Lorsque l’esprit militaire abandonne un peuple, la carrière militaire cesse aussitôt d’être honorée, et les hommes de guerre tombent au dernier rang des fonctionnaires publics. On les estime peu et on ne les comprend plus.
1La bonne image dont bénéficient les armées auprès de la population, le déclin de l’antimilitarisme et la montée de nouvelles menaces induites par le terrorisme constituent autant d’éléments de nature à offrir aujourd’hui à l’institution militaire l’assurance de son importance sociale et à ses personnels un fort sentiment de considération. Pourtant, ce contexte favorable n’exclut nullement l’expression polymorphe et diffuse de sentiments faisant état d’un déficit de reconnaissance que les armées dans leur ensemble éprouvent quant à leurs rôles et missions spécifiques, en les poussant à s’interroger sur la place réelle qu’elles occupent dans la société, a fortiori dans le contexte de l’après-professionnalisation et de son impact sur la relation armée-nation [1]. De l’impression d’être méconnues au préjudice persistant de la caricature folklorique en passant par le sentiment d’être marginalisées, en décalage avec le reste de la population et avec les évolutions de la société ou de ne pas être appréciées et rétribuées à hauteur des servitudes, nombreux sont en fait les motifs qui nourrissent leur conviction persistante d’un manque global d’attention. Leur présence systématique dans les expositions, salons et autres manifestations médiatiques ainsi que les opérations portes ouvertes qui se multiplient dans les régiments sont à la fois des illustrations et des tentatives pour remédier à ce déficit que cherchent également à combler les investissements lourds qu’elles font actuellement dans les actions tournées vers les jeunes et dans diverses expériences pédagogiques alternatives aux formules scolaires classiques. En effet, à côté des dispositifs prévus en la matière (« Défense deuxième chance », l’opération « 105 permis », epide [2]), les protocoles d’accord que signe le ministère de la Défense avec l’Éducation nationale, les conseils régionaux et les entreprises tout comme la création de correspondants Défense dans chaque collègue et lycée témoignent d’un repositionnement stratégique de l’institution sur le terrain de la citoyenneté, de l’intégration sociale et de l’insertion professionnelle pour compenser le risque d’une perte de visibilité quotidienne et d’utilité sociale immédiate qu’entraîne la suspension du service national.
2Quant aux personnels, quiconque aura pénétré les enceintes militaires n’aura manqué de constater à quel point ce même sentiment revient dans les discussions quotidiennes comme un leitmotiv largement partagé, bien connu et parfaitement relayé par les différents dispositifs locaux d’expression (tels les présidents de catégorie) et les instances de concertation et de dialogue social existant au niveau de chaque armée et du ministère (cfm, csfm [3]).
« Nous souffrons d’un manque de considération de la population et du pouvoir politique qui ne nous connaît plus ».
4De façon très régulière, maints rapports et études s’en font également l’écho pour montrer que ces attentes de considération, lorsqu’elles sont estimées non satisfaites ou mal compensées, représentent un sérieux enjeu pour générer un puissant sentiment de mécontentement pouvant entraîner de forts désinvestissements, voire même conduire, de façon préjudiciable pour les objectifs de recrutement et de fidélisation des personnels, jusqu’à la défection (par exemple, les études internes « Vie dans l’armée de terre » (vat), les rapports annuels sur le moral ou encore les travaux du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, 2007 [4]). Dans le contexte de la crise et des manifestations des gendarmes en 2001 (Samson, Fontaine, 2005) et de la grogne qui a suivi dans les régiments au motif de leur suractivité, ce même sentiment d’un déficit d’attention s’exprime également dans les mises en scène de soi qui fleurissent dans les blogs militaires personnels (Chatrenet, 2007), dans les prises de position et critiques d’officiers généraux anonymes (par exemple le « groupe Surcouf ») ou encore dans
« l’intense demande d’autonomie, relative, dans la capacité de penser, dire ou faire des militaires […] qui aspirent, sans le formuler clairement, à une reconnaissance d’une place différente pour le soldat ».
6Reconnaissance donc. Appartenant à une institution au formalisme hiérarchique fort, réclamant discipline, obéissance et respect des ordres, les militaires – pourtant animés par des valeurs tournées vers le groupe (cohésion, esprit de corps et fraternité d’arme) et le désintéressement (esprit de sacrifice, disponibilité, loyalisme) – n’échapperaient donc pas à cette nouvelle règle du jeu individualiste que cette notion tente aujourd’hui de circonscrire. Plusieurs travaux sociologiques, historiques et philosophiques se sont en effet attachés récemment, dans le sillage principalement ouvert par A. Honneth (2000) mais au fil d’une tradition de pensée en réalité ancienne, à dégager le lien fort existant, pour un individu, entre sa dotation en reconnaissance et la construction de son identité. La reconnaissance semble ainsi entrer parmi les éléments constitutifs et les conditions d’existence et de jouissance impératives de l’identité contemporaine au nom du principe « d’égale dignité » sur lequel reposent les sociétés modernes. Bien plus qu’une question de respect ou une marque de politesse, cette quête de reconnaissance se présente donc comme une exigence à assouvir impérieusement en ce qu’elle engagerait en fait, pour ces sociétés, un « besoin humain vital » (Taylor, 2009, 42).
7En dépit des critiques qu’on peut lui adresser (Fraser, 2005), une telle proposition sociologique présente un certain intérêt heuristique. La conception intersubjective de l’identité qui la sous-tend est d’abord de nature à éviter le manque de réalisme et le formalisme du paradigme habermassien de la discussion qui corrélait la communication réussie, et donc l’entente sociale, à l’observance de règles de langage, par une meilleure prise en compte de la dimension morale des luttes grâce à un recentrement sur l’expérience des sujets, leur sensibilité et les sentiments éprouvés (d’injustice par exemple), c’est-à-dire en redonnant à l’interaction un contenu très empirique. De même, cette posture invite à renoncer au mythe d’une subjectivité fondatrice, d’une intériorité immédiatement autonome et d’emblée assurée de sa force et qualité morale, au profit d’une analyse des conditions de la vie sociale à laquelle elle est en réalité suspendue,
« parce que les sujets ne peuvent parvenir à une relation pratique avec eux-mêmes que s’ils apprennent à se comprendre à partir de la perspective normative de leurs partenaires d’interaction, qui leur adressent un certain nombre d’exigences sociales ».
9Les sociologies de la reconnaissance ont aussi pour corollaire plus sombre de porter atteinte à l’optimisme progressif de l’individualisme triomphant. Le schéma constructiviste oblige, en effet, à abandonner l’idée d’une identité, définie comme un fait acquis et une réalité accomplie, dont l’individu serait propriétaire, pour au contraire lui attribuer comme caractéristiques constitutionnelles fondamentales son incomplétude et finalement sa fragilité. Dans ce cadre meadien, la formation de l’identité ne tient et ne s’obtient que de façon dialogique, qu’à travers les relations interpersonnelles que l’individu entretient avec l’ensemble de ses différents « autrui significatifs ». Sa reconnaissance effective et son rapport positif à soi dépendent ainsi des jugements variables et jamais définitifs qu’ils émettent à son égard et qui le rendent donc très vulnérable pour être, comme des sortes d’instances de certification, en mesure de lui confirmer, refuser ou ôter tout ou partie de ses prétentions identitaires. Le besoin de reconnaissance ouvre donc sur un individualisme inquiet où chacun, en constante période probatoire, est contraint, pour acquérir une valeur à ses propres yeux à un investissement dans l’action socialisatrice qui lui vaudra ou non, et en même temps, estime de soi et intégration sociale. À terme, l’enjeu porte donc sur l’arbitrage et l’équilibre entre l’impératif de réalisation de soi typique de la « conversion de la culture moderne au subjectivisme » (Taylor, 2009, 45) et le contrepoids collectif des fins sociales.
