« L’homme peut bien dompter la nature, mais il est assujetti à sa pensée. »
1Max Weber est aujourd’hui regardé comme le père, sinon du relativisme scientifique, au moins de son extension aux sciences sociales sous la double forme du « relativisme normatif » et du « relativisme cognitif ». Ainsi que le rappelle Raymond Boudon, cette généalogie, plus douteuse que prestigieuse, tend à s’imposer comme une idée reçue dans le milieu scientifique. Elle trouve sa source dans des interprétations fragiles, qui peuvent être polarisées de la façon suivante. Sur le volet du relativisme normatif, l’épistémologie webérienne est assimilée à la proposition selon laquelle les croyances individuelles et collectives reposent sur des valeurs dont la légitimité et la validité sont équivalentes (Boudon, 2003, 152-155). Sur le volet du relativisme cognitif, une équivalence analogue est postulée entre propositions positives et propositions normatives. Cette équivalence conduit à l’affirmation d’une égale objectivité (ou d’une égale absence d’objectivité) entre les explications de type scientifique et les explications de type moral, religieux, esthétique ou magique... (Boudon, 1995, 459-524).
2Il est indiscutable qu’une certaine forme d’héroïsme intellectuel s’attache à la pensée de Weber. L’affirmation du caractère conflictuel des valeurs et l’antinomie sous-jacente « éthique de la conviction », « éthique de la responsabilité » ; la double reconnaissance de la « vérité scientifique » en tant que « valeur » et en tant que « produit historique » mobilisant un mécanisme de croyance ; une vision originale de l’historicité comme « destin » et le « paradoxe des conséquences » que cette vision implique [1]... ces notions signalent un principe intellectuel fort que Weber a revendiqué pour lui-même : le principe de « cohérence » (Konsequenz) qui engage le savant à ne pas se dérober devant les conclusions que ses propres propositions lui imposent de tirer [2].
3Ce principe intellectuel rend compte, pour une large part, du pouvoir de séduction qu’exerce aujourd’hui l’idée d’un relativisme weberien. Weber serait une figure hautement remarquable de la modernité avancée, parce qu’il aurait poussé jusqu’à ses ultimes conséquences (avec notamment le double postulat d’une irréductibilité et d’un antagonisme des valeurs – postulat résumé dans les célèbres formules de « polythéisme des valeurs » et de « guerre des dieux ») l’atomisation des croyances engendrée par le « désenchantement du monde ».
Les présuppositions de la connaissance scientifique
4Weber a pourtant avancé un ensemble de distinctions précises, qui semblent immuniser son analyse de l’activité scientifique contre ce type de réduction relativiste. La plus importante de ces distinctions, que Weber qualifie justement de distinctions « de principe » (au sens où elles touchent aux principes, c’est-à-dire aux propositions premières de la connaissance) est celle qui sépare le « rapport aux valeurs » (Wertbeziehung) du « jugement de valeur » (Werturteil). Cette distinction renvoie à la philosophie weberienne de la connaissance scientifique, telle qu’elle est notamment exposée dans l’article de 1904 intitulé L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales. Weber discerne ici les « présuppositions » (Voraussetzungen) qui rendent possible la validité objective du savoir empirique produit par les sciences sociales [3].
5La démonstration weberienne s’inscrit toutefois dans une réflexion théorique plus ample, où se mêlent considérations transcendantales et considérations logiques, considérations axiologiques et considérations méthodologiques sur les sciences sociales. Weber n’expose donc pas en tant que telles les présuppositions cognitives qui sont implicitement requises par les sciences sociales. Il les signale au fil de son argumentation, plutôt qu’il ne s’attache à les ordonner analytiquement.
6On verra qu’il est néanmoins possible de les ventiler en deux séries de présuppositions distinctes, qui se rapportent l’une à l’autre de façon circulaire. Les présuppositions cognitives peuvent tout d’abord être liées aux principes qui permettent une compréhension scientifique de la réalité sociale. Elles peuvent ensuite être liées aux principes qui permettent d’assigner aux sciences sociales une valeur spécifique de vérité.
7Weber identifie en premier lieu le « rapport aux valeurs » comme une présupposition immédiate de la connaissance scientifique. Le savant, nous dit-il, ne peut appréhender le réel (c’est-à-dire sélectionner et ordonner les différents phénomènes culturels), sans y investir un ensemble de « points de vue » qui ont trait à la signification culturelle attribuée par lui à ces phénomènes.
8Dans le champ des sciences sociales, la constitution de l’objet est d’emblée associée à un double rapport à la culture et à la valeur. Rapport épistémologique à la culture, dans la mesure où les sciences sociales participent des sciences qui étudient les phénomènes sous l’angle particulier de leur signification culturelle (les Kulturwissenschaften). Rapport cognitif à la valeur, dans la mesure où le concept de culture que le savant mobilise est lui-même un concept de valeur autorisant à définir ce qui est significatif dans le phénomène culturel considéré. En s’introduisant au principe du travail scientifique, le « rapport aux valeurs » recouvre ici la présupposition cognitive qui permet au sociologue, à l’économiste ou à l’historien d’estimer que tel phénomène culturel a un sens « important » ou « essentiel », et tel autre un sens « secondaire » ou « accessoire » [4].
9Weber illustre cette première présupposition par l’exemple de l’échange monétaire. L’une des significations culturelles possibles de l’échange monétaire réside dans le fait qu’il représente un phénomène de masse, et qu’il est à ce titre constitutif de la civilisation moderne. On voit cependant la difficulté de cette présupposition. Elle risque d’assimiler le fait à expliquer avec le fait qui explique : en quoi la présupposition « l’échange monétaire est un fait culturellement significatif, parce qu’il est un phénomène de masse » est-elle différente de la proposition explicative « l’échange monétaire est un phénomène de masse, parce qu’il est un fait culturellement significatif » ? Weber précise aussitôt que la présupposition « l’échange monétaire est un fait culturellement significatif, parce qu’il est un phénomène de masse » se redouble en fait d’une proposition interrogative : « En quoi la signification culturelle de l’échange monétaire permet-elle d’expliquer qu’il constitue un phénomène de masse ? »
10Autrement dit, la présupposition cognitive selon laquelle un phénomène a une signification culturelle pour le savant n’implique pas le jugement selon lequel ce phénomène doit avoir telle signification culturelle. Elle ouvre au contraire sur la problématique de l’ « explication causale », puisqu’elle pose la question de savoir quelle est la signification culturelle du phénomène considéré. Le « rapport aux valeurs » du sujet connaissant est donc, pour parler le langage de Weber, séparé du « jugement de valeur » du sujet social par une « hétérogénéité de principe ». Il conditionne l’activité scientifique comme une modalité analytique de mise en forme de la réalité culturelle, et non pas comme une détermination axiologique fondée a parte rei.
11L’orientation axiologique des intérêts de connaissance peut alors être doublement gagée. Sur le caractère inépuisable du réel, d’un côté. Sur les limitations inhérentes à la finitude du sujet connaissant, d’un autre côté. Weber part en effet du principe que les éléments causatifs d’un phénomène singulier sont infinis ; qu’ils sont, par suite, inaccessibles en totalité à l’entendement humain ; et qu’il n’existe pas dans les choses elles-mêmes de critère immanent, tel qu’on pourrait en apprécier d’emblée l’importance ou le sens. Pour atteindre la connaissance d’un phénomène culturel, il faut donc admettre une autre présupposition cognitive. Il faut présupposer que « seule une partie finie de la multitude infinie des phénomènes possède une signification » [5].
