1Il a fallu attendre plus de trente ans pour que les rsgm (Die rationalen und Soziologischen Grundlagen der Musik) commencent une carrière internationale. Le rythme de circulation du texte s’est ensuite accéléré pour dépasser, au tournant du xxie siècle, un seuil significatif, celui de relectures constructives. Mais la Sociologie de la musique de Max Weber n’est pas un texte isolé, Les « Psychologische und Ethnologische Studien über Musik », de Georg Simmel (1882) ou « La mémoire collective chez les musiciens » de Maurice Halwbachs développent des argumentations en définitive très articulées entre elles, qui se complètent et s’enrichissent mutuellement.
2Ces trois textes fondateurs – mais il en est d’autres appartenant également aux débuts de la sociologie de la musique, ceux d’Alfred Schütz ou de Charles Lalo – développent plusieurs consonances théoriques remarquables : primat accordé au monde des musiciens et aux valeurs intramusicales, accent placé sur l’histoire des valeurs professionnelles et des processus de rationalisation, exploration des dynamiques d’institutionnalisation et des conflits de normes entre mondes « intra » et « extra-musicaux ». Ces consonances s’accompagnent, on pouvait s’en douter, de différences parfois significatives dans la façon de cadrer la description sociologique. C’est la raison pour laquelle je ne commenterai dans ces pages que brièvement un article de Schütz qui se situe le plus à la marge du périmètre défini par les sociologies de Weber, Simmel et Halbwachs. Enfin, les développements consacrés à « La mémoire collective chez les musiciens » de Halbwachs seront également assez brefs, bien que l’apport de Halbwachs soit complémentaire de la théorie relationnelle des pratiques musiciennes déployées par Weber et Simmel. En effet « La mémoire collective chez les musiciens » pose moins frontalement que cette dernière la question fondamentale du rapport aux techniques et des relations entre le monde des musiciens et diverses professions périmusicales, comme les facteurs d’instruments, les organisateurs de concert, les critiques, etc. En conséquence, je me contenterai de souligner les fortes convergences qui existent entre ce texte et les sociologies de la musique de Max Weber et Georg Simmel. En définitive, j’accorderai dans ces pages une place centrale aux premières sociologies de la musique allemande [1].
3Alors que les sociologies de la culture du xxe siècle peinent à renouveler leur pouvoir explicatif et à lever de nouveaux terrains empiriques, les fondations de la sociologie de la musique semblent avoir été conçues pour résister à l’épreuve du temps. Il faut se demander à quoi attribuer une telle plasticité. Deux raisons principales peuvent être avancées. La première est la spécialisation progressive des sociologies de la culture du xxe siècle. Devenues plus étroites que leurs devancières, elles se refusent d’affronter la question des productions symboliques [2] à partir desquels s’articulent les pratiques musicales, picturales, littéraires, etc [3]. La seconde tient à la capacité des premières sociologies de la musique à envisager dans un même mouvement une théorie de la pratique (approche praxéologique [4]) – qui est alors pensée comme l’ancrage principal du raisonnement et de la description sociologiques – qui n’exclut pas pour autant la prise en considération des dimensions ontologiques [5] des techniques ou des symbolismes musicaux – afin de rendre compte des « légalités internes » [6] du fait musical.
4Il ne s’agit pas seulement dans ces pages d’engager un débat théorique, ancré dans l’histoire d’une discipline – la sociologie de la musique – il s’agit également de montrer comment sur le terrain de l’histoire des formes culturelles – les développements empiriques proposés dans ces pages portent notamment sur la période des xvie et xviie siècles – il est possible de construire une nouvelle sociologie de la musique inspirée par les textes du premier xxe siècle.
1 – La sociologie de la musique de Max Weber (1910)
5L’édition, après la mort de Max Weber, des rsgm (Die rationalen und Soziologischen Grundlagen der Musik) est constituée par un petit texte (une centaine de pages), très technique et inachevé qui explore dans une longue première partie (90 pages environ) les enchaînements de circonstances qui ont présidé à l’apparition en Europe d’une musique harmoniquement rationalisée et esquisse dans une seconde partie (15 pages) une histoire technique, économique et sociale des instruments de musique.
6Dans la première partie Max Weber expose d’abord les principes simplifiés de la musique européenne, et singulièrement des échelles musicales – de Zarlino et de Pythagore. Son exposé se concentre sur les rationalisations de ces échelles, mais également sur les limites de la rationalisation de la musique harmonique.
7Il explore ensuite un autre principe de rationalisation des échelles, à l’œuvre dans de nombreuses musiques extra-européennes : la rationalisation mélodique à partir « des distances ». Ces développements ethnomusicologiques sont réalisés à partir d’une extrapolation européo-centrée qui répond à la question suivante : comment peut-on penser les échelles musicales qui n’ont pas, comme les nôtres, privilégié certains plis naturels du son, à savoir les consonances. Cette extrapolation, volontaire et pensée épistémologiquement par Weber, lui permet de proposer l’idée qu’il existerait des « tonalités », comparables à celles européennes, pour des aires culturelles les plus variées.
8Trois sections importantes terminent cette première partie, l’une consacrée aux rationalisations à l’œuvre dans les musiques polyvocales (à plusieurs voies simultanées), l’autre à la notation musicale qui apparaît comme un outil central du développement de la musique occidentale. La première partie de son texte se clôt sur une troisième section dévolue au tempérament et aux logiques qui sont à son principe, sans lesquelles les genres musicaux européens (opéras, symphonies, quatuors à cordes, etc.) n’auraient pu exister.
9La seconde partie, plus brève, du reste souvent commentée sans tenir compte de la logique analytique d’ensemble du livre, esquisse, notamment à propos des instruments à cordes, de l’orgue et du piano, quelques lignes d’évolution des techniques instrumentales et des relations qu’entretiennent les professions musicales et paramusicales, les praticiens ou les amateurs avec les matériaux élémentaires de la musique.
Une sociologie des cercles professionnels et de leur relation aux formes musicales
10Si le terme « rationalité » est un identificateur commode du projet wébérien (cf. le titre posthume donné à cet essai par ses premiers éditeurs) il est indissociable, dans les raisonnements déployés dans le texte, de dimensions qualitatives (la question de l’expressivité) ou relationnelles (par quelles catégories d’acteurs le processus décrit est-il porté, orienté, institué ?).
11Weber n’a de cesse dans les premières pages de son livre de pointer la tension entre rationalisation et expression musicale [7] (par exemple les tensions entre mélodie et harmonie [8]) d’une part et d’autre part les limites de toute rationalisation. On trouve à plusieurs endroits des analyses explorant le janus musical travaillé par les tensions entre formes rationalisées et expressivité. Elles se concentrent néanmoins sur l’histoire de la musique « moderne » européenne (sections I, V, VI, VII de l’ouvrage). Pour autant cette tension déborde ce périmètre historique : l’opposition que propose Weber entre musiques rationnelle et irrationnelle traverse en effet l’ensemble des cultures.