10« L’égale dignité » consiste en l’ouverture de droits, l’octroi de moyens humains et matériels, de compensations ou réparations financières et les signes symboliques qui apparaissent souvent comme les garanties assurant d’une authentique et réelle reconnaissance. Dans ces conditions, qu’en est-il, d’un côté, de la reconnaissance de l’institution militaire et de sa spécificité comme groupe social ? Et, d’un autre, quelle reconnaissance peut-elle offrir à ses personnels ? Ayant directement trait à ce que l’on entend par « condition militaire » qui devient, selon les termes mêmes du rapport sur le moral de 2005, une « préoccupation générale », « le sentiment de reconnaissance conditionne non seulement la motivation mais aussi le positionnement social du militaire » (Thiébault, 2007) et renvoie ici à l’articulation des trois piliers de la satisfaction de soi : l’avoir (conditions de vie), l’être (conditions d’exercice du métier) et le paraître (perceptions en interne et à l’extérieur). Mais, puisque
« la reconnaissance, étant partout […], se décline de manière infinie pour désigner tout un ensemble de situations vécues comme injustes »
12mieux vaut, nous semble-t-il, plutôt que de recenser, une nouvelle fois, les différents motifs bien connus évoqués par les militaires (touchant les conditions matérielles de vie et de travail d’un côté, et les relations entre les personnes d’un autre), tenter de les insérer dans un cadre explicatif général et d’identifier les soubassements structurels de ce sentiment diffus de manque de considération, en dissociant ces niveaux individuel et collectif d’implantation. Dans ce travail simplement programmatique et mené à partir d’une analyse secondaire de diverses recherches empiriques, l’objectif, pour le premier de ces niveaux, sera de dégager ses origines et raisons historiques et contextuelles, eu égard à ce qu’il convient d’appeler la « société militaire » (Gresle, 2003) et ses transformations ; pour le second, il s’agira de saisir, à partir de trois grandes sous-populations représentatives, la production et la reconnaissance des identités dans leur comptabilité avec les valeurs militaires, la réalité organisationnelle et les impératifs opérationnels de l’institution.
Reconnaissance de l’institution militaire et transformations sociales
13L’institution militaire ne tire le sens de son action et la légitimité de ses fins qu’au regard du soutien d’une collectivité sociopolitique souveraine et des valeurs qu’elle porte. Le défaut de considération qu’éprouvent aujourd’hui les militaires comme groupe social doit donc être rapporté à cet ensemble social plus vaste, et être interprété comme un fait profondément structurel résultant d’un long et multiforme processus de transformation de ses valeurs. Pour mettre en perspective les évolutions historiques de la considération qu’on prête aux armées dans leur ensemble, les trois thématiques clés des théories sociologiques de la reconnaissance – identité, vulnérabilité, invisibilité – ont été retenues comme principales entrées pour analyser ce fait.
La crise sociale de l’identité militaire : de l’honneur à l’égale dignité
14À côté des supports qu’elle trouve dans les sentiments affectifs et les relations juridiques, la reconnaissance mutuelle présuppose également
« l’existence d’une organisation sociale dont les fins communes réunissent les individus dans une communauté de valeurs »
16un horizon partagé qui établit des rapports d’estime sociale à partir des contributions respectives des individus ou groupes d’individus à la réalisation des fins et valeurs poursuivies par la collectivité. Dans l’avènement de la société moderne réside en fait, pour suivre Tocqueville, l’origine d’un changement de régime décisif de cette reconnaissance sociale pour l’avoir déplacée, du socle aristocratique qu’elle trouvait jusque-là dans la valeur de l’honneur, vers un idéal de « l’égale dignité » (Schnapper, 1994), avec, comme conséquence, une remise en question de la distribution verticale des tâches sociales selon un ordre préétabli de dignités au profit d’une conception moins stratifiée, moins figée et plus démocratique de la reconnaissance (Ansart, 1998). Cette dernière est rendue possible, avec l’affaissement des structures hiérarchiques et une étanchéité moindre des groupes, par une ouverture sociale toujours plus large à une pluralité de valeurs selon un mode de concurrence horizontal qui donne droit à tous, par l’accès libre aux regards d’autrui, à l’attention, à l’estime publique et au prestige obtenu au titre de qualités et capacités personnelles authentiques (donc non socialement assignées) (Taylor, 1992 ; Walzer, 1997).
17Rapporté à notre objet, ce déclin de l’honneur concerne et frappe fortement les militaires, en affectant la pleine et entière reconnaissance qui leur était attribuée d’emblée comme porteurs d’une valeur rattachée, dans l’organisation tripartite de la société d’alors, à un ordre – celui des combattants – hiérarchiquement considéré comme « prééminent, devenant la noblesse et tendant vers la caste » (Corvisier, 1995, 254). À une époque où, jusqu’au xviiie siècle, « l’État n’a finalement été qu’un État militaire » (Meyer, 1983, 283) qui distinguait encore mal le monde civil du monde des armes, force est de rappeler que le militaire se résumait à l’officier et l’officier à l’aristocrate qui se sentait toujours membre de la noblesse et jamais soldat de métier (Léonard, 1958 ; Corvisier, 1995). Dans ce contexte où les « armes constituaient la première valeur sociale » (Corvisier, 1985, 19), la connaissance sociohistorique de l’époque oblige en effet à constater la coïncidence parfaite et unanimement acceptée des élites militaire et sociale soudées par la détention monopolistique de l’honneur. La légitimité de leur position passait par la défense de l’éthique qu’elle soutient aux côtés du désintéressement et de l’esprit de sacrifice.
« La nature de l’honneur étant de demander des préférences et des distinctions »
19la vocation aux armes va consister en leur maintien et conservation à tout prix, au titre de conduites héroïques (comme lors de la bataille d’Azincourt), de vertus innées et héréditaires qui classent à part leurs possesseurs, et au moyen d’un traitement particulier (servir dans les postes de commandement ou dans des corps privilégiés) ou de mesures favorisant clairement la naissance. En effet, à la veille de la Révolution, au moment où dans une société toujours d’ordres, mais sous l’influence des Lumières, la nouvelle échelle de valeurs fondée sur l’égalité, la mobilité et le travail entame la légitimité de la stratification militaro-aristocratique et la reconnaissance sociale naturelle qu’on vouait à son sommet – déjà anciennement attaqué par le système de la vénalité des charges –, la question sociale devient saillante au point de susciter une violente « réaction nobiliaire ». Face à l’entrée massive de la bourgeoisie et d’individus de petite naissance ou roturiers, la réponse de la noblesse, a fortiori pour faire oublier la défaite humiliante de Rossbach, se manifeste en outre à travers sa participation active à la réforme administrative des armées qui visera, jusqu’au Directoire, à rétablir la pleine reconnaissance de sa place dans la nation, et à éclipser les autres catégories au moyen de toute une série de mesures et dispositions conservatoires : organisationnelles (création de l’École militaire pour les jeunes de la plus haute noblesse), administratives (emplois réservés, avancement conditionné par les titres), sociables (recrutement clientéliste), morales (lutte contre les concordats, dénonciation de la vénalité des charges), en passant par le fameux « édit de Ségur » (1781) qui exige trois degrés de noblesse pour devenir officier (Chagniot, 1987 ; Corvisier, 1985).