12Weber prolonge manifestement sur le terrain des sciences sociales les réflexions de Kant et de Simmel, concernant les a priori universels ou généraux de la connaissance [6]. La philosophie weberienne de la connaissance scientifique peut ainsi être qualifiée de relativiste : elle postule l’existence d’un ensemble de présuppositions cognitives qui assurent une mise en ordre de la réalité empirique. Mais Weber ne conclut pas du « relativisme cognitif » au « scepticisme scientifique ». Il considère à l’inverse que les présuppositions cognitives de la connaissance scientifique rendent droit aux prérogatives subjectives, à partir desquelles le savant décide d’interroger la multiplicité des significations possibles d’un phénomène culturel. L’événement singulier n’ayant pas de qualité objective immanente, il ne saurait être construit comme un phénomène scientifique que relativement à l’intérêt particulier de celui qui le construit [7].
13Le « rapport aux valeurs » représente donc un moyen terme cognitif entre ce qui n’a pas de signification (sinnlos) et ce qui est significatif (sinnhaft), entre ce qui n’a pas de sens et ce qui est essentiel. C’est l’orientation générale du savant par rapport aux valeurs qui, en isolant dans la réalité culturelle ou dans le devenir historique l’objet qui l’intéresse, organise tel phénomène par principe inconnaissable en un phénomène connaissable parce que « méritant d’être connu » (wissenswert) [8].
14L’impossibilité d’une connaissance exhaustive du monde sensible rencontre alors les intérêts axiologiques comme une garantie de fécondité heuristique. En choisissant de valoriser telle caractéristique du phénomène plutôt que telle autre, le savant contribue d’abord à délimiter qualitativement, ensuite à ordonner rationnellement la portion de réalité à laquelle il applique son concept de valeur. Mieux, en assurant un renouvellement permanent des « points de vue » portés sur la culture, la variété historique des intérêts axiologiques accrédite l’idée d’une extension infinie de la connaissance scientifique – ce que Weber appelle métaphoriquement « l’éternelle jeunesse » des sciences sociales [9].
15La notion de « rapport aux valeurs » permet également d’expliquer pourquoi l’opposition n’est pas irréductible entre la prétention à une théorie objectiviste de la connaissance scientifique et la présupposition du fait que les sciences sociales sont des disciplines « subjectivantes » (subjektivierende) – au sens où la sélection des objets dérive d’une option métascientifique et subjectivement motivée.
16Weber concède que le sociologue, l’économiste ou l’historien expriment leur subjectivité en choisissant leur objet d’étude selon les intérêts qui les inspirent. Mais cette partialité axiologique ne s’étend pas à la science elle-même. La validité objective des sciences sociales est indépendante des présuppositions cognitives qui fondent subjectivement leur mode d’objectivation du réel. Le savant est en effet lié aux normes rationnelles définies par la pensée scientifique [10]. Il ne peut se soustraire à la présupposition d’un mode de connaissance dont la validité existe de façon autonome par rapport à ses intérêts de connaissance. La subjectivité du savant n’échappe pas à l’effectivité d’ « un ordre raisonné de la réalité empirique dans le domaine des sciences sociales » [11].
17Weber n’est donc pas « conventionnaliste » : l’objectivité des sciences sociales n’a pas pour fondement un ensemble de règles normatives, qui seraient le produit d’accords tacites et arbitraires contractés par les membres de la communauté scientifique. L’objectivité des sciences sociales est au contraire suspendue aux différentes modalités de contrôle formel auxquelles le savant est tenu de se soumettre : « Tout travail scientifique présuppose toujours la validité des règles de la logique et de la méthodologie qui forment les fondements généraux de notre orientation dans le monde. » [12]
18C’est dans ce cadre que Weber souligne l’importance de la notion d’ « explication causale » comme un moyen d’éprouver la pertinence objective des propositions scientifiques et, latéralement, comme un moyen de neutraliser a posteriori les options axiologiques du savant. Prenons l’exemple du sociologue. Le sociologue ne peut se suffire de recomposer les différentes motivations dont il estime qu’elles ont vraisemblablement guidé les sujets sociaux. Il lui faut encore confronter ces hypothèses interprétatives avec la réalité des conduites des acteurs. Il faut donc que la relation significative (la liaison intentionnelle plausible entre un moyen et un but, ou une croyance et un acte) soit validée dans son rapport causal avec le déroulement réellement observable de l’activité considérée.
19En termes weberiens, une « interprétation compréhensive » (Sinndeutung) devient une « explication compréhensible » (verstehendes Erklärung) lorsqu’elle a été contrôlée par les méthodes courantes de l’imputation causale. En s’assurant de la convergence effective entre le « sens subjectivement vécu » et le « sens objectivement valable », le sociologue rend visible la continuité entre la signification intérieure à une activité sociale et son déroulement extérieur : la motivation peut alors apparaître comme la cause de l’action (Weber [1922], 1995, vol. 1, 34-38).
20Méconnaissant la portée objective de la distinction entre « rapport aux valeurs » et « jugement de valeur », les lectures relativistes ont cherché à retourner cette distinction contre Weber lui-même. Le sociologue n’aurait pas été conséquent avec l’ « hétérogénéité de principe » que le théoricien des sciences sociales revendiquait entre faits et valeurs. Pour Léo Strauss par exemple, la théorie weberienne des valeurs ne saurait échapper à ses propres conséquences nihilistes. Minée par son incapacité à reconnaître l’existence de principes inconditionnellement valables (le Bien, le Vrai, le Juste, etc.), elle achopperait sur une irréductibilité des préférences et conduirait à un pandémonium inacceptable (de type « Écoute ton démon, sans te soucier de savoir s’il est bon ou mauvais ») (Strauss [1953], 2000, 50-55).
21De façon plus générale, on peut dire que les commentaires relativistes tirent de l’épistémologie weberienne la conclusion selon laquelle la vérité scientifique est une valeur analogue aux autres valeurs. Les explications scientifiques et les explications morales, esthétiques, magiques ou religieuses du monde auraient ainsi une égale qualité : elles seraient toutes axiologiquement partiales. En France, c’est Raymond Aron qui a ouvert la voie à ce renversement de perspective. En interprétant la conférence de 1919 sur Le métier et la vocation de savant comme le témoignage d’une conception « tragique » du rapport aux valeurs, il a durablement associé l’axiologie weberienne à l’idée selon laquelle les antagonismes de valeurs auraient un caractère « inexpiable » (Aron, 1963, 45-52).
22On peut être également tenté de reconduire le thème de la « guerre des dieux » dans l’équation personnelle de Max Weber. Aron a mis l’accent, non sans subtilité, sur la dualité entre la figure résolue du penseur et la figure indécise de l’homme d’action (Aron [1935], 1981, 102-110). Mais les interprétations relativistes poussent aujourd’hui plus loin. Elles n’hésitent pas à brouiller, voire à outrer les distinctions weberiennes, pour confirmer leurs propres hypothèses.
