CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Le plus grand défi des sciences sociales est d’expliquer le changement – plus spécifiquement, le changement social, politique, économique et organisationnel [1]. Le point de départ doit être une explication de la capacité d’apprentissage humain comme préalable fondamental à l’analyse d’un tel changement. Cette capacité d’apprentissage est la raison principale de la plasticité constatée du comportement humain et l’interaction des individus capables d’apprentissage suscite des changements dans la société, dans la politique, dans l’économie et dans les organisations. Dans la mesure où l’apprentissage est l’objet principal d’investigation des sciences cognitives, seule une attitude dogmatique pourrait empêcher les chercheurs en sciences sociales intéressés par les phénomènes de changement d’accorder l’attention nécessaire à leurs découvertes. La révolution des dernières décennies dans les sciences cognitives a produit des résultats précieux concernant les processus d’apprentissage individuel dans différents types d’environnements. C’est la raison principale pour laquelle les sciences cognitives n’ont pas uniquement une importance secondaire pour les chercheurs en sciences sociales, mais devraient être le point de départ de toute discussion sérieuse au sujet du changement social. Dans cet article, nous explorerons la nature de l’apprentissage individuel et collectif, avant de discuter de l’émergence des institutions. Nous ferons ensuite le lien entre apprentissage et performance économique. Enfin, nous examinerons la question du sentier de dépendance.

L’apprentissage individuel

2Les recherches en sciences cognitives des dernières décennies ont approfondi notre connaissance des relations entre cerveau, esprit et comportement. En particulier, les travaux dans le domaine de la « neuroscience cognitive » ont amélioré notre compréhension de la manière dont les structures cérébrales sont liées aux phénomènes mentaux et au comportement observable (Damasio, 1999). L’architecture cognitive de l’homo sapiens étant le produit d’un long processus évolutif, se pose la question majeure de l’interaction entre la structure génétique, qui a évolué en réponse à l’évolution de l’environnement de l’homme, et les circonstances culturelles, qui sont une conséquence du cadre institutionnel délibérément créé par les humains pour ordonner leur environnement.

3Comme la science cognitive est une discipline très jeune, il n’est pas étonnant qu’on trouve plusieurs explications concurrentes de la perception, de l’apprentissage, de la mémoire et de l’attention ; davantage de controverses entourent les explications générales de la nature du processus cognitif et de l’interaction entre esprit et cerveau. Afin d’appliquer de manière utile les sciences cognitives aux sciences politiques, économiques et autres sciences sociales, il est important de se souvenir du parti pris analytique de la tentative d’explication. Notre objectif – saisir le changement social – nous oblige à utiliser une théorie suffisamment analytique pour fournir :

4a)

5une explication de l’apprentissage individuel qui puisse être empiriquement testée ;

6b)

7une explication satisfaisante des processus de choix ;

8c)

9un fondement pour expliquer le processus d’apprentissage collectif, puisque les phénomènes les plus intéressants sont les changements politiques et leurs conséquences économiques.

10À la lumière de ces critères, il ne nous est pas nécessaire de poser certaines questions abordées par les sciences cognitives – comme la formation des concepts concernant l’interaction complexe entre génétique, neuro-embryologie, mécanismes cellulaires, processus de maturation, formation de groupe neuronal, et expérience ontogénétique. Nous n’avons pas à prendre position sur les détails de ces processus, étant donné que nous ne sommes concernés que par des conceptualisations qui varient fortement selon les groupes sociaux et qui peuvent subir des modifications substantielles, y compris au sein d’une même génération. Les opérations mentales qui sous-tendent ce type de variations sont créatives et flexibles. C’est pourquoi nous restreignons nos prétentions en ce qui les concerne et en ce qui concerne les représentations mentales malléables qu’elles produisent. Nous ne nous aventurerons pas dans le débat conflictuel concernant des concepts beaucoup plus fondamentaux et dans beaucoup de cas évidemment universels et communs à toutes les espèces (comme la dynamique des forces élémentaires, quelques aspects de la structure de la couleur, etc.).

11L’approche que nous proposons conçoit l’esprit comme une structure complexe qui interprète activement et classifie dans le même temps les différents signaux reçus par les sens. L’esprit classifie les expériences issues de l’environnement physique ainsi que celles issues de l’environnement socioculturel et linguistique (Gigerenzer, 2000). Une large variété de représentations mentales ont été offertes comme modèles cognitifs pour décrire les opérations mentales qui nous intéressent ici (Pitt, 2002). Malgré le débat actuel et jusqu’à présent peu concluant entre les avocats des différentes conceptualisations des modèles mentaux [2], la notion pragmatique des modèles mentaux apparaît comme la plus appropriée pour l’analyse proposée. Les modèles mentaux évoluent graduellement pendant notre développement cognitif pour organiser nos perceptions et conserver notre mémoire. En tant que structures de savoir flexibles, ils sont typiquement formés par un organisme comme réponse pragmatique à une situation problématique pour expliquer et interpréter son environnement (Holland et al., 1986).

12On peut mieux comprendre un modèle mental si on le conçoit comme une prédiction finale que l’esprit opère ou comme anticipation qu’il fait concernant l’environnement avant d’en recevoir un « feedback ». Le modèle mental peut être révisé, affiné ou complètement rejeté selon que l’anticipation formée est ou non validée par le feedback reçu de l’environnement. L’apprentissage est la modification complexe des modèles mentaux en accord avec le feedback reçu de l’environnement. Le caractère unique de l’apprentissage humain est que la modification des modèles mentaux va de pair avec la notion de « re-description représentationnelle », processus par lequel le savoir conservé comme solution à un problème spécifique de l’environnement est par la suite réordonné pour servir de solution à une large variété de problèmes (Clark et Karmiloff-Smith, 1993).

