme « willingness to pay ») à l’égard des aides sociales [31]. Il ne s’agit plus cette fois de cerner leur engagement théorique ou de principe, concernant les institutions de l’État social, mais leur propension réelle à y contribuer.
Des « solidaristes maximalistes » aux libéraux : esquisse de cinq types
23L’analyse en composante principale met en évidence plusieurs types ou profils de réponses concernant les variables relatives aux institutions de solidarité et à l’État social. L’étude comparée des scores sur chacune de ces variables permet de distinguer cinq clusters ou types (encadré 2 ci-après). La distribution des réponses pour chacune de ces cinq variables est fournie en annexe 3 (tableau A-1).
Encadré 2
Nous avons sélectionné, à partir d’une analyse en composante principale, quatre variables relatives à l’appréciation de la responsabilité de l’État s’agissant de garantir la cohésion sociale, deux variables qui expriment l’appréciation des effets des aides sociales, une dernière qui a trait à l’engagement des individus à contribuer à ce financement par l’impôt. Chacune fournit l’appréciation des individus sur une échelle de 0 à 10. Nous avons complété cette analyse par une classification automatique qui nous a permis d’établir le nombre optimal de types d’attitudes (clusters) à 5, selon la méthode de Ward, de minimum de variance au sein de chaque cluster.
– L’analyse de correspondances
L’analyse de correspondances permet d’étudier la liaison entre les types définis par la méthode des clusters et des variables décrivant les appréciations à l’égard des effets, positifs (diminution des inégalités, conciliation de la vie professionnelle et privée) ou négatifs (poids sur l’économie, sur les entreprises, pratiques abusives, égoïsme) des prestations sociales, les opinions relatives à la responsabilité de l’État en matière de santé, en direction de catégories considérées comme fragiles (chômeurs, personnes âgées) ou envers les politiques menées par l’État en faveur de l’aide aux personnes dans le besoin, et enfin les jugements en matière d’égalité (méritocratie, écarts de niveau de vie entre les groupes sociaux), soit 17 variables (voir tableau A-2). Pour simplifier l’analyse, on a réduit à trois valeurs les réponses se distribuant sur une échelle de 0 à 10. La valeur centrale (5) correspond aux personnes qui n’ont pas d’opinion tranchée, la valeur 2 a été attribuée aux opinions défavorables à l’énoncé (i.e. qui ont déclaré une réponse située entre 0 et 4), et la valeur 8 à celles qui ont déclaré une note située entre 6 et 10.
Enfin, des caractéristiques sociodémographiques ont été ajoutées dans l’analyse :
- trois catégories pour le niveau de diplôme : scolarisé au plus jusqu’à la fin du premier cycle du secondaire, diplômé du second cycle du secondaire (cap, bep, baccalauréat), diplômé du supérieur ;
- sept catégories pour le groupe social appréhendé à partir de la nomenclature egp (décrite dans l’annexe 2) ;
- quatre catégories pour le groupe d’âge : 16-29 ans, 30-44 ans, 45-59 ans, 60 ans et plus ;
- deux pour le chômage : chômeur ou autre ;
- cinq catégories pour l’origine : Français dont les parents sont nés en France, Français dont les parents sont immigrés, Français dont un parent est français et l’autre est étranger, étranger dont les deux parents sont étrangers, enfin, autre étranger.
Pour des questions de lisibilité, les réponses non tranchées (de valeur 5) n’ont pas été projetées sur le graphique.
24Chacun des cinq types que nous allons décrire peut être caractérisé socialement (voir tableau A-1 en annexe 3) de telle sorte que les groupes sociaux appartiennent de façon plus significative à tel type plutôt qu’à tel autre. Nous avons ensuite réalisé une analyse de correspondance multiple qui permet de repérer la position de chacun des types sur les deux premiers axes (voir l’encadré 2). L’axe 1 permet de décrire l’attitude à l’égard de l’aide sociale, motivée par la prise en compte de ses effets sur la solidarité « chaude » [32], son coût économique et ses effets désincitatifs en termes d’abus individuels (voir graphique 1 ci-après). L’axe 2 oppose les partisans de la méritocratie à ceux qui défendent la justice sociale. En somme, il oppose des individus sensibles aux injustices sociales, dont souffrent les plus démunis et les personnes en grande difficulté, d’une part [33], et une attitude qui concerne, d’autre part, le couple mérite/égalité. L’axe 2 permet également de saisir, chez les enquêtés, une appréciation du rôle de l’État en matière de conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, sur la description desquels nous reviendrons.
25L’analyse en composante principale met en évidence, de façon particulièrement nette, un groupe d’individus très favorables – voire militants – à l’égard de la solidarité institutionnalisée (17 % de l’échantillon). Ces « solidaristes maximalistes » affichent une attitude extrêmement positive, nourrie à la fois par des convictions de principe, concernant l’État social, et par la conviction de ses bénéfices. Ce groupe aurait aussi bien pu être qualifié de solidaristes « idéalistes » [34] puisqu’il représente un idéal-type offrant toujours des réponses extrêmement favorables à la solidarité sociale institutionnalisée, sans jamais reconnaître ses limites, mais également parce qu’il est faiblement caractérisé sociodémographiquement. Ce profil traverse tous les âges et toutes les catégories socioprofessionnelles.
26En effet, les solidaristes maximalistes – repérables dans le cadran est/sud-est – constituent un type très éloigné de la plupart des variables sociodémographiques, bien que les ouvriers y soient sous-représentés et les catégories supérieures y soient surreprésentées. On peut penser, au vu des données utilisées, que ces catégories rassemblent les cadres du public, des intellectuels sans toutefois – pour des raisons d’effectif – avoir les moyens de nous engager plus avant dans la description de ce groupe. Lorsque les solidaristes maximalistes sont appréhendés à partir des axes 2 et 3 [35] et non plus des axes 1 et 2, on y reconnaît des techniciens et des sexagénaires.
27Les « solidaristes raisonnables » (13 % de l’échantillon) sont attachés à l’État social en général, i.e. selon un éventail assez large de ses prérogatives. Cette attitude semble refléter une position de principe pour deux raisons au moins : d’une part, ces personnes – à la différence des solidaristes conditionnalistes comme nous le verrons – ne considèrent pas, de façon spécifique, que les aides sociales aient des effets positifs sur la pauvreté. D’autre part, elles ne sont pas non plus convaincues des effets désincitatifs et négatifs des aides sociales. Ce groupe de solidaristes affiche un souci raisonnable – quoique militant – pour les services et les prestations sociales [36]. Les solidaristes raisonnables (qui occupent le cadran sud/sud-est) rassemblent plutôt des ouvriers non qualifiés [37] – lesquels se partagent entre solidarité « raisonnable » et solidarité conditionnée –, des catégories populaires du salariat (mais pas d’indépendants), des personnes peu diplômées ou très jeunes (typiquement les 15-29 ans), des immigrés de première et deuxième générations, une partie des inactifs et des chômeurs.