23Selon Strauss, l’impossibilité weberienne de résoudre les antagonismes de valeurs résulterait, en dernière analyse, d’une conception de la vie humaine qui puiserait son caractère « tragique » à la double source de l’athéisme et de la religion révélée (Strauss [1953], 2000, 69-78). Selon Eugène Fleischmann, le perspectivisme weberien prendrait acte d’une contradiction immanente au réel, qui trouve son analogon philosophique dans l’antinomie nietzschéenne entre la vérité comme valeur et la vie comme valeur. Le sociologue aurait été psychiquement écartelé entre sa vocation scientifique et son ambition politique. Fleischmann convoque finalement Nietzsche pour souligner que les prétentions weberiennes à l’objectivité scientifique seraient en fait la couverture intellectuelle de prétentions personnelles avortées [13].
24Cette double lecture (la vérité scientifique est en conflit avec les autres valeurs ; la personnalité de Weber fait écho à ce conflit [14]) est problématique. Elle n’introduit pas seulement l’hypothèse lourde d’une « fausse conscience », dont on voit difficilement comment elle pourrait être conciliée avec la distinction entre « rapport aux valeurs » et « jugement de valeur ». Elle est surtout incompatible avec une proposition méthodologique forte de la sociologie weberienne de la connaissance, celle de la « neutralité axiologique » (Wertfreiheit).
Du relativisme à la critique scientifique
25La notion de « neutralité axiologique » est en effet le corollaire méthodologique de la distinction théorique entre « jugement de valeur » et « rapport aux valeurs ». Elle répond à une autre distinction de principe concernant le savoir empirique : la distinction entre « connaître » (erkennen) et « porter un jugement » (beurteilen). Weber propose par là d’observer un cloisonnement étanche entre la constatation des faits et la prise de position du savant [15].
26Prenons l’exemple de l’historien. Lorsqu’il analyse causalement certains événements, l’historien peut avoir intérêt à reconstituer les délibérations de l’homme historique. Il peut, par exemple, envisager que ce soit une décision personnelle de Bismarck qui est à l’origine de la guerre de 1866. L’historien est alors pris dans l’exigence d’atteindre à la connaissance circonstancielle des idées et des valeurs qui ont guidé l’homme historique dans ses différents choix possibles. Il conclura ainsi qu’aux yeux de Bismarck, l’unification de l’Allemagne passe par un renforcement de la puissance de l’État prussien.
27Mais pour porter cette reconstitution d’un degré de plausibilité rationnelle (la guerre de 1866 peut être considérée comme la conséquence effective d’une intention de Bismarck : renforcer l’autorité de la Prusse en isolant l’Autriche) à un degré de vraisemblance historique (si Bismarck n’avait pas décidé d’entrer en guerre, l’Autriche n’aurait pas accepté – comme elle a effectivement eu à le faire lors du traité de Prague – la dissolution de la Confédération germanique et la recomposition d’une Confédération d’Allemagne du Nord autour de la Prusse), l’historien doit préalablement s’arracher à la tentation de cautionner ou de condamner. Il doit, par exemple, s’interdire de glisser de l’enregistrement des faits historiques (du type : en écartant le Landtag, la collaboration entre Guillaume Ier et Bismarck était préjudiciable à l’équilibre des pouvoirs, et elle laissait le champ libre à ce dernier) à des évaluations morales litigieuses (du type : Bismarck avait une politique réactionnaire qui servait davantage l’État prussien que la nation allemande ; la Weltpolitik de Guillaume II apparaît comme une justification ultime de l’œuvre de Bismarck...). Weber précise, en effet, que les motivations et les intentions imputables à l’homme historique ne sont pas elles-mêmes l’objet de l’explication historique. Elles constituent seulement les éléments à partir desquels l’historien construit la structure des relations possibles entre les événements.
28La notion de « neutralité axiologique » est par conséquent indissociable de la dimension « critique » de la connaissance scientifique (au sens kantien où la critique s’appuie sur un jugement logico-formel, qui autorise à dégager les présupposés implicites aux jugements de valeur et aux jugements de réalité). Pour Weber, la « critique » scientifique remplit, en effet, dans les sciences sociales, une fonction de contrôle des intentions humaines et des valeurs qui les fondent : elle soumet leur cohérence (Konsequenz) interne à l’épreuve rationnelle du principe de non-contradiction.
29Autrement dit, les sciences sociales sont susceptibles d’éclairer les hommes dans leurs arbitrages et dans leurs décisions. Elles leur permettent d’abord de prendre conscience des idéaux (ce que Weber appelle les « axiomes et les étalons ultimes ») sur lesquels reposent leurs croyances et leurs jugements de valeur. Elles leur permettent ensuite de prendre conscience du champ des possibles qui s’offre à leurs choix, et des implications concrètes que leur « vouloir » entraîne lorsqu’il s’objective dans le tissu du monde vécu [16]. Le postulat de la non-contradiction logique entre idéalité et intentionnalité se retrouve ici lié à ce que Weber appelle une « présupposition transcendantale » : la possibilité théorique d’une conscience scientifiquement adjuvante s’appuie, en effet, sur la possibilité philosophique de caractériser l’homme comme doté d’un jugement délibératif et d’une conscience réflexive [17].
30Weber prend l’exemple du syndicaliste. Il ne suffit pas, nous dit.il, de démontrer logiquement à un syndicaliste que son activité militante peut être sans effets réels sur la société, pour infirmer ses jugements de valeur ou pour diminuer la force persuasive des convictions auxquelles il adhère. La proposition positive « le syndicalisme ne modifie généralement en rien les conditions de travail imparties aux salariés » n’entame pas la proposition normative « le syndicalisme est un moyen adéquat au service de l’égalisation des conditions de travail ». Elle n’entame pas non plus le jugement de valeur « l’égalité et la justice sociales sont des biens en soi ».
31Il serait tout aussi vain, affirme Weber, de faire observer à ce même syndicaliste que son activité militante peut conduire à des effets pervers, pour arriver à hypothéquer sa conscience de l’action. La proposition positive « le syndicalisme engendre généralement un blocage de l’appareil de production qui conduit à dégrader la situation matérielle des travailleurs » n’entame pas les présupposés axiologiques du type « les conflits sociaux sont un signe positif de la justesse de l’activité syndicale ». À la limite, remarque Weber, l’inefficacité de l’action pratique sert à encore confirmer psychiquement l’authenticité de la vocation syndicale.
32Quelles conséquences générales tirer de cet exemple ? La « valeur de succès » (Erfolgswert) est partiellement indépendante de la « valeur de conviction » (Gesinnungswert). La science « axiologiquement neutre » peut alors aider l’acteur à éprouver la cohérence logique et la compatibilité avec le réel des idéaux dont il se réclame. Elle posera donc au syndicaliste des questions du type : « L’activisme militant permet-il vraiment d’améliorer les conditions de travail des salariés ? »
33Il reste que la science « axiologiquement neutre » trouve son cran d’arrêt dans l’irréductibilité du jugement logico-formel (l’efficacité du syndicalisme) et du jugement de valeur (l’authenticité de la vocation syndicale). L’appréciation positive des effets empiriques du syndicalisme n’est pas commensurable à l’évaluation normative du syndicalisme comme une activité bonne en soi. L’éclairage critique que les sciences sociales portent sur les phénomènes laisse donc en dehors de lui-même la question du « devoir-être ». L’épistémologie weberienne ne peut pas être plus stricte : les sciences sociales sont tenues d’abandonner la question du « devoir-être » à un registre de type décisionniste. C’est ce registre métascientifique de la volonté individuelle qui s’impose comme le ressort ultime du jugement et de l’action [18].