13La formation des modèles mentaux et les efforts pour tester des solutions aux problèmes rencontrés dans l’environnement ne conduisent cependant pas nécessairement au succès. L’apprentissage est en effet un processus évolutif fonctionnant par essais et erreurs (Popper, 1992 [1972]), et l’incapacité à résoudre un problème conduit à tenter une nouvelle solution. Puisque les modèles mentaux sont généralement des structures cognitives flexibles qui aident les hommes à résoudre leurs problèmes, il peut être intéressant de considérer plus avant la relation entre le feedback environnemental et la stabilisation ou la modification des modèles mentaux.

14Quand ce feedback confirme le même modèle mental plusieurs fois, celui-ci devient en quelque sorte stabilisé. Nous appelons ce modèle mental quasi cristallisé une « croyance » ; et nous appelons l’interconnexion entre croyances (qui peut être cohérente ou incohérente) un « système de croyances ». Ayant permis à un individu de survivre dans son environnement par le passé, le système de croyances devient connecté au « système de motivations ». Pour le dire autrement : le système des croyances est progressivement formé par une adaptation émotionnelle parallèle, il prend donc la forme d’un filtre global appliqué à toute nouvelle stimulation, de sorte que l’on peut supposer qu’il est relativement résistant aux changements brutaux.

15Lorsqu’une solution produite sur la base d’un modèle mental donné n’a pas fonctionné, un individu utilise des stratégies par inférence – surtout des analogies – de manière quasi automatique (Nisbett et Ross, 1980 ; Holyoak et Thagard, 1995 ; Gentner et al., 2001). Si ces stratégies ne résolvent pas non plus le problème, l’individu est obligé de créer de nouveaux modèles mentaux et d’essayer de nouvelles solutions. C’est le problème des choix, que l’on peut mieux concevoir comme une recherche mentale d’alternatives afin de résoudre un problème nouveau (Mantzavinos, 2001) [3].

16Le feedback environnemental joue un rôle primordial dans la détermination du succès ou de l’échec – et la stabilisation ou modification qui en résulte – des modèles mentaux sous-jacents. En somme, le fait que le choix créatif ou l’apprentissage s’impose dépend du feedback environnemental que l’esprit individuel reçoit pendant qu’il essaie de résoudre ses problèmes. Évidemment, rien ne peut garantir que la réception du feedback environnemental se fera correctement. Puisque l’esprit interprète activement tout input sensoriel, le message concernant le succès ou l’échec d’une solution tentée sera souvent mal interprété. En effet, la persistance dans l’Histoire de dogmes, de mythes, de superstitions et d’idéologies fondées sur de tels systèmes de croyances fausses nous amène à faire attention autant à l’apprentissage qui produit ces croyances qu’à celui qui contribue à interpréter correctement les problèmes auxquels les êtres humains sont confrontés.

17Bien évidemment, la théorie que nous proposons ici a besoin d’être davantage élaborée. Mais elle nous paraît fournir un point de départ utile pour échafauder notre cadre analytique, dans la mesure où elle satisfait les trois critères que nous avons proposés auparavant. Elle offre en effet une explication à peu près satisfaisante à la fois de l’apprentissage individuel et des processus de choix, tout en fournissant une base suffisante pour expliquer les processus d’apprentissage social, auxquels nous nous intéressons maintenant.

L’apprentissage collectif et le changement

18L’apprentissage au niveau sociétal peut être conceptualisé au mieux comme un processus d’apprentissage partagé ou collectif. Quand nous essayons d’expliquer l’émergence du savoir social ou culturel, il faut distinguer deux aspects de l’apprentissage collectif, selon qu’il est statique ou évolutif. Dans la dimension statique, des individus dans un environnement socioculturel donné communiquent continuellement avec d’autres individus alors qu’ils essayent de résoudre leurs problèmes. Le résultat direct de cette communication est la formation de modèles mentaux partagés (Denzau et North, 1994) qui fournissent le cadre d’une interprétation commune de la réalité, et font émerger des solutions collectives aux problèmes qui surviennent dans l’environnement. L’importance de ce processus est claire : une interprétation commune de la réalité est le fondement nécessaire à toute interaction sociale.

19Qu’en est-il de l’évolution des modèles mentaux partagés dans un groupe social au cours du temps ? L’évolution des modèles mentaux partagés – c’est-à-dire du savoir partagé ou collectif – dépend de la taille du groupe et est donc différente au sein des organisations et dans la société dans son ensemble. L’apprentissage partagé prend d’abord forme dans les familles, le voisinage et les écoles (c’est-à-dire dans des organisations). La théorie moderne de l’apprentissage organisationnel perçoit les organisations comme des systèmes de savoir distribué dans lesquels des capacités sont partagées par l’échange de savoir (March, 1999). À l’échelle de la société, le processus d’évolution culturelle concerne l’accumulation et la transmission du savoir dans le temps. Merlin Donald insiste sur l’importance de l’ « External Symbolic Storage » pour la transmission et l’accumulation du savoir à travers les générations. L’innovation décisive qui a largement soutenu l’évolution de la culture « théorique » est la simple habitude d’enregistrer des idées – c’est-à-dire d’ « extérioriser le processus du commentaire oral et des événements ». Ce phénomène a eu lieu en Chine, en Inde, en Égypte et en Mésopotamie pendant au moins mille ans avant de s’imposer dans la Grèce ancienne vers 700 avant J.-C. L’élément nouveau était que « pour la première fois dans l’histoire, des idées complexes étaient exprimées publiquement et pouvaient être améliorées sur le long terme, au-delà de la durée de vie d’un individu » (Donald, 1991, p. 334). Ces réseaux d’ « External Symbolic Storage » ont amélioré de manière décisive le savoir théorique – savoir transmissible au moyen de symboles (naturels et artificiels) – puisqu’ils fournissaient la possibilité d’une interaction constante entre le corpus du savoir théorique-scientifique et les problèmes théoriques des individus en société.

