1Les contributions au premier volume de L’Année sociologique (2006, vol. 56, no 2) consacré à l’abstraction avaient pris d’abord en considération, schématiquement, la question des entités à retenir dans une démarche d’analyse sociologique. La construction des théories représentait la deuxième orientation des études réunies. Des exemples particuliers ont ensuite été pris pour illustrer les différents aspects de cette démarche abstraite.
2Dans le présent volume, sont posées d’un côté la question de la modélisation des comportements, et de l’autre celle de leur compréhension (de manière plus ou moins directe et sur des objets tout à fait distincts).
3On peut indiquer ici sommairement que ce sont là deux dimensions complémentaires. Par exemple, lorsque Weber évoque la notion d’idéal type à propos des comportements économiques, cela le conduit à deux opérations distinctes : isoler d’un côté ce qu’est un comportement économique (ce qui implique de « comprendre » à quoi il correspond et pourquoi et comment il se déploie d’une certaine manière dans certains contextes) ; et insérer ce type de comportement dans un ensemble de connexions qui permettent d’interpréter certains résultats sociaux.
4L’abstraction en sociologie correspond en effet à la sélection de certains aspects de la réalité sociale, et à leur organisation en une lisibilité signifiante. Cela oriente donc vers une réflexion sur les modalités de l’organisation des actions en un ensemble cohérent qui autorise la description des processus de production de certains effets sociaux ; mais une dimension préalable de cette démarche est la « compréhension » des actions impliquées dans un tel processus social, dont les caractéristiques leur permettent de s’articuler les unes aux autres. Il y a en effet d’un côté les problèmes de l’architecture de la mise en forme de ces actions, en vue de l’analyse de phénomènes sociaux particuliers, et de l’autre ceux de l’analyse substantielle des comportements dans leur interaction à partir du contexte où elles se déploient.
5Si l’on prend à titre d’exemple la manière dont J. Coleman (1990, 8) formalise l’explicitation webérienne de l’incidence du protestantisme sur l’émergence du capitalisme, on voit bien que, à chacune des étapes du processus, se pose le problème de la « compréhension » des actions impliquées : comment les individus adoptent-ils certaines valeurs à partir de certaines croyances ? Comment ces valeurs ont-elles une incidence sur leur comportement économique ? C’est sur la base de cette dimension « compréhensive » que l’on peut décrire la manière dont ces comportements économiques contribuent alors à certains résultats généraux de la vie sociale. Il y a donc clairement une interdépendance entre le processus de compréhension et le processus de formalisation.

6Indiquons toutefois d’emblée que les articles réunis dans ce volume (pour la partie abstraction) n’avaient pas vocation à explorer le problème de l’articulation entre ces deux dimensions. Ils traitent pour certains de la formalisation et de ses différentes modalités, et pour d’autres de la compréhension, comme telle, ou appliquée à certains objets particuliers. Un article, le dernier, essaie de les relier d’une certaine manière.
7Ces articles variés ont donc chacun une problématique propre qu’il ne s’agit pas de faire coïncider de force avec ces questions générales, auxquelles ils ne se réduisent pas et qu’ils ne cherchent pas à traiter, cette introduction étant rédigée ex post et ne constituant pas un programme explicite qu’auraient adopté les auteurs. Il nous a paru simplement légitime de montrer que des réflexions sur la modélisation et sur la compréhension n’étaient pas nécessairement hétérogènes et que les études ici présentées pouvaient aussi contribuer à une réflexion sur le sujet.