Figure de l’analyse de correspondance

Figure de l’analyse de correspondance
28Un troisième type rassemble un groupe d’individus, favorables à une solidarité conditionnée (i.e. limitée) et fondée sur des besoins avérés (il représente 34 % de l’échantillon). Ces répondants adhèrent à une conception de l’État social qui prend en charge la santé et les personnes âgées – c’est-à-dire la retraite. Ce groupe privilégie spécifiquement l’aide à ceux qui sont dans le besoin (malades, dépendants ou vieux) et en situation d’incapacité, ce qui se traduit par une attitude caractéristique à l’égard des chômeurs et à l’égard de la solidarité familiale qu’ils ont tendance à encourager. Les partisans de ce « solidarisme conditionnel » s’avèrent fortement convaincus par les phénomènes de désincitation touchant les chômeurs. Nous verrons que leur position très négative à l’égard des effets pervers de l’aide sociale justifie cet attachement à la conditionnalité des aides. Cette attitude fortement négative n’entame néanmoins pas la conviction que l’aide sociale réduit la pauvreté. Nous avons choisi d’identifier ce groupe comme celui des « solidaristes conditionnalistes » du fait d’une attitude caractérisée à l’égard des variables de la solidarité chaude et de la solidarité familiale, s’exprimant notamment en termes d’aide à la dépendance. Ce type privilégie cette dernière forme de solidarité et semble concevoir les institutions de l’État social comme un relais de la solidarité familiale et un moyen de garantir un certain bien-être de la sphère familiale ainsi que son autonomie. Les solidaristes conditionnalistes sont aussi des solidaristes « familiaristes » [38]. On compte, parmi les solidaristes conditionnalistes – situés dans le cadran sud-ouest – davantage d’ouvriers qualifiés et de techniciens, c’est-à-dire les catégories populaires, au sens large, du salariat moyen et inférieur (ouvriers, employés, indépendants), des diplômés du secondaire et des personnes plutôt âgées.
29Le quatrième groupe est peu favorable à l’État social. Nous les nommerons « solidaristes minimalistes » (21 % de l’échantillon). Comme les solidaristes raisonnables et les conditionnalistes, ces personnes sont attachées aux fondamentaux de l’État providence, en l’occurrence la santé et la retraite, mais plus faiblement. Cette position s’expliquerait à la fois par une préoccupation relative à la réduction de la pauvreté et par la prise en considération de son coût. Ces individus sont « minimalistes » dans la mesure où leur attitude à l’égard de ces services est principalement orientée par une attention à la pauvreté plutôt que par une position de principe à l’égard de l’aide sociale, à la différence des solidaristes raisonnables. Le groupe des minimalistes se distingue également par une neutralité caractérisée s’agissant du financement des aides sociales et de leur poids sur l’économie. Son positionnement à l’égard de l’État social, qui traduit un solidarisme minimaliste, n’est donc pas motivé par une prise en compte de son coût financier qu’il soit individuel ou collectif. Si l’on négligeait leur attitude à l’égard de la grande pauvreté, les solidaristes minimalistes pourraient être qualifiés de solidaristes « indifférents », car ils ne peuvent se prévaloir d’aucune attitude spécifique à l’égard de la justice sociale largement envisagée, i.e. incluant, comme nous le verrons par exemple, les discriminations [39]. Les solidaristes minimalistes (présents dans le cadran nord-est) rassemblent, de façon privilégiée, des individus très diplômés ainsi que les catégories professionnelles supérieures du salariat.
30Se dessine enfin, de manière précise, le groupe des individus les plus défavorables à l’État social (16 % de l’échantillon). Cette attitude – que nous qualifierons de libérale, au sens francophone [40] – exprime à la fois une position de principe (i.e. la conviction que l’aide sociale a des effets désincitatifs) et le fait que ces individus sont faiblement convaincus de l’incidence de ces aides en matière de réduction de la pauvreté. En somme, ils doutent de leur efficacité et tendent à considérer que leurs effets négatifs supplantent leurs effets positifs. Les libéraux (que l’on trouve dans le quart nord-ouest) représentent un type fortement associé à une catégorie professionnelle – les indépendants – plutôt qu’à une catégorie sociale.
31Ainsi, chacun des types décrits représente des degrés d’attachement variables aux institutions de l’État social. Ces variations s’expliquent notamment par la prise en compte des effets, positifs ou indésirables, de ces institutions. Bien que d’un point de vue sociodémographique, les solidaristes raisonnables et les solidaristes maximalistes paraissent faiblement caractérisables socialement, tel n’est en revanche pas le cas des autres profils, en particulier concernant leur profession et leur niveau d’éducation. Il apparaît également que sur les axes 1 et 2, les femmes se retrouvent davantage chez les solidaristes conditionnalistes et les solidaristes maximalistes, alors que les hommes ont plus de chance de s’inscrire dans les types minimaliste et libéral. Les chômeurs et les immigrés se concentrent dans le cadran sud-est des axes 1 et 2. Parmi les migrants et leurs descendants, les Asiatiques ont une position tout à fait singulière. Les Français nés en France, en revanche, se situent au centre du graphique. De façon générale, les immigrés se distinguent assez peu, sauf ceux de première génération qui sont plutôt proches des solidaristes raisonnables. De la première à la seconde génération d’immigrés, on observe un mouvement se traduisant par plus de libéralisme puisque les individus passent du cadran du solidarisme maximaliste à celui au libéralisme. On identifie également une orientation du solidarisme raisonnable vers le solidarisme minimaliste selon que les individus sont moins diplômés ou plus diplômés.
Les fondements de la cohésion sociale en question : que privilégier ?
Les facteurs de la cohésion sociale dans l’ESS
32Ces types esquissés, nous avons voulu cerner plus en détail la façon dont chacun appréhendait des caractéristiques de la cohésion sociale n’impliquant plus exclusivement la responsabilité de l’État ni les institutions de l’État social. Comme nous l’avons montré de façon préliminaire, en référence à la tradition sociologique, la cohésion sociale ne s’incarne ni ne s’appuie exclusivement sur les institutions de ce dernier. Celle-là présente en effet des aspects institutionnels, culturels, sociaux, économiques. Elle s’envisage aussi en termes de rapport entre les groupes et de discrimination, d’équité et de solidarité, de confiance interindividuelle (voir aussi cdcs, § 11) [41]. Chacun de ces aspects se trouve exprimé dans une ou plusieurs variables du questionnaire ess (reportées en annexe 1).
33La dimension institutionnelle se trouve encore une fois appréciée dans les jugements portés par les enquêtés sur les institutions sociales de l’État en matière, notamment, d’organisation de la solidarité collective et de conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle. Le rôle de la culture, comme facteur de cohésion sociale, est testé à la fois à travers l’attachement aux traditions [42] – garantes de l’identité nationale – et à travers l’attitude à l’égard de la diversité culturelle, perçue – ou non – comme une menace pour une cohésion sociale cristallisée autour d’une identité culturelle. Nous cernerons l’attachement à la spécificité de la culture nationale en distinguant, d’une part, l’attitude des enquêtés à l’égard d’apports culturels allogènes sur le sol national et, d’autre part, leur aversion à l’immigration.
34On peut également penser que la cohésion nationale serait mise en péril par l’existence d’un groupe important de personnes très pauvres et délaissées par la société. L’intérêt pour la situation des plus démunis – qui peut se formuler en termes de sentiment d’injustice – s’appréhende dans deux variables concernant les personnes réellement dans le besoin et celles ayant de très bas revenus. La cohésion sociale pouvant enfin être pensée en termes de similarité de situations, la variable portant sur l’égalité dans la société a été retenue.
