CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« Le juge interrogateur arrive avec une opinion déjà formée sur l’affaire dont le juré ne connaît encore rien. La manière dont le président pose les questions, dont il aide et favorise tel témoignage, fût-ce inconsciemment, dont au contraire il gêne et bouscule tel autre, a vite fait d’apprendre aux jurés quelle est son opinion personnelle. Combien il est difficile aux jurés (je parle des jurés de province) de ne pas tenir compte de l’opinion du président, soit (si le président leur est “sympathique”) pour y conformer la leur, soit pour en prendre tout-à-coup le contre-pied [... Il m’a paru que les plaidoiries faisaient rarement, jamais peut-être (du moins dans les affaires que j’ai eues à juger), revenir les jurés sur leur impression première, de sorte qu’il serait à peine exagéré de dire qu’un juge habile peut faire du jury ce qu’il veut ».
(André Gide, Souvenirs de la cour d’assises, Paris, Gallimard, 2009 [1913], 120)

Introduction

1Si l’on compte quelques témoignages autobiographiques d’anciens jurés (Gide, 1913 ; Mozère, 2002 ; D’Ans, 2003 ; Bridault, 2007 ; Brouillet, 2010), on ne dispose que de peu de recherches sociologiques sur ces citoyens tirés au sort et la plupart des publications en minimisent l’expérience construite et vécue. Et si l’on s’interroge sur le caractère démocratique de la cour d’assises (Lombard, 1993 ; Vernier, 2007), sur son statut politique eu égard au mythe du « peuple juge » (Sintomer, 2007 ; Rosanvallon, 2006), ou encore sur les valeurs morales intervenant dans le jugement (Gruel, 1991), les analyses restent assez générales et évasives sur le travail et les interrogations animant ces « juges d’un jour » (Latapie, 2009). De son côté, l’approche ethnographique reste largement enfermée dans la description des interactions entre jurés et magistrats sans interroger l’expérience des individus, leur manière de se socialiser à l’univers de la justice et surtout, sans penser les effets de ces interactions sur le rapport à la justice pénale (Jolivet, 2006). Cette surestimation des interactions et de la sociabilité au sein du jury populaire élude les rapports de forces avec les magistrats professionnels alors qu’ils structurent fortement les audiences et le délibéré. En s’interrogeant sur la manière dont les jurés populaires en viennent à se socialiser à la cour d’assises, à s’y confronter à des pratiques judiciaires, à des acteurs au premier rang desquels se trouvent les magistrats, et à y engager leur jugement – ils doivent se prononcer sur la culpabilité et sur la peine –, nous mettons en évidence une expérience marquée par plusieurs épreuves. Ces épreuves sont plus ou moins maîtrisées selon la position sociale et le parcours biographique de chacun, mais elles restent largement soumises au rapport de forces engageant des jurés profanes et des juges professionnels. La distinction entre le sacré et le profane a déjà fait l’objet de nombreux débats et réflexions tant philosophiques et sociologiques qu’anthropologiques (Durkheim, 1912 ; Mauss, 1950). Si la genèse de cette distinction est tout autant morale que religieuse, elle signifie que le monde social est marqué par de nombreuses oppositions où le profane manifeste un rapport dominé à autrui (on oppose le savant au profane, l’expert au profane, l’homme d’Église au profane...). Par analogie, le modèle analytique opposant experts (ou professionnels) et profanes a montré son intérêt dans des recherches traitant des rapports entre militants ou sympathisants et hommes (ou femmes) politiques. Loïc Blondiaux (2008) souligne que le profane n’a de sens qu’à l’aune du rôle qu’il exerce dans une relation sociale d’autorité. Ce point de vue présente une pertinence pour penser l’expérience des jurés d’assises, car il s’agit de s’interroger sur « ce que les dispositifs font aux “profanes” » (2008, 42). Mais soutenir que la cour d’assises oppose des profanes à des professionnels du droit implique quelques nuances, car les citoyens ne méconnaissent pas toujours les textes juridiques et les magistrats sont loin d’être des exécutants rationnels et « neutres » de la loi. Les catégories de jugement des magistrats, la manière dont ils perçoivent les crimes et les délits, les accusés, les victimes, etc. font intervenir des valeurs morales profanes (non soumises aux règles du droit). C’est ce que met en évidence Dominique Dray (1999) qui, s’appuyant sur une enquête ethnographique menée au sein d’un tribunal de grande instance, montre comment les juges sont animés par un « idéal absolu » de justice et un « idéal du juste personnel ». Les jugements rendus sont des jugements « ordinaires » faisant appel à un raisonnement profane, où le mis en cause est perçu selon des références sociales ordinaires (« pauvre type », « dangereux », « inaccompli », etc.). Les juges ne sont pas neutres comme en témoigne le militantisme de certains d’entre eux, et le fait que leur travail implique une activité d’interprétation induit des manières variées de dire le droit et d’appliquer la loi. Les juges peuvent utiliser le droit à des fins légales, partisanes ou politiques [1] (1). Mais ils doivent revendiquer leur impartialité ou du moins, ne pas manifester leur engagement ou opinion (rappelons que le serment des magistrats repose sur l’importance du secret à conserver, ce qui par extension suppose qu’ils soient aussi secrets sur leur opinion) (Israël, 2007). Cela leur assure une légitimité au nom de leur « indépendance » à l’égard de l’opinion et des politiques. Mais comme le souligne justement Liora Israël,

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« la revendication “d’indépendance” de la magistrature, consubstantielle de la séparation des pouvoirs, peut laisser place sous couvert d’excellence technique à des décisions de justice qui reflètent des engagements personnels ».
(Israël, 2007, 122)*

3C’est en ce sens que la critique des juges par les jurés peut invoquer des raisons extrajuridiques ou extralégales remettant en cause la supposée indépendance des magistrats, en l’occurrence lorsque les jurés soutiennent que tel ou tel président serait de droite ou de gauche.

4Pour autant, et dans la mesure où les citoyens tirés au sort ne sont pas familiarisés avec la justice pénale et n’en maîtrisent guère les codes, ils occupent d’emblée une position dominée au sein de la cour d’assises, position qui les amène à devoir à la fois apprendre à devenir « juges » à côté des magistrats professionnels, et à s’affronter à la narration de faits incriminés mettant à l’épreuve leur « émotion » et leurs valeurs. C’est d’ailleurs cette catégorie d’émotion qui permet aux magistrats de distinguer leur jugement « rationnel » du jugement « affectif » des jurés. Ainsi, la légitimité institutionnelle des jurés peut être remise en cause par les juges professionnels et participer de la domination qu’ils exercent au sein du jury de jugement. On ne peut alors comprendre les épreuves des jurés que si l’on articule leur socialisation à la justice pénale et ses professionnels, leur confrontation aux crimes, aux accusés, aux victimes, avec les pratiques judiciaires effectives lors des interactions avec les magistrats, en l’occurrence le président de la cour d’assises et les assesseurs. Cette expérience est d’autant plus « déstabilisante » qu’elle s’opère selon un double processus de distanciation à l’égard de la vie ordinaire et d’affiliation plus ou moins dominée à l’univers hautement symbolique et ritualisé des juges. Cette parenthèse aux effets symboliques plus ou moins durables sur les jurés contribue à asseoir un enchantement où l’on se sent « reconnu » et « honoré », tout en étant sous le contrôle des juges, et largement vulnérable. C’est à ce titre que l’on saisit leur souci de tenir leur rôle de citoyen afin d’être plus légitimes. De leur côté, les juges sont attachés à cet échevinage mais étant soumis à des contraintes institutionnelles – notamment la gestion et le contrôle du temps imparti aux procès – et devant également conforter leur légitimité, leurs pratiques sont susceptibles d’être lues comme relevant de stratégies d’influence, voire de manipulation. Aussi, comprendre la socialisation des jurés aux assises en croisant leur perception avec le travail des juges amène à s’interroger sur ce que cette rencontre avec la justice pénale engendre comme effet sur ces citoyens ordinaires. Sortir « changé » ou « transformé » par cette expérience comme le disent la plupart des anciens jurés réfère à une pluralité de dimensions telle que le regard porté sur la justice, sur les juges, sur soi-même ou encore sur la société dont on découvre certaines réalités au fil des procès.

5Le propre de cette expérience associant professionnels et profanes du droit est qu’elle génère des sentiments contradictoires liés au fonctionnement même de la cour d’assises. En effet, à la reconnaissance du rôle de « citoyen-juge » fait face sa disqualification (en cas de récusation par exemple) et l’apologie de la liberté au moment du vote (sur la culpabilité et sur la peine) est contrebalancée par les stratégies d’influence propres au délibéré qui produisent un verdict éloigné de son « intime conviction ». Progressivement, les jurés réalisent l’écart entre le discours normatif célébrant l’échevinage entre juges et citoyens et la réalité, un écart qui peut conduire au désenchantement et à l’émergence d’une critique sociale.

6La Révolution française a institué les jurés populaires afin de lutter contre l’arbitraire de l’Ancien Régime. Le principe de base étant que dans la mesure où l’accusé doit être jugé par ses pairs (des citoyens), tout citoyen est alors apte à être juré, comme il doit avoir le droit de se présenter au suffrage universel pour être élu. « Héritage démocratique » (Schiopa, 2001), la cour d’assises exerce une fascination sur les jurés. Aussi, l’étude sociologique de l’expérience des jurés d’assises doit partir de ce qu’ils vivent et de ce qu’ils en disent et ne pas surestimer le discours judiciaire officiel qui reste fondamentalement normatif et convenu. Qu’ils soient historiens (Garnot, 2009), sociologues (Sintomer, 2007) ou politistes (Rosanvallon, 2006), les interrogations formulées par les chercheurs à l’égard de la légitimité et du caractère véritablement démocratique de la cour d’assises témoignent moins de la suspicion entourant cette institution que de l’enjeu symbolique qu’elle représente. En effet, si les jurés estiment avoir été influencés, s’ils relèvent que certains procès tout comme l’enquête semblent parfois « bâclés », s’ils remettent en cause l’efficacité des peines jugées trop sévères ou trop laxistes, n’est-ce pas paradoxal avec le fait même qu’ils participent de la prise de décision collective débouchant sur des condamnations ou des acquittements ? On doit alors supposer que la perception que les jurés ont de la justice combine une pluralité de dimensions constituant autant d’épreuves – d’épreuves dans l’Épreuve qu’est la confrontation avec la cour d’assises et les affaires incriminées – telles que la sollicitation du jugement, la mobilisation des affects ou de l’émotion, le sentiment de légitimité-illégitimité à l’égard des magistrats ou encore les effets induits par la découverte d’autres mondes sociaux – ceux de la justice pénale comme ceux des accusés et des victimes.

Une socialisation marquée par des épreuves

7La socialisation des jurés à la cour d’assises constitue un travail parce qu’ils se consacrent pendant deux à trois semaines à servir la justice avec pour compensation des indemnités journalières dans le cas où ils seraient tirés au sort. L’épreuve des assises marque fortement les individus dans leur subjectivité, et les amène bien souvent à réinterroger leurs préjugés, à penser autrement la vie sociale. La notion d’épreuve, développée par la sociologie pragmatiste (Boltanski, Thévenot, 1991), part de l’idée que les individus sont dotés de conscience et de logique qui doivent être considérées comme des régimes d’action. L’objectif n’est pas de se focaliser sur les fins de l’action mais d’en délimiter la dynamique ou les formes d’engagement. Ainsi, les jurés d’assises se confrontent à des épreuves autorisant le passage d’un type d’engagement à un autre (par exemple un engagement légal, reposant sur l’obligation de siéger peut donner lieu à un engagement plus « citoyen » où l’individu adhère à son rôle et se voit comme incarnant une démocratie populaire). Ce sont les situations ou les contextes d’interaction qui, en tant qu’épreuves, déterminent le travail critique des acteurs. En suivant le modèle analytique de Boltanski, on peut dire que l’expérience et l’engagement des jurés lors des assises engendrent des registres de justification variés qui leur permettent de donner un sens moral à leur pratique. Comme le souligne Luc Boltanski :

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« À travers les épreuves, et la manière dont elles s’articulent entre elles, se dit aussi quelque chose de l’ordre social ».
(Boltanski, 2005, 73)

9Si les épreuves mises en œuvre par l’institution judiciaire marquent les jurés, c’est parce qu’elles visent à confirmer la cour d’assises en tant que figure emblématique de l’État régalien, et fournissent du même coup aux citoyens-juges l’argument de la contestation et de l’interrogation sur les pratiques judiciaires effectives ainsi que sur leurs propres valeurs. L’expérience et « l’engagement » moral des jurés lors des assises les amènent à construire et à repenser leur manière de juger mais aussi à s’interroger sur leur propre « responsabilité » devant les faits incriminés. Il ne s’agit plus de « souffrir à distance » (Boltanski, 2007 [1993] ) mais de réagir dans une proximité qui engage le jugement. Ainsi, Patrice, agent hospitalier, a eu « honte d’être un homme », car il ne supportait pas de « voir que ces femmes [victimes de viol] ont été détruites par des criminels ». De son côté, Liliane, professeur de musique, ne conçoit plus sa « vie sans lutter pour éviter que ces choses se produisent ». Elle se demande « si ce gamin qui a été violenté par ses parents n’aurait pas eu un meilleur avenir si on avait su réagir plus tôt ! ». La sociologie pragmatiste éclaire partiellement sur l’expérience des jurés dans la mesure où les épreuves auxquelles ils s’affrontent mettent en jeu de « l’émotion » où alternent indignation et dénonciation, souffrance ressentie et invocation de principes de justice, tels que « réparer », « sanctionner », « exclure » et « réinsérer ». Il s’opère ainsi une sorte d’aller et retour entre des jugements moraux généraux et des jugements moraux contextualisés, car

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« on ne juge pas sans conséquence, et on doit peser tous les éléments pour pouvoir juger avec une certaine objectivité ».
(propos d’une juge assesseure)

11Pourtant, il convient de penser les épreuves vécues par les jurés en les rapportant à leur expérience sociale de profanes, une expérience qui procède aussi de leur biographie. Ne peut-on pas considérer que l’épreuve dit tout autant sur l’institution judiciaire et son fonctionnement que sur les jurés porteurs d’une histoire qu’ils ne manquent pas d’ailleurs d’interroger au terme de cette expérience de jugement ? Nous associons la notion d’épreuve à celle d’expérience où le juré doit se socialiser à un univers judiciaire méconnu, élaborer des stratégies – pour éviter d’être récusé, maîtriser en apparence ses émotions, formuler des questions acceptables – et construire une distance réflexive et plus ou moins authentique (Dubet, 1994). Ainsi, on peut mobiliser la notion d’épreuve en en élargissant le sens, notamment à l’aune de travaux récents (Martuccelli, 2006 ; Dubet, 2009) qui permettent de cerner de manière novatrice ce qui se joue et se construit chez des individus devant endosser un rôle auquel ils sont peu préparés. Dans la mesure où les caractéristiques structurelles de la société telles que l’origine sociale, les classes sociales, les titres scolaires, la catégorie de genres ne suffisent pas pour rendre compte de la diversité des manières d’agir des individus, l’option analytique mobilisant la notion d’épreuve assure une certaine continuité entre le collectif et l’individuel, entre le commun et le singulier.