12Pour ne pas déformer l’argumentation wébérienne il faut avoir à l’esprit que l’auteur ne hiérarchise en aucune manière ces deux derniers termes :
« C’est qu’une musique qui n’est pas harmoniquement rationalisée est essentiellement plus libre dans son mouvement mélodique et une oreille qui, à la différence de la nôtre, n’interprète pas spontanément de façon harmonique, en vertu de son éducation, tout intervalle né d’un besoin d’expression purement mélodique, peut non seulement goûter des intervalles qu’elle ne peut classer harmoniquement, mais encore s’y habituer en y trouvant un profond plaisir. Il est donc compréhensible que les musiques, une fois qu’elles se sont approprié durablement un intervalle irrationnel, soient très facilement portées à accueillir d’autres intervalles irrationnels ».
14Il ne réduit pas plus les processus de rationalisation à une seule figure : la mise en cohérence, l’intellectualisation progressive, le contrôle visuel et synoptique du flux musical – notamment grâce à la partition –, recouvrent des opérations mentales très différentes les unes des autres. Mais ce processus peut concourir à une égalisation mécanique – l’échelle tempérée et ses intervalles tous égaux et jamais franchement consonants – ou à une simplification libératoire – la disparition des frettes sur les violons, accroissant leur ambitus, décuplant leur plasticité mélodique – grâce à laquelle le violon devint un instrument harmonique sur lequel la juste intonation pût garder tout son sens – (Pedler, à paraître).
15Par « mise en cohérence », Weber entend à la fois ce travail théorico-pratique – l’un renforçant l’autre – qui, par exemple, cherche à dépasser les contradictions irréductibles dans la découpe des intervalles : la superposition du cercle des quintes et des octaves n’est pas possible puisqu’il n’y a pas de commun dénominateur entre les intervalles consonants comme la quarte, la quinte, l’octave ou la tierce. Sur ce plan une impulsion décisive a été donnée par la théorie musicologique moderne qui, en calculant les intervalles à partir du monocorde, a très tôt identifié les limites des algorithmes cherchant à rendre compte du phénomène de la consonance. À l’autre bout du spectre existent des tensions formelles nées de la rationalisation de la musique pratique comme la concurrence-coopération entre les instruments de l’orchestre. Ainsi les « exigences de la musique d’orchestre » (Idem, 138) conduisent à réélaborer les instruments les uns en fonction des autres (c’est ainsi que la puissance des instruments à cordes est devenue un problème, une fois qu’ils ont été confrontés à certains cuivres ou aux voix puissantes à faible ambitus). Dans le même sens certaines formes de plurivocalité ont favorisé l’apparition de consonances étagées – les triades – qui sont au fondement de la musique harmonique.
16Pour autant la concurrence entre orchestres, voire entre commanditaires, n’est présentée par Weber que comme un mouvement intermittent et somme toute marginal et tardif. Ainsi lorsque Weber parle du travail incessant d’innovation affectant les instruments à cordes au cours des xviie et xviiie siècles, il évoque la présence d’une expérimentation rationnelle ininterrompue depuis le xvie siècle et parle d’autre part « des habitudes et des prétentions individuellement diversifiées des principaux orchestres » (Weber, 1998, 139). Quelques phrases plus loin il évoque la concurrence entre instrumentistes et parle de « la virtuosité des violonistes » et notamment de celle de Corelli (Weber, 1998, 139 et 140). Ainsi le mouvement qui conduit à l’amélioration continuelle des instruments à cordes jusqu’à « leur perfection » (le mot est de Weber) ne sursollicite pas la notion de rivalité, ni même celle de rationalité. Somme toute le travail des facteurs conduit le violon à une perfection qui « dépasse son temps » au sens où ce dernier ne trouvera le plein emploi de ses potentialités qu’un siècle et demi plus tard. Mais la force qui oriente le perfectionnement continu de l’instrument est plus esthétique que technique :
« Il faut cependant supposer que les regards des Amati, des Guarneri et des Stradivari n’étaient essentiellement tournés que vers la beauté sonore et par ailleurs vers la maniabilité dans l’intérêt de la liberté de mouvement la plus grande possible de l’exécutant, [il faut également supposer] que la réduction à quatre cordes, l’élimination des frettes – et par là la production mécanique du son – et la fixation définitive de la forme de toutes les parties du corps de résonance et des transmissions des vibrations provenaient essentiellement de là. [Il faut encore supposer] que les autres qualités leurs vinrent en tant que “sous-produits”, aussi peu voulues que “l’atmosphère” des espaces intérieurs gothiques était, du moins au début, une conséquence non voulue d’innovations purement constructives ».
Vers de nouveaux chantiers empiriques
18La praxéologie wébérienne [9] reste riche de développements inédits et d’intelligibilités nouvelles. L’assemblage analytique qu’elle propose est en effet totalement transversal et est passé inaperçu pour les spécialités – comme la musicologie, la sociologie des professions artistiques ou encore la sociologie générale – qui ont morcelé le fait culturel en fragments. La praxéologie wébérienne ouvre donc sur des chantiers empiriques multiples. Dans cette perspective il est intéressant de constater que les malentendus interdisciplinaires mettent en évidence le chassé-croisé d’approches qui n’arrivent pas à se penser de manière coordonnée (Pedler, 2008).
19Dans le désordre, ces foyers sont les suivants :
- la mise en place progressive des « formats » musicaux (échelles qui supposent un accordage singulier des instruments et des intonations musicales) ;
- la transformation du statut social des musiciens, étudiée non comme un fait social indépendant, mais comme un processus indissociable des symbolismes musicaux pratiqués qui constituent autant de « langues » communes. L’invention du violon moderne, notamment depuis la fin du xviie siècle est ainsi une thématique riche que la musicologie renaissante – la revue Early music en particulier – n’a pas épuisée (Pedler, 2009) ;
- la circulation européenne des musiciens « ordinaires » : nature de leurs pratiques musicales et instrumentales, des instruments qu’ils utilisent (violons, archets, notations musicales), des hybridations et disséminations culturelles qu’ils produisent ;
- l’existence d’idéaux types musicaux, dont il faudrait étendre l’éventail. Deux d’entre eux ont été déjà décrits dans la Sociologie de la musique : la musique harmonique d’accords d’un côté, la forme contrapuntique déployée au travers de la « juste intonation » de l’autre ;
- le devenir des sphères professionnelles musicales, qui, pour Weber, ne s’inscrivent pas dans de mêmes temporalités (facteurs d’instruments, praticiens ordinaires, théoriciens, commanditaires notamment, n’ont pas les mêmes horizons).
- La construction d’une praxéologie (théorie de la pratique).
2 – Une sociologie de la musique oubliée : « Études psychologiques et ethnologiques de la musique » (1882)
20Dans l’œuvre qu’a laissé Georg Simmel (1858-1918), on recense environ 200 essais – textes dont la forme variable va d’une dizaine à une cinquantaine de pages – et quelques études monumentales. Son œuvre est donc considérable et couvre pas moins de douze volumes. De prime abord on pourrait qualifier la liste des thèmes explorés par Simmel de liste à la Prévert : la mode, l’argent, le mensonge, la mort, le paysage, l’art pour l’art, l’esthétique, la religion, les pauvres… Pour autant chacun de ses textes est traversé par une même préoccupation : saisir les formes sociales à un niveau intermédiaire entre individu et société, celui des interactions entre les individus. Comme le note Pierre Mercklé « L’objet fondamental de la sociologie, selon Simmel, doit être saisi à un niveau “intermédiaire”, qui n’est ni celui, microsociologique, de l’individu, ni celui, macrosociologique, de la société dans son ensemble, mais celui, que l’on pourrait donc qualifier de “mésociologique” des “formes sociales” qui résultent des interactions entre les individus » (Mercklé, 2004, 15 ; voir également Deroche-Gurcel, L. et al., 2002).