35L’importance des phénomènes de perception de la discrimination entre les groupes, comme obstacle à une cohésion sociale effective, a été saisie dans le module 2008 de l’enquête ess à travers l’appréciation, par les enquêtés, du traitement des individus en fonction de leur âge [43]. Cette sensibilité à la discrimination sociale sera ultérieurement approfondie dans l’analyse sociodémographique. L’attention portée à l’équité et à la solidarité comme principes de cohésion sociale a été saisie, dans le premier cas, à la fois dans la sensibilité à l’équité interindividuelle – i.e. dans le souci de la justice sociale [44] – et dans la sensibilité à l’équité communautaire. En effet, la réduction des inégalités structurelles, passant notamment par des politiques qui reconnaissent l’existence de groupes minoritaires et de leurs besoins respectifs, contribue à consolider une citoyenneté plus inclusive et plus égalitaire. L’attachement à la solidarité s’exprime, non pas seulement dans la dimension sociale, mais également dans le souci d’une solidarité que l’on a coutume de nommer « chaude ». Cette solidarité interindividuelle concerne aussi bien la famille que les groupes dans lesquels la vie quotidienne des individus s’inscrit. Deux variables d’ess permettent de mettre en regard l’attachement des enquêtés aux formes de solidarité « chaude » et de solidarité « froide » [45].
36Le rôle du capital social dans l’appréciation de la cohésion sociale s’appréhende aussi bien à travers la confiance que les individus se portent réciproquement, que dans celle qu’ils nourrissent à l’endroit des institutions qu’il s’agisse de celles de la démocratie [46], du système politique [47], des institutions de santé [48], scolaires [49] ou fiscales [50], ou encore dans la satisfaction qu’ils éprouvent à l’égard du Gouvernement et du fonctionnement de la démocratie en France. Nous avons mis en relation les types ci-dessus décrits avec les variables que nous venons de présenter comme des facteurs de la cohésion sociale.
Les représentations de la cohésion sociale
37Chacun des types évoqués présente une attitude distincte à l’égard des déterminants de la cohésion sociale (graphique 1).
38Une position très spécifique caractérise les solidaristes maximalistes qui sont fortement – en l’occurrence, les plus fortement – attachés à la justice sociale, à l’égalité et à l’équité de traitement des groupes. Cette dernière position n’est probablement pas liée à leur exposition récente à la discrimination, dont ils considèrent n’avoir jamais été l’objet pour leur âge ou leur genre mais souvent pour leur appartenance ethnique [51]. Ce type est le plus convaincu de la responsabilité de l’État en matière sociale ainsi que des effets positifs de son aide. Il récuse farouchement les effets possiblement délétères de celle-ci et ses conséquences, en termes de concurrence, entre solidarité institutionnalisée et solidarité interindividuelle. Il exprime une forte proximité à un parti politique mais un faible sentiment d’appartenance religieuse. Les solidaristes maximalistes n’envisagent pas la diversité culturelle comme une menace pour l’unité culturelle nationale. Cette attitude se reflète dans la très forte confiance qu’ils nourrissent en autrui, de façon globale (i.e. sur les deux variables considérées). En revanche, leur confiance est faible dans la justice comme dans la police. Leur insatisfaction transparaît aussi dans le jugement qu’ils portent sur le gouvernement, le fonctionnement actuel de la démocratie, le système éducatif et le système de santé dans sa globalité [52]. Seule l’efficacité de l’administration fiscale recueille leurs faveurs.
39Les solidaristes raisonnables sont sensibles aux injustices commises à l’endroit des personnes dans le besoin, ou ayant de faibles revenus, ainsi qu’à la discrimination en général – eux-mêmes affirmant avoir fréquemment subi des discriminations liées au genre ou à l’âge. Cette position, attentive à la justice sociale, s’exprime aussi dans un souci prononcé pour l’égalité contre la méritocratie. Les solidaristes raisonnables sont (sceptiques et) critiques à l’égard des effets positifs comme des effets négatifs de l’aide sociale. Ils ne considèrent pas que la cohésion sociale puisse, d’un point de vue culturel, être menacée par des éléments allogènes. Ils n’éprouvent pas d’attachement religieux spécifique et sont ouverts à l’accueil des étrangers, quels que soient leur origine ethnique et leur statut économique [53]. Ils manifestent une méfiance généralisée à l’égard d’autrui comme du personnel de santé et de l’administration fiscale ou de la police. Le système éducatif seul gagne leur faveur. Ils expriment un mécontentement très large concernant aussi bien le fonctionnement de la démocratie que le Gouvernement français, le système de santé et fiscal ou le personnel qui y officie. Ils se sentent néanmoins proches de certains partis politiques.
40Les solidaristes conditionnalistes, tout en étant sensibles aux injustices sociales, le sont peu à la discrimination personnellement vécue : ils récusent en effet avoir jamais été victimes de discrimination en raison de leur âge ou de leur genre mais reconnaissent pourtant l’avoir fréquemment connue du fait de leur origine ethnique [54]. Cette attitude n’est pas associée à ni nourrie par la conviction que les aides sociales ont des effets positifs sur la société – et, dirait-on, en termes de cohésion sociale. En revanche, les solidaristes conditionnalistes soulignent fortement l’impact de ces aides sur l’économie ainsi que sur les entreprises ou la solidarité interindividuelle. Ce groupe est plutôt traditionaliste et attaché à l’homogénéité culturelle, de même qu’il exprime une aversion caractérisée à l’égard de l’immigration sous toutes ses formes. Il témoigne d’un fort sentiment d’appartenance religieuse. Les solidaristes conditionnalistes sont plutôt confiants à l’égard d’autrui, de façon générale (i.e. sur les deux variables de confiance interindividuelle), et confiants dans l’ensemble des institutions de la démocratie. Ils expriment également une certaine satisfaction à l’égard de la démocratie et des institutions d’éducation, de santé, de fiscalité aussi bien qu’à l’égard des personnels de santé ou de l’administration fiscale. Comme nous l’avons perçu, ils n’attendent en effet pas un approfondissement (ou un développement) des institutions de l’État social et se révèlent donc plutôt satisfaits de sa structure actuelle.
41Les solidaristes minimalistes sont, à la différence des maximalistes ou des solidaristes raisonnables, peu sensibles à l’injustice sociale et à la discrimination dans la société, alors même qu’ils reconnaissent les effets positifs des services sociaux pour la cohésion sociale. Ils ne se sentent l’objet d’aucune discrimination concernant leur âge ou leur origine ethnique. Ils sont à la fois attachés aux valeurs du mérite et très favorables à la diversité culturelle – ce groupe étant celui qui se sent le plus fortement appartenir à une minorité ethnique. Les minimalistes sont plutôt favorables à l’immigration sous toutes ses formes. Néanmoins, ils semblent craindre qu’autrui profite souvent d’eux et manifestent également de la défiance à l’égard du Parlement. Ils expriment une certaine insatisfaction face au système éducatif comme à l’égard de l’efficacité de l’administration fiscale. Pourtant, ce groupe témoigne d’une proximité forte à un parti politique national.