34La sociologie weberienne des religions permet d’expliciter le programme défini dans L’objectivité de la connaissance. L’exemple du puritanisme ascétique illustre notamment la cohérence logique du rapport entre idéalité et intentionnalité. Weber part du principe que les religions rationnelles sont soumises à une contrainte de cohérence spécifique, qui leur commande de déduire téléologiquement leurs postulats pratiques de leurs postulats théoriques et intellectuels [19]. La figure idéal-typique du puritain présente à cet égard un caractère paradoxal. D’une part, sa conception « théorético-intellectuelle » du monde (comme espace irrationnel du péché) lui impose une fuite hors du monde (Weltablehnung). Mais d’autre part, il lui faut accepter psychologiquement ce même monde comme un espace où sa conduite « éthico-pratique » prend la forme d’une vocation éprouvée par Dieu.
35Il existe ainsi une tension forte entre les exigences de rejet du monde (telles qu’elles sont définies par le postulat théologique de la corruption des créatures, ou par le dogme de la prédestination) et la nécessité de son acceptation pratique (telle qu’elle est définie par le postulat théologique d’une insuffisance éthique de l’homme). Weber montre comment cette tension est résolue par le lien qui se noue, sous la forme originale de l’ascétisme intramondain, entre l’éthique religieuse et la vie méthodique de type bourgeois. Lorsqu’il adhère à la croyance en une vocation religieuse axée sur la recherche des signes matériels de son élection, le puritain assure en fait une unité synthétique entre sa personnalité éthique et son activité professionnelle : les témoignages providentiels du salut de son âme lui sont fournis par sa réussite dans les affaires.
36Weber interroge également cette cohérence entre idéalité et intentionnalité du point de vue de ses implications historiques. Il montre que les conséquences paradoxales de la combinaison élective entre puritanisme et capitalisme résultent principalement d’une dissolution de la cohérence téléologique entre postulats théoriques et postulats pratiques. La foi religieuse est en effet épuisée lorsque le motif transcendant (le salut de l’âme) cesse d’être considéré comme un bien en soi. Deux conséquences paradoxales vont alors se produire. D’un côté, la vocation éthique va s’autonomiser en tombant en dehors des moyens (la conduite de vie méthodiquement orientée vers les signes matériels du succès professionnel) qui lui permettaient jusque-là de se réaliser en tant que fin. D’un autre côté, les activités conduites de façon rationnelle en valeur vont s’instrumentaliser en se soustrayant à leur destination axiologique (garantir du salut de l’âme). Ces activités ne vont plus subsister que par là où elles prendront la forme d’un devoir professionnel, désormais attaché à une norme impersonnelle et contraignante. C’est ce découplage téléologique entre postulats théoriques et postulats pratiques que résume la fameuse formule : « Le puritain voulait être un homme besogneux – et nous sommes forcés de l’être » (der Puritaner wollte Berufsmensch sein. Wir müssen es sein) [20].
37Les distinctions de principe entre « rapport aux valeurs » et « jugement de valeur », entre « connaître » et « porter un jugement », entre « être » et « devoir-être » constituent donc les thèses principales de la théorie weberienne de la connaissance scientifique. Elles s’inscrivent dans le sillage de la nuance, avancée par Rickert, entre « méthode généralisante » et « méthode individualisante ». Alors que la « méthode généralisante » surmonte l’infini du monde sensible en saisissant les régularités empiriques par des connexions causales qui prennent la forme de lois générales, la « méthode individualisante » vise, par un « rapport aux valeurs », à la compréhension du sens de phénomènes ou d’événements qui sont uniques.
38Weber retient de Rickert que ce sont bien les options axiologiques dont les individus (sujets connaissants et sujets sociaux) se réclament qui donnent aux phénomènes culturels leur coloration absolument singulière. Mais il voit néanmoins la principale impasse de la position rickertienne : comment le « rapport aux valeurs » peut-il simultanément posséder une qualité qui explique les catégories axiologiques du savant et une qualité qui explique les catégories axiologiques des acteurs sociaux ? Comment dépasser alors la contingence historique des systèmes de valeur, sans accorder implicitement une validité transcendantale ou universelle aux valeurs scientifiques ?
39Rickert échappait à l’ambiguïté de deux manières. Il soutenait d’abord que la variabilité historique des jugements de valeur n’atteint pas au cœur des différents systèmes de valeur. Chaque système de valeur tire son objectivité du fait qu’il est socialement contraignant : les individus d’une société donnée, s’ils émettent des jugements de valeur différents, ne peuvent néanmoins manquer de s’accorder sur la validité formelle d’une même grille de valeurs. Rickert postulait ensuite la transcendantalité de la vérité scientifique : le savant est pris dans la nécessité d’admettre de façon absolue la validité des valeurs théoriques qui fondent la science (Rickert [1926], 1997, 180-193).
40Weber se sépare de Rickert sur l’un et l’autre de ces deux points. Il déplace d’abord le lien entre faits et valeurs vers l’analyse de la condition présente du savant : ce sont nos propres valeurs que nous actualisons lorsque nous décidons d’interroger tel aspect d’un phénomène plutôt que tel autre. Dans cette perspective, il raffine la notion rickertienne de « rapport aux valeurs » (Wertbeziehung) en lui substituant la notion de « rapport aux idées de valeur » (Beziehung auf Wertideen) [21].
41Weber relativise ensuite le postulat rickertien (la vérité scientifique est une valeur dont la validité est présupposée comme absolue), en le resituant à l’intérieur de sa théorie de la connaissance scientifique. En refusant de concevoir les croyances positives comme des normes logico-transcendantales de l’activité humaine, Weber rappelle Rickert à la philosophie des valeurs à laquelle ce dernier souscrit tacitement. À l’absoluité transcendantale de la vérité scientifique, Weber substitue ainsi l’idée que la valeur de vérité du savoir empirique est elle-même une présupposition constitutive de la connaissance scientifique.
42La circularité de la connaissance scientifique
43Cette dernière présupposition nous ramène vers l’article de 1904. Weber ramasse l’ensemble de son argumentation dans la proposition suivante : « La validité objective de tout savoir empirique a pour fondement et n’a d’autre fondement que le suivant : la réalité donnée est ordonnée selon des catégories qui sont subjectives en ce sens spécifique qu’elles constituent la présupposition de notre savoir et qu’elles sont liées à la présupposition de la valeur de vérité que seul le savoir empirique peut nous fournir. » [22]
44La démarche weberienne est de toute évidence conduite de façon régressive : elle renvoie l’objectivité des sciences sociales vers les différentes présuppositions cognitives qui la fondent. Elle peut à ce titre être comprise comme une réponse au « trilemme de Münchhausen », tel qu’il a notamment été analysé par Raymond Boudon [23]. Weber introduit, en effet, l’idée essentielle d’une circularité de la connaissance scientifique. Il répond, autrement dit, au « trilemme de Münchhausen » en démontrant la validité objective du savoir empirique à partir de ses propres conséquences.