Georg Simmel: The Conflict in Modern Culture and Other Essays (1969)
21La sociologie est donc, pour Simmel, la « science des formes de l’action réciproque » (Mercklé, ibidem). Mais comment cette science intègre-t-elle la relation qu’entretiennent les acteurs avec les symbolismes qu’ils produisent ? On obtient deux réponses très différentes à cette question selon qu’on s’intéresse aux premiers écrits de notre auteur ou aux articles qu’il publie à la fin de sa vie. Sur ce plan l’ouvrage américain Georg Simmel: The Conflict in Modern Culture and Other Essays, révèle une tout autre construction sociologique que le volume portant sur le même thème, disponible en langue française (la Tragédie de la culture, 1993) [10]. La qualité du volume américain tient à la fois au fait qu’il restitue au projet simmélien toute la profondeur d’une construction relationnelle « intégrale » – i.e. qui ne se limite pas aux interactions humaines – « intégralité » qui disparaîtra dans l’œuvre plus philosophique (et disons-le, plus idéaliste) de la fin de sa vie. Cette profondeur est remarquablement mise en perspective par Peter Etzkorn, éditeur de cet opus. Ajoutons qu’on doit également à ce même auteur un article qui détaille finement les articulations de la première sociologie de la musique de Georg Simmel (Etzkorn, 1964), article auquel j’emprunterai ici plusieurs développements.
22La redécouverte récente – si on la réfère à l’époque où est publié l’ouvrage américain – de certains travaux de Simmel, est alors liée au 100e anniversaire de sa naissance (1858). L’article de 1882, « Psychologische und Ethnologische Studien über Musik », « Études psychologiques et ethnologiques de la musique » fait partie de ces redécouvertes [11]. Etzkorn qualifie le texte de « texte de jeunesse de Simmel, texte d’envergure, que l’on qualifierait aujourd’hui de sociologie de la musique ou d’ethnomusicologie » (Etzkorn, 1964, 101).
23L’article de 1882 ne constitue pas un argumentaire cohérent ou un programme pour une sociologie de la musique. Les exemples empiriques produits privilégient deux dimensions analytiques : en premier lieu, la signification sociale qui est représentée et exprimée par la musique et, en second lieu, la position et la fonction de la musique en société. Des perspectives ouvrant sur une théorie des goûts des groupes sociaux, élaborée à partir d’une analyse des socialisations différentielles des individus apparaissent ça et là, sans constituer un moment argumentatif développé.
24Simmel, comme Weber du reste, est à la fois un esprit érudit et tourné vers la connaissance de données empiriques (cf. son intérêt pour les musées ethnographiques et pour les récits de voyage). Ces deux polarités sont actives dans son texte. Ajoutons qu’il ne faut pas oublier que ce dernier est un essai de jeunesse, une dissertation de doctorat présentée à la Faculté de Philosophie de l’Université de Humboldt à Berlin [12].
25On peut remarquer que l’approche simmélienne s’inscrit à contre-courant. Le texte a été publié trois ans avant le très fameux texte d’Alexander Ellis « On the Musical Scales of Various Nations » (Ellis, 1885). À ce sujet Peter Etzkorn remarque (Etzkorn, 1964, 102) « que le texte de Simmel n’a pas suscité une attention comparable [à celle accordée au texte d’Alexander Ellis] » et se demande « pour quelle raison il est tombé à ce point dans l’oubli que même son collègue et ami Max Weber l’ignore dans son texte fragmentaire sur les bases rationnelles des systèmes musicaux ». L’approche objectiviste qui est dominante durant les deux dernières décennies du siècle en Allemagne tranche avec la démarche « qualitative » simmélienne. Ce contexte explique sans doute le faible rôle qu’il a pu jouer, y compris durant la vie de G. Simmel.
L’analyse relationnelle intégrale de Georg Simmel
26Etzkorn n’a pas écrit son article pour rendre hommage à la grandeur de la sociologie de Simmel, mais il a souhaité aborder la question suivante : existe-t-il des raisons pour ressusciter la sociologie de la musique de Simmel ? Pour lui la réponse est clairement positive. Ce que vise Etzkorn est de saisir au mieux le projet intellectuel qui était au fondement de cette étude de 1882, étude qu’il trouve paradoxalement fort proche des préoccupations des sociologies de la musique de la fin du xxe siècle. Pour mettre en évidence cette modernité inattendue il souligne la perspective d’analyse relationnelle intégrale évoquée plus haut. « Nous souhaitons nous limiter à l’exploration de sa première étude sur la musique dans laquelle il traite d’un aspect des relations grâce auxquelles les individus communiquent avec les autres, communication qui à son tour structure et restructure ces relations » (Etzkorn, 1964, 102).
27Dix-sept sections composent les Études psychologiques et ethnologiques de la musique. Il serait fastidieux d’en faire le tour. Je me contenterai d’évoquer quelques thématiques emblématiques tout en mettant en évidence l’orientation cardinale du texte. En se fondant sur quelques exemples ethnographiques, sur l’apprentissage du chant chez les enfants – mélodies populaires notamment – et sur l’histoire ancienne, Simmel s’attache à identifier la relation entre poésie et musique, mémoire et rythme, mémoire et rime. Il en profite pour prendre le contre-pied de la théorie Darwinienne de la musique – à savoir la musique vocale comme forme primitive de communication humaine – en affirmant que l’expression musicale vient après le langage, que la musique est un moyen supplétif du langage (section 1) [13].
28Cette prise de position est plus singulière qu’il y paraît. Il ne faut pas, en effet, oublier que la musique a suscité – et continue, du reste, de susciter – un nombre considérable d’analyses naturalistes. Son « pouvoir » s’ancrerait dans une nature singulière, un périmètre infra-culturel. Elle serait de fait efficace de manière immédiate – la musicothérapie, la psychophonie notamment ont fait de cette « nature » leur fonds de commerce. Simmel prend clairement distance avec cette posture en faisant de la musique une forme culturelle expressive.
29La seconde section lui donne l’occasion de souligner que, selon lui, le langage est la source de la musique vocale. Cette dernière serait un moyen d’expression permettant d’exagérer les émotions grâce au rythme et à la modulation, partant d’explorer différents registres émotionnels comme la terreur, la dépression, les poussées énergiques, le plaisir et la joie, mais également les pulsions sexuelles, les états mystiques et religieux. Passons sur la section suivante qui identifie les liaisons entre expression et rythmes et qui intéresse moins notre propos. La section IV consacrée aux instruments de musique livre en revanche quelques positions qui valent le détour. « La musique instrumentale exprime les émotions humaines et n’est pas une expression directe de ces émotions » nous dit Simmel. Selon la formule d’Etzkorn, « cet état de fait est valide toutefois pour les moments d’origine de la musique » (Etzkorn, 1964, 106). L’histoire des formes d’expression musicales savantes européennes montre, sur ce plan, comment le chant a été – de manière en définitive assez récente – « imité » par quelques instruments à vent, par la viole et, plus récemment – au xviie siècle – par le violon.