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« Un des mérites de la notion d’épreuve est justement d’apparaître comme un opérateur analytique capable de rendre compte à la fois de tendances croissantes vers une mise en forme commune de défis et de la diversification des réponses singulières ».
(Martuccelli, 2010, 157)

13Si l’on souscrit à l’idée que cette expérience des assises est largement vécue sur le mode personnel, il faut aussi y voir la manifestation d’un travail de l’acteur dans lequel « la subjectivité des individus est probablement ce qu’il y a de plus social » (Dubet, 2009, 208). Plusieurs jurés font état d’une souffrance personnelle et à l’instar de Gilbert, 52 ans, électricien, qui a eu « besoin de parler à une psychologue », c’est souvent l’impression d’avoir été délaissé avec ses « problèmes » qui prévaut. Cette « épreuve existentielle » (Boltanski, 2009) peut expliquer l’adhésion à un collectif d’anciens jurés qui, en œuvrant pour peser sur la justice et améliorer le sort des victimes et des détenus, ou encore prévenir la récidive, permet d’abord au juré de socialiser la souffrance vécue. C’est ainsi qu’une ancienne jurée nous dit :

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« Je pense que l’association [des anciens jurés] atteindra son objectif quand on parviendra à rassurer les nouveaux jurés et à lever leurs inquiétudes. »

15C’est aussi l’écart perçu entre les sensibilités des jurés, les émotions éprouvées lors des procès, et l’attitude apparemment « neutre » et « impassible » des juges qui interpellent les premiers. Elle fournit l’argument d’une critique récurrente des magistrats perçus comme « inhumains » et « blasés ».

16Or, la socialisation à la cour d’assises, en suscitant largement la catégorie d’« émotion » chez les jurés, en indique le statut profane et dominé vis-à-vis des juges professionnels. Et lorsque les magistrats font l’apologie du « bon sens » et du « vécu » de ces citoyens pour en légitimer le rôle, ils sont en même temps réticents à l’égard de jugements peu « rationnels » et peu « sereins » chez certains jurés. Pourtant, bien que la référence à l’émotion et à un regard « humain » soit avancée par les jurés comme une manière de s’opposer à un regard juridique « blasé », ils ne sont pas réfractaires au droit et parfois même, leur participation à plusieurs procès en fait des « initiés » repérant les stratégies et les règles du jeu, et pouvant, à ce titre, déstabiliser l’autorité du président de la cour d’assises. Ainsi, la socialisation à la cour d’assises, à ses rituels et à des faits incriminés souvent cruels, s’opère sur fond d’interrogations sur sa légitimité de « citoyen-juge » que les magistrats cherchent à conforter tout en en soulignant les limites. La diversité sociale des jurés favorise des interactions et des rapports différenciés tant aux affaires jugées – avec des regards hétérogènes sur les accusés et les victimes –, qu’aux juges. Si l’impression d’avoir été reconnu par l’institution judiciaire est très répandue chez les jurés, elle cohabite également avec un certain désenchantement :

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« C’était une expérience riche et instructive… Mais après, on revient dans notre vie ordinaire et on a l’impression que l’on est oublié par la justice ».
(Roland, 43 ans, agent administratif)

18Ce contraste est davantage ressenti par les jurés les plus modestes socialement.

La cour d’assises comme lieu de rencontre entre des citoyens ordinaires et des magistrats professionnels

19Ce qui spécifie la cour d’assises, à côté de l’échevinage entre juges et jurés [2], c’est le tirage au sort de ces derniers à partir de listes électorales en vue de juger des crimes. Elle est emblématique du lien étroit entre démocratie politique (le droit de voter et de se présenter au suffrage universel) et devoir citoyen (le tirage au sort comme garantie d’un jugement au nom du peuple). La cour proprement dite est composée du président et de deux assesseurs, tous trois étant des magistrats professionnels. À cette cour, les jurés populaires apportent leur concours à partir de l’écoute des débats puisque seul le président a connaissance du dossier de l’instruction. Lorsque des citoyens ordinaires reçoivent le courrier leur annonçant qu’ils sont désignés comme jurés d’assises, c’est l’image de la justice pénale qui s’impose, une image jalonnée de représentations dans lesquelles se mêlent procès médiatiques, figures de criminels et drames des victimes. L’imaginaire du crime structure le regard porté par les jurés sur les assises, un imaginaire qui convoque également des documentaires, des séries télévisées ainsi que des films de cinéma. Comme le souligne Émeline Seignobos, auteure d’une thèse portant sur la rhétorique de la parole judiciaire dans les cours d’assises (Seignobos, 2010, a),

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« Le procès en assises, par ses enjeux et son ampleur, constitue le procès type dans l’imaginaire collectif, affirmant sa confiance ou ses réserves tant sur l’institution que sur la parole convoquée au prétoire ».
(Seignobos, 2010, b, 239)

L’imaginaire du crime

21L’imaginaire du crime soutient le regard porté par les jurés sur les assises, un imaginaire qui convoque également des documentaires, des séries télévisées ainsi que des films de cinéma. L’analyse historique menée par Frédéric Chauvaud (2007) met en évidence le caractère « inhumain » du criminel, perçu comme un « monstre ». S’attachant à mettre en relief la construction sociale et culturelle du criminel, il montre comment les images monstrueuses de celui-ci, comment la « matérialité lugubre » du crime sont mises en discours et en caricature par les médias, la justice et l’opinion.

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« La personnalité criminelle représente toujours une énigme. Montrer l’auteur d’un assassinat, c’est apporter un peu de clarté et dissiper en partie les ténèbres qui l’entourent. Le monstre devient à la fois plus proche et plus lointain ».
(Chauvaud, Vernois, 2004, 13)

23Les auteurs montrent comment les caricaturistes – davantage que les illustrateurs – s’érigèrent dès le xixe siècle en auxiliaires de justice afin de peser sur l’opinion et d’attiser son émotion en présentant de manière exagérée le criminel comme un « monstre » inhumain. Le crime et le criminel ne se réduisent pas à une réalité objective mais sont également construits socialement et médiatiquement. Philippe Artières et Dominique Kalifa (2001) montrent comment la présentation médiatique des crimes concourt, à travers des discours spécifiques, à produire une réalité nouvelle qui va au-delà des faits incriminés et alimente un imaginaire social. La « vie de papier » de ce « tueur de femmes » – Henri Vidal –, qui consiste en un :

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« étonnant amoncellement de récits et de commentaires judiciaires, médicaux, médiatiques, personnels » contribue à « construire une nouvelle intrigue »
(Artières, Kalifa, 2001, 8)

25s’éloignant progressivement de l’événement initial. Le montage proposé par les auteurs qui reprennent les discours de différents acteurs – magistrats, avocats, enquêteurs, criminologues – offre la possibilité de comprendre comment l’imaginaire social du crime procède aussi de représentations et d’images qui ne se réduisent pas aux faits incriminés. La figure du criminel est ainsi déconstruite, puisque le crime est le résultat d’une construction sociale et fait aussi l’objet de discours contradictoires, sans doute parce que la société est traversée par des paradoxes et des désaccords. En ce sens, on peut comprendre le sentiment de décalage et de distance plus ou moins affirmé entre l’imaginaire du crime et les accusés. Entre l’inculpé qui « a la tête de l’emploi » et celui dont le comportement et l’apparence contrastent avec les faits qui lui sont reprochés, ce sont ces a priori qui sont mis à l’épreuve.

Les jurés et le « regard neuf » sur les faits incriminés

26Chaque année, près de 20 000 citoyens sont convoqués par les cours d’assises en vue de siéger comme jurés (Beauvallet, Cirendini, 2004). Les crimes jugés impliquent en cas de culpabilité reconnue une sanction qui peut aller de plus de dix ans fermes à la réclusion à perpétuité. Trois principes caractérisent la cour d’assises : l’oralité, la continuité des débats et « l’intime conviction » (Le Quinquis, 2004). Les jurés ne peuvent répondre que par « oui » ou par « non » aux différentes questions formulées par le président. « L’intime conviction » comme catégorie juridique est affirmée dans le Code de procédure pénale. Elle est prononcée solennellement à deux reprises par le président de la cour d’assises : au moment de l’installation du jury de jugement et juste avant que la cour et les jurés ne se retirent pour délibérer. Pour les juges professionnels, les jurés « apportent un regard neuf » et cela est censé « éviter que l’on tombe dans des routines » (une présidente de cour d’assises). C’est d’ailleurs ce propos qui est avancé lors de leur accueil par le président, manière de dire leur légitimité « même s’ils ne connaissent pas le droit » (un président de cour d’assises). Les jurés construisent « une vérité » des crimes qu’ils ont à juger. Il s’agit d’un jugement qui repose sur une croyance selon des indices, des faits rapportés, débattus de manière contradictoire et selon des arguments plus ou moins vraisemblables (par exemple selon que les faits incriminés partent d’une constatation ou d’une dénonciation comme dans les affaires de viol et de mœurs qui constituent l’essentiel des crimes jugés). De fait, il s’agit moins d’aboutir à la « manifestation de la vérité » (art. 81 du Code de procédure pénale) que de se forger une opinion appelée « intime conviction ». La rencontre du tribunal et des juges professionnels oblige les jurés à s’informer sur le fonctionnement des assises, à s’organiser par rapport à leur activité quotidienne – professionnelle en l’occurrence – et à se socialiser à un rôle aux configurations incertaines. Cette socialisation débute bien avant leur venue au tribunal pour le jour de la convocation. Mais s’il existe des différences entre les jurés quant aux manières d’appréhender et d’anticiper leur rôle à venir, une interrogation récurrente les travaille : celle de leur légitimité. « Qui suis-je pour juger des accusés ? », se demandent-ils. Cette interrogation accompagne largement la relation dominée aux magistrats professionnels, dont la forte légitimité peut aussi renforcer le sentiment d’être « manipulé » que certains jurés disent avoir éprouvé. Cette socialisation à la justice pénale est d’autant plus contraignante qu’elle contraint à un apprentissage en un temps très court, puisque la plupart du temps, les jurés sont accueillis la matinée et le premier procès débute l’après-midi.

Une légitimité incertaine : entre reconnaissance et domination des juges

27Dans la mesure où la probabilité d’être tiré au sort est très faible (une chance sur 1 300 en Province, une chance sur 1 800 à Paris), les jurés se considèrent comme « privilégiés » et peuvent, à l’issue de la session des assises, s’autoriser à défendre – manière de prolonger leur fonction de « juge » – la justice pénale, la cause des victimes ou parfois celle des accusés. La légitimité des jurés est institutionnelle puisque leur rôle est reconnu et est affirmé comme emblématique d’une justice « démocratique » faisant en sorte que les accusés soient aussi jugés par leurs « pairs », à savoir des citoyens issus de la société civile. Mais cette légitimité est constamment mise à l’épreuve car elle se construit selon les étapes de socialisation qui sont autant de moments susceptibles de disqualifier le juré. Qu’il s’agisse de la récusation, de la manifestation involontaire de son opinion – par un geste ou une mimique lors des audiences – ou d’un « rappel à l’ordre » par le président lors du délibéré, le juré n’est pas assuré d’une reconnaissance tangible. Par ailleurs, la manière dont il juge les faits incriminés est également soumise à un processus de légitimation-délégitimation selon le degré de conformité de son point de vue avec celui des magistrats. Comme le souligne ce juré :

« Le juge nous a bien expliqué qu’il ne fallait pas juger à-tout-va […] on n’a pas à dire “je vais mettre perpétuité au type parce que ce qu’il a fait à la gamine, il aurait pu le faire à ma propre fille” ! »
Protéiforme, la légitimité du juré recouvre une diversité d’éléments tels que le mode d’accueil et d’« intronisation » (expression d’un juré) du citoyen-juge, la prise en compte de ses questions destinées aux témoins, aux experts et à la défense, formulées le plus souvent par le président lors de l’audience, et la place accordée à son intime conviction pendant le délibéré. Si la légitimité des jurés reste largement suspendue au degré de reconnaissance manifesté par les magistrats, c’est parce que ces derniers occupent une position dominante : ils incarnent la justice pénale, ont une maîtrise du droit et des codes informels de l’institution et sont forts d’une expérience professionnelle en fonction de laquelle ils peuvent tempérer ou peser sur le point de vue des jurés. Cette expérience inattendue suppose que les jurés, selon leur socialisation antérieure, leur position sociale et leur plus ou moins grande familiarité avec les univers reposant sur une économie des échanges symboliques (en particulier les interactions langagières supposant la capacité à écouter et à se concentrer sur des discours et des débats), seront plus ou moins « à l’aise » dans le rôle à construire. La rencontre avec la cour d’assises s’accompagne d’interrogations sur sa légitimité en tant que juré n’ayant pas de compétences juridiques. Aussi le propos des juges, secondés par les greffiers, est-il de tenter de les « rassurer », d’insister sur leur « bonne volonté » et le « bon sens » et sur leur « intelligence » afin de juger. Mais ce discours de légitimation résiste peu aux nombreux paradoxes que les jurés ont vite fait de relever et dont l’expression la plus manifeste, et sans doute la plus violente, est celle de la récusation. En effet, récuser un juré qui s’est longtemps préparé à cette échéance, qui a bien retenu l’obligation de présence, qui s’est assuré d’une relative légitimité, n’est-ce pas le disqualifier jusqu’à générer le sentiment d’être méprisé par la cour ? Cela semble d’autant plus marquant que la récusation est annoncée sans justification, ce qui laisse place à de nombreuses suspicions. Ainsi, une jurée déclare qu’une dame ayant été systématiquement récusée « était persuadée qu’elle n’a pas été retenue parce qu’elle est femme de ménage ! ». Le mépris parfois ressenti par les jurés leur rappelle leur statut doublement dominé : au sein de la cour d’assises et dans la vie sociale.