20Le stock de savoir transmis de génération en génération n’est cependant pas limité au savoir théorique. L’autre catégorie du savoir – savoir pratique ou savoir-faire (Ryle, 1949) – n’est pas exprimable en termes linguistiques ; le mécanisme de sa transmission est l’imitation directe des performances d’autrui. Le savoir pratique concerne toutes les qualifications acquises dans la résolution des problèmes pratiques – nager, cuisiner, conduire une voiture, dactylographier un article – et est d’importance égale pour la vie quotidienne de tous les individus en société [4].

21L’apprentissage collectif se situant au niveau sociétal, la capacité à résoudre des problèmes sociaux, comprenant le savoir théorique-scientifique et le savoir pratique, augmente et se transmet dans le temps. Il existe pourtant une sous-catégorie du savoir pratique – concernant les solutions aux problèmes sociaux de l’interaction humaine – qui dans de nombreux cas ne peut pas être conçue comme ayant été améliorée avec le temps. Il faut sur ce point dépasser Friedrich A. von Hayek, qui comparait le développement d’une civilisation au développement du savoir, de « nos habitudes et qualifications, nos attitudes émotives, nos instruments et nos institutions – toutes adaptations aux expériences passées ayant mûries par élimination sélective des contacts les moins appropriés » (Hayek, 160, p. 26). Il nous faut développer une compréhension plus analytique des institutions sociétales et examiner de manière approfondie comment elles évoluent.

L’apprentissage collectif et l’émergence des institutions

22Les institutions sont les règles du jeu de la société ou, plus formellement, les contraintes humaines inventées pour structurer les interactions humaines. Elles consistent en règles formelles (constitutions, législations et règlements), ou informelles (conventions, règles morales et normes sociales), et en moyens d’application. Dans la mesure où elles forment la structure incitative de la société, elles définissent la manière dont le jeu est joué au cours du temps. Pour théoriser les institutions, il est utile d’en distinguer deux aspects, externe et interne.

23D’un point de vue externe, les institutions sont des régularités de comportement, des « routines » partagées au sein d’une population. D’un point de vue interne, elles ne sont rien d’autre que des modèles mentaux partagés ou des solutions partagées à des problèmes récurrents de l’interaction sociale. Mais c’est parce que les institutions sont présentes à l’esprit des hommes qu’elles peuvent devenir importantes sur un plan comportemental. L’élucidation de l’aspect interne est cruciale pour expliquer de manière adéquate l’émergence, l’évolution et les impacts des institutions. Elle permet d’établir une différence qualitative entre l’approche cognitive des institutions et d’autres approches. Même si, par exemple, l’approche du choix rationnel explique jusqu’à un certain point les processus cognitifs, elle le fait d’une manière standardisée, en conceptualisant tous les événements mentaux comme des choix menant à des actions. Alors que l’approche cognitive, si elle prête attention aux phénomènes de choix, n’insiste pas sur leur rationalité supposée par des normes externes, de même qu’elle ne néglige pas non plus la gamme plus large des processus mentaux – raisonnement analogique, formation de compétences, etc. – qui jouent un rôle capital dans l’émergence de solutions partagées à des problèmes récurrents de l’interaction sociale (c’est-à-dire des institutions).

24Les institutions ont des effets divers. L’un concerne l’incitation à créer des organisations. Il est utile de faire ici la distinction entre institutions et organisations. Les institutions sont les règles du jeu ; les organisations sont les joueurs. Ces derniers sont des groupes d’individus liés par un objectif commun. Par exemple, les entreprises sont des organisations économiques, les partis politiques, des organisations politiques et les universités, des organisations éducatives. Alors que les modèles mentaux évoluent dans les organisations, l’apprentissage collectif opère par rapport à leurs objectifs (Powel et DiMaggio, 1991).

25L’émergence des institutions formelles et celle des institutions informelles sont dues à des mécanismes distincts. Les institutions informelles de la société émergent et changent dans un processus d’interaction spontanée, apparaissant ainsi « véritablement [comme] le résultat de l’action humaine, sans toutefois être le résultat d’un dessein humain » (Ferguson, 1966 [1767], p. 188). L’émergence spontanée des institutions informelles est un processus d’innovation et d’imitation qui se déroule au sein du groupe social qui apprend collectivement. Des individus respectant des conventions, suivant des règles morales et adoptant des normes sociales entraînent (comme résultat non attendu de leur action) l’émergence de l’ordre social. Dans les groupes unis, les institutions informelles suffisent largement à stabiliser les anticipations et à assurer la discipline, parce que les membres du groupe s’engagent dans des relations personnelles [5]. Dans les sociétés primitives, les institutions informelles suffisent à établir l’ordre social ; des institutions supplémentaires ne sont pas nécessaires, pas plus qu’un mécanisme externe de contrôle.

26Ce qui nous amène au sujet capital de la science politique : les raisons de l’existence de l’État. Les États existent parce qu’ils apportent aux individus des solutions aux problèmes de la confiance et de la protection contre les agressions (de la part des individus de la même société ou d’autres sociétés). Un État émerge quand une société croît et que les relations entre ses membres deviennent de plus en plus impersonnelles. Dans les grands groupes, la confiance se fait rare parce que la discipline de la réciprocité et l’ « ombre de l’avenir » sont relativement faibles. Des individus capables d’apprendre sont destinés à comprendre que quand ils agissent dans un groupe large, la probabilité d’avoir affaire à des malfaiteurs augmente. Parce que – comme nous l’avons expliqué plus haut – le contenu de l’apprentissage individuel dépend essentiellement du feedback de l’environnement. Des individus agissant dans un groupe large (par exemple une société moderne, complexe) retiennent des leçons différentes par rapport à ceux qui agissent dans un petit groupe (par exemple une tribu primitive). Ce processus d’apprentissage différencié est central par rapport à la question de l’émergence de l’État en tant que dispositif de contrôle. Dans une société large essentiellement impersonnelle, le processus d’émergence de l’État commence dès qu’un individu créatif commence à exploiter les engagements des autres membres du groupe pour profiter des avantages potentiels de la défection. D’autres l’imiteront et après un certain temps, le nombre de free-riders augmentera significativement. En conséquence, l’environnement des autres individus (non tricheurs et moraux) changera. Ils auront appris collectivement que la coopération est profitable, mais qu’il existe de nombreux tricheurs et que les coûts de leur punition augmentent du fait de leur nombre.