30Notons que la posture simmélienne est – tout au long du texte – très éloignée de l’ethnocentrisme culturel qui prévaut dans les courants « culturalistes » de l’époque. L’évidence culturelle de la musique harmonique n’exerce chez lui aucune emprise, pas plus que celle qui voit dans les formes mélodiques – seraient-elles conformes à la juste intonation des théoriciens de la Renaissance tardive – l’horizon immédiat de toute expression musicale. Ainsi la monotonie des formes prémélodiques (section V) est-elle affirmée non comme un état « primitif », ensuite dépassé, mais comme une des formes expressives possibles. « La monotonie est prédominante dans la musique vocale comme dans la musique instrumentale primitives. Elle dérive de l’origine de la musique comme son non mélodique » (Etzkorn, 1964, 109) [14].
31C’est sans doute sur le plan de la théorie esthétique que Simmel explore de la manière la moins doctrinaire qui soit ce que plusieurs décennies plus tard divers théoriciens qualifieront de « relation esthétique ». « Comme le langage est relié à des pensées concrètes, la musique est reliée aux émotions diffuses » (ibidem, 110). Pour autant ces émotions diffuses ne sont pas pensées hors de leur ancrage pratique. C’est donc à une analyse pragmatique [15] avant la lettre que nous convie Simmel, analyse qui débouche du reste sur une théorie particulière de la communication musicale en rupture avec le modèle superficiel d’une communication transitive et substantielle.
32La VIIe section est sans doute le développement que retiendraient le plus les tenants de l’esthétique « deuxième manière » de Simmel qui use, ici, d’un lexique – l’opposition entre musiques subjective et objective – auquel la Tragédie de la culture nous a habitués : « Au cours de son développement la musique rejette ses caractéristiques naturelles de plus en plus. Plus elle avance, plus elle s’approche de l’idéal de l’art, c’est-à-dire de l’objectivité. Processus de décantation, les émotions sont reflétées par le miroir de la beauté » (Etzkorn, 1964, 111). Il ajoute un peu plus loin : « La musique produit des sensations typiques qui incluent complètement les sensations plus individuelles produites par les mots » (ibidem).
33On retrouve la « fraîcheur » du cadrage simmélien quelques sections plus loin. Il aborde ainsi la question des domaines expressifs – plastiques, musicaux, littéraires, etc. sans s’embarrasser de la tradition idéaliste selon laquelle ces domaines seraient articulés entre eux et formeraient un système cohérent des arts. Il note ainsi dans la section XIV que les « Primitifs préfèrent des musiques monotones alors que leurs peintures ou leurs récits peuvent être très colorés ou intenses ». Pour expliquer cette dissonance, il avance l’hypothèse selon laquelle le « lien entre parole et musique, briderait son expressivité ». Partant il tente de comprendre le goût pour les musiques disharmoniques (les hétérophonies par exemple). Quelle que soit la pertinence actuelle d’une telle explication, elle conserve le mérite de ne pas poser a priori l’existence d’un système décrétant pour des raisons théoriques l’existence d’affinités entre les arts et l’homologie de leurs évolutions, existence qui, du reste, a été postulée par l’ensemble des théories sociologiques refusant par principe de faire entrer dans leur cadrage analytique les symbolismes que produisent les pratiquants culturels [16].
34Lorsque Simmel se place non sur le terrain éloigné de l’ethnomusicologie – on peut inclure dans le lot l’étude qu’il consacre à la fin de son article au yodle des régions alpines – mais dans le mouvement des cultures savantes récentes, il est amené de manière cohérente à privilégier la culture partagée des musiciens. La maîtrise de la tradition est donc nécessaire pour chaque musicien, afin qu’il puisse inventer à partir de canons existants. Une sociologie de la musique étudiant dans un même mouvement pratiques et symbolismes musicaux privilégie donc les pratiques ordinaires et la culture des mondes professionnels. On retrouvera cette approche à la fois chez Max Weber et chez Maurice Halbwachs. Notons qu’un tel cadrage prend à revers les catégorisations récurrentes des sociologies récentes de la musique où les mondes professionnels sont conçus exclusivement comme des mondes sociaux qui traitent d’objets certes singuliers mais qui ne valent pas la peine d’une étude approfondie.
Une anthropologie de l’expression musicale
35On saisit ici la différence qui existe entre cette approche et celle de Weber : ce dernier peut reconstituer, par tâtonnements successifs, dans la logique instrumentale qui est la sienne (moyens ajustés aux fins, quelles qu’elles soient), le sens des pratiques pour les agents. Simmel construit et déduit ce sens. Le premier déploie une démarche inductive – type de raisonnement qui consiste à remonter, par une suite d’opérations cognitives, de données particulières (faits, expériences, énoncés) à des propositions plus générales – le second une approche inverse, déductive.
36En définitive les apports simméliens peuvent se résumer à quelques propositions : (1) la musique est un moyen supplétif de la langue naturelle, (2) le chant comme forme expressive est une élaboration plus spontanée que celle qu’élabore la musique instrumentale, (3) la musique est une exploration et une symbolisation des émotions diffuses, (4) l’analyse peut distinguer des formes typiques de l’expression musicale (vers la musique « objective »), (5) la communication musicale ne procède pas d’une transitivité substantielle mais d’une activité paradoxalement solipsiste : chacun trouve en lui-même les sources de l’expression, mais il faut un initiateur pour effectuer ce voyage intérieur, la culture partagée circonscrit une topographie émotionnelle qui est indissociablement musicale et physiologique et qui n’existe que pour une même communauté d’interprétation : « Pour comprendre de manière convenable les caractéristiques psychologiques spécifiques de la musique, nous ne portons pas assez attention au processus transitionnel qui va des affects et émotions du musicien grâce à sa musique aux sentiments et sensations de l’auditeur. Ce processus est bien moins compris pour la musique que pour n’importe quelle autre forme d’art » (ibidem).
37En s’opposant à la conception superficiellement rationaliste de la recherche psychologique du xviiie siècle qui est représentée selon lui de manière caractéristique par Euler – « Le plaisir pour la musique dérive de l’habileté de chacun à deviner correctement les intentions et les émotions du compositeur. L’exécution de son œuvre remplira l’âme [de l’auditeur] d’une belle satisfaction s’il considère la composition d’un œil favorable » (Simmel, 1882, 111) –, Simmel redéfinit le cadre relationnel à partir duquel il pense l’élaboration symbolique de la musique par des acteurs qui, s’ajustant à cette dernière, s’ajustent entre eux, puis inventent des formes nouvelles qui recomposeront à leur tour les groupements sociaux qui s’en sentiront proches.