45L’objectivité des sciences sociales peut alors être fondée sur trois séries interdépendantes de présuppositions cognitives. D’abord, la validité objective des connaissances empiriques peut être fondée sur les « catégories subjectives », qui rendent possible une appréhension scientifique de la réalité sociale [24]. Ensuite, ces « catégories subjectives » peuvent être fondées sur la valeur de vérité qui est attribuée aux sciences sociales. Finalement, la valeur de vérité des sciences sociales peut être fondée sur les résultats empiriques produits par les sciences sociales. Les trois séries de présuppositions cognitives sont bien circulairement référées les une aux autres : l’objectivité du savoir empirique est présupposée par des catégories subjectives ; ces catégories subjectives sont, à leur tour, présupposées par la valeur de vérité des sciences sociales ; et la valeur de vérité des sciences sociales est en retour déduite de la présupposition d’un savoir empirique objectivement valable.
46En clair, le savoir empirique que produisent les sciences sociales ne peut prétendre à la validité objective que parce qu’il repose, de façon circulaire, sur la valeur de vérité qui est, par principe, attribuée aux sciences sociales. Réciproquement, la valeur de vérité dont les sciences sociales se recommandent ne peut prétendre à la validité objective que parce qu’elle est attestée, de façon également circulaire, par ses propres conséquences, c’est-à-dire par le savoir empirique que les sciences sociales produisent.
47La conférence sur Le métier et la vocation de savant se présente à la fois comme une généralisation et comme un approfondissement de l’idée de circularité de la connaissance scientifique. Comme une généralisation, dans la mesure où Weber y examine les présuppositions communes aux sciences de la nature et aux sciences de la culture. Comme un approfondissement, dans la mesure où il interroge surtout les présuppositions cognitives de type axiologique, c’est-à-dire les présuppositions inhérentes à la vérité scientifique en tant que valeur.
48Après avoir dégagé les deux grands instruments du travail scientifique que sont le concept et l’expérimentation rationnelle (respectivement identifiés à la philosophie antique et à la Renaissance), Weber s’attache à définir la science. Plus précisément, il caractérise la science de la façon suivante : « La science met naturellement à notre disposition un certain nombre de connaissances qui nous permettent de dominer techniquement la vie par la prévision, aussi bien dans le domaine des choses extérieures que dans celui de l’activité des hommes. » [25]
49On peut se demander pourquoi Weber privilégie ici une définition finaliste et instrumentale de la science. Pourquoi, autrement dit, il la suspend à un ensemble de moyens (le concept, l’expérimentation rationnelle, l’exercice méthodiquement contrôlé de la pensée, etc.) en vue d’une finalité instrumentale (maîtriser techniquement la vie par la prévision rationnelle) [26]. Une triple réponse peut être donnée à cette question.
50D’abord, les limites que dessinent les définitions, les concepts ou les types idéaux sont toujours arbitraires. Elles isolent, comme on l’a vu, la singularité du phénomène relativement à un « point de vue » particulier.
51Ensuite, la définition weberienne fait fond sur la définition cartésienne de la science. Weber étend le projet d’une rationalité visant la possession de la nature extérieure par le calcul à une rationalité visant la maîtrise de la vie par la prévision [27].
52Enfin, Weber opte pour une définition résolument circulaire de la science. Puisque l’activité scientifique est tributaire de certaines présuppositions cognitives de type axiologique (la science a valeur de vérité, le travail scientifique est important en soi, ses résultats valent la peine d’être connus, etc.) et puisque ces présuppositions cognitives ne sauraient être démontrées scientifiquement, alors la science ne peut être fondée que sur ses propres conséquences (les connaissances empiriques qui autorisent une maîtrise technique de la vie).
53Cette circularité de connaissance scientifique autorise à élucider certains points qui, dans la conférence de 1919, peuvent prêter le flanc à une lecture relativiste. Weber est tout d’abord loin d’entériner l’affirmation de Tolstoï : la science est vide de « sens » parce qu’elle ne comporte pas de finalité prescriptive, parce qu’elle ne nous renseigne pas sur notre « devoir-être ». Il souligne à l’inverse que le « sens » de la science peut être circulairement trouvé dans les présuppositions de la connaissance scientifique.
54Pour Weber, la science a donc un « sens », mais ce « sens » est présupposé par les buts empiriques que la science s’assigne : « Toutes les sciences de la nature nous donnent la réponse à la question : Que devons-nous faire si nous voulons être techniquement maîtres de la vie. Quant aux questions : Cela a-t-il au fond et en fin de compte un sens ? Devons-nous et voulons-nous être techniquement maîtres de la vie ? Elles les laissent en suspens ou bien les présupposent en fonction de leur but. » [28]
55On comprend ainsi pourquoi Weber se refuse à couronner la science d’une quelconque qualité morale. La science administre la question du comment les hommes doivent faire pour dominer techniquement la vie, mais elle reste muette devant la question du pourquoi les hommes doivent dominer techniquement la vie. Les sciences naturelles (comme la physique ou la chimie) présupposent, par exemple, que la maîtrise des forces naturelles permet à l’homme d’agir sur le monde à son avantage. Les sciences sociales (comme la sociologie ou l’économie politique) expriment une intention analogue. Elles présupposent que la connaissance scientifique de la vie sociale devrait donner aux hommes la maîtrise de leur société et de leur histoire. Pourtant, ni les sciences naturelles ni les sciences sociales ne sont susceptibles de prouver que leurs énoncés empiriques ont une valeur en soi. Elles ne peuvent pas non plus établir la « signification » du monde qu’elles décrivent.
56Il est, dès lors, impossible de démontrer, par des moyens scientifiques, la présupposition axiologique selon laquelle la science doit avoir une valeur de vérité telle que ses résultats objectifs « méritent d’être connus » (wissenswert). À la limite, la science n’oblige que ceux qui croient en la valeur de la vérité scientifique : « Nous ne pouvons rien fournir, avec les moyens de notre science, à celui qui considère que cette vérité n’a pas de valeur – la croyance en la valeur de la vérité scientifique est un produit de certaines civilisations et n’est pas une donnée de nature. » [29]
57Cette dernière remarque permet également d’expliquer pourquoi Weber ne disjoint pas le registre des croyances positives et celui des croyances normatives. Il y a, en effet, une circularité explicative entre les objectifs empiriques poursuivis par l’activité scientifique et les présuppositions axiologiques qui font dépendre la science de l’affirmation préalable de sa valeur de vérité : « Il faut chercher la caractéristique de la connaissance scientifique dans la validité “objective” de ses résultats considérés comme des vérités. » [30]
58Weber ne pense donc pas, contrairement à Comte, que l’idée de prévision rationnelle plaide en faveur de l’autonomie objective du savoir empirique [31]. Son « relativisme axiologique » implique que les productions scientifiques sont irrémédiablement subordonnées à une adhésion implicite dans la valeur de la vérité scientifique. Mais le mot « relatif » ne s’oppose pas ici au mot « absolu », comme un signe de l’inachèvement des sciences. Le mot « relatif » s’oppose au mot « sans présuppositions », comme un signe des limitations (Begrenzungen) inhérentes à toute science. Au théorème positif de Comte (théorème de type : il faut savoir pour pouvoir), Weber peut alors avantageusement substituer un théorème cognitif (théorème de type : il faut présupposer pour savoir).