L’influence des magistrats et de l’expérience sociale sur la formation du jugement

28Une recherche menée auprès de 40 anciens jurés par Patrick Scharnitsky et Nikos Kalampalikis (2007) a montré que trois variables « extralégales » interviennent dans la formation du jugement chez les jurés populaires : il s’agit du président de la cour d’assises, des autres jurés et du traitement du crime par les médias. Bénéficiant d’une légitimité institutionnelle, le président apparaît comme un « personnage central » : le fait qu’il soit le seul parmi le jury à connaître le dossier, qu’il dirige l’audience, qu’il choisisse l’ordre de son déroulement (par exemple en débutant par l’exposé des faits de personnalité ou en privilégiant les faits incriminés), qu’il sélectionne les questions à poser et que sa présence soit continue pendant toute la session (celle-ci couvre 4 à 6 procès) en fait un acteur princeps. Aussi, notre recherche a cherché moins à confirmer ou non son influence qu’à en saisir les dimensions à l’aune de ce qu’en disent les jurés et les magistrats. Or, le travail des jurés débute bien avant la rencontre avec la cour d’assises et ses professionnels, car aux interrogations sur les manières de s’organiser et de repenser son quotidien ordinaire se conjuguent des questionnements sur son rôle, sur ce qui est attendu, sur la capacité à juger des « criminels », etc. Bref, ces questionnements sur sa socialisation à venir et sur sa légitimité accompagnent la rencontre avec les magistrats, le greffier et l’huissier. Ce sont les modalités de cette rencontre, les manières dont s’effectue leur accueil par les magistrats – le président de la cour en l’occurrence – et la façon dont s’opère le processus de légitimation-dé-légitimation (notamment par le jeu des récusations ou de la « confirmation ») qui augurent de rapports de domination que l’on ne peut saisir qu’à partir de la distinction entre profanes et experts du droit. Mais le travail des jurés présente une double face : celle de l’apparence, de ce qui est observable lors des audiences ; celle du caché, de ce que les jurés pensent et vivent subjectivement et collectivement, pendant les débats formels, comme dans les coulisses (au moment des suspensions d’audience) ou une fois revenus à leur domicile. Ainsi, l’influence d’autres acteurs peut être plus ou moins effective comme, par exemple, la participation de la famille ou des proches du juré. Il n’est pas rare que des jurés soient accompagnés de l’un de leurs proches, celui-ci assistant au procès parmi le public et assurant ainsi un soutien, de sorte que le débat autour de l’affaire jugée se prolonge en dehors du procès. Cela autorise à penser que le jugement peut se construire collectivement en dehors de l’enceinte du palais de justice. Mais d’une manière générale, le rapport de forces entre les jurés populaires et le président accompagné de ses deux assesseurs ne prend sens qu’au regard de l’expérience sociale des premiers. Si le jugement des affaires criminelles laisse souvent apparaître le poids des sensibilités idéologiques des jurés (Kellerhalls, Languin, 2008), il devient aussi un élément participant de leur disqualification par des juges insistant sur l’importance de la « neutralité » et de « l’objectivité ».

Se socialiser avec la cour d’assises : entre appréhension, interrogations sur sa légitimité et construction de son rôle

29L’intrusion de la parenthèse des assises dans la vie des individus concerne en réalité les jurés et leur entourage familial, professionnel, amical, etc. Même si la plupart des jurés marquent leur étonnement et appréhension lorsqu’ils sont convoqués par la cour d’assises, ils se sentent symboliquement reconnus et valorisés. Passées l’appréhension et les interrogations sur leur rôle à venir, c’est un certain enchantement qui gagne progressivement les jurés, enchantement que renforce l’apologie, par les magistrats, du « devoir citoyen » et du « jugement au nom du peuple français ». Cet enchantement procède aussi de l’imaginaire social entourant la justice pénale et de son caractère « impressionnant :

« Si la justice pénale impressionne, c’est qu’elle a gardé, en dépit des révolutions, des insurrections, des émeutes, des guerres et du processus de désacralisation qui affecte l’ensemble des institutions, le lustre du passé : le “costume d’audience” des magistrats, les robes noires des avocats maintiennent à distance les hommes et les femmes ordinaires ».
(Chauvaud, 2007, 9)
La socialisation à la cour d’assises comporte plusieurs séquences et moments saillants ayant chacun sa signification sociale et symbolique plus ou moins marquante pour le juré.

L’appréhension du rôle face à un monde « impressionnant » et où « l’on se prend au jeu »

30Lorsque les futurs jurés parlent autour d’eux de leur convocation, deux réactions majeures sont observées :

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« Certaines personnes disent : “ah, j’aimerais bien être à ta place !”, et d’autres, “je n’aimerais pas être à ta place, je ne sais pas ce que je ferais, si j’irais ou non !” ».
(Marc, cadre dans une entreprise de transport)

32Certains jurés n’hésitent pas à consulter des ouvrages, à effectuer des recherches sur Internet afin de connaître et comprendre le fonctionnement de la cour d’assises.

33

« […] Je me suis un peu documenté, j’en ai parlé autour de moi, et j’ai été lire des blogs sur le Net… ».
(François, 34 ans, technicien de laboratoire)

34Amélie, 30 ans, agent d’entretien, a pris contact avec son cousin gardien de la paix afin de « savoir ce qu’on allait [lui] demander et comment fonctionne la justice ». L’arrivée au tribunal le jour de la formation du jury de session est marquée par de l’inquiétude, des interrogations ainsi que des craintes exprimées au hasard des conversations. « Appareil violent et secret » (Lascoumes, 1978, 241), le palais de justice où se tient la cour d’assises exerce un effet de fascination sur les jurés. Les rituels caractérisant les comportements et le langage plus ou moins juridique de la cour d’assises « impressionnent » les jurés. La « solennité » des échanges apparaît même comme une sorte de valeur qui gagnerait à être étendue à la vie sociale ordinaire :

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« J’ai bien aimé ce protocole, cette façon posée de s’exprimer des juges, ça manque aujourd’hui dans notre société où tout va si vite ».
Marie-Paule, 53 ans, ingénieur de recherche)

36Si le tribunal où se tiennent les assises impressionne, c’est parce qu’il apparaît comme une « épreuve de vérité » (Boltanski, 2009) car il vise à faire en sorte que la norme soit présente à travers des cérémonies ou des rituels qui confirment et reconfirment l’existence d’un ordre symbolique. Le sentiment de devoir se socialiser à un univers largement méconnu génère une sorte de rupture avec la vie quotidienne ordinaire ; et le qualificatif employé à plusieurs reprises par les jurés, à l’instar de Bernard, 59 ans, cadre commercial, est celui d’« impressionnant ». Ce qui impressionne ce juré, ce sont les événements qui scandent la cour d’assises, et plus particulièrement, la lecture de l’acte d’accusation, l’appel des témoins, des enquêteurs et des experts, etc. Ce monde « impressionnant » va de pair avec une faible maîtrise subjective de cet ordre interactionnel et des « rouages » de la justice. Ce n’est que progressivement que l’on « se prend au jeu ». Se prendre au jeu, c’est jouer le jeu et incarner progressivement son rôle, apprendre à s’affilier aux règles jusqu’à se sentir « juge » :

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« Moi, je me suis pris au jeu. On s’y met quoi. On a presque l’impression d’être magistrat par moments, c’est vrai, parce que moi je me suis rendu compte que les jurés avaient beaucoup d’importance. On nous prenait quand même beaucoup à partie. Et c’est vrai que de toute façon, sur 12 personnes vous avez quand même 9 jurés donc ça pèse beaucoup dans la balance ».
(Bernard, cadre commercial)

38C’est ce sentiment de découvrir un monde solennel qui préfigure des rapports de domination, comme si l’univers du tribunal et de ses professionnels marquait « la ligne » de démarcation avec la vie sociale ordinaire et la vie profane. Mais si différentes étapes jalonnent la socialisation à la cour d’assises, certaines sont plus marquantes que d’autres. C’est le cas de ce moment où l’on appelle les jurés tirés au sort afin qu’ils viennent s’installer aux côtés de la cour. Moment hautement symbolique mais aussi instant susceptible de disqualifier le juré appelé puisqu’il peut être récusé.

L’épreuve de la récusation comme rappel de son statut de profane

39La récusation est un événement qui marque durablement les jurés surtout ceux qui font l’expérience de cette disqualification. Thierry, 40 ans, ouvrier du bâtiment, a été récusé lors du premier procès :

40

« Je n’ai pas compris pourquoi on m’a refusé ! On ne se sent pas bien à ce moment-là ! […] Après, j’ai compris que c’était dû à mes habits parce que la seconde fois, comme j’avais mis un costume, je n’ai pas été refusé. »

41Georgette, 65 ans, a été récusée trois fois et cela tiendrait à son âge avancé :

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« J’ai été tirée au sort plusieurs fois mais j’ai été souvent récusée… les vieux étaient assez vite jetés, il y avait une dame qui venait de N. elle était toujours récusée parce qu’elle avait vraiment l’air beaucoup plus âgée. »

43Apparence vestimentaire, âge, sexe…, les raisons invoquées par les jurés attestent à la fois du sentiment d’avoir été disqualifié et de l’arbitraire d’une justice qui les « condamne » sans raison légitime. Aussi, et dès lors que le juré s’installe auprès des autres jurés et des magistrats, il réalise que sa « désignation » ou « confirmation » est l’aboutissement d’un processus qui n’est pas déterminé par le seul tirage au sort. Le juré qui arrive à siéger comme juré titulaire – ou éventuellement comme juré supplémentaire, mais cette position est décevante car il assiste à tout le procès mais ne peut délibérer qu’en cas de défaillance d’un juré titulaire, ce qui arrive rarement – a ainsi traversé plusieurs étapes et se considère souvent comme un « miraculé ». A contrario, le juré récusé ressent de l’humiliation qui est d’autant plus pesante que sa disqualification a lieu devant le public, venant interrompre son déplacement spatial vers la cour. Mais lorsque les jurés suspectent l’existence d’arrangements entre le président et les avocats (l’avocat général et l’avocat de la défense peuvent récuser respectivement jusqu’à 4 et 5 jurés tirés au sort en première instance, 5 et 6 jurés en appel), c’est la légitimité de la cour d’assises qui est remise en cause, générant ainsi un désenchantement et parfois une critique acerbe. Cette critique s’apparente à une déconstruction du discours institutionnel convenu et souvent élogieux à l’égard du rôle « citoyen » des jurés. Plusieurs jurés interrogés soutiennent qu’il existe des arrangements entre le président et les avocats :

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« Je pense que le président de la cour doit briffer les avocats avant le procès, il a pu leur dire si telle personne est tirée au sort, vous la récusez parce qu’elle a fait tous les procès… il y a la fatigue, donc voilà… Au cinquième procès, mon nom a été prononcé et l’avocat général a tout de suite dit “récusée” ».
(Annabelle, 45 ans, universitaire)

45De leur côté, les magistrats ne reconnaissent que difficilement l’existence de cette pratique informelle. Cet assesseur observe que :

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« il y a parfois des jurés qui posent problème et ne paraissent pas être en mesure de participer de manière rigoureuse au jury. Alors, on s’arrange avec l’un des avocats pour les récuser ».

47Les jurés à statut social favorisé ou à fort capital scolaire sont susceptibles de contrarier l’autorité des magistrats. Aussi, la stratégie de la récusation de jurés devenus « experts » permet d’affaiblir leur poids et donc, de maintenir le contrôle exercé par le président de la cour d’assises. La récusation permet alors d’écarter un juré susceptible d’exercer une influence sur les autres jurés.

L’émotion contre la raison ? Une distinction subtile

48Ce qui caractérise d’emblée l’expérience des jurés, c’est leur illégitimité au plan de la pratique judiciaire puisqu’ils sont rarement socialisés au droit et leur travail reste dépendant des magistrats professionnels. Or, cette illégitimité peut être contrebalancée par un sentiment d’être reconnu puisque :

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« les jurés sont importants parce qu’ils posent des questions auxquelles on ne pense pas forcément et ils obligent les juges à faire correctement leur travail ».
(un assesseur)

50La plupart des juges rencontrés invoquent le « bon sens » et la « sensibilité » des jurés pour qualifier la spécificité de leur apport à la cour d’assises. Or, la sensibilité qui signifie le regard « naïf » et « neuf » du juré, induit aussi sa difficulté à juger de manière rationnelle, surtout s’il est sous l’emprise de l’émotion.