42Le dernier type distingue des libéraux plutôt indifférents ou peu convaincus de l’injustice dont sont victimes les personnes dans le besoin, de la réalité de la discrimination sociale ou de l’importance de l’équité de traitement, alors qu’eux-mêmes s’avouent avoir parfois été exposés à la discrimination pour leur âge, leur genre ou leur appartenance ethnique. Ils ne sont pas convaincus – i.e. sont sans opinion à ce sujet – des effets positifs de l’État social mais, à l’inverse, sont très inquiets de ses effets négatifs notamment sur la solidarité dite chaude et l’économie. Ce groupe se caractérise par un individualisme qui s’exprime aussi bien dans une attitude fortement méritocratique, que dans la conviction du free riding (i.e. de l’attitude de « passager clandestin ») des chômeurs, des inactifs et des travailleurs et, de façon générale, des bénéficiaires des aides sociales. Ils expriment un fort sentiment d’appartenance religieuse et s’avèrent enfin plutôt très défavorables à la diversité culturelle de même qu’ils privilégieraient l’immigration de « quelques » immigrés seulement, d’origine ethnique différente ou de pays pauvres, sur le sol national. Cette attitude trouve un écho dans la prudence, voire la défiance qu’ils ressentent à l’égard d’autrui. Ce sentiment s’exprime également s’agissant des institutions de la démocratie – Parlement et justice confondus. En revanche, ils se disent confiants dans la police et éprouvent une certaine satisfaction à l’endroit du gouvernement.
Qui privilégie quoi en matière de cohésion sociale ?
43Si, à présent, l’attention se concentre sur les facteurs de la cohésion sociale, nous pourrons saisir les profils qui tendent à privilégier l’un ou l’autre de ses paramètres (tableau 1 page suivante).
Variété des jugements sociaux selon les types mis en évidence

Variété des jugements sociaux selon les types mis en évidence
44Ainsi, les solidaristes conditionnalistes et les libéraux, qui représentent des types attachés, de façon fort limitée, au rôle des institutions de l’État social dans la cohésion, ont davantage tendance à voir dans l’homogénéité culturelle et les traditions – pour les premiers en particulier – une dimension prévalente de la cohésion sociale. À l’inverse, des types qui accordent une importance de premier plan à ces institutions – comme les solidaristes maximalistes ou les solidaristes raisonnables – confèrent une importance moindre à l’homogénéité culturelle et aux traditions comme conditions de la cohésion sociale. Ces deux facteurs représentent donc des dimensions disjointes des représentations de la cohésion sociale, en ce sens que plus les individus tendront à l’envisager comme fortement dépendante des institutions de l’État social, moins ils feront de l’homogénéité culturelle un facteur décisif de la cohésion sociale.
45De la même façon, le souci pour la « solidarité chaude » – qui exprime en creux l’importance sociale que celle-ci peut jouer – est davantage le fait des solidaristes conditionnalistes et des libéraux. Ces types auraient donc tendance à privilégier des formes de solidarité familiale ou locale, dans le déploiement de la cohésion sociale (voir Vallet, 2006, 153) [55], là où les autres types construiraient leur représentation de la cohésion sociale autour des institutions de l’État social et d’une solidarité « froide ». On saisit ici des attitudes de principe que révèlent notamment certains tris croisés des variables de la sociabilité avec les cinq types [56]. La préférence pour la solidarité chaude ne se nourrit pas d’un vécu fondé sur une vie sociale plus riche que leurs pairs puisque les solidaristes minimalistes et les libéraux considèrent avoir une vie sociale comparable – en termes d’intensité – à celle des personnes de leur âge, alors que les solidaristes maximalistes jugent la leur plutôt plus riche et les solidaristes raisonnables comme les solidaristes conditionnalistes estiment la leur plutôt plus réduite. Ce sont deux représentations de la cohésion sociale qui s’affrontent ici puisque les individus les plus attachés aux institutions de l’État social accordent moins d’importance à (ou, à tout le moins, sont moins soucieux de) la solidarité chaude. En revanche, la prévalence de cette dernière dans l’interprétation de la cohésion sociale s’associe, pour les individus qui la partagent, à une conception de cette dernière en termes d’identité culturelle.
46La place de l’équité – associée à la fois à de faibles différences entre les positions socioéconomiques et au sentiment d’injustice à l’égard des plus défavorisés – se présente comme un facteur décisif de la cohésion sociale pour les solidaristes raisonnables et les maximalistes, i.e. chez des profils attachés, pour des raisons de principe et des convictions morales, à l’État social. Celui-ci est donc perçu comme une instance de régulation et de compensation des écarts de situation, dans une conception de la cohésion sociale reposant fondamentalement sur la faiblesse des écarts entre situations interindividuelles. Le souci d’un traitement équitable des individus se retrouve dans les positions de ces profils, concernant la discrimination et le traitement équitable des groupes sociaux. Ces types nourrissent une interprétation de la cohésion fondée sur l’équité et l’égalité, garanties par les institutions de l’État.
47On observe en revanche que des types, moins attachés aux institutions sociales – comme les libéraux, les solidaristes conditionnalistes et minimalistes –, privilégient la récompense du mérite et placent, dans une certaine mesure, au second plan la préservation institutionnalisée de la cohésion sociale. Cette attitude exprime une conception de cette dernière comme d’un ordre juste des inégalités et des hiérarchies sociales – en l’occurrence fondé sur le mérite – alors que la précédente attitude répond à l’idéal d’une « société de semblables ». Ce soubassement conceptuel explique que ces trois types (libéraux, solidaristes conditionnalistes et minimalistes) soient faiblement sensibles à la discrimination sociale et à l’équité de traitement des groupes. La cohésion sociale, de leur point de vue, ne s’enracine pas dans ces principes. Cette position se double, en particulier chez les libéraux et les solidaristes conditionnalistes, d’une attention très prononcée aux contraintes économiques. Celle-là les disposerait à sacrifier, au nom d’impératifs économiques, ce que d’autres – en particulier les solidaristes maximalistes et les raisonnables – jugent être des réquisits du maintien de la cohésion sociale.
48Ce complément d’analyse permet de distinguer, plus précisément, les profils initialement esquissés, en particulier, les trois premiers puisque chacun, tout en démontrant un attachement aux fondamentaux de l’État social présentait, à son endroit, un jugement nuancé. Les solidaristes conditionnalistes sont certainement le profil le plus proche des libéraux. Leur attitude à l’égard de l’État social ne s’explique pas seulement par le constat de ses effets mais aussi par une conception de la cohésion sociale fondée sur la solidarité chaude, ce qui les distingue spécifiquement des solidaristes minimalistes. Ils se différencient également des solidaristes raisonnables – groupe le plus proche des solidaristes maximalistes – dans la mesure où ces deux groupes (les raisonnables et les maximalistes) partagent une conception de la cohésion sociale, ancrée dans un attachement à l’homogénéité sociale que l’on décrira exclusivement en termes de congruence des conditions socioéconomiques et d’équité, plutôt qu’en termes d’identité sociale et culturelle, puisque leur conception de la cohésion ménage un respect et une préservation des différences culturelles.