59Weber reste par ailleurs fidèle à la tradition du relativisme scientifique inaugurée par Hume. Il définit, en effet, la science comme un horizon d’attentes empiriques fondées sur un mécanisme de croyance, plutôt que comme un corpus de vérités inconditionnellement certaines. Mais dans le même geste, Weber émancipe la science du scepticisme humien, puisqu’il résout la condition « fidéiste » de l’activité scientifique dans un ensemble de présuppositions cognitives.
60Le fait que la vérité scientifique dépende d’une croyance n’invite pas à ramener ses principes vers des habitudes de l’esprit qui seraient (comme c’est le cas chez Hume) contractées devant la répétition de successions causales identiques [32]. Au contraire, si les connaissances empiriques peuvent être dites objectivement valables, c’est du point de vue formel des règles logiques qui les contrôlent et de la méthodologie qui les guide. Weber réduit le « relativisme sceptique » aux dimensions nettement plus acceptables du « relativisme cognitif » : le travail scientifique repose sans doute sur des présuppositions cognitives de type axiologique ; mais la relativité de la croyance en la valeur de la vérité scientifique ne se communique pas à la validité objective des connaissances empiriques.
61Weber ne se soustrait donc pas au « trilemme de Münchhausen » en marquant un coup d’arrêt fidéiste (au sens où la théorie de la connaissance scientifique serait fondée sur des principes dont la validité devrait être posée comme absolue) à la régression infinie des principes. Il se soustrait au « trilemme de Münchhausen » en fondant circulairement la science sur ses propres conséquences empiriques.
62Une chose est en effet la vérité scientifique en tant que valeur. Et la vérité scientifique en tant que valeur est fondée sur un acte de foi qui est scientifiquement indémontrable. Mais une autre chose est la science en tant que maîtrise technique de la vie. Et la science en tant que maîtrise technique de la vie ne peut être fondée que sur la base du savoir empirique qu’elle nous fournit. En d’autres termes, l’impossibilité de démontrer scientifiquement la vérité scientifique est précisément ce qui interdit de fonder la science sur l’arbitraire d’un acte de foi. Mais l’impossibilité de démontrer scientifiquement la vérité scientifique est aussi ce qui astreint à fonder la science sur ses propres conséquences empiriques.
63Les lectures relativistes commettent toutes la même erreur d’interprétation. Non seulement elles se méprennent sur la nature du relativisme weberien, qui s’appuie en fait sur la reconnaissance des présuppositions implicitement constitutives de la science. Mais elles revendiquent encore une inclusion (Weber est relativiste, parce qu’il admet que la vérité scientifique est une valeur indémontrable) là où il faudrait en toute rigueur revendiquer une exclusion (Weber n’est pas relativiste, précisément parce qu’il admet que la vérité scientifique est une valeur indémontrable).
64S’il accepte tacitement le paradoxe socratique (pour que la science puisse se connaître elle-même, il faudrait qu’elle connaisse davantage que ce qu’elle connaît réellement ; ce qui est une proposition évidemment contradictoire), Weber se refuse surtout à laisser la vérité scientifique sur le terrain des inconditionnés. Admettre avec Rickert que la vérité scientifique est absolument valable, c’est en effet renoncer à démontrer la science de façon circulaire. Et c’est du même fait briser le cercle d’une science « axiologiquement neutre » pour entrer dans celui de la philosophie des valeurs.
65La croyance en la valeur de la vérité scientifique ne conduit pas à la liquidation de l’objectivité scientifique. Elle ne nous montre pas l’illusion dont nous sommes dupes, lorsque nous traitons la valeur de la vérité scientifique comme un indémontrable. Elle indique circulairement la présupposition que nous sommes tenus de faire, pour autant que nous voulons atteindre un certain objectif (maîtriser techniquement la vie par la prévision) : « Toutes les sciences de la nature nous donnent la réponse à la question : que devons-nous faire si nous voulons être techniquement maîtres de la vie ? »
66Mais alors, qu’est-ce que la science « axiologiquement neutre » peut nous dire sur la qualité de notre « vouloir » ? Weber reprend à nouveaux frais le postulat de la non-contradiction logique entre les idées et les intentions humaines. En appliquant ce postulat au travail scientifique, il élucide une dernière interrogation : « Quelle est la vocation de la science dans l’ensemble de la vie humaine et quelle est sa valeur ? »
67La réponse de Weber à cette interrogation a fait l’objet de nombreux commentaires qu’il n’est pas question d’examiner par le détail. Ces commentaires rabattent, pour l’essentiel, la conception weberienne de la vocation scientifique sur sa conception décisionniste de la personne humaine. La limite des interprétations relativistes est tracée ici, de façon exemplaire, par Léo Strauss. En délaissant la notion de droit naturel, Weber abandonnerait la vie sociale à l’affrontement concurrentiel de préférences personnelles et souveraines, mais partiales et arbitraires. Le dernier mot du sociologue serait ainsi : à chacun de choisir son démon, qu’il soit d’inspiration divine ou diabolique [33].
68Il est en fait plus judicieux de rapprocher la conception weberienne de la vocation scientifique de la dimension « critique » de la science, définie notamment dans L’objectivité de la connaissance. En assumant la présupposition normative selon laquelle la science est digne de constituer une vocation, Weber admet qu’il formule un jugement de valeur. Mais il ne concède pas pour autant sortir du cadre circulaire dans lequel il a fondé l’activité scientifique. Le caractère indémontrable de la vérité scientifique ne mine pas, on l’a vu, l’objectivité de la science. L’affirmation de l’intérêt de la science ne compromet pas non plus la possibilité de s’interroger sur sa « valeur », et de discerner « l’ultime apport de la science au service de la clarté, apport au-delà duquel il n’y en a plus d’autres. »
69Weber caractérise cet apport de la façon suivante : « Si nous sommes, en tant que savant, à la hauteur de notre tâche (ce qu’il faut évidemment présupposer ici) nous pouvons alors obliger l’individu à se rendre compte du sens ultime de ses propres actes, ou du moins à l’y aider. » [34] Le savant peut (il a même le devoir) de confronter l’acteur, d’abord, à la vision du monde (ou aux différentes visions du monde) qui est sous-jacente à ses prises de position normatives ; ensuite, aux valeurs et aux évaluations qui lui dictent alors ses décisions ; et enfin, à la compatibilité de ses intentions avec le réel.
70La formulation allégorique et allusive de ce programme « critique » ne doit plus déconcerter que les interprétations décisionnistes dont il a été recouvert. Rappelons ses conditions de possibilité. Il se soutient positivement du postulat de non-contradiction logique entre idéalité et intentionnalité : le jugement logico-formel autorise à éprouver la cohérence entre les représentations que les individus se donnent du monde et les actions qu’ils y accomplissent. Il se soutient transcendentalement d’une définition de l’homme comme un être capable de prendre position face au monde : le jugement logico-formel s’adresse au sujet en tant qu’il est doté de « rationalité axiologique » (au sens que Raymond Boudon a donné à ce mot : les jugements de valeur que le sujet endosse sont fondés, dans son esprit, sur des systèmes de raisons qui sont perçues comme fortes (Boudon, 1999, 137-203 ; Boudon, 1995, 278-292)).