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« Je lutte contre les gens un peu impulsifs qui ne jurent que par la prison […] Si on laisse seulement s’exprimer les émotions, on devrait construire trois fois plus de prisons ! ».
(une présidente de cour d’assises)

L’incompatibilité de l’émotion avec la neutralité

52Dans un univers où l’on a à juger des crimes les plus violents, il est difficile, voire impossible de conserver sa neutralité. Bien sûr, l’émotion éprouvée dépend de la nature des faits incriminés, de la dramaturgie qui caractérise certains procès (par exemple lorsque les victimes témoignent des violences subies), mais aussi de la manière dont les faits sont mis en mots, de la façon dont l’accusé réagit, etc. On peut dire, en paraphrasant Luc Boltanski (2007 [1993]), que l’émotion éprouvée lors des audiences opère un basculement des jurés d’un régime de justice – se voulant plus général et plus détaché – à un régime d’amour – davantage centré sur les individus, les victimes notamment –, ce qui peut perturber le mode de raisonnement des juges (notamment si les jurés prennent exclusivement le parti pris de la victime). Si la sociologie n’a pas véritablement pensé les émotions, il faut reconnaître que les affects jalonnent fortement l’écoute des procès en assises. Pourtant, et comme le rappelle Charles Henri-Cuin (2001), les sociologues classiques – Durkheim, Weber, Pareto ou Tönnies – ont accordé une place centrale aux émotions sous des vocables équivalents ou proches (action « affectuelle » chez Weber, « résidus » chez Pareto, « états forts de la conscience collective » chez Durkheim). Si l’émotion constitue une « expérience commune » (Cuin, 2001) – au sens où tous les individus en font l’expérience et sont aptes à la décrire –, les termes qui la désignent dans le sens commun ne sont pas loin d’évoquer les tourments moraux dès lors qu’elle devient « envahissante ». Ainsi,

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« nous disons d’une émotion qu’elle nous “submerge”, nous “envahit”, nous “domine”, nous “prend”, nous “surprend”, nous “porte”, nous “frappe” ».
(Cuin, 2001, 80)

54En ce sens, et bien que l’on puisse aussi considérer que le discours sur l’émotion traduit une logique argumentative narrant des faits pesants et marqués par un « pathos » susceptible d’influer sur les jugements et les peines, les sentiments décrits par les jurés apparaissent comme un élément perturbant la rationalité du monde judiciaire, mettant aussi à l’épreuve les croyances des individus et déstabilisant parfois leurs catégories de perception du monde social.

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« Quand vous voyez ces gosses qui témoignent de la cruauté de leur père, vous êtes cassés, vous avez du mal à tenir. Moi qui suis un homme de dossiers et qui ai l’habitude des sinistres, j’étais au bord de l’effondrement et heureusement que j’ai pris des notes pour essayer de sauver les apparences ».
(Mathieu, cadre bancaire)

56Les jurés apportant « leur sensibilité et leur regard neuf » doivent, en même temps, « juger sans émotion, de façon sereine ». Ce paradoxe met en exergue la distinction subtile opérée par les magistrats entre l’émotion et la raison, entre les passions et le jugement selon le droit. Si les jurés sont soumis à l’émotion, aux dires des magistrats, ils doivent au moins faire preuve de « bon sens ». C’est aussi cette catégorie de « bon sens » qui est associée à la notion d’« intime conviction », expression qui a un sens plus proche de l’intuition que de la « raison » (Garnot, 2009). Or, quand les magistrats tiennent un discours faisant l’apologie de la raison et de la conscience chez les jurés afin de pouvoir juger « dans la sérénité », ils distinguent bien le jugement profane du jugement professionnel. Les émotions éprouvées lors de la narration des crimes, et amplifiées parfois lorsque le président expose aux jurés des photos des victimes, des armes utilisées ou des traces laissées (sang, coups…), amènent ces citoyens à s’interroger sur le comportement humain, sur la violence et la misère sociales qui favoriseraient les conduites criminelles (Mucchielli, 2004). L’ambiguïté de l’émotion tient au risque de déstabiliser un ordre institutionnel et la conduite des procès par les magistrats. En effet, ceux-ci insistent sur le fait que seule la « raison » est à même de produire un jugement distancié et objectif, ce qui passe par la mise entre parenthèses des émotions – souvent confondues avec les passions et l’impulsivité – et l’oubli de ses jugements de valeur. Parfois, l’émotion est convoquée pour dire que les jurés sont irrationnels, à l’image du propos d’une assesseure :

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« Je pense que certains jurés n’ont pas la capacité à juger car ils sont trop sous le coup de l’émotion, et c’est un problème important… ça manque parfois de logique quand on veut spontanément soit prendre le parti des victimes, soit comme je l’ai vu récemment, prendre le parti de l’accusé […] Il me semble que les jurés ne sont pas exactement comme nous les juges qui avons de l’expérience et pouvons mieux contrôler nos émois. »

58De même, une présidente de cour d’assises observe : « À la différence des jurés, les magistrats fonctionnent de manière professionnelle et non affective. » C’est que les magistrats, bien qu’ils apprécient à des degrés variables la participation des jurés, restent marqués par leur rôle institutionnel. Comme l’a montré Françoise Lombard (1993), c’est en réaction aux dérives supposées des jurés populaires que les magistrats ont obtenu et consolidé leur « autonomie » professionnelle. Mais en mettant en cause le poids des émotions quant à la perception des affaires jugées, des accusés et des victimes, l’argument assure aux juges une légitimité plus proche du droit et de la « raison ». Cela permet de sous-estimer les arguments rationnels que les jurés peuvent mobiliser en vue de remettre en cause le pouvoir des magistrats comme, par exemple, la connaissance de quelques règles du droit, la capacité à décoder des faiblesses dans les éléments à charge ou à décharge, ou encore l’identification de défaillances dans le témoignage des experts. Aussi, la critique des jurés dont certains seraient irrationnels confirme la distance entre juges et citoyens dès lors que ceux-ci sont susceptibles de remettre en cause l’autorité de la cour.

Des jurés « plus humains » que les juges ?

59Dans la mesure où le président de la cour d’assises est le seul, parmi le jury, à connaître les éléments versés au dossier de l’instruction et étant donné que les trois magistrats composant la cour sont ou ont exercé la fonction de juge d’instruction ou de juge d’instance habitué à trancher des litiges en civil ou à traiter de dossiers en correctionnelle, ils se pensent d’abord comme des juristes maîtrisant le droit, la procédure et la loi. Ce faisant, ils endossent une identité de professionnels rationnels déduisant leurs analyses et leur « intime conviction » à partir d’éléments tangibles et vérifiables. De leur côté, placés devant les seuls informations et débats oraux, les jurés ne disposent que de leur capacité d’écoute et de leur aptitude à forger une opinion à partir de données « humaines », celles que leur livrent les discours et les comportements (de l’accusé notamment). Ainsi, Bernard Fayolle, magistrat et chercheur, observe :

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« Les jurés sont rarement des juristes et ils ne sont pas nécessairement aptes à rationaliser leurs réflexions empiriques et à structurer leur conviction dans une argumentation dialectique. Magistrats et jurés n’ont ni le même statut ou la même formation, ni souvent la même culture ou la même logique : leur démarche intellectuelle est davantage déductive pour les premiers et inductive pour les seconds ».
(2001, 89)

61Ce propos soutient que les jurés sont moins rationnels et plus sensibles à la vie sociale et à ses contradictions que les magistrats. C’est aussi la distinction entre le jugement « affectif », voire spontané des jurés, et le jugement éclairé par le droit chez les magistrats qui conforte ce point de vue. Or, dans la mesure où les magistrats mettent à distance l’émotion et insistent sur l’importance d’un regard neutre et rationnel, ils apparaissent comme « distants » et peu humains aux yeux de certains jurés :

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« On voyait bien que la présidente et les juges sont blasés, pas de sentiment, un peu comme une machine à juger… On a l’impression qu’ils ne sont pas capables de comprendre la souffrance humaine et c’est pour ça que je crois qu’ils ne jugent pas de manière lucide ».
(Pierre, cadre administratif)

63L’argument de l’irrationalité des sentiments portés par les jurés est inversé ici puisque ceux-ci permettraient, au contraire, de mieux comprendre la « souffrance humaine ». Mais les magistrats qui sont perçus par les jurés comme « insensibles », « blasés » ou encore « blindés » devant les faits incriminés sont en réalité loin d’être indifférents à la cruauté des crimes. Certes, ils disent avoir « l’habitude des drames humains », mais ils insistent aussi sur le fait qu’il leur arrive de « craquer » :

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« Il y a des journées pénibles où je rentre chez moi démoralisé, il ne peut pas en être autrement devant certains témoignages ».
avance Sébastien, président de cour d’assises

65En réalité, la distance apparente à l’égard de la narration des faits participe de l’identité professionnelle des juges et assoie leur légitimité, un peu comme s’il s’agissait de « faire bonne figure » et « ne pas perdre la face » (Goffman, 1967). Par ailleurs, certains présidents assument leur capacité à faire preuve « d’humanité », ce qui peut aussi favoriser une proximité avec les jurés. Comme le souligne Antoine Vauchez (2007), et suite aux affaires médiatiques mettant en lumière des erreurs judiciaires, la légitimité des magistrats professionnels se renforce désormais par leur capacité à endosser des postures profanes telles l’humanité, la sensibilité et l’humilité [3].

66Le pouvoir exercé par les magistrats procède de la nécessité d’asseoir une autorité légitime et acceptable. Car si le président dispose depuis le xixe siècle d’un pouvoir discrétionnaire (Schnapper, 1987), il est aussi soumis au contrôle des parties ainsi qu’à celui des jurés qu’il doit également ménager. Il doit persuader les jurés du « sérieux » de sa démarche. Jean-François, président de cour d’assises, souligne bien les contraintes pesant sur son travail :

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« Ce président qui a effectivement beaucoup de capacités d’initiatives, je crois qu’il est gardé par deux choses. D’une part, il travaille sous le contrôle des parties. Et s’il sort des clous, il y aura toujours quelqu’un pour le ramener. Et il sera toujours tout seul. C’est-à-dire qu’il n’y aura jamais personne qui le soutiendra. C’est-à-dire que si par exemple la défense estime que le président est sorti des clous dans sa manière d’interroger, vous ne verrez pratiquement jamais le ministère public ou l’avocat de la partie civile prendre la défense du président. Mais il y a également le fait que le président, il a besoin de conserver une certaine aura auprès des jurés. Non pas pour les orienter, mais simplement pour qu’ils aient confiance en lui. Imaginez la situation où les jurés finissent par se demander si le président a fait une présentation bien objective des éléments du dossier… Vous imaginez les tensions que ça peut créer ? »

68Ainsi, les jurés font la double expérience d’une confrontation avec les crimes et avec les juges, deux dimensions princeps organisant les différentes épreuves vécues. Bien qu’il existe des variations dans l’appropriation de leur rôle par les jurés, que des différences notables existent entre les magistrats quant à leur manière de concevoir la place des jurés et de conduire le délibéré, c’est fondamentalement une relation de domination entre ces professionnels de la justice et des citoyens ordinaires qui transparaît dans cet échevinage. Aussi, et alors que la plupart des jurés vantent l’existence de cette institution démocratique, ils sont également nombreux à y percevoir le poids plus ou moins influent, voire manipulatoire des juges.

Jurés populaires et juges professionnels : un échevinage au risque de l’influence, voire de la « manipulation »

69Si jurés et juges peuvent à la fois vanter l’échevinage et manifester une méfiance réciproque, c’est parce que le droit constitue un objet de luttes sociales et occupe un statut paradoxal puisqu’il peut tout autant être synonyme de domination et d’injustice que constituer une ressource assurant la résistance des dominés (Lascoumes, 2009). La crainte maintes fois évoquée par les magistrats est que les jurés ne « dérapent ».

Le positionnement ambigu des magistrats ou la crainte d’être dominé par les jurés populaires

70Les interactions entre magistrats et jurés sont placées sous le signe des recommandations qui tournent très vite aux injonctions et aux obligations. C’est que l’enjeu est de taille : contrôler les jurés de manière à asseoir une légitimité et une autorité symbolique incarnées par le président. Dans cet ordre interactionnel, et notamment dès le début de la session, le contrôle des dispenses institue d’emblée le pouvoir des juges professionnels. Ce pouvoir procède du statut de la justice pénale, et l’on comprend alors pourquoi les magistrats sont quelque peu embarrassés par la place ambiguë occupée par la récusation. Celle-ci atteste non seulement d’une violence institutionnelle rappelant aux jurés leur statut dominé, mais aussi elle vient perturber en quelque sorte la « confiance » que les juges disent vouloir instaurer avec les citoyens. L’influence des magistrats professionnels sur les jurés procède des relations de pouvoir que les premiers tentent de minimiser lors de l’accueil des « citoyens juges », alors qu’ils restent fondamentalement attachés à leur « contrôle » car le « regard neuf » de ces profanes ne doit pas disqualifier l’expérience acquise en tant que juges professionnels. Comme l’avance cette présidente de cour d’assises :

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« Il faut que je recadre les débats, parce que les jurés, surtout ceux qui ont un peu d’expérience parce qu’ils ont fait plusieurs procès, ils ont tendance à penser que maintenant, tout est clair, que l’on peut décider sans trop réfléchir… »

72La crainte d’être « débordé » par des jurés devenus à la fois des initiés – en siégeant à plusieurs procès, ils commencent à anticiper les conduites du président, à distinguer ce qui est de l’ordre du « sérieux » et de la mise en scène, à repérer les démarches en vue de « sonder » leur point de vue bien avant le délibéré – et des acteurs susceptibles d’influer sur le jury conduit certains juges à déployer d’autres stratégies, notamment la récusation ou l’intervention en vue de « donner d’abord la parole aux jurés novices » (un président). C’est que le président craint que sa légitimité et son autorité ne soient affaiblies par un juré dont le point de vue averti lui ferait oublier qu’il reste un profane du droit. Ainsi, et après des propos élogieux à l’égard des jurés, cette présidente livre sa méfiance à l’égard de ceux qui s’improviseraient « juristes » :

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« Là, à la dernière session, j’ai eu une jurée ingénieure, elle est docteur en chimie, elle ne connaissait rien au droit mais je trouvais qu’elle avait compris très vite les enjeux, comment ça s’organisait, comment utiliser les informations… elle avait fait plusieurs procès […] D’un autre côté, on sent qu’il est temps que ça s’arrête, ils apprennent mais ça a une limite, malgré tout, ce ne sont pas des juristes… »

Des pratiques judiciaires différentes selon les président(e)s et les caractéristiques sociales des jurés