20À rebours de la reconnaissance initialement visée, c’est une « crise morale » du monde militaire qui en découle, tant le modèle d’armée projeté est découplé de la hiérarchie prévalant désormais dans le reste de la nation et entraîne « une cascade de mépris » pour les antagonismes qu’il exacerbe (Corvisier, 1985). Mais la poursuite de l’élargissement du recrutement social des officiers signe progressivement « l’obsolescence du concept d’honneur » (Berger, 1983) au profit de « l’égale dignité » qui, liée à l’ouverture des valeurs aux différents modes de réalisation de soi conduisant chacun à produire une coïncidence entre ses capacités propres et les fins définies par la société, rapproche l’armée des autres groupes par un mode d’accès plus démocratique combinant les critères de la naissance, de l’argent, du talent, du mérite et de la chance.
« Tous ces facteurs réglèrent l’avancement tout en offrant de larges possibilités de promotion sociale par l’armée ».
22Le légalisme égalitaire qu’elle suit alors au titre de l’esprit de l’époque et de ses besoins techniques et administratifs (remplis par des civils, les « robins ») est également visible au xixe siècle, dans l’interchangeabilité des fonctions opérationnelles et l’uniformisation des conduites, caractères et apparences, et, plus tard, dans le rapprochement des conditions et des mentalités que les guerres de masse provoqueront. Les lois successives sur la conscription et le service national universel ne feront que conforter, de 1815 à 1870, le reflux des nobles (mais également des bourgeois) du métier des armes dont le prestige, ne bénéficiant plus de l’appui d’une considération immédiate dont autrefois ils « jouissaient sans sortir de chez eux » (Tocqueville, 1986 [1840], 610), devient alors extrêmement dépendant de la société et de l’opinion publique. Girardet retrace ainsi les oscillations de la cote de popularité des armées qui, déjà affaiblie au xviiie siècle par leur coût humain et financier, baisse chroniquement à des titres divers telles l’incompétence, l’oisiveté, l’inutilité ou les mœurs dissolues et barbares qu’on prête aux troupes (Girardet, 1953).
23Avec « ce système symbolique militaire qui perd sa fonction de justification d’un statut social » (Schweisguth, 1978, 388) lié à l’honneur, le manque de reconnaissance s’installe pour devenir un état de fait, une condition structurelle des armées démocratiques « souvent inquiètes, grondantes et mal satisfaites de leur sort » (Tocqueville, 1986 [1840], 612) et que seuls les événements et circonstances de l’histoire – le désir de revanche, la guerre, l’élan nationaliste et la fédération de la nation autour de personnalités charismatiques ou héroïques – arriveront à juguler ponctuellement.
La vulnérabilité institutionnelle
24L’idée de vulnérabilité est une catégorie centrale des théories de la reconnaissance qui, en indexant la construction de l’identité individuelle à la relation à autrui, la fragilise d’autant, pour ne la faire exister véritablement qu’au terme d’une épreuve de validation qui lui délivrera ou non la considération attendue (Renault, 2000). Habituellement appliquée à des individus ou groupes d’individus pour circonscrire les formes prises par leur condition précaire, cette idée sera appliquée ici à l’armée en son entier, donc entendue comme une institution en prise avec des processus qui affectent sa solidité et sa consistance et rendent ainsi plus incertaine sa reconnaissance.
25Visible dans la perméabilité croissante de l’armée à des formes exogènes de régulation et d’intégration, mais également dans les sursauts aristocratiques de la distinction que cristallisent uniformes (Letonturier, 2010) et décorations (Boniface, 2009), cette forme de vulnérabilité est associée au développement d’idées et de thèses qui, corollaires à l’éthique nouvelle émergeant avec la rétractation de l’honneur, contribuent à ébranler l’institution militaire dans ses fondations historiques. Ces idées, que d’aucuns qualifieront d’« antimilitaristes » (Léonard, 1958), s’enchaînent le long d’un parcours qui débute par une critique de la finalité guerrière et amorale de l’institution (chez Pascal, La Bruyère ou Fénelon) pour s’achever sur la remise en cause de son existence même. L’ensemble s’engage, ainsi que le montre Léonard (1958), vers la dénonciation des motifs « nobles » qui la justifient – gloire, honneur, puissance et vanité – en dehors donc de toute réelle nécessité, pour s’élargir et se radicaliser avec Voltaire dont le mépris pour la chose militaire est bien connu, et être rattaché chez Diderot à l’histoire d’une déchéance morale d’une institution que la nation armée pourrait aisément remplacer.
26L’amour de la paix qui en ressort trouve plus tard, dans le prolongement de l’individualisme sécuritaire de Hobbes et l’apologie du « doux commerce » des libéraux, de nouveaux arguments qui annulent ou du moins empêchent le fameux pro patria mori d’exercer pleinement les effets vertueux de son ressort moral sur des motivations, imaginées, de Montesquieu à Benjamin Constant, moins sacrificielles qu’égoïstes et hédonistes, plus mercantiles que patriotiques (Desmons, 2001). La tentative de Rousseau de faire, à l’instar des Anciens, de l’ethos militaire une expérience sentimentale et un devoir civique butera, ainsi que l’explique E. Desmons, sur l’idée désormais enracinée chez les Modernes du caractère archaïque de la guerre, vestige d’un monde éthiquement violent et économiquement fermé. Ainsi Saint-Simon qui, sous l’enthousiasme optimiste que lui inspire l’entrée dans la civilisation industrielle, voit dans l’armée une forme résiduelle inutile et lui ôte toute la considération qu’on pouvait autrefois lui accorder pour ses fonctions sociales essentielles. Diagnostic sévère également partagé par Durkheim mais élargi à la problématique des conditions d’existence et de compatibilité d’une telle institution avec les valeurs individualistes ambiantes, pour contraindre le soldat à trouver
« le principe de sa conduite en dehors de lui-même », dans un « groupe massif et compact (…) qui rappelle le mieux la structure des sociétés inférieures ».
28Les promesses pacificatrices et mondialistes du capitalisme qui laisse davantage place au capitaine d’industrie qu’au colonel de régiment ne font pourtant pas oublier la réalité des menaces et l’impératif de défense qui assurent certes une légitimité de fait à l’institution, tout en la laissant concrètement, comme l’exposera B. Constant dans ses Principes politiques, dans une impasse organisationnelle quant aux principes généraux devant présider à son édification (Constant, 1997, [1815]). Entre armée de métier et armée citoyenne, c’est, selon Th. Hippler, par une formule mixte que Servan tente de surmonter ce « double bind théorique » en ce qu’elle articule de façon optimale la nécessaire reconnaissance et visibilité de l’armée et de ses personnels par un système de droits sociaux compensatoires et/ou alignés sur le monde civil, et le maintien impératif d’un mode de vie propre à la condition militaire et séparé des autres (Hippler, 2006).