71Weber pose ici un problème essentiel, et peut-être même le problème essentiel des sciences sociales : de quelles formes de reconnaissance sociale la connaissance scientifique peut-elle se prévaloir ? Les réponses relativistes qui s’inspirent de Weber comportent généralement deux degrés de relativisme.
72Le degré élémentaire est celui du « relativisme historique ». Il consiste à tirer l’idée weberienne ( « la croyance en la valeur de la vérité scientifique est un produit de certaines civilisations et n’est pas une donnée de nature » ) dans le sens d’une validité locale et circonstancielle de la science. Durkheim formulerait ici la réponse la plus satisfaisante au problème de la reconnaissance sociale de la connaissance scientifique, en plaçant la science sous la dépendance historique de l’état de l’opinion [35]. Cette réponse est à la fois évidente et inconsistante. Elle est évidente s’il est question de la croyance scientifique comme donnée psychologique : rien ne nous empêche de croire que « le jour est noir » et que « la nuit est blanche ». Mais cette réponse est inconsistante s’il est question de la vérité scientifique comme donnée logique. La proposition « le jour et la nuit sont de deux couleurs différentes » ne cesserait pas d’être vraie, quand bien même on déciderait de croire que « le jour est noir » et que « la nuit est blanche ».
73Le degré supplémentaire est celui du « relativisme absolu » (ou de l’ « hyperrelativisme »). Il consiste à dire que l’antagonisme fondamental des valeurs mène à une incompatibilité radicale entre le « point de vue » scientifique et les autres « points de vue ». Cette réponse au problème de la reconnaissance sociale de la connaissance scientifique n’est pas uniquement fausse parce que, comme l’a relevé Aron, elle est intrinsèquement contradictoire : une proposition ne peut être en même temps et vraie et fausse, ou ni vraie ni fausse [36]. La réponse hyperrelativiste est également fausse parce qu’elle présuppose une irréductibilité entre la rationalité scientifique et la rationalité courante. Or, cette présupposition est contredite par la sociologie weberienne de la connaissance, qui établit au contraire une homologie entre rationalité scientifique et rationalité courante.
74Le type de rationalité auquel le savant se conforme n’est bien sûr pas identique au type de rationalité auquel les sujets sociaux adhèrent. Là où une pomme tombe, le physicien verra la loi de la chute des corps, le travailleur agricole l’annonce d’une récolte imminente, le poète un signe de l’harmonie universelle, etc. Il reste que la rationalité scientifique et la rationalité courante ne sont pas exclusives l’une de l’autre : la loi physique de la chute des corps n’élimine pas la loi poétique de l’harmonie universelle.
75Il existe, dès lors, un continuum de rationalité axiologique entre le sujet connaissant et le sujet social. Les raisons qui poussent le savant à souscrire à la valeur de la vérité scientifique sont de même nature que les raisons qui poussent le sujet social à souscrire à cette valeur, ou à lui préférer telle autre valeur. Dans l’un comme dans l’autre cas, les raisons que le sujet a d’adopter une valeur sont soumises à une contrainte similaire : elles doivent être perçues comme des raisons valables eu égard à la valeur mobilisée par le sujet.
76L’homologie entre rationalité scientifique et rationalité courante ne disqualifie pas seulement le « relativisme absolu ». Elle rend surtout justice au programme critique de Weber, puisqu’elle libère la possibilité d’une communication entre le « point de vue » du savant et celui du sujet social. Le savant et le sujet social sont mus par une rationalité analogue de type axiologique. Ils ne peuvent donc se détourner du principe logique qui les engage à articuler, de façon cohérente, leurs idées et leurs intentions, ou leurs croyances et leurs actes. Finalement, la conscience scientifique et la conscience sociale sont liées par l’exigence rationnelle dans laquelle elles sont prises d’être conséquentes avec les valeurs dont elles se réclament.
Notes
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[1]
Le « paradoxe des conséquences » pose que le résultat final d’une agrégation d’activités excède en général les limites des intentions des acteurs (Weber [1920 b], 1996, 394).
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[2]
Sur le rapport entre la rationalité et le principe weberien de la « cohérence », voir Boudon, 1999, 147-154.
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[3]
Ces présuppositions sont des présuppositions de type cognitif, puisqu’elles concernent indistinctement le sujet connaissant, l’acte de connaissance et la faculté de connaître.
-
[4]
« La réalité empirique est culture à nos yeux parce que, et en tant que nous la rapportons à des idées de valeur, elle embrasse les éléments de la réalité et exclusivement cette sorte d’éléments qui acquièrent une signification pour nous par ce rapport aux valeurs » (Weber [1904], 1992, 154, c’est Weber qui souligne).
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[5]
Weber [1904], 1992, 156, c’est Weber qui souligne.
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[6]
Simmel dégage les a priori de la connaissance dans Les problèmes de la philosophie de l’histoire [1892] et dans la Philosophie de l’argent [1900]. Voir notamment sur ce point R. Boudon, 1992 [1990], 409-439.
-
[7]
« La qualité d’un événement qui nous le fait considérer comme un phénomène “social et économique” n’est pas un attribut qui, comme tel, lui est “objectivement” inhérent. Elle se laisse plutôt déterminer par l’intérêt de notre connaissance, telle qu’elle résulte de l’importance culturelle spécifique que nous accordons à l’événement en question dans le cas particulier » (Weber [1904], 1992, 137, c’est Weber qui souligne).
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[8]
« Toute connaissance réflexive de la réalité infinie par un esprit humain fini a par conséquent pour base la présupposition implicite suivante : seul un fragment limité de la réalité peut constituer chaque fois l’objet de l’appréhension scientifique et seul il est “essentiel”, au sens où il mérite d’être connu » (Weber [1904], 1992, 148-149, c’est Weber qui souligne).
-
[9]
« Il y a des sciences auxquelles il a été donné de rester éternellement jeunes. C’est le cas de toutes les disciplines historiques, de toutes celles à qui le flux éternellement mouvant de la civilisation procure sans cesse de nouveaux problèmes » (Weber [1904], 1992, 191).
-
[10]
Ou du moins, précise Weber, il doit l’être pour autant qu’il se veut être un savant et recherche alors la vérité qui « prétend à la validité d’une mise en ordre raisonnée de la réalité empirique même aux yeux d’un Chinois » (Weber [1904], 1992, 131).
-
[11]
Weber [1904], 1992, 136.
-
[12]
Weber [1919], 1963, 77. Comme le rappelle Pierre Bouretz, « le dépassement du perspectivisme s’effectue non pas grâce à la supposition qu’il existe un point de vue ultime d’où le réel s’ordonne en vertu d’une finalité rationnelle, mais au sein même de la connaissance : par une théorie commune de l’objectivité, des procédures de démonstration qui sont universalisables et des règles conventionnelles d’argumentation qui permettent une reconnaissance et une communication entre les perspectives sur le monde » (Bouretz, 1996, 76-77).
-
[13]
« Par la force des choses, Weber fut acculé à une solution dualiste – pour ne pas dire manichéiste – où la personnalité même du chercheur traduit le conflit entre deux mondes séparés et contradictoires dans leur essence : le monde objectif de la science causale et le monde subjectif des valeurs extra-scientifiques » (Fleischmann, 1964, 205-206).