74Bien que les juges tendent à former un groupe professionnel ayant un ethos commun (Roussel, 2007), leur regard sur la cour d’assises et sur les jurés dépend tout autant de leur position dans le champ judiciaire que de leur trajectoire sociale et professionnelle antérieure. Ainsi, les assesseurs paraissent plus critiques à l’égard des jurés les plus éloignés de ce que devrait être « le bon juré », tandis que les présidents restent plus attachés à l’échevinage sans doute parce qu’ils assoient au moins partiellement leur légitimité sur leur capacité à associer les jurés dans le processus de prise de décision. À l’instar des recherches menées sur les relations entre médecins et patients (Strauss & al., 1985), ou entre enseignants et élèves (Becker, 1952), on peut dire que les magistrats sont en attente d’un « bon juré », d’un « juré idéal », celui qui doit adopter un comportement conforme aux attentes de la cour. L’issue du délibéré est plus incertaine, ce qui peut expliquer les stratégies en vue de récuser un juré « gênant ». Mais avoir réussi très jeune après de brillantes études en droit le concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature (enm) ou être arrivé tardivement dans la profession pèse aussi sur les interactions avec les jurés. Ainsi, Louis, 50 ans, président de cour d’assises, issu de milieu employé et devenu juge à l’âge de 40 ans « après avoir galéré » en tant que travailleur social, accorde une large place aux jurés lors des audiences et pendant le délibéré. Il est l’un des rares juges interrogés à déclarer avoir déjà validé un verdict de culpabilité alors qu’il était personnellement convaincu de l’innocence de l’accusé. Peu méfiant à l’égard de « l’émotion des gens », il y voit le moyen de « rendre la justice plus humaine et ouverte sur la société ». Tandis que Sylvie, 52 ans, dont le père était médecin, et qui a réussi le concours de juge à l’âge de 25 ans, paraît plus soucieuse de contrôler les jurés. Elle ne les autorise qu’exceptionnellement à poser directement des questions aux témoins ou experts et dit sa forte méfiance vis-à-vis des jurés « impulsifs ». Mais un autre élément intervient dans la relation aux jurés : celui de l’ancienneté en tant que président de cour d’assises. En effet, lorsque le président de cour d’assises a le statut de « président de chambre » (l’un des grades les plus élevés au sein de la cour d’appel), il laisse davantage aux jurés la possibilité de s’exprimer et de donner leur point de vue, assuré le plus souvent de sa capacité à « recadrer le propos quand c’est nécessaire » (un président de cour d’assises). Les magistrats n’ayant que quelques années d’expérience en tant que présidents de cour d’assises sont souvent conseillers à la cour d’appel. Ils sont davantage attachés au contrôle des « dérapages » et au « cadrage » du délibéré. S’ils laissent aux jurés la liberté de s’exprimer, ils restent aussi soucieux de faire valoir les éléments du dossier de l’instruction, comme s’ils n’avaient pas encore totalement accompli leur conversion du statut de juge d’instance à celui de conseiller et de président de cour d’assises (les conseillers interrogés ont tous exercé de manière plus ou moins durable la fonction de juge d’instance ayant instruit des dossiers criminels). Mais ces pratiques judiciaires variables d’un président à l’autre portent aussi la marque de la composition du jury. En effet, le tirage au sort et le contexte social où se situe le tribunal pèsent sur le profil social des jurés, de sorte que ceux-ci peuvent aussi influer sur le travail du président. L’illégitimité des jurés procède de deux figures centrales contrastées : celle du juré à fort capital culturel et celle du juré faiblement doté en ressources intellectuelles. En effet, les jurés appartenant aux catégories sociales dominantes sont souvent craints par les magistrats, car ils parviennent plus facilement à décoder les normes institutionnelles et à anticiper les pratiques du président au fur et à mesure qu’ils participent à des procès. Ce faisant, ils peuvent déstabiliser les stratégies des juges y compris en les relançant sur des éléments proprement juridiques. Jean-Louis, 57 ans, inspecteur du travail, observe qu’il a créé « un incident » lors du délibéré parce qu’il a attiré l’attention de la présidente sur le « problème de la double peine ». Il ajoute :

75

« J’ai dit à la présidente que la cour d’assises peut aussi bien prononcer un jugement pénal qu’un jugement administratif parce que l’accusé était d’origine turque et qu’il devait à la fois être condamné à de la prison et à être expulsé après l’accomplissement de la peine ! »

76Mais le juré peut aussi être disqualifié parce qu’il présente des attributs sociaux jugés peu favorables à la « sérénité » des procès. C’est le cas des jurés issus de milieux modestes et paraissant, aux yeux des juges, comme « peu réactifs », « assez indifférents » et surtout « limités ». Si le plus souvent ces jurés ne déstabilisent pas véritablement les procès et l’issue du délibéré, leur posture peut être perçue comme une forme de réticence qui peut conduire à affaiblir la cohésion du jury et à amener le président à les « dispenser » – notamment sous la forme d’un arrangement ou d’une récusation – de siéger lors des procès à venir.

77

« J’ai eu récemment un type, c’était un manutentionnaire, il était là sans être là… Il ne voulait pas vraiment être juré, et ça mettait une mauvaise ambiance dans le groupe. Il y a même certains jurés qui se sont plaints de son attitude. Alors je lui ai dit gentiment que s’il ne voulait plus venir, je le laisserai partir d’autant plus que le jury de session était assez complet ».
(Myriam, présidente de cour d’assises)

78Ce faisant, le président cherche à neutraliser la critique énoncée par les jurés à l’égard de l’un d’entre eux mais aussi à créer les conditions d’un débat plus ou moins consensuel. Les interactions entre juges et jurés sont bien sûr marquées par les effets proprement institutionnels et juridiques de la cour d’assises [4]. Mais elles sont également façonnées par l’expérience sociale et professionnelle des juges et des jurés. Dans la mesure où ces derniers s’approprient et s’engagent différemment dans le processus qui les amène à construire un rôle inédit, leur expérience de profane modalise les relations avec les juges. Aussi, la domination que ceux-ci peuvent exercer est plus ou moins effective et marquante selon les caractéristiques sociales des jurés.

Des modes d’appropriation variés du rôle de juré : entre variables objectives, histoire biographique et interactions au sein de la cour d’assises

79Bien que les jurés fassent l’expérience de plusieurs épreuves communes qui les « marquent » plus ou moins durablement, ils s’approprient différemment leur rôle de juré selon l’origine et le parcours sociaux, leur niveau d’études, le genre et l’activité professionnelle. Il convient de souligner qu’une partie des jurés convoqués ne se présentent pas le jour de la révision de la liste des jurés de session, se contentant d’envoyer un courrier au président en vue de demander une dispense. Il s’agit d’une variante des manières de faire face à son rôle que de l’éviter pour différents motifs (activité professionnelle « prenante » et problèmes de santé pour l’essentiel). Aussi, ce sont les jurés que nous avons interrogés et ayant effectivement siégé à la cour d’assises qui nous renseignent sur la diversité des modes d’appropriation du rôle et des manières de penser la justice pénale a posteriori. Les jurés que nous avons interrogés vivent dans une sorte d’entre-deux, entre enchantement et déception, sentiment d’avoir « servi à quelque chose » et impression d’« avoir été piégé », d’avoir soutenu sans le vouloir une « justice laxiste » ou « trop dure ». Mais ce regard parfois critique sur les assises procède aussi de l’expérience sociale et de ce que les jurés vivent au quotidien. Quand Fabien, travailleur social, trouve la justice trop sévère, il avance comme argument le fait que :

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« les accusés ont un profil misérable, ils sont aussi victimes, comme les gens que je côtoie dans mon travail » ;

81de même, Thierry, ouvrier du bâtiment, remarque que :

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« la présidente a été gentille avec le gars qui a tué un handicapé, ce qui [l’a] choqué » puisque lui-même « souffre d’un handicap qui a contrarié [sa] carrière professionnelle ».

83Parfois, les a priori idéologiques sont confortés par cette expérience des assises qui vient renforcer la distance à l’égard de l’institution judiciaire. Marlène, 53 ans, a siégé dans deux procès sur les quatre que comptait la session, à la cour d’assises du Nord. Agent de maîtrise dans une entreprise de conception de vêtements, cette jurée manifeste un fort ressentiment doublé d’une déception à l’égard de la justice. Si son propos peut sembler réactionnaire, notamment parce qu’elle « regrette la disparition de la peine de mort », il apporte un éclairage sociologique sur la manière dont les individus construisent leur jugement des crimes. En effet, et alors que la participation à la cour d’assises oblige les jurés à passer d’un jugement global sur les crimes à un jugement plus centré sur des faits incriminés, Marlène effectue constamment des allers et retours entre le jugement des affaires en cour d’assises et le jugement social « ordinaire », eu égard à différentes injustices. Ainsi, elle avance :

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« Je n’ai pas l’impression d’avoir servi à quelque chose parce que le président a dit qu’il ne fallait pas dépasser telle ou telle peine […] et ça ne m’étonne pas, quand vous voyez des gens comme U. [il s’agit d’un entrepreneur ayant défrayé la chronique] qui ne sont pas condamnés après tout le fric qu’ils ont piqué, ça me choque ! »

85On peut alors considérer que l’expérience des assises procède, tout en les confortant, des opinions préalables des jurés. Le « laxisme » de la justice revient de manière récurrente dans le propos de Marlène et c’est ce qui l’a « perturbée ». Si l’on suit la typologie de Noëlle Languin & al. (2004), le raisonnement de cette jurée quant au rôle de la peine relève tout autant du « contractualisme » (à tel crime devrait correspondre telle peine) que de l’« ostracisme » (le criminel étant « naturellement » voué au crime et à la récidive, il convient de le neutraliser et de l’exclure).

86Les jurés appartenant aux catégories sociales favorisées (enseignants, cadres supérieurs, professions libérales…) se socialisent à leur rôle en s’informant auprès de connaissances, mais surtout en recourant à des documents écrits « afin d’apprendre sur le fonctionnement de la justice ». Ils s’interrogent moins sur leur légitimité que sur la manière dont la cour d’assises les associe réellement au jugement. Leur maniement des outils symboliques (code linguistique élaboré, recours à l’écriture et familiarité avec la communication et l’échange langagiers) (Bernstein, 1975) les prédispose à une meilleure attention lors des audiences et à une plus forte capacité à interpeller le président sur les détails de tel ou tel témoignage. Ils ont davantage recours à la prise de notes et s’en servent plus souvent lors du délibéré. Enfin, plus souvent prompts à rappeler leur devoir citoyen de juré en le rapprochant du vote lors des élections, ils assument la décision collective débouchant sur un verdict parce qu’ils opèrent une nette distinction entre l’expression de leur intime conviction personnelle et l’arrêt de la cour. Cela ne les empêche pas d’être critiques à l’égard des juges dont ils dénoncent plus souvent les stratégies de séduction que le pouvoir autoritaire.

87Les jurés de milieu populaire appréhendent plus fortement leur rôle en éprouvant davantage d’inquiétude et en manifestant le souci d’être « à la hauteur ». Ainsi, s’ils sollicitent souvent des proches et des amis pour s’informer, ils sont aussi plus nombreux – comparés aux jurés de milieu favorisé – à se présenter au tribunal quelques jours ou semaines avant le début de la session, de crainte de « s’égarer le jour J ». Peu assurés de leur légitimité, ces jurés manifestent une plus grande dépendance à l’égard des juges perçus comme dominants et dont ils sollicitent plus souvent l’avis pour se prononcer sur la peine. Éprouvant davantage de difficultés pour suivre et comprendre les enjeux et les subtilités juridiques, ces jurés sont également peu enclins à poser des questions ou à s’exprimer lors du délibéré. Mais à la différence des jurés socialement favorisés, ils sont plus critiques vis-à-vis du pouvoir d’influence des juges et assument plus difficilement un verdict plus ou moins éloigné de leur intime conviction. Le délibéré leur apparaît moins comme un processus devant amener les uns et les autres à donner leur avis pour que chacun vote de manière éclairée mais plutôt comme « un baratin pour [leur] forcer la main » (Pierre, 37 ans, manutentionnaire). Ils sont également davantage travaillés par des dilemmes moraux et des craintes quant à la justesse du jugement et à la récidive. Pourtant, les jurés de milieu populaire sortent plus enchantés par cette expérience parce qu’elle contraste souvent avec leur vie quotidienne et professionnelle ordinaire. Le sentiment d’avoir bénéficié d’une reconnaissance institutionnelle est très répandu, ce qui procède d’une distinction opérée entre leur légitimité judiciaire et leur (il)légitimité eu égard aux pratiques effectives des magistrats. Les entretiens révèlent aussi que les jurés, selon leur statut professionnel et leur histoire biographique, s’approprient différemment leur rôle. Les jurés les plus stables professionnellement vivent cette expérience comme une parenthèse provisoire, en attendant le retour dans la vie ordinaire. Chez les jurés au statut professionnel fragile ou en voie de précarisation, participer aux assises apporte une certaine reconnaissance et donne lieu à un engagement plus soutenu, comme si juger conférait un pouvoir et une légitimité faisant défaut dans sa vie ordinaire. Aussi, et bien que les magistrats fassent l’apologie de la raison et de la distance réfléchie en vue de juger, les jurés statuent sur les affaires selon leur vision du monde qui porte doublement la marque de leur statut social et de leur parcours biographique. Ainsi, Thierry, ouvrier précaire, a vécu une expérience « très riche » parce qu’il a eu l’impression que non seulement tous les procès évoquaient des éléments faisant écho à sa propre histoire – souffrant d’un handicap, ce juré a mal accepté le verdict « clément » à l’encontre d’un accusé ayant battu à mort un homme handicapé – mais aussi, que :

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« la justice fonctionne assez bien, car que vous soyez Blanc, Noir, riche ou pauvre, vous avez votre mot à dire, on se sent honoré ».