3 – La théorie relationnelle des pratiques musiciennes de Weber et Simmel
38Les sociologies de la musique de Weber et de Simmel, mais aussi de Halbwachs [17] et de Schütz sont chacune des constructions relationnelles intégrales. Toutes font appel à une praxéologie. Pour autant elles ne la théorisent pas de la même façon : les trois premières privilégient un certain rapport aux instruments symboliques expressifs, qu’il s’agisse des matériaux élémentaires dont se compose la musique, des instruments ou des outils mnémoniques, analytiques et communicationnels comme la partition, alors que les deux dernières mettent l’accent sur l’expérience partagée. La prise en compte – au moins partielle – d’une ontologie des techniques oppose clairement Weber, Simmel et Halbwachs d’un côté et Schütz de l’autre.
La place variable accordée par les premières sociologies de la musique à l’ontologie des techniques
39C’est sur ce terrain technique que se place Schütz pour proposer une vision décloisonnée des pratiques musiciennes. Ainsi l’objection principale qu’il adresse à Halbwachs le conduit à récuser sa distinction fondamentale entre musique des musiciens et musique des profanes en considérant que la notation musicale n’est qu’une « question plus ou moins technique » :
Pour la musique des musiciens, Halbwachs « a pris comme modèle pour son analyse la situation dans laquelle le compositeur doit communiquer son idée musicale à travers un système de signes visibles, avant même que l’exécutant lui-même puisse traduire ses idées en sons saisissables à l’auditeur. Mais cette procédure n’a rien à voir avec les particularités de la communication musicale en tant que telle ; c’est une question plus ou moins technique ».
41Pour déployer son analyse et lui donner une assise, Schütz prend l’exemple d’un « exécutant isolé d’un morceau de musique assis à son piano regardant la partition d’une sonate écrite par un maître mineur du xixe siècle » (Schütz, 2006, [1951], 20). Par cet exemple il nous fait apercevoir l’importance de la mémoire culturelle partagée (le « stock des expériences musicales » accumulé par l’exécutant sans lequel la partition n’aurait aucun sens) et le rôle somme toute secondaire de la notation.
42En accordant une place marginale à la notation et à l’acte de publication, Schütz choisit un mode d’explication du fait musical qui s’accorde à sa position continuiste, discutée il y a un instant. Si les mondes professionnels et amateurs s’articulent sans solution de continuité, c’est qu’ils n’entretiennent pas un rapport pratique à la musique très différencié. La faible place qu’accorde Schütz à l’ontologie des techniques musicales le situe ainsi à la frontière du périmètre commun, partagé par les premiers sociologues de la musique étudiés.
43En définitive les propositions selon lesquelles il pourrait exister de « simples techniques » d’une part et qu’il y aurait lieu, d’autre part, de distinguer entre « faire la musique » (i.e. lui donner vie) et la communiquer constituent une ligne de partage entre Schütz d’un côté et Weber, Simmel, Halbwachs de l’autre. Pour ces derniers le « faire ensemble » est indissociablement lié aux instruments matériels et symboliques que mobilisent les professionnels et les amateurs ordinaires pour faire (de) la musique.
44Il importe donc de réévaluer le caractère indissociable du « faire » et des instruments mobilisés pour faire la musique. Un premier exemple peut nous aider à souligner l’importance des relations existant entre les musiciens et les professions périmusicales (facteurs d’instruments, organisateurs de concerts, critiques, etc.). L’organologie et l’histoire des professions musicales ont adopté les catégories de la division du travail musical en proposant une histoire séparée et sérielle des musiciens, d’une part, et des facteurs d’instruments, d’autre part. Ce faisant ces disciplines ont développé des descriptions cloisonnées en posant que les liens existant entre ces deux corps professionnels passaient par des normes partagées et non par des pratiques communes (Walls, 1992). Remarquons que la proposition wébérienne prend le contre-pied de cette position : les valeurs et les idéaux de ces professions peuvent être très différenciés alors que leurs relations sont probablement très étroites et fréquentes, et concourent à la production d’expressivités indissociablement idéelles et pratiques. Si l’on décide de ne pas souscrire à la fiction de leurs destins séparés on peut s’interroger sur les liens réels entre musiciens et facteurs d’instruments. On peut, de la même manière penser et décrire les parcours professionnels des organisateurs de concerts, des critiques en s’intéressant à leurs fréquentations des cercles musiciens ou à leur formation, bien souvent musicale.
45Partant, il s’agit d’interroger les régimes d’expressivité que déploient diverses inventions techniques que l’on ne peut plus penser comme étant orientées par un simple souci de rationalisation. L’ajout de la septième octave sur les pianos de la seconde moitié du xixe siècle ou la montée en puissance sonore des violons anciens rebâtis et reconstruits à partir de normes nouvelles au tournant des xviiie et xixe siècles sont deux exemples frappants qui nous montrent que ces inventions restent techniques aussi longtemps qu’elles ne sont pas utilisées par les musiciens à des fins expressives. Cette appropriation passe alors par un processus long et interactif, processus qui donne souvent lieu à des controverses – je pense en particulier aux débats que suscite l’introduction par Henri Herz d’une septième octave sur les pianos qu’il construit et qu’il joue (Schnapper, à paraître). Ce processus suppose le contact entre musiciens et facteurs d’instruments ; il passe quelquefois par le cumul des fonctions comme ce fut le cas au début du xixe siècle. Dans tous les cas, le va-et-vient entre expérience musicale, écriture et actualisation pratique de la musique est au fondement de régimes d’expressivité dont l’objectivation apporte de précieux renseignements sur le sens musical d’une époque.
46Un autre exemple, puisé dans l’histoire de la musique italienne du xviie siècle nous aidera à identifier l’orientation qui est au principe de l’acte de publication. Par publication il faut entendre l’acte complexe par lequel se réalise l’édition publique d’une partition à destination d’un public de professionnels et d’amateurs, acte que le sens commun – et que Schütz – identifierait comme inscrit dans une visée communicative, mais qui possède une épaisseur culturelle, technique et expressive qui ne se réduit pas à cette visée.
47De fait n’est pas ici seulement en cause l’acte de noter et de fixer certaines traces de l’œuvre musicale. Publier s’entend dans ce cas d’espèce comme l’acte par lequel une production est rendue publique. Cet acte suppose que l’interprète-compositeur non seulement dispose de traces écrites qui rendent possibles pour lui-même ou ses élèves, la production de ses œuvres, mais encore donne une forme à ses notes manuscrites pour les présenter urbi et orbi. Certains compositeurs romains de la fin du xviie siècle, célébrés de leur temps, n’ont ainsi jamais rien publié de leur vie. Corelli, quant à lui, s’est limité à des publications rares, exclusivement instrumentales. Tout laisse à penser qu’un travail d’élaboration, par étapes successives (Allsop, 1999) est à l’origine de l’édition en 1700 – date symbolique par laquelle se clôt le siècle – de son Opus 5. Il est donc intéressant de se demander s’il est possible de reconstituer la démarche corellienne, de mettre en évidence ce qui fonde son cheminement. On doit ajouter que son Opus 5 a été, selon toute vraisemblance, élaboré, travaillé et diffusé – divers manuscrits circulent à cette époque sans que l’auteur des œuvres puisse affirmer ses droits intellectuels et moraux – bien avant l’édition de 1700.
48On pourrait supposer que seule une orientation « communicationnelle » devrait fonder l’acte de publication. Mais cette orientation ne peut se réaliser qu’à partir d’un travail à la fois spéculaire et critique – i.e. qui suppose l’instauration d’une distance entre la pratique musicale ordinaire et sa réinvention écrite –, la projection en direction de mondes culturels éloignés n’étant qu’une composante d’un processus plus ample de rationalisation expressive.