Conclusion
49L’étude ici proposée visait à thématiser les représentations de la cohésion sociale, implicites dans la 4e édition de l’European Social Survey, en analysant leur cohérence. Cet objectif se distingue spécifiquement des études, jusqu’à présent réalisées, visant à apprécier l’état du lien social et à mesurer la cohésion sociale, dans le cadre national, comme le font les enquêtes françaises et européennes menées dans le domaine. Des représentations caractéristiques de la cohésion sociale – aussi bien dans son appréciation réelle que dans sa conceptualisation – se sont dégagées. Des jugements nuancés et des représentations complexes, en matière de cohésion sociale ont été mis en évidence, en particulier s’agissant de l’attachement aux piliers de l’État social que sont les services sociaux de santé et les retraites. En effet, cet attachement ne résulte pas toujours – bien au contraire – de la satisfaction induite par leur existence et leur bon fonctionnement mais plutôt de la conviction de principe qu’ils relèvent d’une responsabilité de l’État plutôt que de toute autre institution. On observe, pour l’essentiel, un attachement extrêmement fort des Français aux fondamentaux de l’aide sociale (santé et retraite), dont seule une minorité juge qu’ils ne relèveraient pas de la responsabilité de l’État. Il s’agit bien d’un attachement de principe aux piliers de l’État social puisque l’exigence que soient garantis des services de santé et de retraite par l’État n’est pas strictement corrélée à une appréciation positive des effets de l’aide sociale ni inversement [57]. Les institutions de l’État social demeurent donc aujourd’hui, pour une très large majorité de la population française, un élément constitutif majeur de la cohésion et du lien social. Il semble qu’il y ait une spécificité nationale – que l’on vérifiera, par une comparaison avec d’autres pays européens dans des travaux ultérieurs et une mise en perspective avec la typologie d’Esping-Andersen (1990) – en matière d’interprétation de la cohésion sociale, fortement ancrée, aux yeux des enquêtés, sur les institutions de l’État social traditionnel liées à la santé et aux retraites.
50L’homogénéité culturelle – constituée autour d’un socle historique ancestral – ne se présente pas comme une caractéristique décisive de la cohésion nationale, si ce n’est pour des personnes revendiquant explicitement une appartenance religieuse. Bien que l’actualité soit aujourd’hui animée par les débats concernant l’identité nationale, les résultats d’ess tendent à montrer que l’introduction de cultures non historiquement présentes sur le sol national n’est pas perçue comme une menace pour la cohésion sociale ou pour l’homogénéité culturelle du pays. Alors que l’attachement aux institutions de l’État social constitue une dimension forte des représentations de la cohésion sociale, l’homogénéité culturelle, pour sa part, en serait une dimension moins essentielle. Les attitudes à l’égard de la diversité culturelle semblent pouvoir s’interpréter, pour les plus négatives, non pas comme le fruit d’une interprétation de la cohésion faisant de la culture son fer de lance, mais plutôt comme l’expression d’une prévention générale, de la part des personnes interrogées, à l’égard de l’immigration.
51Une dimension insuffisamment prise en compte par les politiques françaises soucieuses de cohésion sociale – contrairement à l’orientation suivie par le Conseil de l’Europe – est le jugement, parfois fortement négatif, que les individus formulent à l’endroit des institutions de l’État et du fonctionnement démocratique, dont les théories du capital social rappellent pourtant le rôle. Or, nous avons vérifié avec l’ess que le sentiment personnel de confiance dans les institutions a des incidences sur l’appréciation individuelle de la cohésion sociale. Il semble enfin que la discrimination ne soit pas appréhendée, de façon décisive par les individus interrogés, comme une menace pour la cohésion sociale alors que des études sociologiques attestent de sa portée souvent dirimante.
52Ainsi, l’appréciation de la cohésion sociale, chez des enquêtés, présente des divergences notables d’avec les orientations prises par les politiques françaises menées dans le domaine. Alors que le gouvernement tend à privilégier des politiques visant des groupes spécifiques de la population (en particulier issus de l’immigration), l’ess fait état d’une représentation, largement partagée, de la cohésion sociale solidement assise sur les institutions de l’État social [58]. Alors que le gouvernement déploie un discours de privatisation des retraites et de la santé et met en œuvre des politiques d’intégration des populations issues de l’immigration, prévaut du côté des enquêtés un attachement à une solidarité institutionnalisée où la santé et les retraites jouent un rôle fondamental.
53L’écart se confirme entre ces représentations subjectives de la cohésion et celles que véhiculent les instances européennes, notamment le Conseil de l’Europe à travers les indicateurs européens de la cohésion sociale [59]. Un travail ultérieur permettra de déterminer si les représentations de la cohésion sociale d’enquêtés d’autres pays européens sont davantage en harmonie avec les politiques sociales nationales et européennes dans le domaine que cela n’est le cas en France.
Variables exploitées d’ESS 2008
I – Questions utilisées pour la construction des clusters
54Q134
55Les gens ont des opinions différentes sur ce que devraient être les responsabilités de l’État. Veuillez m’indiquer, en utilisant une échelle de 0 à 10, dans quelle mesure chacune des tâches que je vais vous dire devrait relever de la responsabilité de l’État.
560 signifie que la tâche ne devrait pas du tout relever de la responsabilité de l’État, et 10 qu’elle devrait en relever entièrement.
572 garantir les soins médicaux adaptés aux malades ?
583 garantir un niveau de vie convenable aux personnes âgées ?
59Q135
60Et quelle part de responsabilité pensez-vous que l’État devrait avoir pour :
611 garantir un niveau de vie convenable aux chômeurs ?
623 garantir un congé payé pour les gens qui doivent temporairement s’occuper de malades dans leur famille ?
63Q143
64Beaucoup de services et de prestations sociales sont financés par les impôts. Si le gouvernement devait choisir entre :
- augmenter les impôts et consacrer plus d’argent aux services et aux prestations sociales ou,
- au contraire, diminuer les impôts et consacrer moins d’argent aux services et aux prestations sociales, que devrait-il choisir ?
65Dites-moi maintenant dans quelle mesure vous êtes d’accord avec les propositions suivantes.
66Les services et les prestations sociales en France : 1. rendent les gens paresseux [60] ?
67Q137
68Les services et les prestations sociales en France : 2. empêchent que la pauvreté ne soit trop répandue ?
II – Questions utilisées pour la réalisation de l’analyse de correspondances
69Q134
70Les gens ont des opinions différentes sur ce que devraient être les responsabilités de l’État. Veuillez m’indiquer, en utilisant une échelle de 0 à 10, dans quelle mesure chacune des tâches que je vais vous dire devrait relever de la responsabilité de l’État.
710 signifie que la tâche ne devrait pas du tout relever de la responsabilité de l’État, et 10 qu’elle devrait en relever entièrement.
721 garantir un emploi à toute personne qui en veut un ?
73Q135
74Et quelle part de responsabilité pensez-vous que l’État devrait avoir pour :
752 garantir des services de garde d’enfants suffisants pour les parents qui travaillent ?
76Q149
77Veuillez m’indiquer en utilisant cette carte dans quelle mesure vous êtes d’accord avec les propositions suivantes, à propos des personnes vivant en France.
782 Beaucoup de personnes aux très bas revenus reçoivent moins d’aides sociales que ce à quoi elles ont droit légalement.