-
[14]
Weber a pourtant indiqué que l’idée d’ « antagonisme des valeurs » et l’idée de « relativisme normatif » s’excluent mutuellement. Lorsqu’il endosse une croyance normative, le sujet social admet tacitement une hiérarchie interne au système de valeurs auquel il se réfère. Il ne peut donc simultanément admettre que la valeur dont il se réclame ait une validité équivalente aux autres valeurs (Weber [1917], 1992, 390-391).
-
[15]
M. Weber [1917], 1992, 380.
-
[16]
Weber [1904], 1992, 124-125.
-
[17]
« La présupposition transcendantale de toute science de la culture (consiste) dans le fait que nous sommes des êtres civilisés, doués de la faculté de prendre consciemment position face au monde et de lui attribuer un sens » (Weber [1904], 1992, 160, c’est Weber qui souligne). Il faut ajouter que, pour Weber comme pour Simmel, le caractère rationnel des croyances normatives est en général masqué aux sujets sociaux : ils perçoivent spontanément les valeurs comme des propriétés objectives des choses. C’est la raison pour laquelle Weber propose de « ramener à leur contenu idéel les jugements de valeur qui s’imposent à nous sans réflexion » (Weber [1904], 1992, 128).
-
[18]
« La science axiologiquement neutre a définitivement rempli son office une fois qu’elle a ramené le point de vue du syndicaliste à sa forme logiquement la plus cohérente et la plus rationnelle possible et qu’elle a déterminé les conditions empiriques de sa formation, ses chances et les conséquences pratiques qui en découlent d’après l’expérience » (Weber [1917], 1992, 399-400, c’est Weber qui souligne).
-
[19]
Weber [1920 a], 1996, 412.
-
[20]
Weber [1905], 1994, 128. L’articulation webérienne entre « vouloir » et « devoir » – ou, dans le langage philosophique, entre le concept de la volonté et celui de la nécessité – renvoie de sa conception critique de la science vers sa conception tragique de l’historicité. Le travail critique des sciences sociales prend en effet tout son sens dans le cadre d’une comparaison entre les intentions des hommes et les conséquences non voulues de leurs actions (Weber [1920 b], 1996, 394).
-
[21]
Weber [1904], 1992, 154. Sur le « rapport aux valeurs » chez Rickert et chez Weber, Aron [1935], 1981, 82-85. Voir aussi Watier, 1998, 35-41.
-
[22]
Weber [1904], 1992, 199, c’est Weber qui souligne.
-
[23]
Boudon énonce le « trilemme de Münchhausen » de Hans Albert de la façon suivante : « Soit une théorie quelconque ; elle s’appuiera toujours sur des propositions “premières”, en d’autres termes sur des principes. Or, de trois choses l’une : 1 / ou bien l’on renonce à étayer lesdits principes et on les traite comme des indémontrables ; 2 / ou bien l’on cherche à démontrer ces principes en s’appuyant sur d’autres principes qu’on cherchera à démontrer à partir d’autres principes et ainsi à l’infini, ce qui est impossible ; il faut donc s’arrêter en chemin ; on retombe alors sur le premier cas ; 3 / ou bien l’on cherche, de façon circulaire, à démontrer lesdits principes à partir de leurs conséquences » (Boudon, 1999, 19-20).
-
[24]
Pour produire des résultats empiriquement valables, les sciences sociales doivent en effet présupposer les différents principes positifs qui ont été examinés plus haut : rapport immédiat du sujet connaissant aux concepts de culture et de valeur ; possibilité d’un ordonnancement raisonnable du réel ; articulation entre finitude du sujet connaissant et impossibilité d’une connaissance exhaustive du réel ; irréductibilité entre jugement logico-formel, jugement de valeur et jugement de réalité ; transcendantalité de la capacité humaine à donner un sens au monde, etc.
-
[25]
Weber [1919], 1963, 72-76, 88-89. L’idée d’une « mise à disposition du monde » traverse toute la philosophie sociale allemande, de Hegel à l’École de Francfort en passant par Marx. Elle constitue également le cœur de la réflexion de Habermas sur le rapport entre science, technique et société : les informations scientifiques entrent dans le monde social vécu par la bande de leur valorisation technologique, par là où elles nous permettent d’étendre notre pouvoir de disposer techniquement des choses (Habermas [1968], 2000, 78).
-
[26]
L’idée de « prévision rationnelle » (Vorausberechnung) gomme néanmoins une distinction essentielle. Dans le champ de la nature inerte qui est soumise – sinon en fait, du moins en droit – à un déterminisme strict, la prévision est rigoureusement quantifiable et affectée d’un fort coefficient de rationalité. Mais dans l’espace du devenir historique délimité par les sciences de la culture, la prévision conserve un caractère probabiliste qui implique un degré largement plus variable de certitude rationnelle.
-
[27]
Weber mobilise ici un point essentiel de la tradition kantienne. La conceptualisation n’a pas vocation à fournir une copie représentative du réel. Elle renvoie plutôt à un projet de « maîtrise » de la portion de réalité, sur laquelle sont projetées les catégories formelles de la pensée (Weber [1904], 1992, 193).
-
[28]
Weber [1919], 1963, 78, c’est Weber qui souligne.
-
[29]
Weber [1904], 1992, 199. Le raisonnement weberien est impeccable sur le plan de la rigueur logique. Toute présupposition établit sa vérité par rapport à un ordre du discours dans lequel elle prend sa référence. Or, le référent de la présupposition selon laquelle la science est « vraie » ressortit à la sphère des valeurs, et non à celle des faits. La qualité du présupposé ne s’étend donc pas à l’objet – le savoir empirique – engagé par la présupposition. De la présupposition axiologique selon laquelle la science est « vraie », il n’est pas possible de déduire la conséquence que le savoir empirique a une valeur en soi.
-
[30]
Weber [1904], 1992, 120, c’est Weber qui souligne.
-
[31]
Comte voit dans la « prévision rationnelle » la preuve de ce que l’esprit humain s’est définitivement arraché au double régime « métaphysique » et « théologique » de la pensée, pour se fixer dans le champ de l’observation des réalités phénoménales (Comte [1830/1842], leçon 48).
-
[32]
Le statut régulateur que Weber attribue au « savoir nomologique » indique clairement son rejet d’un relativisme scientifique basé sur la répétition des mêmes occurrences causales. Les connexions causales issues des règles générales de l’expérience, ou du devenir, permettent en effet de contrôler la validité objective des énoncés hypothétiques (sur l’usage de ces règles en sciences sociales, Weber [1904], 1992, 158-159. Sur leur usage particulier en histoire, Weber [1906], 1992, 281-299.
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[33]
Strauss oppose à Weber la thèse suivante : la compréhension naturelle du monde (ce que Strauss appelle le « sens commun ») doit être regardée comme une réalité objective qui, parce qu’elle comporte ses propres principes d’appréciation normative (le Bien, le Vrai, le Juste, etc.), est antécédente à la pluralité des jugements de valeur (Strauss [1953], 2000, 79-82).
-
[34]
Weber [1919], 1963, 90, c’est Weber qui souligne.
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[35]
« À chaque moment de l’histoire et dans la conscience de chaque individu, il y a pour les idées claires, les opinions réfléchies, en un mot pour la science, une place déterminée au-delà de laquelle elle ne peut s’étendre normalement » (Durkheim [1893], 1998, 217).
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[36]
Aron, 1963, 51.