89À cet égard, l’honneur dont parlent les jurés ayant effectivement siégé dans le jury de jugement peut être rapproché de l’interprétation qu’en donne Axel Honneth :

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« L’“honneur” est l’attitude que j’adopte à l’égard de moi-même quand je m’identifie positivement à toutes mes qualités et particularités. Mais on ne peut manifestement se battre pour son “honneur” que parce que la possibilité d’un tel rapport affirmatif à soi-même dépend de son côté de la reconnaissance et de la confirmation que nous apportent les autres sujets. Un individu n’est en mesure de s’identifier pleinement à lui-même que dans la mesure où ses particularités trouvent une approbation et un soutien dans les rapports d’interaction sociale ».
(Honneth, 2010, 33)

91Des différences hommes/femmes sont également à l’œuvre dans l’appropriation du rôle. Nos observations de procès, confirmées par les entretiens, soulignent une plus grande appréhension et crainte chez les jurées femmes quant à leur capacité à juger, ce qui se traduit par le souci de « bien remplir la mission », en prenant davantage de notes, en formulant des questions au président par écrit et en exigeant un temps de réflexion plus conséquent lors du délibéré. Une juge assesseur observe que :

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« les jurées femmes sont plus consciencieuses que ne le sont les jurés hommes, par exemple, elles ne jugent pas spontanément mais pèsent toujours le pour et le contre ».

93Moins assurées de leur légitimité et pour peu qu’elles proviennent de milieu populaire, les femmes sont plus enclines à venir accompagnées d’un proche (souvent le conjoint) qui assiste parfois à l’un des procès. Mais la socialisation à la cour d’assises porte aussi l’effet d’une domination masculine que des jurées dénoncent. En effet, étant donné que de nombreux procès portent sur des crimes sexuels – notamment des viols –, les femmes sont souvent récusées parce qu’elles sont supposées être sévères. Mais elles doivent aussi faire face à la critique masculine qui peut être acerbe et stigmatisante, comme le confirme Amélie, 30 ans, agent d’entretien :

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« J’ai été traumatisée parce que j’avais quand même mis 3 ans de prison à un jeune homme qui a violé sa copine. Il était gentil mais il n’avait pas à faire cet acte même s’ils avaient flirté et s’ils étaient ivres […] Mais les mecs qui étaient dans le jury, ils m’ont en voulu, pour eux, un viol, c’est rien ! »

95La socialisation différenciée des hommes et des femmes (Terrail, 1995) autorise des différences quant au rapport au rôle de juré, à la justice et à l’acte de juger. On perçoit que les variables objectives – catégorie sociale, sexe, niveau d’instruction, âge – agissent dans le cadre des interactions entre jurés et juges sur fond de rapports de domination, y compris entre les citoyens eux-mêmes. Ainsi, les jurés les plus diplômés manifestent parfois une critique à l’égard des modes de pensée des jurés disposant d’un faible capital scolaire, perçus comme peu aptes à leur fonction. Pour Aurélie, cadre de santé :

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« Certains jurés viennent mal habillés, savent à peine lire et écrire et n’ont pas vraiment leur place à la cour d’assises. »

97Disqualifier certains jurés, c’est se rapprocher du point de vue des magistrats sans pour autant se considérer comme les égaux de ces derniers. Enfin, la variable « âge » constitue aussi un élément pesant, selon les interactions, sur la manière dont les jurés vivent leur expérience. Georgette, 65 ans, retraitée, fait état des désaccords entre jurés lors du délibéré, désaccords dans lesquels on perçoit aussi l’influence des injonctions des juges. Elle observe, à l’instar d’autres jurés, que :

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« beaucoup de gens ont tendance à mettre beaucoup d’années de prison parce qu’ils se mettent à la place des victimes… Je me souviens d’un jeune homme qui a dit qu’il mettait le maximum à ces jeunes [accusés] parce qu’ils ont violé une gamine qui a l’âge de sa fille […] J’ai dit que ce n’est pas juste, il faut réfléchir un peu et punir en espérant que cela va leur donner une leçon ».

99Mais les caractéristiques sociales des jurés ne pèsent pas sur l’appropriation de leur rôle indépendamment des interactions construites avec les magistrats. En effet, le sentiment d’être peu légitime très répandu chez les jurés de milieu populaire facilite aussi l’exercice d’une domination par les juges. Ainsi, Mathieu, cadre supérieur, et Patrice, agent hospitalier, n’ont pas bénéficié de la même considération par la même présidente – lorsqu’il s’est agi d’exposer leur point de vue lors du délibéré. Mathieu a pu lire ses notes et « prendre le temps de les exposer », tandis que Patrice s’est vu rétorquer par la présidente : « On n’a pas le temps de lire les notes, il faut qu’on avance ! » De même, Annabelle, universitaire, a été la seule parmi les jurés à être autorisée à poser directement des questions aux témoins et aux experts. Elle est devenue une sorte de « leader d’opinion », car lors des pauses, du délibéré et même à travers les échanges qu’elle a eus avec quelques jurés quelques mois après la session, elle a acquis un statut de juré dominant :

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« Une jurée m’a écrit en disant, “Je garde un très bon souvenir de notre aventure, heureusement que tu étais là pour relativiser le point de vue du président, poser des questions au bon moment” ! »

La cour d’assises, une promesse de démocratie ?

101La fascination pour la cour d’assises procède d’une expérience plus ou moins démocratique qui, à la différence d’une mobilisation électorale – le vote lors d’une élection par exemple –, relève à la fois d’une obligation institutionnelle et d’un agir engageant le jugement dans la mesure où celui-ci pèse sur le devenir de l’accusé. En ce sens, et comme l’avait si bien observé Alexis de Tocqueville (1986 [1840]), c’est bien une expérience politique qui se joue en générant le sentiment, bien que parfois contrarié, de voir son point de vue pris en considération. Si les enseignements de l’enquête menée auprès d’anciens jurés montrent les limites d’un discours faisant l’apologie de la démocratie au cœur de ce qui symbolise le plus fortement la justice pénale, ne peut-on pas dire que les jurés populaires déstabilisent les routines professionnelles des magistrats, ce qui conduit à une négociation permanente non pas des règles du droit mais des manières de l’appliquer ? Ce postulat peut être corroboré par les stratégies visant à récuser des jurés potentiellement gênants, à contrôler leur parole ou encore à recourir à des pratiques d’influence plus subtiles. Ainsi en est-il des tractations qui débutent bien avant le délibéré, où le président cherche à connaître à l’avance les convictions des jurés, à estimer le nombre d’années de peine à prononcer, etc. Posée directement aux magistrats, la question de l’influence exercée sur les jurés est souvent évacuée ou euphémisée, sans doute parce que le jury populaire ne serait qu’un alibi, un groupe humain peu consistant. Mais lorsqu’on interroge les juges sur l’égalité des jurés par rapport aux magistrats, le propos est plus explicite : non seulement ils reconnaissent que les premiers ne pèsent pas autant que les seconds – même si les voix lors du vote sont équivalentes –, mais aussi ils y voient des individus exposés au risque d’un « jugement à la va-vite » peu en phase avec la sérénité qu’exige la posture du juriste expérimenté.

102Les jurés disent leur « fierté » d’avoir participé comme citoyens à rendre un jugement au nom du « peuple français ». Mais paradoxalement, ils estiment souvent qu’ils n’ont pas bénéficié d’une « vraie légitimité », surtout lorsque leur point de vue a été plus ou moins influencé ou minoré par les magistrats. Le délibéré peut alors conduire au désenchantement, les discussions engagées et contrôlées par le président apparaissent comme un simulacre de démocratie, le juré n’étant alors qu’un alibi pour un système « rodé » :

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« Nous, on arrive avec notre petite idée de justicier, on a l’impression qu’on va être dans du sérieux et puis on est un petit peu dégonflés. Ça confirme ma pensée, ces gens-là font leur travail quoi ! ».
(Charles, agent d’assurance)

104Éliane, 35 ans, secrétaire de direction, observe que la faiblesse numérique des magistrats est largement contrebalancée par leur pouvoir symbolique et leur légitimité institutionnelle non profane :

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« On est face à des hommes de droit qui connaissent les lois. Nous, on n’est rien – à part si tu as fait quelques années de droit –, on est quand même “lambda”. Donc finalement on va juger avec nos émotions, on va juger avec notre expérience, on n’a que ça, nous, pour juger. Vous avez trois personnes devant vous qui pendant 3 jours vont vous faire comprendre – même s’ils te rabâchent “il faut voter comme on le sent” –, on comprend ce qu’ils veulent dire. »

106La dénonciation de la manipulation peut aussi procéder de pratiques perçues comme illégitimes. Ainsi en est-il de la « fabrication » préalable du jugement dans les coulisses de l’audience, une fabrication qui est à la fois reconnue et dénoncée par des magistrats. Le témoignage de Valérie, juge d’instance et assesseure, confirme l’existence d’accords entre magistrats qui se construisent dans les coulisses et dénotent aussi les stratégies d’anticipation des désaccords. Elle observe qu’au début de sa carrière, il y a une quinzaine d’années, elle trouvait :

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« que les jurés n’avaient pas leur place aux assises, ça paraissait être insensé de confier le jugement à des gens qui ne connaissent rien à la justice et au droit ».

108Progressivement, elle pense avoir changé d’avis « parce que finalement, ils jouent le jeu ». Jouer le jeu signifie en réalité ne pas imposer leur point de vue et chercher à « l’emporter ». Ces juges professionnels sont souvent d’accord sur la culpabilité et sur la peine bien avant le délibéré comme l’observe Valérie :

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« Nous, les trois juges professionnels, on sait, sans se concerter, où on va […] après, quand on en discute entre nous, parce qu’on en discute entre nous bien évidemment dans les pauses, en dehors des jurés encore une fois. Et je vais dire par exemple à une collègue : “Moi je suis sur 8 à 10 ans”. Et elle va me dire : “Bah tu vois, moi c’est pareil, je suis sur 8 à 10 ans”. Et puis la présidente va dire : “Moi je suis plutôt sur 10”. Bon après ça nous laisse le temps… et ben finalement on y arrive. À la fin on sera sur 8 à 10 ans. »

110Cette juge d’instance reconnaît que les discussions sur la culpabilité et la peine débutent avant la fin des débats en salle d’audience et confirme, d’une certaine manière, le propos de jurés déclarant que « de toute façon, les juges savent nous amener à leur point de vue » (Françoise, 55 ans, directrice d’école). En ce sens, la légitimité « symbolique » des jurés tient à leur « soumission » au verdict des présidents, bien que ceux-ci déclarent souvent ne prendre la parole « qu’en dernier ». Lorsqu’elle est relancée sur le statut « symbolique » des jurés, Valérie avance :

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« … franchement en pratique, j’ai jamais vu des jurés l’emporter, entre guillemets, sur une peine qui m’aurait semblée moi complètement inique […] C’est bien pour ça qu’ils sont certainement sous notre influence […] Mais c’est dans le symbole, c’est quand même “La justice française a rendu un jugement au nom du peuple”, je pense que ça les enorgueillit aussi… ».

112Ainsi, le sentiment répandu chez les jurés d’avoir constitué un alibi pour la justice pénale n’est pas sans fondement. C’est à ce titre qu’une analyse sociologique mettant en relief des rapports de pouvoir entre professionnels et profanes montre tout le paradoxe du travail de la cour d’assises et des limites d’une approche en termes de « démocratie participative ».

Conclusion

113L’épreuve des assises, aux dires des anciens jurés, « bouleverse » leur vie ordinaire et les conduit souvent à s’interroger sur le monde social et sur le « comportement humain », ce qui est aussi une manière de s’interroger sur eux-mêmes. Les entretiens révèlent ainsi des questionnements pluriels où se mêlent des interrogations morales, de l’indignation, de la colère mais aussi de la compassion pour les victimes et parfois pour les accusés. La dramaturgie observée et vécue lors des audiences ne manque pas de susciter chez les jurés de l’émotion mais aussi des formes de réticence, comme par exemple lorsque, gênés par la narration détaillée des faits incriminés, par « une sorte de voyeurisme malsain parce qu’on apprend tout sur la vie intime des gens » (Louise, 37 ans, aide vétérinaire), ils en viennent à désigner la « limite du supportable » (François, 34 ans, technicien de laboratoire). Alors que l’oralité des débats exige l’exposition de tous les éléments susceptibles de déboucher sur la « vérité », les jurés sont parfois indignés devant tant de détails jusqu’à éprouver un certain malaise. Les contrastes dans les conduites humaines attisent les sentiments, tels que l’indifférence des accusés à l’égard de la souffrance des victimes ou de leurs proches, la « froideur » de magistrats « blasés » devant les témoignages, les parents de l’accusé qui semblent « posés et bien élevés alors que leur fils ne leur ressemble pas ! », ou encore lorsque le comportement de la victime qui témoigne en fait aussi une potentielle coupable ! Ces contrastes ne manquent pas de générer des questionnements sous forme de dilemmes moraux non seulement lorsqu’il s’agit de se prononcer sur la culpabilité

114

(« on avait le type qui avait vraiment la tête de l’emploi, agressif, vulgaire, c’est sûr que ça ne l’a pas aidé, mais est-ce qu’il est coupable pour autant ? »,

115s’interroge Patrice, 55 ans, agent hospitalier) mais aussi sur la peine

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(« on lui a mis 6 ans au final, ce qui ne lui permet pas d’avoir un sursis, mais je me demande si on aurait pas dû aller plus loin parce qu’il nous a berné avec son air gentil pendant le procès »),

117avance Sabrina, 45 ans, bibliothécaire

118L’association récurrente entre le fait de pouvoir voter aux élections et être tiré au sort comme juré souligne la dimension proprement « politique » de cette expérience. Au souhait de « passer à autre chose » chez les uns fait face chez les autres la volonté de s’engager dans l’espace public, d’adhérer à des associations de lutte contre les injustices, etc. Certains jurés déclarent que cette expérience les a amenés à « voir autrement la vie en société » et à s’autoriser davantage à donner leur point de vue. Noëlla, hôtesse d’accueil, avance :

119

« Maintenant, si quelqu’un me dit quelque chose qui ne me plaît pas, je ne vais pas me taire comme avant. Je vais lui dire ce que je pense droit dans les yeux ! »

120On peut alors supposer que cette socialisation à la cour d’assises génère un sentiment de « compétence » sociale et politique, qui autorise les jurés les plus dominés socialement à s’engager dans l’espace public. Si la déception à l’égard de la cour d’assises n’est pas partagée par tous les jurés, elle se situe souvent à l’arrière-plan de cette expérience inédite. Ainsi, les raisons qui amènent certains d’entre eux à adhérer à une association d’anciens jurés peuvent aussi bien tenir à une volonté de réformer la justice, de prévenir les crimes ou de lutter contre la récidive qu’au souci de prolonger une expérience jugée courte et déstabilisante. Cet engagement associatif apparaît aussi comme une manière de peser sur la justice pénale et indirectement sur le travail des juges [5].