27Cette leçon collective a une implication importante : afin d’éviter le free-riding, une demande de protection apparaîtra. Chaque individu essaiera de résoudre ce problème pratique en exigeant l’application de la violence contre les free-riders. La satisfaction de cette demande peut se faire de deux façons : soit chaque individu consacrera une partie de sa capacité productive et de son temps à former des coalitions contre les free-riders chaque fois qu’ils agiront mal, soit une agence spécialisée dans la protection contre les free-riders émergera. Si l’on considère les immenses coûts de transaction du premier scénario, il est plausible de formuler l’hypothèse selon laquelle quelques individus créatifs se lanceront dans l’activité d’offre de protection.

28Il n’y a pas de raison de supposer qu’une seule agence protectrice émergera. Traditionnellement, beaucoup de ces agences ont existé dans la société, échangeant leur protection contre les free-riders contre de l’argent ou d’autres biens. La particularité de ce bien est que la violence offre en réalité l’opportunité aux agences de protection d’opprimer le même groupe de membres qu’elles sont censées protéger. Les entrepreneurs qui dirigent ces agences sont uniquement contraints par les règles du jeu informelles qui sont les mêmes pour tous les membres de la société – c’est-à-dire par les conventions, les règles morales et les normes sociales qui prévalent à ce moment.

29Étant donné que seules existent les règles du jeu informelles et que les entrepreneurs ont accès au mécanisme de violence, on compte trois relations possibles entre les agences de protection : elles peuvent coopérer, rivaliser ou rester indifférentes. Dans un processus par essais et erreurs, elles s’engageront dans toutes les relations possibles, de la bataille armée à la fusion complète pour obtenir un meilleur contrôle de leurs clients. Le résultat de ce processus évolutif ne peut pas être complètement déterminé ex ante, puisqu’il dépend de la créativité des entrepreneurs (ou dirigeants), de leurs chances de remporter le combat et de l’efficacité de leur contrôle sur leurs clients.

30Il faut s’intéresser attentivement à la question de la domination d’une seule agence de protection revendiquant avec succès le monopole de la violence physique légitime sur un territoire donné (Weber, 1972 [1922], p. 29). La vision du monopole étatique n’est que partiellement correcte. Elle est sûrement fausse si le monopole de la force supposé est censé couvrir l’ensemble de la société ou de la communauté culturelle – c’est-à-dire tous les individus avec des modèles mentaux partagés et des institutions informelles. Il existe des contre-exemples historiques avec les cités-États grecques dans l’Antiquité et les systèmes féodaux au Moyen Âge [6]. Dans un sens plus limité pourtant, l’argument concernant le monopole de la violence est correct : les agences protectrices possèdent le monopole sur le groupe d’individus qu’elles protègent [7]. Le processus de coopération ou de compétition entre les différentes agences protectrices, chacune employant le monopole de la violence pour son propre groupe de clients, peut mener – mais pas nécessairement – à une situation monopolistique.

31Par conséquent, après un processus évolutif caractérisé par l’apprentissage collectif, la division du travail et la coopération ou la concurrence entre les entrepreneurs, il resterait une ou plusieurs agences protectrices dans la société. Puisque leur fonction fondamentale est d’offrir une protection en échange de biens ou d’argent, elles constituent l’État ou les États protecteurs qui taxent des participants pour la protection offerte. Mais n’y a-t-il pas de différence entre les agences protectrices et les États protecteurs ? La seule différence analytiquement importante est que les agences protectrices apparaissent dans les premières étapes du processus évolutif, tandis que les États protecteurs sont en un sens le résultat de ce processus. Une plus grande stabilité est caractéristique d’un État protecteur, dans la mesure où à la fois les gouvernants et les citoyens sont passés par le processus d’apprentissage. Les citoyens ont compris que les coûts de sortie d’un État protecteur sont très élevés (si la sortie n’est pas explicitement autorisée par les dirigeants) [8] ; et les gouvernants ont appris comment les autres réagissent et quelles sont les technologies d’oppression les plus efficaces. La différence est donc plus de degré que de nature [9]. Cette vue évolutionniste est compatible avec la grande diversité de l’histoire humaine. En Europe occidentale, il n’y a jamais eu d’hêgemôn après la mort de Charlemagne, mais toujours une pluralité de gouvernants engagés en permanence dans la guerre. Des hêgemôn régionaux ont cependant dominé sur des périodes historiques prolongées, comme les dynasties Ming et Manchous en Chine, et l’Empire romain [10].

32Pour résumer et généraliser : les institutions informelles sont produites de manière intériorisée  c’est-à-dire qu’elles sont endogènes à une communauté (Lipford et Yandle, 1997). En comparaison, les institutions formelles sont imposées extérieurement à la communauté comme le produit exogène de l’évolution des relations entre les dirigeants. Nous manquons d’une théorie générale du fonctionnement des marchés politiques et de la manière dont les États protecteurs parviennent à assumer de plus en plus de fonctions, en offrant un ensemble de biens publics plutôt que seulement de la protection. Bien que des développements récents des sciences politiques aient abouti à des prédictions valables concernant les évolutions politiques (Katznelson et Milner, 2002), ils concernent essentiellement les États-Unis et d’autres États développés fondés sur un réseau de règles constitutionnelles fondamentales et d’autres règles politiques qui demeurent des « constantes instables » à court terme (Riker, 1980). Une théorie politique plus générale explorerait les caractéristiques des coûts de transaction des marchés politiques et le rôle de l’idéologie dans l’évolution politique (North, 1990 b). Une théorie de l’idéologie ayant un contenu empirique, théorie non encore développée, pourrait avoir comme point de départ l’évolution des modèles mentaux partagés par les acteurs politiques qui créent et légitiment de nouvelles règles politiques, qui à leur tour structurent les interactions humaines [11]. Les processus de choix seraient certes une part constitutive d’une telle théorie, mais pas nécessairement sous la forme propagée par la théorie du choix rationnel. L’enjeu n’est pas de savoir si les choix individuels ou collectifs doivent être classifiés comme « rationnels » selon un standard normatif externe, mais d’expliquer comment des systèmes de croyances sont partagés et comment la cognition distribuée peut résoudre les problèmes auxquels les groupes sociaux sont confrontés.