29Au-delà donc des critiques de la guerre qui déstabilisent l’institution dans sa raison d’être première, sa vulnérabilité tient aussi à ce dilemme vite perçu et provisoirement réglé par le choix fait du service national universel, choix qui, après bien des résistances dont la pratique massive des remplacements témoigne, ne s’imposera qu’à la faveur conjoncturelle de l’esprit de revanche de l’après 1870 et avec le soutien actif du discours nationaliste de l’idéologie républicaine. Dès lors, quelle reconnaissance peut rejaillir sur une institution quand seul le recours à la loi, supplétive donc par défaut au sentiment naturel du devoir, est à même de créer, sans toutefois réussir à lui donner un contenu moral intériorisé, l’obligation d’y participer ? De fait, les guerres de masse offriront au « syndrome de Bardamu » (Desmons, 2001) un terreau de développement favorable à sa remise en cause en attendant que l’évolution des mentalités, des techniques et de la donne géopolitique conduise, dans la seconde moitié du xxe siècle, à sa suspension, par ailleurs retardée pour des raisons plus politiques que militaires (Porteret, 2005).
30Pour résumer, cet ensemble de critiques et valeurs nouvelles que partagent moralistes, philosophes des Lumières et sociologues fondateurs ainsi que les polémiques autour de la conscription conjuguent leurs effets pour fragiliser l’armée en portant atteinte aux deux piliers habituellement retenus pour soutenir la définition d’une institution. En effet, si on admet qu’une institution est une entreprise de transformation et de traduction de normes et valeurs universelles en rôles et statuts particuliers eux-mêmes producteurs d’individualités spécifiques (Dubet, 2002), force est alors de constater que la reconnaissance sociale problématique de l’armée réside dans la perte de légitimité et d’universalité des valeurs sur laquelle elle s’appuyait historiquement, en rendant donc plus difficile et incertain le processus de socialisation de leur endossement individuel sous forme d’un solide et durable engagement de type vocationnel. Défi d’autant moins aisé à relever dans un contexte culturel marqué par une hausse grandissante des sensibilités occidentales à l’égard de la violence physique et de la mort (sinon esthétisée, virtuelle ou ludique) au profit d’un attachement à la vie, au point de faire complètement disparaître le goût du combat des motivations initiales des jeunes militaires d’aujourd’hui (Léger, 2004).
31Mais à ce contexte extérieur peu favorable à la reconnaissance de l’institution militaire et que vient renforcer la force négative de certains événements (telle la décolonisation qui la plonge dans un sentiment d’isolement et de déphasage par rapport au reste de la nation), s’ajoute aussi, en interne, un autre indicateur d’échec de cette reconnaissance. En effet, la seconde moitié du xxe siècle voit rapidement monter en puissance le concept de condition militaire (élargi ensuite à la notion de condition des personnels) qui vise à
« intégrer l’ensemble des facteurs participant à l’épanouissement professionnel et personnel et à conférer au militaire une place dans la société correspondant à son engagement au service de l’État ».
33Or, la prise en compte des différents aspects de son existence (hébergement, alimentation, santé, action sociale, famille, reconversion, etc.) et le rattrapage des traitements et primes qui résultent des différents plans mis en œuvre dans ce cadre ne suffiront à
« rétablir une perception positive de la condition militaire » et à enrailler « le sentiment d’une dégradation de plus en plus présent »
35au sein de l’institution militaire.
L’invisibilité professionnelle
36Dans la pensée d’Honneth, la reconnaissance confère et s’exprime à travers une visibilité, une présence des vies individuelles ou collectives sur la scène sociale que rend uniquement possible une procédure préalable d’autorisation et d’authentification de leur valeur identitaire propre et projets particuliers d’existence. L’enjeu éthique tient à la conversion automatique de cette reconnaissance sociale en grandeur morale positive, dont l’individu ou le groupe se trouve alors investi de façon variable et instable selon l’indice de mesure que lui fournit son degré de visibilité (Honneth, 2006). L’absence de reconnaissance ou son déni signifie donc socialement une privation d’être, un déficit vécu de qualité morale dont les formes idéal- typiques extrêmes sont représentées par les figures invisibles du subalterne, du précaire et de l’exclu (Le Blanc, 2009).
37La situation de l’armée n’est évidemment en aucun cas comparable à ces exemples, mais connaît toutefois, comme conséquence de sa vulnérabilité institutionnelle décrite plus haut, un type d’invisibilité que l’on qualifiera de « pratique » (Voirol, 2009). Celle-ci est liée au fait que la reconnaissance ou non des armées dépend de l’appréciation sociale de leurs activités et de leurs contributions à la réalisation d’objectifs collectifs, c’est-à-dire d’un cadre normatif commun de validation où
« sont formulées les valeurs et les fins éthiques dont la somme dessine la conception culturelle qu’une société se fait d’elle-même ».
39Cette invisibilité pratique se décline sous deux formes dont l’une, statique, tient à la « spécificité militaire », et l’autre, plus dynamique, aux transformations internes que la professionnalisation des armées a induites en leur sein. Avec la première, sans doute tenons-nous là une difficulté inhérente aux théories de la reconnaissance qui reposent sur un présupposé implicite relatif au statut qu’elles lui attribuent dans les sociétés modernes démocratiques. Honneth érige en effet la demande de reconnaissance en ressource, support immédiatement disponible à l’affirmation de soi, en l’assimilant presque à un droit que certains échouent certes à faire valoir à hauteur de leur prétention, mais néanmoins toujours accessible comme moment ordinaire du régime intersubjectif de la production des identités contemporaines.
40Or, sauf à suivre l’exemple – contesté en interne – des gendarmes en 2001 (Samson, Fontaine, 2005), les attentes de reconnaissance dont l’armée comme tout groupe social peut se prévaloir ne sauraient donner lieu à leur formulation publique sous la forme classique de revendications sans remettre en cause totalement le socle fondamental et légal de son identité et, du coup, de son existence. L’invisibilité sociale inhérente des armées est en effet à rattacher à l’état militaire même, dont la spécificité est fixée dans un statut dérivant de la nature particulière de la mission qui leur est assignée à savoir, la préparation et l’exercice du combat. La loyauté à l’égard de l’État, le devoir de réserve en matière d’expression des idées et l’absence de droit de grève que réclame une telle mission, limitent fortement sa perception collective, en même temps que la confidentialité des opérations toujours nécessaire à leur bon déroulement, l’éloignement et les enjeux géopolitiques des théâtres sur des territoires à la situation nationale complexe, ainsi que le renforcement de la fonction « renseignement » compliquent la juste appréciation et visibilité des prestations. Seule la transformation récente des missions, désormais centrées, pour leur versant extérieur, sur les activités humanitaires et de maintien de la paix et, pour le versant intérieur, sur l’aide et le secours aux populations, limite, sans toutefois en annuler la réalité et ses effets, cette invisibilité injonctive par le statut et la fonction essentielle des armées, et explique aujourd’hui leur image positive pour davantage entrer, eu égard aux valeurs dominantes, dans le cadre normatif de validation des activités sociales pourvoyeuses d’estime sociale.