49L’examen de la 12e sonate de Corelli (cf. encarté) permet d’apercevoir comment a dû se déployer le processus tuilé de recomposition écrite par lequel un objet symbolique – l’œuvre jouée et rejouée en public par Corelli qui portait le même nom et dont nous ne possédons aujourd’hui aucune trace – a subi une transfiguration et a pris la forme que nous lui connaissons [18].
La transfiguration écrite de La Follia
« Il est plus difficile de s’expliquer la permanence de ce succès, le nombre considérable de rééditions de La Follia, de transcriptions, de nouvelles compositions inspirées par une œuvre, selon Riehl “la plus faible et la plus pauvre” que Corelli ait produite. Liszt, Sivori, tout récemment Manuel Ponce, Rachmaninoff (1931) lui ont apporté leur hommage. Peut-être est-ce pour la sobre beauté du thème, et le prestige du nom de son soi-disant inventeur. Mais ce prestige, en la circonstance est usurpé ; le véritable auteur de ces seize mesures ne sera jamais connu. Le mérite de Corelli est de les avoir utilisées, moins ingénieusement, moins musicalement peut-être que Marais, mais avec une rigueur didactique grâce à quoi sa Follia constitue un modèle de morceau d’étude, et très exactement le contraire de la rhapsodie inspirée que David et Thomson se sont plu à y voir » (Pincherle, 1982, [1956], 82).
On peut noter en passant que l’œuvre a donné matière à des jugements fort contrastés [20] : allant d’une dévalorisation franche – Pincherle – à une admiration sans réserve – louant notamment l’élégance corellienne, sa retenue et son lyrisme mesuré. Mais le jugement de Marc Pincherle n’est pas une simple affaire de goût, il repose sur le pouvoir de certains mots – la virtuosité par exemple – construits comme des descripteurs. Il y a certes chez Pincherle une tentative de penser la virtuosité, même si cette tentative est orientée par un horizon moral :
« Inférieur aux Allemands et à bien des Italiens en matière de technique pure, Corelli retrouve sa supériorité dans sa façon de tirer parti, musicalement, des passages de virtuosité, de les incorporer à la trame du morceau, quand la plupart de ses émules se contentent d’une juxtaposition hasardeuse. Très près de nous, Viotti, Kreutzer, Paganini n’exigent pas dans leurs concertos la moindre liaison logique entre les chants et les traits, interchangeables sans inconvénient aucun » (Pincherle, 1982, [1956], 85).
On peut pourtant retourner l’argument contre son auteur. Son horizon reste en effet moral et non descriptif car si tel était le cas, il s’agirait de se demander, en prolongeant son analyse, comment Corelli s’y prend pour distiller quelques éclats de « virtuosité » (qui apparaissent plus aujourd’hui comme des traits de souplesse technique que comme des traits de virtuosité) dont le dosage fin n’altère jamais la ligne mélodique ou le matériau thématique. Répétée 23 fois, elle ne lasse jamais l’auditeur sans recourir toutefois à un crescendo dramatisé comme dans le Boléro de Ravel. Ce que n’aperçoit pas Marc Pincherle, c’est que l’expression violonistique de Corelli tire toute sa puissance d’un jeu entre des forces qu’il sait équilibrer. La virtuosité n’a pas une nature propre – une ontologie – dont la puissance dominerait toute autre forme d’expression. Elle est un moyen expressif comme un autre.
Les variations de La Follia arpentent ainsi différents registres et s’articulent en périodes relativement homogènes, composées de quelques séquences de 16 mesures [21]. À ce titre, et sans aller jusqu’au bout d’une analyse des formes expressives de la sonate qui demanderait de plus amples développements, on peut apercevoir dans le tableau suivant sa cohérence suprasegmentaire : les principes de variations sont organisés dans la pièce selon une architecture très précisément pensée et qui prend un sens synoptique, à partir de l’arrangement optimal de leur figuration sur une partition.
Les huit premières variations de La Follia

Les huit premières variations de La Follia
Pour autant on pourrait objecter que le travail réalisé à partir de simples notations manuscrites n’interdit en aucun cas ce type d’élaboration. La pression morale que représente la présentation publique d’une œuvre, désormais fixée à jamais, contribue sans doute à le rendre plus nécessaire. En définitive la notation ne répond pas à un seul impératif à la fois, mais à plusieurs nécessités qui s’articulent différemment selon les pratiques et les époques. Nous en avons ici identifié au moins deux : celle d’être une table d’orientation (l’écriture contrôlée et délibérée qui finira par s’imposer comme modèle de composition savante), celui d’être une simple prothèse mnémonique. C’est un mixte qui est ici attesté dans le travail délibératif de Corelli. Que ce même travail soit à l’œuvre dans d’autres productions de la même époque est possible et même probable. L’intérêt de l’opus 5 est de livrer des indices tendant à faire penser que le travail de Corelli a été délibératif là où toute enquête génétique – la génétique des œuvres et l’archéologie de leurs réalisations successives – est devenue impossible.
En définitive, nous sommes témoins ici de l’expérience que commencent à faire les musiciens du xviie siècle de la composition écrite synoptique – entendons par là une expérience homologue à l’appréhension synoptique du plan ou de la carte (Bertin, 1967 ; Goody, 1979, [1977]) – qu’autorise le recours à la partition. Pour un interprète et compositeur de la fin du xviie siècle, l’édition peut ainsi être vécue comme une expérience réflexive très neuve dont il s’agit alors d’explorer les contours. Pour rendre compte de ce type d’expérience, les constructions praxéologiques et instrumentales wébérienne et simmelienne offrent un cadre analytique précieux qui nous engage à mieux lier – à tout le moins mieux que nous ne le faisons aujourd’hui – les expériences expressives des musiciens, leurs rapports aux outils techniques et symboliques mobilisés ainsi que leur pratique multidimensionnelle de la communication.
De la praxéologie à l’ontologie des œuvres
50Les cadres analytiques que nous avons rencontrés jusqu’à présent s’inscrivent pour une plus grande part dans un mode de raisonnement praxéologique. Pour autant, l’ontologie des techniques, des matériaux musicaux élémentaires joue un certain rôle. Il faut se demander comment articuler deux approches souvent pensées comme antinomiques.
51Considérons un ténor chantant une pièce lyrique italienne de la fin du xixe siècle, du Puccini par exemple, accompagné par un piano. S’il a reçu une formation italienne – cela vaut pour la période où Max Weber écrit le texte que je vise dans mon analyse, peut-être moins, un siècle plus tard – son chant sera plus directement orienté par la juste intonation – présence d’intervalles consonants purs, comme la quinte, la quarte, la tierce, voire même la septième (Walters, 1994) – et moins par le tempérament égal du Steinway qui l’accompagne. C’est ce qu’identifie Max Weber à la fin de sa Sociologie de la musique en évoquant la formation des chanteurs :
« Aujourd’hui leur formation se fait presque totalement au piano, au moins sous nos latitudes, et même l’apprentissage du son dans les instruments à cordes s’effectue dès le début au piano. Il est clair qu’on ne peut pas obtenir une oreille aussi fine que par l’apprentissage d’instruments accordés en tempérament pur. L’impureté notoirement plus grande dans l’intonation des chanteurs du nord comparés aux chanteurs italiens pourrait bien être assez fortement conditionnée par ces circonstances ».