33La relation entre institutions formelles et informelles est très importante pour les politiques publiques [12]. Dans la mesure où celles-ci consistent à changer les institutions formelles, mais où ce qui est obtenu est la conséquence de changements dans les deux types de règles, formelles et informelles (et des particularités de leur mise en œuvre), en savoir davantage sur l’interaction entre règles formelles et informelles est une condition nécessaire pour améliorer les performances économiques.

Les performances économiques

34Une fois que les règles sont établies, l’étape analytique suivante consiste à voir comment les marchés économiques évoluent dans le cadre institutionnel. La création, la diffusion et la division du savoir se fera à des coûts de transaction élevés ou faibles selon le type d’institutions qui domine et les caractéristiques de leur mise en œuvre. Des institutions appropriées, grâce à la stabilisation des anticipations, mènent ainsi à une plus grande sécurité des transactions. Ce processus va de pair avec de faibles coûts de transaction, des gains à l’échange plus élevés et finalement de meilleures performances économiques (North, 1990).

35On peut illustrer cet argument général par la distinction entre échange et concurrence, en examinant comment ils sont liés à la division et à la création de la connaissance, ainsi qu’aux coûts de transaction. La théorie économique néoclassique s’intéresse rarement à cette question et les économistes utilisent souvent les concepts de « marché » et de « concurrence » comme synonymes. Nous définissons le marché comme un processus d’échange et la concurrence comme une rivalité, qui peut avoir lieu non seulement sur le marché mais aussi dans le domaine politique ou dans les organisations – quand deux ou plusieurs individus s’efforcent d’atteindre le même but. Nous examinerons d’abord comment les institutions, l’échange et la diffusion des connaissances sont liés. Puis nous nous demanderons en quoi le cadre institutionnel affecte la concurrence sur le marché et mène à la croissance et à l’accumulation des connaissances.

36Les processus d’échange mènent à la division du travail, qui est concomitante au partage des connaissances entre les participants au marché (Loasby, 1999). Le fait que différents individus possèdent différentes sortes de connaissances, parce que chacun se spécialise dans un domaine ou un emploi particulier, pose deux problèmes théoriques difficiles : la coordination de la connaissance et son utilisation efficace. Nous avons souligné auparavant que les institutions sont ancrées dans l’esprit des hommes comme étant des solutions partagées aux problèmes sociaux. L’effet principal de l’existence de modèles mentaux partagés ou de la connaissance partagée par rapport au paysage humain au plan cognitif est une coordination des activités individuelles au plan du comportement. Les membres d’une société élaborent les mêmes structures cognitives et adoptent les régularités de comportement correspondantes au cours d’un processus évolutif de socialisation à long terme. En conséquence, un individu qui commence à échanger sur le marché partage déjà des règles sociales avec d’autres participants au marché. Il n’est pas un être anhistorique doté seulement de préférences ou qui maximise sa fonction d’utilité sous contrainte – de budget ou de prix.

37Au cours du processus de socialisation, les individus ont pris conscience de l’existence de conventions, ils ont appris les règles morales et les normes sociales qui régissent leur société. Quand ils démarrent leur activité, les entrepreneurs savent quelles lois ils doivent respecter et à quel point les droits de propriété sont respectés ou violés par l’État ; ils sont déjà les « personnes légales » de la théorie légale. En ayant le même parcours d’apprentissage, les entrepreneurs et les autres participants au marché partagent une connaissance commune des institutions formelles et informelles, c’est-à-dire des règles du jeu. Ils sont, en ce sens, les agents spécifiques d’un jeu économique spécifique.

38Les institutions sont ainsi responsables de la coordination des connaissances des participants au marché au premier niveau qui est aussi le plus important. Il est clair que – selon les caractéristiques du processus d’apprentissage partagé dans les sociétés spécifiques – cette coordination aura lieu à des niveaux différents de coûts de transaction (North, 1990 a). Le cadre institutionnel d’un souk marocain, par exemple, coordonne le savoir des participants au marché à un niveau de coûts de transaction plus élevé que celui de marchés plus différenciés – par exemple dans les pays occidentaux développés. À un deuxième niveau, la coordination des connaissances sur le marché se fait par l’intermédiaire des prix. Le vieil argument d’Hayek demeure valide : l’existence des prix dans un contexte de marché facilite grandement la coordination des connaissances des agents en comparaison de contextes sans prix de marché – comme par exemple dans les systèmes économiques socialistes (Hayek, 1960). La coordination des connaissances sur le marché est liée à deux facteurs : le cadre institutionnel et les prix fixés par le jeu du marché.

39Pour aborder le rôle du marché dans l’accumulation des connaissances, il faut voir ce qui arrive lors de l’échange entre demande et offre, étant donné que tous les participants au marché connaissent les règles du jeu. L’échange se définit comme un processus de communication au cours duquel les consommateurs et les entrepreneurs construisent des modèles mentaux partagés. Les entrepreneurs et les consommateurs ne partagent pas un savoir commun au départ (Langlois et Cosgel, 1998, p. 112). Il n’existe pas non plus de commissaire-priseur fictif qui veillerait à ce que chaque côté du marché prenne conscience de l’autre. L’émergence même d’une structure commune de communication est la condition préalable à tout acte d’échange. Dans la mesure où les entrepreneurs ne formulent pas systématiquement les hypothèses correctes concernant les problèmes des consommateurs, et où les consommateurs ne peuvent pas connaître toutes les alternatives possibles du marché, les actes d’échange sont toujours « imparfaits ».