41Inévitable facteur de réduction de la présence des armées dans la conscience collective et les trajectoires biographiques individuelles, la suspension du service national introduit, pour sa part, une seconde forme d’invisibilité propre à leur entrée dans la professionnalisation dont les effets viennent s’ajouter et conforter les changements liés à un niveau plus général au fameux processus de rationalisation des activités en substituant le métier à la vocation. En effet, le constat de cette invisibilité ne se réduit pas à la seule question de la surface d’exposition publique moins large des armées, mais regarde également des logiques plus internes. Dans cette optique, les thèses opposées qui ont été avancées pour rendre compte de l’impact de la professionnalisation sur le lien armée/nation, se rejoignent en esquissant les contours d’un cadre unitaire d’explication de cette forme d’invisibilité et de la reconnaissance problématique qui en découle.
42La culture militaire est la variable à partir de laquelle s’organisent les thèses dites de la divergence qui, malgré des variantes, s’accordent toutes à la retenir, compte tenu du poids et de la place qu’elle y occupe dans les motivations, comportements et structures, comme une caractéristique première et distinctive de l’armée, ainsi rangée parmi les institutions totales (Goffman, 1968 ; Foucault, 1975) et coercitives (Pinto, 1975 ; Loriga, 1991). Dans ce cadre, la perte de légitimité qu’entraîne la suspension du service national distendrait de manière irréversible le lien armée/nation au point de conduire la première à la crispation identitaire, au repli autarcique sur un ethos en rupture et en marge de la seconde. Le déficit de reconnaissance est donc ici posé comme intrinsèque à l’identité culturelle militaire promise à une inéluctable invisibilité sociale par différence que seuls les dispositifs d’obligation légale retardaient.
43À l’inverse, les théories de la convergence (Janowitz, 1960 ; Moskos, 1987) expliquent cette invisibilité par l’effacement progressif de l’identité culturelle spécifique des militaires au profit de l’introduction de logiques de métier importées de la société civile. La rationalisation bureaucratique, la conception plus managériale que charismatique du commandement, la contractualisation croissante, la gestion par spécialité, le développement des primes catégorielles constitueraient les principaux indicateurs d’un processus de banalisation de l’armée dont témoigneraient également les comportements par leur tournure davantage individualiste, hédoniste, carriériste et pragmatique. À l’instar de sa rivale, cette option théorique dont les excès appellent aujourd’hui la juste mesure des effets propres aux processus organisationnels et institutionnels qui travaillent simultanément l’armée (Jakuboswki, 2005) condamnerait donc aussi cette dernière à l’invisibilité, mais cette fois-ci, par ressemblance. Ses personnels, tout en étant, dans les faits, toujours tenus au respect des contraintes propres à leur état, sont, en effet, assimilés à des personnels d’une entreprise ordinaire et donc regardés comme tels sans toutefois bénéficier des ressources classiques de revendication. Dans ces conditions qui opacifient pour l’extérieur la spécificité de leurs activités, la possibilité de la faire valoir et reconnaître publiquement dans sa réalité complète s’avère aléatoire : l’intérêt sera plutôt partiel, à hauteur de la curiosité médiatique que suscitent les troupes d’élite et les interventions commandos ; événementiel, à l’aune de l’émotion que suscitent les décès lors des opérations extérieures ; et enfin ponctuel et conjoncturel, selon l’opportunité, par exemple, que les opérations intérieures offrent comme occasions de montrer leur utilité sociale aux populations.
Reconnaissance individuelle et culture militaire
44L’étude des formes plus individuelles prises par le besoin ou la quête de reconnaissance au sein même de cette institution déplace la recherche de son origine de la spécificité liée aux missions assignées vers des logiques et enjeux plus culturels. La variété empirique que présentent ces derniers illustrera les manifestations concrètes de cette reconnaissance qui déclinera la triple problématique précédemment dégagée, au sein de trois sous-populations choisies au titre de leur importance numérique et leur rôle significatif dans ces enjeux : les officiers d’abord dont la quête de prestige permet de dévoiler les mécanismes et enjeux de la reconnaissance en interne ; ensuite, les jeunes dont le recrutement désormais impératif avec la professionnalisation a conduit l’armée de terre à miser récemment sur une politique de communication fondée sur la promesse de reconnaissance ; enfin, les civils de la Défense dont les compétences portent atteinte à la reconnaissance des militaires par la concurrence des légitimités qu’instaure leur cohabitation forcée.
La reconnaissance conquise : diversification culturelle et luttes identitaires de prestige chez les officiers
45Comme le rappelle W. Serman, les officiers ont toujours attendu de la nature particulière des fonctions qu’ils exercent et des valeurs qu’ils endossent en dignes héritiers et dépositaires officiels de la culture militaire, une reconnaissance de leur état, « une considération qui les classe avantageusement dans la société » (Serman, 1982, 14). Dans ce cadre, les règles et les usages, les rites et les symboles que délivre comme supports d’identification la culture militaire (Thiéblemont, 1999) sont alors pour eux l’objet d’investissements importants qui aboutissent, par-delà l’idéal communautaire et égalitaire affiché (la fraternité d’arme ou l’esprit de cohésion), à une diversification des identités militaires et à des stratifications de prestige et de reconnaissance visibles, dès le xviiie siècle, dans la hiérarchie de missions, les ordres de bataille et les traitements et appointements (Corvisier, 1995). Aujourd’hui encore, c’est pour incarner le mieux la spécificité guerrière de l’institution militaire, sur le pôle « combat », que se distribue le prestige attribué aux différentes armes (des armes de mêlée aux armes de soutien et d’appui) dont l’accès est conditionné par le rang de sortie scolaire. Tout se passe comme si dans le contexte de déclin progressif de la place de l’officier dans la société française au xxe siècle (Boulègue, 2003), la reconnaissance, initialement fondée sur la valeur socialement accordée à l’honneur, se rétractait, se déplaçait peu à peu, pour se replier sur des luttes internes animées par l’ambition (Tocqueville, 1986 [1840]) et la recherche de prestige qui devient alors, à mesure de la diversification de ces formes, l’enjeu d’appropriation et de différenciations individuelles et intragroupales.
46En effet, la reconnaissance s’ordonne sur la fabrique du prestige qui procède de la production d’échelles hiérarchiques exprimées par des valeurs transparaissant dans des procédures de distinction que les officiers entre eux, de même grade ou non, mobilisent pour s’évaluer et donc se considérer plus ou moins à partir de critères tels l’origine militaire et l’excellence scolaire, l’arme d’emploi, l’affectation, l’expérience du terrain, l’ancienneté et les limites d’âge dans le grade. De même que le rapport des militaires aux traditions oscille entre contestation et conformité (Thiéblemont, 1986), l’ensemble illustre que le formalisme institué par le grade dans les échanges, à travers les règles de conduite et les préséances, n’est pas, en dépit du respect des chaînes d’ordre et de l’attachement réel des personnels à la hiérarchie, le vecteur immédiat d’une allocation de considération, le garant absolu de la reconnaissance. L’évaluation de la trajectoire passée et du potentiel de carrière future qui s’opère à l’aune de la combinaison de ces critères conduit à des reformulations et réinterprétations, à la hausse ou la baisse, des positions actuelles, rendant d’une part, conditionnelle et nuancée la déférence à l’égard des supérieurs, et, d’autre part, théorique l’égalité entre officiers de même grade qui, par des moyens symboliques et langagiers stigmatisants, réintroduisent de la hiérarchie entre eux. Le salut excessif, par exemple, que le jeune capitaine promis au titre de son diplôme et de son arme au généralat rendra au colonel sans avenir, signifiera son mépris tout en lui apportant un surcroît d’estime de la part de ses pairs partageant largement, sans oser l’afficher par un tel écart, le même sentiment ; de même, à même grade, une préférence émise, un objet possédé ou une situation, même la plus insignifiante, pourra être l’occasion de réactiver et confirmer le bien-fondé de stéréotypes militaires, tels ceux circulant sur et entre les « dolos » (anciens sous-officiers) et les « cyrards » (Coton, 2008).