794 Il n’y a pas assez d’aides sociales en France pour aider les personnes réellement dans le besoin.
80Q45
81Diriez-vous que la plupart du temps les gens essaient de rendre service ou qu’ils se préoccupent surtout d’eux-mêmes ?
82Q124
83Veuillez m’indiquer à l’aide de cette carte, dans quelle mesure vous êtes d’accord ou non avec les propositions suivantes. […]
841 De grandes différences de revenus entre les gens sont acceptables pour récompenser convenablement les différences de talents et d’efforts de chacun.
854 Pour qu’une société soit juste, les différences de niveau de vie entre les gens devraient être faibles.
86Q137
87Veuillez m’indiquer en utilisant cette carte dans quelle mesure vous êtes d’accord avec les propositions suivantes. Les services et les prestations sociales en France :
881 font peser une trop lourde charge sur l’économie ?
893 conduisent à une société plus égale ?
904 encouragent des ressortissants d’autres pays à venir vivre ici ?
915 coûtent trop cher aux entreprises en impôts et en charges ?
926 permettent de concilier plus facilement vie professionnelle et vie familiale ?
93Q138
94Veuillez m’indiquer en utilisant cette carte dans quelle mesure vous êtes d’accord avec les propositions suivantes. Les services et les prestations sociales en France :
952 incitent les gens à moins prendre soin les uns des autres ?
963 incitent les gens à moins se prendre en charge eux-mêmes et leur famille ?
97Q149
98Veuillez m’indiquer en utilisant cette carte dans quelle mesure vous êtes d’accord avec les propositions suivantes, à propos des personnes vivant en France.
991 La plupart des chômeurs n’essaient pas vraiment de trouver un emploi.
1003 Beaucoup de personnes parviennent à obtenir des aides sociales auxquelles elles n’ont pas droit.
1015 Les salariés font souvent semblant d’être malades pour pouvoir rester chez eux.
III – Questions utilisées pour la réalisation du tableau 1
102Q79
103Diriez-vous que, dans l’ensemble, la culture française est menacée ou enrichie par la présence d’immigrés ? 0 signifie que la culture est menacée, 10 signifie que la culture est enrichie.
104Q68
105Maintenant, en pensant au gouvernement français, dans quelle mesure êtes-vous satisfait de son travail ?
106Q69
107Et dans l’ensemble, êtes-vous satisfait ou pas satisfait de la manière dont la démocratie fonctionne en France ?
108Q61
109Diriez-vous que vous êtes très proche, assez proche, peu proche ou pas proche du tout de ce parti ?
110Q341
111On peut se sentir plus proche de certains groupes que d’autres. Je vais vous demander maintenant de me dire dans quelle mesure vous vous sentez proche de certains groupes.
112En utilisant cette carte,
113– où les premiers cercles, qui ne se superposent pas, indiquent « pas d’identification » entre vous et – et les derniers, qui se superposent entièrement, indiquent une « forte identification » entre vous et, dites-moi s’il vous plaît dans quelle mesure vous vous identifiez avec… :
1143 votre groupe religieux
1154 le groupe de même origine ethnique que vous
116Q43
117D’une manière générale, sur une échelle de 0 à 10, diriez-vous que l’on peut faire confiance à la plupart des gens ou que l’on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ?
Le schéma de classes EGP
118Nous avons utilisé dans ce travail le schéma de classes conçu par R. Erikson, J. Goldthorpe et L. Portocarrerro. Il est couramment utilisé par les chercheurs qui mènent des comparaisons internationales dans le domaine de la stratification sociale notamment. Cette classification est basée sur la relation d’emploi qui lie un salarié à son employeur (l’indépendant étant défini comme la personne qui ne vend ni n’achète du travail) et sur la forme qu’elle revêt (degré de difficulté d’encadrement, degré de spécificité des ressources humaines, type d’échange entre effort et argent qui peut être de court terme ou spécifique, différé dans le temps ou diffus). On se reportera à Goldthorpe et al. (1979)
119Nous avons retenu la version en sept classes :
120egp 1 : appelée service class. Elle comprend les cadres dirigeants et les cadres supérieurs, les professions libérales et les employeurs.
121egp 2 : appelée lower grade professionnals. Elle comprend les administrateurs et managers de petites entreprises, les personnes qui encadrent les travailleurs non manuels, une partie des enseignants et des cadres intermédiaires de la fonction publique.
122egp 3 : employés (qualifiés) et catégories intermédiaires du tertiaire ;
123egp 4 : petits indépendants et agriculteurs ;
124egp 5 : techniciens et agents de maîtrise ;
125egp 6 : ouvriers qualifiés ;
126egp 7 : ouvriers non qualifiés.
Tableaux
Appréciations des politiques sociales (questions utilisées pour construire les types)

Appréciations des politiques sociales (questions utilisées pour construire les types)
Perceptions de la cohésion sociale selon les types

Perceptions de la cohésion sociale selon les types
Caractéristiques socio-démographiques des types

Caractéristiques socio-démographiques des types
Notes
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[1]
Voir le commissariat général du Plan (Delevoye, 1997), le rapport de l’ocde (1997), le Club de Rome (1998), the Federal Policy Research Sub?Committee on Social Cohesion (Canada) (1997) et Jenson (2008).
-
[2]
Citons par exemple l’Education Act adopté en Grande?Bretagne en 1870 (Bédarida, 1990), les doctrines socialistes comme celle de Louis Blanc (1849), d’Adolf Wagner (1876) ou celles soucieuses de « réintégrer de manière harmonieuse dans l’organisme de l’État et de la société » le « quatrième état », i.e. le prolétariat (Schmoller, 1890, 63, cité par Perrin, 1967, 310).
-
[3]
Article 2 : L’Union « promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres » (http://eur?lex.europa.eu/fr/treaties/dat/12007L/htm/C2007306FR.01001001.htm, consulté le 21/11/2009).
-
[4]
Comité européen pour la cohésion sociale (cdcs), « Une nouvelle stratégie de cohésion sociale. Stratégie de cohésion sociale révisée », § 5, Web : www.coe.int/t/dg3/socialpolicies/socialcohesiondev/…/RevisedStrategy_fr.pdf, consulté le 25/01/10.
-
[5]
Alors même que d’autres formes de cohésion sociale sont envisageables. Ainsi, on peut lire dans le rapport Delevoye que « l’État a la capacité de nourrir fortement la cohésion sociale » (Delevoye, 1997, 5).
-
[6]
Vingt indicateurs ont été sélectionnés pour évaluer la cohésion sociale par le Conseil de l’Europe parmi lesquels figurent l’équité dans les revenus, dans l’accès au travail, à la santé, au logement, l’égalité de reconnaissance entre les sexes et entre origine culturelle et ethnique, la suffisance de revenus, la participation aux élections, la confiance, les valeurs de tolérance et respect d’autrui. Notre perspective est toute autre puisque nous ne cherchons pas à évaluer l’état de la cohésion sociale dans un pays mais les représentations individuelles la concernant.
-
[7]
Sachant que la cohésion sociale peut aussi être appréhendée à d’autres plans, qu’il s’agisse des réseaux de sociabilité locaux, des communautés – dans la variété de leur forme – ou des affiliations territoriales. Nous ne nous engagerons pas non plus dans une analyse de type sociométrique ou fondée sur l’étude des réseaux sociaux, attentive à la fréquence et à la nature des interactions des membres du groupe.