40Afin d’éviter tout malentendu, soulignons que les modèles mentaux partagés dans le processus d’échange sont différents de ceux qui comprennent les formes intériorisées des institutions sociales, bien qu’ils aient la même composante cognitive. La particularité des règles du jeu intériorisées est qu’elles sont partagées par tous les participants au marché. Les modèles mentaux qui sont partagés dans le processus d’échange ont, au contraire, un caractère plus temporaire. En outre, ils ne sont partagés que par certains consommateurs et certains entrepreneurs. L’existence des prix facilite la formation de ce type de modèles mentaux partagés durant le processus d’échange.

41De manière générale, plus les modèles mentaux partagés sont formés sur le marché avec des coûts de transaction faibles, plus l’usage de la connaissance dans l’économie sera efficace. Cet argument nécessite d’être développé. Bertin Martens analyse le dilemme auquel sont confrontés des agents spécialisés ayant des capacités cognitives limitées dans le partage de la connaissance sur le marché (Martens, 1999). Les agents peuvent consacrer davantage de cette capacité limitée soit à acquérir du savoir commun et à former des modèles mentaux partagés, soit à développer leur propre spécialisation. Les coûts de transaction affecteront l’option que les agents choisiront. Une fréquence élevée d’actes d’échange et un approfondissement du partage du savoir mènent à une plus grande réalisation des gains à l’échange et finalement à une meilleure performance économique.

42Ayant examiné comment les institutions, l’échange sur le marché et la diffusion des connaissances sont liés, nous allons voir maintenant comment le cadre institutionnel affecte la concurrence sur le marché. Le type de concurrence qui domine durant le processus d’échange dépend résolument des institutions qui dominent à un moment donné. Les institutions ne déterminent pas seulement le type de concurrence, mais également son tempo. Le tempo de l’apprentissage des acteurs dépend ainsi de l’intensité de la concurrence, qui dépend elle-même du cadre institutionnel (Mantzavinos, 1994). En raison de la concurrence, les agents subissant des effets externes monétaires sont incités à apprendre davantage afin de survivre dans la lutte économique.

43Au cours du processus de concurrence, des technologies sont générées comme résultat spontané. Pourquoi spontané ? Parce que les organisations qui participent au jeu économique – c’est-à-dire les entreprises – se préoccupent d’abord de l’augmentation de leurs profits. Dans ce processus pour résoudre leur problème initial, elles font appel à un grand nombre de paramètres de concurrence. La technologie est simplement l’un d’entre eux. La connaissance scientifique est utilisée et également partiellement produite par les entreprises uniquement dans la mesure où les entrepreneurs anticipent de son utilisation des profits économiques. L’apparition des technologies passe donc par le test du marché – c’est-à-dire par des considérations de profitabilité. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de relation causale simple entre institutions, activité organisationnelle et apparition des technologies (Rosenberg, 1994).

44Le processus de concurrence économique qui génère des technologies et donc de nouvelles connaissances est bien évidemment lié à l’échange sur le marché. Pour que les technologies soient efficaces, il faut qu’il existe une capacité d’absorption suffisante du côté de la demande (Cohen et Levinthal, 1990). En d’autres termes, les résultats du processus de concurrence en termes d’offre de nouvelles technologies ne peuvent augmenter la richesse qu’à condition qu’une demande existe. Ce fait a des implications profondes en matière de politique de transmission des nouvelles technologies, particulièrement dans les régions du monde les moins développées. Le transfert des technologies ne peut être réalisé que si le processus d’apprentissage approprié a eu lieu du côté de la réception (Wright, 1997). Ainsi, la communication et la formation des modèles mentaux respectifs est une condition préalable à une quelconque utilisation effective des technologies [13].

45En résumé, la performance économique est le résultat d’un processus complexe de jeu économique selon des règles formelles et informelles qui fournissent les structures incitatives et canalisent les activités innovantes dans une certaine direction. Il n’est pas garanti que les processus d’apprentissage partagé et d’évolution des institutions de la société produisent de la croissance économique (North, 1994). Les échecs sont plus fréquents que les succès dans l’histoire. À ce titre, il est important de comprendre que ce qui a bien fonctionné dans une économie ne fonctionnera pas nécessairement dans une autre et que ce qui réussit aujourd’hui ne réussira pas nécessairement demain. C’est la raison pour laquelle il apparaît déterminant de saisir ce que recouvre la notion de « sentier de dépendance » pour faire évoluer la performance économique dans une direction particulière.

Le sentier de dépendance

46Le processus du changement social que nous avons présenté dans cet article peut être résumé de la manière suivante :

47« Réalité » > croyances > institutions > politiques spécifiques > effets (et donc, « réalité modifiée »)

48Le mécanisme de rétroaction entre effets et réalité se fait mentalement ; et dans la mesure où l’esprit interprète la réalité activement, nous savons très peu de choses sur la manière dont ces effets sont perçus et interprétés par les agents. C’est la raison principale pour laquelle les modèles mécanistes et déterministes du changement économique ne peuvent fonctionner. En effet, les idées sont des facteurs autonomes de l’évolution socioéconomique et si nous voulons en savoir plus à propos de ce processus, il nous faut davantage d’informations sur la manière dont notre esprit construit la réalité.