47Loin d’être donnée et assurée, la reconnaissance relève, pour les processus intersubjectifs de construction qu’elle engage en permanence, d’une dynamique de conquête impliquant d’autant plus un travail de la part des individus qu’elle repose en fait sur un système de valeurs ambivalent. En effet, les critères d’excellence fixés et valorisés par l’institution expriment la tension structurelle qui la traverse plus fondamentalement et révèlent l’articulation existant entre les niveaux individuel et institutionnel du régime de la reconnaissance : prise entre la défense d’une spécificité militaire et de sa vocation combattante d’un côté, et l’appel et la valorisation des compétences culturelles et scolaires « civiles » indispensables à la légitimation sociale de son élite d’un autre, l’institution contraint alors ses officiers à développer des stratégies d’adaptation. Par exemple, une présentation orale, à côté des connaissances militaires officielles et officieuses, exigera des compétences plus intellectuelles, voire abstraites à manier, entre autres, par des allusions savantes et une virtuosité oratoire, selon un dosage subtil et très rémunérateur en termes de reconnaissance en cas de réussite, pour ne paraître ni un militaire sans hauteur de vue ni « un officier de salon » (Coton, 2007).
48Corollaires négatifs de la conquête de la reconnaissance qui s’abreuve à cette culture multiforme du prestige, les déficits de considération et les sentiments de mépris, ainsi que les souffrances et malaises qui en résultent, trouvent donc leur origine dans ces jugements et appréciations tirés d’une connaissance rétrospective et prospective des éléments clefs de la biographie professionnelle des personnes. Les clivages culturels durables et profonds au sein du corps des officiers qui en résultent, sont redoublés, en seconde partie de carrière, par la différenciation entre les filières « commandement » et « spécialiste » qui offrent des perspectives très différentes aux individus (tel l’accès ou non au commandement d’un régiment ou au généralat). L’impression d’hétérogénéité gagne en extension avec les distances hiérarchiques « réelles » qui les séparent des autres corps (sous-officiers et militaires du rang), eux-mêmes en proie – dans des proportions certes moindres mais néanmoins effectives –, à leurs propres logiques de différenciation (Thiéblemont, Pajon, Racaud, 2004), mais aussi, pour compléter cette mosaïque d’ensemble, avec la problématique transversale propre aux différentes minorités présentes dans les armées comme celle que constituent les femmes (Sorin, 2003).
La reconnaissance promise aux jeunes recrues : la construction médiatique et idéologique de la vulnérabilité
49Le passage à l’armée de métier a naturellement conduit à des recrutements massifs qui ont été soutenus par des campagnes publicitaires à l’égard des jeunes, devenant ainsi un enjeu stratégique pour la réussite de la professionnalisation [5]. « Devenez vous-même » : avec ce slogan qu’elle a choisi pour sa dernière campagne de recrutement des futurs sous-officiers et militaires du rang, l’armée de terre, en se proposant d’accompagner le processus de découverte de soi des jeunes et de satisfaire les différentes facettes de leur personnalité par la palette d’expériences de vie qu’elle propose, marque un nouveau tournant dans sa politique de communication. Abandonnant le registre initial du métier au profit des vertus identitaires de l’engagement, la ligne récemment suivie est créatrice, même si elle est vectrice d’un certain progrès, d’une forme nouvelle de vulnérabilité au titre de la reconnaissance des personnes qu’elle promet.
50Progrès d’abord, car cette campagne confirme la rupture initiée en 2005-2006 en signifiant qu’en aucun cas, l’engagement militaire ne saurait se réduire à l’exercice d’un métier ordinaire, que la « valeur fonctionnelle » (Pharo, 2007) ne suffit à se faire pleinement reconnaître comme membre de la communauté militaire. En effet, par rapport aux slogans vantant les seuls savoir-faire (« Sous le casque, un métier », « L’armée de terre, 400 métiers ») qui fleurissaient au moment de la professionnalisation, le slogan « un métier, bien plus qu’un métier » participait déjà d’un repositionnement identitaire, d’une communication recentrée : à côté des savoir-faire étaient attendus également d’autres types de qualités et d’exigences relevant d’un savoir-être particulier et constitutif de l’identité militaire. Mais, dans la liste des dispositions morales et comportementales de ce savoir-être, seules les valeurs auxquelles la jeunesse est très sensible et attachée lui étaient en fait indexées (générosité, respect, camaraderie, sens de l’équipe et de la solidarité) au détriment des valeurs moins séduisantes liées au statut, telles la mobilité et la disponibilité, et celles fonctionnellement décisives, notamment dans un contexte opérationnel à savoir, l’obéissance et la discipline.
51Or, à rebours d’un engagement fort, durable et authentique que seules ces dernières garantissent, le « devenez vous-même » de la dernière campagne publicitaire décline au contraire une nouvelle version de la partition identitaire qui radicalise l’orientation choisie en brouillant les termes du contrat. Le marché que l’armée de terre cherche à passer aujourd’hui avec les candidats à l’engagement correspond en fait à une inversion du schéma classique de la loi de l’offre et de la demande puisqu’elle se propose de valider les caractéristiques morales de leur individualité par l’activité professionnelle qu’ils auront en son sein, donc de reconnaître a priori ce qu’ils sont par ce qu’ils feront a posteriori.
52Présentée désormais comme assurée, sans aucune réserve ni limite fixée, cette reconnaissance garantie ajoute une difficulté supplémentaire au problème nodal auquel l’armée est confrontée depuis la professionnalisation, en raison d’un mauvais ajustement des motivations initiales aux emplois occupés et des attentes d’emploi aux valeurs de l’institution (Léger, 2004). Quant aux motivations au départ, l’examen montre leur lien direct avec les « valeurs statutaires » : la décision de quitter l’armée est en effet imputable à la mobilité qui contrarie le vœu de concilier vie professionnelle et vie familiale, et à la disponibilité qui entraîne suractivité et dégradation des conditions quotidiennes de travail. Dans ce contexte déjà peu favorable, la difficulté nouvelle qu’endosse l’armée en axant sa communication sur le registre, typique de l’individualisme contemporain, de l’authenticité et de l’accomplissement de soi (Taylor, 2005), tient à l’illusion de reconnaissance qu’elle induit, aux effets négatifs qu’entraîne l’espoir excessif d’une reconnaissance sans condition ni contrepartie. En effet, un tel positionnement ne peut manquer d’entrer en résonance avec l’enjeu particulièrement fort que constitue toujours la décision d’engagement. D’abord parce qu’elle est prise aujourd’hui, à l’instar des autres choix de carrière, en vue de l’épanouissement, de l’intérêt et du plaisir qu’on espère y trouver (Dubar, 2000). Mais cette culture de la subjectivité sied-elle vraiment à la condition militaire ? Le souci de soi peut-il se concilier avec le sacrifice et le don de soi à l’intérêt général, avec le désintéressement, avec la subordination ?