121La cour d’assises ne contribue-t-elle pas, in fine, à donner à la démocratie participative une acception empirique mais aussi symbolique qui, bien que soumise au pouvoir des magistrats, confère au juré une reconnaissance symbolique dont les effets se prolongent au-delà de cette parenthèse judiciaire ? Faisant allusion à la réforme engagée par le chef de l’État en vue de réformer la cour d’assises (création d’une cour d’assises « simplifiée » pour certains crimes), un juré ayant siégé en 1985 nous dit :

122

« C’est inadmissible de ramener le nombre de jurés à six pour soi-disant être plus efficace, on ne pourra plus parler de démocratie, car ce sont les juges qui vont décider ! »

Annexe 1

Le fonctionnement de la cour d’assises

Héritage révolutionnaire, la cour d’assises a été instituée en 1791. Elle juge les crimes les plus graves au sens juridique du terme. Le « crime de sang », l’assassinat, l’attaque à main armée, l’enlèvement, la séquestration, le viol ou encore les coups et blessures engendrant des handicaps… désignent les crimes relevant de la cour d’assises. Le droit régissant la justice pénale (droit pénal) repose sur l’idée qu’il ne peut y avoir d’infraction qu’au regard d’une loi qui la définit et en précise le montant de peine (article 111-3 du Code de 1994). Le Code pénal précise la hiérarchie des infractions (les contraventions, les délits et les crimes) et les peines correspondantes, ainsi que les personnes punissables. La cour d’assises en première instance est composée de 12 personnes (3 magistrats, représentant la cour proprement dite, associés à 9 jurés populaires). En appel, elle est formée de 15 personnes (3 magistrats professionnels et 12 jurés populaires). Le président (ou la présidente) de la cour d’assises et deux assesseurs (juges d’instance le plus souvent) constituent les acteurs avec lesquels les jurés vont devoir siéger le temps d’un procès (car les assesseurs changent d’un procès à l’autre) ou d’une session (le président est le seul à être assuré de présider tous les procès de la session). Elle est aussi départementale – chaque département dispose d’une cour d’assises (article 232 du Code de procédure pénale) – et présente une originalité par sa composition et son fonctionnement. Plusieurs critères entrent en compte dans la compétence territoriale de la cour d’assises : le lieu où a été commis le crime, le lieu de résidence de l’accusé et le lieu de son arrestation. Les jurés sont amenés à assister aux audiences, à écouter les différentes parties puis à délibérer sur la responsabilité de l’accusé et sur la peine à infliger. Ils doivent alors juger des faits et de l’application du droit pour punir le crime. Différents acteurs interviennent lors des audiences : l’avocat général en tant que magistrat du parquet et dont la fonction est de représenter la société et de demander l’application de la loi ; le greffier qui se charge des tâches administratives et rédige des actes si nécessaire. Les jurés sont désignés après plusieurs tirages au sort. Ces tirages débutent dans un premier temps en mairie. Le maire effectue un tirage au sort au sein de la liste des électeurs âgés d’au moins 23 ans, jouissant de leurs droits civiques, sachant lire et écrire et n’ayant pas été condamnés à six mois de prison ou plus. Ces noms des personnes tirées au sort sont envoyés à une commission départementale qui, sous la responsabilité du président de la cour d’appel ou du président du Tribunal de grande Instance, effectue un deuxième tirage au sort. Le but étant d’établir une liste annuelle départementale d’environ 400 noms. C’est au sein de cette liste que seront tirés les jurés devant participer à une session d’assises. Un troisième tirage au sort est effectué à partir de cette liste afin d’établir la liste de session. Environ un mois avant l’ouverture d’une session de la cour d’assises (une session porte sur plusieurs affaires à juger), une commission composée de trois magistrats du siège et placée sous l’autorité du président de la cour d’appel (ou du président du tribunal de grande instance) procède au tirage au sort de 40 « jurés des sessions » ainsi que d’une liste complémentaire de 12 « jurés suppléants ». Ce tirage au sort a lieu lors d’une audience publique et en présence d’un représentant du ministère public (l’avocat général par exemple), du bâtonnier de l’ordre des avocats et de cinq conseillers généraux. À l’issue de ce tirage, un officier de police vient notifier personnellement sa convocation au domicile de chaque personne concernée (numéroté de 1 à 40, selon l’ordre de son tirage au sort), ou comme « juré suppléant » (numéroté de 1 à 12). La cour d’assises est une juridiction non permanente. Elle siège par sessions dont la durée varie de deux à trois semaines et couvre ainsi plusieurs procès auxquels participent des jurés (jurés de session), dont le nombre minimal pour le tirage au sort est fixé à 23 (en première instance) et à 26 (en appel). Afin de s’assurer du minimum de personnes requis par la loi pour effectuer un tirage au sort, les cours d’assises convoquent à côté des jurés de session des jurés « suppléants », habitant la ville où se situe le tribunal. Pendant la session et avant le début de chaque procès, et afin de former le jury de jugement, on procède au tirage au sort de neuf jurés et d’un ou de plusieurs jurés supplémentaires. Notons que les jurés suppléants viennent en renfort en cas de défaillance des jurés de session, tandis que les jurés supplémentaires sont censés parer aux défaillances d’un juré tiré au sort pour un procès.
Ainsi, et avant le début d’un procès, les jurés ont connu quatre tirages au sort avant de devenir membres du jury de jugement :
  • Le premier tirage au sort en vue de constituer la liste préparatoire a lieu en mairie, au premier semestre de l’année civile. Ce tirage au sort public constitue une liste de noms représentant le triple de l’effectif fixé pour la circonscription (article 261 du Code de procédure pénale) ;
  • à partir des listes envoyées par les communes, un deuxième tirage au sort a lieu au tribunal où se tient la cour d’assises. Il vise à constituer la liste annuelle et départementale des jurés ;
  • un troisième tirage au sort a lieu en vue de la liste des jurés de session (elle comporte 35 jurés titulaires et 10 jurés suppléants qui, eux, résident dans la ville où se tient la cour d’assises). Ce tirage au sort doit avoir lieu au moins trente jours avant le début de chaque session ;
  • un quatrième tirage au sort en vue de constituer le jury de jugement a lieu lors du début de la session et sera suivi par autant de tirages au sort qu’il y a de procès.
À l’issue de ce dernier tirage au sort, qui a lieu en présence de l’accusé, le président lit l’article 303 du Code de procédure pénale aux jurés, debouts et découverts, et le propos suivant : « Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X…, de ne trahir ni les intérêts de l’accusé ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration ; de n’écouter ni la haine ou la méchanceté ni la crainte ou l’affection ; de vous rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d’après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions ». À l’issue du débat contradictoire, et avant que le jury ne se retire dans la salle du délibéré, le président lit l’article 353 : « La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes, dans le silence et le recueillement, et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : “avez-vous une intime conviction ?” ». Si cette catégorie discursive qu’est l’intime conviction est très ambiguë, elle présente une cohérence avec le statut juridique de la « preuve ». « Le juge qui apprécie la preuve n’a pas à rendre compte des éléments dont il a fait dépendre sa conviction », observe Bernard Fayolle (2001, 86). Le délibéré est un moment de débat où chaque membre du jury expose son point de vue. À l’issue des discussions, le jury vote de manière individuelle et secrète. Magistrats et jurés rédigent, sur un bulletin portant ces termes : « sur mon honneur et en ma conscience, ma déclaration est [oui ou non] » (Article 357 du Code de procédure pénale). La majorité requise pour décider de la culpabilité est de huit voix en premier ressort, de dix voix en cas d’appel. Le vote ne s’effectue pas à main levée puisqu’il est secret. Le vote sur la peine au cas où la culpabilité est reconnue nécessite une majorité qualifiée de sept voix en premier ressort et de huit voix en appel (au cas où la peine votée est le maximum prévu par le Code pénal, il faut au moins l’accord de huit jurés en premier ressort et de dix jurés en appel). Au premier juré revient la signature de l’arrêt de jugement de la cour.
Annexe 2