49Nous pouvons cependant formuler une hypothèse sur la manière dont l’ « échafaudage » érigé par les êtres humains est lié aux effets tandis qu’il continue d’évoluer dans le temps. Après une période t1 (c’est-à-dire après que l’apprentissage via les institutions, les marchés et les résultats obtenus ait eu lieu), l’esprit interprète la réalité (c’est-à-dire les résultats) dans une période t2, sur la base des modèles mentaux déjà existants en t1. Ceci est évidemment vrai de chaque individu dans la société et l’apprentissage partagé en t2 doit donc être fondé sur ce qui existe en t1. En d’autres termes, les modèles mentaux partagés en t2 sont formulés sur la base des modèles mentaux partagés en t1. Dans les cas où le contenu de l’apprentissage partagé est identique ou similaire au cours de périodes successives, les modèles mentaux deviennent relativement inflexibles, et des systèmes de croyances partagées sont formés. Ceux-ci deviennent à leur tour la source du sentier de dépendance cognitive, dans la mesure où plus les modèles mentaux sont inflexibles, plus leur modification et leur révision deviennent difficiles.

50En raison de ce sentier de dépendance cognitive, l’élaboration du paysage humain (c’est-à-dire la formation des institutions) se déroule également selon ce sentier de dépendance. Quand tous les acteurs ont formé les mêmes modèles mentaux, la combinaison institutionnelle peut commencer à résoudre les problèmes sociaux d’une manière particulière. On peut parler de « rendements d’échelle croissants du cadre institutionnel » dans le sens où, une fois que les solutions aux problèmes sont apprises par les agents, elles sont inconsciemment appliquées chaque fois que des problèmes similaires surviennent. Ce sentier de dépendance institutionnelle peut structurer le jeu économique d’une manière standardisée à travers le temps et peut amener des sociétés à jouer un jeu aux conséquences indésirables (North, 2000 ; Pierson, 2000).

51Tant que le cadre institutionnel et la structure incitative ne sont pas modifiés, les interactions dans le cadre du marché sont canalisées dans une certaine direction et encouragent l’émergence de technologies d’un certain type. Par conséquent, le sentier de dépendance cognitive et institutionnelle mène finalement à un sentier de dépendance économique. La proposition intuitive selon laquelle l’ « histoire compte » rend compte de l’importance du phénomène du sentier de dépendance, qui commence au niveau cognitif et culmine au niveau économique en passant par le niveau institutionnel (Mantzavinos, 2001).

Conclusion

52Le cadre analytique présenté ici propose une première approximation du rôle que peut jouer l’apprentissage dans la formation des institutions et dans les processus économiques qui s’y inscrivent. Davantage de recherches sont nécessaires afin de développer des théories du fonctionnement des marchés politiques, de l’émergence et des impacts de l’idéologie et des relations entre les institutions formelles et informelles. La question de l’apprentissage est essentielle dans tous ces domaines de recherche. C’est pourquoi il faut suivre les développements des sciences cognitives et utiliser les résultats obtenus pour atteindre nos objectifs analytiques et progresser vers une théorie plus élaborée – suffisamment opérationnelle pour être utilisée à des fins de politique économique.