-
[8]
Nous accorderons une attention spécifique à une variable qui cerne l’acceptation d’une augmentation de la contribution financière individuelle aux aides sociales, après avoir montré le rôle fondamental de ces dernières dans la production et la préservation de la cohésion sociale.
-
[9]
Pour un essai de systématisation des définitions de la cohésion sociale, voir Guibet Lafaye (2009).
-
[10]
Le concept de cohésion sociale sur lequel nous nous appuierons intègre également un souci de la reconnaissance, un souci de non-discrimination, de réduction des écarts de positions individuelles, décrites en référence à des biens premiers (santé, éducation, revenus), ainsi que d’implication sociale et politique. Chacune de ces dimensions est présente dans les variables de l’ess qui permettent aussi de saisir la convergence entre l’opinion des enquêtés et l’hypothèse sociologique connue qui juge que la cohésion est d’autant plus forte que la confiance interindividuelle et dans les institutions nationales est grande.
-
[11]
Il est vrai toutefois que, par le passé, des sociétés très inégalitaires ont connu des degrés de cohésion très élevés et que le degré d’inégalité n’est pas lié, de façon linéaire, à la cohésion sociale (Chiesi, 2009, 59).
-
[12]
Voir F. Woolley (1998) pour cette dernière dimension et J. Jenson (1998).
-
[13]
Nous ne défendons toutefois pas ici l’idée que toutes les formes de solidarité induisent de la cohésion sociale comme le rappellent les conduites de groupes, cristallisées autour du mot d’ordre : « nous contre les autres ».
-
[14]
Les travaux préparant L’Essai sur le don convergent vers une théorie de la cohésion sociale fondée sur la réciprocité des prestations, autant matérielles que symboliques, entre membres de la communauté. La fonction de la réciprocité comme vecteur de la cohésion sociale est également soulignée par des approches plus récentes, montrant que le capital social est fondamentalement lié à la croyance en la possible réciprocité des autres et à la capacité d’appréciation d’une telle réciprocité.
-
[15]
McCracken (1999), Bernard et al. (2000), Jenson (1998) par exemple défendent l’idée que la cohésion sociale est fondée sur ce type de programmes.
-
[16]
À l’inverse, « il faut plutôt déclarer injuste le fait que des individus et des groupes se voient déniés le statut de partenaires à part entière dans l’interaction sociale en conséquence de modèles institutionnalisés de valeurs culturelles à la construction desquels ils n’ont pas participé sur un pied d’égalité et qui déprécient leurs caractéristiques distinctives ou les caractéristiques distinctives qui leur sont attribuées » (Fraser, 2005, 49).
-
[17]
Cette légitimité s’appréhende en particulier dans la capacité des institutions à résoudre de façon équitable des conflits interindividuels ou entre groupes sociaux.
-
[18]
Qui nous place dans la même perspective que celle adoptée par Forsé et Parodi (2009).
-
[19]
Un fort sentiment d’appartenance et une importante cohésion sociale à une petite échelle (locale, familiale ou même mafieuse) n’impliquent pas analytiquement une cohésion forte et un sentiment d’appartenance marqué à une communauté de plus large échelle (Vallet, 2006, 154).
-
[20]
Voir aussi les études canadiennes contemporaines sur la cohésion sociale.
-
[21]
Certains récusent même que l’attachement à des valeurs communes induise nécessairement un sens d’appartenance sociétale et soit une source de cohésion sociale (Breton, 1980, 13).
-
[22]
Ce réquisit s’affirme avec force dans les approches canadiennes de la cohésion sociale qui l’articulent principalement autour des deux dimensions de la réduction des écarts, des inégalités et de l’exclusion sociale, d’une part, et de la force des relations sociales, des interactions et des liens, d’autre part, c’est?à?dire du capital social.
-
[23]
Avec la question : « Pensez?vous que le Gouvernement devrait ou ne devrait pas faire en sorte que tous les groupes dans la société soient traités de la même manière ? »
-
[24]
L’intitulé littéral des variables retenues figure dans le tableau A?2.
-
[25]
Nous avons retenu la variable soulignant la responsabilité de l’État, concernant le chômage, plutôt que la variable interrogeant sa responsabilité sur la question de « garantir un emploi à toute personne qui en veut un », en référence aux fondamentaux historiques du système d’aides sociales puisque pour Beveridge, par exemple, « ce doit être une fonction de l’État que de protéger ses citoyens contre le chômage de masse, aussi définitivement que c’est maintenant la fonction de l’État de défendre les citoyens contre les attaques du dehors et contre les vols et les violences du dedans » (cité par Rosanvallon 1982, 148).
-
[26]
Parmi les critères de cohésion sociale, thématisés dans le Guide méthodologique d’élaboration concertée des indicateurs de la cohésion sociale (2005) du Conseil de l’Europe, se trouve « l’engagement des familles ». Une « action réparatrice », correspondante et pouvant être mise en place par l’État, pour préserver la qualité de vie des personnes âgées consiste dans la « prise en charge des personnes âgées dépendantes par la famille ».
-
[27]
Le plan Beveridge propose une politique sociale d’État reposant sur trois objectifs : l’aide à la famille par des allocations familiales, l’amélioration de la santé publique, l’organisation de l’emploi.
-
[28]
Voir sur cette question le cdcs, § 4.
-
[29]
Il est certain qu’un intérêt égoïste peut expliquer le souhait que l’État maintienne un certain niveau de vie pour les chômeurs ou pour les personnes âgées, mais la formulation des variables d’ess permet partiellement d’endiguer ce biais, en centrant les questions sur la « responsabilité » de l’État en la matière.
-
[30]
Le cdcs souligne que la cohésion sociale suppose que « l’État restaure un niveau suffisant d’équité dans la répartition des richesses par des mécanismes de solidarité tels que la redistribution de l’impôt et la sécurité sociale » (cdcs, § 20).
-
[31]
Notons toutefois que certains individus pourraient juger qu’il est du rôle de l’État de veiller à ce que des négociations sociales, visant à garantir des minima sociaux, aient lieu sans considérer qu’il revienne à l’État de les financer par l’impôt sur le revenu.
-
[32]
Voir Q138.2 et Q138.3 dans l’annexe 1.
-
[33]
Voir Q149.3 et Q149.4 dans l’annexe 1.
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[34]
La qualification que nous proposons de chaque type aurait pu se formuler dans d’autres termes. À ce stade du développement, elle peut susciter, chez le lecteur, des interrogations mais l’analyse ultérieure des attitudes de chaque profil à l’égard des incidences de l’aide sociale apportera une justification supplémentaire du choix de leur dénomination.
-
[35]
L’axe 3 oppose un souci marqué pour la responsabilisation individuelle par opposition à ce que l’on pourrait nommer un attachement à la péréquation sociale, c’est?à?dire à une contribution égale des citoyens aux ressources de l’État quelle que soit leur condition.
-
[36]
Ce type est aussi celui des solidaristes « critiques », comme nous le verrons, car tout en étant attaché à la solidarité sociale, il est fortement sceptique quant à l’efficacité des institutions sociales, en matière de réduction des injustices sociales. Le qualificatif « raisonnable » s’efforce d’exprimer un souci large pour la justice sociale dont nous verrons qu’il motive une ouverture à la différence, une attitude de tolérance et une attention aux plus défavorisés.