Terrain et méthodologie de l’enquête

Une recherche auprès d’anciens jurés et de magistrats : l’observation de l’accueil des jurés lors des procès et les entretiens comme modes d’investigation
Si l’observation des procès révèle, dès le moment où les jurés entrent au tribunal, toute la teneur de la rencontre entre des profanes et des professionnels de la justice que sont les huissiers, les greffiers et les magistrats, une part non négligeable de ce qu’ils vivent reste invisible au chercheur. L’observation de procès en assises nous a permis de nous familiariser avec cet univers sans pour autant vivre l’expérience effective de jurés placés des deux côtés des magistrats professionnels et surplombant la salle d’audience. Le procès ne désigne qu’une partie de ce qui constitue l’expérience des jurés ; il n’est que la face visible d’un ensemble de pratiques, d’interactions, de rituels et de postures distinguant grosso modo les initiés des profanes, les professionnels de la justice des jurés et générant des effets que l’on ne peut pas saisir par simple observation, dût-elle s’effectuer sur le long terme. Aussi, et afin de nous familiariser avec l’univers de la justice pénale devant se prononcer sur le sort des accusés, nous avons mené des observations au sein de deux cours d’assises : la cour d’assises du Nord, implantée à Douai, et la cour d’assises du Pas-de-Calais, située à Saint-Omer. Observer des faits sociaux et plus spécifiquement des interactions au sein d’un contexte déterminé implique au préalable la formulation d’un certain nombre de questions, fonctionnant un peu comme des « grilles d’observation ». De fait, si toute observation est nécessairement sélective, nous avons cherché à nous focaliser sur des moments saillants susceptibles de nous informer sur la manière dont les jurés se socialisent à la cour d’assises, sur les épreuves auxquelles ils ont à s’affronter et sur les effets que celles-ci peuvent engendrer à terme. Voilà pourquoi notre présence dès la demi-journée dite de révision de la liste des jurés nous a paru fondamentale pour entamer un travail d’observation. Les jurés observés ne l’ont pas été de manière dissociée ou séparée du contexte de l’observation. En effet, le contexte est, par ses caractéristiques, révélateur parce que structurant de cette expérience : l’arrivée à la cour d’assises vers 8 heures du matin, heure à laquelle les jurés sont convoqués, l’entrée du tribunal par un portique soumis au contrôle de la police, l’installation des jurés selon les places disponibles, dans un hall, en vis-à-vis et face-à-face, les allées et venues des hommes et femmes de loi, habillés de leurs robes, le pas plus ou moins déterminé, les échanges hésitants ou les silences des citoyens convoqués, l’ouverture de la salle des audiences vers 9 heures par un huissier appelant « les jurés convoqués » à y entrer, suivie d’une matinée où la greffière « installe » le jury de session, etc. constituent autant de moments et de pratiques livrant à l’observateur toute la teneur d’un monde « solennel » et d’inquiétudes lisibles tant sur les visages qu’à l’écoute des questions formulées par quelques jurés. Les autres moments saillants réfèrent aussi à la constitution du jury de jugement qui conduit à l’appel des jurés, par leur numéro puis par leur nom, un appel devant les amener à se lever et à effectuer un « passage » vers la cour afin de prendre place auprès des magistrats et des autres citoyens tirés au sort. Ce passage à l’apparence anodine est des plus marquants symboliquement car il est non seulement suspendu au risque de la récusation, mais aussi il institue le juré dans un rôle de juge, d’élu parmi les élus. L’écoute du procès, les regards portés sur les accusés, sur les victimes, sur les avocats du parquet, de la défense et des parties civiles, les réactions devant les moments « tragiques » (narration des faits, présentation de l’arme du crime, diffusion des photos des victimes…), le fait de prendre ou non des notes, les comportements observés lors des pauses (regroupement ou solitude), les expressions ou regards manifestés lors du retour du délibéré… constituent autant d’éléments que nous avons observés afin de circonscrire une partie de cette expérience « extraordinaire ». Cependant, et bien que notre recherche porte sur les jurés d’assises, il fallait éviter l’écueil d’une trop forte centration sur ce public au risque de minimiser ce qui en détermine l’expérience. Aussi, ce sont tour à tour les jurés et des autres acteurs participant à la cour d’assises qui ont retenu notre attention. En effet, le travail de la présidente ou du président de la cour d’assises, les dépositions des témoins et des experts, les propos tenus par les victimes, les attitudes et réactions des accusés… sont autant d’éléments qui peuvent nous informer sur la réalité objective d’une cour d’assises dont les configurations façonnent le regard des jurés. Ainsi, et à titre d’exemple, lorsqu’un psychiatre intervient à la barre en tant qu’expert et produit un discours « scientifique » d’inspiration lacanienne, avec des termes peu accessibles aux jurés populaires, le sociologue peut à juste titre se demander en quoi un tel témoignage est utile à la « manifestation de la vérité » ! De même, lorsqu’un accusé répond à la présidente qui souhaite savoir s’il sait « où se trouvent [ses] enfants actuellement » (question qui cherche à s’assurer de l’intérêt ou non du père pour ses enfants), « Madame, je suis en prison depuis 2 ans, je ne peux pas savoir où ils sont ! », il n’est pas difficile de voir que le malentendu entourant le sens de la question n’est pas sans effet sur la manière dont les jurés qualifieront le prévenu (« On voyait bien que c’était un pauvre type, dangereux mais très limité », nous dira un juré interrogé). Voilà pourquoi l’observation nous a servi de grille de lecture dont les éléments constituaient autant de « référents empiriques » à partir desquels nous pouvions interroger les jurés et les magistrats.
Les entretiens avec les jurés
Nous avons mené des entretiens avec d’anciens jurés en optant pour deux stratégies.
Dans un premier temps, nous avons pris contact avec une association d’anciens jurés du département du Nord comptant près de 300 membres. Nous avons été invités à exposer aux membres du bureau les raisons de cette recherche et l’accueil très positif qu’elle a reçue nous a permis d’avoir les coordonnées d’anciens jurés. L’association « recrute » ses adhérents suite à la distribution, le premier jour de la session, d’un document remis en mains propres par un membre du comité. De ce fait nous risquions de ne rencontrer que les anciens jurés ayant adhéré à cette association, ce qui ne représente qu’une infime partie des citoyens tirés au sort.
Afin d’éviter l’effet biaisé d’une telle démarche, nous avons opté pour une seconde approche à savoir la mobilisation de présidents de cour d’assises. À l’issue de trois procès observés relevant de trois sessions différentes, nous avons rencontré trois présidents de cour d’assises afin qu’ils sollicitent des jurés volontaires pour un entretien. Par la même occasion, nous avons aussi pu rencontrer d’anciens jurés du département du Nord et du département du Pas-de-Calais. L’intérêt de cette démarche était également de pouvoir interroger des jurés ayant siégé depuis peu de temps en assises, ce qui n’est pas systématiquement le cas pour les jurés adhérant à l’association.
Une quarantaine d’entretiens ont finalement été réalisés avec d’anciens jurés. Ils se sont majoritairement déroulés à leur domicile et ont été semi-directifs. Les anciens jurés se sont essentiellement centrés sur les différentes étapes jalonnant leur expérience des assises : la convocation, les manières de s’y préparer, les contacts avec la greffière et l’huissier qui les accueillent le premier jour, les demandes de dispense, les récusations, l’écoute des chefs d’accusation, les témoignages, l’éventuelle émotion éprouvée, les interactions avec les autres jurés et avec les magistrats, les échanges lors des suspensions d’audience, le déroulement du délibéré, l’après assises, etc. Cette enquête de terrain n’évite pas certaines limites, notamment le fait de ne pas avoir rencontré des jurés ayant été dispensés ou systématiquement récusés.
Les entretiens avec des magistrats : président(e)s de cour d’assises, assesseurs et avocats généraux
Nous avons interrogé des magistrats exerçant dans les deux cours d’assises du Nord-Pas-de-Calais ; nous avons également interviewé des présidents de cour d’assises en poste à Paris et à Caen. Si les entretiens révèlent toute l’épaisseur d’une expérience professionnelle marquée par le souci d’organiser sans « dérapages » les débats, de dédramatiser les contraintes générées par les assises sur les jurés, ils n’ont pas systématiquement permis de dépasser les propos convenus. C’est pourquoi la teneur des entretiens et de leurs contenus variait selon le moment du déroulement de cette recherche. En effet, lors de la première rencontre avec deux magistrats ayant « de l’expérience » et tous deux présidents de chambre, nous avons perçu un discours assez normatif et parfois emprunt de dénégations (par exemple autour de l’influence du président sur les jurés, avec des propos du type « de toute façon, les jurés sont plus nombreux que les juges professionnels, ils peuvent emporter le vote »). Aussi, l’accumulation d’entretiens avec d’anciens jurés nous a permis de découvrir différentes manières de diriger les audiences, d’installer un échange spécifique avec les jurés, de relever qu’il peut exister des stratégies de séduction, de mise en œuvre d’un jury de jugement « arrangé ». Le matériau recueilli auprès d’anciens jurés pouvait alors servir d’argument permettant de relancer les magistrats et d’éviter les propos convenus. De même, et dans la mesure où les présidents de cour d’assises, eu égard à leur pouvoir, ont « la police de l’audience et la direction des débats » (article 309 du Code de procédure pénale), leurs stratégies variables sont à même d’indiquer au chercheur les raisons de tel ou tel mode d’organisation des audiences. Débuter par les faits ou commencer par la présentation de la personnalité de l’accusé n’est pas anodin. Aussi, la confrontation des pratiques via des relances lors de l’entretien nous renseigne sur les principes subsumant le travail des magistrats, et partant, permet d’en déduire un type de relation particulier aux faits incriminés et aux jurés (par exemple, quand les jurés dénoncent la centration sur le passé de l’accusé ou, à l’inverse, sur les faits incriminés, cela n’est pas sans conséquence sur leur relation aux juges professionnels et sur la manière dont ils pensent que le verdict a été construit). Nous avons élaboré deux grilles d’entretien, l’une destinée aux magistrats du siège (présidents et assesseurs), l’autre aux magistrats du parquet (deux avocats généraux). Les entretiens menés avec les magistrats ont eu lieu soit au tribunal, soit dans un café ; ils se sont focalisés sur les procédures judiciaires, sur la préparation des audiences, sur les modes de conduite des procès et sur les relations instaurées avec les jurés. La confrontation entre le discours des magistrats et celui des jurés permet aussi de rendre compte des rapports de pouvoir et des « jeux d’influence » qui caractérisent la rencontre entre des professionnels et des profanes. Quatorze entretiens avec des magistrats (dont huit présidents de cour d’assises et deux avocats généraux).
Soulignons que pour des raisons légales, il ne nous a pas été permis d’assister au délibéré, ce qui aurait constitué un matériau utile pour cette recherche. Voilà pourquoi le recours aux entretiens a constitué une technique précieuse pour cette recherche, et c’est en confrontant et en recoupant les propos que nous avons pu approcher les interactions et les tensions jalonnant les délibérations.

Notes

  • [1]
    Pierre Lascoumes observe que :
    « Dès 1968, la création du Syndicat de la magistrature (sm), et peu après, celle du Syndicat des avocats de France (saf) ont été des événements constitutifs attestant de la possibilité pour des professionnels de se déprendre des routines de leurs milieux et de prendre des positions critiques tant sur leur institution d’appartenance que sur les sujets mettant en jeu les libertés publiques » (Lascoumes, 2009, 112).
    Soulignons aussi que les « boutiques de droit » comme le Mouvement d’action judiciaire – mis en œuvre au milieu des années 1970 – ont utilisé le droit de manière à associer des profanes pour modifier ou peser sur la législation.
  • [2]
    La cour d’assises ne constitue qu’un cas particulier parmi d’autres institutions associant des juges professionnels et des citoyens élus ou désignés. C’est le cas des tribunaux des affaires de Sécurité sociale, des tribunaux pour enfants et des tribunaux paritaires des baux ruraux. Mais seuls les citoyens siégeant en cour d’assises sont tirés au sort à partir des listes électorales.
  • [3]
    Le travail des magistrats ne saurait être considéré sous le seul angle d’une approche institutionnelle qui identifierait leur activité aux normes judiciaires. Leur vision du monde et leur socialisation professionnelle portent l’empreinte d’une histoire biographique et d’une adhésion à des valeurs idéologiques, mais également des transformations institutionnelles qui, en créant un mode de recrutement basé sur des concours, ont à la fois homogénéisé l’ethos professionnel (fondamentalement juridique) et désacralisé progressivement la fonction de juge : on passe le concours de magistrat tout en se présentant à d’autres concours, et cela s’apparente à une « déjudiciarisation des vocations » (Fillon, Boninchi, Lecompte, 2007). La crise de l’image de la justice suite à différentes affaires (dont l’affaire dite « d’Outreau ») a amené les juges à se soucier de leur « humanité » en vue de réduire la distance entre l’institution judiciaire et la société civile. Les juges eux-mêmes reconnaissent que des pratiques d’audience et de délibéré différentes peuvent peser sur le verdict. Ainsi, un magistrat va jusqu’à soutenir que « certains juges mettent plus l’accent sur les zones d’ombre que sur ce qui est évident, ça induit un doute qui peut amener les plus sévères à revoir leur jugement ». Ce qui signifie que les usages du droit par les professionnels portent la marque d’un travail d’interprétation produisant des normes secondaires : par exemple lorsque le président commence par la personnalité ou par les faits, il fait le choix qu’autorise la loi mais il donne aussi un sens spécifique à ce choix selon la sensibilité et l’idée qu’il se fait de la vérité à atteindre. Le juré peut alors découvrir progressivement le caractère réifié du droit et ses usages plus « souples ». Les juges peuvent devenir des causes lawyers (Israël, 2007 ; Roussel, 2007), ce que confirme le cas de ce président de cour d’assises – qualifié d’« humain » par des jurés – et adhérant à une association d’études en criminologie, défendant le droit à la réinsertion des détenus.
  • [4]
    Le délibéré est un moment de débat où chaque membre du jury expose son point de vue. À l’issue des discussions, le jury vote de manière individuelle et secrète. Magistrats et jurés rédigent, sur un bulletin portant ces termes : « sur mon honneur et en ma conscience, ma déclaration est [oui ou non] » (Article 357 du Code de procédure pénale). La majorité requise pour décider de la culpabilité est de huit voix en premier ressort, de dix voix en cas d’appel. Le vote ne s’effectue pas à main levée puisqu’il est secret. Le vote sur la peine au cas où la culpabilité est reconnue nécessite une majorité qualifiée de sept voix en premier ressort et de huit voix en appel (au cas où la peine votée est le maximum prévu par le Code pénal, il faut au moins l’accord de huit jurés en premier ressort et de dix jurés en appel). Au premier juré revient la signature de l’arrêt de jugement de la cour.
  • [5]
    L’adhésion à une association d’anciens jurés nous est apparue dans un premier temps comme une manière de trouver un soutien auprès de personnes ayant vécu des épreuves proches. Mais elle répond aussi à d’autres enjeux, plus « politiques » au sens où il s’agit non seulement de prolonger la réflexion autour d’une expérience judiciaire, mais aussi de voir comment il est possible pour des citoyens ordinaires de peser sur la justice et sur son fonctionnement. De fait, les jurés se pensent moins comme des profanes de la justice que comme des profanes du droit. Ils se saisissent de cette expérience pour en déduire une légitimité susceptible d’asseoir un rôle en vue de défendre la « cause judiciaire » (Israël, 2007). L’Association des anciens jurés du Nord a ainsi noué des contacts avec différents acteurs appartenant à différentes institutions (justice, Éducation nationale, police…), et certains de ses membres actifs ont été auditionnés par des parlementaires dans le cadre de la préparation du « Projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs » (adopté le 19 mai 2011) visant à expérimenter l’introduction de « citoyens assesseurs » en correctionnelle et à réduire, concernant certains crimes, le nombre de jurés populaires au sein de la cour d’assises.
Français

Résumé

Citoyens tirés au sort à partir de listes électorales, les jurés de cour d’assises doivent se socialiser assez rapidement à un univers judiciaire et à un rôle auquel ils ne sont guère préparés. Cette socialisation ne va pas de soi, car non seulement les jurés s’interrogent sur leur légitimité puisqu’ils sont rarement des juristes mais aussi, ils découvrent des professionnels du droit, des faits incriminés et des mondes sociaux dont la cruauté les déstabilise alors même qu’ils doivent conserver une neutralité quant à la fonction de juger. La rencontre avec les professionnels de la cour d’assises et plus particulièrement avec les juges est marquée par de nombreuses épreuves et génère des sentiments très ambivalents, tenant aussi bien aux modes d’accueil, de qualification et de disqualification qui leur sont réservés, qu’aux écarts observés entre la légitimité des magistrats professionnels et des pratiques judiciaires perçues comme « manipulatoires ». Si juger n’exige pas de la part des citoyens la connaissance du droit mais une attention et un usage de la « raison » en vue de construire leur « intime conviction », l’émotion qu’ils éprouvent à l’écoute des faits incriminés apparaît aux juges comme à la fois inévitable et susceptible de déstabiliser la sérénité du jugement. Aussi, les rapports de pouvoir qui naissent lors de cette rencontre entre juges professionnels et jurés profanes ne prennent sens qu’à l’aune des contraintes institutionnelles qui s’exercent sur les premiers et des manières dont les seconds pensent plus ou moins peser sur la justice pendant le délibéré. L’appropriation socialement différenciée de son rôle de juré comme les différences relevées chez les magistrats quant à la conduite des procès et à la place accordée aux jurés ne remettent pas en cause le poids dominant des juges mais laissent entrevoir des effets différenciés de cette expérience sur les citoyens-juges. La contestation du pouvoir des juges qui cohabite avec l’attachement des jurés au maintien d’une justice échevine démontre qu’au-delà des épreuves vécues, la socialisation à la cour d’assises est une promesse de démocratie apportant une certaine reconnaissance aux individus.

Mots-clés

  • Cour d’assises
  • délibéré
  • démocratie
  • épreuves
  • jurés profanes
  • légitimité

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Aziz Jellab
Sociologue, Aziz Jellab est professeur des universités à l’université Lille-III. Ses travaux portent sur le système scolaire, sur les politiques d’éducation et sur les transformations affectant l’enseignement professionnel et l’enseignement supérieur. Il s’intéresse également aux interactions entre la société civile et le système judiciaire sous l’angle de la sociologie de l’expérience. Il a publié Sociologie du lycée professionnel. L’expérience des élèves et des enseignants dans une institution en mutation, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2009 et publie prochainement Les Étudiants en quête d’université. Une expérience scolaire sous tensions, Paris, L’Harmattan.
Armelle Giglio-Jacquemot
Ethnologue, Armelle Giglio-Jacquemot est maître de conférences à l’université Lille-III. Elle mène des recherches sur le Brésil autour de l’anthropologie de la maladie et de la santé, de l’anthropologie visuelle et du documentaire ethnographique. Elle a été jurée d’assises en 2008. Parmi ses publications, « Introduction au texte inédit de Roger Bastide : Les “Histoires de vie” et le problème de l’ascension de l’homme de couleur dans la société brésilienne » (en collaboration avec Marcelo Frediani), Cahiers du Brésil contemporain, 2010, nos 75-76.
armellej@club-internet.fr
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Mis en ligne sur Cairn.info le 31/05/2012
https://doi.org/10.3917/anso.121.0143
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