53De fait les chanteurs qui n’ont pas été éduqués dans cette culture lyrique ne se confrontent que rarement à l’impossibilité de chanter Puccini à partir d’une intonation tempérée. Éduqués dans une culture musicale tempérée, ils auront simplement tendance à choisir d’autres répertoires compatibles avec leur entendement musical. Or on aperçoit bien ici que l’existence de ces deux « cultures » du chant est ancrée dans deux logiques symboliques, qui possèdent chacune sa propre régulation. On ne peut en effet décrire ces deux idéaux types comme fondés sur de pures conventions partagées, conventions qui pourraient dès lors être parfaitement arbitraires (comme celle de choisir une série de phonèmes pour indexer un référent). Comme le montre Max Weber dans sa Sociologie de la musique (Weber, 1998, [1921]), le choix de la construction musicale la plus rationalisée se paie de l’abandon de cohérences sonores (celle de la juste intonation par exemple) en sorte que ces deux cultures musicales – celle rationalisée, celle privilégiant la juste intonation – en viennent à domestiquer autrement les matériaux musicaux. Comme ces régulations ne s’imposent pas universellement, elles doivent être décrites comme à la fois fondées en nature (là réside leur « légalité interne ») et élaborées culturellement par des acteurs singuliers.
54La dernière question à trancher est donc de déterminer comment articuler une description qui est à la fois praxéologique – que font les acteurs, comment s’entendent-ils pour construire des cadres symboliques communs – et ontologique. (1) La première réponse consiste à choisir d’arrimer l’une à l’autre, en choisissant un ordre de succession : pour le dire en gros, la pratique avant l’essence. (2) La seconde repose sur un principe d’interprétation : pour affirmer la présence d’une ontologie symbolique ou technique, il faut encore qu’aucune explication praxéologique ne soit possible pour en rendre compte, (3) lorsque cette présence est avérée, elle ne s’impose à l’action que pour partie : on peut choisir de l’ignorer ou de la contourner. Elle n’est donc une « loi » que pour celles et ceux qui en ont accepté le principe.
55On le voit, les deux approches peuvent s’articuler et s’enrichir. On pourrait traduire la nécessité de concilier d’une part ce sur quoi les musiciens s’accordent et ce qu’ils font (une logique praxéologique et relationnelle) et d’autre part la façon dont ils réalisent leurs visées expressives (leur rapport aux instruments de leur pratique) en reconsidérant le statut de ces derniers. Une partition ne se réduirait pas à une seule liste de consignes ou d’injonctions, un instrument de musique ne définirait pas seulement un périmètre des possibles et une somme de contraintes spécifiques. Ces outils constitueraient également des traces d’une activité collective, qui déborde la division du travail musical – les musiciens étant placés au cœur de l’activité musicienne, les autres professions, à tort, à la périphérie, comme de simples renforts – et garderait la trace d’une activité musicienne collaborative, d’orientations et d’horizons culturels partagés.
Notes
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[1]
Il serait intéressant de prolonger la discussion ouverte dans cet article par l’exploration des premières sociologies de la musique française. Sur cette question on lira avec profit les contributions de Remy Campos. Au-delà de la figure mieux connue de Maurice Halbwachs, on peut lire avec profit les écrits de Jean-Marie Guyau (L’Art au point de vue sociologique, Paris : F. Alcan, 1889) ou de Charles Lalo (Éléments d’une esthétique musicale scientifique, Paris : Alcan, 1939).
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[2]
La notion de « symbolisme » ou de « production symbolique », prend son sens lorsqu’elle est mise en relation avec les acteurs qui les élaborent et/ou les utilisent. Je déclinerai la notion dans ces pages en parlant de « symbolisme », de « symbolisme musical », en renvoyant à cette expression qui fait référence, sur ce registre, au livre Le Savant et le Populaire, de Claude Grignon et Jean-Claude Passeron (1989).
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[3]
S’il est arbitraire de poser que la sociologie nait dans les dernières décennies du xixe siècle, que l’ehtnomusicologie ou la musicologie se constituent comme disciplines – i.e. comme domaine de spécialité, pratiqué par des chercheurs reconnus comme appartenant à ce domaine, dans une perspective critique mettant à distance l’activité musicienne qui est dès lors non seulement vécue, mais pensée en relation avec d’autres sphères d’activités – quelques décennies plus tard, parce qu’il est toujours possible de proposer d’autres critères pour établir les débuts d’une discipline, il n’en reste pas moins qu’un mouvement de spécialisation s’opère progressivement à la fin du xixe siècle. Au tournant du xxe siècle pratiquer les sciences humaines ou sociales ou encore les sciences de la nature n’impose pas encore de renoncer à d’autres spécialisations : Helmhotz est ainsi tout à la fois physicien, biologiste et un fin analyste des évolutions culturelles et musicales de son temps. À la fin du xxe siècle une sur-spécialisation s’est imposée qui interdit, en moyenne, qu’un sociologue soit également musicologue, musicien et fin connaisseur de l’acoustique. Pour être pleinement reconnu par ses pairs il doit être spécialisé dans une sous-discipline, la sociologie des professions, de l’éducation, les gender studies ou encore la sociologie de la culture.
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[4]
Pierre Bourdieu dans son Esquisse d’une théorie de la pratique (Bourdieu, 2000, [1972]) reprend le terme praxéologie en conservant son sens littéral (théorie de la pratique) et en contestant son utilisation exclusive dans le domaine des sciences appliquées. Voir également note 9 page 7 du présent article.
-
[5]
En philosophie, l’ontologie est l’étude de l’être en tant qu’être. Il s’agit d’identifier ici ce qui revient en propre à l’usage d’une technique. Le contrôle synoptique du cheminement musical d’une pièce fixée sur une partition est un exemple de ce qu’apporte spécifiquement une notation musicale lorsqu’elle est utilisée non seulement pour consigner et reproduire l’exécution d’un musicien, mais également pour recomposer le matériau musical ainsi objectivé.
-
[6]
L’expression « légalité interne » a été utilisée par Weber. « Légalité interne » et « ontologie des techniques » recouvrent le même périmètre. Ces notions renvoient à la régulation – i.e. à l’effet propre et spécifique – qui est imputable à l’économie interne des œuvres ou des dispositifs instrumentaux. Ainsi, par exemple, la façon dont plusieurs lignes mélodiques peuvent se déployer parallèlement se modifie significativement sur le piano forte (instrument qui, au seuil du xviiie siècle, remplace les sautereaux des clavecins qui pincent les cordes par des marteaux qui les frappent). En permettant que des notes puissent continuer à se faire entendre tout en accompagnant ou en étant accompagnées par une séquence mélodique jouée en même temps, cet instrument déploie une palette expressive inédite qui n’est pas exclusivement imputable aux compositeurs et interprètes.