53À cette première réserve s’ajoute celle liée au caractère profondément compensatoire de la décision d’engagement, toujours prise dans l’espoir d’y trouver un support identitaire alternatif à l’école et parfois à la famille. L’armée est associée à une seconde chance, à un moyen de retrouver une estime de soi et de prouver sa valeur, en donnant la possibilité de faire enfin, et mieux que dans le civil, reconnaître ses qualités humaines et professionnelles. Or, c’est ce besoin multiforme de reconnaissance de ces jeunes rendus vulnérables par leur trajectoire personnelle de vie, que le slogan « devenez vous-même » cible et exacerbe aujourd’hui. Il butera inévitablement sur le cadre normatif étroit que dessinent en fait les réels savoir-être que l’armée attend des candidats et les valeurs précises dont elle a effectivement besoin. L’impossibilité culturelle et fonctionnelle de satisfaire l’ensemble des expressions de soi et des attentes de reconnaissance attenantes, alors même qu’elle les a sollicitées, se révélera dans l’épreuve que constitue la découverte des conditions particulières d’exercice du métier des armes, en exigeant la mise en œuvre au quotidien des valeurs et normes comportementales attendues par l’institution.
54De plus, le poids que les personnels donnent dans le calcul de leur satisfaction à la reconnaissance que l’institution leur accorde, eu égard à un dévouement et des sacrifices d’autant plus chèrement consentis qu’ils étaient inconnus au moment de l’engagement, s’alourdit si les valeurs qu’exige le statut militaire sont regardées comme faisant l’objet d’un détournement de leur sens et usage premier pour servir une « idéologie de la reconnaissance » (Honneth, 2006, chap. VIII) destinée, par des procédures rhétoriques ou des formules toutes faites prétendant valoriser les personnes, à produire un conformisme intéressé. Il en est ainsi, par exemple, de l’instrumentalisation de la disponibilité et du don de soi qui, cachant une convenance personnelle, un défaut d’organisation ou une volonté d’éprouver ses subordonnés, peuvent servir au supérieur de prétexte pour justifier la demande d’un surinvestissement dans le travail ; ou encore de l’obéissance aux ordres et aux décisions déjà fixées que cherche à cacher le management participatif par l’artifice de discussions censées conduire au consensus.
55Le sentiment d’avoir été trompé et abusé, le déni de considération qui ressortiront de cette confrontation décevante avec ces réalités (Haut Comité à l’évaluation de la condition militaire, 2007), se traduit inévitablement, en plus des formes ordinaires de désenchantement que peut susciter l’entrée dans tout milieu professionnel, par un renforcement des conduites de désinvestissement compliquant les opérations de fidélisation (loyalty) ; s’y ajoutent des dysfonctionnements variés qui, allant de la gestion des comportements revendicatifs (voice) aux problèmes d’organisation causés par les défections (exit), entravent le fonctionnement optimal de l’institution et la rendent donc fatalement plus vulnérable (Hirschman, 1972). En effet, cette reconnaissance promise des identités tant professionnelles que plus personnelles ne se traduit pas dans les faits comme l’attestent quelques indicateurs chiffrés : le nombre de candidats par poste ne cesse de diminuer, les durées d’engagement sont de plus en plus courtes et les départs toujours plus élevés et tout particulièrement les départs spontanés [6] chez les populations que vise justement le nouveau slogan.
La reconnaissance disputée par les civils de la Défense : concurrence de légitimité et invisibilité
56La réduction du format qu’a entraînée la professionnalisation et les recrutements importants de fonctionnaires qui l’ont suivie ont donné une visibilité nouvelle aux personnels civils qui représentent aujourd’hui 20 % des effectifs du ministère de la Défense en général et de l’armée de terre en particulier. Visibilité d’autant plus forte que leur poids numérique, supérieur dans certaines formations à celui des militaires, s’accompagne de leur déploiement sur un large éventail d’affectations (aussi bien en régiments qu’en directions et états-majors) et de fonctions (tant d’exécution que de conception). Rassemblé sous le terme générique de « civilianisation », l’ensemble de ces processus s’est traduit par une refonte du système d’organisation du travail et de répartition des fonctions et responsabilités, et a entraîné des problèmes de cohabitation plus ou moins aigus des deux populations selon les lieux et les moments, allant des tensions banales entre personnes à des conflits de plus vaste ampleur.
57La « civilianisation » pose en fait, fondamentalement, un double problème de reconnaissance aux militaires en proie à un processus d’invisibilité à mesure que la visibilité des civils s’accroît au sein de l’institution sans être toutefois, selon ces derniers, suivie d’effets de considération. En outre, la présence de civils renvoie à la question de la spécificité militaire dans ses dimensions culturelles et identitaires d’une part, et de leur statut de professionnel d’autre part. La « menace » que constituent les civils tient donc à un rétrécissement potentiel des prérogatives et attributions des militaires qui seraient alors limitées au strict et unique domaine des activités opérationnelles.
58Dans un premier temps, en effet, l’attente de reconnaissance des militaires est liée à la spécificité de leur état qui se trouve entamée dans ses caractéristiques identitaires et culturelles par les dispositions et valeurs que portent les civils. Une enquête auprès des jeunes fonctionnaires employés par l’armée de terre (Letonturier, 2007) montre ainsi leur fort attachement à la hiérarchie, à l’ordre et à la discipline, ainsi que leur goût prononcé pour les traditions, la solidarité et l’esprit de groupe. Leur volonté de participer, pour les sentiments de fierté nationale, voire de patriotisme qu’ils éveillent, aux manifestations militaires (telles les passations de commandement ou les levées de drapeaux), ainsi qu’aux diverses activités de cohésion organisées au sein des formations, conforte la facture « militaire » de cette sensibilité. De même, la mobilité, élément central du statut militaire, est regardée comme une donnée naturelle, parfaitement intégrée à leur parcours professionnel et appréhendée, dans leur déroulement de carrière, comme un outil de diversification de leurs expériences et de faire valoir de leurs compétences. Quant à la disponibilité, ces fonctionnaires estiment en faire preuve à hauteur des impératifs de service et des besoins régulièrement exprimés, notamment en endossant les fonctions, à côté de celles qui leur échoient, des militaires partis en mission. Observés également à travers le processus partiel de « civilianisation » de ces derniers, ces processus d’hybridation et de dualité identitaires débouchent sur l’intéressante problématique du multiple self des personnels au sein de l’armée, de la formation et coexistence de ses différentes facettes à leurs arbitrages individuels et modalités institutionnelles de reconnaissance (Lazzeri, 2009).
59De toute évidence, les valeurs et comportements que les militaires s’attribuent ne sont donc pas leur monopole strict ; ils ne suffisent pas à justifier une reconnaissance particulière et n’expliquent pas la cohabitation difficile entre les deux populations. L’origine des conflits révèle, en même temps qu’elle écarte ces valeurs de leur cause possible, un autre volet de l’enjeu de reconnaissance des militaires, lié à la perte de leur exclusivité culturelle. Une enquête montre que ces conflits tiennent massivement à des paramètres organisationnels de diverse nature (rapidité et niveau de « civilianisation » ; découpage des métiers par population ; âge et qualification des personnels ; existence de transferts de compétences ; niveau technologique des métiers) dont la combinaison plus ou moins favorable se répercute directement sur le climat social des formations qui pourra être alors, selon toute une gradation intermédiaire, parfaitement pacifié ou extrêmement tendu (Letonturier, 2007).