Notes

  • [1]
    Plusieurs versions de cet article ont été présentées au Second Knexus Research Symposium sur Institutionalization of Knowledge à l’Institute for International Studies, Stanford University en août 2000, au Cognition, Learning, and Social Change Workshop à Arlington, Virginia, en octobre 2000 ; au Beliefs, Institutions, and Social Change Workshop à Washington University, St. Louis en décembre 2000 ; au Politics, Markets, and Social Change Workshop à Stanford University en février 2001 ; à la cinquième conférence annuelle de l’International Society for New Institutional Economics à l’University of California, Berkeley, en septembre 2001 ; aux Institutions and Institutional Change Workshop au Max Plack Institute for Research on Collective Goods en octobre 2001 ; et au meeting annuel de l’American Political Science Association à Boston en septembre 2002. Nous remercions tous les participants à ces ateliers et sessions pour leurs commentaires et leurs suggestions. Nous sommes particulièrement reconnaissants, pour leurs commentaires lucides, envers Jim Alt, Martin Beckenkamp, Jeannette Colyvas, Bob Cooter, Leda Cosmides, Tyler Cowen, Frank Dobbin, Merlin Donald, Paul Edwards, Christoph Engel, Jean Ensminger, Henry Farrell, Alexander Field, Neil Fligstein, Mark Granovetter, Avner Greif, Peter Hall, Adrienne Heritier, David Holloway, Katharina Holzinger, Ron Jepperson, Jim Johnson, Phil Keefer, Sukkoo Kim, Jack Knight, Anjini Kochar, Timur Kuran, Dick Langlois, David Laitin, Margaret Levi, Stefan Magen, Kevin McCabe, Dan McFarland, Jim March, Bertin Martens, Terra Moe, Joel Mokyr, Wolfgang C. Müller, John Nye, John Padgett, Perri 6, Paul Pierson, Woody Powell, Birger Priddat, Nathan Rosenberg, Norman Schofield, Richard Scott, Christian Schubert, Itai Sened, Paul Sniderman, Alec Stone Sweet, John Tooby, Mark Turner, Morten Vendelo, Karen Vaughn, Barry Weingast, Gavin Wright, Jennifer Hochschild et envers trois critiques anonymes.
  • [2]
    Voir par exemple Fetzer (1999 a et 1999 b), Johnson-Laird (1997 a et 1997 b), Johnson-Laird et Byrne (1999), Rips (1994), Rips (1997).
  • [3]
    Comme l’a dit Elkohon Goldberg, un scientifique travaillant dans le domaine des neurosciences cognitives (Goldberg, 2001, 44) : « Le cerveau des animaux supérieurs, y compris des humains, est doté d’une capacité d’apprentissage puissante. À la différence du comportement instinctif, l’apprentissage est par définition un changement. L’organisme est confronté à une situation pour laquelle il n’a pas de réponse toute faite efficace. À la suite d’expositions répétées à des situations similaires, les stratégies de réponse appropriées émergent. La durée ou le nombre d’expositions nécessaires pour faire émerger les solutions efficaces sont très variables. Le processus est parfois condensé en une seule exposition (comme pour la réaction Aha !). Mais il y a invariablement transition entre un comportement inefficace et un comportement efficace. On appelle ce processus “apprentissage” et le comportement émergeant (ou enseigné) est appelé “comportement appris”. L’organisme est confronté à la “nouveauté” au commencement de tout processus d’apprentissage, et le stade final de ce processus peut être conçu comme une “routinisation” ou “familiarisation”. La transition de la nouveauté à la routinisation est le cycle universel du monde. C’est le rythme de notre processus métallique développé sur des échelles de temps différentes ».
  • [4]
    Cette distinction entre savoir théorique et savoir pratique est parallèle à la distinction entre savoir déclaratif et savoir procédural utilisée dans la psychologie cognitive. Voir par exemple Anderson (1993, chap. 2-4). Quelques preuves relatives à la différence entre « knowing that » et « knowing how » dans notre système neuronal sont fournies par Cohen et Squire (1980).
  • [5]
    Voir les travaux empiriques substantiels d’Ostrom (1990) et Ostrom et al. (1994).
  • [6]
    Dans la Grèce ancienne, par exemple, nous avons un cas clair d’une communauté culturelle avec des institutions informelles similaires ou même identiques ; il est bien connu que les Grecs s’identifiaient eux-mêmes comme non barbares et qu’un Grec était défini comme quelqu’un partageant la culture grecque. Ceci allait pourtant de pair avec une grande variété d’agences protectrices au sein des cités-États qui offraient une protection de manière autonome, engageant périodiquement toutes sortes de relations entre elles. Il s’agit donc d’un cas dans lequel le monopole de la violence ne couvre pas toute la communauté culturelle. La féodalité au Moyen Âge offre un cas évidemment similaire.
  • [7]
    Il est important de noter que la raison de ce monopole n’est pas liée à des arguments économiques concernant les économies d’échelle, etc. Il n’y a pas de preuve permettant de dire que la protection est une industrie qui peut être considérée comme un monopole naturel. Il faut plutôt expliquer le monopole de la violence en faisant appel à la capacité de l’agence protectrice à opprimer ses clients et à les obliger à accepter sa seule protection (Green, 1990). À propos du rôle du pouvoir de négociation relatif, des coûts de transactions et des taux d’escompte pour la régulation de la relation entre dirigeants et participants, voir Levi (1988), en particulier le chapitre 2.
  • [8]
    Au cours de l’histoire humaine, les gouvernants n’ont pas toujours permis à leurs citoyens de quitter leur juridiction, parce qu’ils avaient intérêt à les taxer. Exception est faite quand les gouvernants sentent leur autorité mise en doute. La tolérance dont a parfois fait preuve Cuba sous Castro vis-à-vis de ses émigrants et l’ostracisme dans les cités anciennes grecques sont des exemples d’autorisation de sortie. Pour notre argument, il est crucial que la sortie ne soit pas libre, mais seulement permise (ou même exigée par le dirigeant).
  • [9]
    Le modèle d’émergence de l’État que nous esquissons ici a de grandes affinités avec le modèle de Nozick (1974), bien que ce dernier ait été principalement développé afin de tirer des conclusions normatives qui ne nous intéressent pas ici.
  • [10]
    Voir Jones (1981). Notre modèle ne nie pas que dans le monde moderne, des formes de gouvernance plus compliquées dominent. Dans plusieurs États-nations, de nombreuses entités privées et publiques sont autorisées à mettre en place et à contrôler l’application de règles. Dans un parc national, les règles sont contrôlées par un garde fédéral ; dans un parc étatique, par un garde étatique ; dans un parc à l’échelle du comté, par un shérif du comté ; dans un parc municipal, par la police de la ville. Toutes ces organisations ont une autonomie considérable. Le parcours évolutionniste de certains systèmes politiques mène à des institutions centralisées nationales très fortes qui dominent de manière autoritaire, tandis que d’autres mènent à une grande variété d’institutions politiques agencées à des niveaux différents (à propos de la polycentricité de l’ordre politique, voir McGinnis [1999 a ; 1999 b ; 2000]). Nous nous occupons cependant principalement de l’État dans cette étude dans la mesure où il s’agit de la forme la plus importante de gouvernance.
  • [11]
    Pour un premier effort dans cette direction, voir Hall (1993).
  • [12]
    Nee (1998) ainsi que Nee et Ingram (1998) sont les premières tentatives pour s’attaquer à cette difficulté.
  • [13]
    Là réside une différence cruciale entre notre théorie et la théorie de la croissance endogène (Romer, 1986 ; Romer, 1993 ; Romer, 1994 ; Lucas, 1988 ; Lucas, 1993).
Français

Dans cet article, nous offrons un large aperçu des interactions entre cognition, systèmes de croyances et institutions, et comment elles affectent la performance économique. Nous estimons qu’une meilleure compréhension de l’émergence des institutions, de leurs propriétés de fonctionnement et de leurs effets sur les résultats politiques et économiques doit commencer par une analyse des processus cognitifs. Nous explorons la nature de l’apprentissage individuel et collectif, en soulignant que la question n’est pas de savoir si les agents ont une rationalité parfaite ou limitée, mais plutôt de savoir comment les êtres humains raisonnent ou choisissent réellement, individuellement et collectivement. Nous avons ensuite lié les processus d’apprentissage à l’analyse institutionnelle, fournissant des arguments en faveur de ce qui peut être qualifié d’ « institutionnalisme cognitif ». En outre, nous montrons qu’un traitement complet du phénomène de sentier de dépendance devrait commencer au niveau cognitif, se poursuivre au niveau institutionnel, et aboutir au niveau économique.

Mots cles

  • Apprentissage
  • changement social
  • cognition
  • croyances
  • institutions
  • marchés

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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/10/2009
https://doi.org/10.3917/anso.092.0469
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