-
[37]
La nomenclature socioprofessionnelle utilisée est décrite dans l’annexe 2.
-
[38]
Nous avons préféré, pour des raisons de commodité de lecture, conserver exclusivement la qualification de conditionnalistes. Cependant, les solidaristes conditionnalistes s’avèreront conservateurs, les solidaristes raisonnables critiques et les solidaristes minimalistes indifférents à l’égard des services sociaux.
-
[39]
Dans cette mesure, nous aurions pu les qualifier de solidaristes « différencialistes », en référence au principe rawlsien de différence qui suggère que « les inégalités économiques et sociales doivent être telles qu’elles soient au plus grand bénéfice des plus désavantagés, dans la limite d’un juste principe d’épargne […] » (Rawls, 1971, 341).
-
[40]
En référence à la conviction que l’État et les groupes privés ne doivent pas, par leur intervention, gêner le libre jeu de la concurrence entre les individus.
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[41]
Au moment où cette étude a été menée, nous ne pouvions alors disposer des données relatives au sentiment d’appartenance sur lequel les enquêtés étaient interrogés, avec la variable Q341 qui proposait une évaluation de leur proximité et de leur sentiment d’« identification » à : « la France, l’Union, européenne, à leur groupe religieux, à leur groupe ethnique, à la région où ils habitent ».
-
[42]
« Écoutez s’il vous plaît chaque description et dites?moi dans quelle mesure cette personne vous ressemble ou pas. Les traditions sont importantes pour lui. Il essaie de suivre les coutumes transmises par la religion et la famille. »
-
[43]
« En France, quelle est l’importance, s’il y en a une, de la discrimination à l’égard des gens en raison de leur âge – qu’ils soient jeunes ou âgés ? »
-
[44]
Questions D124.1 et D124.4 en annexe 1.
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[45]
Voir les questions D138.2 et D138.3 en annexe 1.
-
[46]
« En utilisant cette carte, dites?moi sur une échelle de 0 à 10, quelle confiance vous faites, personnellement, à l’Assemblée nationale, à la justice, à la police. »
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[47]
« En utilisant cette carte, dites?moi sur une échelle de 0 à 10, quelle confiance vous faites, personnellement, aux hommes politiques. »
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[48]
« Toujours à l’aide de cette carte, dites?moi ce que vous pensez en général de l’état du système de santé en France de nos jours ? »
-
[49]
« À l’aide de cette carte, dites?moi ce que vous pensez en général de l’état du système éducatif en France de nos jours ? » « Veuillez m’indiquer en utilisant cette carte si vous pensez que les médecins et les infirmières en France réservent un traitement de faveur à certaines personnes ou, au contraire, traitent tout le monde de la même manière ? »
-
[50]
« Dans quelle mesure trouvez?vous l’administration fiscale efficace, pour ce qui est par exemple de tenir les délais, d’éviter les erreurs et de prévenir la fraude ? » « Veuillez m’indiquer aussi, toujours avec la même carte, si vous pensez que l’administration fiscale en France réserve un traitement de faveur à certaines personnes ou au contraire qu’elle traite tout le monde de la même manière ? »
-
[51]
Rappelons que les solidaristes maximalistes se situent, sur les axes 1 et 2, dans le même cadran que les solidaristes raisonnables.
-
[52]
Dans ce cas spécifique, l’association fréquente soulignée par J. Donzelot (2006) de la confiance interindividuelle et du consentement envers les dirigeants, dont il fait des piliers de la cohésion sociale, n’apparaissent pas systématiquement liées.
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[53]
Nous avons croisé les cinq types avec les trois variables relatives à l’immigration : « À votre avis, combien de personnes de MÊME origine ethnique ou raciale que la plupart des Français devrait?on laisser s’installer en France ? » ; « À votre avis, combien de personnes d’une AUTRE origine ethnique ou raciale que la plupart des Français devrait?on laisser s’installer en France ? » ; « En ce qui concerne les gens venant des pays pauvres non européens, combien devrait?on en laisser s’installer en France ? »
-
[54]
La sensibilité à la discrimination, pour aucun des types évoqués, ne peut s’expliquer par le fait qu’ils appartiennent objectivement à un groupe discriminé, car les effectifs étant trop faibles, les tris croisés avec ces variables d’appartenance objective à des catégories stigmatisées ne sont pas significatifs. En revanche, la variable d’exposition récente à la discrimination exprimant le sentiment d’avoir subi et vécu une discrimination, dans les douze derniers mois, a été exploitée.
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[55]
Pourtant, on observe qu’en France, l’entraide familiale contribue à faire se replier sur eux?mêmes les milieux sociaux sans renforcer la cohésion sociale (Vallet, 2006, 154). En particulier, l’entraide familiale n’a pas d’effet redistributif en faveur des milieux modestes.
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[56]
Les trois croisés sont néanmoins, dans ces domaines, le plus souvent non significatifs comme nous l’avons vérifié avec les variables sur la fréquence des rencontres avec des amis, celle concernant la qualité des rapports amicaux et enfin avec celles des rencontres avec des personnes de tout âge.
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[57]
En d’autres termes, il n’existe pas de corrélation systématique entre l’appréciation individuelle, positive ou négative, des effets de l’aide sociale et la défense – ou la récusation – de principes redistributifs fondamentaux, relatifs en particulier à la santé, à la retraite et à la pauvreté.
-
[58]
On notera également un écart significatif entre la tendance politique consistant à développer des programmes de solidarité au plan local, d’une part, et, d’autre part, le fait que les personnes les plus attachées à la solidarité dite chaude – en somme convoquant des liens de proximité – sont les plus réticentes face à la diversité culturelle et sont, par conséquent, les plus attachées à des relations entre pairs ou familiers. Ce type de politique devrait donc davantage recevoir l’agrément de profils d’enquêtés, faisant reposer la cohésion sociale sur les institutions de l’État social (les maximalistes et les raisonnables), dont on peut supposer qu’ils n’y seraient attachés qu’en raison du rôle qu’y joue l’État (voir Bacqué et Sintomer, 2001, 242).
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[59]
Rappelons qu’au niveau européen, la cohésion sociale est définie, par le Conseil de l’Europe, comme « la capacité d’une société à assurer le bien?être de tous ses membres, en réduisant les disparités et en évitant la marginalisation ». Le Comité européen pour la cohésion sociale (cdcs) a été chargé de mettre en œuvre et de développer la stratégie européenne de cohésion sociale. Un travail méthodologique, déployé au plan européen, a conduit à l’élaboration d’une vingtaine d’indicateurs de la cohésion sociale, susceptibles de servir de référence pour l’évaluation des degrés de cohésion intranationale (voir Conseil de l’Europe, Élaboration concertée des indicateurs de la cohésion sociale, http://www.coe.int/t/dg3/socialpolicies/socialcohesiondev/source/GUIDE_fr.pdf, consulté le 22/01/10).
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[60]
Les modalités de réponse sont : 1 Tout à fait d’accord, 2 Plutôt d’accord, 3 Ni d’accord ni pas d’accord, 4 Plutôt pas d’accord, 5 Pas du tout d’accord, 6 [Ne sait pas], 7 [refus].