60Exacerbant donc les rapports professionnels, les configurations de travail dévoilent la nature profonde des conflits à savoir, une concurrence sur les légitimités et compétences professionnelles qui, de fait, indifférencient dans l’exercice des fonctions le statut des individus qui les occupent. Le second drame de la professionnalisation mis au jour et attisé par la « civilianisation », est alors de désindexer la reconnaissance de la militarité qui, n’étant plus une nécessité absolue, une condition indispensable à l’occupation de l’emploi, devient substituable. Au moment même où la professionnalisation est destinée à éviter toute forme d’amateurisme dans les questions de défense, le déficit de considération tient à cette menace que les civils font peser sur la légitimité des prérogatives professionnelles des militaires en ayant, de fait, autant sinon plus de compétences techniques que ces derniers, en occupant les mêmes fonctions qu’eux, en les remplaçant le temps des missions et parfois même en les commandant, bref en devenant indispensables. Mais cette place et ce rôle central que les civils jouent, n’étant pas assez selon eux validés par des parcours de carrières équivalents à ceux offerts aux personnels militaires, nourrissent le sentiment de ne pas être eux-mêmes reconnus comme des acteurs pleinement membres de l’institution. Partagés donc par les deux populations s’estimant chacune invisible soit par excès soit par défaut, ces déficits de considération ressentis se déplacent vers les relations quotidiennes pour se cristalliser sur la comparaison critique des supposés avantages de leur statut respectif et créer des jalousies et des sentiments d’injustice et de mépris (Letonturier, 2002 ; Chelly, Capdevielle, Lebret, 2000).
Conclusion
61Au terme de cet examen, tant partiel que provisoire, qui visait à tester l’applicabilité du cadre conceptuel des sociologies de la reconnaissance à la res militaris, l’analyse des différents niveaux d’expression de ce besoin ou de cette quête nous conduit finalement à la considérer comme une illustration de l’articulation problématique et même paradoxale des systèmes opérationnel et organisationnel de l’armée (Thomas, 1994). Toute conditionnelle, l’approbation sociale, que les activités sur les théâtres d’opérations reçoivent en raison de leur conformité aux valeurs sociales tels le prix accordé à la vie, la paix et les droits de l’homme, n’exclut par des renversements brutaux, comme lors des événements de Srebrenica en 1995, à la suite desquels l’opinion publique néerlandaise a remis en cause le bien-fondé de la professionnalisation de son armée pour n’avoir su empêcher, par le recours aux armes, le massacre des Bosniaques. Les situations de guerre, qui engagent elles-mêmes plus des enjeux de reconnaissance identitaire que des intérêts matériels et des volontés de puissance (Lindemann, 2008), demeurent donc les lieux principaux où se joue la reconnaissance des armées à travers des actions opérationnelles – encastrées entre le jeu mouvant des règles et valeurs sociales – et le cadre politique et diplomatique complexe des organismes internationaux qui les initient.
62C’est, finalement, encore à l’aune de l’activité de combat – toujours première (Dabezies, 1980) mais trop souvent oubliée de la sociologie des identités militaires – que se définissent les « droits » à la reconnaissance à partir des devoirs qu’elle exige des personnels. Si, de façon générale,
« il n’y a pas de raison de penser que toutes les revendications de reconnaissance sont fatalement justes et légitimes » (Dubet, 2007, 18),
64le périmètre possible du compromis institutionnel, les limites à donner aux demandes de reconnaissance résident ici dans l’articulation des attentes individuelles d’expression de soi et des satisfactions personnelles tirées de l’adhésion aux principes fonctionnels et culturels qu’imposent les missions assignées aux armées.
65La spécificité militaire invite alors à rapporter la problématique de la reconnaissance de l’individu à la nature de l’institution. Le droit individuel à être reconnu par l’institution pour sa valeur et sa différence que réclame la culture de l’accomplissement de soi s’ordonne au besoin (Boëne, 1998) ou mieux à l’obligation de l’institution de se présenter comme socialement différente des autres, de requérir des dispositions individuelles particulières et d’en exclure d’autres, pour s’assurer de la bonne réalisation des finalités et des objectifs qui lui sont confiés. Ici donc, ne pas reconnaître toutes les demandes signifie simplement esprit de responsabilité.
Notes
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[1]
En 1998, plus de 60 % des officiers du Collège interarmées de défense (cid) considéraient que la professionnalisation des armées allait éloigner l’institution militaire du reste de la société (Jankowski, 1998).
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[2]
À l’initiative du Gouvernement, le plan « Défense deuxième chance » a été lancé en 2005 avec pour objectif de mieux assurer l’insertion professionnelle des jeunes (18-25 ans) en difficulté scolaire et sociale. Dans ce cadre a été créée une vingtaine d’établissements public d’insertion de la défense (epide) dont la mission est de dispenser en internat une formation rémunérée et d’une durée variable (de 8 à 24 mois) incluant des apprentissages tant civiques que scolaires et professionnels assurés par une équipe mixte d’anciens militaires, d’enseignants de l’Éducation nationale et de formateurs extérieurs. Émanant de la Réserve citoyenne d’Île de France, l’opération « 105 permis » a consisté en 2005 à donner un moyen d’accès pratique à l’emploi en délivrant à 105 jeunes un permis de conduire à l’issue d’un parcours citoyen (incluant une préparation militaire).
-
[3]
cfm : Conseil de la fonction militaire existant dans chaque armée. csfm : Conseil supérieur de la fonction militaire au niveau du ministère de la Défense.
-
[4]
« Le Haut Comité a perçu chez nombre de ses interlocuteurs la conviction d’être plus intensément sollicité que les autres agents de l’État et, en conséquence, une attente d’autant plus forte de reconnaissance individuelle et collective » (42). Notons que ce déficit de considération est également partagé par les militaires américains ainsi que le signale D. Greenaway (2006).
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[5]
Les armées recrutent 30 000 personnes par an, toutes catégories militaires confondues. L’armée de terre recrute à elle seule la moitié de cet effectif ainsi ventilé en 2008 : 10 539 militaires du rang, 1 237 sous-officiers, 2 303 volontaires et 334 officiers (source : Haut Comité à l’évaluation de la condition militaire, 2010, à partir des chiffres du bilan social fourni en 2008 par le ministère de la Défense).
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[6]
En 2010, pour l’armée de terre, le nombre de candidats par poste de sous-officier ouvert était de trois (contre 11 en 1998). Celui des militaires du rang est plus stable mais extrêmement faible (1,6). Ces derniers partent, toutes armées confondues, de plus en plus (7 700 en 2000, 15 000 en 2008) avec une part croissante de départs spontanés : 9 300 en 2010 contre 4 800 en 2000. Tandis que leur taux de départs spontanés atteint en 2008 10,3 % (contre 6,5 % en 2008), les militaires du rang de l’armée de terre partent de plus en plus vite. Leur ancienneté moyenne était de neuf ans en 2002 alors qu’en 2008, elle est de quatre ans (source : Haut Comité à l’évaluation de la condition militaire, 2010).