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[7]
Comme nous l’avons montré dans la préface de la Sociologie de la musique de Weber (Weber, 1998, [1921]), ces deux termes qui, dans la langue commune, s’opposent l’un à l’autre, sont très étroitement associés par Weber. Ce dernier explore bien souvent dans ce livre la dimension d’intellectualisation progressive de la musique, la calculabilité et la théorisation des échelles musicales – la fixation des notes et de leurs hauteurs respectives à partir d’algorithmes –. Pour autant Weber souligne que la pratique musicale avance en intégrant cette « rationalisation » et en la débordant constamment afin de soumettre le cadre rigide du calcul aux exigences d’une expression qui refuse de se laisser ainsi brider.
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[8]
L’harmonie fixe les règles régissant le discours musical à partir d’une verticalité. Les accords, qui sont notamment des étagements simultanés de tierces, s’enchaînent ainsi les uns aux autres et sous-tendent la ligne mélodique qui, bien souvent, même pour les musiques dites « harmoniques » du xixe siècle européen, se déploie néanmoins sans pouvoir être réduite et résumée par une succession d’accords. Ce qui revient en propre à l’espace linéaire de la mélodie entre ainsi constamment en tension avec la régulation harmonique, régulation que les musicologues ont cherché constamment à théoriser et à rationaliser.
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[9]
Il s’agit ici de donner au terme « praxéologie » une définition moins étroite que celle qui est le plus couramment en usage. Comme « théorie de la pratique » la praxéologie wébérienne cherche à rendre compte de ce qui oriente l’activité des sphères professionnelles musiciennes (recherche d’une rationalisation, visées esthétiques, valeurs religieuses et éthiques professionnelles, concurrence et rapports de domination, etc.).
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[10]
Les plans de Tragédie de la culture (Simmel, 1993) d’un côté et de Georg Simmel: The Conflict in Modern Culture and Other Essays (Simmel, 1968) de l’autre témoignent du choix de deux axiomatiques très différentes. Ce dernier assemble en effet des textes dont la publication s’est échelonnée sur une trentaine d’années (du texte le plus ancien, celui qui nous occupe dans ces pages (1882) à « Sur le concept et la notion de tragédie de la culture (1911) ».
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[11]
Le texte a été initialement publié dans un ouvrage de Lazarus et Stenthal, Zeitschrift für Vôlkerpsychologie. Ce dernier ouvrage constitue un travail encyclopédique coordonné par ces deux auteurs. L’article de Simmel se trouve dans le volume 13, p. 261 à 305.
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[12]
Le jury, composé des professeurs Zupitza (dir.), Zeller et Helmholz, a refusé le texte. Simmel a obtenu son grade néanmoins grâce à un texte écrit précédemment sur Kant. On peut noter le caractère critique du jugement porté par le jury, réticent face au foisonnement des propositions d’analyse déployées dans le texte.
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[13]
Selon Darwin, l’espèce humaine a développé une musique vocale avant de développer le rythme et le langage. Herbert Spencer avait sur ce plan développé une position similaire selon laquelle « tous les phénomènes vocaux importants ont une base physiologique ». Pour Spencer « l’expressivité de nombreuses modifications de la voix sont dès lors innées » (citation faite par Etzkorn, page 103).
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[14]
Sur ce plan Georg Simmel explicite une posture qu’il partage avec Max Weber mais que ce dernier n’analyse nulle part de manière détaillée : la définition européo-centrée de la musique passe par l’affirmation qu’elle devrait être toujours et en tous lieux mélodiquement expressive (le même raisonnement pourrait être fait à partir d’autres dimensions expressives du fait musical). Ainsi pour l’entendement européen la distinction entre musique à danser et musique à écouter, entre forme récitative vs forme déclamée, etc. n’est jamais facile à pratiquer. Entre notamment en jeu le rapport pratique entretenu à la musique, i.e. entre l’activité musicienne, qu’elle soit ordinaire ou professionnelle, et l’écoute contemplative.
-
[15]
En mettant en relation les actes de la pratique avec le contexte de leur effectuation ou en tenant compte de leurs conditions de possibilité les théories de la pratique (praxéologies) enrichissent leur palette analytique et intègrent des modes descriptifs pragmatiques ou phénoménologiques.
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[16]
Un des effets de la sur-spécialisation disciplinaire est de séparer pratiques et objets de la pratique, or ces derniers sont régulés par des « écologies » singulières. Les contraintes propres aux matériaux sonores différent en de nombreux points de celles qui affectent les objets visuels. La sémiologie a ainsi en son temps souligné ces différences de régime (la linéarité du flux sonore opposée au caractère immédiat et synoptique de l’à-plat visuel, le caractère abstrait des séquences musicales opposé à l’indexicalité d’une représentation visuelle « figurative », etc.). Partant les ontologies propres aux différents domaines artistiques peuvent culturellement être pensées et perçues comme ordonnées par des affinités, elles n’en demeurent pas moins fondamentalement différentes et incomparables.
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[17]
Halbwachs prend appui sur le fait que la notation musicale est un idiome dont la maîtrise est limitée à un nombre relativement réduit d’individus – la « société des musiciens » qui forme ainsi une communauté en réseau à la fois habitée par l’écriture musicale (l’écriture musicale est « l’action qu’exerce sur un cerveau d’homme ce qu’un physiologiste pourrait appeler un système ou une colonie d’autres cerveaux humains » (Halbwachs 1997, 26) et qui ne cesse d’en redéfinir collectivement le sens (il faut un « accord préalable et […] continu entre les hommes, sur la signification de ces signes », (p. 26) en lui conférant une réalité sonore. Comme cette notation n’est que la trace d’une œuvre, les signes dont elle se compose « traduisent dans un langage conventionnel toute une série de commandements auxquels le musicien doit obéir, s’il veut reproduire les notes et leur suite avec les nuances et suivant le rythme qui convient » (p. 23). Pour autant ces commandements ne recouvrent pas l’intégralité des actes que les interprètes doivent accomplir puisqu’une partie significative des éléments nécessaires à la production d’une œuvre est transmise par d’autres voies, orales ou écrites.
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[18]
On perçoit ici le rôle joué par l’écriture qui, recomposant des matériaux expressifs partagés par une communauté d’interprétation, fait émerger par permutations et arrangements successifs un agencement qui n’aurait pu exister sans elle.
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[19]
Une des versions de référence, celle d’Andrew Manze et de Richard Egarr (Harmonia Mundi, 2002) dure 12’12’’.
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[20]
L’ensemble de l’œuvre de Corelli a suscité une réaction équivalente.
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[21]
On peut ajouter que la première période qui suit le dessin fort simple d’une amplification rythmique, est réalisée à partir d’une palette qui distille différents matériaux sonores. Le sautillé de la variation IV s’inscrit dans un répons – au trait joué par le violon correspond immédiatement une réplique donnée par le clavecin. Pour autant ce matériau n’a pas d’équivalent dans le jeu du clavecin qui peut en rendre le caractère percussif sans pour autant en moduler et la puissance et l’attaque. Le jeu du répons entre les deux instruments procède donc d’une opposition entre des couleurs sonores très différenciées.
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[22]
Je fais ici référence à la sémiologie graphique de Jacques Bertin, cf. Jacques Bertin, Sémiologie graphique, Paris, Mouton/Gauthier-Villars, 1967).